Le Quotidien du 23 octobre 2024 : Rupture du contrat de travail

[Brèves] Prescription et action en nullité du licenciement fondée sur la dénonciation d’un harcèlement moral

Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-11.360, F-B N° Lexbase : A290859L

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N0677B3H

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[Brèves] Prescription et action en nullité du licenciement fondée sur la dénonciation d’un harcèlement moral. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/112061069-breves-prescription-et-action-en-nullite-du-licenciement-fondee-sur-la-denonciation-dun-harcelement-
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par Marie-Noëlle Rouspide-Katchadourian, Maître de conférences à l'Université de Caen Normandie, Avocate associée, cabinet Fidal

le 22 Octobre 2024

► Il résulte de la combinaison des articles L. 1471-1, L. 1152-1, L. 1152-2 du Code du travail et 2224 du Code civil que l'action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par cinq ans lorsqu'elle est fondée sur la dénonciation d'un harcèlement moral ; peu importe que cette dénonciation, rappelée dans la lettre de licenciement, ne soit pas érigée en grief.

Harcèlement moral : l’éviction des dispositions de l’article L. 1471-1. L’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ prévoit dans son alinéa 2 que « toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

Toutefois, ce texte exclut expressément de son champ d’application les actions exercées sur le fondement de l’article L. 1152-1 du Code du travail N° Lexbase : L0724H9P, relatif au harcèlement moral. Ainsi, selon cette dernière disposition, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». L’article L. 1152-2 N° Lexbase : L0921MC4 ajoute qu’aucune personne ayant subi ou refusé de subir « des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements » ne peut faire l’objet d’un licenciement pour ce motif. L’article L. 1152-3 N° Lexbase : L0728H9T énonce, quant à lui, que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L.1152-1 et L. 1152-2 du Code du travail est nul.

Il en résulte qu’une action portant sur la nullité de la rupture du contrat de travail, fondée sur la dénonciation d’un harcèlement moral, échappe à la prescription édictée par l’article L. 1471-1 du Code du travail, en matière de rupture du contrat de travail. Dans ce cas, c’est l’article L. 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » qui a vocation à s’appliquer. Autrement dit, une telle action est soumise à la prescription quinquennale de droit commun. C’est notamment ce que retient la Cour de cassation dans cet arrêt rendu le 9 octobre 2024.

Dénonciation de faits de harcèlement moral : application de la prescription quinquennale. Dans cette affaire, un salarié avait adressé à son employeur un courrier le 8 septembre 2016, afin de dénoncer des faits de harcèlement moral. Après avoir fait procéder à une enquête relative aux faits de harcèlement dénoncés, l’employeur a finalement licencié le salarié par une lettre du 18 octobre 2017, pour une cause réelle et sérieuse. Estimant avoir été licencié en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 29 janvier 2020, en vue notamment de faire constater la nullité de son licenciement.

La cour d’appel a déclaré ses demandes irrecevables comme prescrites (CA Saint-Denis de la Réunion, 6 octobre 2022, n° 21/01356 N° Lexbase : A48838RB). Selon elle, il résultait de la lettre de licenciement que celui-ci avait « été prononcé pour refus d’accomplir les tâches qui lui étaient confiées, insubordination et comportement agressif mais, pas […] pour dénonciation de faits de harcèlement moral ». Elle relevait ainsi que « le simple rappel dans […] la lettre de licenciement du fait que le salarié avait informé son employeur de ce qu’il estimait être victime de faits constitutifs d’un harcèlement moral [n’érigeait] […] pas cette circonstance en grief invoqué par la société » pour justifier le licenciement du salarié. Dès lors, selon la cour d’appel, le licenciement n’était pas fondé sur la dénonciation d’un harcèlement moral ; la prescription de douze mois avait vocation à s’appliquer.

Mais la Cour de cassation ne partage pas cette analyse. Elle casse la décision de la cour d’appel, au visa des articles L. 1471-1, L. 1152-1 et L. 1152-2 du Code du travail et 2224 du Code civil. Elle retient que l’action du salarié en nullité du licenciement était fondée sur la dénonciation du harcèlement moral allégué, ce dont il résultait qu’elle était soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil.

Termes de la lettre de licenciement : une importance relative quant à la prescription. La solution doit être approuvée. Le fait que la lettre de licenciement ne mentionne la dénonciation de harcèlement moral qu’à titre de « simple rappel », et non comme constituant un grief reproché au salarié, ne saurait permettre d’exclure l’application des dispositions relatives à la prescription quinquennale. En effet, le licenciement peut - dans les faits - reposer sur la dénonciation d’un harcèlement moral, sans que la lettre de licenciement y fasse pour autant expressément référence.

D’ailleurs, l’employeur avisé s’abstiendra généralement d’en faire mention puisque l’énonciation d’un tel grief emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement, dès lors que la mauvaise foi du salarié n’est pas alléguée (Cass. soc., 6 décembre 2011, n° 10-18.440, F-D N° Lexbase : A1956H49).

En l’espèce, l’action du salarié était donc recevable. En l’absence de grief reposant sur la dénonciation de harcèlement dans la lettre de licenciement, la cour d’appel de renvoi devra se prononcer sur l’éventuel lien entre le licenciement du salarié et la dénonciation de harcèlement moral. À cet effet, si elle retient que les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartiendra au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à sa dénonciation de harcèlement moral. Si, à l’inverse, elle estimait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, il reviendra à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral et son licenciement (Cass. soc., 18 octobre 2023, n° 22-18.678, F-B N° Lexbase : A08301N3).

Si la solution retenue par la Cour de cassation s’avère cohérente, elle ne permet pas, pour autant, d’écarter tout risque d’instrumentalisation de la prescription. Un tel écueil est néanmoins inévitable, dès lors que s’entrecroisent divers délais de prescription.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le harcèlement moral, Les définitions du harcèlement moral, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0789GAH.

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