Le Quotidien du 25 juillet 2024 : Bancaire

[Brèves] Crédit affecté : importantes précisions sur le préjudice de l’emprunteur

Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 22-24.754, FS-B N° Lexbase : A22105PK

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 24 Juillet 2024

► Lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l’annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l’emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d’une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n’a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.

Le « crédit affecté », dit aussi « crédit lié », est une forme particulière de crédit à la consommation. Ainsi, pour l’article L. 311-1, 11°, du Code de la consommation N° Lexbase : L9825LCU, il s’agit du crédit « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ». Ces deux contrats constituent alors une « opération commerciale unique ».

Depuis une dizaine années, le contentieux intéressant les crédits affectés ayant servi à financer l’acquisition et l’installation de panneaux photovoltaïques ou de pompes à chaleur s’est considérablement développé dans notre pays. Les décisions rendues en la matière se sont ainsi multipliées.

Il apparaissait néanmoins que, depuis 2019/2020, la première chambre civile de la Cour de cassation avait cherché à limiter la portée des solutions dégagées jusqu’alors par quelques décisions remarquées en se fondant plus particulièrement sur le droit de la responsabilité civile.

Trois décisions rendues le 10 juillet 2024 par la même première chambre civile démontrent, toutefois, que les actions menées par les emprunteurs, en la matière, ne sont pas nécessairement vouées à l’échec (Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 23-12.122, FS-B N° Lexbase : A22265P7, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires juillet 2024, n° 803 N° Lexbase : N0039B3T ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 23-11.151, F-B, N° Lexbase : A22315PC, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juillet 2024, n° 803 N° Lexbase : N0040B3U ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 22-24.754, F-B N° Lexbase : A22315PC). La troisième de ces décisions, certainement la plus importante, retiendra notre attention ici.

Faits et procédure. Le 25 juin 2014, par contrat conclu hors établissement, Mme B. avait commandé auprès de Ia société Habitat et Solutions Durables la fourniture et la pose de panneaux solaires ainsi que d’un ballon thermodynamique dont le prix avait été financé par un crédit souscrit le 16 juillet suivant auprès de la banque X.

Invoquant l’irrégularité du bon de commande, l’emprunteuse avait assigné le vendeur et la banque en annulation du contrat de vente et du contrat de crédit affecté et en restitution par la banque des sommes versées en remboursement du contrat de crédit. Par jugement du 17 décembre 2015, le vendeur avait été placé en liquidation judiciaire.

Décision. Or, si la Cour de cassation rejette le pourvoi (CA Lyon, 20 octobre 2022, n° 21/02721 N° Lexbase : A97908QN), sa décision, particulièrement motivée, est riche en enseignements.

Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle que, selon les articles L. 311-32 et L. 311-33, devenus L. 312-55 N° Lexbase : L1307K7K et L. 312-56 N° Lexbase : L1306K7I du Code de la consommation, en cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Si la résolution judiciaire ou l'annulation du contrat principal survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir l'emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du prêteur et de l'emprunteur.

Elle considère, ensuite, qu’il en résulte que l’annulation ou la résolution du contrat de crédit, consécutive à celle du contrat principal, emporte, en principe, restitution par l’emprunteur au prêteur du capital, que celui-ci a versé au vendeur à la demande de l'emprunteur. Plusieurs décisions, s’étant déjà prononcée en ce sens, sont citées (Cass. civ. 1, 2 mai 1989, n° 87-18.059, publié au bulletin N° Lexbase : A3141AHS ; Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-20.999, F-P+B N° Lexbase : A8438DDU).

Cependant, il est également rappelé que la Cour de cassation juge de manière constante que le banquier commet une faute en consentant le crédit affecté sans avoir vérifié la régularité du contrat principal au regard des dispositions protectrices du consentement du consommateur. Ici encore, des décisions sont mentionnées (Cass. civ. 1, 10 décembre 2014, n° 13-26.585, F-D N° Lexbase : A6131M79 ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-14.951, inédit au bulletin N° Lexbase : A2014X84).

Surtout, il est souligné que, concernant les conséquences qu’il convenait de tirer d'une telle faute, la jurisprudence a évolué.

La Cour de cassation a ainsi d’abord jugé que cette faute emportait, pour la banque, privation du droit d’obtenir la restitution du capital, ce qui constituait un mécanisme de réparation conduisant à ce que l’emprunteur se trouve déchargé de sa dette (en ce sens, Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-16.352, F-D N° Lexbase : A5799XUC ; Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 16-29.118, F-D N° Lexbase : A7543XDQ).

Cependant, depuis un arrêt du 25 novembre 2020, elle juge qu’en vertu du droit commun de la responsabilité civile, le prêteur ne peut être privé de sa créance de restitution, en tout ou en partie, que si l'emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien causal avec cette faute (Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-14.908, FS-P+I N° Lexbase : A551537E). La Cour de cassation a ainsi approuvé les arrêts de cours d’appel qui avaient retenu une absence de préjudice dès lors que l'installation avait été raccordée au réseau d'électricité, qu’elle avait fonctionné après sa mise en service et qu'un contrat avait été conclu pour vendre l’électricité produite et, le cas échéant, pour bénéficier d’un crédit d’impôt, et ce, indépendamment de l’insolvabilité du vendeur (en ce sens, Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, op. cit. ; Cass. civ. 1, 19 mai 2021, n° 19-20.992, F-D N° Lexbase : A79834SH ; Cass. civ. 1, 22 septembre 2021, n° 19-24.817, F-B N° Lexbase : A134347U ; Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 20-12.411, F-D N° Lexbase : A00217AZ ; Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-11.970, F-D N° Lexbase : A80167HD ; Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-22.457, F-D N° Lexbase : A39457UN ; Cass. civ. 1, 17 mai 2023, n° 22-16.429, F-D N° Lexbase : A42819WH).

