Réf. : Cass. com., 27 novembre 2024, n° 23-10.385, F-D N° Lexbase : A69356K3
Lecture: 8 min
N1285B3Y
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
le 18 Décembre 2024
Mots-clés : pacte d'actionnaires • promesse de vente • détermination du prix • qualification de la clause • validité
Dénature la stipulation claire et précise d’un pacte d'actionnaires selon laquelle la clause litigieuse vaut promesse de vente, la cour d’appel qui ne retient pas cette qualification et en déduit que l'absence de détermination du prix n’en affecte pas la validité.
1. Arrêt intéressant… et inquiétant pour les rédacteurs de pactes. Cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 27 novembre 2024 n’est pas publié au Bulletin, mais il présente un intérêt pour les rédacteurs de pactes d’associés et d’actionnaires, chez qui il pourra aussi susciter de l’inquiétude à propos de la clause de drag along. La Cour de cassation censure un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, en date du 28 mai 2020, rectifié le 9 juillet 2020 [1]. Notons que la même affaire a donné lieu à une seconde saisine de la cour d’appel de Paris qui a jugé la demande irrecevable en ce qu’elle se heurtait à l’autorité de chose jugée [2].
2. La clause en cause. Un pacte d'actionnaires liait MM. [A] et [B] et Mme [J], tous trois associés d’une SAS CDI. L’article 6 du pacte était intitulé « obligation de cession » et stipulait qu'en cas d'offre ferme d'acquérir la totalité des titres de la société, faite par un associé ou un tiers, les signataires s'engageaient à céder leurs titres à l'acquéreur. L’arrêt reproduit des extraits de la clause, stipulée précisément ainsi : « dans le cas où une offre ferme d'acquérir exclusivement la totalité des titres de la société représentant 100 % du capital social et des droits de vote de la société adressée par un (ou des) tiers et/ou un (ou des) associé(s) (ci-après l'acquéreur), […] l'ensemble des signataires du présent pacte s'engage irrévocablement à céder conjointement à l'acquéreur la totalité de ses titres » (sic). Il est indiqué aussi que le pacte précisait que « chacun des associés reconnaît que les dispositions qui précèdent valent promesse de vente de ses titres ». On aura reconnu là une clause de drag along, particulière en l’espèce en ce qu’elle permettait aussi à l’un des associés de forcer directement les autres à céder, sans que cela suppose une offre extérieure. La clause de drag along a été définie par un auteur comme celle qui « permet à un ou plusieurs actionnaires détenant une participation significative au capital d'une société, et qui envisagent de céder leurs titres à un tiers, de forcer les autres actionnaires à céder leurs titres audit tiers à des conditions, notamment de prix, identiques » [3]. Cet auteur expliquait ainsi l’intérêt de la clause : « les actionnaires majoritaires peuvent ainsi solliciter ou répondre favorablement à toute offre portant sur l'intégralité des titres d'une société même s'ils n'en possèdent qu'une partie ». Plus récemment, un autre auteur a écrit que la clause de drag along « prend la forme classique d’une promesse unilatérale de vente conditionnelle avec clause de substitution au profit du tiers-acquéreur » [4].
3. L’application de la clause. Le 3 mai 2013, M. [B] proposait aux deux autres associés signataires du pacte de racheter la totalité de leurs titres pour un montant de 2 000 euros chacun. M. [A] refusait l’offre, ce qui conduisait M. [B] à mettre en œuvre la clause stipulée à l'article 6 du pacte et à imposer à M. [A], dans des conditions non précisées, une cession forcée de ses actions. Ce dernier assignait la société et ses coassociés en nullité de la cession forcée en invoquant l'absence de détermination du prix de cession dans le pacte d'actionnaires. Sa demande était cependant rejetée tant par le juge de première instance que par la cour d’appel. Cette dernière juridiction retenait deux éléments : (i) l’on n’était pas en présence d’une promesse de vente, qui aurait nécessité que le prix soit déterminé ou déterminable, mais d’une obligation de céder au prix fixé par l'offre, et (ii) l'absence de détermination du prix n'affectait pas la validité du contrat.
4. De 1103 à 1134. Le demandeur au pourvoi invoquait une violation de l’article 1103 du Code civil N° Lexbase : L0822KZH par dénaturation de la portée de l’article 6 du pacte. Si la cassation est effectivement prononcée pour dénaturation d’une stipulation claire et précise, notons que la Cour de cassation rectifie en visant l’article 1134 du Code civil N° Lexbase : L0857KZR, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, ce qui se justifiait par la date de signature du pacte, antérieure au 1er octobre 2016 [5].
