La lettre juridique n°711 du 14 septembre 2017 : Huissiers

[Jurisprudence] La reprise illicite d'un logement par un huissier de justice engage sa responsabilité

Réf. : Cass. civ. 3, 6 juillet 2017, n° 16-15.752, FS-P+B (N° Lexbase : A1152WR4)

Lecture: 7 min

N0092BXP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La reprise illicite d'un logement par un huissier de justice engage sa responsabilité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/42574364-jurisprudencelarepriseillicitedunlogementparunhuissierdejusticeengagesaresponsabilite
Copier

par Marien Malet, Titulaire de l'examen professionnel d'Huissier de justice, Master 2 Droit processuel, procédures et voies d'exécutions

le 14 Septembre 2017

L'abandon du logement ne doit pas conduire à l'abandon du droit sous peine pour celui qui s'y prête d'engager sa responsabilité. Tel est en substance ce que rappelle l'arrêt rendu le 6 juillet 2017 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Les circonstances de l'espèce sont classiques, confrontée à des impayés de loyers une société civile immobilière bailleresse fait réaliser par un huissier de justice une saisie conservatoire de biens meubles au domicile de sa preneuse. Quelques jours plus tard, l'huissier de justice a été avisé que la locataire avait déménagé. Constatant que le logement avait été vidé de tout son contenu, l'huissier de justice a dressé un procès-verbal de reprise pour le compte de la propriétaire et fait changer les serrures sans plus autres formalités. La Cour de cassation, après avoir rappelé le caractère illicite d'une telle reprise (I), indique que ce seul caractère ouvre droit à réparation pour la locataire (II). I - Le caractère illicite de la reprise

En l'espèce, la société bailleresse soucieuse de préserver ses intérêts a fait réaliser une saisie conservatoire de biens meubles. La réalisation de cet acte lui est permise soit sur une autorisation judiciaire (1) soit, en cas d'impayés, sur le seul fondement d'un contrat écrit de louage d'immeuble (2). Dans l'affaire commentée, ni la lecture de l'arrêt de la Cour de cassation ni de celle de celui de la cour d'appel de Douai (3) ne permettent d'affirmer que c'est sur le fondement du seul bail que la saisie conservatoire a pu être réalisée. On sait, néanmoins, qu'elle le fut en l'absence de l'occupante, mais en présence de deux témoins (4) et avec le concours d'un serrurier.

Il est ici l'occasion de rappeler que la pénétration forcée d'un local d'habitation n'est possible s'agissant d'une mesure conservatoire qu'avec l'autorisation expresse du juge de l'exécution. En effet, l'article L. 142-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5824IR7) dispose qu'à "l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et des meubles". Or, s'agissant de la procédure de saisie conservatoire de biens meubles, il n'existe aucun commandement de payer préalable et le créancier poursuivant n'est pas forcément porteur d'un titre exécutoire. Comme les professeurs Perrot et Théry l'ont indiqué, "il faut en effet se garder de confondre deux problèmes différents : d'une part, le droit de procéder à une mesure conservatoire sans autorisation préalable du juge, et d'autre part, l'exécution matérielle de cette mesure. La dispense d'autorisation ne concerne que le premier des deux problèmes, en ce sens que le créancier tire de la loi le droit de pratiquer une mesure conservatoire. Mais, elle ne concerne pas le second problème relatif à l'exécution matérielle des opérations. Si donc le créancier entend pénétrer en force dans un local privé pour y saisir conservatoirement les biens qui s'y trouvent, la dispense de l'article L. 68 -C. proc. civ. d'exécution, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH)-ne suffit pas : il doit nécessairement se soumettre aux dispositions des articles L. 20 et 21 -C. proc. civ. d'exécution, art. L. 142-3 (N° Lexbase : L5824IR7) et L 142-1 N° Lexbase : L5822IR3)-. Et dès lors, si le créancier ne se prévaut pas d'un titre exécutoire, une autorisation préalable du juge reste nécessaire pour pénétrer dans un local privé dont l'occupant refuse l'accès" (5). Les arrêts de l'espèce sont taisants sur ce point.

Quatorze jours plus tard, ayant appris du voisinage le départ de la locataire, l'huissier de justice "dans le but de vérifier le sort des meubles saisis" (sic) (6) a, en l'absence de l'occupante du local, fait de nouveau ouvrir la porte par un serrurier avec le concours des deux témoins dont l'assistance est exigée par l'article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution. Constatant l'état d'abandon du logement et la disparition des biens inventoriés dans le procès-verbal de saisie conservatoire de biens meubles, l'huissier de justice a dressé un procès-verbal de reprise du logement et fait changer les clefs de la serrure. C'est le formalisme "particulier" de cette reprise qui fut reproché à l'huissier de justice.

La procédure de reprise des locaux abandonnés applicables aux baux entrant dans le champ d'application de la loi du 6 juillet 1989 (7) a été créée par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU), aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (8). Cette procédure est venue combler la carence du droit antérieur qui obligeait le propriétaire à dérouler la procédure d'expulsion et à respecter les nombreux délais qu'elle impose alors qu'il sait que le locataire a d'ores et déjà quitté le logement.

