La lettre juridique n°346 du 16 avril 2009 : Licenciement

[Jurisprudence] L'exclusion de principe de l'indemnité contractuelle de licenciement en cas de faute grave

Réf. : Cass. soc., 31 mars 2009, n° 07-44.564, Société Brossette, FS-P+B (N° Lexbase : A5151EEI)

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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Parmi les différents motifs de licenciement pour motif personnel, le licenciement disciplinaire tient très certainement une place de choix. La faute du salarié permet de justifier un licenciement qui constitue alors la sanction du comportement reproché. Un tel licenciement produit des conséquences particulières, la plus significative d'entre elles résidant dans la privation de l'indemnité légale de licenciement. Cette sanction légale persiste-t-elle lorsqu'une clause du contrat de travail prévoit ce que l'on appelle une indemnité de licenciement contractuelle ? C'est à cette question que la Chambre sociale de la Cour de cassation avait à répondre dans un arrêt du 31 mars 2009. Tout en rappelant la faculté que conservent les parties au contrat de travail de prévoir une indemnité pour les salariés, quand bien même le licenciement reposerait sur une faute grave, la Chambre sociale adopte une interprétation stricte de la clause, ce qui nous semble être tout à fait justifié et cohérent avec les règles d'interprétation du contrat qu'elle adopte habituellement.
Résumé

Sauf volonté contraire des parties, le licenciement pour faute grave exclut le versement de l'indemnité de licenciement.

Commentaire

I - L'exclusion de l'indemnité contractuelle de licenciement à défaut de volonté contraire des parties

  • Retour sur l'échelle des fautes en droit du travail

Le salarié peut se rendre coupable de fautes d'une gravité variable, ce qui d'ailleurs constitue une particularité du droit du travail, le droit civil ne distinguant pas selon la gravité de la faute pour déterminer la hauteur de la réparation du préjudice subi par la victime (1). Ainsi, dans un ordre croissant de gravité, le salarié peut se rendre coupable d'une faute légère, d'une faute sérieuse, d'une faute grave ou d'une faute lourde.

La faute légère ne permet plus de justifier un licenciement depuis la loi du 13 juillet 1973 (2). Seule une sanction d'une moindre mesure pourra être prise, telle qu'un avertissement ou une mise à pied. Quant à la faute sérieuse, elle rend impossible la poursuite de la relation de travail, mais elle n'est pas suffisamment grave pour justifier l'éviction immédiate de son auteur. Le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié coupable d'une faute sérieuse reposera bien sur une cause réelle et sérieuse. Toutefois, le salarié bénéficiera de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité de préavis (3).

La faute grave et la faute lourde se distinguent par une gravité telle qu'elle implique que le salarié ne bénéficiera pas de l'indemnité de préavis, ni de l'indemnité de licenciement et, pour la faute lourde seulement, la privation de l'indemnité de congés payés, alors que la privation de l'indemnité de préavis répond à la définition de la faute grave laquelle rend "impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" (4).

  • Faute grave et indemnité de licenciement

Par application de l'article L. 1234-9 du Code du travail (N° Lexbase : L8135IAK), l'enjeu de la qualification de faute légère ou sérieuse d'un côté, de faute grave ou lourde d'un autre côté, réside donc, notamment, dans le bénéficie d'une indemnité de licenciement.

Or, même si cet article ne le prévoit pas expressément, il a toujours été accepté qu'une convention collective ou un contrat de travail prévoit des modalités d'application ou de calcul plus favorables au salarié de cette indemnité de licenciement. Ainsi, l'immense majorité des conventions collectives comportent des dispositions relatives à cette indemnité de licenciement. Si une telle clause est plus rarement prévue par le contrat de travail, il arrive que ce soit, néanmoins, le cas.

Pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que de telles clauses contractuelles relatives aux indemnités de licenciement constituaient de véritables clauses pénales qui pouvaient, à ce titre, être soumises au pouvoir de révision judiciaire, au titre de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) (5). Cette solution étant aujourd'hui abandonnée, le juge ne dispose plus du pouvoir de moduler le montant des clauses (6). Cela ne l'empêche cependant pas d'exercer son pouvoir d'interprétation à leur égard et, ainsi, d'en déterminer l'exacte portée.

  • En l'espèce

Un salarié avait été licencié pour faute grave à la suite de divers détournements de procédure graves et répétées affectant la tenue de la comptabilité de l'établissement. Son contrat de travail comportait une indemnité contractuelle de licenciement nettement plus favorable que l'indemnité légale. En outre, la clause contractuelle ne précisait nullement que l'indemnité soit exclue en cas de faute grave.

Se fondant sur cette absence de précision, la cour d'appel décida, après avoir caractérisé l'existence d'une faute grave, que le salarié était en droit de bénéficier de l'indemnité contractuelle de licenciement. La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1234-1 (N° Lexbase : L1300H9Z), L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) et L. 1234-9 du Code du travail, ainsi que de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

La Cour introduit son raisonnement par un chapeau aux termes duquel, "sauf volonté contraire des parties, le licenciement pour faute grave exclut le versement de l'indemnité de licenciement". Elle juge "que le contrat s'était borné à se référer aux règles générales du licenciement, ce dont il se déduisait que les parties n'avaient pas entendu maintenir le bénéfice de l'indemnité de licenciement en cas de faute grave", si bien que la cour d'appel avait "dénaturé les termes clairs et précis de la clause contractuelle".

Ce faisant, la Cour de cassation rappelle très clairement que, malgré le silence en la matière des textes relatifs à l'indemnité de licenciement, la volonté des parties demeure toujours apte à aménager ces règles en faveur du salarié en prévoyant qu'une indemnité de licenciement soit versée au salarié alors même qu'il aurait commis une faute grave. Cependant, la Cour n'entend pas donner à cette faculté de dérogation contractuelle une portée trop importante puisque c'est une interprétation stricte de la clause contractuelle qui est retenue.

II - L'interprétation stricte de la clause contractuelle relative à l'indemnité de licenciement

  • La référence surprenante aux textes relatifs au préavis

A l'exception des règles considérées comme étant d'ordre public absolu, telles que celles relatives, par exemple, à la compétence du conseil de prud'hommes, le contrat de travail peut toujours aménager les dispositions légales en faveur du salarié. Cela est bien entendu le cas s'agissant d'une clause du contrat de travail qui prévoit le versement d'une indemnité de licenciement au salarié licencié pour faute grave (7). Sur ce point, l'arrêt de la Chambre sociale ne se présente donc que comme le rappel d'une solution pour le moins classique.

Cependant, la portée donnée à cette règle est élargie, ce qui peut être perçu grâce aux visas employés au soutien de cet arrêt. En effet, si le visa de l'article L. 1234-9 n'étonne guère puisque c'est précisément ce texte qui traite de l'exclusion de l'indemnité de licenciement en cas de faute grave, le visa des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du Code du travail est plus surprenant.

Ces textes, relatifs au préavis ou à l'indemnité auquel le salarié a droit s'il n'a pas été mis en mesure d'exécuter ce préavis, sont également limités au salarié n'ayant pas commis de faute grave. Pour autant, en l'espèce, la question de l'indemnité de préavis ne faisait pas débat. On peut donc en conclure que, par une sorte peu commune d'obiter dictum formulé par l'intermédiaire des visas de l'arrêt, la Cour de cassation étend la faculté de dérogation contractuelle aux règles relatives à l'indemnisation du préavis. Toutefois, là encore, il ne s'agit guère d'une précision d'une importance fondamentale. Les textes relatifs au préavis de licenciement n'étant pas d'ordre public absolu, il demeure naturellement loisible aux contractants de les aménager.

