Réf. : Cass. crim., 4 octobre 2023, n° 23-81.287, F-B N° Lexbase : A03671KS
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par Trystan Lauraire, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux – ISCJ, Avocat au barreau de Marseille
le 24 Janvier 2024
Mots‑clés : procédure pénale • droits de la défense • droit à l’assistance d’un avocat • instruction préparatoire • témoin • confrontation • articles 11, 101, 102, 113‑3 et 114 du Code de procédure pénale • nullité • grief présumé
Au regard des articles 11, 101, 102, 113‑3 et 114 du Code de procédure pénale, l’assistance d’un témoin lors d’une confrontation ou d’une audition en phase d’instruction est une irrégularité relative aux conditions d’administration de la preuve faisant nécessairement grief.
Le droit à l’assistance d’un avocat a connu, depuis plus d’une décennie, des évolutions majeures en faveur d’une plus grande protection du mis en cause. Parmi les changements notables, le critère générant la reconnaissance de ce droit subjectif a, notamment dans le cadre des auditions policières, peu à peu glissé de la contrainte à la suspicion [1]. À l’aune de cette nouvelle clé de lecture, se posait alors la question de la possibilité pour un témoin d’être assisté par un avocat, lors d’une audition ou d’une confrontation, dans le cadre d’une instruction préparatoire. Aussi, si l’interrogation relative au devenir procédural de tels actes d’investigation s’avère, à la lecture de l’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 4 octobre 2023 [2], résolue, le questionnement autour de la position adoptée demeure, lui, particulièrement opportun, notamment quant à l’attribution des droits de la défense sans la qualité de partie au procès [3].
En l’espèce, à la suite d’une plainte pour des faits de viol et d’agression sexuelle à l’encontre du père de la partie civile, un juge d’instruction fait procéder à une confrontation entre cette dernière, le mis en cause, placé sous le statut de témoin assisté et deux témoins, la sœur et la mère de la partie civile qui, toutes les deux, étaient assistées par un avocat dont l’un avait obtenu une copie du dossier avant la confrontation.
Saisie par le juge d’instruction, la chambre de l’instruction considéra que la confrontation ne devait pas être annulée en raison, notamment, de l’absence de grief puisque le procès‑verbal de confrontation ne faisait aucune mention d’une intervention ou d’une observation du conseil de l’un des témoins. La partie civile forma alors pourvoi auquel la Chambre criminelle répondit, sans détour ni nuance, en sanctionnant la position adoptée par les juges du fond.
Au visa des articles 11 N° Lexbase : L1309MAQ, 101 N° Lexbase : L3434AZ9, 102 N° Lexbase : L1003DYS, 113‑3 N° Lexbase : L3174I3X et 114 N° Lexbase : L2767KGL du Code de procédure pénale, la Haute juridiction rappelle, d’abord, que « seules les personnes mises en examen, les parties civiles et les témoins assistés peuvent être assistés, lorsqu’ils sont entendus par le juge d’instruction, par un avocat qui peut accéder au dossier de la procédure, un témoin ne pouvant bénéficier d’une telle assistance ». La Cour précise, ensuite, que « l’assistance d’un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d’administration de la preuve qui fait nécessairement grief ». Enfin, cette dernière ajoute que « l’accès au dossier de la procédure par un avocat qui assiste un témoin constitue une violation du secret de l’instruction ».
De par ses motifs, la solution adoptée interpelle à deux égards. En premier lieu, la Cour souligne l’irrégularité de l’assistance, par un avocat, d’un témoin lors d’une audition ou d’une confrontation devant le juge d’instruction (I). Outre ledit manquement, les magistrats du Quai de l’Horloge y attachent, en second lieu, un régime de sanction qui, faute de motivation convaincante, ne fait que participer à un climat de défiance à l’endroit des avocats [4] (II).
