La lettre juridique n°952 du 6 juillet 2023

La lettre juridique - Édition n°952

Avocats/Responsabilité

[Jurisprudence] Point de départ de l’action en responsabilité contre l’avocat : attention au revirement  !

Réf. : Cass. civ. 1, 14 juin 2023, n° 22-17.520, FS-B N° Lexbase : A79989ZA

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par Gaëtan Guerlin, Professeur à l’Université de Lille

Le 28 Juillet 2023

Mots-clés : article 2225 du Code civil • point de départ du délai de prescription • responsabilité professionnelle de l’avocat • fin de la mission

La première chambre civile de la Cour de cassation prononce un important arrêt de revirement concernant la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité dirigée contre le représentant ou l’assistant en justice, prévue à l’article 2225 du Code civil. Elle juge désormais que « le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date ». La sécurité juridique n’en sort pas renforcée.


 

1. L’article 2225 du Code civil N° Lexbase : L7183IAB prévoit que « l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission. » La nature et l’objectif de ce texte ont clairement été établis par Julie Klein dans sa thèse de doctorat [1]. Chacun sait désormais que le législateur a entendu protéger les représentants et les assistants en justice, en évitant que leur responsabilité puisse être indéfiniment recherchée. Techniquement, cette faveur s’est traduite par une fixation avantageuse du dies a quo, dont il faut comprendre la logique.

2. Alors même qu’en droit commun, les actions en responsabilité se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC), les actions en responsabilité dirigées contre les représentants ou les assistants en justice se prescrivent par cinq ans « à compter de la fin de leur mission. » En droit commun, le point de départ du délai de prescription, que l’on dit habituellement « flottant » ou « glissant », est fixé subjectivement, c’est-à-dire en considération du moment variable où la victime prend connaissance de la situation lui permettant d’agir. Ce n’est pas ce qui est prévu à l’article 2225, où le point de départ n’est pas subjectivement, mais objectivement fixé, par référence à « la fin de mission ». Par ailleurs, alors même qu’en droit commun le point de départ de l’action indemnitaire est fixé en considération de la connaissance du dommage par la victime, le point de départ prévu à l’article 2225 est parfaitement étranger à la manifestation de ce dernier. Seule la « fin de mission » fait courir le délai quinquennal, sans qu’il faille ainsi tenir compte de la date du préjudice ou de sa manifestation. Julie Klein explique encore les raisons de ce dispositif dérogatoire, conçu comme un régime de « faveur [2] » essentiellement dicté par des impératifs probatoires. L’article 2225 répond à une « fonction spécifique [3] », les professionnels pouvant s’estimer déchargés de toute responsabilité quelques années après la fin de leur mission, sans avoir à conserver indéfiniment les documents permettant d’assurer leur défense.

Ainsi le point de départ prévu à l’article 2225 demeure-t-il « objectif », en ce sens où il échappe par principe aux connaissances de la victime. Bien qu’objectif, il n’en demeure pas moins parfois délicat à déterminer, tant on peut hésiter en pratique sur la date ou l’événement précis caractérisant la fin de la mission. Au fond, la « fin de la mission » n’est rien d’autre qu’un standard de droit, c’est-à-dire une notion floue, qui laisse place à bien des hésitations.

3. D’où un contentieux, récurrent, tendu vers une même question : comment caractériser la « fin de mission » ? Cette question générale préoccupe classiquement les parties et le juge qui se trouvent confrontés à des interrogations en cascade. Faut-il, en effet, adopter une conception globale ou fractionnée de la mission, lorsque plusieurs tâches sont assignées au professionnel ? La détermination de la fin de la mission est-elle une question de pur fait, laissée comme telle à l’appréciation souveraine des juges du fond, ou implique-t-elle au contraire une qualification n’échappant pas au contrôle de la Cour de cassation ? La sécurité juridique commande-t-elle enfin de ne retenir qu’un seul et unique événement caractérisant la fin de la mission, ou faut-il admettre que les missions peuvent prendre fin de manière variée, selon la singularité des situations ?

4. Dans un premier mouvement, la jurisprudence a fait l’objet d’une certaine casuistique, les rares décisions manquant par ailleurs de prévisibilité. Puis, dans un second temps, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé de rompre avec la casuistique, en rendant un arrêt de principe daté du 14 janvier 2016 [4]. Elle jugeait alors que « l’action en responsabilité contre un avocat au titre d’une faute commise dans l’exécution de sa mission d’interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l’irrecevabilité de l’appel ».

5. Cet arrêt de 2016 a été diversement apprécié. Il a été approuvé en ce qu’il renforçait l’idée de fixité du point de départ [5]. En retenant comme dies a quo « la décision » rendue à l’issue de l’instance à l’occasion de laquelle le représentant ou l’assistance avait commis une faute, l’arrêt de 2016 facilitait grandement la computation du délai quinquennal. Il suffisait en somme de se référer à la date de la décision, ce qui renforçait la sécurité juridique.

L’arrêt de 2016 a, au contraire, été critiqué en raison de sa sévérité pour le client de l’avocat. Au lieu de retenir « la décision » rendue à l’issue de l’instance au cours de laquelle une faute professionnelle avait été commise, n’eût-il pas mieux fallu retenir la décision postérieure mettant fin à toutes les voies de recours, à tout le moins lorsque le professionnel fautif avait conservé un rôle dans l’exercice de ces dernières [6] ?

Quoi qu’il en soit, la solution de 2016 permettait d’unifier la jurisprudence, la Cour de cassation retenant une conception de la fin de mission « très mécanique, soustraite à l’appréciation des juges du fond [7] ». La Cour de cassation refusait par ailleurs toute conception globalisante de la mission de l’avocat, en en retenant une conception fractionnée. Quand bien même de multiples tâches seraient dévolues à l’avocat, le client ne pourrait pas retenir la fin de la toute dernière mission pour faire courir le délai : « l’adoption d’une conception fractionnée de la mission de l’avocat se double alors d’une déduction mécanique de la date de son achèvement marquant le point de départ de l’action en responsabilité [8] ». Cette solution avait, en outre, été regrettée, tant l’on conçoit mal en pratique qu’un client puisse agir contre son avocat avant même la fin des dernières missions qui lui sont confiées [9]. Surtout, et enfin, la solution tirée de l’arrêt de 2016 contrevenait à certaines dispositions du Code de procédure civile, comme à certaines règles déontologiques. Chacun sait, en effet, que la mission de l’avocat ne cesse nullement du seul prononcé de la décision. Dans sa note de jurisprudence, Julie Klein n’avait dès lors pas manqué de souligner l’incohérence de la solution de 2016, spécialement au regard du droit procédural [10].

6. Cette dernière critique a fait mouche. Par un important arrêt de revirement du 14 juin 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation abandonne la solution de l’arrêt de 2016. Elle juge désormais « que le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date. »

Le dies a quo correspondant à la fin de mission ne correspond donc plus à la date de « la décision » de justice prononcée. Il correspond soit à la date d’expiration de délai de recours prévu contre cette décision (c’est le nouveau principe), soit à la date de fin de mission prononcée par le client ou l’avocat durant le délai de recours (c’est l’exception au nouveau principe).

7. En l’occurrence, un conseiller de la mise en état avait ordonné la caducité d’une déclaration d’appel [11]. Le client avait par suite engagé la responsabilité de son avocat, qui lui avait opposé la prescription de son action. Pour déclarer l’action irrecevable, les juges du fond avaient retenu que la mission de l’avocat avait pris fin au jour de l’ordonnance, constatant la caducité de l’appel, dans le sillage du principe posé en 2016. La cassation est prononcée par un moyen relevé d’office. En l’espèce, le client avait mis fin à sa collaboration avec l’avocat par une lettre antérieure à l’expiration du délai de déféré, de sorte que, pour la Cour de cassation, le délai de prescription avait commencé à courir à compter de la date de ce courrier de résiliation.

