Réf. : CA Paris, 1ère ch., sect. C, 26 février 2009, n° 07/18559, M. William Ajzner et autres c/ Ministère public (N° Lexbase : A6272EDN)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
I - Le triomphe de l'ordre public
Recevabilité de l'action du ministère public. La recevabilité de l'action du ministère public, contestée par les parents génétiques de l'enfant, ne faisait aucun doute. La cour d'appel se fonde, comme la Cour de cassation dans son arrêt du 17 décembre 2008, sur l'article 423 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2662ADX), selon lequel le ministère public peut agir dans tous les cas pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci. Le ministère public ayant contesté l'opposabilité, en France, des jugements étrangers à partir desquels avait été établi l'acte de naissance des enfants et l'effet, en France, de ce dernier, au motif que ces actes portaient atteinte à la prohibition de la gestation pour autrui, il était évident qu'il agissait pour défendre l'ordre public. Selon la cour d'appel, le fait que le ministère public ait lui-même sollicité la transcription de l'acte d'état civil étranger sur les registres français, pour mieux les contester, ne constitue pas, un obstacle à la recevabilité de son action. Les juges parisiens répondent ainsi clairement à un argument que la Cour de cassation avait passé sous silence.
Choix entre l'ordre public et l'intérêt supérieur de l'enfant. Si l'arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 permettait de prévoir la décision quant à la recevabilité de l'action du ministère public, il ne permettait pas de préjuger de la décision quant au bien fondé de cette action. La cour d'appel de Paris se trouvait, en effet, confrontée à un choix consistant soit à faire jouer l'exception d'ordre public international fondée sur la prohibition en France de la gestation pour autrui, soit à privilégier l'intérêt supérieur de l'enfant, apprécié in concreto, et à reconnaître l'effet en France de l'acte de naissance valablement établi à l'étranger.
Bien fondé de l'action du ministère public. Dans l'arrêt du 26 février 2009, les juges parisiens choisissent très clairement de privilégier l'ordre public. Après avoir constaté, ce qui n'était d'ailleurs pas contestable, que les jugements d'abandon et d'adoption avaient pour effet de valider une convention de gestation pour autrui, contraire à la conception française de l'ordre public international, ils en déduisent que la transcription de l'acte de naissance de l'enfant effectuée sur les registres français de l'état civil, comportant l'indication du nom de la mère d'intention en qualité de mère, doit être annulée. Ce raisonnement paraît, en théorie au moins, tout à fait admissible compte tenu de la prohibition pénalement sanctionnée des conventions de gestation pour autrui en droit français (4) ; il a incontestablement le mérite de la cohérence et du respect du droit positif en attendant une éventuelle réforme légalisant le recours à la maternité de substitution (5). Il s'inscrit, en outre, dans la continuité de la position française en matière de gestation pour autrui, initiée par l'arrêt de la Cour de cassation de 1991 (6), consistant à sanctionner la prohibition du recours aux mères porteuses par l'annulation de tout lien juridique qui en découlerait, qu'il s'agisse d'un lien de filiation directement établi entre l'enfant et la mère d'intention ou d'un lien fondé sur une adoption de l'enfant par cette dernière. Comme le ministère public l'avait affirmé dans cette affaire, cette solution se fonde sur le principe, essentiel en droit français, selon lequel la maternité ne peut procéder que de l'accouchement. Il n'en reste pas moins qu'elle a pour l'enfant des conséquences pour le moins préjudiciables dont on peut continuer de penser qu'elles ne respectent pas ses droits fondamentaux.
II - L'éviction des droits fondamentaux de l'enfant
Primauté de l'exception d'ordre public. Selon la cour d'appel, il ne peut être valablement soutenu que la conception française de l'ordre public international aboutissant à rejeter tout acte fondé sur une convention de gestation pour autrui "conduit à une méconnaissance des dispositions de l'article 8 de la CEDH pas plus que de l'intérêt supérieur de l'enfant". Cette formule lapidaire revient à faire primer l'exception d'ordre public, et donc l'intérêt général, sur l'intérêt supérieur de l'enfant ou son droit au respect de sa vie familiale, qui ne sont, il est vrai, constitutifs que d'un intérêt particulier.
Disparition de la filiation maternelle. La décision de la cour d'appel de Paris prive l'enfant, en France, où il réside, de la filiation maternelle qui est la sienne depuis six ans et qui continue à l'être au regard du droit américain. Il ne pourra donc pas hériter de sa mère, et pire encore, il pourrait être séparé d'elle si, par exemple, son père désormais seul titulaire de l'autorité parentale, en décidait ainsi. Un certain nombre de dispositions du Code civil pourraient certes permettre à "l'ex-mère" d'obtenir un droit de visite ; mais que pourraient signifier ce type de relation entre un enfant et la femme qui ne lui a pas donné le jour mais est sa mère génétique et l'a élevé depuis sa naissance ? On ne peut sérieusement affirmer que priver un enfant de sa filiation maternelle n'est pas contraire à son intérêt supérieur et il est peu vraisemblable que la formule, certes ambiguë, de la cour d'appel de Paris sur ce point, aille dans ce sens. Sans doute a-t-elle voulu seulement signifier que l'intérêt supérieur de l'enfant ne pouvait pas jouer en l'espèce pour faire obstacle à la primauté de l'ordre public.