  • L'interprétation stricte de la clause contractuelle relative à l'indemnité de licenciement

Si une clause contractuelle peut donc permettre à un salarié de bénéficier d'une indemnité de licenciement, voire d'une indemnité de préavis, alors même qu'il aurait commis une faute grave, cette clause doit être interprétée strictement par le juge.

En effet, en l'espèce, la clause ne prévoyait pas que le bénéfice de l'indemnité contractuelle de licenciement soit exclu pour les salariés auteurs d'une faute grave. La cour d'appel en avait déduit qu'elle s'appliquait à tout licenciement. La Cour de cassation refuse une telle interprétation et juge qu'en l'absence de précision, c'est bien la règle de principe selon laquelle l'indemnité est exclue pour le salarié qui a commis une faute grave qui doit s'appliquer.

De nombreuses raisons militaient en faveur d'une telle interprétation stricte.

  • Interprétation stricte justifiée par le rapport de principe à exception

D'abord, la clause contractuelle prévoyant des règles particulières en matière d'indemnité de licenciement demeure une exception, comme on peut le percevoir grâce au terme "sauf" utilisé pour introduire le chapeau de tête de l'arrêt. Les exceptions devant toujours être interprétées strictement, on comprend alors parfaitement que la Cour retienne cette solution. On pourrait, certes, objecter qu'il existe un autre principe d'interprétation aux termes duquel il ne convient pas de distinguer là où la loi ne distingue pas (8). Cependant, cette règle semble limitée à l'interprétation de la loi et non à la volonté contractuelle (9) pour laquelle des principes d'interprétation ont été établis par le Code civil aux articles 1156 et suivants (N° Lexbase : L1258AB9).

Parmi ces principes figure d'ailleurs celui de l'article 1161 (N° Lexbase : L1263ABE), aux termes duquel "toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier". Or, comme le relevaient les moyens, la clause relative à l'indemnité de licenciement était précédée d'une disposition qui stipulait que "le licenciement d'un directeur de succursale suit les règles générales en la matière". Très clairement, la privation de l'indemnité de licenciement en cas de faute grave fait partie des règles générales applicables au licenciement.

  • Interprétation stricte justifiée par le faible effet du silence en droit du travail

Un autre argument plaidait en faveur d'une telle interprétation, celui de l'effet habituellement donné au silence du contrat par la Chambre sociale de la Cour de cassation. On se souviendra, en effet, que la Cour rend opposable au salarié une clause de non-concurrence ou une clause de mobilité au salarié quand bien même cette clause n'aurait été prévue que par la convention collective et non par le contrat de travail (10). D'aucuns ont pu ainsi soutenir que le silence du contrat étant plus favorable que la clause de la convention collective, il convenait de donner effet au silence et de considérer que le salarié ne pouvait être tenu par la clause (11).

Cette interprétation a toujours été refoulée par la Cour de cassation. Dans ces conditions, il n'est guère étonnant qu'en l'espèce, elle considère que la clause ne précisant pas si elle s'applique ou non au salarié licencié pour faute grave, sorte de silence conventionnel, le bénéfice de l'indemnité soit exclu.

  • Tendance générale à l'interprétation stricte des clauses du contrat de travail

Enfin, et pour conclure, on relèvera qu'une telle interprétation tendant à réduire autant que possible la portée de certaines clauses contractuelles s'inscrit dans un mouvement plus général d'interprétation restrictive des effets des clauses contractuelles.

On se souviendra ainsi que les clauses relatives au lieu de travail ont été caractérisées comme constituant de simples clauses informatives, à moins qu'il ne soit exprimé dans le contrat, de manière claire et précise, que le lieu de travail prévu est obligatoire (12). C'est ici une idée très proche qui prévaut. S'agissant de mettre en oeuvre le pouvoir de sanction de l'employeur, composante de son autorité, la clause qui a pour effet d'en limiter les effets s'interprète strictement.