8. Le revirement repose sur un raisonnement clairement exprimé dans l’arrêt didactique, qui tient à la volonté de combiner différentes dispositions en vigueur. La Cour de cassation a en effet cherché à respecter la cohérence du droit, en s’inspirant sans doute de l’imaginaire article 4 ½ du Code civil [12]. Elle s’est donc livrée à une interprétation systémique [13] destinée à asseoir l’harmonie des textes, l’article 2225 ne devant plus faire l’objet d’une lecture isolée. Précisément, la Cour articule l’article 2225 du Code civil avec les articles 412 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6513H7D et 13 du décret n° 2005-790, du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat N° Lexbase : C323039I.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 414 du Code de procédure civile, « la mission d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger ». Elle énonce encore qu’aux termes de l’article 13 du décret du 12 juillet 2005, « l’avocat conduit jusqu’à son terme l’affaire dont il est chargé, sauf si son client l’en décharge ou s’il décide de ne pas poursuivre sa mission ». La conclusion tombe comme une évidence : la mission de l’avocat ne cesse nullement avec la décision rendue, ce qui suffit à renverser la solution de 2016 [14].

9. Que doit-on retenir du nouveau point de départ du délai de prescription ?

En premier lieu, le nouveau dies a quo demeure objectif, en ce sens qu’il reste étranger à la date où le client prend subjectivement connaissance de la situation lui permettant d’agir. La fin d’un délai de recours, comme l’acte de rupture de la mission, sont deux événements objectifs. Le dies a quo de l’article 2225 est donc toujours dérogatoire par rapport à celui que l’article 2224 pose en droit commun.

En deuxième lieu, et par voie de conséquence, le dies a quo de l’article 2225 reste déconnecté de toute référence à la manifestation du dommage, ou des autres conditions de la responsabilité, qui demeurent en l’occurrence absolument inopérantes.

En troisième lieu, le nouveau dies a quo procède toujours d’une conception morcelée, c’est-à-dire fractionnée et non unitaire, de la mission de l’avocat. La Cour précise en effet que le délai de prescription de l’article 2225 « court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client ». Si d’autres missions sont assignées à l’avocat, impliquant d’autres instances, d’autres délais de prescription courront, à l’issue de l’expiration d’autres voies de recours, pour le cas échéant engager sa responsabilité.

En quatrième lieu, il nous semble que le nouveau dies a quo est « glissant », à sa manière. Il ne l’est pas en ce sens où il dépendrait de considérations subjectives. Mais il est « glissant » en ce sens où, à l’issue de la décision prononcée, son mode de fixation et sa date varieront notablement selon les situations. D’abord, les délais pour exercer les voies de recours ordinaires et extraordinaires (ces dernières n’étant pas exclues dans l’arrêt commenté) varient sensiblement (par exemple : un mois ou quinze jours pour l’appel [15], deux mois pour le pourvoi en matière civile [16]), ce qui nécessairement fait varier le dies a quo. Ensuite, et c’est sans doute une exception à l’objectivité du dies a quo, le point de départ apparaît singulièrement « glissant » et subjectif lorsque la décision prononcée peut faire l’objet d’un recours en révision. On rappellera, en effet, que le délai de deux mois pour exercer un recours en révision court « à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque [17] ». Chassez la subjectivité en son principe, elle revient par l’exception ! En outre, les délais de recours courent tantôt à compter de la décision de justice (on pense au déféré, qui était applicable dans l’affaire commentée [18], ou encore au pourvoi en cassation formé en matière pénale [19]), tantôt à compter de la notification de la décision [20]. Dans ce dernier cas, et ainsi qu’un auteur l’a déjà souligné [21], qu’advient-il en l’absence de signification ? Faut-il considérer, par application de l’article 528-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6677H7G, que le délai de prescription court deux ans après le prononcé de la décision non notifiée [22] ? Plus encore, quid en l’absence de possibilité de recours : lorsque les voies de recours sont épuisées ou lorsque la décision rendue est une mesure d’administration de la justice, comme telle discrétionnaire et donc inattaquable ? Où l’on voit que des zones d’ombre persistent, la sécurité juridique n’en sortant pas vraiment renforcée. Au fond, la formule unitaire et faussement simple tirée de l’arrêt commenté (« l’expiration du délai de recours ») masque mal la diversité des situations, qui sont parfois complexes. Une certaine casuistique pourrait dès lors réapparaître en jurisprudence, dans une proportion qu’il est difficile d’imaginer. Sans doute est-ce le prix de la mise en cohérence des textes articulés dans l’arrêt du 14 juin 2023.

En cinquième lieu, et pour conclure, il faut redire que l’article 2225 a été conçu comme un régime de faveur pour l’avocat. Or il n’est pas sûr, tant s’en faut, que le nouveau dies a quo lui profite. Lorsque le client n’aura pas mis fin à la mission, comme dans l’affaire commentée, l’avocat pourra avoir intérêt à l’interrompre lui-même ou à faire signifier la décision, afin de faire courir le plus rapidement possible le délai de prescription…

À retenir. Le délai de prescription de l’action en responsabilité de l’avocat ne court plus à compter du jour du prononcé de la décision de justice. Il court à compter de l’expiration du délai de recours contre cette décision, sauf si le client ou l’avocat a préalablement mis fin à la mission.
 

[1] J. Klein, Le point de départ de la prescription, préf. N. Molfessis, Economica, Recherches juridiques, 2013, spéc. n° 107, p. 87, n° 114, p. 91-92.

[2] J. Klein, op. cit., n° 600, p. 453, avec l’analyse des travaux préparatoires à l’adoption de l’article 2225 du Code civil.

[3] J. Klein, note sous Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-23.200, FS-P+B N° Lexbase : A9310N39.

[4] Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-23.200, FS-P+B N° Lexbase : A9310N39 ; H. Barbier, RTD civ., 2016, p. 364 ; L. Leveneur, Contrats Concurrence Consommation, avril 2016, comm. 86.

[5] L. Leveneur, comm. préc.

[6] H. Barbier, note préc.

[7] J. Klein, note préc.

[8] Ibidem.

[9] Ibidem.

[10] Ibidem, l’auteure rappelant qu’aux termes de l’article 420 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0430IT4, « l’avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu’à l’exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d’un an après que ce jugement soit passé en force de chose jugée. »

[11] La procédure d’appel est devenue un chemin de croix, les voies de l’infirmation étant ressenties comme impénétrables par certains avocats. Sur le sujet, lire P. Giraud, La profession d’avocat : les risques de l’exercice. Les risques de l’appel, Lexbase Avocats, 4 février 2021, n° 311 N° Lexbase : N6028BYW.

[12] D. Gutmann, « Le juge doit respecter la cohérence du droit ». Réflexion sur un imaginaire article 4 ½ du Code civil, in Le titre préliminaire du Code civil, dir. G. Fauré et G. Koubi, Economica, Études juridiques, 2003, p. 109.

[13] Sur l’interprétation systémique, qui implique de combiner différents textes, lire par ex. J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, PUF, Thémis Droit privé, 2001, p. 254.

[14] Au reste, la Cour de cassation a parfaitement conscience que d’autres textes en vigueur attestent que la mission de l’avocat survit aux décisions de justice (lire l’arrêt, n° 8, où la Cour énonce que la solution adoptée en 2016 se concilie difficilement avec certaines dispositions, « telles que celles » tirées des articles 412 du Code de procédure civile et 13 du décret de 2005).

