Réf. : Cass. com., 2 mai 2024, n° 22-21.642, F-B N° Lexbase : A8861293
Lecture: 7 min
N9287BZY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jérôme Lasserre Capdeville
le 16 Mai 2024
►La banque ayant consenti des prêts assortis de la proposition d’adhérer à un contrat d’assurance de groupe est tenue, en l’absence d’adhésion de l’emprunteur à cette assurance, de l’éclairer sur les risques d’un défaut d'assurance au regard de sa situation personnelle. Il incombe à la banque de rapporter la preuve qu’elle a exécuté cette obligation.
La grande majorité des crédits immobiliers est aujourd’hui associée à une assurance. En effet, il est fréquemment demandé au client de souscrire à un contrat d'assurance collective. Cette assurance garantit l'emprunteur, en cas de survenance de certains risques définis par le contrat, par exemple le décès, l'invalidité ou le chômage, soit le remboursement total ou partiel du montant du prêt restant dû, soit le paiement de tout ou partie des échéances du prêt en question. Les banques sont ainsi prémunies contre le risque pour l'emprunteur de ne plus pouvoir payer les échéances de son prêt en raison d'accident de la vie.
Le client se verra ainsi souvent proposer, par le banquier prêteur, un contrat d’assurance de groupe. Pour mémoire, le contrat d'assurance de groupe est le contrat souscrit par une personne morale, et plus particulièrement une banque, ou un chef d'entreprise « en vue de l'adhésion d'un ensemble de personnes répondant à des conditions définies au contrat, pour la couverture des risques dépendant de la durée de la vie humaine, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ou du risque de chômage » (C. assur., art. L. 141-1 N° Lexbase : L2643HWS).
Or, il y a 15 ans, la Cour de cassation est venue prévoir une obligation supplémentaire en la matière : l’obligation d’éclairer « sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur » (Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, P+B+R+I N° Lexbase : A4358DUX).
Le banquier souscripteur doit ainsi fournir un certain nombre d’explications sur le contrat, et plus particulièrement son exacte couverture afin de le rendre parfaitement compréhensible pour l'adhérent concernant l'adéquation des risques couverts par le contrat d'assurance à sa situation. Cette solution a été confirmée, par la suite, par plusieurs chambres de la Cour de cassation (v., par ex., Cass. civ. 2, 2 octobre 2008, n° 07-15.276, FS-P+B N° Lexbase : A5871EAP ; Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 07-19.867, F-P+B N° Lexbase : A6393ECR ; Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-20.639, F-D N° Lexbase : A2990ZIL). Ce devoir d’éclairer, qui constitue aujourd'hui une manifestation de l’obligation plus large d’information et de conseil pesant sur le banquier souscripteur d’une assurance de groupe, se retrouvait dans l’arrêt sélectionné.
Faits et procédure. M. V. avait souscrit 21 prêts immobiliers entre 2001 et 2008 auprès de la banque X., pour financer l’acquisition et les travaux de rénovation de plusieurs biens immobiliers à usage locatif, sans adhérer à l’assurance de groupe proposée par le prêteur. Puis, le 29 octobre 2010, un protocole d’accord de rééchelonnement de la totalité des prêts avait été conclu entre M. V. et la banque.
Or, le 27 septembre 2012, M. V. avait été en mis en arrêt de travail à la suite d’une maladie dégénérative.
Le 14 décembre 2012, l’intéressé avait assigné la banque en responsabilité en lui reprochant de ne pas l’avoir mis en garde sur les risques qu’il encourrait à ne pas souscrire une assurance décès, invalidité et incapacité totale de travail.
La cour d’appel de Caen ayant, par une décision du 23 juin 2022 (CA Caen, 23 juin 2022, n° 20/01049 N° Lexbase : A7738784), rejeté son action en responsabilité à l’encontre de la banque fondée sur le manquement à l’obligation de conseil quant à l'adhésion aux assurances facultatives, tout en le condamnant à payer diverses sommes au titre des prêts, M. V. avait formé un pourvoi en cassation.
Décision. Ce dernier se révèle utile puisque la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond en ce qu’elle rejette la demande de dommages et intérêts de M. V. fondée sur un manquement de la banque à son obligation d'information et de conseil quant à la souscription d'une assurance.
Deux rappels sont faits par la Haute juridiction. En premier lieu, il résulte de l’ancien 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016) que le banquier qui propose à son client, auquel il consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l’exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur, la remise d'une notice claire ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation.
En second lieu, il découle de l’ancien article 1315 du Code civil (devenu l’article 1353 N° Lexbase : L1013KZK) que c’est au débiteur d’une obligation de rapporter la preuve de son exécution.
Or, pour écarter la responsabilité de la banque, l’arrêt de la cour d’appel énonçait que le devoir d’information du prêteur sur l’étendue de l’assurance supposait que l’emprunteur souscrive à l’assurance de groupe qui lui était proposée par le prêteur. Puis, après avoir relevé que les contrats de prêts litigieux contenaient une information sur l’assurance de groupe souscrite par la banque et la possibilité pour l’emprunteur de souscrire une garantie équivalente auprès de l’assureur de son choix, l’arrêt des juges du fond avait retenu que M. V. avait reconnu avoir été informé des clauses et conditions de l’assurance de groupe et avait renoncé, en toute connaissance de cause, à y adhérer, tout en relevant que, pour divers prêts, il s’était assuré auprès d’un autre assureur de son choix qui était tenu de l’informer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle pour en déduire que le manquement de la banque à son obligation d'information et de conseil n’était pas établi.
Dès lors, en statuant ainsi, alors, d’une part, que la banque, qui avait consenti des prêts assortis de la proposition d’adhérer à un contrat d'assurance de groupe, était tenue, en l’absence d’adhésion de l’emprunteur à cette assurance, de l’éclairer sur les risques d’un défaut d’assurance au regard de sa situation personnelle et, d’autre part, qu’il incombait à la banque de rapporter la preuve qu’elle avait exécuté cette obligation, la cour d'appel avait violé les textes précités.
Cette solution est importante. Il est donc attendu du banquier prêteur, proposant une assurance de groupe à l’emprunteur, qu’il informe ce dernier des risques qu’il encourt si aucune assurance emprunteur n’est finalement souscrite. Il devra, en outre, être en mesure de prouver qu’il a bien respecté cet « éclairage ». Les professionnels de la banque devront, très certainement, adapter leurs pratiques pour être désormais en conformité avec cette solution.
En revanche, il est noté par la Haute juridiction que le moyen ne comportait aucun grief sur le chef du dispositif condamnant M. V. à payer diverses sommes à la banque au titre des prêts impayés. Cette solution n’est donc pas remise en cause.
Pour aller plus loin : v. J. Lasserre-Capdeville, ÉTUDE : Le crédit immobilier, Les obligations d’information de l’assuré-emprunteur, in Droit bancaire (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E8583B4N. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:489287