Lecture: 8 min
N1809B3E
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Robert Rézenthel, docteur en droit
le 12 Mars 2025
Mots clés : mer • domaine public • littoral • extension • responsabilité des communes
Selon la loi « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation » [1], tandis que le Conseil d'État déclare pour sa part que l'eau de la mer ne fait pas partie du domaine public maritime [2]. Dans ce contexte, la mer a-t-elle une incidence sur les limites communales ?
La jurisprudence demeure incertaine. À propos de l'extension d'un ouvrage portuaire sur le milieu marin, la Haute Juridiction a estimé que « l'implantation de l'ouvrage projeté sur le domaine public maritime n'était pas de nature à entraîner une modification des limites communales » [3].
On peut penser que les juges du Palais-Royal ont estimé que l'existence d'une procédure légale [4] de modification des limites territoriales des communes était impérative et que même des événements naturels ne sauraient remettre en cause les limites déterminées par l'État.
Cependant, le bon sens nous encourage à approfondir la réflexion sur le caractère indispensable d'un acte administratif pour valider la modification des limites d'une commune. En dehors de toute catastrophe naturelle, il est légitime de penser que l'État doit approuver les limites séparatives entre les communes. Toutefois, en raison du réchauffement climatique et de l'élévation du niveau des mers et océans, des villes et villages, voire des régions pourraient disparaître sans qu'aucune procédure administrative ne soit utile pour constater la modification ou la disparition des limites communales.
Pour l'instant, l'érosion et la submersion par la mer de terrains littoraux n'ont pas fait disparaître en France de manière durable certaines communes, mais ces phénomènes ont néanmoins impactés des territoires communaux, comme d'ailleurs en sens inverse, des travaux ont exondé des terrains comme c'est le cas pour l'extension des ports ou la construction de marinas [5].
I. L'évolution de la limite des eaux de la mer
Le rivage qui correspond à la zone de balancement des marées [6] constitue la référence pour désigner, côté terre, la limite de la mer ou de l'océan. C'est le cas pour la délimitation de la zone des cinquante pas géométriques [7] dans les départements et certaines collectivités d'outre-mer, et pour la « bande littorale » [8] dans laquelle les constructions y sont en principe interdites.
Bien que la loi ne le précise pas, au droit des digues et des quais au pied desquels il n'y a pas de rivage à proprement parler, il faut se référer à la limite des « plus hautes mers » selon le critère mentionné à l'article L. 2111-4 1° du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L0402H4N.
La consistance du domaine public maritime naturel est sans incidence sur la limite des communes littorales, c'est seulement la limite des eaux de la mer qui est déterminante.
En effet, avant l'élaboration du projet qui allait devenir la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9 (dite « loi littoral »), une étude [9] montrait que le territoire des communes était susceptible de s'étendre en mer jusqu'à la limite des eaux territoriales. C'est ainsi par exemple, que le décès en mer d'un sauveteur, collaborateur bénévole du service public de secours municipal, survenu à plusieurs centaines de mètres du rivage, engageait la responsabilité sans faute de la commune [10].
Afin d'éviter que la responsabilité des communes soit engagée pour des accidents survenus loin du rivage, la « loi littoral » n'a pas expressément évoqué la limite en mer des communes, mais a limité le pouvoir de police générale du maire en disposant que « La police municipale des communes riveraines de la mer s'exerce sur le rivage de la mer jusqu'à la limite des eaux » [11].
Cette disposition admet implicitement que la limite des communes littorales s'arrête à la limite des eaux, mais que celle-ci peut évoluer dans les deux sens, c'est-à-dire en cas d'érosion ou d'endiguement.
II. Le territoire communal sur les zones gagnées ou délaissées par la mer
Qu'il s'agisse des extensions sur la mer d'ouvrages portuaires, de la construction d'une marina, de l'aménagement d'un terre-plein ou de la formation de lais et relais de mer, l'absence de modification de la limite communale pour tenir compte de ces travaux ou phénomènes maritimes interdit-elle à la commune d'y exercer ses compétences ?
Avant la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, à propos de la construction du port de plaisance et de la marina de Bormes-les-Mimosas, le Conseil d'État avait jugé [12] que les travaux d'aménagement réalisés sur la mer devaient être compatibles avec les documents d'urbanisme en vigueur à l'époque. En d'autres termes, alors que la loi disposait qu'un plan directeur d'urbanisme s'appliquait sur une commune, partie de commune ou ensemble de communes, il était admis que le territoire communal pouvait potentiellement s'étendre sur la mer. On relèvera que même en l'absence de délimitation du territoire municipal à la suite de l'aménagement d'une marina, la commune est compétente pour y délivrer des permis de construire [13] ou exercer la police des débits de boissons.