[18] Les décisions susceptibles d’être déférées devant l’être « dans les quinze jours de leur date » (CPC, art. 916 N° Lexbase : L8615LYQ).

[19] Les parties ont « cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée » pour se pourvoir en cassation (C. proc. pén., art. 568 N° Lexbase : L0864DYN).

[21] C. Hélaine, Revirement de jurisprudence concernant le point de départ de l’action en responsabilité contre l’avocat, Dalloz actualité, note sous Cass. civ. 1, 14 juin 2023, n° 22-17.520, FS-B N° Lexbase : A79989ZA, 19 juin 2023.

[22] CPC, art. 528-1, al. 1er : « Si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai. »

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Baux commerciaux

[Brèves] Droit de préférence du locataire : exclusion des locaux à usage industriel

Réf. : Cass. civ. 3, 29 juin 2023, n° 22-16.034, FS-B N° Lexbase : A4970979

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N6129BZZ

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par Vincent Téchené

Le 05 Juillet 2023

► Les locaux à usage industriel sont exclus du champ d'application de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce. Au sens de ce texte, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.

Faits et procédure. Les propriétaires indivis d'un ensemble immobilier l'ont donné à bail commercial à une société. Par acte reçu le 31 août 2017 par un notaire, les bailleurs ont vendu les biens loués. Invoquant une atteinte au droit de préférence dont elle bénéficiait, la locataire a, le 5 octobre 2017, assigné les cédants et la société cessionnaire en annulation de la vente et indemnisation de son préjudice.

La cour d’appel (CA Orléans, 10 mars 2022, n° 20/01235 N° Lexbase : A05687Q4) ayant rejeté les demandes de la locataire, cette dernière a formé un pourvoi en cassation.

La question qui se posait ici était de savoir si les dispositions de l’article L. 145-46-1 N° Lexbase : L4529MBD s’appliquent à un local industriel.

Décision. La Cour de cassation y répond par la négative. Après avoir rappelé les termes des articles L. 145-1 N° Lexbase : L9695L79 et L. 145-46-1, ce dernier visant les locaux à usage commercial ou artisanal, elle précise que les locaux à usage industriel se trouvent donc exclus du champ d'application de ce texte.

Mais la Haute juridiction va plus loin et prend le soin de définir le local à usage industriel.

Elle relève, dans un premier temps, qu’il résulte des travaux parlementaires de la loi « Pinel » (loi n° 2014-626, du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D) que le projet de loi initial prévoyait l'instauration d'un droit de préférence en cas de vente d'un local à usage commercial, industriel ou artisanal. Mais deux amendements excluant les locaux industriels du champ d'application du droit susvisé ont été adoptés, sans qu'il soit possible de déterminer les motifs de cette exclusion. 

Elle se réfère alors, dans un second temps, à la jurisprudence administrative. Ainsi, le Conseil d'État a-t-il  jugé que, au sens des articles 44 septies N° Lexbase : L6940LZ3 (CE, 3°-8° s.-sect. réunies, 28 février 2007, n° 283441, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4283DU8), 244 quater B N° Lexbase : L7453MAB (CE, 9e ch., 13 juin 2016, n° 380490 N° Lexbase : A7755RSZ) et 1465 N° Lexbase : L5750MA9 (CE, 9° s.-sect., 3 juillet 2015, n° 369851 N° Lexbase : A5801NMS) du CGI, ont un caractère industriel les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.

La Cour retient alors que les critères ainsi dégagés sont opérants, au regard de l'objet de l'article L. 145-46-1 précité, pour délimiter la portée de l'exclusion des locaux à usage industriel du droit de préférence.

Elle en conclut qu’au sens de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.

En l’espèce, les locaux loués étaient notamment destinés à un usage de fabrication d'agglomérés et l'extrait du registre du commerce et des sociétés de la locataire mentionnait les activités de « pré-fabrication de tous éléments de construction à base de terre cuite plancher murs et autres » ainsi que de « fabrication de hourdis, blocs et pavés béton ». Dès lors, la cour d’appel a pu en déduire que le local donné à bail n'était pas à usage commercial ou artisanal au sens de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce. La Cour rejette en conséquence le pourvoi.

Observations. Si l’exclusion des locaux industriels ne faisait guère débat, leur définition permet de circonscrire le champ d’application du texte. Il convient de noter que c’est la première fois que la Cour de cassation en donne une définition.

Par ailleurs, on notera que la question de l’application du droit de préférence aux bureaux n’a pas encore été tranchée par la Cour de cassation. Des cours d’appel ont toutefois précisé que s'il est admis que les bureaux à usage professionnel doivent être exclus du droit de préemption, en revanche, les bureaux abritant une activité commerciale sont considérés comme des locaux à usage commercial, tel étant le cas de locaux dans lesquels est exercée une activité d’administrateur de biens (CA Paris, 5-3, 1er décembre 2021, n° 20/00194 N° Lexbase : A83177DE, V. Téchené, Lexbase Affaires, décembre 2021, n° 669 N° Lexbase : N9811BYZ ; CA Rennes, 11 janvier 2022, n° 20/01661 N° Lexbase : A92307HC, V. Téchené, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 702 N° Lexbase : N0110BZ4).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les obligations du bailleur du bail commercial, Le champ d'application du droit de préférence du locataire en cas de vente d'un local commercial, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E4282E7Q.

 

newsid:486129

Comité social et économique

[Brèves] Expertise sur la politique sociale de l’entreprise : nécessaire obtention par l’expert-comptable de l’accord de l’employeur et des salariés pour conduire des entretiens

Réf. : Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-10.293, FS-B N° Lexbase : A268697M

Lecture: 3 min

N6143BZK

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par Charlotte Moronval

Le 05 Juillet 2023

► L'expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, s'il considère que l'audition de certains salariés de l'entreprise est utile à l'accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu'à la condition d'obtenir l'accord exprès de l'employeur et des salariés concernés.

Faits et procédure. Un CSE décide de recourir à une expertise, destinée à l'assister lors des consultations annuelles sur la situation économique et financière de la société et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi.

L’expert désigné notifie à la société une lettre de mission, portant sur les modalités de son intervention et fixant notamment un coût prévisionnel prenant en compte des temps d’entretiens avec les salariés de la société.

La société fait assigner le CSE et l’expert devant le président du tribunal judiciaire aux fins de réduire le taux journalier et le coût prévisionnel de l'expertise ainsi que la durée de celle-ci.

Le tribunal judiciaire fait droit aux demandes de la société et considère que l’expert ne peut conduire les entretiens avec les salariés. Il relève notamment que :

  • selon la lettre de mission, l'intervention de l'expert-comptable au titre de l'analyse de la politique sociale, des conditions de travail et de l'emploi portait limitativement sur les conditions de travail et devait être exclusivement réalisée au moyen d'entretiens avec les salariés prévus sur cinq à six jours, en prévoyant de réaliser des entretiens avec vingt-cinq salariés d'une durée de 1 heure 30 chacun avec un battement de 15 minutes entre chaque entretien, soit un total de cinq entretiens sur cinq à six jours ;
  • et que l'employeur s'était opposé à ces entretiens.

Dès lors, le président du tribunal en a exactement déduit que devait être rejetée la demande de l'expert-comptable tendant à faire injonction à l'employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens de sorte que le nombre de jours prévus pour l'expertise devait être réduit.

L’expert-comptable forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation valide la position retenue par le tribunal judiciaire et rejette le pourvoi.

