La lettre juridique n°544 du 17 octobre 2013 : Sociétés

[Jurisprudence] L'opposabilité d'une cession de parts sociales non publiée au RCS

Réf. : Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-24.083, FS-P+B (N° Lexbase : A9464KL4)

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

le 17 Octobre 2013

L'arrêt rendu le 24 septembre 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui aura les honneurs du Bulletin, permet de revenir sur la délicate question de l'incidence du défaut de réalisation des formalités de publicité requises pour l'opposabilité aux tiers d'une cession de parts sociales. En affirmant que, dès lors que le tiers a eu une connaissance personnelle de la cession, le défaut de réalisation des formalités de publicité ne lui permet pas d'invoquer l'inopposabilité de la cession à son égard, la Haute juridiction vient renforcer la prééminence du fait sur le droit.

En l'espèce une cession de parts sociales de société civile immobilière avait été réalisée, par acte sous seing privé, le 7 avril 1993 sans faire l'objet d'aucune mesure de publicité. Quelques jours plus tard, le 28 avril 1993, la SCI avait procédé à l'acquisition de divers biens immobiliers à l'aide d'un prêt consenti par un établissement de crédit. A la suite d'un défaut de paiement des échéances du prêt, la banque a engagé une procédure de saisie immobilière à l'encontre de la société. C'est dans ce contexte que, craignant sans doute d'être actionnés en paiement de la dette sociale en qualité d'associés, les cédants des parts sociales ont fait assigner la banque pour faire juger que celle-ci ne pouvait poursuivre à leur encontre le paiement de la dette sociale dès lors qu'ils avaient perdu la qualité d'associé à compter du 7 avril 1993, date du transfert de propriété des parts à l'acquéreur. Un point de procédure est en premier lieu abordé par l'arrêt commenté portant sur la question de savoir s'il est nécessaire de mettre en cause la société et les associés dans un litige relatif à l'opposabilité à un tiers d'une cession de parts sociales. De manière très ferme, la Chambre commerciale pose comme principe que l'ancien associé qui engage une action tendant à faire déclarer opposable à un tiers la cession de ses parts n'est pas tenu de mettre en cause la société, dont les parts ont fait l'objet de la cession, non plus que les autres associés. L'auteur du pourvoi faisait valoir, non sans quelque raison, que, dès lors qu'il s'agit de statuer sur la qualité d'associé à la suite d'une cession de parts sociales, il conviendrait que la société et les associés soient présents à l'instance afin qu'ils puissent, le cas échéant, s'expliquer sur la cession litigieuse et que, selon le sort du contentieux, la société puissent connaître la personne ayant finalement la qualité d'associé. La Cour de cassation s'en tient à une approche stricte, privilégiant le fait que le litige est seulement lié à un tiers à l'égard duquel la question de l'opposabilité de la cession est en jeu. Dès lors que la question de la qualité d'associé ne touche ni la société, ni les associés, ils n'ont pas à être mis en cause lors d'un tel litige.

L'arrêt est intéressant en ce qu'il impose, d'abord, de rappeler que si, en principe, l'opposabilité aux tiers d'une cession de parts sociales est subordonnée à l'accomplissement de formalités de publicité (I), il en est autrement, à titre exceptionnel, lorsque la preuve peut être apportée que le tiers avait une connaissance personnelle de la cession de parts litigieuse (II).

I - Le principe : l'opposabilité conditionnée par la publicité de la cession

En ce qui concerne les sociétés civiles, l'opposabilité aux tiers de la cession de parts sociales est conditionnée, selon les termes de l'article 1865 du Code civil (N° Lexbase : L2062ABY), d'une part, par l'accomplissement des formalités requises pour l'opposabilité à la société elle-même et, d'autre part, par la publication de l'acte de cession. Les premières formalités consistent soit en la signification à la société de la cession, soit en l'acceptation par elle exprimée dans un acte authentique. Si les statuts le prévoient, ces formalités peuvent être remplacées par un transfert des parts sur les registres de la société. La seconde exigence formelle, propre à l'opposabilité aux tiers de la cession, consiste en un dépôt, en annexe au registre du commerce et des sociétés, de l'original de l'acte de cession s'il est sous seing privé ou d'une copie authentique celui-ci s'il est notarié (décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, art. 52 N° Lexbase : L1376AIS).

En l'espèce, c'est bien cette dernière formalité de publicité au RCS qui avait été omise et il n'était pas invoqué de tenter de profiter de l'assouplissement jurisprudentiel permettant, même si l'acte de cession n'a pas été déposé au greffe, de rendre la cession opposable aux tiers dès lors que les statuts mis à jour constatant cette cession ont été publiés (v. Cass. com., 18 décembre 2007, n° 06-20.111, F-P+B N° Lexbase : A1240D3C, Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 287, note P. Le Cannu).

