La lettre juridique n°990 du 4 juillet 2024 : Droit de la famille

[A la une] Regards croisés sur l’actualité du droit de la famille - Journée bilatérale entre l’équipe de recherche Louis Josserand et le groupe québécois de l’association Henri Capitant

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N9833BZ9

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[A la une] Regards croisés sur l’actualité du droit de la famille - Journée bilatérale entre l’équipe de recherche Louis Josserand et le groupe québécois de l’association Henri Capitant. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/110139328-a-la-une-regards-croises-sur-lactualite-du-droit-de-la-famille-i-journee-bilaterale-entre-lequipe-de
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par Blandine Mallet-Bricout, Professeure des Universités, Avocate générale SE à la Cour de cassation, Membre de l’équipe Louis Josserand, Responsable de la section lyonnaise de l’association Henri Capitant

le 10 Juillet 2024

Présentation générale

Le colloque qui s’est déroulé à l’Université Jean Moulin (Lyon 3) le 19 octobre 2023 et dont les actes sont ici publiés, s’inscrit dans le cadre d’un partenariat créé en 2012 entre l’Équipe de recherche Louis Josserand et le Groupe québécois de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française. Pour cette cinquième manifestation, le droit de la famille fut mis à l’honneur, sous les regards croisés d’universitaires et professionnels du droit spécialistes de la matière, français et québécois, qu’il faut en premier lieu remercier pour la richesse de leurs contributions lors de cette journée bilatérale.    

C’est un lieu commun que de souligner les profonds bouleversements du droit de la famille depuis une vingtaine d’années, en France mais aussi au-delà de nos frontières, sous la poussée des progrès de la science ainsi que de la métamorphose des notions de couple et de famille. On sait que le droit français de la famille a connu de multiples évolutions depuis le début des années 2000, par l’action du législateur ou de la jurisprudence ; encore assez récemment le Parlement a opéré des modifications ponctuelles dans la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C, en autorisant notamment l’accès à la procréation médicalement assistée aux femmes seules et aux couples de femmes. Le droit québécois, quant à lui, est en pleine reconstruction dans ce domaine, deux lois importantes étant récemment entrées en vigueur, la loi du 2 juin 2022 (L.Q. 2022, c.22), qui a notamment modifié le Code civil du Québec « en matière de droits de la personnalité et d’état civil » (elle s’intéresse en particulier aux droits des personnes trans et non binaires), puis la loi du 6 juin 2023 (L.Q. 2023, c.13) relative notamment à la filiation, ainsi qu’aux « droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui ». Un second volet de la réforme du droit de la famille est attendu au Québec, qui portera sur la parentalité. Les questions soulevées sont les mêmes de part et d’autre de l’Atlantique, mais les réponses apportées ne sont pas forcément identiques, ce qui ne saurait surprendre tant les débats et choix de société sont sensibles sur les problématiques abordées lors de ce colloque.

Cette journée de réflexion franco-québécoise a ainsi permis de croiser ces évolutions juridiques, l’approche comparative étant particulièrement précieuse en ce qu’elle force à revenir aux fondements des solutions adoptées dans les droits nationaux et à sortir des schémas de pensée habituels, s’agissant de questionnements à la fois universels et nécessairement marqués par des considérations culturelles.

Parmi les nombreuses questions actuellement en débat en France et au Québec, ont été retenues, pour cette publication, trois grandes problématiques.

La première, consacrée aux fondements de la filiation entre la biologie, le vécu et la volonté individuelle, permet de mettre au jour un questionnement profond sur le renouvellement de ces fondements et la difficulté que rencontrent le législateur et le juge (régulièrement saisi de questions inédites) pour établir une cohérence d’ensemble. Quelle place laisser au fondement biologique ? Faut-il reconstruire l’ensemble du droit de la filiation sur le pilier de la volonté individuelle ou partagée au sein d’un couple ? Ou bien renoncer à toute cohérence des fondements et prendre acte d’un droit éclaté de ce point de vue, en réponse aux attentes sociétales ? La convention de mère porteuse, notamment, tout récemment introduite dans le droit québécois, soulève nombre de questionnements aussi bien théoriques que pratiques, au regard du régime juridique mis en place par le législateur québécois.   