I. L’irrégularité
En se fondant sur les articles 11, 101, 102, 113‑3 et 114 du Code de procédure pénale, la Cour offre, dans les motifs de la décision commentée, un raisonnement en deux temps puisant sa force dans de (fausses) évidences. La Cour vise en effet des textes pour énumérer, dans un premier temps, les intervenants à la procédure ayant droit à l’assistance d’un avocat et en déduire, dans un second temps, que le témoin ne peut bénéficier d’une telle assistance. Le raisonnement se veut, presque mathématique, de sorte qu’en bonne gardienne de la loi, la Cour considère que tout ce que cette dernière n’a pas explicitement prévu demeure, par principe, prohibé. Or, force est de constater que la Haute juridiction répressive a pu, par le passé, se montrer moins regardante lorsqu’il s’agissait d’avoir une lecture constructive – quoique pas trop quand même à en juger par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme [5] – de l’article 81 N° Lexbase : L9490LP8 du Code de procédure pénale [6].
De manière quelque peu manichéenne, il est possible de considérer que le Code de procédure pénale serait un texte autorisant, là où le Code pénal est, à l’inverse, une compilation de prohibitions. Pour autant, la logique voulant que ce qui n’est pas prévu par la loi soit, de facto, irrégulier repose sur un postulat faisant de la procédure la sœur jumelle de la liberté, pour reprendre la formule consacrée, puisque la prohibition de l’arbitraire et, partant, le droit à la sûreté, reposerait notamment sur l’existence d’une loi, ou à tout le moins, d’une norme claire et précise. En considération d’un tel fondement, le raisonnement apparaitrait alors très peu transposable à la seule reconnaissance d’un droit subjectif à l’un des intervenants à la procédure. Passé le cap de « l’évidence », l’argument tenant à l’absence de texte se révèle donc peu convaincant.
On peut considérer, puisque l’article 11 du Code de procédure pénale est visé, que le secret de l’instruction constitue, en réalité, le fondement décisif de la position adoptée. Comme le relève un auteur, « c’est parce que l’information judiciaire est secrète que seules les personnes autorisées par la loi peuvent assister à une mesure d’instruction » [7]. Pour autant, on peut légitimement s’interroger sur la place réelle que la Cour attribue au secret de l’instruction dans ce premier « attendu ». En effet, elle ne se fonde pas, explicitement, au secret. Elle ne le fait que plus tard lorsqu’elle précise que « l’accès au dossier de la procédure par un avocat qui assiste un témoin constitue une violation du secret de l’instruction ». Certes, la Cour se réfère, dans ce premier attendu, à l’accès au dossier puisqu’elle retient que « seules les personnes mises en examen, les parties civiles et les témoins assistés peuvent être assistés, lorsqu’ils sont entendus par le juge d’instruction, par un avocat qui peut accéder au dossier de la procédure, un témoin ne pouvant bénéficier d’une telle assistance ». Pour autant, si ce n’est que par l’entremise de l’accès au dossier que le secret de l’instruction fonde la prohibition de l’assistance d’un témoin par un avocat, ledit fondement n’aurait plus rien de décisif et, a contrario, permettrait, faute d’accès, une telle assistance. L’espèce, particulière en ce que l’un des avocats des témoins avait effectivement eu accès à la procédure, ne permet semble‑t‑il pas d’identifier avec certitude les conséquences que la Cour attache au secret de l’instruction.
Reste, toutefois, à se prémunir de certains raisonnements aussi approximatifs que dangereux. On a pu lire notamment, que le témoin n’a, « procéduralement parlant toujours, pas de parti pris et prête serment de certifier l’existence d’un ou de plusieurs faits dont il a eu personnellement connaissance » et, que, dès lors « on ne pourrait que s’interroger sur la véracité du témoignage d’une personne qui a eu connaissance du dossier et qui vient assistée d’un avocat, comme si elle avait quelque chose à défendre » [8]. D’une part, on ne saurait considérer que le principe du contradictoire serait un frein à la manifestation de la vérité. D’autre part, en quoi la volonté d’un individu d’être assisté par un avocat signifierait qu’il aurait à se défendre de quoi que ce soit ? Que la loi fasse de la suspicion l’élément générateur des droits de la défense est une chose. Pour autant, cela ne signifie, en aucune façon, que la volonté, pour qui que ce soit, d’user de l’un de ses droits serait synonyme de dissimulation, voire l’aveu d’un reproche. Une telle argumentation reviendrait, finalement, à lier l’existence et l’exercice des droits de la défense – et plus largement de tous les droits fondamentaux – à leur utilité subjective, ce qui, de manière triviale, reviendrait à penser que si l’on n’a rien à se reprocher, peu importe finalement que l’on soit écouté à notre insu, voire qu’il serait suspect de rechigner à être écouté ou, pour en revenir à notre espèce, d’être assisté par un avocat. Un tel raisonnement, connu de nombre de professionnels lorsqu’ils prêtent assistance à leurs clients placés en garde à vue, s’avère particulièrement dommageable à la perception du rôle de l’avocat.
