La lettre juridique n°545 du 24 octobre 2013 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L'exécution du contrat continué

Réf. : Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-21.659, F+P+B (N° Lexbase : A4929KL7)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy)

le 24 Octobre 2013

La continuation des contrats en cours au jour de l'ouverture de la procédure collective de l'un des cocontractants est plus fréquemment évoquée en jurisprudence, en ce qui concerne la décision de le continuer, que s'agissant de l'exécution du contrat au cours de la période d'observation, puis, ultérieurement après l'adoption d'un plan. Tel est le thème central dans l'affaire à l'origine de l'arrêt rendu le 17 septembre 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Ainsi, le redressement judiciaire d'une société a été prononcé par jugement du 5 mai 2009. Celle-ci disposait de locaux grâce à un contrat de crédit-bail immobilier. Les deux propriétaires indivis ont déclaré leurs créances de redevances impayées ainsi que l'indemnité de résiliation. Le plan de redressement de la société débitrice a été arrêté par jugement du 7 décembre 2010. Ce dernier prévoyait le règlement des créances privilégiées et chirographaires définitivement admises à 100 % en dix dividendes égaux, annuels et suivis, le premier dividende devant intervenir un an après l'arrêté du plan. Quelques jours après le jugement adoptant le plan, les crédits-bailleurs ont délivré un commandement de payer à la société débitrice, visant la clause résolutoire. Par la suite, ils ont saisi le juge des référés en constatation de l'acquisition de cette clause, expulsion et condamnation au titre de l'exécution, à titre de provision, des redevances impayées. La société débitrice a soulevé l'incompétence de ce juge au profit du tribunal de la procédure collective. Par un arrêt du 21 juin 2012, la cour d'appel de Douai (1) a rejeté ces prétentions, considérant que le tribunal de grande instance était compétent. Elle a constaté la résiliation du contrat de crédit-bail immobilier, prononcé l'expulsion de la débitrice et condamnée cette dernière à payer la somme provisionnelle de plus de 598 000 euros. La débitrice et le commissaire à l'exécution du plan ont formé un pourvoi soutenant que seul le tribunal de la procédure collective est compétent s'agissant d'un contrat continué (I) et que les loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective étaient compris dans le plan de redressement (II). Par son arrêt du 17 septembre 2013, la Cour de cassation rejette leur pourvoi.

I - Contrat continué et compétence du tribunal de la procédure collective

Dans la présente affaire, la discussion porte sur la compétence matérielle du tribunal de la procédure. L'attraction de la compétence de cette juridiction modifie l'application des règles de droit commun de rattachement de compétence matérielle. Cette dérogation doit être mise en application pendant toute la durée de la procédure collective (2). Ainsi, en application de l'article R. 662-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L9419ICT), le tribunal saisi d'une procédure collective "connaît de tout ce qui concerne" cette procédure ainsi que des actions en responsabilité diligentées à l'encontre du débiteur ou des personnes dont la responsabilité est susceptible d'être recherchée par les organes de la procédure ou le ministère public. Une question pratique est soulevée dans la présente affaire : que faut-il entendre par "tout ce qui concerne la procédure" en matière de contrat en cours, ou plus exactement en matière de contrat continué après l'ouverture de la procédure, en l'occurrence le redressement judiciaire de la société débitrice ?

La règle est ancienne (3) et la réponse traditionnelle, car elle a été formulée en jurisprudence depuis plus de 120 ans (4). Elle a été reprise par les législations successives postérieures tout en étant adaptée en fonction du changement des appellations des procédures collectives depuis cette époque. Pour cette raison, l'article R. 662-3 décline cette règle aux procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire. En outre, elle a été adaptée au patrimoine affecté de l'EIRL, l'article L. 680-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L8964INC) disposant que les contestations relatives à l'affectation des éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui s'élèvent à l'occasion de la procédure ouverte à l'égard de ce patrimoine, sont de la compétence du tribunal de la procédure collective (5). Enfin, il semble que cette règle soit d'ordre public (6).

Conformément à la jurisprudence actuelle, constitue une action entrant dans la compétence matérielle du tribunal de la procédure, celle relative à une contestation née de la procédure collective ou sur laquelle la procédure exerce une influence juridique (7). En matière de contrat en cours, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment apporté des précisions utiles. Ainsi, dans un arrêt rendu le 18 juin 2013 (8), elle considère que le juge-commissaire dispose d'une compétence exclusive en matière de résiliation d'un contrat en cours. En l'occurrence, il s'agissait de savoir si un contrat, en cours lors de l'ouverture de la procédure, serait ou non poursuivi. En outre, s'agissant d'un contrat de concession du domaine public, il s'agissait de savoir si la contestation était de la compétence de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif (9). La Cour de cassation a clairement indiqué, que pour cette question, seul le tribunal de la procédure (ici, le juge-commissaire), est compétent pour connaître cette contestation.

La question est différente dans la présente affaire, car la décision de poursuite du contrat a déjà été prise au cours de la procédure, pendant la période d'observation du redressement judiciaire. La Cour de cassation a déjà précisé qu'échappe à la compétence du tribunal de la procédure les contestations relatives à des fautes contractuelles commises après le jugement d'ouverture, dès lors que la contestation n'est pas née de la procédure collective et n'est pas soumise à l'influence juridique de celle-ci (10). L'arrêt du 17 septembre 2013 se situe dans la droite ligne de ces décisions. La constatation de l'acquisition de la clause résolutoire pour non-paiement des redevances échues postérieurement au jugement d'ouverture n'est pas une contestation née de la procédure, et cette dernière n'y exerce aucune influence juridique. Par conséquent, le juge de droit commun est compétent, en l'occurrence le juge des référés. Reste alors à savoir si les sommes dues étaient effectivement exigibles au jour de la délivrance du commandement de payer par les crédit-bailleurs.

