Le Quotidien du 21 janvier 2025 : Collectivités territoriales

[Jurisprudence] De quoi le drapeau ukrainien est-il le nom lorsqu’il pavoise sur la façade d’une mairie française ?

Réf. : TA Versailles, 20 décembre 2024, n° 220847 N° Lexbase : A59306PC

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N1502B3Z

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par Edwin Matutano, Avocat à la cour, docteur en droit, enseignant à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

le 23 Janvier 2025

Mots clés : drapeau • pavoisement • mairie • neutralité • édifices publics

Le jugement ici commenté considère que la présence d’un drapeau d’une puissance étrangère à la France sur la façade d’une mairie ne contrevient pas au principe de neutralité des services publics et en particulier, de neutralité des édifices publics. Le tribunal administratif de Versailles, auteur de ce jugement, juge également que, à cet effet, une délibération du conseil municipal est préalablement requise, règle de compétence qui, en l’espèce, n’avait pas été respectée. Pour ce motif, il annule la décision que le maire avait prise.


 

I. Faits et normes de référence

A. Les faits

Le maire de la commune de Saint-Germain-en-Laye avait pris la décision d’apposer le drapeau ukrainien sur la façade principale de l’hôtel de ville, aux côtés des drapeaux français et de l’Union européenne.

Un de ses concitoyens saisit le tribunal administratif de Versailles d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de cette décision, assorti d’une demande d’injonction au maire de procéder sans délai au retrait du drapeau sous astreinte.

En défense, la commune de Saint-Germain-en-Laye avait soutenu que la requête était irrecevable, d’une part, en ce que son auteur ne disposait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir et d’autre part, du fait de la prétendue inexistence de la décision contestée.

Sur le fond, le requérant invoquait la méconnaissance, tant du principe de la neutralité des édifices publics, que du champ de compétence matérielle de la commune, la décision querellée relevant, selon lui, de l’action diplomatique du seul ressort de l’État.

En outre, il contestait le fondement juridique que la commune aurait donné à la décision du maire, à savoir une réponse du ministre de l’Intérieur figurant sur une foire aux questions.

Par jugement en date du 20 décembre 2024, le tribunal administratif de Versailles fit droit à la demande d’annulation, motif pris de ce que la décision à lui soumise aurait dû émaner du conseil municipal et non pas du maire.

B. Les normes de référence

Il doit être précisé qu’aucun texte ne régit le pavoisement des façades des hôtels de ville et bâtiments municipaux. C’est donc au regard du respect du principe général de neutralité des services publics que le juge se prononça.

Étaient en cause, en outre, sur le plan de la compétence des organes municipaux, les articles L. 2121-29 N° Lexbase : L8543AAN et L. 2122-21 N° Lexbase : L7945K97 du Code général des collectivités territoriales.

***

À titre liminaire, il y a lieu de souligner que le tribunal administratif de Versailles jugea recevable la requête.

En effet, d’une part, il retint que le requérant, en sa qualité d’habitant de la ville de Saint-Germain-en-Laye disposait d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, confirmant ainsi une jurisprudence solidement établie [1] et d’autre part, il considéra que la décision du maire était révélée par le pavoisement de la façade de l’hôtel de ville aux couleurs de l’Ukraine, ce qui rendait irrecevable le moyen soulevé tendant à y voir une décision inexistante, le moyen relatif à l’inexistence d’un acte administratif étant d’ordre public [2].

II. La non-méconnaissance du principe de neutralité des services publics, plus particulièrement des édifices publics

Le tribunal administratif rappela (cf. § 4 du jugement commenté) la portée du principe de neutralité des services publics appliqué aux édifices publics.

Ce principe s’oppose à ce que sur ces édifices, soient apposés symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques.

En la matière - le pavoisement d’un hôtel de ville par l’apposition d’un drapeau - ce sont des usages constitutifs de traditions qui s’imposent, contrairement au droit applicable au pavoisement par le drapeau français et le drapeau de l’Union européenne des façades des écoles et des établissements d’enseignement du second degré publics et privés sous contrat, puisque, à leur égard, l’article L. 111-1-1 du Code de l’éducation N° Lexbase : L7616L79 impose un tel pavoisement. Aussi est-il difficile de dégager des solutions générales et universelles.

C’est ainsi qu’aucune règle écrite ne prescrit l’apposition du drapeau national à la façade d’une mairie [3]. C’est l’usage, répété et généralisé, qui fonde cette pratique [4]. Et lors de la fête nationale ou des jours de commémoration ou de célébration officielles, le Gouvernement donne des directives aux communes.

Dans ce même ordre d’idées, il n’existe aucune règle relative à l’apposition du drapeau de l’Union européenne aux frontispices des hôtels de ville. L’usage veut que si la commune décide qu’il en soit ainsi, le drapeau français doit également être érigé. Le choix de la commune est donc entier en la matière [5].

Évidemment, le pavoisement aux couleurs d’un État étranger présente un caractère différent. En toute hypothèse, l’usage veut qu’il s’agisse alors d’un hommage particulier à cet État et il est fortement recommandé que ce drapeau soit apposé en présence du drapeau national et non en lieu et place de celui-ci.

Si le conseil municipal est respectueux des bons usages, il se doit d’apposer le drapeau disposant de la place d’honneur à droite (c’est-à-dire à gauche, vu de l’observateur).