Le défaut d'accomplissement de ces formalités aboutit à ce qu'à l'égard des tiers, le cédant n'a jamais cessé d'être propriétaire des parts sociales en cause. Dès lors, conservant, aux yeux des tiers, la qualité d'associé, il demeure tenu des dettes sociales exactement dans les mêmes conditions qu'avant la cession. C'est sur cet effet légal du défaut d'accomplissement des formalités de publicité que le banquier prêteur pouvait, en l'espèce, a priori, s'appuyer pour engager une action en paiement du solde du prêt, contracté par la société, et dont les échéances n'étaient plus honorées. La jurisprudence porte témoignage de cette règle en déclarant une banque fondée à réclamer à un cédant de parts sociales le paiement de sommes non remboursées par la société, en proportion des droits sociaux qu'il détenait précédemment à une cession de parts, dès lors que celle-ci n'avait pas fait l'objet des formalités de publicité requises par les textes (v. CA Paris, 25 septembre 1990, BRDA, 11/91, p. 11).

II - L'exception : l'opposabilité attachée à la connaissance de la cession

Il ressort du présent arrêt que la règle de l'opposabilité aux tiers de la cession, posée à l'article 1865, alinéa 2, du Code civil, conditionnée par l'accomplissement de formalités de publicité, comme exposé ci-dessus, est écartée dès lors que le tiers concerné avait une connaissance personnelle de la cession des parts sociales.

En l'espèce, la cession non publiée faisait l'objet d'une mention expresse dans l'acte par lequel la société se portait acquéreur de biens immobiliers et qui constatait également le prêt consenti par la banque. En outre, l'acte de cession était annexé à cet acte d'achat d'immeuble et d'emprunt. La banque étant partie audit acte, en sa qualité de prêteur, elle avait donc eu une connaissance personnelle de cette cession et cet élément de fait la prive du droit d'invoquer l'inopposabilité de la cession à son égard. Le bénéfice de l'article 1865, alinéa 2, du Code civil lui est retiré. Cette position apparaît pleinement fondée. Le banquier était à l'évidence de mauvaise foi en faisant valoir l'inopposabilité à son égard d'un acte dont il avait parfaitement connaissance puisqu'il était relaté à l'acte constatant le prêt qu'il consentait à la société.

Un parallèle peut ici être fait avec les règles de la publicité foncière. On sait en effet que, pour la jurisprudence se prononçant au regard de l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 (N° Lexbase : L9182AZ4), la règle de l'inopposabilité aux tiers des actes soumis à publicité foncière (par application du 1° de l'article 28 dudit décret) et qui n'ont pas fait l'objet de la publicité requise est écartée dès lors qu'il est établi que le tiers avait une connaissance personnelle de l'acte antérieur (v. not., Cass. civ. 3, 28 mai 1979, n° 77-14.164, publié N° Lexbase : A3348CK9, Bull. civ. III, n° 116 ; Cass. civ. 3, 26 novembre 2003, n° 02-15.492, FS-D N° Lexbase : A3215DAC, AJDI, 2004, p. 231, note S. Prigent).

Au regard de l'arrêt ici rapporté, il apparaît donc qu'en matière de cession de parts sociales comme en matière d'immeubles, les règles d'opposabilité d'un acte aux tiers peuvent être écartées dès lors que le tiers concerné a une connaissance personnelle de l'acte en cause. La mauvaise foi est ici convoquée pour contrecarrer ce qui pourrait être considéré comme un effet d'aubaine injustifié. L'inopposabilité d'un acte à défaut d'accomplissement des formalités de publicité est une règle de sécurité juridique indispensable à la protection des intérêts légitimes des tiers. Cette légitimité tombe lorsqu'il est établi que le tiers avait une parfaite connaissance personnelle de l'acte en cause.

Une observation finale nous paraît pouvoir être présentée, tenant à la possibilité d'exiger le recours à la forme authentique pour les actes de cession des parts de société civile immobilière et à prépondérance immobilière. L'article 70 quater du projet de loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 17 septembre 2013, prévoit en effet, par l'ajout d'un alinéa à l'article 1861 du Code civil (N° Lexbase : L2058ABT), d'imposer, dans de telles hypothèses, l'acte authentique pour les cessions de parts sociales. Au regard de l'arrêt commenté, la réforme pourrait paraître opportune. En effet, on sait qu'il incombe au notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, de procéder, sans même qu'il ait reçu mandat pour ce faire, aux formalités correspondantes dont le client se trouve alors déchargé telles que, en l'occurrence, la publicité de la cession des parts sociales par dépôt en annexe au registre du commerce et des sociétés (v. Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-19.190, F-P+B+I N° Lexbase : A6113HY3, Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 147, note V. Allegeart ; D. Gibirila, Les enjeux de la publicité d'une cession de parts sociales, Lexbase Hebdo n° 270 du 27 octobre 2011 - édition affaires N° Lexbase : N8354BS9). Si cette modification du droit positif devait voir le jour, on peut penser que le litige dont il est fait état dans l'arrêt commenté n'aurait plus lieu d'être. Les formalités d'opposabilité de la cession de parts sociales seraient nécessairement accomplies.

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