Réf. : CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY03935 (N° Lexbase : A6860XMZ)
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N4450BX4
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)
le 13 Juin 2018
Décision intéressante que celle rendue par la cour administrative de Lyon le 3 mai 2018. Le juge explique, une nouvelle fois, à l’administration fiscale la non pertinence de sa doctrine en matière de calcul de la plus-value immobilière en présence d’une majoration du prix d’acquisition à la suite de l’achat de matériaux.
Pour la cour administrative de Lyon, le contribuable peut -pour déterminer le montant de la plus-value immobilière réalisée lors de la cession d’appartements revendus après travaux- majorer le prix d’acquisition des frais d’acquisition, des dépenses de construction et de reconstruction, des frais de voirie et réseau. Il peut le faire alors même que lesdits matériaux ont été par lui achetés à une entreprise et installés par une autre entreprise.
La position de l’administration est récusée : celle-ci soutenait que les matériaux achetés par le contribuable ne peuvent venir en majoration du prix d’acquisition…pour défaut de certitude.
L’administration développe, depuis longtemps, une interprétation indument restrictive du 4° du II e l’article 150 VB du Code général des impôts (N° Lexbase : L3213LCY) : prenant seulement en compte les matériaux dont il est justifié qu’ils ont été installés par une entreprise, l’administration refuse la médiation du contribuable-acheteur. L’achat des matériaux -directement par le contribuable- viendrait annihiler la preuve de la certitude, corrompre le processus de justification exigé par le législateur.
Le raisonnement de l’administration est, par son automatisme, inacceptable tant il fait peser sur le contribuable une présomption de suspicion. Ce n’est pas la première fois que le juge de l’impôt tance l’administration en la matière (cf. infra) ; il serait de bon aloi de mettre fin à une lecture de la loi qui est, de surcroît, profondément stupide sur le plan économique. Une lecture minimalement libérale des relations administration fiscale/ individu implique que ce dernier puisse choisir la voie la plus intéressante pour lui, notamment quant à l’achat direct de matériaux.
Il est question de l’interprétation du 4° du II e l’article 150 VB du Code général des impôts a-t-on dit : en cas de cession de biens immobiliers, le prix d’acquisition est -«sur justificatifs»- majoré des «dépenses de construction, de reconstruction d’agrandissement ou d’amélioration, supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise depuis l’achèvement de l’immeuble ou son acquisition si elle est postérieure, lorsqu’elles n’ont pas déjà été prises en compte pour la détermination de l’impôt sur le revenu et qu’elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives».
Dans notre affaire, le requérant a acquis en 2007 un bien immobilier qu’il a divisé en trois lots ; il a réalisé des travaux de rénovation, a cédé deux appartements et gardé le troisième pour son usage personnel. Afin de déterminer le montant de la plus-value immobilière, le requérant a majoré le prix d’acquisition de différents frais : frais d’acquisition, dépenses de construction et reconstruction, frais de voirie et de réseau. Aux yeux de l’administration, les factures relatives aux matériaux achetés directement par le requérant ne pouvaient venir majorer le prix d’acquisition des appartements vendus. Elle remet donc en cause le calcul de la plus-value déclarée, à savoir la méthode même usitée ; est notifié au contribuable une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Saisi, le tribunal administratif de Grenoble fait partiellement droit à la demande du requérant.
La cour administrative d’appel -cogitant sur la décision des premiers juges- constate qu’ils ont opéré un raisonnement en deux temps. De prime abord, le tribunal administratif a accepté de prendre en compte -pour le calcul de la plus-value de cession- diverses dépenses correspondant à des travaux réalisés, y compris lorsque les matériaux ont été achetés par le contribuable à une entreprise et installés par une autre. Sur un tel fondement, le tribunal administratif a retenu un montant de 34 883 euros, somme correspondant à des achats de matériaux commandés par l’entreprise ayant installé la charpente et (mais) réglés par le contribuable. Il s’agit là de dépenses réalisées par l’entreprise prestataire pouvant être intégrées au prix d’acquisition de l’immeuble.
Cependant, dans un second temps, le tribunal administratif écarte d’autres factures d’achat de matériaux : elles ne peuvent être rattachées -avec certitude- aux travaux de construction, reconstruction, d’agrandissement ou d’amélioration réalisés par l’entreprise opérant sur le chantier.
C’est précisément ce raisonnement que la cour administrative d’appel de Lyon censure, le tribunal administratif ayant rejeté à tort une partie du surplus de la demande du requérant. En effet, plusieurs factures litigieuses précisent l’adresse du lieu de livraison ou font référence au chantier («Le Vernay à Morillon») ; en certains cas, figure le nom du responsable de l’entreprise destinataire des matériaux en charge de leur installation. Le transport sur le site des matériaux nécessaires aux travaux n’étant pas contesté, le montant des dépenses peut venir en majoration du prix d’acquisition de l’immeuble. Tout est question de lien souligne la cour administrative d’appel. Et les justificatifs produits par le requérant sont suffisants dans les configurations suivantes : s’il est possible «d’établir un lien» entre les factures d’achat de matériaux et les travaux de construction/reconstruction/agrandissement/amélioration réalisés sur le chantier… s’il est fait mention ou référence expresse au lieu des travaux auxquels les matériaux sont destinés ou doivent être livrés.