(1) V. A. Bénabent, Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., n° 412 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., n° 571 et s..
(2) Les décisions sont rares. V., cependant, Cass. soc., 3 juillet 1986, Dr. ouvrier, 1986, p. 453 ; CA Rouen, ch. soc., 24 janvier 2006, n° 05/00136, Toupin c/ Distrilap (N° Lexbase : A9638DPN).
(3) Cass. soc., 15 février 1978, n° 75-40.772, Société Cebal SA c/ Tassy (N° Lexbase : A7241AGB).
(4) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867, M. David Millochau, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5947DYW), RDT, 2007, p. 650, obs. G. Auzero ; JCP éd. S, 2007, II, 10188, note D. Corrignan-Carsin.
(5) Cass. soc., 19 février 1991, n° 88-40.407, Société auxiliaire de gestion et de financement c/ M. Tallandier (N° Lexbase : A1785ABQ). Sur cette question, lire D. Mazeaud, Les clauses pénales en droit du travail, Dr. soc., 1994, p. 343.
(6) Cass. soc., 17 octobre 1996, n° 95-40.503, M. Pierre Rivaux c/ Société Rivaux transports distribution logistique, société anonyme (N° Lexbase : A2199AAP), V. Stulz, L'indemnité contractuelle de rupture est-elle encore une clause pénale ?, SSL, 1997, n° 832, p. 3.
(7) V., déjà, Cass. soc., 4 juillet 1990, n° 87-40.433, Société Coopérative agricole de semences de Limagne Limagrain c/ Mme Dulac et autre (N° Lexbase : A1420AAT).
(8) Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus, v. H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., p. 920.
(9) Nonobstant le visa de l'article 1134 grâce auquel les contrats "tiennent lieu de loi" à ceux qui les ont conclus.
(10) Clause de mobilité : Cass. soc., 27 juin 2002, n° 00-42.646, Fédération française des Maisons des jeunes et de la culture c/ M. André Corcoral, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0076AZT), D., 2002, p. 3115, obs. M.- C. Amauger-Lattes. Clause de non-concurrence : Cass. soc., 8 janvier 1997, n° 93-44.009, Mme Pied c/ Société Gras Savoye (N° Lexbase : A1480ACS), D., 1997, p. 332, note M. Crionnet ; Dr. soc., 1997, p. 323, obs. G. Couturier. D'une manière générale, v. A. Johansson, Les obligations conventionnelles face au silence du contrat de travail, JCP éd. S, 2006, 1304.
(11) J. Pélissier, Existe-t-il un principe de faveur en droit du travail, in Mélanges dédiés à M. Despax, 2001, p. 289
(12) Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, Mme Laetitia Suret c/ Société Coop Atlantique, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6993CK9) ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, Société Résoserv c/ Mme Ariane Queniat, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6994CKA) et les obs. de S. Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7795AAX), Dr. soc., 2003, p. 884, obs. J. Savatier, JCP éd. G, 2003, II, 10165, note M. Véricel, D., 2004, p. 89, note C. Puigelier, RDC, 2004, p. 237, obs. J.-P. Chazal, p. 381, note Ch. Radé, RJS, 2004, p. 3, chr. J. Pélissier. V., plus récemment, Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 05-45.688, Société La Halle, F-D (N° Lexbase : A0749DXZ) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelle application de la distinction entre les clauses informatives et la clause normative du contrat de travail : l'exemple de la mention du régime de prévoyance ou de retraite, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7909BBK).


Décision

Cass. soc., 31 mars 2009, n° 07-44.564, Société Brossette, FS-P+B (N° Lexbase : A5151EEI).

Cassation, CA Lyon, ch. soc., sect. A, 29 août 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 122-6 ([LXB=5556ACR], art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L1300H9Z) ; art. L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT, art. L. 1234-5, recod. N° Lexbase : L1307H9B) ; et art. L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU, art. L. 1234-9, recod. N° Lexbase : L8135IAK) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clés : licenciement disciplinaire ; faute grave ; indemnité contractuelle de licenciement ; interprétation

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