Le Quotidien du 27 mai 2024 : Régimes matrimoniaux

[Brèves] Communauté : une reprise suppose que le bien existe encore physiquement au jour de la dissolution…

Réf. : Cass. civ. 1, 2 mai 2024, n° 22-15.238, F-B N° Lexbase : A885629U

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

le 24 Mai 2024

► Aux termes de l'article 1467, alinéa 1, du Code de procédure civile, la communauté dissoute, chacun des époux reprend ceux des biens qui n'étaient point entrés en communauté, s'ils existent en nature, ou les biens qui y ont été subrogés ; il en résulte que, saisie d'une demande de reprise de sommes d'argent, la juridiction doit vérifier que celles-ci existaient encore et étaient restées propres à l'époux demandeur à la date de la dissolution de la communauté.

Quelle est la différence entre une reprise et une récompense ? C’est à cette question que répond, fort justement, la Cour de cassation, en indiquant qu’une reprise suppose que le bien propre objet de la reprise existe encore physiquement au jour de la dissolution de communauté (ou qu’un bien lui ait été subrogé). Dans le cas contraire, si le bien propre a été absorbé par la communauté (soit qu’elle l’ait consommé, soit qu’il ait été vendu et le prix utilisé dans l’intérêt commun), ce sera une récompense qui sera due.

En l’espèce, pour décider que Juliette détient un droit à reprise d'un montant de 22 867 euros, une cour d’appel retient que, Roméo ne rapportant pas la preuve d'une donation aux deux époux, les sommes reçues des parents de Juliette pendant le mariage doivent être considérées comme lui étant propres, et donc que celle-ci peut reprendre ladite somme à titre de reprise.

L’erreur de raisonnement des juges du fond est manifeste. Pour reprendre des deniers propres, il faut constater que ces deniers existent encore, c’est-à-dire que ces deniers propres n’ont pas été mélangés avec le moindre argent commun. Or, en l’espèce, jamais les juges du fond n’ont effectué un tel constat, alors pourtant que la fongibilité de la monnaie rendait fort peu probable la préservation « sans mélange » des deniers d’origine. Il ne pouvait donc être question d’une reprise de propres. Plus vraisemblablement, il s’agissait, en l’espèce, d’une récompense due par la communauté, mais à la condition que Juliette puisse prouver que ses deniers propres ont profité à la communauté (la nature du compte bancaire les ayant encaissés - compte-joint ou non - aidera peut-être à rapporter cette preuve).

Par conséquent, l’arrêt rappelle avec raison qu’une reprise se fait en nature, de ce bien-là, tel qu’il a toujours existé (tel qu’il était avant le mariage, ou au jour de la donation ou de la succession, et tel qu’il demeure au jour de la dissolution). Au contraire, une récompense est une opération comptable, en valeur, entre la communauté et l’une des masses propres, qui est une opération de compte (le compte des récompenses) dont seul le solde sera exigible. Les deux notions sont donc distinctes, et si l’on a pu parler à une époque de « reprises en valeur » (avant la réforme de 1965), l’expression est aujourd’hui à bannir, même si on la retrouve encore dans la pratique notariale.

Pour aller plus loin : v., J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2001, 2e éd., n° 553.

Enfin, notons qu’une reprise peut engendrer une récompense, par exemple quand le bien propre repris a été amélioré par des deniers communs. Il est repris avec l’amélioration, mais ce sera la récompense due au titre de l’amélioration par la masse propre à la communauté qui rétablira, en valeur, les droits de celle-ci. Cela peut être aussi vrai d’une récompense d’acquisition, quand le bien propre repris a été financé partiellement par la communauté. Mais gardons cela pour une prochaine fois…

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