II. La sanction
Au‑delà de considérer que l’assistance d’un témoin par un avocat constitue une irrégularité, la Cour de cassation soumet cette dernière à un régime de sanction particulièrement lourde puisque celle‑ci retient que « l’assistance d’un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d’administration de la preuve, qui fait nécessairement grief ». S’il faut reconnaitre à la formule une certaine dose d’autorité, on peine, à l’inverse, à lui attribuer une quelconque pertinence.
La jurisprudence admet, opportunément, que certaines irrégularités fassent nécessairement grief sans pour autant révéler, explicitement, un critère d’identification [9]. Lors du placement en garde à vue, il en est ainsi, par exemple, du retard dans l’information donnée au procureur de la République non justifié par des circonstances insurmontables [10] ou du défaut de notification du droit à l’assistance d’un avocat [11]. Reste, néanmoins, que faire des conditions d’administration de la preuve le fondement, ou l’un des fondements, de ce régime de nullité laisse perplexe au regard du droit positif.
L’administration de la preuve renvoie, bien que le recours à cette notion ait pu être contesté par la doctrine [12], aux « opérations qui consistent à collecter les preuves et à les trier » [13]. On peut donc en déduire, à l’aune du motif commenté, que dès lors qu’une irrégularité touche aux conditions de collecte de la preuve, le grief devrait être présumé. Or, une telle solution est, à l’évidence, en inadéquation avec le droit positif puisqu’elle reviendrait à présumer le grief de toutes les irrégularités touchant aux actes d’investigation, ce qui n’est pas le cas. À titre d’exemple, le défaut de notification d’une nouvelle infraction à un suspect ne peut entrainer la nullité de la garde à vue si ce dernier n’a pas été entendu sur ces faits, cette irrégularité ne causant aucun grief si la personne gardée à vue n’a tenu aucun propos sur cette nouvelle qualification [14]. De même, le défaut de notification du lieu de l’infraction, pourtant prévue à l’article 63‑1, 2° du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4971K8M, ne peut entrainer le prononcé d’une nullité que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée [15]. Il ne fait donc aucun doute qu’en l’état du droit positif, les conditions d’administration de la preuve ne constituent pas le critère d’identification des présomptions de grief. Par ailleurs, on peut douter qu’il le devienne sauf à ce que cet arrêt du 4 octobre 2023 augure de grands bouleversements, ce qui n’est, à l’évidence, pas le cas.
Difficile, alors, d’identifier avec certitude les raisons justifiant un tel courroux. La violation du secret de l’instruction a pu être invoquée, mais la structure de la décision ne semble pas, là encore, en faire le fondement justifiant le régime. Par ailleurs, il eut été alors plus judicieux de voir dans l’intervention de l’avocat une nullité d’ordre public.
