Le Quotidien du 19 mars 2025 : Contrôle fiscal

[Questions à...] Quelles conséquences induites par l’extension du délai de reprise en cas de contestation de la résidence fiscale à l’étranger ? Questions à Thomas Dubanchet, avocat fiscaliste, associé-fondateur cabinet Bespoke Avocat

Réf. : Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU

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N1858B39

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[Questions à...] Quelles conséquences induites par l’extension du délai de reprise en cas de contestation de la résidence fiscale à l’étranger ? Questions à Thomas Dubanchet, avocat fiscaliste, associé-fondateur cabinet Bespoke Avocat. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/117157084-questions-a-quelles-consequences-induites-par-lextension-du-delai-de-reprise-en-cas-de-contestation-
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le 17 Mars 2025

Mots clés : délai de reprise • fraude fiscale • expatriation • actifs numériques • non-rétroactivité

Alors que jusqu’ici l'administration fiscale disposait d'un délai de trois ans (plus l'année en cours) pour rectifier l'impôt sur le revenu d'un contribuable qui se déclare non-résident fiscal français, un délai de reprise de dix ans (plus l’année en cours) s’appliquera désormais à toutes les situations où l’administration remet en cause la domiciliation fiscale d’un contribuable. Pour en savoir plus sur cette disposition de la loi de finances pour 2025 qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour les contribuables ayant quitté la France, Lexbase a interrogé Thomas Dubanchet, avocat fiscaliste*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous préciser les délais de reprise de l'administration fiscale en matière d'impôt sur le revenu (IR) et d'impôt sur les sociétés (IS) ?

Thomas Dubanchet : En matière fiscale, le droit de reprise de l’administration constitue la période pendant laquelle celle-ci peut légalement procéder à des rectifications d’imposition si elle constate une insuffisance, une omission ou une inexactitude dans les déclarations souscrites par les contribuables.

Conformément aux dispositions de l’article L. 169 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L6073M8G, le délai de reprise est, en principe, de trois ans. Cela signifie concrètement que l’administration dispose jusqu’au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’impôt est dû pour engager une procédure de rectification.

Prenons un exemple : pour des revenus perçus en année N, et qui auraient dû être déclarés au titre de cette même année, l’administration fiscale peut exercer son droit de reprise jusqu’au 31 décembre de l’année N+3. Cela offre donc une fenêtre temporelle relativement courte, qui permet de sécuriser la situation fiscale du contribuable passé ce délai, sous réserve de ne pas être dans l’un des cas exceptionnels détaillés ci-après.

Lexbase : Par dérogation à ces principes, dans quels cas l'administration fiscale pouvait-elle bénéficier d'un délai de reprise étendu à 10 ans avant l'adoption de la LF pour 2025 ?

Thomas Dubanchet : En dérogation au principe triennal, certains comportements jugés particulièrement graves par le législateur justifient une extension significative du délai de reprise. Avant l’adoption de la loi de finances pour 2025, trois situations principales ouvraient droit à un délai de reprise porté à dix ans :

  • Activité occulte : ce cas concerne les contribuables qui exercent une activité économique sans s’être régulièrement identifiés auprès des autorités compétentes, c’est-à-dire sans s’être enregistrés auprès du centre de formalités des entreprises (CFE) ou sans immatriculation auprès du greffe du tribunal de commerce. L’administration est alors fondée à considérer que ces revenus sont dissimulés, ce qui justifie une extension du délai de contrôle à dix ans.
  • Flagrance fiscale : il s’agit d’une situation dans laquelle une infraction fiscale manifeste est constatée en flagrant délit par les services fiscaux. Par exemple, une absence totale de dépôt de déclaration fiscale alors que l’activité imposable est évidente. Cette situation fait l’objet d’un procès-verbal de flagrance fiscale, déclenchant également l’application du délai spécial.
  • Manquements à certaines obligations déclaratives : ce cas recouvre notamment le non-respect des obligations déclaratives relatives à des revenus ou actifs situés hors de France. Sont concernés :
    • Les revenus perçus via des structures établies dans des États à fiscalité privilégiée,
    • Les comptes bancaires ouverts à l’étranger et non déclarés,
    • Les contrats d’assurance-vie souscrits auprès de compagnies étrangères non déclarés.

