Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 20 décembre 2024, n° 489830, mentionné aux tables du recueil Lebon Lebon N° Lexbase : A98946NR
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N1595B3H
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par Laura Picavez, Avocate à la Cour
le 31 Janvier 2025
Mots-clés : intérêt à agir • héritier de l’usufruitier du bien affecté • absence d’intérêt • urbanisme • permis de construire
Par une décision du 20 décembre 2024, le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions s’agissant de l’appréciation de l’intérêt à agir des tiers et juge que l'héritier de la personne qui, à la date de l'affichage en mairie de la demande de permis, était usufruitière du bien immobilier dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance seraient directement affectées par le projet, ne dispose pas, en cette seule qualité, d’un intérêt à agir.
Dans cette affaire, le maire de la commune de l'Île de Bréhat a délivré à une société civile immobilière (SCI), par arrêté du 4 juillet 2016, un permis de construire en vue de l’extension d’une maison d’habitation.
Bien que la demande de permis du pétitionnaire, déposée le 27 avril 2016, ait été affichée en mairie dans les quinze jours qui suivent leur réception par la commune conformément à l’article R. 423-6 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3483L77, ce n’est qu’en août 2019 que l’arrêté du 4 juillet 2016 a été affiché sur le terrain.
A la suite du décès en janvier 2019 de l’usufruitière du bien immobilier situé sur les parcelles immédiatement voisines du projet litigieux, son héritière, Mme X, a alors contesté le permis de construire, le 13 février 2020, en demandant au tribunal administratif de Rennes d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté du 4 juillet 2016. Par un jugement n° 2000748 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à cette demande.
La SCI a, en conséquence, interjeté appel à l’encontre de ce jugement. Par un arrêt n° 21NT02179 du 10 octobre 2023 N° Lexbase : A60971RA, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l’appel et confirmé le jugement attaqué.
La SCI a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
I. L’appréciation de l’intérêt à agir d’un tiers requérant
Alors qu’auparavant, la recevabilité des recours des tiers était admise dès lors qu’ils disposaient de la qualité de voisin [1], l’appréciation de l’intérêt à agir du requérant tiers a été, depuis, limitée dans le temps et dans l’espace.
1.1.- D’une part, si l’appréciation de l’intérêt à agir du requérant a pu s’effectuer à la date d’introduction du recours, la situation du requérant est désormais appréciée à partir de la date d’affichage en mairie de la demande de permis de construire, de démolir ou d’aménager, « sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières ».
Dans la décision commentée, le Conseil d’État rappelle d’ailleurs les dispositions de l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4349IXD :
« Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »
1.2.- D’autre part, le recours du tiers n’est désormais possible « que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien » du requérant « régulier ». Par conséquent, tout requérant doit dorénavant prouver qu’il est affecté directement dans la jouissance de son bien et que le bien est occupé de façon régulière. A défaut, la requête sera considérée comme irrecevable [2].
C’est ce que rappelle le Conseil d’État par la décision ainsi commentée lorsqu’il énonce les dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0037LNP :
« Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L0015LNU (…) »
À cet égard, la Haute juridiction relève que « la contestation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le Code de l'urbanisme est ouverte aux personnes physiques ou morales qui justifient de leur qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier, usufruitier ou nu-propriétaire, dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet ».
Le Conseil d’État précise alors qu’en vertu des dispositions de l'article L. 600-1-3 précité, « cette qualité s'apprécie, sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».
II. L’absence d’intérêt à agir de l’héritier de l’usufruitier du bien dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont directement affectées par le projet
2.1.- La cour administrative d’appel de Nantes avait jugé que « la seule qualité d'héritière de sa mère, usufruitière de la maison à la date de l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire et décédée depuis, suffisait à donner intérêt pour agir contre le permis attaqué ».
La cour se fondait ainsi sur les dispositions de l’article 724 du Code civil N° Lexbase : L3332ABZ au terme duquel « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt (...) ».
2.2.- Le Conseil d’État censure toutefois ce raisonnement. Il retient, pour ce faire, que la juridiction d’appel a commis une erreur de droit dans la mesure où l'intérêt pour agir contre un permis de construire s'apprécie sur le seul fondement des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l'urbanisme et donc uniquement « au regard de la qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».
Au cas présent, la Haute Juridiction relève notamment qu'à cette même date, l’héritière requérante n'était plus nue-propriétaire de la maison d'habitation dès lors qu'elle avait cédé cette nue-propriété à ses enfants et qu’elle ne justifiait pas, en outre, l'occuper de façon régulière.
2.3.- Réglant ensuite l’affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3298ALQ, le Conseil d’État souligne qu'à la date d'affichage en mairie de la demande de permis, l’héritière ne justifiait ni détenir ni occuper régulièrement la maison voisine du projet et ne faisait valoir aucune autre circonstance qui aurait été de nature à lui conférer, à cette date, un intérêt pour agir à l'encontre du permis de construire en litige, non plus qu'aucune circonstance particulière qui justifierait que son intérêt pour agir soit apprécié à une autre date.
En conséquence, le Conseil d’État censure la juridiction d'appel qui s’était fondée sur l’article 724 du Code civil relatif aux successions puisqu’en qualité d’héritière, la requérante ne pouvait être considérée comme s’étant trouvée saisie de plein droit des biens, droits et actions de sa mère défunte, y compris des actions qui n’avaient pas été initiées par cette dernière.
Ce faisant, le Conseil d’État rappelle à cette occasion que l'intérêt pour agir des tiers contre un permis de construire s'apprécie sur le seul fondement des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l'urbanisme.
[1] CAA Lyon, 1ère ch., 17 février 2015, n° 13LY03373 N° Lexbase : A4944NDH.
[2] A. Lallet, L’intérêt pour agir contre un permis de construire, conclusions sur CE, 10 juin 2015, n° 386121, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6029NKI, RFDA, 2015, p. 993.
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