Elle rappelle que l'expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, a libre accès dans l'entreprise pour les besoins de sa mission (C. trav., art. L. 2315-82 N° Lexbase : L8394LGY) et que l'employeur doit fournir à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission (C. trav., art. L. 2315-83 N° Lexbase : L8395LGZ).

Cependant, l’employeur s’étant opposé aux entretiens, le président du tribunal en a exactement déduit que devait être rejetée la demande de l’expert-comptable tendant à faire injonction à l’employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens. Le nombre de jours prévus pour l’expertise devait dès lors être réduit.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le recours à l’expertise par le comité social et économique, Les droits et obligations de l'expert, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2025GAA.

 

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Construction

[Chronique] « Diagnostic des diags » : la chronique semestrielle d’actualité consacrée aux diagnostics immobiliers

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N6192BZD

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats et Manon Brauge, Avocat, M2J Avocats

Le 22 Août 2023

Mots-clés : diagnostic immobilier • diagnostiqueur • responsabilité • dossier technique • diagnostic amiante • accessibilité • diagnostic de performance énergétique • état parasitaire • termites • mérule • mesurage « Carrez » • obligation de conseil • obligation de moyen • indemnisation du préjudice • travaux réparatoires • perte de chance

L’actualité jurisprudentielle sur les diagnostics immobiliers ne cesse d’enfler. D’autant plus que les nouvelles réglementations applicables au diagnostic de performance énergétique et à l’audit énergétique ont été largement médiatisées. Lexbase Droit privé vous propose de retrouver la chronique semestrielle d’actualité de Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats et Manon Brauge, Avocat, M2J Avocats, sur ce sujet aussi prégnant et dont le devenir le sera encore davantage.


Les décisions récentes des juridictions du fond relevées dans cette nouvelle chronique, sur la période du premier semestre de l’année 2023, permettent, d’une part, de revenir sur l’étendue de l’examen visuel (I), et d’autre part sur l’indemnisation du préjudice subi une fois que le dommage est établi (II).

I. Déterminer l’étendue de l’examen visuel

L’étendue des missions du diagnostiqueur dépend du diagnostic à réaliser et des conditions de son intervention : avant la vente d’un bien immobilier dans le cadre de la constitution du dossier technique préalable ou, alors, avant la réalisation de travaux. En matière de diagnostic amiante par exemple, le champ d’intervention du diagnostiqueur et les éléments à investiguer seront différents selon que l’on se situe dans un cas ou dans un autre. Le rapport de diagnostic renvoie, le plus souvent, à des normes AFNOR / à des dispositions légales (A) qui peuvent s’avérer, dans certains cas, non obligatoires et/ou renforcées par une obligation de conseil accrue (B).  

A. La précision contractuelle

Le périmètre de repérage du diagnostiqueur est défini par les normes et règles de l’art applicables au diagnostic réalisé. Très souvent, il sera rappelé en première page du diagnostic qu’il est limité aux seules parties de l’immeuble visibles et accessibles sans déplacement de meuble et, surtout, sans travaux destructifs.

En matière de diagnostic amiante, la cour d’appel de Paris vient, en ce sens, de rappeler que dès lors que les éléments que le diagnostiqueur aurait dû identifier sont accessibles sans travaux destructifs et reconnaissables visuellement alors sa responsabilité est engagée (CA Paris, 12 mai 2023, n° 19/11962 N° Lexbase : A71569UL). La solution est plutôt classique.

Il résulte, néanmoins, toujours en matière d’amiante, de la combinaison des articles R. 1334-20 N° Lexbase : L4156IQY et R. 1334-21 N° Lexbase : L4155IQX du Code de la santé publique que le repérage est limité aux produits et matériaux accessibles sans travaux destructifs mais qu’en cas de doute de l’opérateur, il doit réaliser des prélèvements aux fins d’analyse. Il s’en déduit que le diagnostic n’est pas limité à un simple contrôle visuel. La cour d’appel de Grenoble, le 23 mars 2023, a, là encore, assez classiquement, retenu la responsabilité du diagnostiqueur pour ne pas avoir réalisé les investigations supplémentaires nécessaires pour lever les doutes sur la présence d’amiante ou non (CA Grenoble, 23 mars 2023, n° 21/02938 N° Lexbase : A38599LI). La notion de « doute » échappe, en revanche, à toute tentative de définition juridique et est laissé à libre appréciation des juges du fond.

La notion d’accessibilité est discutée et discutable. Toute la question est de savoir où s’arrête l’obligation de moyen du diagnostiqueur. La cour d’appel de Bordeaux a, dans le cadre de l’examen visuel en matière de recherche de termites, considéré que le diagnostiqueur n’était pas déchargé de son obligation de moyen en indiquant seulement que la sous-face d’un plancher n’était pas accessible. Les juges ont considéré qu’il aurait dû interroger son donneur d’ordre sur la possibilité d’accéder à cette sous-face et, le cas échéant, qu’il aurait dû déplacer quelques objets encombrants (CA Bordeaux, 9 mars 2023, n° 20/01622 N° Lexbase : A55889HG). Les juges ont une fâcheuse tendance à en demander plus aux diagnostiqueurs que la norme à laquelle ils sont tenus toujours dans un souci de (sur)protection du vendeur/de l’acquéreur, tous deux qualifiés, dans la majorité des cas, de profanes.

Les contentieux en matière de diagnostic de performance énergétique sont de plus en plus nombreux. Bien que la tendance soit à l’incompréhension de la valeur des prescriptions du diagnostiqueur, son champ d’intervention est plutôt bien compris. La cour d’appel de Rennes (CA Rennes 23 mai 2023, n° 20/05887 N° Lexbase : A06889XR), après avoir rappelé que :

  • le diagnostiqueur devait calculer la performance énergétique d’un bien immobilier sur la base de la surface habitable fournie par le propriétaire et, qu’à défaut, il devait l’estimer lui-même ; et que
  • l’estimation de mesurage qui pourrait être faite ne constitue pas une garantie de la surface pour l’acheteur ;

a retenu qu’il n’était pas démontré que le diagnostiqueur, qui n’était débiteur que d’une obligation de moyen, avait commis une faute en retenant l’indication d’une surface erronée. Partant, que sa responsabilité délictuelle ne pouvait pas être engagée par les acquéreurs. En l’espèce, la surface habitable communiquée par le vendeur était erronée ce qui a conduit une mauvaise appréciation de la classe énergétique du bien immobilier.

B. L’imprécision contractuelle

Le diagnostiqueur, au-delà ses obligations contractuelles, doit être « normalement » diligent et avoir une vigilance accrue lorsqu’il identifie un potentiel risque. C’est-à-dire que supplémentairement à ce qu’il doit contractuellement, le diagnostiqueur doit formuler des observations annexes voir même proposer la réalisation d’investigations supplémentaires. Les juges du fond ont tendance à être particulièrement sévères à l’encontre du diagnostiqueur au titre de son obligation de conseil. Toute la question, là encore, est de savoir où s’arrête cette obligation.

En matière de diagnostic de performance énergétique, la cour d’appel de Rouen a jugé que bien que le diagnostiqueur ne devait pas effectuer de sondage destructif pour connaître l’épaisseur de l’isolation, il lui incombait d’indiquer son impossibilité d’y procéder (CA Rouen, 7 juin 2023, n° 21/04522 N° Lexbase : A34369ZB). C’est donc au titre de l’omission d’indication de l’absence de vérification possible que le diagnostiqueur engage sa responsabilité pour ne pas avoir permis aux acquéreurs de poser des questions / faire un intervenir des professionnels qualités. La cour d’appel de Douai a statué dans le même sens s’agissant de l’absence de mention d’accessibilité d’une partie du bien lors de la réalisation d’un diagnostic amiante (CA Douai, 2 mars 2023, n° 22/01077 N° Lexbase : A24539HC). Le diagnostiqueur engage, également, sa responsabilité lorsqu’il n’attire pas l’attention de son donneur d’ordre sur l’absence de réalisation de sondage destructif (CA Rennes, 14 mars 2023, n° 20/05766 N° Lexbase : A82259IH).

