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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
le 07 Octobre 2010
Dès lors que le bénéficiaire d'un trust peut être assimilé à un propriétaire apparent, les biens confiés au trust doivent être inclus dans l'assiette de l'ISF du bénéficiaire.
On sait qu'un trust, institution non dotée de la personnalité morale, peut être constitué du vivant du "settlor" ou à son décès, auquel cas le trust est testamentaire, qu'il peut être révocable ou irrévocable, simple, dans l'hypothèse où le trustee reverse les revenus au bénéficiaire au fur et à mesure de leur réalisation, ou discrétionnaire, dans l'hypothèse où le trustee dispose du pouvoir plus ou moins discrétionnaire de distribuer ou d'accumuler les revenus. Au regard de l'ISF, la situation du bénéficiaire diffère selon qu'il peut être établi qu'il dispose ou non d'un droit réel ou d'un droit de créance sur le trust ou les biens qui composent l'actif de ce dernier.
1. Aucune imposition à l'ISF en l'absence de droit de propriété ou de créance
Le principe est le suivant : le bénéficiaire d'un trust ne peut être, à raison de sa seule qualité de bénéficiaire, assujetti à l'impôt de solidarité sur la fortune. Autrement dit, la seule perception des revenus d'un trust de droit américain est insuffisante pour faire peser sur son bénéficiaire une quelconque présomption de propriété qui autoriserait l'assujettissement à l'ISF (TGI Nanterre 4 mai 2004, n° 03/09350, Madame Eveline Poillot N° Lexbase : A0966DD7). Au cas particulier, il était même démontré, alors que c'était à l'administration de rapporter la preuve contraire, que l'acte instituant le trust déniait au bénéficiaire un quelconque droit de propriété ou de créance sur le trust ou sur les biens objets du trust. Le trust en question était donc un trust discrétionnaire.
2. Imposition à l'ISF si le bénéficiaire peut être assimilé à un propriétaire
En revanche, lorsque le bénéficiaire dispose de droits réels sur le trust, droits qui représentent une valeur patrimoniale, sa déclaration ISF doit en tenir compte. Dans l'affaire examinée récemment par la Cour de cassation, l'acte de trust prévoyait, notamment, que, du vivant du constituant, les trustees devraient détenir les biens dans le trust à son bénéfice et lui payer les revenus en provenant, ainsi que tout montant du principal, le cas échéant, sans limitation de montant, qu'il pourrait demander à tout moment par écrit. De surcroît, il était également précisé que le constituant pouvait révoquer la convention à tout moment et rentrer en possession des biens confiés, ou exiger que tout ou partie du portefeuille soit liquidé, pour en percevoir le prix, ou même que les titres lui soient remis. Dans ces conditions, le juge suprême ne pouvait qu'approuver les juges du fond d'en avoir déduit que le bénéficiaire avait eu le droit de jouir et de disposer des biens confiés au trust et que ces biens devaient être inclus dans l'assiette de son ISF.
La prise en charge par le donateur des droits, frais et émoluments d'une donation constitue, sur le plan civil, une donation indirecte rapportable à la succession du donateur.
La question que pose cette décision est la suivante : est-ce que l'administration fiscale va s'emparer de l'analyse retenue sur le plan civil pour en conclure à un rappel fiscal lors de la succession du donateur ?
1. Le principe fiscal établi...
Les frais et droits résultant d'une donation sont, en principe, supportés par le donataire. Cependant, une jurisprudence et une doctrine bien établies précisent que la prise en charge des droits par le donateur ne constitue pas un supplément de libéralité à ajouter à la libéralité principale pour liquider l'impôt (rép. min. Geoffroy, JO Sénat 8 octobre 1975, p. 2835). Cette règle s'applique que le donateur prenne expressément en charge les droits, qu'il se borne à créditer, des sommes correspondantes, son propre compte à l'étude du notaire (rép. min. Du Luart, JO Sénat 10 décembre 1987, p. 1936), voire même lorsque cette prise en charge résulte d'un acte postérieur à l'acte de donation (Cass. com., 28 février 2006, n° 03-12.310, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2159DNB). Il découle également de cette règle que les sommes correspondantes n'ont pas être rapportées à la succession du donateur au titre de l'article 784 du CGI (TGI Paris, 30 avril 1990, n° RG 00-0512, Colonna de Giovellina N° Lexbase : A7747C8G).
2. ...battu en brèche si les agents de impôt s'approprient la décision du 25 février 2009 ?
Dans sa décision récente, la Cour de cassation a décidé qu'il ne pouvait être reproché à la cour d'appel d'avoir décidé que la prise en charge par la mère des frais, droits et émoluments de la donation-partage consentie par elle à cinq de ses six enfants a constitué une donation indirecte devant, dès lors, être rapportée à la succession. C'est en vain que les bénéficiaires de la donation-partage et de la prise en charge par leur mère invoquaient la doctrine fiscale, au motif, selon le juge, que la cour d'appel n'avait pas à se prononcer sur l'assiette des droits de mutation. Cette décision, rendue par la première chambre civile, peut inciter les agents des impôts à s'en emparer sur le fondement de l'article 784 du CGI (N° Lexbase : L9250HZM), qui, on le sait, permet à l'administration de soumettre à l'impôt de succession une libéralité non encore taxée, à condition que le bénéficiaire vienne à la succession du donateur. D'autant plus qu'il existe un précédent. En effet, la Cour de cassation ayant décidé que l'avantage tiré de l'occupation gratuite d'immeubles par certains héritiers est rapportable, au motif que l'article 843 du Code civil (N° Lexbase : L9984HN4) "n'opère aucune distinction selon que le défunt a donné un bien ou seulement les fruits de celui-ci" (Cass. civ. 1, 14 janvier 1997, n° 94-16.813, Mme Katz c/ Consorts Knoll N° Lexbase : A9935ABL, Bull. civ. I, 1997, n° 22), l'administration fiscale a, dans maints contrôles, imposé à l'héritier bénéficiaire de rapporter à l'actif de la succession de celui qui l'avait consentie cette donation indirecte sur le fondement de l'article 784 du CGI. Il est vrai que ces redressements systématiques sont critiquables si le défunt n'avait eu comme objectif, en laissant un immeuble à la disposition de son héritier, que de remplir son devoir alimentaire envers ce dernier dépourvu de ressources ou ne disposant que de ressources faibles.