La seconde problématique abordée, autour des concepts modernes de pluriparenté (hypothèse de l’établissement de plus de deux liens de filiation) et de pluriparentalité (hypothèse dans laquelle plusieurs personnes tiennent un rôle parental), offre l’opportunité aux contributeurs  d’ouvrir le champ comparatif encore au-delà de la France et du Québec. Sur la pluriparenté, pour l’heure non reconnue en France, il est observé que les droits nord-américains (USA, Canada) et cubain proposent des modèles ex-post ou ex-ante. Au Québec, la reconnaissance de la pluriparenté est actuellement en débat, dans le cadre d’un contentieux spécifique porté devant les hautes juridictions de cette province. Quant à la pluriparentalité, la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur le fa’a’amu utilisé comme préalable à l’adoption en Polynésie française, a notamment relancé le débat sur la figure juridique de la délégation partage de l’autorité parentale, en mettant fin à la règle de l’unicité du délégataire. Le droit aux relations personnelles peut par ailleurs être mobilisé pour organiser des situations de pluriparentalité.

La troisième problématique retenue lors de cette journée s’inscrit dans celle, plus large et fondamentale, de l’identité, en focalisant sur la question complexe et sensible de l’accès aux origines pour les personnes nées sous X, adoptées ou nées d’une procréation médicalement assistée avec tiers donneur. Les contributions reviennent sur l’historique de la jurisprudence européenne et du droit québécois sur ce sujet, puis évoquent plusieurs questions actuelles, notamment la différence de traitement juridique du secret des origines en France (aucune obligation d’informer l’enfant) et au Québec (principe de transparence depuis 2016, en matière d’adoption et de don de gamètes). Les procédures applicables pour répondre aux demandes de connaissance de ses origines sont par ailleurs exposées, ainsi que les enjeux de sites internet tels que MyHéritage (qui propose aux particuliers de réaliser des tests génétiques puis de croiser les données recueillies).

Qu’il me soit permis de remercier très sincèrement l’ensemble des auteurs de ce dossier, dont les articles contribuent aux débats puissants qui animent le droit de la famille en ce 21e siècle, ainsi que les éditions juridiques Lexbase pour cette publication dans la revue Lexbase Droit privé. Mes remerciements s’adressent aussi à l’association Henri Capitant pour son soutien, et notamment à la Professeure Mariève Lacroix (Université d’Ottawa) ainsi qu’à l’Honorable Benoît Moore, juge à la Cour d’appel du Québec, et enfin au Centre de droit de la famille de l’équipe Louis Josserand, en particulier les Professeurs Christine Bidaud et Hugues Fulchiron pour la co-direction scientifique de cette cinquième Journée bilatérale franco-québécoise.


Sommaire

I. Des fondements de la filiation au 21e siècle

Les fondements de la filiation en droit français : fondement classique et propositions, par Solange Becqué-Ickowicz, Professeure à l’Université de Montpellier, Directrice du Master Droit civil, Droit des personnes et de la famille N° Lexbase : N9838BZE

Les fondements du droit de la filiation en territoire civiliste canadien : perspectives québécoises, par Andréanne Malacket, LL.D., Professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke N° Lexbase : N9846BZP

II. Pluriparenté et pluriparentalité : droit positif et perspectives

Filiation et autorité parentale : Regards croisés sur la pluriparenté, par Johanne G. Clouet, Professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, et Guillaume Kessler, Maître de conférences HDR à l’Université Savoie Mont Blanc N° Lexbase : N9848BZR

Vers une meilleure prise en compte de la pluriparentalité en droit français, par Philippe Guez, Professeur à l’Université Paris Nanterre, Directeur du Centre d’études juridiques européennes et comparées N° Lexbase : N9850BZT

III. L’accès aux origines (naissance sous X, adoption, PMA)

L’accès aux origines, un droit fondamental, par Fabien Marchadier, Professeur à la Faculté de droit de Poitiers (Institut Jean Carbonnier) N° Lexbase : N9851BZU

Les procédures de l’accès aux origines : de l’émancipation à la réconciliation, par Claire Brunerie, Doctorante à l’Université Jean Moulin Lyon 3, membre de l'Équipe de Droit International, Européen et Comparé (EDIEC) N° Lexbase : N9854BZY

L’accès aux origines en droit québécois, par Michelle Giroux, Professeure titulaire à la Faculté de droit, Section de droit civil de l’Université d’Ottawa N° Lexbase : N9857BZ4

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