Le Quotidien du 15 octobre 2024 : Droit social européen

[Brèves] Règlement de la FIFA et liberté de circulation des travailleurs

Réf. : CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-650/22, FIFA c/ Lassana Diarra N° Lexbase : A051658M

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N0564B3B

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par Jean-Philippe Tricoit, Maître de conférences - HDR à l'Université de Lille, co-directeur de l'Institut des sciences du travail

le 14 Octobre 2024

► Sont de nature à entraver la liberté de circulation des travailleurs, les dispositions du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA, relatives au principe d'une responsabilité solidaire et conjointe entre le joueur et le nouveau club, aux sanctions sportives applicables au club ainsi qu’à l'impossibilité de participer à des compétitions sportives pour le joueur.

Faits et procédure. Présentée comme l'affaire « Bosman 2.0 », l'affaire « Diarra » a été tranchée peu avant le trentième anniversaire de l'arrêt dont il constitue, en vérité, une extension (CJCE, 15 décembre 1995, aff. C-415/93, URBSA et UEFA c/ Bosman N° Lexbase : A7546AHX). Reconnaissant que l'activité sportive puisse constituer une activité économique (v., récemment CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-333/21, European Superleague Company, point 83 N° Lexbase : A9323198 ; v. également le préambule du Chapitre XII de la Convention collective nationale du sport), l'arrêt « Bosman » a reconnu aux joueurs professionnels la qualité de travailleur, ouvrant ainsi les portes de la liberté de circulation des travailleurs, telle que proclamée par l'article 45 du TFUE.

L'affaire opposant Lassana Diarra et le Lokomotiv Moscou est déjà ancienne, puisqu'elle a débuté en 2014. À cette époque, l'international français était sous contrat avec le club russe. Lui reprochant différents griefs, notamment des absences injustifiées, le Lokomotiv Moscou avait rompu le contrat et saisi la Chambre de résolution des litiges (CRL) de la FIFA, celle-ci ayant condamné le footballeur professionnel à 20 millions d'euros de dédommagement. C'est là que se situe le nœud de l'affaire : un potentiel transfert vers Charleroi est suspendu, car la FIFA et l'Union Royale Belge des Sociétés de Football Association (URBSFA) ne disposaient pas, conformément aux dispositions de RSTJ, de garanties suffisantes pour que le club soit tenu solidairement et conjointement responsable des indemnités réclamées à Lassana Diarra (RSTJ, 17, point 2). En outre, l’existence d’un litige lié à une rupture de contrat, sans juste cause, interdit la délivrance du certificat nécessaire à l'enregistrement du joueur, bloquant ainsi sa participation aux compétitions pour le compte du nouveau club (RSTJ, art. 9). Privé de club pendant presque un an à cause de cette situation, avant de rejoindre l'Olympique de Marseille, Lassana Diarra avait alors saisi les juridictions étatiques belges pour obtenir réparation de son préjudice.

Question préjudicielle. En appel, la cour d'appel de Mons estime que les dispositions du RSTJ suscitent quelques interrogations sur leur conformité avec les principes du droit de l'Union européenne, singulièrement vis-à-vis de la liberté de circulation des travailleurs (TFUE, art. 45) et de l'interdiction des ententes anticoncurrentielles (TFUE, art. 101). Elle communique alors une question préjudicielle à la CJUE, dont résulte la décision du 4 octobre 2024.

Éléments de réponse de la CJUE. La confrontation entre la liberté de circulation des travailleurs et le RSTJ a tourné court pour ce dernier. Aux termes de son raisonnement, calqué sur sa jurisprudence la plus récente (CJUE, 21 décembre 2023, préc. ; CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-680/21, Royal Antwerp Football Club N° Lexbase : A932619B), la CJUE estime que les règles du RSTJ sont de nature à entraver la liberté de circulation des travailleurs, à savoir le principe d'une responsabilité solidaire et conjointe entre le joueur et le nouveau club, les sanctions sportives éventuellement applicables à l'encontre du club, ainsi que l'impossibilité de participer à des compétitions sportives pour le joueur.

Le véritable intérêt de la décision porte sur l'analyse de l’existence d’une justification à cette entrave, fondée sur deux motifs, notamment la poursuite d’un objectif légitime d’intérêt général et le respect du principe de proportionnalité.

L'arrêt « Diarra » concède que le RSTJ constitue « non pas un objectif légitime d’intérêt général en soi, mais comme un des moyens de poursuivre l’objectif légitime d’intérêt général consistant à assurer la régularité des compétitions de football interclubs » (point 102). Précédemment, avait été reconnu l'objectif d'intérêt général, consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJUE, 16 mars 2010, aff. C-325/08, OL c/ Olivier Bernard et Newcastle UFC N° Lexbase : A2485ET9). Cependant, au titre de la proportionnalité, la CJUE estime que le RSTJ va « au-delà, voire, pour certaines, très au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif » et heurte même certaines caractéristiques du secteur sportif, à savoir la brièveté de la carrière du joueur (point 104).

A priori, l'arrêt du 4 octobre 2024 constitue une victoire éclatante pour Lassana Diarra, d'autant plus qu'elle ne coûtera pas à ce joueur sa carrière, comme ce fut le cas pour Jean-Marc Bosman. De même, le système de transfert institué par la FIFA demande une refonte substantielle de son contenu. Toutefois, la FIFA est, en réalité, confortée dans l'idée qu'elle peut fixer des règles spécifiques, dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées.

Pour aller plus loin : 

  • v. Arrêt Lassana Diarra, un « arrêt Bosmann bis » ?, sportbusiness.club, 5 octobre 2024 [en ligne]
  • v. T. Binet, Lassana Diarra, ceci n’est pas encore une révolution, sofoot.com, 4 octobre 2024 [en ligne]

 

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