Dans ces cas, la difficulté d’accès à l’information pour l’administration justifie une extension du délai de reprise à 10 ans, afin de permettre une action efficace en matière de lutte contre l’évasion fiscale internationale.

Lexbase : Quels nouveaux cas entrent dans ce champ de délai étendu depuis l'adoption de la loi de finances pour 2025 ?

Thomas Dubanchet : La loi de finances pour 2025 a élargi le champ d’application du délai de reprise décennal en introduisant deux nouveaux cas spécifiques, dans le prolongement des dispositifs existants destinés à renforcer les outils de lutte contre la fraude fiscale à dimension internationale.

  • Fausse domiciliation fiscale à l’étranger (LPF, art. L. 169, al. 3)

Ce premier cas vise spécifiquement les situations dans lesquelles une personne physique revendique à tort une domiciliation fiscale hors de France, dans le but d’éluder l’imposition de ses revenus au titre de l’impôt sur le revenu.

Ce dispositif permet désormais à l’administration d’engager des rectifications sur une période de dix années, à condition que les revenus concernés aient été totalement omis des déclarations fiscales souscrites dans les délais légaux. Il ne s’applique donc pas aux situations où le revenu a été déclaré, mais simplement dans une catégorie erronée.

Cette mesure se distingue d’un autre dispositif déjà existant : l’administration pouvait auparavant exercer un droit de reprise de dix ans sur les revenus placés sur des comptes non déclarés à l’étranger. L’innovation de la LF 2025 réside dans la possibilité désormais ouverte de rectifier également les revenus dissimulés mais placés sur des comptes bancaires situés en France, dès lors que la domiciliation fiscale alléguée est reconnue comme frauduleuse.

  • Détention de portefeuilles d’actifs numériques à l’étranger (LPF, art. L. 169, al. 5)

Le second cas introduit par la loi étend le champ du délai spécial aux actifs numériques détenus à l’étranger (cryptomonnaies, jetons, etc.), lesquels échappaient jusqu’ici à un contrôle approfondi lorsque non déclarés.

Il s’agit d’une évolution logique des règles existantes, qui permettaient déjà à l’administration de bénéficier d’un délai de dix ans pour contrôler :

  • les comptes bancaires étrangers,
  • les contrats d’assurance-vie souscrits à l’étranger,
  • les revenus issus de structures établies dans des États à fiscalité privilégiée.

Désormais, les actifs numériques localisés hors de France et non déclarés dans les formes et délais requis entrent également dans le périmètre du délai de reprise décennal, ce qui vient renforcer l’arsenal de lutte contre l’opacité financière des contribuables utilisant des instruments numériques.

  1. Extension à la retenue à la source sur les revenus mobiliers (article L. 169 A dernier alinéa du LPF)

Toujours dans une logique de contrôle renforcé des flux transfrontaliers, l’article L. 169 A est modifié par l’article 61 de la LF 2025 qui vient étendre également le délai spécial de dix ans à la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du CGI N° Lexbase : L5816M8W.

Ce mécanisme concerne notamment les revenus de capitaux mobiliers versés par des entités françaises à des bénéficiaires domiciliés hors de France. L’extension du délai vise à mieux encadrer ces opérations dans le cadre de situations de fausse domiciliation ou de non-déclaration des revenus mobiliers.

Lexbase : Ces nouvelles mesures sont-elles rétroactives ?

Thomas Dubanchet : Il est essentiel de souligner que ces mesures, bien que renforçant notablement les pouvoirs de l’administration fiscale, ne sont pas rétroactives.

En l’absence de disposition particulière concernant leur entrée en vigueur, il convient de se référer à l’article 1er de la loi de finances pour 2025, qui conduit à une application à compter des délais de reprise venant à expiration postérieurement au 16 février 2025.

Autrement dit, les prescriptions déjà acquises avant cette date ne sont pas remises en cause, et les contribuables ne pourront pas se voir appliquer rétroactivement ces nouvelles règles pour des exercices déjà prescrits selon les anciennes dispositions.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public et Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Fiscal.

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