En toute hypothèse, lors de visites d’État ou de chefs d’État étrangers, le gouvernement français élabore des directives qu’il diffuse.

En l’occurrence, le tribunal administratif de Versailles a retenu que la commune de Saint-Germain-en-Laye avait pris cette décision afin d’exprimer symboliquement sa solidarité envers une nation victime d’une agression militaire. Et il souligna que cette pratique n’était pas isolée sur le territoire national, ayant été de surcroît encouragée par le ministre en charge de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

De la sorte, il estima que le requérant ne pouvait y déceler la revendication de ses opinions politiques par le maire. Au surplus, il jugea que la commune de Saint-Germain-en-Laye ne s’était pas livrée, ce faisant, à un acte d’ingérence caractérisée et illégitime dans une affaire relevant de la politique internationale de la France, de la compétence exclusive de l’État, puisque sa mesure contestée s’inscrivait dans l’ordre du symbolique et dans le contexte de soutien diplomatique, humanitaire et matériel offert à l’Ukraine par la France.

Cette solution libérale tranche avec la décision par laquelle le Conseil d’État avait considéré que l’apposition du drapeau martiniquais sur le fronton d’un hôtel de ville méconnaissait le principe de neutralité des services publics qui s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques [6].

Dans l’espèce jugée par le Conseil d’État, n’était pourtant pas en cause l’apposition d’un drapeau d’un État étranger et l’emblème en question s’inscrivait dans le contexte local. Aussi, est-il difficile de voir dans le jugement commenté l’amorce d’une inflexion jurisprudentielle, le Conseil d’État n’ayant pas été amené, depuis 2005, à opérer un revirement.

En tout état de cause, la décision du maire de Saint-Germain-en-Laye fut annulée au regard de l’incompétence de son auteur.

III. La décision de pavoisement de la façade d’un hôtel de ville par un drapeau autre que le drapeau national doit résulter d’une délibération du conseil municipal

Le tribunal administratif de Versailles a relevé que le maire de la commune de Saint-Germain-en-Laye avait négligé de saisir le conseil municipal d’un projet de délibération à cette fin.

Prenant appui sur les dispositions combinées des articles L.2121-29 et L. 2122-21 du Code général des collectivités territoriales, dont il ressort que l’exercice des compétences qui ne sont pas dévolues expressément à une autre autorité revient de plein droit au conseil municipal, compétent de plein droit pour régler par ses délibérations les affaires de la commune, le tribunal administratif annula la décision du maire comme prise par une autorité incompétente à cet effet.

Ce faisant, le jugement commenté rejoint les positions précédemment prises par d’autres tribunaux administratifs s’agissant, respectivement, du pavoisement de l’hôtel de ville de Nantes par le drapeau breton [7] et du choix du drapeau et de l’hymne de la Martinique [8].

 

***

Avec l’apposition des portraits des chefs d’État français dans les mairies, le pavoisement des frontons des hôtels de ville fait partie des décisions qui obéissent à des usages, sous le contrôle du juge administratif. Et il y a lieu de souligner que l’absence de textes normatifs en ces domaines n’empêche pas les juridictions d’exercer leur contrôle de la légalité des actes des autorités municipales qui s’écartent de la tradition républicaine [9].


[1] CE, 14 janvier 1994, n° 135936, n° 136193 N° Lexbase : A9235ARH, Lebon, p. 16.

[2] CE, 5 mai 1969, Préfet de Paris et ministre de l’intérieur c/Syndicat chrétien de la préfecture de la Seine, de l’Assistance publique, du Crédit municipal et autres, Lebon, p. 329.

[3] Sous la précédente législature (16 ème), une proposition de loi des députés du groupe Renaissance avait été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale afin de rendre obligatoire le pavoisement des drapeaux français et européen sur le fronton des mairies : proposition de loi n° 1011 déposée le 23 mars 2023 et adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 mai 2023, T.A. n° 114.

[4] Rép. min. n° 102234 : JOAN 9 janvier 2009, p.339.

[5] QE n° 99899 de M. Morel-A-L'Huissier Pierre, JOANQ, 11 juillet 2006 p. 7166, réponse publ. 22 août 2006 p. 8762, 12ème législature N° Lexbase : N1502B3Z.

[6] CE, 27 juillet 2005, n° 259806 N° Lexbase : A1320DK4.

[7] TA Nantes, 16 octobre 2024, n° 2104026 et n° 16102024 N° Lexbase : A82876A8.

[8] TA Martinique, 15 novembre 2021, n° 1900632, 1900633, 1900634 et 1900635 N° Lexbase : A62657DE : compétence de l’Assemblée de Martinique et non du président du conseil exécutif.

[9] S’agissant des portraits des chefs d’État : TA Caen, 26 octobre 2010, n° 1000282 N° Lexbase : A8007GCK, et  QE n° 68779 de Mme Bousquet Danielle, JOANQ 19 janvier 2010 p. 485, réponse publ. 14 février 2012 p. 1377, 13ème législature {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 114996622, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "QE n\u00b0 68779 de Mme Bousquet Danielle, JOANQ 19-01-2010 p. 485 , r\u00e9ponse publ. 14-02-2012 p. 1377, 13\u00e8me l\u00e9gislature", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L1777MSM"}}.

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