Réf. : Décret n° 2024-1274 du 31 décembre 2024, modifiant le décret n° 2021-148 du 11 février 2021 N° Lexbase : L0103MSM
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par Merav Griguer, Avocat Associée, cabinet Franklin
le 22 Janvier 2025
Mots clés : fraude fiscale • données personnelles • réseaux sociaux • systèmes automatisés • investigation
Les agents du fisc sont désormais autorisés et fondés à utiliser les données personnelles rendues publiques sur internet, notamment sur les réseaux sociaux.
La collecte et le traitement de données à caractère personnel sur les plateformes en ligne à des fins de lutte contre la fraude fiscale ont désormais une base légale irréfutable : la loi.
C’est plus exactement le décret n° 2024-1274 du 31 décembre 2024, modifiant le décret n° 2021-148 du 11 février 2021 N° Lexbase : L0103MSM, qui fixe les modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques ainsi que par la direction générale des douanes et droits indirects, de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne .
Cadre juridique :
Depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, les agents de l'administration fiscale et des douanes sont autorisés à collecter et exploiter les données rendues publiques sur les plateformes en ligne, notamment les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, TikTok ou LinkedIn.
Sont en conséquence susceptibles d’être exploités des contenus tels que des photos, des vidéos, des commentaires, ainsi que des données techniques et de connexion telles que les métadonnées associées, les dates, heures et données de géolocalisation.
Le recours à de tels dispositifs de contrôle et investigations sur les plateformes en ligne permettrait de détecter la minoration ou dissimulation de recettes (dont les activités occultes ou fausses domiciliations à l'étranger).
Ce nouveau texte modifie et élargit un autre décret datant de février 2021 autorisant déjà les agents de l’administration fiscale et de la douane à collecter et exploiter les contenus diffusés sur internet « dont l’accès ne nécessite ni saisie d’un mot de passe ni inscription sur le site en cause ».
Sont concernées par ce dispositif renforcé d’enquête et de contrôle fiscal les personnes physiques comme les personnes morales. En effet, les entreprises sont également concernées par le texte qui vise expressément « les minorations ou les dissimulations de recettes par les entreprises ».
Les agents peuvent donc surveiller les publications en ligne des entreprises pour détecter des incohérences entre les déclarations fiscales et les activités réelles.
Les limites de ces nouveaux pouvoirs d’investigation et de contrôle
Seules les informations librement accessibles et rendues publiques par les utilisateurs peuvent être exploitées par les agents. Seraient ainsi exclus les messages privés, les publications étiquetées par d’autres personnes (les photos « taguées » par exemple) ou les informations provenant de plateformes sensibles (applications de rencontre ou de santé).
En principe, les agents n’ont pas le droit de créer de faux profils ni interagir directement avec les utilisateurs des réseaux sociaux. Ils doivent nécessairement s’identifier, c’est-à-dire utiliser des comptes identifiables comme appartenant à l’administration fiscale ou aux douanes afin de demander à s’abonner au compte privé d’un utilisateur.
Il en résulte que les contenus nécessitant une inscription ou un mot de passe pour y accéder sont désormais inclus dans le champ de surveillance, à condition que les agents utilisent des comptes clairement identifiés comme appartenant à l'administration fiscale ou aux douanes.
De plus, les agents de l’État recourant à ce type de dispositifs doivent justifier que les informations ainsi collectées et traitées sont pertinentes et en lien direct avec les infractions recherchées.
Les informations pertinentes ainsi collectées ne peuvent être conservées au-delà d’un an, sauf en cas de procédure où les données peuvent être conservées jusqu'à la clôture de celle-ci.
Les données sensibles, telles que les opinions politiques ou religieuses, doivent être supprimées dans un délai de cinq jours.
Les données non utilisées doivent être supprimées dans un délai de cinq jours.
L’étendue du dispositif, risques et abus
Le texte prévoit que ces données ainsi collectées peuvent faire l’objet de traitements par des systèmes automatisés, ce qui implique la faculté pour l’administration fiscale d’utiliser à cet effet des solutions technologiques sophistiquées qui procéderait à l’aspiration et l’analyse de données pertinentes sur les réseaux sociaux permettant de détecter, de manière extrêmement rapide mais aussi massive, les potentiels « fraudeurs ».
L’utilisation de solutions d’intelligence artificielle par les autorités pour révéler des indices de fraude constitue donc désormais l’avenir de la lutte contre la fraude fiscale.
Les risques et abus sont inhérents à ce type d’usages et de pratiques. Outre le caractère particulièrement intrusif et manifestement disproportionné du dispositif, la question même de l’efficacité du dispositif se pose dans la mesure où il s’agit d’un univers virtuel dominé par la création d’identités numériques fictives visant à s’autopromouvoir par des contenus exacerbés, biaisés voire erronés. L’exigence légale d’exploiter des données pertinentes et exactes ne peut être raisonnablement et valablement remplie.
Si la CNIL a donné son feu vert, elle regrette que le bilan des trois premières années du dispositif, qui lui a été adressé par le ministère de l’Économie, ne permette pas de constater une atteinte proportionnée aux droits des individus.
Elle note dans son avis purement consultatif que le document transmis « ne comporte pas d’éléments d’analyse qui auraient permis d’apprécier (…) la proportionnalité entre l’objectif poursuivi (le renforcement de l’efficacité dans la lutte contre la fraude) et l’atteinte aux libertés individuelles ».
Il demeure que si les autorités administratives ne font pas un usage légitime, justifié et raisonnable de ces outils, les justiciables disposeraient d’arguments juridiques sérieux pour invalider les procédures dont ils feraient l’objet.
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