Le Quotidien du 17 décembre 2024 : Droit rural

[Brèves] Responsabilité pour incendie : les particularités du droit local d’Alsace-Moselle

Réf. : Cass. civ. 3, 28 novembre 2024, n° 22-24.650, F-D N° Lexbase : A87706KZ

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N1250B3P

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté

le 16 Décembre 2024

► Lorsque les causes de l'incendie sont demeurées inconnues et que le bailleur ne rapporte pas la preuve d'une faute du preneur ou de son sous-locataire à l'origine de ce sinistre, la cour d’appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que le locataire n'était pas tenu de répondre des dégradations ou des pertes consécutives à l'incendie, en droit local l'article 72 de la loi du 1er juin 1924 ayant écarté les articles 1733 et 1734 du Code civil.

En l’espèce, un hangar a été entièrement détruit par un incendie le 31 octobre 2010, lequel avait été donné à bail à un exploitant agricole, gérant d’un GAEC. Les nus-propriétaires et l’usufruitière ont assigné le GAEC et ses associés devant le tribunal aux fins de les voir condamnés à l'indemniser de leurs préjudices matériel et moral.

Par jugement du 26 octobre 2020, le tribunal judiciaire a considéré que l’agriculteur ne rapportait pas la preuve de ce qu'il bénéficiait d'un bail rural, de sorte que seul s'appliquait le droit commun, et que les dispositions de droit local d’Alsace-Moselle excluant toute présomption de responsabilité à la charge du preneur, il appartenait au bailleur de rapporter la preuve d'une faute du sous-locataire susceptible d'engager sa responsabilité en application de l'article 1735 N° Lexbase : L1857ABE du Code civil. Le tribunal ajoute qu’il ressortait du procès-verbal de synthèse de l'enquête de gendarmerie que les causes du sinistre étaient demeurées inconnues, le seul fait que du foin soit entreposé dans le hangar ne suffisant pas à démontrer qu'il n'était pas stocké dans des conditions de sécurité suffisantes, les demandeurs ne produisant notamment pas le rapport d'expertise de leur assureur. Le tribunal a considéré que le fait que le GAEC soit le gardien du foin et du hangar ne suffisait pas à engager sa responsabilité du fait des choses puisque, s'agissant de choses inertes, leur rôle actif dans la survenance du dommage et donc leur position anormale ou leur mauvais état devaient être démontrés, ce qui n'était pas le cas. Le tribunal a ajouté qu’en l’absence de preuve rapportée d’une faute délictuelle, les prétendus défauts de surveillance et l'entreposage de matières inflammables étant de simples allégations non démontrées, le fait générateur ne pouvant être induit de la seule survenance de l'incendie. Il a pour les mêmes motifs rejeté l'action dirigée contre les associés du GAEC, puisqu'elle suppose établie la responsabilité du GAEC.

Les propriétaires ont interjeté appel.

Par un arrêt du 13 octobre 2022 la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 13 octobre 2022, n° 20/03365 N° Lexbase : A95258PH) précise que le preneur qui prétend être titulaire d'un bail rural verbal doit rapporter la preuve que toutes les conditions prévues par l'article L. 411-1 N° Lexbase : L3967AEN du Code rural et de la pêche maritime sont remplies, et donc de démontrer que le hangar faisait l'objet, à son profit, d'une mise à disposition à titre onéreux en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole, ce qu'il ne fait pas, la qualification de bail rural étant contestée. Elle ajoute que l'article 1735 du Code civil, sur le fondement duquel est recherchée la responsabilité du preneur, s'applique également au bail rural, l'article L. 415-3 N° Lexbase : L2950IEY du Code rural et de la pêche maritime n'y dérogeant pas. En outre, si l'article 72 de la loi du 1er juin 1924 N° Lexbase : C41274IP n'a pas exclu l'application, dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, de l'article 1735 du Code civil, la présomption de faute édictée par ce texte doit cependant être écartée en raison de la non-introduction en droit local du régime de la responsabilité pour incendie organisé par les articles 1733 N° Lexbase : L1855ABC et 1734 N° Lexbase : L1856ABD du même code, ce qui implique que le preneur ne doit répondre de l'incendie causé par un sous-locataire, en application de ce texte, que lorsque le bailleur rapporte la preuve d'une faute de ce tiers. Or, en l’espèce, en l’absence de faute prouvée comme indiqué par le tribunal, l’existence d'un défaut de surveillance ou d'un défaut de précautions suffisantes ne peut pas être déduite de la seule survenance de l'incendie, ni du fait que du foin était stocké dans le hangar. Le jugement est confirmé.

Les propriétaires ont formé un pourvoi en cassation.

Question. Le preneur doit-il répondre des dégradations et des pertes survenues pendant la jouissance des biens donnés à bail ?

Enjeu. Est-il nécessaire que les dégradations et les pertes résultent d’une faute pour que le preneur soit responsable de celles-ci ? 

Réponse de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 28 novembre 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle considère que la « cour d'appel a, d'abord, à bon droit, retenu, par motifs propres et adoptés, que le régime de la responsabilité pour incendie organisé par les articles 1733 et 1734 du Code civil avait été écarté en droit local par l'article 72 de la loi du 1er juin 1924, et que la responsabilité du preneur ne pouvait donc être recherchée qu'en cas de faute prouvée de sa part ou de la part de son sous-locataire à l'origine de l'incendie. La Haute juridiction ajoute que la cour d’appel a apprécié souverainement les faits et éléments de preuve qui lui étaient soumis, relevé que les causes de l'incendie étaient demeurées inconnues et que le bailleur ne rapportait pas la preuve d'une faute du preneur ou de son sous-locataire à l'origine de ce sinistre, et en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que le locataire n'était pas tenu de répondre des dégradations ou des pertes consécutives à l'incendie.

L’arrêt du 28 novembre 2024 n’est pas un arrêt publié. Pour autant, il présente un intérêt pratique en mettant en évidence les particularismes du droit local en matière de responsabilité du preneur pour cause d’incendie survenu dans un bâtiment. Il est bien connu des acteurs de terrain que le risque d'incendie est particulièrement fort dans les hangars de stockage de foin, au cours de la période estivale chaude.

Ainsi, le droit local d’Alsace-Moselle comporte des dispositions dérogatoires à celle de droit civil. Ainsi, en l’absence de faute délictuelle prouvée, les propriétaires ne peuvent rechercher la responsabilité du preneur, comme en l’espèce, d’où l’importance d’envisager une couverture assurantielle adaptée.

Pour aller plus loin : Sur l’obligation de restitution en fin de bail, v. ÉTUDE : Autres droits et obligations des parties au contrat de bail rural, in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E9326E9B.

 

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