5. La solution. En substance, parce que la stipulation du pacte, claire et précise, énonçait qu’elle valait promesse de vente, la cour d’appel aurait dû respecter cette qualification et en déduire que l'absence de détermination du prix affectait la validité de l’accord des parties.
6. Rappel implicite d’une règle claire : la promesse de vente doit permettre la détermination du prix. Parce que la promesse doit contenir les « éléments essentiels » du contrat promis [6] et parce que dans la vente, « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties » [7], la promesse de vente doit comporter un prix déterminé ou les éléments permettant de déterminer le prix. La solution est bien établie [8]. À défaut, on ne se trouve pas en présence d’une promesse de vente.
7. Danger sur le drag along ?Pour autant, il nous semble que les clauses de drag along renvoient sans doute le plus souvent, en pratique, à un prix qui est celui de l’offre déclenchant le jeu de la clause, assorti ou non de la possibilité de solliciter une expertise de prix sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil N° Lexbase : L1737LRR ou bien de l’article 1592 du même code N° Lexbase : L2395LR7. Nous ne comprenons donc pas pourquoi l’arrêt commenté peut considérer que la clause ne permettait pas la détermination du prix… sauf à considérer qu’il n’est pas acceptable, pour la Cour de cassation, que le prix de sortie du débiteur de la clause soit déterminé par référence à celui auquel sort son coassocié qui invoque le jeu de la clause. Cela mettrait en danger les clauses de drag along. L’explication est sans doute à trouver dans le fait que la clause litigieuse permettait à un associé A de forcer un associé B à céder ses actions, non pas au prix convenu entre A et le tiers auteur d’une proposition de racheter 100% du capital, mais à un prix unilatéralement fixé par A. Or, la jurisprudence considère que le prix n’est pas déterminable s’il est fixé unilatéralement par une partie [9].
8. Une question qui demeure : le rôle de la qualification de la clause par les parties. À la lecture de l’arrêt, on comprend surtout que la « stipulation claire et précise » avait cette qualité parce que les parties avaient affirmé dans le pacte même la qualification de promesse de vente. Il est cependant parfaitement clair que la solution consistant à exiger un prix déterminé ou déterminable vaudrait également pour la promesse de vente que les parties n’auraient pas expressément qualifiée comme telle. Mais la censure de l’arrêt d’appel n’aurait en ce cas pas été fondée sur la dénaturation, mais sur la violation des articles 1124 N° Lexbase : L0826KZM et 1591 N° Lexbase : L1677ABQ du Code civil, dispositions dont on peut déduire la nécessité que la promesse de vente comporte un prix déterminé ou déterminable. Reste la question sensible de savoir si la clause de drag along peut se contenter de se référer au prix de sortie de l’associé qui prétend la faire jouer…
[1] CA Paris, 28 mai 2020, n° 17/18478.
[2] CA Paris, 30 mars 2023, n° 17/18478.
[3] X. Vamparys, Validité et efficacité des clauses d'entraînement et de sortie conjointe dans les pactes d'actionnaires, Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 820, sp. n° 2.
[4] S. Torck, La mécanique des promesses de cession : conditions et détermination du prix, RDC, 2024, n° 1, p. 90. V. aussi B. Dondero, in Dalloz Action, Ingénierie financière, fiscale et juridique, M. Boizard et Ph. Raimbourg (dir.), 3ème éd., 2015, n° 224.67 : « La clause peut prendre la forme d’une promesse unilatérale de vente des titres concernés à l’actionnaire créancier de la clause, généralement assortie d’une faculté de substitution permettant au bénéficiaire de la promesse de se substituer le cessionnaire de ses titres ».
[5] V. ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, art. 9, al. 1er et 2 : « les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public » N° Lexbase : L4857KYK.
[6] C. civ., art. 1124 N° Lexbase : L0826KZM, pour la promesse unilatérale de contrat.
[7] C. civ., art. 1591 N° Lexbase : L1677ABQ.
[8] V. Cass. com., 21 septembre 2022, n° 20-16.994, F-B N° Lexbase : A25278KS ; Dr. sociétés, 2023, comm. 1, note R. Mortier ; Rev. sociétés, 2023, p. 23, note G. Pillet ; Bull. Joly Sociétés, janvier 2023, p. 20, note Th. Massart ; Gaz. Pal., 10 janvier 2023, p. 4, obs. D. Houtcieff ; RTD civ., 2023, p. 120, obs. P.-Y. Gautier; RTD com., 2023, p. 151, obs. B. Lecourt ; JCP E, 2023, 1017, note B. Dondero.
[9] Cass. com., 21 septembre 2022, n° 20-16.994, F-B, préc., jugeant que le prix de la vente « doit être déterminable et ne pas dépendre de la seule volonté d'une des parties ni d'un accord ultérieur entre elles ».
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:491285