Mise en oeuvre de la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant. On peut regretter que la cour d'appel ne se soit pas davantage expliquée sur l'articulation de l'exception d'ordre public et de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle aurait pu ainsi répondre avec profit au raisonnement tenu par le ministère public sur ce point. Selon celui-ci, en effet, "l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit constituer pour le juge une considération primordiale mais non exclusive, ne pouvait permettre d'anéantir les autres principes directeurs de notre droit". En réalité, c'est la question au coeur du débat. La cour d'appel semble donner raison au ministère public en faisant primer l'exception d'ordre public international. Il n'est, toutefois, pas certain que cette conception s'impose d'elle-même. On pourrait à l'inverse considérer que, lorsque lesdits principes directeurs aboutissent à une violation manifeste de l'intérêt supérieur de l'enfant dans une situation spécifique, ils doivent être écartés. L'intérêt supérieur de l'enfant jouerait alors comme un mécanisme correcteur, appliqué de manière concrète et particulière. L'affirmation de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), selon laquelle l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale, peut être interprétée comme imposant la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions qui le concernent, y compris lorsque l'ordre public est en jeu. Il s'agit donc bien de déterminer quelle interprétation doit recevoir l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant ; cette question relève, à n'en pas douter, de la Cour de cassation, dont on attend qu'elle se prononce clairement sur ce point.
Cour européenne des droits de l'Homme La Cour européenne des droits de l'homme pourrait ensuite, le cas échéant, être saisie sur le fondement du droit au respect de la vie familiale de l'enfant et de sa mère "génétique". La disparition de la filiation maternelle constitue, sans nul doute, une atteinte à ce droit dont la Cour devra dire si elle est ou non proportionnée au but poursuivi, en l'occurrence la prohibition de la gestation pour autrui. La Cour européenne pourrait procéder, comme elle le fait depuis plusieurs années (7), à une interprétation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) à la lumière de la Convention internationale des droits de l'enfant et particulièrement de son article 3-1. Dans l'arrêt " Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg" du 28 juin 2007 (8), elle a ainsi considéré, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant que le refus du Luxembourg d'accorder l'exequatur à un jugement d'adoption péruvien rendu au bénéfice d'une femme célibataire, au motif que le droit luxembourgeois limitait le recours à l'adoption aux seuls couples mariés, constituait une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale de l'enfant et de sa mère. Elle pourrait, de même, considérer que l'atteinte au droit à la vie familiale subie par les enfants nés de mères porteuses n'est pas proportionnée au but légitime poursuivi, en s'appuyant notamment sur l'idée, déjà développée dans l'arrêt "Mazureck" (9), à propos de l'enfant adultérin, que ce n'est pas à l'enfant de subir les conséquences des choix parentaux.
Différence de traitement entre le père et la mère. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, et contrairement à ce qui avait été décidé en première instance dans l'affaire de la convention de mère porteuse californienne (10), seule la transcription de la mention de la filiation maternelle est annulée sans que la filiation paternelle ne soit remise en cause. Or, si l'on considère que cette annulation vient sanctionner la participation à une fraude, il n'est pas logique que seule la mère voit disparaître son lien avec l'enfant puisque les deux parents étaient parties à la convention de mère porteuse. Mais, cette différence de traitement est le résultat d'une différence essentielle entre la paternité et la maternité dans le droit de la filiation : selon le Code civil (11), le père est le géniteur tandis que la mère est celle qui accouche, peu importe qu'elle soit ou non la mère génétique de l'enfant. C'est bien cette conception de la maternité qui est au coeur du débat relatif à la gestation pour autrui et qui explique, sans nul doute, au moins pour partie, la virulence des débats qu'elle suscite...
(1) Cass. civ. 1, 17 décembre 2008, n° 07-20.468, Procureur général près la cour d'appel de Paris, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8646EBT), et nos obs. Mère porteuse : la Cour de cassation soutient l'action du ministère public, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N2211BIQ).
(2) CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 octobre 2007, n° 06/00507, Ministère public c/ M. M. (N° Lexbase : A4624DZB) et lire les obs. de N. Baillon-Wirtz, L'intérêt supérieur de l'enfant et la maternité pour autrui, Lexbase Hebdo n° 286 du 20 décembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5577BDW).
(3) Nos obs. préc..
(4) C. pén., art. 227-12 (N° Lexbase : L1787AM7).
(5) Rapport d'information fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, n° 421 (2007-2008) - 25 juin 2008, et les obs d'A.-L. Blouet-Patin, Mères porteuses : le Sénat rend sa copie et ouvre la voie à une légalisation de la pratique, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 édition privée générale (N° Lexbase : N6731BGE).
(6) Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105 (N° Lexbase : A7573AHX), D., 1991 p. 417, rapport Y. Chartier, note D. Thouvenin ; JCP éd. G, 1991, II, 21752, concl. Dontenwille, note F. Terré.
(7) A. Gouttenoire, La Convention internationale des droits de l'enfant dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in Le Monde du droit, Ecrits rédigés en l'honneur de Jacques Foyer, Economica, 2008 p. 495.
(8) CEDH, 28 juin 2007, Req. 76240/01, Wagner ET J.M.W.L. c/ Luxembourg (N° Lexbase : A5260EA3), RTDCiv., 2007, p. 738, obs. J.-P. Marguénaud.
(9) CEDH, 1er février 2000, Req. 34406/97, Mazurek c/ France (N° Lexbase : A7786AWB), JCP éd G, 2000, II, 10286, obs. A. Gouttenoire-Cornut et F. Sudre ; RTDCiv., 2000, 311, obs. J. Hauser ; RTDCiv., 2000, 429, obs. J.-P. Marguénaud.
(10) Cf. supra.
(11) Ainsi l'article 332 du Code civil (N° Lexbase : L8834G93) dispose, à propos de l'action en contestation de la filiation, que "la maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant" tandis que le même texte dispose que "la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père" au sens de père génétique.
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