Il est noté que la doctrine (on ne sait cependant pas quels auteurs sont ainsi visés) s’est montrée favorable à cette évolution en relevant qu’une faute ne pouvait être sanctionnée qu’en cas de preuve d'un préjudice en résultant et qu'une telle approche permettait l'adoption de solutions équilibrées entre les intérêts en présence.

Or, une question s’est posée en la matière : l’impossibilité pour l’emprunteur de récupérer le prix de l’installation auprès du vendeur constitue-t-il un préjudice en lien de causalité avec la faute de la banque de nature à la priver de sa créance de restitution ? L’arrêt qui nous occupe observe que les juridictions du fond sont divisées sur ce point. Certaines cours d’appel retiennent que le préjudice matériel subi par les emprunteurs en raison de la libération fautive, par la banque, du capital emprunté, est caractérisé par l'impossibilité d’obtenir la restitution du prix auprès du vendeur insolvable (v. par ex., CA Aix-en-Provence, 25 octobre 2023, n° 22/02047 N° Lexbase : A04701RT ; CA Bordeaux, 20 mars 2023, n° 20/02889 N° Lexbase : A72489KN ; CA Lyon, 5 janvier 2023, n° 21/05492 N° Lexbase : A250988G ; CA Paris, 4-5, 14 juin 2023, n° 20/03044 N° Lexbase : A323993D ; CA Amiens, 22 décembre 2022, n° 21/02654 N° Lexbase : A262484X ; CA Dijon, 15 septembre 2022, n° 20/00314 N° Lexbase : A91228IP). D’autres jugent cependant, à l’inverse, que si l’installation conservée par les acquéreurs fonctionne et produit de l’électricité, aucun préjudice n’est subi, malgré l’insolvabilité du vendeur et l’impossibilité de récupérer auprès de celui-ci le prix de vente, la faute de la banque n’étant pas en lien causal avec la liquidation judiciaire (CA Toulouse, 28 mars 2022, n° 19/03996 N° Lexbase : A55737RT ; CA Caen 23 novembre 2021, n° 19/02444 N° Lexbase : A71897CA ; CA Nancy, 7 octobre 2021, n° 20/02094 N° Lexbase : A524748T ; CA Colmar, 1er septembre 2023, n° 21/02683 N° Lexbase : A317088W ; CA Metz, 13 avril 2023, n° 21/01050 N° Lexbase : A78949P3 ; CA Reims, 17 janvier 2023, n° 21/0194 N° Lexbase : A62798RY ; CA Caen, 21 juin 2022, n° 20/01662 N° Lexbase : A399578H).

La Cour de cassation considère alors qu’il convient de préciser la portée de l'arrêt précité du 25 novembre 2020.

Si, en principe, à la suite de l'annulation de la vente, l’emprunteur obtient du vendeur la restitution du prix, de sorte que l’obligation de restituer le capital à la banque ne constitue pas, en soi, un préjudice réparable, il en va différemment lorsque le vendeur est en liquidation judiciaire.

En effet, dans une telle hypothèse, d’une part, compte tenu de l’annulation du contrat de vente, l’emprunteur n’est plus propriétaire de l'installation qu’il avait acquise, laquelle doit pouvoir être restituée au vendeur ou retirée pour éviter des frais d'entretien ou de réparation. D’autre part, l'impossibilité pour l’emprunteur d'obtenir la restitution du prix est, selon le principe d'équivalence des conditions, une conséquence de la faute de la banque dans l’examen du contrat principal.

Par conséquent, il convient de retenir que lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l’annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d’une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n’a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.

Qu’en était-il en l’occurrence ? La Haute juridiction nous le dit. Après avoir annulé la vente en raison des irrégularités qui affectaient le bon de commande, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu, d’une part, qu’en libérant le capital emprunté sans vérifier la régularité du contrat principal, la banque avait manqué à ses obligations, d'autre part, que l’emprunteuse avait subi un préjudice consistant à ne pas pouvoir obtenir, auprès d’un vendeur placé en liquidation judiciaire, la restitution du prix de vente d’un matériel dont elle n'était plus propriétaire.

Par conséquent, en l’état de ces constations et appréciations, dès lors que ce préjudice, indépendamment de l’état de fonctionnement de l’installation, n’aurait pas été subi sans la faute de la banque, c’était à bon droit que la cour d’appel avait condamné celle-ci à payer à l’emprunteuse, à titre de dommages et intérêts, une somme correspondant au capital emprunté.

Voilà une décision particulièrement importante puisque de nature à clarifier les incertitudes des juges du fond en la matière, tout en se montrant protectrice pour certains emprunteurs. Elle témoigne ainsi du fait que la première chambre civile de la Cour de cassation n’a pas remis en cause la préservation des intérêts de ces derniers.

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