Le Quotidien du 25 juillet 2024 : Assurances

[Brèves] Une fédération sportive ne peut imposer à ses licenciés la souscription d’une assurance de dommages corporels

Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 27 juin 2024, n° 489391 N° Lexbase : A68915LS

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N0119B3S

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[Brèves] Une fédération sportive ne peut imposer à ses licenciés la souscription d’une assurance de dommages corporels. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/110658936-brevesunefederationsportivenepeutimposeraseslicencieslasouscriptionduneassurancededom
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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé – Directeur de l’École de droit de la Sorbonne au Caire-IDAI – Codirecteur du master droit des assurances de la faculté de droit de l’Université de Montpellier

le 24 Juillet 2024

► Les fédérations sportives, délégataires de service public, ne peuvent imposer à leurs licenciés (hors sportifs de haut-niveau) la souscription d’un contrat d’assurance de dommages corporels, la loi n’envisageant cette souscription que comme facultative ; la Fédération française de rugby est ainsi enjointe de supprimer de son règlement général une telle obligation.

C’est de sources du droit dont il est question dans cette décision et, plus précisément, des sources de l’obligation d’assurance, variété de « contrat forcé ».

La Fédération française de rugby – association agréée délégataire de service public (C. sport, art. L. 131-8 N° Lexbase : L7946MBW) – avait en l’occurrence refusé la délivrance d’une licence à un demandeur ayant lui-même refusé de souscrire une assurance de dommages corporels (assurance de personnes) pouvant survenir à l’occasion d’une compétition organisée ou autorisée par la Fédération, comme l’imposait l’article 222-2 des règlements généraux de la Fédération.

Ayant formé une demande d’abrogation de ces dispositions, demande restée sans réponse, l’usager attaquait le rejet implicite issu de ce silence gardé. Selon lui, la Fédération ne pouvait imposer à ses licenciés, hors sportifs de haut-niveau, la souscription d’un tel contrat, compte tenu des dispositions législatives encadrant les prérogatives des fédérations sportives.

Porté devant le Conseil d’État, le problème consistait à savoir si, singulièrement la Fédération française de rugby, généralement une fédération sportive (C. sport, art. L. 131-1 et s. N° Lexbase : L6322HNH), est en droit d’exiger de ses licenciés la souscription d’une assurance de personne couvrant les dommages corporels qu’ils pourraient subir à l’occasion de leur participation à une compétition organisée ou autorisée par cette fédération.

Le Conseil d’État répond par la négative, en annulant la décision implicite de rejet de la demande d’abrogation de la disposition litigieuse du règlement général et en enjoignant à la Fédération française de rugby, dans les deux mois de la décision, d’abroger l’article portant obligation d’assurance de dommages corporels.

La décision, particulièrement pédagogique, est justifiée par les dispositions législatives applicables aux fédérations sportives et plus particulièrement celles résultants des articles L. 321-1 et suivants du Code du sport N° Lexbase : L6474HN4, relatives à l’obligation d’assurance des associations, sociétés et fédérations sportives.

Ces règles, de source, législative, imposent aux fédérations (ainsi qu’aux associations et sociétés sportives d’ailleurs) de souscrire une assurance couvrant leur responsabilité civile ainsi que, pour compte, celle de leurs membres (C. sport, art. L. 321-1 N° Lexbase : L6474HN4). Ces mêmes fédérations doivent souscrire une assurance de dommages corporels mais uniquement pour le compte de ses membres inscrits sur la liste des sportifs de haut-niveau (liste établie par arrêté ministériel sur proposition des fédérations, C. sport, art. L. 221-1 N° Lexbase : L7957MBC ; obligation qui cesse dès lors que le sportif de haut-niveau bénéficie d’une couverture assurantielle au moins équivalente à celle proposée par le contrat souscrit par la fédération, C. sport, art. L. 321-4-1 N° Lexbase : L1367LDY). Pour les autres licenciés, l’article L. 321-4 du Code du sport N° Lexbase : L7979MB7 se borne à faire peser sur les fédérations (et les associations sportives), une obligation d’information portant sur les intérêts de la souscription d’une assurance de dommages corporels pouvant survenir dans le cadre de la pratique sportive. Surtout, l’article L. 321-6 du Code du sport N° Lexbase : L6479HNB indique que lorsque la fédération à laquelle est affiliée l’association sportive dont le licencié est membre, propose l’adhésion à un contrat collectif (contrat d’assurance de groupe) couvrant les dommages corporels, elle est tenue « de formuler cette proposition dans un document […] qui mentionne le prix de l’adhésion, précise qu’elle n’est pas obligatoire et indique que l’adhérent au contrat collectif peut en outre souscrire des garanties individuelles complémentaires ».

Les dispositions législatives applicables aux fédérations sportives envisagent ainsi la couverture assurantielle des dommages corporels subis par les licenciés à l’occasion de leur pratique sportive comme facultative.

Or, les fédérations sportives ne peuvent exercer les prérogatives règlementaires qu’elles tirent de leur qualité de délégataire de service public que dans le respect des normes qui s’imposent à elles, et que le Conseil d’État rappelle : les normes de source légale et les normes de source règlementaire.

Contrevenant à des normes légales, cette obligation d’assurance imposée par la Fédération française de rugby était par conséquent illégale. La décision de rejet (implicite) de la demande d’abrogation est ainsi légitimement annulée, la fédération étant enjointe de supprimer, pour l’avenir (abrogation), de son règlement général, cette obligation (exercice par le Conseil d’État, du pouvoir d’injonction que lui confère l’article L. 911-1 du Code de la justice administrative N° Lexbase : L7384LP8 ; l’abrogation demandée aura vocation à profiter à tous les licenciés).

Justifiée en droit, la décision a vocation à s’appliquer à l’ensemble des fédérations sportives.

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