Le Quotidien du 18 novembre 2024 : Procédure prud'homale

[Brèves] Irrecevabilité en appel d’une demande nouvelle portant sur un rappel d’heures supplémentaires et indemnisation pour droit au repos

Réf. : Cass. soc., 6 novembre 2024, n° 22-17.335, FS-B N° Lexbase : A96506DR

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par Laurence Fin-Langer, Professeur agrégé, Université Caen Normandie, ICREJ

le 15 Novembre 2024

Ne tend pas aux mêmes fins et ne constitue pas le complément nécessaire à la demande initiale portant sur la réparation du préjudice moral résultant du non-respect de l’obligation de sécurité, la demande visant à obtenir un rappel d’heures supplémentaires et une indemnisation pour droit au repos.

Contextualisation. Depuis l’abrogation de l’unicité d’instance en 2016, les demandes nouvelles ne sont plus automatiquement et sans condition recevables, car elles sont soumises au droit commun. En appel, elles sont donc par principe irrecevables (CPC, art. 564 N° Lexbase : L0394IGP), sous réserve d’exceptions, donnant lieu à un contentieux désormais abondant, comme en témoigne l’arrêt publié rendu le 6 novembre 2024, mettant en jeu les articles 565 N° Lexbase : L6718H7X et 566 N° Lexbase : L7234LEN du CPC. Le premier opère une fiction en considérant que ne sont pas des demandes nouvelles, celles qui « tendent aux mêmes fins […], même si leur fondement est différent ». Le second permet aux parties d’ajouter aux prétentions originelles celles qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Espèce. À la suite de son licenciement en novembre 2018, une salariée bénéficiant d’une convention de forfait jours, saisit en octobre 2019, le conseil des prud’hommes de demandes relatives à la rupture du contrat ainsi que des indemnités en réparation du préjudice moral né du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, caractérisé par un dépassement des amplitudes horaires et une absence de contrôle de la charge de travail. En appel, elle ajoute des demandes aux fins de paiement d’un rappel d’heures supplémentaires avec les conséquences afférentes, d’une indemnité pour travail dissimulé et au titre des repos compensateurs. La cour d’appel (CA Reims, 6 avril 2022, n° 21/01098 N° Lexbase : A45097SS) les déclare recevables : elles tendent aux mêmes fins « en ce sens qu'elles tendent à rétablir la salariée dans ses droits au titre du temps de travail et à effacer les dommages en résultant ». Elles sont également « le complément nécessaire de la demande initiale dans la mesure où le rappel de salaires découle de la discussion sur le forfait en jours et que de plus, il influe nécessairement sur le préjudice subsistant qui devra, s'il est établi, être réparé dans une proportion qui devra en tenir compte ».

Solution. Sur pourvoi de l’employeur, la Cour de cassation casse l’arrêt pour violation des articles 564, 565 et 566 du Code de procédure civile, car les demandes en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents fondées sur la privation d'effet du forfait en jours non évoquée en première instance, ainsi que les demandes indemnitaires au titre des repos compensateurs et du travail dissimulé ne tendent pas aux mêmes fins que la demande en paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité invoquée par la salariée au soutien d'une demande au titre du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail, caractérisée par un dépassement des amplitudes horaires et une absence de contrôle de la charge de travail ni n'en constituent l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.  Par ailleurs, elle précise que le manquement à cette obligation de sécurité est aussi le soutien au défaut de cause réelle et sérieuse, et ne peut justifier une indemnisation spécifique qu’à la condition d’apporter la preuve d’un préjudice distinct, absente en l’espèce.

Absence de critères des demandes recevables en appel. La Cour de cassation procède par voie d’affirmation, sans précision des critères. Par ailleurs, elle censure l’analyse des juges du fond, qui était, à l’inverse, motivée, rejetant ainsi leur appréciation souveraine. L’interprétation des textes semble très stricte. Sont ainsi considérées comme des demandes tendant aux mêmes fins, celles dont la nature de l’objet est identique, comme celles qui tendent à obtenir une réintégration après un licenciement (Cass. soc., 14 février 2024, n° 22-20.634, F-DN° Lexbase : A03932NU) ou une indemnisation supplémentaire pour un manquement identique (Cass. soc., 18 septembre 2024, n° 22-17.737, F-B N° Lexbase : A97355ZL ; Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 22-16.805, FS-B N° Lexbase : A22175PS). En l’espèce, il s’agissait de demandes ayant pour certaines un objet différent (indemnité et rappel de salaires). Par ailleurs, même quand il s’agit d’une indemnisation (a priori même finalité), elles ont également un objet différent, les premières relevant du manquement de l’obligation de sécurité (harcèlement et convention de forfaits) et les secondes au repos et travail dissimulé. Si les conséquences du premier manquement invoqué sont précises, il semble impossible d’invoquer des conséquences dont l’objet est différent. Par ailleurs, elles ne sont pas non plus considérées comme des demandes accessoires ou complémentaires, le lien étant trop éloigné (v. par ex., où le lien est reconnu : Cass. soc., 11 septembre 2024, n° 23-11.771, F-D N° Lexbase : A20325ZB). Invoquer en première instance un manquement à l’obligation de prévention des risques professionnels dont les conséquences sont potentiellement très larges ne permet pas d’ajouter des demandes portant sur des conséquences de nature différente.

Conséquences potentiellement dangereuses. La Cour de cassation rectifie la décision de la cour d’appel en imputant de sa condamnation un certain nombre de sommes dues au titre de ces demandes irrecevables pour un total de plus de 90 000 euros. Justifiées au fond, elles sont pourtant déclarées irrecevables. La salariée, en cas de nouvelle saisine du conseil des prud’hommes, risque par ailleurs de se voir opposer l’irrecevabilité pour prescription, car elle ne pourra bénéficier de l’effet interruptif de cette première saisine, qui ne peut s’étendre d’une action à l’autre. Il existe une exception, si les « deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première » (Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 23-14.372, FS-B {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 110141147, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 10-07-2024, n\u00b0 23-14.372, FS-B, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A22225PY"}}). Par conséquent, en l’espèce, puisqu’elles ne tendent pas aux mêmes fins, elles ne bénéficient pas de cette interruption de la prescription résultant de la saisine du conseil des prud’hommes. C’est ainsi la double peine !

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