Réf. : Cass. civ. 2, 9 janvier 2025, n° 22-13.480, F-B N° Lexbase : A67976PG
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N1517B3L
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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA
le 12 Février 2025
► Les dispositions relatives au contrôle des cotisations et des contributions de Sécurité sociale étant d'application stricte, le redressement doit être établi sur des bases réelles lorsque la comptabilité de l'employeur permet à l'agent de recouvrement de calculer le chiffre exact des sommes à réintégrer dans l'assiette des cotisations.
Faits. À la suite d’un contrôle d’assiette de cotisations et de contributions sociales portant sur les années 2010 à 2012, l'URSSAF Rhône-Alpes avait notifié à une société une lettre d'observations du 23 octobre 2013, suivie d'une mise en demeure du 17 décembre 2013, pour un montant principal de 1 469 871 euros, outre 186 207 euros de majorations de retard, soit un total de 1 656 078 euros.
Or, en l’espèce, pendant la phase de vérification, l'URSSAF et la cotisante avaient conclu une convention de répartition des bases de régularisation, prévoyant qu’« à l'exception des chiffrages pour lesquels une exacte répartition pourra être effectuée, les bases de régularisation globales seront réparties entre les différentes assiettes et les taux moyens de versement de transport et accident du travail calculés selon la méthode convenue ». Et, effectivement, la lettre d'observations, s’agissant du chef de redressement n° 11 (« participation : caractère collectif », redressement pour un montant de 1 207 147 euros), indiquait : « pour le calcul des bases Alsace-Moselle, des bases plafonnées, des bases CSG-CRDS et Assedic, de même que pour les taux accidents du travail et versement transport à retenir, il est fait application de la convention établie le 17 octobre 2013 d'un commun accord avec l'employeur ».
Procédure. La cour d'appel de Lyon avait censuré une telle initiative, en des termes particulièrement clairs : « les organismes de recouvrement des cotisations sociales disposent dans l'exercice de leurs missions de prérogatives exorbitantes du droit commun établies par les dispositions légales et réglementaires dont il résulte que le chiffrage des cotisations et contributions dues en cas de redressement doit être exact, sauf pour l'URSSAF à recourir aux méthodes de taxation forfaitaire, comme l'y autorise l'article R. 242-5 du Code de la Sécurité sociale, alors applicable, devenu R. 243-59-4 N° Lexbase : L2790K99, ou à celle de l'évaluation par échantillonnage par extrapolation, prévue par l'article R. 243-59-2 N° Lexbase : L4375MHI du même code » (CA Lyon, 18 janvier 2022, n° 20/03748 N° Lexbase : A72717I7).
Solution. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation réitère cette position de manière insistante : « il résulte des articles R. 243-59-2 et R. 243-59-4 du Code de la Sécurité sociale, qui sont d'application stricte, qu'en dehors des dérogations prévues par ces textes, le redressement doit être établi sur des bases réelles lorsque la comptabilité de l'employeur permet à l'agent de recouvrement de calculer le chiffre exact des sommes à réintégrer dans l'assiette des cotisations. Dès lors que l'URSSAF a à sa disposition les éléments de la comptabilité permettant d'établir le redressement sur des bases réelles, elle ne peut pas recourir à une autre méthode d'évaluation, même d'un commun accord avec le cotisant, sous peine de nullité du contrôle et des actes subséquents ».
Rappels. Rappelons, s’il en était besoin, que l’on distingue traditionnellement le contrôle sur place (CSS, art. R. 243-59 N° Lexbase : L4373MHG), le contrôle sur pièces (CSS, art. R. 243-59-3 N° Lexbase : L9077LSY : concernant les entreprises occupant moins de 11 salariés au 31 décembre de l'année qui précède celle de l'avis de contrôle) et le contrôle par échantillonnage et extrapolation, pratiquement réservé aux entreprises importantes, sachant toutefois que la jurisprudence, faute de précisions, considère que ce type de contrôle peut être mise en œuvre, quel que soit la taille de l’entreprise (Cass. civ. 2, 9 février 2017, n° 16-10.971, F-D N° Lexbase : A1974TC4 ; CSS, art. R. 243-59-2 N° Lexbase : L4375MHI).
En pratique. Or, il n'est pas rare que les URSSAF, afin de gagner du temps et d'éviter soit une période fastidieuse de vérification de l'ensemble de la comptabilité, soit la mise en œuvre du processus compliqué de contrôle par échantillonnage et extrapolation, extrapolent un montant de redressement à partir d'une fraction de la comptabilité vérifiée, sur l'ensemble de la population salariée. Cette pratique est-elle légale ? Non, répond ici clairement la Cour de cassation, indiquant dans le même temps que les dispositions des articles R. 243-59-2 (dispositions relatives au contrôle par échantillonnage et extrapolation) et R. 243-59-4 (mise en œuvre de la taxation forfaitaire) du Code de la Sécurité sociale sont « d'application stricte ». En résumé, si l'URSSAF a à sa disposition les éléments comptables permettant d'établir le redressement sur des bases réelles, elle ne peut avoir recours à une autre méthode d'évaluation, même d'un commun accord avec le cotisant (V. pour une position identique : CA Lyon, 14 février 2023, n° 19/07097 N° Lexbase : A40609DQ)
La cause est entendue, les URSSAF ne sauraient chercher à économiser du temps en aménageant, même en accord avec les cotisants, les conditions de mise en œuvre du contrôle, puisque les articles R. 243-59-2 et R. 243-59-4 du Code de la Sécurité sociale, sont « d'application stricte ».
En allant plus loin dans notre raisonnement, on constate que la deuxième chambre civile étend ici ce principe « d’application stricte », qu’elle mentionne régulièrement concernant les modalités du contrôle URSSAF, prévues par l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4373MHG (Cass. soc., 27 février 2003, n° 01-21.149, FS-P+B N° Lexbase : A2913A7Z ; Cass. civ. 2, 15 juin 2004, n° 03-30.202, F-D N° Lexbase : A7475DCT ; Cass. civ. 2, 11 octobre 2005, n° 04-30.389, FS-D N° Lexbase : A8445DKY ; Cass. civ. 2, 20 septembre 2018, n° 17-24.359, F-P+B N° Lexbase : A6466X7M ; Cass. civ. 2, 19 septembre 2019, n° 18-19.929, F-P+B+I N° Lexbase : A8475ZN9 ; Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-22.921, F-D N° Lexbase : A89264B9 ; Cass. civ. 2, 28 janvier 2021, n° 19-26.263, F-D N° Lexbase : A16574E4 ; Cass. civ. 2, 7 juillet 2022, n° 20-18.471, F-B N° Lexbase : A05148AB), aux articles R. 243-59-2 et R. 243-59-4 du Code de la Sécurité sociale. On ne peut que se féliciter de cette orientation dans le cadre d’une procédure où les droits et garanties des cotisants sont nettement insuffisants. Mais, dans le même temps, on peut une fois de plus s’interroger sur les pratiques de maintes unions de recouvrement qui, dans le cadre de la procédure de contrôle, n’hésitent pas à se simplifier la vie, en formalisant des conventions avec les cotisants (la situation la plus connue étant l’accord du cotisant pour que le contrôle sur place se déroule dans les locaux de l’expert-comptable ou de la société prestataire de paie). De telles pratiques sont elles compatibles avec le caractère strict des dispositions de l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale ? La question mérite réflexion à la lumière de cet arrêt du 9 janvier 2025….
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le règlement des cotisations de Sécurité sociale, L'application de la taxation forfaitaire en cas de comptabilité défectueuse, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E4381AUS. |
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