C’est en un sens une forme de rappel à la loi, si l’on ose la formule, que réalise la cour administrative d’appel de Lyon : pour que les dépenses puissent être prises en compte dans la majoration du prix d’acquisition pour le calcul de la plus-value de cession, encore faut-il qu’elles soient «justifiées».
Encore faut-il que l’administration ne pose pas des exigences à ce point étrangères à l’esprit de la loi qu’elles emportent méconnaissance de la volonté (présumée) du législateur. Dans l’espèce soumise à examen, il est logique de majorer le prix d’acquisition de l’immeuble du montant des factures d’achat de matériaux supportés par le vendeur : il existe une référence au chantier (Morillon), sont concernées des dépenses pour l’achat de matériaux nécessaires, le transport sur le site n’est aucunement contesté.
Une trilogie (alternative) s’impose : mention (ou) livraison (ou) lien. Les dépenses retenues sont celles comportant soit une mention du chantier (Morillon), soit celles prévoyant livraison sur le site, soit celles pour lesquelles est établi un lien avec les travaux réalisés sur l’immeuble. Et la cour administrative d’appel de conclure (quant à la matière chiffrée, source du contentieux) : le montant total des factures de matériaux nécessaires aux travaux est de 130 982,03 euros TTC, ce qui change quelque peu la donne pour le bienheureux requérant.
A la lecture de la décision de la cour administrative d’appel, est condamnée par le juge la position de l’administration (BOI-RFPI-PVI-20-10-20-20-20131220, n°220 N° Lexbase : X7249AL3) qui opère lecture erronée du 4° du II de l’article 150 VB. Prétextant que le texte prévoit que les travaux doivent avoir été «réalisés par une entreprise», l’administration refusait d’accueillir, pour majorer le prix d’acquisition, les dépenses de matériaux achetés par le contribuable quand bien même leur installation serait réalisée par une entreprise. La décision de la cour administrative d’appel est de bon sens, écartant les obstacles posés par l’administration dans le cadre de la (légitime) mission de justification qui échoit au contribuable quant à la nature des dépenses par lui réalisées. Or, qu’il s’agisse de la mention du chantier sur lequel les travaux sont réalisés, qu’il s’agisse de la livraison sur le site, qu’il s’agisse du lien avec les travaux…nous sommes en présence d’éléments opérant, raisonnablement, justification suffisante. Surtout, l’action du vendeur se faisant intermédiaire pour l’achat des matériaux ne saurait invalider, par elle-même et en elle-même, la logique justificatrice ; ce serait retenir un critère formaliste et automatique au détriment de critères matériels et analytiques.
La décision du 3 mai 2018 de la cour administrative d’appel de Lyon est à rapprocher de celle de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 8 février 2018 (CAA Bordeaux, 8 février 2018, n° 15BX03667 N° Lexbase : A3157XHE) qu’elle vient utilement compléter. Là encore, le juge d’appel dicte l’idoine raisonnement : «Contrairement à ce que soutient l’administration pour justifier le rejet de ces factures, les dispositions de l’article 150 VB du code général des impôts ne font pas obstacle à ce que le prix d’acquisition de matériaux et celui de leur pose soient pris en compte lorsque les matériaux ont été achetés par le contribuable à une entreprise et installés par une autre entreprise». Il y a plus. Cet arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux intéresse grandement car l’administration a tenté -en vain- de jouer une carte, celle de la substitution de motif. Se doutant que le juge rejetterait l’argument centré sur l’acquisition des matériaux par la requérante elle-même, l’administration dénonce : la dimension peu détaillée des factures, la rédaction des factures en langue anglaise, une description sommaire des travaux, la seule indication d’un prix global. Loin d’être sensible à cette argumentation, la cour administrative d’appel de Bordeaux souligne la carence du propos : il revenait à l’administration -«pour chaque facture» contestée- d’indiquer le ou les motifs justifiant son rejet. A défaut d’avoir réalisé -«pour chaque facture»- une telle opération, la demande de substitution de motif est rejetée par le juge qui, au passage, écarte ex abrupto l’argument linguistique (factures en anglais). De la charge de la preuve et de la justification des allégations : il revient à l’administration de supporter le fardeau probatoire et le juge ne saurait se contenter de suspicions génériques alors même qu’elle a été invitée, par un supplément d’instruction, à étayer son propos.
En quelques semaines, deux juges d’appel posent un frein aux prétentions disproportionnées de l’administration en matière de calcul de la plus-value immobilière quand survient une majoration du prix d'acquisition à la suite de l’achat de matériaux. Il faut espérer que cette doctrine, frappée avec constance par la censure, cessera d’être invoquée.
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