La lettre juridique n°1002 du 14 novembre 2024 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] L’indemnisation du concessionnaire en fin de contrat, vers l’inclusion de la part non-amortie des droits d’entrée en sus de l’indemnisation des biens de retour

Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 31 octobre 2024, n° 487995, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A32506DQ

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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes

le 14 Novembre 2024

Mots clés : mise à disposition de biens • résiliation par le délégant • indemnisation de la part non amortie • contrat d'affermage • biens de retour

Dans un arrêt rendu le 31 octobre 2024, la Haute juridiction administrative explicite les conditions de prise en compte des droits d’entrée versés par le concessionnaire dans la détermination de la durée d’amortissement des investissements de la concession et dans l’indemnisation des investissements non-amortis. Il érige en condition déterminante le fait que les droits d’entrée soient la contrepartie de la mise à disposition de biens ayant vocation à revenir à l’autorité concédante en fin de contrat, ce qui implique que cela soit explicité systématiquement dans les contrats. 


 

I. Rappel des principes applicables à l’indemnisation en fin de contrat du concessionnaire

L’indemnisation en fin de contrat du concessionnaire est désormais régie par des dispositions expresses du Code de la commande publique.

Selon les principes désormais consacré par le Code de la commande publique, l’autorité concédante peut résilier une concession unilatéralement, moyennant l’indemnisation de Fson cocontractant si la résiliation est faute pour motif d’intérêt général, l’indemnisation étant déterminée selon les clauses contractuelles (CCP, art. L. 6, 5° N° Lexbase : L4463LRQ et L. 3136-3 N° Lexbase : L3908LR8).

Le législateur a précisé ces principes, en fixant également les grandes lignes du régime indemnitaire du concessionnaire résilié, en visant en particulier les biens de retour et leur valeur nette comptable, en précisant les modalités de calcul de l’amortissement, selon que l’amortissement a été calculé sur une durée d’amortissement inférieure ou supérieure à celle du contrat, et en ajoutant que l’indemnisation des biens de retour ne pas excéder la valeur nette comptable ainsi calculée (CCP, art. L. 3136-10 N° Lexbase : L3772LR7).

Les dispositions du Code de la commande publique sont toutefois issues de la jurisprudence, qui a posé des interdits, tout en laissant une certaine latitude à la liberté contractuelle.

Le législateur a codifié la jurisprudence bien connue du Conseil d’État, laquelle avait progressivement dégagé ces principes [1].

De manière générale, les parties peuvent prévoir des stipulations pour régir les droits indemnitaires en cas de résiliation pour motifs d’intérêt général, sous-réserve que :

  • « l'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé » [2] ;
  • l’indemnisation des biens de retour prévues par la clause ne soit pas supérieure à leur valeur nette comptable [3].

Dans d’autres hypothèses de fin anticipée, en particulier lorsque le contrat est frappé de nullité, d’autres postes sont également susceptibles d’être admis. Dans une affaire où le contrat était entaché de nullité, le juge a reconnu le droit pour le titulaire d’être indemnisés des dépenses engagées qui ont été utiles, et à ce le juge a également admis d’autres postes, tels que la prise en compte des coûts de rupture des instruments financiers utilisés pour le financement du contrat, reconnue comme une dépense utile [4].

Le Code prévoit que « Lorsqu'une clause du contrat de concession fixe les modalités d'indemnisation du concessionnaire en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation du contrat de concession par le juge, elle est réputée divisible des autres stipulations du contrat » (CCP, art. L.3136-9 N° Lexbase : L3768LRY), si bien que les clauses indemnitaires ont vocation à survivre même à la nullité du contrat.

II. L’indemnisation des droits d’entrée réaffirmée, mais moyennant des conditions aux contours flous

Jusqu’ici, la jurisprudence n’apportait pas de réponse claire quant au traitement indemnitaire des droits d’entrées réglés par le concessionnaire. Une clarification par la Haute Juridiction était donc bienvenue.

S’il avait déjà jugé que le non-amortissement des droits d’entrée pouvait constituer un préjudice indemnisable en cas de résiliation [5] ou une dépense utile indemnisable en cas de nullité du contrat [6], la jurisprudence était peu précise sur les modalités concrètes d’indemnisation.

À titre d’exemple, la question était abordée dans l’affaire n°449985 du 10 novembre 2021 devant la cour administrative d’appel de Toulouse [7] ou a été abordée devant le tribunal Administratif de Nice dans un jugement concernant une concession de parcs de stationnement [8]. Dans cette dernière affaire, le titulaire résilié demandait l’indemnisation de la « part non amortie du droit d’entrée », le juge l’écartant au motif qu’il n’était pas démontré que ce droit d’entrée n’avait pas été amorti, en globalisant avec les autres investissements.

Une explication était donc attendue. Dans la décision commentée, le Conseil d’État a tranché la question concernant un contrat d’affermage avec travaux de parcs de stationnement, résilié pour motif d’intérêt général, en l’espèce la durée excessive du contrat. Il est toutefois précisé que la décision de résiliation a été jugée illégale, mais qu’il n’y a pas eu reprise des relations contractuelles, le juge estimant que l’atteinte aux droits du nouveau concessionnaire serait excessive. C’est dans ce contexte que s’est noué un litige indemnitaire portant sur l’indemnisation des droits d’entrée versés par le concessionnaire.