L'administration (qui en aurait douté !) se réserve le droit de requalifier un apport à une association en donation, ce qui rend l'opération passible des droits de mutation à titre gratuit dès lors que le bénéficiaire de l'apport ne peut invoquer un cas d'exonération. En revanche, là où la question posée par le parlementaire trouve un intérêt, c'est qu'il est permis, dans certains cas, de limiter le droit dû au seul droit d'apport, à condition d'établir la contrepartie de l'apporteur.
1. L'apport sans contrepartie requalifié en donation
Lorsque le transfert de propriété d'un bien à une association prend la forme d'une donation ou d'un legs, ce transfert est soumis aux droits de mutation à titre gratuit. Lorsque ce transfert est qualifié d'apport, nul doute que la contrepartie attendue par l'apporteur ne soit, en général, dans le cas d'une société civile ou commerciale, la remise de droits sociaux. Dans l'hypothèse de l'apport à une association à but non lucratif, l'administration considère que si l'opération est fictive ou qu'elle poursuit un seul but fiscal (écarter l'exigibilité des droits de donation), la procédure de l'abus de droit lui permet de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse.
2. Apport avec quelle contrepartie ?
Pour justifier la qualification d'apport, il convient de rechercher si l'apporteur a soit un intérêt matériel, soit un intérêt moral à l'opération. Dans la première hypothèse, la satisfaction d'un intérêt matériel est considérée comme permettant d'écarter l'intention libérale. Tel est le cas, par exemple, de l'apport d'un terrain à bâtir à une association diocésaine, afin que cette dernière puisse construire une église, cette opération étant réalisée "dans la perspective de la plus-value que devaient acquérir d'autres terrains appartenant à l'apporteur" (Cass. civ., 19 juillet 1921, DP 1922, 1, p. 84). Autrement dit, l'intention libérale est exclue dès lors que le sacrifice apparent à pour contrepartie un avantage économique. Dans la seconde hypothèse, l'intérêt moral de l'apporteur est considéré comme exclusif d'intention libérale. Ainsi, "l'apport d'un bien à une association culturelle ne constitue pas une libéralité dans la mesure où le disposant en retire en contrepartie un avantage moral et une considération sociale, ainsi qu'une situation particulière dans la participation au but de l'association" (CA Lyon, 8 juin 1971, D 1971, p.555). De même, l'auteur de l'apport d'un domaine immobilier à une association d'un domaine immobilier qui respectait ainsi la volonté de son oncle qui le lui avait légué recherchait également la satisfaction morale de voir continuer l'école libre (Cass. civ. 1, 1er mars 1988, n° 86-13.158, M de Bausset-Roquefort Duchaine d'Arbaud c/ Association organisme de gestion de l'école Notre-Dame de la Bretauche N° Lexbase : A6878AAY).
La Cour de cassation vient de décider que l'usufruitier de parts sociales ne consent aucune donation au nu-propriétaire lorsqu'il participe à l'assemblée qui décide d'affecter les bénéfices à un compte de réserve, au motif qu'avant l'attribution des dividendes, l'usufruitier n'a pas de droit sur ces bénéfices.
1. La mise en réserve ne conduit pas à un dépouillement de l'usufruitier...
Toute donation doit entraîner un "dépouillement" de celui qui souhaite avantager, sans contrepartie, une autre personne. Autrement dit, une personne s'appauvrit tandis qu'une autre s'enrichit. Dans l'affaire soumise à la Haute juridiction, la cour d'appel avait bien relevé que l'usufruitière des parts sociales d'une société civile avait décidé de la mise en réserve des bénéfices "pour accroître le capital dans l'intérêt exclusif de ses enfants nus-propriétaires" (CA Lyon, 1ère ch. B, 16 octobre 2007, n° 06/03324 N° Lexbase : A2339EDY). Cependant, en précisant qu'un associé n'a de droit sur les bénéfices d'une société que lorsque ceux-ci deviennent des fruits au moment de la décision de les mettre en distribution, le juge a décidé que l'appauvrissement de l'usufruitier n'était pas rapporté. Ainsi, en participant à la décision d'affecter les bénéfices à un compte de réserve, l'usufruitier ne procède pas à une donation indirecte au profit des nus-propriétaires.
2. ... même si le nu-propriétaire s'enrichit
Il ne fait aucun doute que la mise en réserve augmente la valeur des parts données en nue-propriété aux enfants de l'usufruitier et que cette augmentation de valeur leur sera transmise en franchise de droits par application des dispositions de l'article 1133 du CGI (N° Lexbase : L9702HLW). Cependant, cet enrichissement n'est définitivement acquis qu'au décès de l'usufruitier. En effet, il est admis que même après la mise en réserve, l'usufruitier peut percevoir des dividendes prélevés sur ces réserves. Autrement dit, la bataille gagnée sur le terrain de la donation indirecte lors de la décision de mise en réserve pourrait rebondir à la suite du décès de l'usufruitier qui aurait permis une application bénéfique de l'article 1133 du CGI.
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