La lettre juridique n°502 du 18 octobre 2012 : Éditorial

Le bon, la bru et le jugement

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Le bon, la bru et le jugement. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6994369-le-bon-la-bru-et-le-jugement
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


A l'adolescence, il m'arrivait, déjà, de me "coller" devant la télévision pour suivre les "aventures" du juge Garonne, entre deux cours. N'étant pas issu d'une famille de Haute lignée judiciaire, j'avouerai que mon premier contact avec le "milieu" fut la diffusion, entre 1988 et 1990, d'une série télévisée à succès, digne du théâtre de boulevard, "Tribunal", qui, sans retranscrire avec fidélité les arcanes de la procédure civile, en donnait toutefois le parfum et les couleurs. Entre les pages "faits divers" et la lecture d'un arrêt de la cour d'appel de Paris en matière d'arbitrage ou de concurrence, l'engouement pour Garonne et ses acolytes du tribunal, statuant sous la maxime du marquis de Vauvenargues -"On ne peut être juste si l'on est humain"-, offrait un regard nouveau sur la société, ses indiscrétions et ses petites vilénies à nul autre pareil. Sans le savoir (sans doute), la Cour de cassation, en mettant en place une procédure de collecte et de diffusion des arrêts de toutes les cours d'appel, nous offre l'occasion de renouveler notre examen, sinon critique, du moins amusé, de la nouvelle Comédie humaine. Il y a, en effet, quelque chose de balzacien, dans le fonds de concours JuriCA.

Un arrêt de la cour d'appel de Bourges, rendu le 11 octobre 2012, nous en livre un croustillant extrait. S'il n'est pas permis ou de bon ton de se moquer des drames humains et, plus particulièrement, familiaux, celui exposé dans cet arrêt mérite attention, outre l'apport juridique qu'il peut recéler en matière de divorce. Ne boudons pas notre plaisir et ne nous cachons pas de mots, la cour d'appel de Bourges a été amenée à considérer les relations de l'épouse avec sa mère et ses beaux-parents pour retenir un comportement dévalorisant à l'égard de son mari, constitutif d'une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage et fonder la demande principale en divorce. Dans cette affaire, une femme faisait preuve d'agressivité envers son mari. Elle le dévalorisait et se montrait blessante à son égard. Notamment, il est relaté que, lorsque sa belle-mère venait à leur domicile, il était mis à l'écart, devant aller dormir seul au bureau du sous-sol et attendre qu'elles aient fini de manger pour remonter prendre son repas. Enfin, la bru avait pris l'habitude de venir saluer ses beaux-parents qu'une heure et demie après leur arrivée chez elle.

Les relations conflictuelles gendre/belle-mère ou bru/beaux-parents sont légions au point de donner lieux à un florilège de maximes et proverbes "gaulois", ou de nourrir, sans cesse, les scenarii peu inspirés du cinéma burlesque. Mais, en l'espèce, le mari était si lourdement affecté par cette situation qu'il ne pouvait pas l'évoquer sans pleurer.

Comme lui expliquer, dès lors, qu'il ne fallait en vouloir à sa femme -son ex-femme désormais-, si elle adoptait un comportement qualifié, sans péjoration, mais de manière parfaitement ethnologique, de primitif ? Comment lui expliquer qu'il y a quelque chose des indiens Navahos et des Apaches dans le subconscient la Drômoise qu'il avait épousée et jadis aimée ? Cette dernière, férue de western -et sans doute de spaghettis-, lui aurait raconté comment les Ohamas, les Sioux et les indiens Dacotas ne doivent ni voir leurs belles-mères, ni converser avec elles, ni les nommer ; et que, si par hasard ils se rencontrent, ils doivent se voiler la tête en passant l'un près de l'autre... Et, le même phénomène est observable chez les Bantous de l'est de l'Afrique et chez les Battas de Sumatra.

Oui, ce mari bafoué, meurtri, aurait lu Howitt, Frazer ou, plus particulièrement, Reinach, "Le gendre et la belle-mère", in Cultes, Mythes et Religions, qu'il aurait compris que son ex-épouse le protégeait du tabou ultime : l'inceste. Reinach explique ce qu'il nomme la vitance, c'est-à-dire cet éloignement, cet évitement entre beaux-parents et gendres/brus, par l'attachement des sociétés primitives à éviter toute situations faisant craindre l'inceste, le rapprochement sexuel intergénérationnel. Howitt et Frazer raccroche l'exécrable rapport, lorsqu'il existe, au rapt originel de la bru pour expliquer l'antagonisme de la belle-mère ; et Tylor a bien soulevé le fait que le gendre va résider, à l'origine, dans la famille de sa femme, où il est considéré par les beaux-parents comme un intrus et où l'on fait semblant d'ignorer son existence ; mais quoiqu'il en soit, le caractère primitif d'une telle affliction au sein d'une même famille ne fait, pour tous, aucun doute.

Finalement, la cour d'appel aurait pu être beaucoup plus cinglante avec l'ex-épouse et rappeler ce jugement de Lévy-Bruhl selon lequel là où l'adulte européen sait distinguer nettement et tirer une ligne, le sauvage ne distingue rien et confond tout, parce que le sens de la réalité lui fait défaut et que ce sens, loin d'être le point de départ de notre évolution mentale, en est le couronnement et peut-être encore aujourd'hui l'idéal (l'appréciation est à relativiser toutefois, car elle émane d'un ethnologue de la fin du XIXème siècle, avec tout le travers de la verve de la supériorité occidentale).

Et, la voix off de Jean-Luc Reichmann (si si), de conclure par ce mot d'Anouilh : "le drame de la belle-mère, ce personnage comique du répertoire, c'est qu'il est l'image de la durée"... Et, le président Garonne, alias Yves Vincent, de lever l'audience.

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