Réf. : Cass. crim., 4 avril 2024, n° 22-80.417, FS-B N° Lexbase : A63342ZM
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par Adélaïde Léon
le 24 Avril 2024
► En présence de déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant la procédure en amont du jugement, entre la partie civile et le prévenu, il appartient aux juges, d’une part, de mettre en œuvres les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d’assurer la comparution de la partie civile à l’audience, afin de permettre à la défense qui en fait la demande, de l’interroger, d’autre part, de vérifier si l’absence de la partie civile est justifiée par une excuse légitime.
Rappel de la procédure. Une adolescente de 17 ans a déposé plainte contre un individu pour agression sexuelle sur personne dont la particulière vulnérabilité, due à une déficience physique ou psychique, était apparente ou connue de son auteur.
Le tribunal correctionnel a condamné l’homme visé par la plainte à deux ans d’emprisonnement avec sursis probatoire ainsi qu’à une confiscation. Le tribunal a également prononcé sur les intérêts civils.
L’intéressé a relevé appel du jugement de première instance suivi du ministère public à titre incident. La partie civile a également formé appel incident sur les dispositions civiles.
En cause d’appel. Le 12 janvier 2022, la cour d’appel a annulé le jugement déféré pour défaut de motivation, a rejeté l’exception de nullité soulevée et renvoyé l’examen de l’affaire.
Le 23 mars 2022, la cour d’appel a sollicité la transmission des scellés de l’enregistrement de l’audition de la partie civile afin qu’il puissent être mis à la disposition de la défense. La juridiction a toutefois refusé d’ordonner la comparution forcée de la partie civile, jugeant qu’une telle mesure est proscrite par les articles 422 N° Lexbase : L3829AZT et 424 N° Lexbase : L2836IPQ du Code de procédure pénale, et renvoyé l’examen de l’affaire.
Le 26 janvier 2023, la cour d’appel a finalement condamné le prévenu à deux d’emprisonnement avec sursis probatoire, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Le prévenu a formé des pourvois contre les arrêts du 12 janvier 2022, du 23 mars 2022 et du 26 janvier 2023.
Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir refusé d’ordonner la comparution forcée de la partie civile, sur les déclarations de laquelle reposait essentiellement la mise en cause du prévenu et celle-ci avait alors refusé de se confronter au prévenu tout au long de la procédure.
Il était également fait grief à la cour d’appel de s’être autorisée à se fonder essentiellement sur les déclarations de la partie civile pour déclarer le prévenu coupable des faits de la prévention et d’avoir simplement retenu que la confrontation de la plaignante et du prévenu avait été empêchée en raison de la très grande peur manifesté par cette dernière sans rechercher si ladite peur était caractérisée par des motifs objectifs corroborés par des éléments de la procédure.
Décision. La Chambre criminelle confirme qu’il n’est prévu nulle part dans le Code de procédure pénale que la partie civile puisse être contrainte à comparaître devant la juridiction correctionnelle.
Toutefois, la Haute juridiction précise qu’il convient de se pencher sur les textes et principes européens et vise les articles :
La Cour rappelle par ailleurs les principes dégagés par la jurisprudence européenne s’agissant du droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge, l’obligation pesant sur les juges qui doivent déployer tous les efforts que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour tenter d’assurer la comparution du témoin dont le témoignage est déterminant, l’importance de la comparution du témoin du point de vue de l’équité globale du procès.
S’agissant précisément de la personne se déclarant victime d’infractions sexuelles et invoquant la peur d’assister au procès, le juge doit notamment vérifier si toutes les autres possibilités, telles que l’anonymat ou d’autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en œuvre (CEDH, 27 février 2014, Lucic c. Croatie, n° 5699/11, § 75 [en anglais]).
La Chambre criminelle déduit de l’ensemble de ces éléments qu’en présence de déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant la procédure en amont du jugement, entre la partie civile et le prévenu, il appartenait aux juges, d’une part, de mettre en œuvres les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d’assurer la comparution de la partie civile à l’audience, afin de permettre à la défense, qui en avait fait la demande, de l’interroger, d’autre part, de vérifier si l’absence de la partie civile était justifiée par une excuse légitime.
En l’espèce, les juges n’ont pas ordonné la comparution personnelle de la partie civile à l’audience y compris par un moyen de télécommunication audiovisuelle alors qu’ils disposaient de cette faculté sans pour autant user de la contrainte. Ils n’ont pas davantage ordonné une expertise pour s’assurer que la comparution de la partie civile, à l’audience ou en visioconférence, se heurtait à un obstacle insurmontable.
Pour ce motif notamment, la Cour casse l’arrêt du 23 mars 2022.
Pour aller plus loin : ETUDE : Le jugement des délits, Le déroulement de l’audience correctionnelle, La place de la partie civile dans l’audience correctionnelle, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E9802ZQ4 |
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