L'intervention du préfet a toutefois été reconnue nécessaire pour régler un conflit entre deux communes voisines. Il a été jugé [14] que le représentant de l'État pouvait inclure dans le territoire d'une même commune, pour un motif d'intérêt général, l'ensemble des ouvrages d'un port.
Il résulte des actes initiaux de délimitation des communes littorales que les limites latérales devaient s'apprécier « depuis la mer » [15]. Ainsi, l'État n'avait pas envisagé à l'époque une délimitation longitudinale sur le front de mer.
Il a été jugé que : « il est loisible à une commune, à toute époque, de demander, soit à l'autorité préfectorale ou au gouvernement de procéder à la reconnaissance des limites communales existantes ..., soit à l'administration chargée du cadastre de rectifier les énonciations contenues dans les documents cadastraux intéressant son territoire » [16]. Tandis que la limite séparant deux communes voisines avait été fixée au milieu d'un canal permettant la communication entre des étangs littoraux et la mer, le déplacement du lit de l'ouvrage à la suite de la construction d'une digue de protection, « n'a pas eu pour conséquence..., de modifier la circonscription territoriale de chacune des communes concernées ». Ainsi, l'évolution d'un site n'implique pas nécessairement une modification des limites communales, sauf à appliquer la procédure prévue par la loi pour la modification de ces limites.
S'agissant de la police municipale pour les communes littorales, elle a pour limite celle de l'eau de la mer, qui évolue au gré des marées [17].
Les limites communales ne constituent pas un obstacle infranchissable pour l'exercice des compétences de ces collectivités. Il a été admis [18] qu'une commune pouvait procéder à une expropriation de terrains dans une autre commune en vue de la création d'une voie publique, dès lors que la commune expropriante ne pouvait trouver sur son propre territoire des terrains présentant la même aptitude à recevoir l'ouvrage. L'intérêt communal peut même concerner parfois des relations avec des États étrangers [19].
Conclusion
Le propos attribué à Aristote selon lequel « la nature a horreur du vide », pourrait se traduire aujourd'hui par le constat qu'il n'existe pas de zone de non-droit. Même dans le silence de la législation, les communes littorales exercent leurs compétences sur tous les terrains gagnés sur la mer ou délaissés par elle. C'est une application du principe de cohérence qui tend à garantir la sécurité juridique.
[1] C. env., art. L. 210-1 N° Lexbase : L2369MGT.
[2] CE, 27 juillet 1984, n° 45338 N° Lexbase : A7112ALY, AJDA, 1985, p. 47 note R. Rézenthel et F. Pitron.
[3] CE Sect., 20 février 1981, n° 06152 N° Lexbase : A3599B8S.
[4] CGCT, art. L. 2112-2 N° Lexbase : L0757KND et suiv.
[5] R. Rézenthel, La marina, un concept presque oublié, Lexbase, 5 avril 2023 N° Lexbase : N4922BZC.
[6] La définition du rivage résulte de l'Ordonnance sur la marine d'août 1681, elle est aujourd'hui consacrée par l'article L. 2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques.
[7] CGPPP, art. L. 5111-1 N° Lexbase : L5040IMM et C. urb., art. L. 121-45 N° Lexbase : L6776L74.
[8] C. urb., art. L. 121-16 N° Lexbase : L2333KIA.
[9] R. Rézenthel et A. Caubert, Les limites en mer des communes, Gaz. Pal. 15-16 août 1979, p. 10 et 11.
[10] CE Sect., 1er juillet 1977, n° 97476 N° Lexbase : A1244B79, Rec. p. 302.
[11] Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, art. 31, devenu aujourd'hui l’article L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8694AAA. Cette police générale du maire est relayée par une police spéciale des baignades et des activités nautiques dans la bande des 300 mètres en mer à partir de la limite haute du rivage (CGCT, art. L. 2213-23 N° Lexbase : L3856HWQ).
[12] CE Ass., 30 mars 1973, n° 88151 N° Lexbase : A0655B97.
[13] CE Ass, 29 décembre 1979, n° 95260 N° Lexbase : A2663AIH.
[14] CE Sect., 20 février 1981, n° 16449 N° Lexbase : A7376AKE.
[15] CE Sect., 17 juin 1938, Ville de Royan, Rec. p. 547.
[16] CE, 1er juin 1984, n° 26989 N° Lexbase : A7575AL7.
[17] CGCT, art. L. 2212-4.
[18] CE Sect., 6 mars 1981, n° 00120 N° Lexbase : A3418AKS, Rec. p 125.
[19] CE Sect., 28 juillet 1995, n° 129838 N° Lexbase : A5003ANM, Rec. p. 324.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:491809