La lettre juridique n°990 du 4 juillet 2024 : Fiscalité des entreprises

[Brèves] Rachat possible sans punition fiscale ?

Réf. : CAA Bordeaux, 16 avril 2024, n° 22BX01822 N° Lexbase : A9070273

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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh & Associés

le 08 Juillet 2024

Par une décision du 24 avril dernier, la cour administrative d’appel de Bordeaux semble remettre en cause le traitement fiscal des rachats d’actions qui paraissait pourtant acquis depuis la réforme des paragraphes 1° et 6° de l’article 112 du Code général des impôts.

À la suite de la décision du Conseil constitutionnel, le législateur avait dû mettre fin à la différence de traitement fiscal des rachats d’actions qui étaient, selon l’objectif du rachat (soutien de cours, projets d’actionnariat salarié ou annulation des titres), imposés, pour les actionnaires rachetés, soit comme des cessions d’actions (régime des plus-values de cession de valeurs mobilières), soit comme des distributions (régime des revenus distribués).

Le Conseil constitutionnel avait en effet jugé que cette différence de traitement n’était justifiée par aucune différence de situation objective ni aucun motif d’intérêt général. Sous son injonction, le législateur a modifié la loi pour généraliser l’imposition des rachats sous le régime unique d’imposition des plus-values (CGI, art. 112, 6° N° Lexbase : L5647MAE). Néanmoins, les réductions de capital demeurent, lorsqu’elles ne sont pas motivées par des pertes considérées comme relevant du régime fiscal des distributions à hauteur des réserves distribuables de la société (CGI, art. 112, 1°) (Cons. const., décision n° 2014-404 QPC, du 20 juin 2014 N° Lexbase : A6294MRK).

À l’origine de la procédure, saisi d’un redressement opéré par les services fiscaux, le tribunal administratif de Martinique avait refusé d’appliquer le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières aux sommes appréhendées par l’actionnaire ayant fait racheter ses actions par la société.  Le tribunal a, en effet, considéré que le produit de l’opération constituait une appréhension des réserves de la société relevant de l’imposition des revenus distribués (TA Martinique, 12 mai 2022, n° 2100221 N° Lexbase : A62815BA).

L’enjeu de cette qualification est double : le régime des revenus distribués soumet à imposition la totalité du produit perçu à hauteur des réserves distribuables. Le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières permet, au contraire, de limiter la base imposable à la seule différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition (prix de revient pour les associés entreprises). Les personnes physiques peuvent bénéficier, en outre, d’abattements très significatifs pour durées de détention.

Pour les sociétés mères, les conséquences d’une telle requalification sur la base d’imposition sont moins prévisibles. En effet, les plus-values sur titres de participations peuvent être exonérées, sous réserve d’une réintégration d’une quote-part de frais et charges imposable de 12 % du gain, contre seulement  1 ou 5 % pour les distributions.

La lecture des conclusions du rapporteur public sous le jugement du tribunal administratif laisse penser que cette décision est influencée par la circonstance que l’opération de rachat se situait dans la perspective d’une dissolution ultérieure, rendue probable par la quasi-cessation d’activité de la société. Le boni de dissolution aurait, en effet, relevé des revenus distribués, imposés plus lourdement.

Cet argument n’est toutefois pas repris dans la décision d’appel qui en reste à l’articulation existant entre l’article 112, 1°, du Code général des impôts et l’article 112, 6°, du même code. Le redressement effectué, en niant la nature juridique du rachat, relèverait selon nous plutôt de la procédure de l’abus de droit. Cette procédure est la seule qui aurait permis de requalifier le rachat d’actions en réduction de capital non motivée par des pertes. Elle n’a pas été suivie par les services fiscaux, qui devraient donc se trouver privés d’appliquer une autre imposition que celle réservée aux rachats d’actions.

Cette décision est donc incompréhensible en ce qu’elle va à l’encontre de la décision du Conseil constitutionnel qui a présidé à la rédaction actuelle des textes applicables. Ce dernier a en effet clairement affirmé que l’objectif poursuivi par une opération de rachat d’actions ne peut justifier d’une différence dans le régime d’imposition. La loi issue de cette décision distingue sans ambiguïté l’imposition sous le régime des distributions des réductions de capital, de celui applicable aux rachats d’actions, même en vue de leur annulation, en tant que plus-values.

La confusion opérée tant par le tribunal administratif de Martinique que par la cour administrative d’appel de Bordeaux paraît d’autant plus malheureuse qu’encore récemment, le Comité de l’abus de droit fiscal a conclu que le recours à un rachat d’actions en vue de leur annulation ne pouvait être considéré comme un contournement abusif des règles d’imposition des réductions de capital non motivées par des pertes, même dans le cas d’une société ayant un unique associé et avec application de l’abattement fiscal maximal des plus-values des particuliers de 85 % (Comité de l’abus de droit fiscal, décision n° 2023-05, séance du 24 novembre 2023 [en ligne]).

 

 

 

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