La cour d’appel de Rennes est allée plus loin encore en matière d’état parasitaire (CA Rennes, 31 mai 2023, n° 21/00464 N° Lexbase : A07629YU). Les juges ont considéré que, dès lors que le diagnostic fait référence à une norme applicable, bien qu’elle n’ait pas un caractère obligatoire et que le manquement aux prescriptions ne pouvait donc pas être constitutif d’une faute en tant que tel, le diagnostic était privé de tout intérêt s’il n’était pas possible d’identifier les zones infestées. En l’espèce, le diagnostiqueur avait analysé 45 zones avec la mention « néant » mais avait bien indiqué au titre des constatations diverses la présence de trous de sortie de petites et grosses vrillettes et d’un excès d’humidité. Les juges ont, néanmoins, considéré que le diagnostic était « largement insuffisant au titre des constatations » (sic) et, surtout, contradictoire avec le reste des constats. À bien comprendre, le diagnostiqueur doit faire des parallèles entre le diagnostic qu’il réalise et ses constats ET les conséquences de ses constats s’il était en train de réaliser un autre diagnostic.

Dans un arrêt similaire rendu par la  cour d’appel de Pau, il a été jugé que le diagnostiqueur a engagé sa responsabilité lors de la réalisation d’un diagnostic termites pour ne pas avoir formulé d’observation particulière sur la constatation d’insectes xylophage alors qu’une colonne était prévue à cette effet (CA Pau, 9 mai 2023, n° 21/02142 N° Lexbase : A01919UM).

La cour d’appel de Rennes a, encore, condamné un diagnostiqueur pour la présence de mérule alors qu’il était intervenu pour réaliser un diagnostic termites (CA Rennes, 16 mai 2023, n° 20/06148 N° Lexbase : A71579WY). Les juges ont retenu que diagnostiqueur a manqué à son obligation de conseil pour ne pas avoir repéré les indices évidents de présence de mérules et ne pas l’avoir signalé au titre des constatations diverses alors même qu’il avait bien précisé la présence de pourriture cubique dans un endroit de la maison. La faute du diagnostiqueur n’est pas si simple à identifier. Il doit, impérativement, alerter le donneur d’ordre très explicitement sur la nécessité de réaliser des investigations plus poussées au titre de son devoir de conseil. En l’espèce, le diagnostiqueur aurait dû conseiller la réalisation d’un état parasitaire. Dans le même sens, pour ne pas avoir alerté l’acquéreur sur le risque d’infestation fongique (CA Rennes, 7 mars 2023, n° 20/04761 N° Lexbase : A33669H7).

Pour un diagnostic termites, la cour d’appel de Rennes a, encore, dans un arrêt du 14 mai 2023, retenu la responsabilité d’un diagnostiqueur au titre d’un manquement à son devoir de conseil pour ne pas avoir mentionné avoir constaté la présence d’un réceptacle rempli d’eau dans un vide sanitaire lors de la réalisation d’un état parasitaire alors même qu’il avait bien signalé la présence d’humidité et le décollement du parquet (CA Rennes, 14 mai 2023, n° 20/00617 N° Lexbase : A50129XW).

Le lecteur l’a bien compris, le diagnostiqueur est tenu d’une obligation de moyen voir même d’une obligation de moyen renforcé.

L’obligation du diagnostiqueur est, toutefois, différente en matière de mesurage « Carrez ». Il est tenu d’une obligation de résultat. La cour d’appel de Pau vient de le rappeler (CA Pau, 28 février 2023, n° 21/00188 N° Lexbase : A65189GI).

II. Établir la réalité d’un préjudice

Le diagnostic, qu’il soit prévu ou non par la loi, doit permettre à l’acquéreur de prendre sa décision en connaissance de cause en ce qui concerne l’état du bien dont l’achat est envisagé. Si l’information est inexacte, le diagnostic est privé de tout intérêt. Le diagnostiqueur peut donc être tenu d’indemniser l’acquéreur au titre des travaux réparatoires (A) mais, également, le vendeur au titre d’une perte de chance d’avoir pu vendre son bien au même prix ou l’acheteur d’avoir pu négocier (B).

Les juges du fond rappellent, néanmoins, que pour tendre à la condamnation du diagnostiqueur sur le fondement délictuelle, un lien de causalité entre la faute du diagnostiqueur et les dommages pour lesquels une indemnisation est sollicitée doit, nécessairement être démontré (CA Bordeaux, 9 mars 2023, n° 20/01622 N° Lexbase : A55889HG).

Le lecteur notera, également, que la preuve du dommage doit impérativement être rapportée. L’acquéreur qui se borne à communiquer seulement la partie normalisée d’un acte authentique de vente et un devis pour des travaux de désamiantage ne suffit pas à démontrer l’existence d’un préjudice au titre de la présence d’amiante en toiture (CA Rouen, 24 mai 2023, n° 22/02952 N° Lexbase : A51449XS).

A. Les travaux « réparatoires »

Depuis un célèbre arrêt rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 8 juillet 2015 (Cass. mixte, 8 juillet 2015, n° 13-26.686 N° Lexbase : A6242NM7), dès lors que le préjudice de l’acquéreur est certain :

  • le diagnostiqueur doit indemniser l’intégralité du préjudice résultant de l’inexactitude du rapport même s’il n’est prouvé aucun danger pour les occupants ;
  • le préjudice correspond au coût des travaux réparatoires, c’est-à-dire par exemple au coût des travaux de désamiantage.

La solution est constante :

  • la cour d’appel de Rennes a, dans un arrêt du 14 mars 2023, rappelé que le diagnostiqueur fautif doit indemniser intégralement les acquéreurs, non pas seulement au titre de la perte de chance, mais, également, au titre des travaux nécessaires pour, en l’espèce, traiter les zones atteintes par les infestations (CA Rennes, 14 mars 2023, n° 20/05766 N° Lexbase : A82259IH) ;
  • la cour d’appel de Douai a, de son côté, en matière d’amiante, rappelé que le diagnostiqueur doit indemniser l’intégralité du préjudice résultant de l’inexactitude de son rapport même s’il n’est prouvé aucun danger sanitaire pour les occupants (CA Douai, 9 mars 2023, n° 21/05179 N° Lexbase : A56689HE).

Les travaux réparatoires sont, cependant et il est important d’insister sur ce point, limités à ce qui est réparatoire et sont exclus, par exemple les travaux de peinture considérés comme des travaux d’embellissement qui, dans l’arrêt d’espèce rendu par la cour d’appel de Pau le 9 mai 2023, n’étaient pas prévus à l’origine (CA Pau, 9 mai 2023, n° 21/02142 N° Lexbase : A01919UM).

Le lecteur notera, néanmoins, une position divergente dont la portée semble toutefois limitée, de la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 12 mai 2023, qui après avoir pris acte du lien causal entre la faute du diagnostiqueur qui ne relève pas la présence d’amiante et la diminution de la valeur du bien immeuble a condamné les assureurs du diagnostiqueur au titre d’une perte de chance de négocier une réduction du prix de vente (CA Paris, 12 mai 2023, n° 19/11962 N° Lexbase : A71569UL).

B. La perte de chance

La formule est inlassablement reprise « la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (CA Rouen, 7 juin 2023, n° 21/04522 N° Lexbase : A34369ZB).

