Réf. : Cass. com., 10 janvier 2024, n° 21-23.458, FS-B N° Lexbase : A05582DZ
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par Vincent Téchené
le 18 Janvier 2024
► L'article 52 du Règlement n° 207/2009, du 26 février 2009, sur la marque communautaire doit-il être interprété en ce sens que les causes de nullité de l'article 7, visées en son paragraphe 1, sous a) sont autonomes et exclusives de la mauvaise foi visée en son paragraphe 1, sous b) ?
Si la réponse est négative, la mauvaise foi du déposant peut-elle être appréciée au regard du seul motif absolu de refus d'enregistrement visé à l'article 7, paragraphe 1, sous e), ii) du Règlement n° 207/2009 sans qu'il ne soit constaté que le signe déposé à titre de marque soit constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ?
Enfin, l'article 52, paragraphe 1, sous b), du Règlement (CE) n° 207/2009 doit-il être interprété en ce sens qu'il exclut la mauvaise foi d'un déposant ayant introduit une demande d'enregistrement de marque avec l'intention de protéger une solution technique lorsqu'il a été découvert, postérieurement à cette demande, qu'il n'existait pas de lien entre la solution technique en cause et les signes constituant la marque déposée ?
La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi qui posait la question de l'articulation entre les articles 7 et 52, paragraphe 1, sous b) du Règlement n° 207/2009 N° Lexbase : L0531IDZ, qui énoncent chacun des motifs de nullité absolus d'une marque. Cette question est inédite devant la Cour de cassation et la CJUE ne semble pas avoir rendu de décision sur la question posée en l'espèce.
Rappel des textes européens. Au regard de la date de dépôt des marques en litige, le 23 août 2011, il convient d'appliquer les dispositions du Règlement n° 207/2009, du 26 février 2009, sur la marque communautaire, dans sa rédaction antérieure au Règlement n° 2015/2424, du 16 décembre 2015 N° Lexbase : L3614KWR, entré en vigueur le 23 mars 2016.
L'article 7 de ce Règlement prévoit des motifs absolus de refus d'enregistrement d'un signe à titre de marque. En particulier, l'article 7, paragraphe 1, sous e), ii), prévoit que sont refusés à l'enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique. Cet article est aujourd'hui repris à l'article 7 du Règlement n° 2017/1001, du 14 juin 2017, sur la marque de l'Union européenne (le « RMUE ») N° Lexbase : L0640LGS.
La CJUE a précisé que cette prohibition répondait à l'objectif visant à « empêcher que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d'un produit, susceptibles d'être recherchées par l'utilisateur dans les produits des concurrents » et ainsi « éviter que la protection conférée par le droit des marques ne s'étende, au-delà des signes permettant de distinguer un produit ou un service de ceux offerts par les concurrents, pour s'ériger en obstacle à ce que ces derniers puissent offrir librement des produits incorporant lesdites solutions techniques ou lesdites caractéristiques utilitaires en concurrence avec le titulaire de la marque » (v. not. CJCE, 18 juin 2002, aff. C-299/99, points 78 et 79 N° Lexbase : A9139AY7 ; CJUE, 23 avril 2020, aff. C-237/19, point 25 N° Lexbase : A96043KW). En outre, elle a dit pour droit que les motifs absolus de refus d'enregistrement d'une marque visés à l'article 7 étaient autonomes, ce qui résultait de leur citation successive et de l'emploi du terme « exclusivement » (CJUE, 18 septembre 2014, aff. C-205/13 N° Lexbase : A6131MWY ; CJUE, 16 septembre 2015, aff. C-215/14, point 50 N° Lexbase : A1082NPR).
L'article 52, paragraphe 1, du Règlement n° 207/2009, intitulé « causes de nullité absolue », dispose :
« 1. La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :
a) lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement aux dispositions de l'article 7 ;
b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque. ».
Ces dispositions sont désormais reprises à l'article 59, paragraphe 1, du « RMUE ».
La mauvaise foi n'est définie par aucun texte mais la CJUE a notamment indiqué qu'elle constituait une notion autonome du droit de l'Union, qui devait être interprétée de manière uniforme dans l'Union et pour l'appréciation de laquelle il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce et existant au moment du dépôt de la demande d'enregistrement (CJUE, 27 juin 2013, aff. C-320/12 N° Lexbase : A7710KHZ).
Des solutions divergentes. La Cour de cassation relève que la cour d'appel de Paris a considéré, dans son arrêt du 25 juin 2021 (CA Paris, 5-2, 25 juin 2021, n° 18/15306 N° Lexbase : A13104XS), rendu dans cette affaire, que la succession de droits de propriété industrielle ne devait pas servir à protéger la même caractéristique du produit et que l'intention de protéger une solution technique au-delà du délai de protection du brevet caractérisait la mauvaise foi du déposant, sans que ce dernier puisse utilement faire grief au juge de confondre la mauvaise foi et le motif de refus tiré de l'article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du Règlement n° 207/2009.
En revanche, la cour d'appel de Stuttgart, dans un arrêt du 13 mars 2023, a retenu que le fait que la coloration rose caractéristique soit nécessaire pour obtenir un effet technique correspond, en réalité, au motif de refus prévu à l'article 7, paragraphe 1, point e), ii), du Règlement n° 207/2009 du 26 février 2009, qui aurait dû être invoqué sur le fondement de l'article 52, paragraphe 1, point a), et non de l'article 52, paragraphe 1, point b).
Il s'ensuit qu'il existe une divergence d'interprétation entre des juridictions d'appel des États membres sur l'articulation des motifs absolus de nullité visés à l'article 7 du règlement n° 207/2009 et de la mauvaise foi qui constitue une cause de nullité prévue à l'article 52, paragraphe 1, sous b) du même Règlement.
Renvoi de questions préjudicielles à la CJUE. Se pose ainsi la question de l'articulation des motifs absolus de nullité visés à l'article 7 du Règlement n° 207/2009, auquel renvoie l'article 52, paragraphe 1, sous a) du même texte, et de l'article 52, paragraphe 1, sous b), qui vise le dépôt de mauvaise foi.
En conséquence, la Cour de cassation renvoie à la CJUE les questions préjudicielles précitées.
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