II - Contrat continué et paiement des créances postérieures privilégiées

Afin de savoir si les sommes prétendues impayées par les créanciers étaient effectivement exigibles au jour de la délivrance du commandement de payer, il faut s'interroger sur l'influence du plan de redressement sur le paiement des créances dues par le débiteur. De manière indirecte, la solution est pressentie par le rejet de la compétence du tribunal de la procédure collective.

En effet, après l'option pour la continuation des contrats en cours, l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) trouve à nouveau à s'appliquer : le contrat est la loi entre les parties. Par conséquent, si toutes les créances dues au jour de l'ouverture de la procédure collective doivent être déclarées entre les mains du mandataire judiciaire désigné, les créanciers doivent distinguer, dans leur déclaration de créances, les créances échues, c'est-à-dire celles qui sont effectivement impayées au jour l'ouverture de la procédure, des créances à échoir, qui ne sont pas encore exigibles à cette date. Lorsque ces dernières entrent par la suite, dans la catégorie des créances postérieures privilégiées, elles doivent être réglées à leur échéance. Il en est ainsi lorsque le contrat en cours lors de l'ouverture de la procédure est continué au cours de la période d'observation.

Ultérieurement, dans le cadre de la préparation du plan, seules les créances antérieures et les créances postérieures non prioritaires, c'est-à-dire celles qui sont soumises à la règle de l'interdiction des paiements et des poursuites individuelles (11) font partie du passif à régler dans le cadre de l'exécution du plan, après qu'il ait été arrêté par le tribunal. Pour les autres créances, et tout spécialement les créances postérieures privilégiées de l'article L. 622-17, I du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), elles sont réglées aux échéances normalement prévues, et ce, même si elles sont rappelées dans le cadre du plan de redressement. Pour cette raison, les créanciers, ayant des créances répondant à cette catégorie, qui n'ont pas été réglées par la société débitrice alors qu'elles sont échues postérieurement à l'ouverture de la procédure, peuvent exercer des poursuites individuelles. Ils peuvent également faire constater la résiliation du contrat.

C'est pourquoi la Cour de cassation indique que la cour d'appel avait rappelé que le commandement de payer visant la clause résolutoire ne portait pas sur des redevances antérieures au jugement d'ouverture. Par conséquent, la créance litigieuse bénéficiant du privilège de l'article L. 622-17 du Code de commerce, elle n'est pas visée par le jugement arrêtant le plan de redressement de la société débitrice. C'est le retour de la souveraineté du droit commun, par la limitation de l'impérialisme du droit des entreprises en difficulté ! Dès lors, le contrat est résilié et la société débitrice condamnée à payer, ce qui, inéluctablement, provoque la remise en cause du plan de redressement, avant même le paiement de la première échéance.


(1) CA Douai, 3ème ch. civ., 21 juin 2012, n° 11/08692 (N° Lexbase : A3644IPN).
(2) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz-Action, 2013-2014, n° 312.11.
(3) Pour avoir été formulée par le législateur depuis 1838 (P.-M. Le Corre, préc. n ° 312.11).
(4) Cass. Req, 29 octobre 1888, DP 1889, I, p. 13.
(5) Ch. Lebel, L'EIRL en difficulté, ou l'adaptation du Livre VI du Code de commerce à l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du patrimoine d'affectation d'un débiteur personne physique, Rev. Lamy Droit des Affaires, 2011, 3210.
(6) J.-L. Vallens, in Lamy Droit Commercial, 2012, n° 2525.
(7) Cass. com., 8 juin 1993, n° 90-13.821, publié (N° Lexbase : A5421ABE), Bull. civ. IV, n° 233
(8) Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-14.836, FS-P+B (N° Lexbase : A1819KHT), nos obs. Compétence exclusive du juge-commissaire en matière de contrat en cours, Lexbase Hebdo n° 348 du 25 juin 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8300BTL) ; Dalloz Actualité, 26 juin 2013, obs. A. Lienhard.
(9) T. confl., 26 mai 2003, n° 3554 (N° Lexbase : A9516DRU); LPA, 7 novembre 2003, note Brandeau, RTDCom., 2004, p. 154, obs. A. Martin-Serf, à propos d'une créance fiscale ; Cass. civ. 1, 4 mai 2012, n° 10-26.115, F-D (N° Lexbase : A6642IK9), nos obs., Compétence du tribunal de la procédure pour apprécier la connexité entre créances résultant de contrats administratifs, Lexbase Hebdo n° 300 du 14 juin 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N2446BTR), à propos de la connexité entre deux créances lorsque le créancier est une personne publique.
(10) Cass. com., 7 février 2012, n° 11-10.851, F-P+B (N° Lexbase : A3528ICN), Bull. civ IV, n° 28 ; D., 2012, Act. 496, note A. Lienhard ; Act proc. coll., 2012, comm.. 80, note L. Fin-Langer, Rev. proc. coll., 2012, comm.. 59, note P. Cagnoli ; DPDE Bull. 335, mars 2012, p. 1, note Ph. Roussel Galle.
(11) C. com., art L. 622-7 (N° Lexbase : L3389ICI) et s..

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