Le montant de la chance perdue de négocier le prix ou de vendre le bien au même prix est laissé à la libre appréciation des juges du fond.

Par exemple, la cour d’appel de Rennes a limité la perte de chance à hauteur de 20 % pour le vendeur d’avoir pu vendre son bien au même prix lorsqu’il n’est pas établi que le vendeur aurait renoncé à vendre son bien immobilier s’il avait eu connaissance d’un diagnostic de performance énergétique défavorable et qu’il conteste avoir dû faire face à des difficultés pour chauffer la maison / réfute tout défaut d’isolation (CA Rennes, 23 mai 2023, n° 20/05887 N° Lexbase : A06889XR).

Lorsque des travaux d’ampleur étaient en toute hypothèse prévus, la perte de chance de mieux apprécier l’opportunité de contracter a été évaluée, par la cour d’appel de Rennes le 16 mai 2023, à hauteur de 10 % (CA Rennes, 16 mai 2023, n° 20/06148 N° Lexbase : A71579WY).

Le lecteur notera, parallèlement, que le vendeur tenu à l’égard de l’acquéreur d’une indemnisation en diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie ni à l’encontre du notaire ni à l’encontre de l’agent immobilier ni même à l’encontre du diagnostiqueur (CA Rennes, 6 juin 2023, n° 22/02409 N° Lexbase : A27899ZC). L’acquéreur peut, toutefois, agir à leur encontre au titre d’une perte de chance d’avoir vendu son bien au même prix pour une surface moindre.

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Copropriété

[Brèves] Notification du PV d’assemblée par LR/AR : conformité à la CESDH de la fixation du point de départ du délai de contestation à la date de la première présentation de la lettre ?

Réf. : Cass. civ. 3, 29 juin 2023, n° 21-21.708, FS-B N° Lexbase : A497797H

Lecture: 4 min

N6197BZK

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 05 Juillet 2023

► En application de l'article 64 du décret n° 67-223, du 17 mars 1967, la notification d'un procès-verbal d'assemblée générale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception fait, quand bien même ne parviendrait-elle pas effectivement à son destinataire, courir le délai pour agir ; cette disposition ne porte pas une atteinte injustifiée au droit d'accès à un tribunal, garanti par l’article 6 CESDH.

Les textes. Pour rappel, selon l’article 42, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L4849AH3, « Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d'assemblée, sans ses annexes. Cette notification est réalisée par le syndic dans le délai d'un mois à compter de la tenue de l'assemblée générale. ».

Et l’article 64 du décret n° 67-223, du 17 mars 1967, dispose : « Toutes les notifications et mises en demeure prévues par la loi du 10 juillet 1965 susvisée et le présent décret sont valablement faites par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le délai qu'elles font, le cas échéant, courir a pour point de départ le lendemain du jour de la première présentation de la lettre recommandée au domicile du destinataire » (nous soulignons).

Contrôle de conventionnalité. Dans cette affaire, un copropriétaire, qui s’était vu opposer l’irrecevabilité de sa demande d’annulation d’une assemblée générale (ou à tout le moins de certaines résolutions), jugée tardive, contestait la règle posée par l’article 64 précité, soutenant notamment sur le fondement de l’article 6 CESDH N° Lexbase : L7558AIR, qu’un délai d'action ou de recours ne peut courir si l'intéressé n'est pas en mesure d'agir, ce qui était le cas, comme en l’espèce, lorsque le pli n'a jamais été retiré.

Réponse de la Cour de cassation. L’argument ne trouve pas écho auprès de la Cour suprême, qui approuve le raisonnement de la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 1er juillet 2021, n° 20/00055 N° Lexbase : A90354XW), aux termes d’une motivation enrichie.

Ainsi, selon la Haute juridiction, en premier lieu, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, qu'en application de l'article 64 du décret n° 67-223, du 17 mars 1967, la notification d'un procès-verbal d'assemblée générale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception fait, quand bien même ne parviendrait-elle pas effectivement à son destinataire, courir le délai pour agir, dès lors que l'article 670-1 du Code de procédure civile, qui invite les parties à procéder par voie de signification, concerne la seule notification des décisions de justice (la Cour suprême écarte ainsi la première branche du moyen qui faisait valoir que le délai en cause ne court pas lorsque le pli n'a jamais été retiré, le syndic de copropriété devant, dans cette hypothèse, notifier le procès-verbal d'assemblée générale par voie de signification).

En deuxième lieu, procédant au contrôle de conventionnalité qui lui était demandé, elle a relevé que cette disposition avait pour objectif légitime de sécuriser le fonctionnement des copropriétés en évitant qu'un copropriétaire puisse, en s'abstenant de retirer un courrier recommandé, empêcher le délai de recours de courir et ainsi fragiliser l'exécution des décisions d'assemblée générale.

En troisième lieu, elle en a exactement déduit que cette disposition, en l'absence de disproportion avec le droit d'un copropriétaire de pouvoir contester les décisions prises par l'assemblée générale, ne portait pas une atteinte injustifiée au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

En quatrième lieu, ayant constaté que le procès-verbal de l'assemblée générale du 30 mars 2015 avait été adressé à la société par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 27 avril 2015, cachet de la poste faisant foi, et que cette lettre avait été retournée à l'expéditeur avec la mention « pli avisé et non réclamé », la cour d'appel, motivant sa décision, a souverainement retenu que, bien que la date n'en soit pas renseignée, la première présentation était nécessairement antérieure de plus de deux mois à l'assignation délivrée le 5 janvier 2017.

Pour aller plus loin : à noter que le présent arrêt fera l’objet d’un commentaire approfondi, à paraître en septembre prochain dans Lexbase Droit privé.

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Cotisations sociales

[Panorama] Panorama d’actualités jurisprudentielles relatives au contentieux du recouvrement (mai - juin 2023)

Lecture: 1 min

N6188BZ9

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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA

Le 05 Juillet 2023

Mots-clés : contrôle URSSAF • procédure contradictoire • mise en demeure • commission de recours amiable • contrainte • opposition à contrainte • travail dissimulé

La revue Lexbase Social vous propose de retrouver, tous les deux mois, le panorama d’actualités jurisprudentielles de François Taquet, Professeur et avocat, en matière de cotisations sociales et plus spécialement relatif au contentieux du recouvrement.


Sommaire

I. Déroulement du contrôle

- CA Paris, 6-12, 19 mai 2023, n° 18/13754 

- CA Grenoble, 12 mai 2023, n° 21/03040  

- CA Dijon, 8 juin 2023, n° 21/00243, 21/00242 et 21/00241 

II. Procédure contradictoire

- CA Toulouse, 14 juin 2023, n° 21/00325 

III. Mise en demeure

- CA Amiens, 2 mai 2023, n° 21/01677 

- CA Paris, 6-13, 19 mai 2023, n° 19/10653 

- CA Paris, 6-13, 19 mai 2023, n° 19/12470 

- CA Nîmes, 15 juin 2023, n° 21/01055 

- CA Bordeaux, 11 mai 2023, n° 21/02626

- CA Aix-en-Provence, 26 mai 2023, n° 21/14010 

IV. Commission de recours amiable

- CA Paris, 6-13, 26 mai 2023, n° 18/11888 

- CA Orléans, 2 mai 2023, n° 21/03036

V. Contrainte et opposition à contrainte

- CA Paris, 26 mai 2023, n° 20/00415 

- CA Bordeaux, 11 mai 2023, n° 20/00185 

- CA Nîmes, 15 juin 2023, n° 21/00924 

VI. Travail dissimulé

- CA Nîmes, 16 mai 2023, n° 20/02141 

- CA Caen, 8 juin 2023, n° 20/00496 


I. Déroulement du contrôle

CA Paris, 6-12, 19 mai 2023, n° 18/13754 N° Lexbase : A64769WR : aucune disposition légale n'empêche l'URSSAF de procéder à un contrôle simultané de plusieurs établissements d'une société et de plusieurs sociétés d'un même groupe. La possibilité pour l'Urssaf de procéder à un contrôle ne saurait être subordonnée à la capacité de la personne contrôlée à faire face aux obligations qui lui sont imposées dans ce cadre.

