Réf. : Cass. civ. 3, 27 juin 2024, trois arrêts, n° 22-24.502, FS-B N° Lexbase : A29705LL, n° 22-21.272, FS-B N° Lexbase : A29685LI et n° 22-10.298, FS-B N° Lexbase : A29715LM
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par Vincent Téchené
le 03 Juillet 2024
► Le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat, commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses ; tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
Tel est l’enseignement de trois arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans le cadre de baux commerciaux mais dont la solution est fondée sur les règles générales des baux.
Dans ces trois affaires, les bailleurs demandaient à leurs locataires le paiement d’une certaine somme au titre du coût des travaux de remise en état des locaux.
Dans deux affaires, les cours d’appel ont fait droit aux demandes des bailleurs (CA Douai, 20 octobre 2022, n° 21/04508 N° Lexbase : A91818Q4 cassé par Cass. civ. 3, 27 juin 2024, n° 22-24.502 ; CA Paris, 5-3, 15 juin 2022, n° 19/14631 N° Lexbase : A910377B cassé par Cass. civ. 3, 27 juin 2024, n° 22-21.272, FS-B), tandis que dans la troisième affaire, la cour d’appel de Paris a, au contraire, rejeté la demande du propriétaire (CA Paris, 5-3, 10 novembre 2021, n° 19/03334 N° Lexbase : A57627BZ, rejet du pourvoi par Cass. civ. 3, 27 juin 2024, n° 22-10.298, FS-B).
Les pourvois formés par les locataires contre les deux premiers arrêts faisaient en substance valoir que le juge ne peut allouer des dommages-intérêts au bailleur qu'à la condition de constater, au jour où il statue, qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle du preneur et qu’il ne pouvait se fonder exclusivement sur l'inexécution par le locataire des réparations locatives pour indemniser le bailleur. À l’inverse, le pourvoi du propriétaire contre le dernier arrêt soutenait que le seul constat de dégradations ou de pertes qui arrivent pendant la jouissance du bien loué, ouvre droit à réparation au profit du preneur, sans que ce dernier puisse prétendre que le bailleur ne subirait pas de préjudice du chef de ces dégradations ou pertes.
La question posée à la Haute juridiction était donc la suivante : le manquement du locataire à son obligation de restituer les locaux en bon état de réparations locatives cause-t-il nécessairement un préjudice au bailleur que le juge ne peut refuser d’indemniser ? La Cour de cassation y répond par la négative.
Elle rappelle que selon l'article 1732 du Code civil N° Lexbase : L1854ABB, le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute.
Par ailleurs, aux termes de l'article 1147 du même code N° Lexbase : L1248ABT, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En outre, selon l'article 1149 du Code civil N° Lexbase : L1250ABW, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance précitée, et le principe de la réparation intégrale du préjudice, les dommages et intérêts dus au créancier sont de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit.
La Cour de cassation en conclut donc qu’il résulte de la combinaison de ces textes et principe que le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat, commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses. Tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
Il appartient donc au propriétaire de rapporter la preuve d’un préjudice résultant du manquement du locataire à son obligation de restituer les locaux en bon état de réparation.
Dans un précédent arrêt, la Cour de cassation avait affirmé au contraire que « l'indemnisation du bailleur à raison de l'inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n'est pas subordonnée [...] à l'existence d'un préjudice » (Cass. civ. 3, 29 janvier 2002, n° 99-20.768, F-D N° Lexbase : A8627AXS). Près de deux ans après, la troisième chambre civile devait retenir la solution contraire (Cass. civ. 3, 3 décembre 2003, n° 02-18.033, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3757DAE), considérant que les dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle. Toutefois, des arrêts postérieurs, revenant sur la position adoptée par l’arrêt du 3 décembre 2003, ont pu rendre la lecture de la jurisprudence sur le sujet peu claire et semer le doute (v. par ex. Cass. civ. 3, 25 janvier 2006, n° 04-20.726, FS-D N° Lexbase : A5561DMW ; Cass. civ. 3, 11-03-2014, n° 12-28.396, F-D N° Lexbase : A9319MGA ; Cass. civ. 3, 7 janvier 2021, n° 19-23.269, F-D N° Lexbase : A89374BM).
Avec les trois arrêts rapportés, la troisième chambre civile affirme donc clairement sa position.
On notera que l’importance de la solution est signalée par la publication des trois arrêt au bulletin, aux lettres de la chambre et au rapport, mais également par celle de l’avis de l’avocate générale et du rapport du conseiller relatifs à l’arrêt de rejet (n° 22-10.298).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les obligations du preneur du bail commercial, Le régime de la responsabilité du preneur pour dégradations et pertes, in Baux commerciaux (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E9266BXH. |
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