Le Quotidien du 25 juillet 2024 : Éditorial

[A la une] L’Avocat, les brutes et les truands

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par Romain Boulet et Karine Bourdié, Co-Présidents de l’ADAP

le 26 Juillet 2024

Notre génération a en tête les images impressionnantes de notre confrère Henri Leclerc, ensanglanté et les vêtements arrachés par la foule lors d’une reconstitution en 1989 dans l’affaire « Gentil ». Depuis, nombre de nos confrères ont eu à subir des menaces plus ou moins directes, plus ou moins agressives, dans le cadre de leur mission de défense. Des cercueils ou des balles reçues au cabinet, des courriers anonymes, des appels malveillants, des menaces de viol ou de violences sur les réseaux sociaux, etc. Accepter d’endosser une défense, c’est aussi accepter qu’une partie de l’opinion publique vous assimile à votre client. Qu’il s’agisse de défendre des meurtriers, des terroristes, des policiers, des pédophiles, des imams, on sait bien que loin de nous protéger, notre robe peut devenir le symbole de l’inacceptable pour la Société. 

Une sinistre étape vient d’être franchie selon nous par la publication d’une liste d’avocats à éliminer par un site d’extrême droite. Le 3 juillet dernier, dans l’entre-deux-tours des législatives, le site Réseau libre mettait en ligne une « liste (très partielle) d’avocats à éliminer » comprenant les noms de confrères signataires d’une tribune contre le Rassemblement national. Illustré par une photo d’exécution à la guillotine, l’article incitait ses lecteurs à les « envoyer dans un fossé ou dans un stade ». Les organisations professionnelles et le garde des Sceaux s’en étaient légitimement émus, mais le site récidivait quelques jours plus tard, plus violemment encore, n’hésitant pas à transmettre l’adresse personnelle d’un confrère.

La première évolution est qu’il ne s’agit plus d’une menace directe, c’est-à-dire d’un individu exposant qu’il va s’en prendre physiquement à vous, déjà intolérable en soi, mais d’un appel public au meurtre. Sans donner plus d’importance à un site hébergé en Russie, à l’audience sans doute confidentielle, nous ne pouvons que nous inquiéter de la façon dont certains lecteurs pourraient recevoir et interpréter cette injonction.

En second lieu, et c’est là qu’un cran est encore franchi, ces menaces sont totalement décorrélées de la pratique professionnelle des confrères visés. La plupart d’entre eux exercent loin des médias, s’occupent d’affaires anonymes dont certaines n’ont rien à voir avec le pénal et n’ont jamais fait le choix de s’exposer. 

Désormais, ce n’est donc plus parce que nous acceptons une défense – ce que nous pouvons toujours refuser – que nous sommes menacés, c’est purement et simplement parce que nous sommes avocats. C’est le principe même de la défense qui devient insupportable au point d’appeler au meurtre de ceux qui l’exercent.

On pourrait incriminer l’affaissement de la culture civique, les réseaux sociaux, la sensibilité accrue des individus au malheur d’autrui… mais ne nous y trompons pas. Pour que des réflexes populistes s’initient, il faut que des relais puissants en émettent les stimuli. Depuis des mois, l’Association des avocats pénalistes alerte sur les dangers de messages de moins en moins insidieux, émis non pas par des clients éméchés au comptoir du café du commerce, mais par des élites qui relaient complaisamment des propos et comportements ahurissants : ministres qui bafouent des décisions de justice, magistrats qui dénoncent une défense « pas constructive », candidats aux législatives qui veulent « mettre le Conseil constitutionnel au pas »… Comment s’étonner par la suite que cette petite musique crissante infuse dans le corps social ?!

Que l’on ne nous fasse pas dire ce que nous ne disons pas : il ne s’agit pas pour nous d’ériger un totem d’immunité et, dans un réflexe corporatiste, de nous idéaliser. Paraphrasant Musset, nous savons bien que les avocats sont (aussi et sans doute) comme tous les hommes, menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels. Mais la fonction de Défense doit être absolument protégée. Dire cela n’est pas exiger un blanc-seing pour les avocats mais rappeler à tous, et singulièrement à ceux chargés d’éduquer, informer et éclairer, qu’une Justice de qualité ne peut se rendre sans une défense respectée. Il ne s’agit pas d’avoir raison, mais d’être écoutés si ce n’est entendus.

Personne ne fera taire les avocats.

Si notre parole nous semble parfois vaine, si nos plaidoiries nous semblent parfois servir d’alibi à des décisions qui s’apparentent de plus en plus à une gestion administrative de la répression ou à un soutien factice aux victimes, nous n’en continuons pas moins de marteler, audience après interrogatoire, l’exigence d’une place réelle et consistante conservée à la défense, car ce qui est tu n’existe plus. 

Chacun de nous se rassure en se rappelant avec une paradoxale gourmandise que les auteurs de ces menaces auront à leurs côtés des avocats qui les défendront avec sérieux et ardeur lorsqu’ils comparaîtront devant une juridiction correctionnelle. On aimerait parfois que politiques, magistrats et éditorialistes partagent la même gourmandise, qu’on appellerait simplement État de droit.

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