Jurisprudence constante. Ceci étant, cette solution n’est pas à confondre avec les récentes dispositions loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 (loi n° 2022-1616, du 23 décembre 2022 N° Lexbase : Z200942P) qui ont introduit dans le Code de la Sécurité sociale un article L. 243-7-4 N° Lexbase : L2552MGM donnant la possibilité à l’inspecteur d’utiliser, lors du contrôle d’une société appartenant à un groupe, les informations obtenues au cours de la vérification d’une autre société du même groupe (V. également décret n° 2023-262 du 12 avril 2023 N° Lexbase : L4194MHS).

CA Grenoble, 12 mai 2023, n° 21/03040 N° Lexbase : A70919U8 : est nul le contrôle de cotisations portant, pour une même période, sur les points de la législation applicable ayant déjà fait l'objet d'une vérification.

Cette solution est fondée sur l’article L. 243-12-4 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5714ISG, issu de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 N° Lexbase : L5099ISN, qui dispose qu’« il ne peut être procédé une nouvelle fois à un contrôle portant, pour une même période, sur les points de la législation applicable ayant déjà fait l’objet d’une vérification, sauf en cas de réponses incomplètes ou inexactes, de fraude, de travail dissimulé ou sur demande de l’autorité judiciaire ». Logiquement donc, dans cette espèce, la lettre d'observations du deuxième contrôle et la mise en demeure subséquente devaient être annulées puisqu’elles portaient sur la même période et qu’elles ne justifiaient ni de réponses incomplètes ou inexactes, ni de fraude ou de travail dissimulé ni de demande de l'autorité judiciaire.

CA Dijon, 8 juin 2023, n° 21/00243 N° Lexbase : A68109ZA, 21/00242 N° Lexbase : A66279ZH, 21/00241 N° Lexbase : A67349ZG : aucune disposition légale ne prévoit une durée maximale pour le déroulement des opérations de contrôle.

Confirmation de jurisprudence (Cass. civ. 2, 28-05-2015, n° 14-17.618, F-P+B N° Lexbase : A8152NIR - Cass. civ. 2, 5 novembre 2015, n° 14-23.281, F-D N° Lexbase : A0197NW9 – CA Paris, 6-12, 26 mai 2011, n° 09/08846 N° Lexbase : A7616HSU – CA Paris, 6-12, 19 juin 2014, n° 11/10615 N° Lexbase : A4965MRC – CA Paris, 6-12, 11 octobre 2019, n° 16/12147 N° Lexbase : A9632ZQS). La seule exception est prévue pour les pour les entreprises de moins de vingt salariés (CSS, art. L. 243-13 N° Lexbase : L2554MGP ; limitant (sauf exception) la durée des opérations de contrôle à trois mois (éventuellement renouvelables une fois).

II. Procédure contradictoire

► CA Toulouse, 14 juin 2023, n° 21/00325 N° Lexbase : A333193R : l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4373MHG n'impose donc pas la rédaction formelle d'une liste des documents consultés figurant en tête de la lettre d'observations, mais seulement la mention des documents consultés, pour permettre au cotisant de comprendre les fondements du redressement. Or, en l’espèce, les documents consultés par l'inspecteur du recouvrement sont bien mentionnés par la lettre d'observations, qui n'a pas à en détailler le contenu.

Confirmation de jurisprudence (CA Poitiers, 6 avril 2023, n° 20/02834 N° Lexbase : A74349NN – CA Paris, 6-13, 21 avril 2023, n° 19/07059 N° Lexbase : A21279SL). Aux termes de l’article R. 243-59, III, alinéa 1 du Code de la Sécurité sociale « à l'issue du contrôle ou lorsqu'un constat d'infraction de travail dissimulé a été transmis en application des dispositions de l'article L. 8271-6-4 du Code du travail N° Lexbase : L0188LCX afin qu'il soit procédé à un redressement des cotisations et contributions dues, les agents chargés du contrôle mentionnés à l'article L. 243-7 N° Lexbase : L2550MGK communiquent au représentant légal de la personne morale contrôlée ou au travailleur indépendant une lettre d'observations datée et signée par eux mentionnant l'objet du contrôle réalisé par eux ou par d'autres agents mentionnés à l'article L. 8271-1-2 du Code du travail N° Lexbase : L6327L44, le ou les documents consultés, la période vérifiée, le cas échéant, la date de la fin du contrôle et les observations faites au cours de celui-ci ». Cette mention de la liste des documents consultés est essentielle car elle le seul moyen pour le cotisant de se prévaloir d’une éventuelle décision implicite d’accord dès lors que l’URSSAF a vu une pratique lors d’un précédent contrôle et n’a pas redressé le cotisant (CSS, art. R. 243-59-7 N° Lexbase : L2793K9C). On comprend dès lors que la Cour de cassation insiste sur le fait que « la lettre d’observations doit mentionner l’ensemble des documents consultés par l’inspecteur du recouvrement ayant servi à établir le bien-fondé du redressement » (Cass. civ. 2, 24 juin 2021, n°s 20-10.136 N° Lexbase : A39374X4 et 20-10.139 N° Lexbase : A40374XS). Cependant, la jurisprudence fixe une limite à cette obligation : l’absence de mention dans la rubrique « documents consultés » n’invalide pas nécessairement le contrôle dès lors que lesdits documents figurent expressément dans le corps de la lettre d’observations. Rappelons enfin que suivant l’article R. 243-59, III du Code de la Sécurité sociale, dans sa réponse aux observations, « la personne contrôlée peut indiquer toute précision ou tout complément qu'elle juge nécessaire notamment en proposant des ajouts à la liste des documents consultés ».

III. Mise en demeure

CA Amiens, 2 mai 2023, n° 21/01677 N° Lexbase : A09609TQ : la mise en demeure doit expressément préciser que le cotisant doit s'acquitter des sommes dues dans le délai d'un mois. À défaut de préciser expressément ce délai, la mise en demeure ne respecte pas les prescriptions substantielles de l'article L. 244-2 N° Lexbase : L6932LN3 et doit être considérée comme nulle.

Suivant les dispositions de l'article L. 244-2 du Code de la Sécurité sociale, que toute action ou poursuite effectuée en application de l'article L. 244-1 N° Lexbase : L1238I7Y ou des articles L. 244-6 N° Lexbase : L4976ADN et L. 244-11 N° Lexbase : L0470LCE est obligatoirement précédée, d'une mise en demeure adressée à l'employeur l'invitant à régulariser sa situation dans le mois.  En l’absence d’indication pour le cotisant à « régulariser sa situation dans le mois », la mise en demeure est logiquement nulle (Cass. civ. 2, 31 mai 2005, n° 03-30.658 FS-D N° Lexbase : A5126DIP - Cass. civ. 2, 19 décembre 2019, n° 18-23.623, F-P+B+I N° Lexbase : A1285Z9H - Cass. civ. 2, 12 mars 2020, n° 18-20.008, F-D N° Lexbase : A76713IX - Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-22.978, F-D N° Lexbase : A88414B3 et 19-23.973, F-D N° Lexbase : A89304BD).

