Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2024, n° 24-15.269, FS-B N° Lexbase : A08826LA
Lecture: 5 min
N1202B3W
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Joël Colonna et Virginie Renaux-Personnic, Maîtres de conférences à la Faculté de droit, Aix Marseille Université, Centre de droit social (UR 901)
le 09 Décembre 2024
► L’action de groupe en matière de discrimination, instituée par la loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016, peut-elle être limitée, sans porter atteinte au principe d’égalité devant la loi, aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à la date de son entrée en vigueur, ainsi que le prévoit l’article 92, II ?
Il appartiendra au Conseil constitutionnel, auquel la Chambre sociale de la Cour de cassation a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité, de se prononcer sur ce point.
Faits et procédure. L’affaire est symbolique. À peine la loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3 était-elle adoptée que la CGT annonçait le lancement de la première action de groupe. Estimant que, malgré les accords collectifs conclus et les actions prud’homales engagées, la société Safran Aircraft Engines n’avait pas remédié de façon satisfaisante à la discrimination syndicale dont étaient l’objet dans l’évolution de leur carrière et de leur rémunération les salariés titulaires d’un mandat CGT, la Fédération des travailleurs de la métallurgie FTM-CGT a exercé, devant le tribunal de grande instance (tribunal judiciaire, aujourd’hui), une action de groupe contre cette société afin de l’obliger à mettre en place les mesures propres à mettre fin définitivement à cette discrimination syndicale et à obtenir réparation des préjudices en résultant.
Se fondant sur l’article 92, II, de la loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016, aux termes duquel seuls les faits discriminatoires postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi peuvent faire l’objet d’une action de groupe et sur le principe général de non-rétroactivité, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 6-2, 14 mars 2024, n° 21/07005 N° Lexbase : A09832WC) a refusé d’examiner les évènements antérieurs au 20 novembre 2016, date de prise d’effet de la loi.
À l’occasion du pourvoi formé contre cette décision, le syndicat a demandé à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l’article 92, II, de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et en particulier, au principe d’égalité des justiciables devant la loi en ce qu’elles excluent, par principe, les seules actions de groupe en matière de discrimination du bénéfice du principe selon lequel une loi de procédure est immédiatement applicable aux faits antérieurs à son entrée en vigueur au contraire des actions de groupe en matière de santé publique, de données personnelles et de consommation ? ».
Solution. Après avoir constaté que la loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016, ne déroge au principe de l’application immédiate des lois de procédure, que pour les seules actions de groupe en matière de discrimination, la Cour de cassation rappelle que si le Conseil constitutionnel affirme que le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, c’est à la condition que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la disposition qui l’établit.
En conséquence, la cour décide que la question posée présente un caractère sérieux en ce que la différence de traitement relevée est susceptible de ne pas être en rapport direct avec l’objet de la loi et donc de ne pas être justifiée.
La solution est en tout point conforme à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel dont l’arrêt reprend d’ailleurs mot pour mot la formulation (v. par ex., Cons. const., décision n° 96-380 DC, du 23 juillet 1996 N° Lexbase : A8345AC3 ; Cons. const., décision n° 2018-738 QPC, du 11 octobre 2018 N° Lexbase : A0164YG8). La différence de traitement établie par le législateur doit être objective et pertinente au regard du but poursuivi par la loi qui l’instaure. À défaut, la disposition est censurée. La justification avancée par le Gouvernement était de laisser un délai aux entreprises pour se préparer à la mise en œuvre de ce nouveau dispositif collectif d’indemnisation des préjudices susceptibles d’entraîner des conséquences importantes pour leur trésorerie, le droit d’action individuelle contre les manquements antérieurs étant toujours possible (AN, Compte-rendu intégral, 2e séance, 19 mai 2016). On peine à voir un lien direct entre cette disposition, qui réduit significativement la portée de l’action de groupe et le but poursuivi par la loi qui était de renforcer la lutte contre les discriminations par la création, entre autres, d’une telle action (v. Compte rendu du Conseil des ministres, 31 juillet 2015).
L’arrêt illustre, si besoin était, l’intérêt de la question prioritaire de constitutionnalité en matière de contrôle de la conformité du droit existant au principe d’égalité.
Pour aller plus loin :
|
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:491202