Cette procédure de reprise des locaux abandonnés (9), parce que d'abord basée sur des soupçons est encadrée et nécessite dans un deuxième temps l'intervention du juge.

Elle s'initie par l'envoi d'une mise en demeure (10) d'avoir à justifier de l'occupation du logement. Si le locataire justifie de son occupation, la procédure s'arrête. S'il n'en justifie pas dans le délai d'un mois, le bailleur peut faire constater par huissier de justice l'état d'abandon du logement en présence des personnes visées à l'article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5822IR3). Si les constatations confirment les soupçons, une requête doit être déposée devant le juge d'instance du lieu de situation de l'immeuble afin que celui-ci constate l'état d'abandon, la résiliation du bail et statue sur le sort des biens restés sur place. S'il est fait droit à la demande du bailleur, une copie revêtue de la formule exécutoire est signifiée au locataire et aux derniers occupants de son chef connus du bailleur. Ceux-ci peuvent alors former opposition à l'ordonnance dans le délai d'un mois.

Si aucune opposition n'est formée, l'ordonnance produit tous les effets d'un jugement passé en force de chose jugée et alors l'huissier de justice peut procéder à la reprise du logement.

En l'espèce, cette procédure n'a pas été respectée et l'huissier de justice a établi son procès-verbal de reprise qu'après avoir dressé un procès-verbal de saisie conservatoire de biens meubles. Aucune mise en demeure d'avoir à justifier de l'occupation du logement n'a été transmise à la preneuse, et aucune décision de justice n'a constaté ou prononcé la résiliation du bail consacrant une violation de domicile.

La cour d'appel jugera, à juste titre, illicite la reprise ainsi opérée du logement. Fort de cela, la preneuse chercha à obtenir réparation de son préjudice.

II - Le droit à réparation résultant de l'illicéité de la reprise

Si pour la cour d'appel de Douai, le caractère illicite de la reprise du logement ne faisait pas de doute, elle estimait que la preneuse ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un préjudice matériel ou moral né de celle-ci.

L'argumentation de l'huissier de justice attaqué résidait dans le départ volontaire de la preneuse pour se réinstaller dans une autre commune et y scolariser ses enfants tel que le démontrait une attestation du maire de ladite commune.

Autre argument énoncé, celui de la garde des biens meubles saisis conservatoirement. En effet, l'article R. 522-1, 4° du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2548ITK) dispose que le procès-verbal de saisie conservatoire de biens meubles corporels doit mentionner, en caractères très apparents, que les biens saisis sont indisponibles et qu'ils sont placés sous la garde du débiteur, qu'ils ne peuvent être ni aliénés ni déplacés sauf si une cause légitime rend leur déplacement nécessaire. Dans cette dernière occurrence, le gardien est tenu d'en informer préalablement le créancier et de lui indiquer le lieu où ils seront placés. A défaut, le débiteur s'expose aux sanctions prévues à l'article 314-6 du Code pénal (N° Lexbase : L1918AMY). En l'espèce, la débitrice n'a assurément pas respecté ces règles, pas plus que celles relatives au formalisme de la résiliation du contrat de bail se contentant de partir, selon l'expression consacrée, à la cloche de bois.

La cour d'appel de Douai a estimé que la débitrice ne démontrait pas que "la reprise du logement dont elle s'était volontairement retirée pour intégrer une autre habitation, au surplus dans des conditions répréhensibles au regard de ses obligations de gardien des meubles saisis entre ses mains à titre conservatoire", lui créait un préjudice indemnisable.

La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l'article 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) devenu 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9) du Code civil retenant que la seule constatation d'une reprise illicite d'un logement ouvre droit à réparation.

Les circonstances de la rupture pourront simplement influer sur le montant de l'indemnisation que la cour d'appel de Douai autrement composée aura à fixer.

Cet arrêt illustre l'importance, de recourir aux services d'un huissier de justice pour reprendre la possession d'un logement abandonné, encore faut-il que celui-ci applique correctement la procédure de reprise des locaux abandonnés. Sinon l'abandon fait le larron.


(1) C. proc. civ. d'exécution, art. L. 511-1 (N° Lexbase : L5913IRG ; sur les conditions de l'obtention de l'autorisation judiciaire préalable, cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9734E8Z).
(2) C. proc. civ. d'exécution, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH).
(3) CA, Douai, 28 mai 2015, n° 14/04722 (N° Lexbase : A9635NIP).
(4) Ceux visés à l'article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5822IR3 ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8386E84).
(5) R. Perrot et Ph. Théry, Procédures civiles d'exécution, Dalloz, 2005, n° 788.
(6) L'acte de vérification des biens meubles saisis est prévu par l'article R. 522-9 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2556ITT), mais s'effectue après l'acte de conversion de la saisie conservatoire de biens meubles corporels en saisie vente.
(7) Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 2 (N° Lexbase : L8461AGH).
(8) Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU).
(9) Décret n° 2011-945 du 10 août 2011, relatif aux procédures de résiliation de baux d'habitation et de reprise des lieux en cas d'abandon (N° Lexbase : L9781IQC).
(10) Laquelle peut être contenue dans un commandement de payer aux fins de résiliation de bail.
(11) Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 14-1.

newsid:460092

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus