Réf. : T. com. Nanterre, 26 février 2020, n° 2018F00466 (N° Lexbase : A04243H8)
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par Jérôme Lasserre Capdeville
le 11 Mars 2020
► Le Bitcoin étant fongible et consomptible, la qualification juridique des trois contrats de prêts de bitcoins signés entre les parties est celle de prêt de consommation. L’ensemble des conséquences liées à cette nature de prêt s’applique alors au prêt de Bitcoin, et notamment l’article 1902 du Code civil (
Tel est l’enseignement d’un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 26 février 2020 (T. com. Nanterre, 26 février 2020, n° 2018F00466 N° Lexbase : A04243H8).
Il n’est pas fréquent que le juge judiciaire ait l’occasion de se prononcer en matière de Bitcoin (CA Paris, 26 septembre 2013, n° 12/00161 N° Lexbase : A7474KLE, JCP éd. E, 2014, 1091, note Th. Bonneau ; LEDB, avril 2014, p. 5, nos obs.). Le jugement du tribunal de commerce de Nanterre attire, par conséquent, l’attention.
L’affaire. L’affaire concernait la société B., spécialisée dans le conseil en matière financière et plus particulièrement dans le domaine des crypto-monnaies, et la société P. qui exerçait une activité de plateforme d’échanges de Bitcoins. La société B. avait ouvert sur la plateforme en question un compte, dont le fonctionnement était régi par les conditions générales d’utilisation (CGU) de P.. Surtout, la société P. avait consenti trois contrats de prêt en Bitcoin à la société B. pour un montant total de 1 000 Bitcoins (avec intérêt au taux de 5 %). Le 13 juin 2016, la société P. avait également accordé à la société B. un prêt sans intérêt de 200 000 euros afin de financer des prestations de tenue de marché en Bitcoin sur la plateforme.
Or, à partir de 2017, un contentieux apparaît entre ces deux protagonistes. Le 13 décembre 2017, la société P. décide de clôturer le compte de B.. Le 27 févier 2018, la société B. assigne la société P. devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le jugement. Le jugement, rendu le 26 février 2020, est long de 23 pages. Il tranche plusieurs difficultés concernant : la résiliation du compte de B. par P., la demande de restitution sous astreinte des 53 Bitcoins figurant au compte de B., la demande d’indemnisation du préjudice allégué par B., la demande reconventionnelle de P. relative aux intérêts au titre des contrats de prêts en Bitcoin, la demande reconventionnelle de P. relative à la restitution de 1 000 Bitcoins, la demande reconventionnelle de P. relative au versement de la somme de 100 000 euros au titre du prêt du 13 juin 2016, la demande reconventionnelle de P. relative au paiement d’une facture relative au projet « blockberry » et enfin sur la demande reconventionnelle de P. de dommages et intérêts pour atteinte à son image et perte de chance de réaliser un gain d’obtenir des financements.
Un passage du jugement attire, plus particulièrement, l’attention (p. 18-19). Il concerne la demande reconventionnelle de P. relative à la restitution de 1 000 Bitcoins.
Le jugement commence par observer que le Bitcoin est « consommé » lors de son utilisation, que ce soit pour payer des biens ou des services, pour l’échanger contre des devises ou pour le prêter, « tout comme la monnaie légale, quand bien même il n’en est pas une ». Le Bitcoin est donc consomptible par son usage.
Ensuite, il est noté que les Bitcoins sont fongibles, dans la mesure où ils sont tous issus du même protocole informatique et font l’objet d’un rapport d’équivalence avec les autres Bitcoins permettant d’effectuer un paiement au sens de l’ancien article 1291 du Code civil (N° Lexbase : L1401ABI), devenu l’article 1347-1 du même Code (N° Lexbase : L0720KZP).
Le jugement en conclu alors que, le Bitcoin étant ainsi fongible et consomptible, « la qualification juridique des 3 contrats de prêts de BTC signés entre les parties […] est donc bien celle du prêt de consommation » et, partant, l’ensemble des conséquences liées à cette nature s’applique au prêt de Bitcoin.
Parmi ces incidences, il y a d’abord l’article 1893 du Code civil (N° Lexbase : L2111ABS) prévoyant un transfert de propriété au profit de l’emprunteur et, corrélativement, un transfert des risques liés à la possession de la chose. En l’espèce, la société B. était donc devenue propriétaire des Bitcoins prêtés, et pouvait en percevoir les « fruits ».
De même, l’article 1902, qui prévoit que « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu », est applicable dans notre hypothèse. Or, il était démontré que la société B. avait transféré à P., les 24 et 25 octobre 2017, 1 000 Bitcoins en remboursement intégral des trois prêts concernés. Dit autrement, la société B. s’était bien acquittée, pour les juges, de son obligation de rendre les choses prêtées en même quantité et même qualité.
Finalement, la société B. n’était pas débitrice de la société P. de 1 000 Bitcoins. Le tribunal déboute alors la société P. de sa demande.
⇒ Commentaire à paraître par J. Lasserre-Capdeville, in Lexbase éd. Affaires n° 629 du 26 mars 2020. |
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