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par Vincent Vantighem
le 24 Juin 2024
Impossible de passer à côté. Depuis le 9 juin, la politique s’immisce dans toutes les couches de la société, par toutes les brèches. Dans tous les domaines. À la télévision évidemment qui semble en « édition spéciale » depuis des semaines. Ou aux dîners de famille où d’aucuns se lancent dans des comparaisons des programmes économiques des partis en concurrence. Comment la justice aurait-elle pu passer à travers les mailles du filet ? Elle s’en est bien rendue compte, mardi 18 juin, à Nanterre (Hauts-de-Seine) où le tribunal jugeait trois responsables ou ex-responsables du Rassemblement national. De renvoi en renvoi, l’affaire traînait depuis des années. Et il a fallu que le calendrier judiciaire la place là, en ce mardi à quelques jours d’élections législatives anticipées qui pourraient bouleverser la France.
Ironie de l’histoire : il était bien question pour la justice de discuter de politique. Ou plutôt de légalité de la politique. Car les trois responsables du parti de Marine Le Pen sont mis en cause pour avoir incité à appliquer « la priorité nationale », pierre angulaire du programme de leur parti. Comment ? En ayant participé à la rédaction, il y a plus de dix ans, d’un « guide de l’élu RN ». De quoi les faire comparaître pour « complicité de provocation à la discrimination ». Ainsi sont visés Steeve Briois, l’actuel maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Sophie Montel qui a quitté la formation lepéniste en 2017 et Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck, adjointe au maire de Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; tous pour leur participation présumée, donc, à ce « guide de l’élu RN ».
Un guide pratique datant de 2014
Tout avait donc commencé en 2014 lorsque l’association La Maison des Potes, partie civile à la procédure, avait découvert ce Petit guide pratique de l’élu municipal Front national. Dans ce document édité avant les municipales de mars 2014 – un autre temps – le FN recommandait à ses candidats « l’application des nombreux points du programme du Front national », et notamment « la priorité nationale dans l’accès aux logements sociaux ».
Marie-Thérèse Casta-Fesenbeck est soupçonnée d’avoir mis en ligne le document sur le site internet de la fédération des Pyrénées-Orientales du FN qu’elle dirigeait alors. Sophie Montel de l’avoir rédigé. Quant à Steeve Briois, il avait rédigé la préface en sa qualité de secrétaire général du parti. Toute la question étant de savoir si cette fameuse préférence nationale, cette « priorité », est une idée politique ou un délit pénal.
« Derrière les mots, une réalité » raciste ?
Avant d’aborder le fond de cette question, les parties au procès se sont d’abord écharpés sur le fait de savoir s’il fallait plaider l’affaire maintenant, en pleine campagne pour les élections législatives anticipées. La défense des prévenus a ainsi demandé le renvoi, le temps que l’idée au cœur des débats soit soumise et tranchée par le vote des millions d’électeurs. Du côté des parties civiles, évidemment, l’analyse était toute différente. L’avocat Jérôme Karsenti a ainsi demandé de quoi ils avaient peur, en ce jour de commémoration de l’appel du 18-Juin du général de Gaulle, appelant à la résistance de la justice. C’est ce qui fut fait.
Après quelques heures de débat sur le renvoi, le procès s’est donc bien tenu dans une ambiance électrique. Représentant La Maison des Potes qui avait donc lancé l’affaire en 2014, Jérôme Karsenti a notamment expliqué que le guide en question était un « guide pratique », sous-entendant que nous n’étions pas là dans un « principe théorique ». « On sait bien que derrière les mots, il y a une réalité, a-t-il plaidé. Les étrangers sont visés, les immigrés sont visés et tous ceux qui n’ont pas l’apparence de ceux que les prévenus considèrent comme français ». De quoi caractériser à ses yeux le délit de provocation à la haine raciale.
Jusqu’à six mois de prison avec sursis requis
Côté défense, Rodolphe Bosselut, qui conseille Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck a dénoncé « une démarche liberticide » et qualifié le guide de « vademecum didactique ». « Vous allez interdire le débat politique », s’est-il insurgé allant même jusqu’à prétendre que la priorité nationale ne serait pas pour lui, « ontologiquement raciste. »
Au milieu de cette arène politique, le procureur a fini par prendre position. « On a une incitation claire à commettre cette distinction entre Français et étrangers. Ce sont des instructions qui sont carrément données aux élus. » Et il a requis des peines allant jusqu’à six mois de prison avec sursis, notamment à l’encontre de Steeve Briois.
Le jugement a été mis en délibéré à la date du 3 septembre. La France disposera, à cette date-là, d’un nouveau gouvernement. Reste à savoir de quelle couleur il sera.
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