Le Quotidien du 22 janvier 2025 : Fiscalité des entreprises

[Observations] L’assujettissement des communes à l’impôt sur les sociétés

Réf. : CAA Lyon, 7 novembre 2024, n° 23LY01000 N° Lexbase : A62606GX

Lecture: 6 min

N1508B3A

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Observations] L’assujettissement des communes à l’impôt sur les sociétés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/115026721-observationslassujettissementdescommunesalimpotsurlessocietes
Copier

par Ludovic Lombard, Docteur en droit, Consultant en gestion de services publics, cabinet COGITE

le 21 Janvier 2025

Le régime fiscal des collectivités conjugue leur inclusion dans le champ d’application des impôts et des dispositifs d’exonération favorables en raison de leur domaine d’intervention spécifique. L’exemple de l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés est révélateur de cette construction juridique.

Dans une décision du 7 novembre 2024, la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans le régime bien établi de l’assujettissement des collectivités à l’impôt sur les sociétés. Pourtant, alors qu’elle semble aborder un sujet classique désormais, le contexte de l’affaire jugée la conduit à aborder un thème peu traité précédemment.

La commune de Tignes a confié à une société d’économie mixte, par une convention de délégation de service public, la gestion sous la forme d’une régie intéressée d’un parc de stationnement composé de plusieurs parkings. La commune n’ayant pas déposé de déclaration de résultat, elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité et a été taxée d’office sur le fondement du 2° de l’article L. 66 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1447MDX.

Une collectivité est redevable de l’impôt sur les sociétés si, d’une part elle se livre à une exploitation de caractère lucratif, pour des opérations pouvant être effectuées par des entreprises, en application des articles 206 N° Lexbase : L5210MMW et 1654 N° Lexbase : L6544LUW du Code général des impôts. La collectivité reste redevable de cet impôt si, d’autre part, elle ne peut bénéficier de l’exonération prévue à l’article 207 du même Code N° Lexbase : L8063LQP pour les communes et leurs régies de service public. Dès 1968, le Conseil d’État a jugé que la lucrativité est caractérisée lorsqu’un organisme public « se livre à des opérations de nature à engendrer des profits » [1]. La décision du Conseil d’État du 20 juin 2012, « Commune de La Ciotat » fixe le principe selon lequel le caractère lucratif s’apprécie au regard « à l’objet et conditions particulières dans lesquelles [un service] est géré » [2]. Ce raisonnement est suivi par la cour administrative d’appel de Lyon qui constate d’une part que le service exploité peut l’être par une société privée, et d’autre part que les conditions d’exploitation ne sont pas « particulières ». De telles conditions auraient pu résulter par exemple de tarifs préférentiels en fonction des ressources du bénéficiaire du service [3].

La commune entrant dans le champ d’application de l’impôt en raison du caractère lucratif de son activité, elle peut bénéficier d’une exonération à condition que son activité entre dans la catégorie des régies de service public telles qu’identifiées par l’article 207 du CGI. Dans une décision du 16 janvier 1956, le Conseil d’État avait déjà jugé que « peuvent seules bénéficier de l’exemption ainsi instituée les régies locales s’appliquant à des services publics que les départements ou les communes "ont le devoir d’assurer", c’est-à-dire celles qui ont pour objet l’exploitation ou l’exécution d’un service indispensable à la satisfaction des besoins collectifs des habitants du département ou de la commune » [4]. Le Conseil d’État a reformulé cette solution dans une décision du 7 mars 2012, en précisant que « l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue par les dispositions précitées du 6° du 1 de l'article 207 du Code général des impôts […] s'applique à un service public que la collectivité territoriale a le devoir d'assurer, c'est-à-dire lorsque le service qu'elle exploite est indispensable à la satisfaction de besoins collectifs intéressant l'ensemble des habitants de la collectivité territoriale » [5]. Là encore, la cour administrative d’appel de Lyon procède à cette analyse classique et relève que le service en question n’est pas « indispensable à la satisfaction des besoins collectifs des habitants ».

Dès lors que la commune entre dans le champ d’application de l’impôt et qu’elle ne peut pas bénéficier de l’exonération, son assujettissement à l’impôt sur les sociétés paraît incontestable.

Toutefois, la cour administrative d’appel de Lyon passe rapidement sur les modalités d’exploitation de l’ensemble de parkings. Il ressort de la décision que la commune de Tignes a confié l’exploitation de ces parkings à un opérateur privé, en l’occurrence à une société d’économie mixte, par une délégation de service public sous la forme d’une régie intéressée. Le juge ne précise pas en quoi la régie intéressée doit être assimilée à la régie telle qu’elle entraîne l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés d’une commune.

Certes, d’un point de vue fiscal, le bulletin officiel des finances publiques précise que dans l’hypothèse des régies intéressées, « la collectivité reste l'exploitante du service », mais cette assimilation est abordée dans le cadre de l’assujettissement des organismes publics à la TVA et non à l’impôt sur les sociétés [6]. S’agissant du régime fiscal applicable à l’impôt sur les sociétés, la régie intéressée est seulement abordée dans le cadre de l’exonération dont bénéficient les régies de service public. Le BOFiP précise ainsi que « L'exonération s'applique non seulement aux régies directes mais encore aux régies intéressées, dans la mesure où les bénéfices de l'exploitation reviennent aux collectivités territoriales » [7].

Or, d’un point de vue juridique, la régie intéressée, dès lors qu’elle est qualifiée de délégation de service public, opère un transfert du risque d’exploitation vers le délégataire, en l’occurrence le régisseur. Si le régisseur peut bénéficier de l’exonération prévue au titre de l’article 207 du CGI, il n’est pas certain que la commune doive être considérée comme l’exploitante du service lorsqu’elle confie le service à une régie intéressée, pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés.  


[1] CE Contentieux, 8 mars 1968, n° 58649 N° Lexbase : A5493B7L.

[2] CE 3° et 8° ssr., 20 juin 2012, n° 341410, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5166IPZ.

[3] CE 9° et 10° ch.-r., 20 juin 2016, n° 382975, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6217RTG.

[4] CE, 16 janvier 1956, n° 13019 « Régie municipale des eaux minérales de Royat ».

[5] CE 3° et 8° ssr., 7 mars 2012, n° 331970, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3339IEE.

[6] BOI-TVA-CHAMP-10-20-10-10, §93 N° Lexbase : X4532ALG.

[7] BOI- IS-CHAMP-30-60, §170 N° Lexbase : X6725ALN.

newsid:491508

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus