Réf. : Cass. civ. 3, 4 avril 2024, n° 22-21.132, FS-B N° Lexbase : A63292ZG
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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D
le 19 Avril 2024
► En application de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil et du principe de la réparation intégrale, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, de sorte que la victime doit être indemnisée sans perte ni profit ;
Il en résulte que le juge du fond, statuant en matière extra-contractuelle, ne peut pas apprécier la réparation due à la victime au regard du caractère disproportionné de son coût pour le responsable du dommage.
Faits et procédure. En l’espèce, la requérante, après expertise judiciaire, a assigné son voisin en mise en conformité de sa maison avec les règles de hauteurs prévues par le plan local d’urbanisme et le permis de construire, des plantations avec les règles de distance ainsi qu’en indemnisation de son préjudice de jouissance. Il ressort en particulier de la décision que la construction réalisée excédait de soixante-dix centimètres la hauteur autorisée.
La cour d’appel accueille la demande en relevant que les hauteurs du faîtage et de l'égout en façade ouest excédaient celles prescrites par les permis de construire et que la construction réalisée privait sa voisine d'une grande partie de la vue panoramique sur la côte et le littoral ouest, limitait l'ensoleillement dont elle bénéficiait et réduisait la luminosité de l'une des pièces à vivre de sa maison (CA Saint-Denis, 17 juin 2022).
Le voisin forme un pourvoi en cassation en soutenant, en substance, que le coût de la mise en conformité (et donc de la réduction de la hauteur de la construction) était considérable, ce dont il résulterait que la sanction serait disproportionnée. En somme, seuls des dommages et intérêts devraient en ce cas être accordés.
Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi, au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9 et du principe de réparation intégrale : « le juge du fond, statuant en matière extra-contractuelle, ne peut apprécier la réparation due à la victime au regard du caractère disproportionné de son coût pour le responsable du dommage ». Elle en déduit que la cour d’appel, « ayant (…) caractérisé un préjudice résultant directement de la non-conformité de la construction aux prescriptions d'un permis de construire », « a pu en déduire que la démolition de la construction dans les limites des prescriptions du permis de construire modificatif devait être ordonnée ».
Le pourvoi semblait s’inspirer de l’article 1221 du Code civil N° Lexbase : L1985LKQ selon lequel l’exécution forcée ne peut pas être ordonnée s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.
Cette règle ne s’applique toutefois qu’en matière contractuelle et ne saurait être invoquée en matière extra-contractuelle : le requérant a alors droit à réparation intégrale de son préjudice, quel que soit le coût de la réparation, éventuellement sous la forme d’une mise en conformité.
La décision contraste avec celle rendue par la même chambre le 6 juillet 2023, certes en matière contractuelle, qui n’avait pas exclu le contrôle de proportionnalité dans le cadre d’une action en réparation du préjudice. La Haute juridiction avait énoncé que « le juge saisi d'une demande de démolition-reconstruction d'un ouvrage en raison des non-conformités qui l'affectent, que celle-ci soit présentée au titre d'une demande d'exécution forcée sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ou, depuis la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance, sur le fondement de l'article 1221 du même code, ou sous le couvert d'une demande en réparation à hauteur du coût de la démolition-reconstruction, doit rechercher, si cela lui est demandé, s'il n'existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des conséquences dommageables des non-conformités constatées » (Cass. civ. 3, 6 juillet 2023, n° 22-10.884, N° Lexbase : A3798988).
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