Le Conseil d’État rappelle que le contrat de concession peut valablement prévoir des droits d’entrée dès lors que ces sommes, que la convention doit justifier, ne sont pas étrangères à l’objet de la concession et ne soit pas prévu dans un contrat concernant l’eau potable, l’assainissement ou les déchets pour lesquels les droits d’entrée sont prohibés (CCP, art. L. 3114-4 N° Lexbase : L4434LRN et L. 3114-5 N° Lexbase : L4435LRP).

Il ajoute désormais que le droit d’entrée, qui constituait selon les termes du contrat « la contrepartie de la mise à disposition de biens » remis à l’autorité concédante en fin de contrat, si bien qu’il s’agissait d’une dépense d’investissement du concessionnaire, dont il était fondé à demander la prise en compte pour évaluer la durée nécessaire pour couvrir ses charges et l’indemnisation de la part non-amortie de ces droits d‘entrée [9].

Si cet arrêt apporte une réponse attendue concernant l’indemnisation des droits d’entrée qui n’ont pas été amortis, il laisse également en suspend plusieurs interrogations.

D’une part, le Conseil d’État semble exiger que les droits d’entrée soient la contrepartie de la mise à disposition de biens ayant vocation à revenir à l’autorité concédante en fin de contrat. Se pose alors la question de la détermination de l’objet de ces droits d’entrée.

Dans cette affaire, la Haute Juridiction semble s’être limitée à une analyse littérale des clauses du contrat. Elle indique en effet qu’il résulte des « stipulations », « selon leurs termes mêmes » que les droits d’entrée sont la contrepartie d’une telle mise à disposition.

En présence d’un contrat peu clair ou dont la rédaction serait contestable au regard de la situation de fait, le juge pourrait disposer d’une latitude pour clarifier. Cette difficulté devrait être rare dans la mesure où la législation impose une justification dans les contrats des droits d’entrée et interdit toute prise en charge étrangère à l’objet de la concession [10].

En pratique, des droits d’entrées licites visent en règle générale la prise en charge de l’indemnité pour la fraction non-amortie de la valeur des biens de retour versée par l’autorité concédante au précédent concessionnaire [11].

On peine donc à identifier l’intérêt du critère ou sa portée pratique, et ce d’autant plus qu’aucune réponse précise n’est apportée à ce stade sur l’étendue du pouvoir d’appréciation du juge ou les éléments qu’il est susceptible de prendre en compte pour interpréter le contrat et déterminer s’il est bien question de la contrepartie d’une mise à disposition de biens ayant vocation à revenir à l’autorité concédante.

Une analogie pourrait être faite avec l’interprétation des clauses d’indemnisation des biens de retour, pour lesquelles le juge recherche l’intention des parties en cas d’ambiguïté et vérifie l’absence de dénaturation [12].

D’autre part, la durée d’amortissement à prendre en compte est également sujette à discussion selon chaque espèce.

La Haute Juridiction rappelle que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une autorité concessionnaire peut être la durée normalement attendue pour que le concessionnaire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du concessionnaire, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

Les droits d’entrée doivent être pris en compte pour déterminer cette durée, mais sous-réserve également qu’ils constituent la contrepartie d’une mise à disposition de biens ayant vocation à revenir à l’autorité concédante.

Les autorités concédantes et leurs concessionnaires ont donc tout intérêt à veiller à faire figurer dans les contrats des stipulations claires quant à l’objet des droits d’entrée et leurs modalités d’indemnisation, afin d’éviter l’incertitude.

 

[1] CE, 21 décembre 2012, n° 342788 N° Lexbase : A1341IZP.

[2] CE, 4 mai 2011, n °334280 N° Lexbase : A0953HQD ; CE, 25 octobre 2017, n° 402921  N° Lexbase : A4481WXA ; CE, 16 décembre 2022, n° 455186 N° Lexbase : A67478ZW.

[3] CE, 27 janvier 2020, n° 422104  N° Lexbase : A65033CT ; CE, 10 novembre 2021, n° 449985 N° Lexbase : A741674G.

[4] CE, 9 juin 2020, n° 420282 N° Lexbase : A15393NC.

[5] CE, 10 novembre 2021, n°449985, préc.

[6] CE, 20 février 2013, n° 352762 N° Lexbase : A2746I89.

[7] CAA Toulouse, 5 décembre 2023, n° 21TL04384 N° Lexbase : A708417I.

[8] TA Nice, 14 mai 2024, n° 2002786 N° Lexbase : A28236GN.

[9] Arrêt commenté.

[10] Voir par exemple, s’agissant de l’interdiction de mettre à la charge du concessionnaire l’indemnité de résiliation pour faute de la collectivité versée par l’autorité concédante au précédant concessionnaire : CE, avis, 19 avril 2005, n° 371234 N° Lexbase : A3933KII.

[11] CE, avis, 19 avril 2005, n° 371234, préc.

[12] CE, 20 juin 2018, n °408507 N° Lexbase : A5692XTY ; CAA Douai, 30 décembre 2016, n° 14DA00211 N° Lexbase : A2332S7I ; CAA Douai, 12 mai 2021, n° 18DA01297 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 68078262, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CAA Douai, 3e, 12-05-2021, n\u00b0 18DA01297", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A09424SP"}}.

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