Du reste, on pourrait considérer que ce régime se justifie en raison de la difficulté qu’il y aurait, pour la partie souhaitant invoquer la nullité de l’acte, à rapporter la preuve d’un grief. Pour autant, cette position ne résiste pas à l’analyse. Premièrement, il est des hypothèses où la preuve du grief pourrait, aisément, être rapportée. Si le conseil intervient explicitement lors d’un acte d’instruction auquel il ne devrait pas être convié, en posant notamment des questions, on peut supposer qu’une telle action porterait atteinte aux intérêts des parties à la procédure ayant été visées. Reste, deuxièmement, que cette hypothèse n’épuise fort heureusement pas le rôle de l’avocat lors d’une confrontation et dont les conséquences, invisibles, feraient échec à la démonstration d’un grief. On pense, notamment, à la préparation de cet acte d’instruction. Pour autant, le régime adopté ne peut, en aucune façon, trouver sa justification dans ces différentes hypothèses. Il en est ainsi, d’une part, parce que la prohibition de l’assistance n’interdit, aucunement, à un témoin de se rendre chez un avocat afin de lui demander conseil. Surtout, on ne saurait, deuxièmement, passer sous silence l’obligation faite au témoin de prêter serment de sorte que, assisté ou non, l’obligation pesant sur ce dernier demeure identique. Certes, on pourrait alors objecter que le serment et donc, finalement, le renforcement supposé de la véracité attachée au propos du témoin ferait échec à la démonstration d’un grief. On peine alors à voir en quoi la présence de l’avocat serait, à elle seule, de nature à altérer la vérité proposée sauf à craindre, par principe, que l’assistance serait synonyme d’un travestissement de la réalité qui, en raison du serment, ne pourrait être démontré.
[1] En ce sens et sur ce point : R. Ollard, Quel statut pour le suspect au cours de l’enquête pénale ?, JCP G, 2014, n° 36, doctr. 921.
[2] Cass. crim., 4 octobre 2023, n° 23‑81.287, F‑B N° Lexbase : A03671KS
[3] Sur ce point, v. : A. Bergeaud‑Wetterwald, Les garanties de défense sans la qualité de partie au procès. Réflexions sur la notion de partie à l’acte juridique, in Liber amicorum en hommage à Yannick Capdepon (dir. E. Baron, A. Bergeaud‑Wetterwald, E. Bonis, J. Lagoutte, J.‑C. Saint‑Pau), Editions Bière, novembre 2023, p. 5.
[4] En ce sens, v. : A.‑S. Chavent‑Leclère, Ni assistance du témoin par un avocat lors d’une confrontation, ni accès au dossier, Procédures, décembre 2023, n° 12, comm. 331.
[5] CEDH, 24 avril 1990, Req. n° 7/1989/167/223, Kruslin c/ France N° Lexbase : A6323AW4, § 27 et 30, Série A n°176‑A ; obs. R. Koering‑Joulin, D., 1990, chron. p. 187 ; Ibid., p. 357, obs. J. Pradel ; obs. J. Pradel, Les écoutes téléphoniques : un régime sous surveillance, RFDA, janvier‑février 1991, n° 1, p. 83‑89. CEDH, 24 avril 1990, Req. n° 4/1989/164/220, Huvig c/ France N° Lexbase : A6324AW7, § 26 et 29, Série A n°176‑B.
[6] V. not. Cass. crim., 9 octobre 1980, n°80‑93.140 N° Lexbase : A8162CGE
[7] Th. Scherer, Confrontation de l’assistance par un avocat au secret de l’instruction, Dalloz actualité, 11 octobre 2023 [en ligne]
[8] J. Chapelle, Le (simple) témoin n’est pas une partie à la procédure d’instruction, AJ pénal, novembre 2023, n° 11, p. 513.
[9] En ce sens, v. : E. Clément, « Les présomptions de griefs en procédure pénale », RSC 2020, p. 557.
[10] Cass. crim., 24 mai 2016, n° 16‑80.564, FS‑P+B N° Lexbase : A0262RR7
[11] Cass. crim., 24 juin 2009, n° 08‑87.241, FS‑P+F N° Lexbase : A1173EKN
[12] E. Vergès, G. Vial, O. Leclerc, Droit de la preuve, PUF, coll. « Thémis Droit », 14 octobre 2015, p.°261.
[13] Idem.
[14] Cass. crim., 15 octobre 2019, n° 19‑82.380 N° Lexbase : A1967ZRB
[15] Cass. crim., 27 mai 2015, n° 15‑81.142, FS‑P+B+I N° Lexbase : A8349NI3
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