CA Paris, 6-13, 19 mai 2023, n° 19/10653 N° Lexbase : A64459WM : si l'Urssaf réclame à la société par la mise en demeure, au titre du contrôle opéré, un montant total de cotisations de 94 950 euros, alors que le montant de cotisations redressées porté à la lettre d'observations est de 94 940 euros, la différence de dix euros est minime et relève d'une erreur de plume manifeste, peu important ici qu'elle soit défavorable à la société dans la mesure où la mise en demeure précisait que le montant des redressements correspondait « au dernier échange du 15/02/18 », lequel confirme le montant total du redressement à la somme de 94 940 euros conformément à la lettre d'observations.

Certes, dix euros de différence entre le montant principal inscrit sur les observations et celui figurant sur la mise en demeure peuvent paraître minimes sur un montant de 94 950 € (1/10 000ème de la somme)… Et pourtant ! Rappelons que suivant l’article L. 244-2, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale, « le contenu de l'avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé ». En l’espèce, précis veut dire « exact » selon la définition du Larousse. Or, ici, force est de constater que ce montant n’est pas exact. Qui plus est, admettre un tel raisonnement ne revient-il pas à cautionner la notion « d’enrichissement sans cause » pour les organismes de recouvrement ! Car, finalement, c’est bien en l’espèce la somme de 94 950 euros inscrite sur la mise en demeure qui aura été validée et non 94 940 euros inscrite sur la lettre d’observations… Nous adhérons davantage à un autre arrêt de la Cour de Paris suivant lequel : « la discordance entre le montant des cotisations figurant sur la mise en demeure et celui mentionné dans la lettre d'observations [4 €] sans que le moindre élément d'explication n'en soit porté sur la mise en demeure, ne permettait pas au cas d'espèce au cotisant d'avoir connaissance de l'étendue exacte et certaine de son obligation, peu important à cet égard que la différence de montant soit peu importante, dès lors qu'elle a été appliquée en défaveur du cotisant, et qu'elle n'apparaît au surplus toujours pas justifiée » (CA Paris, 6-12, 14 octobre 2022, n° 18/05457).

CA Paris, 6-13, 19 mai 2023, n° 19/12470 N° Lexbase : A64299WZ : si la mise en demeure doit préciser la dénomination de l'organisme social qui l'a émise, aucun texte n'exige que la mise en demeure soit signée par le directeur de l'organisme de recouvrement. Ainsi, une signature préimprimée de celui-ci n'affecte pas la validité de la mise en demeure.

Certes, cette position est conforme à la jurisprudence (CA Toulouse, 14 juin 2023, RG n° 22/03274 N° Lexbase : A332593K – CA Nîmes, 15 juin 2023, n° 21/00924 N° Lexbase : A824593R). Elle pose toutefois question au regard de l’article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1194LDL, suivant lequel « toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ». En on sait que le Code des relations entre le public et l'administration est applicable aux relations entre les cotisants et les URSSAF via l’article L. 100-3 du même Code N° Lexbase : L1766KNQ. Les conclusions du rapporteur public sous CE, 18 décembre 2020, n° 425796 N° Lexbase : A71494AZ, suivant lesquelles : « à la différence de la levée de l’anonymat prévue à l’article L. 111-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1769KNT, qui vise avant tout à humaniser la relation entre l’administré et l’administration en donnant à cette dernière un visage, l’ambition qui sous-tend cette obligation de signature est plus pragmatique : elle vise à permettre aux administrés d’identifier facilement l’auteur de l’acte, pour qu’ils soient à même de vérifier sa compétence et son impartialité – notamment en cas de contentieux ».

CA Nîmes, 15 juin 2023, n° 21/01055 N° Lexbase : A804593D : à la différence de la lettre d'observations, la lettre de mise en demeure notifiée, en application de l'article L. 244-2 du Code de la Sécurité sociale, par l'organisme de recouvrement à l'issue des opérations de contrôle et de redressement, laquelle constitue la décision de recouvrement, est seule susceptible de faire l'objet, dans les conditions fixées par les articles R. 142-1, alinéa 3, et R. 142-18 du même code, d'un recours contentieux.

V. sur ce point : « la mise en demeure notifiée par l’URSSAF à l’issue des opérations de contrôle et de redressement, laquelle constitue la décision de recouvrement, est seule susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux et non la réponse des inspecteurs de l’URSSAF à celle du cotisant » (Cass. civ. 2, 14 février 2019, n° 17-27.759, F-P+B N° Lexbase : A3377YXD).

CA Bordeaux, 11 mai 2023, n° 21/02626 N° Lexbase : A27249UG : la nullité de la mise en demeure prive de fondement l'obligation au paiement des sommes qui en font l'objet, mais aucunement que l'organisme de recouvrement constatant une erreur affectant la mise en demeure ne peut pas la rectifier et dresser une nouvelle mise en demeure.

Le principe est connu : L’URSSAF peut toujours régulariser une mise en demeure nulle par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure faite dans le respect de la procédure cette fois ainsi que des prescriptions applicables (Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-19.384, F-P+B N° Lexbase : A8348WLR). Rappelons en effet que la mise en demeure ne constitue qu’une « invitation » du débiteur à régulariser sa situation (Cass. soc., 19 mars 1992, n° 88-11.682 N° Lexbase : A1077AA7).

CA Aix-en-Provence, 26 mai 2023, n° 21/14010 N° Lexbase : A15339ZS : le défaut ou l'insuffisance des mentions des modalités et voies de recours indiquées aux mises en demeures n'ont pas pour sanction leur annulation, mais l'impossibilité pour la caisse de soulever la forclusion des délais de recours à l'encontre de l'opposant.

V. dans le même sens : CA Rennes, 13 octobre 2021, n° 18/04072 N° Lexbase : A023249H.

IV. Commission de recours amiable

CA Paris, 6-13, 26 mai 2023, n° 18/11888 N° Lexbase : A78799X4 : la société a formé un recours amiable tendant à obtenir l'annulation de certains chefs de redressement ainsi que la remise des majorations de retard, son courrier mentionnant : « la société demande à votre commission d'annuler l'intégralité des points de redressement contestés par la présente. À titre subsidiaire, la société demande à votre commission une remise des majorations de retard de 10 % ». La société est donc fondée à soutenir tout moyen tendant à obtenir l'annulation des chefs de redressement, y compris des moyens non soumis préalablement à la commission de recours amiable.

CA Orléans, 2 mai 2023, n° 21/03036 N° Lexbase : A88629TE CA Pau, 15 juin 2023, n° 21/01206 N° Lexbase : A808793W : il ne peut être considéré que par la seule mention du montant total du redressement soit 12 214 euros, dans le courrier de saisine de la commission de recours amiable, la société ait entendu contester l'ensemble des chefs de redressement, dès lors qu'elle ne fait ni référence aux chefs de redressement n° 4 et 5, ni au caractère justifié des frais professionnels que l'URSSAF a réintégrés dans l'assiette de cotisations. L'argumentation de la requérante ne portait en effet que sur l'existence de la qualité de salarié de M. N. La commission de recours amiable n'a donc pas été saisie d'une contestation des chefs de redressement n° 4 et 5 dans le délai de deux mois à compter de la réception de la mise en demeure. La contestation de ceux-ci devant la juridiction de sécurité sociale est irrecevable.

Le commentaire de ces deux arrêts pourrait être intitulé : de l’intérêt de bien saisir la commission de recours amiable.

Comment saisir cette commission ?

▪ Si le cotisant a limité son recours à un ou plusieurs chefs de redressement, il ne pourra plus contester les autres points de redressement devant la juridiction contentieuse (Cass. soc., 29 mars 2001, n° 99-17.912, inédit N° Lexbase : A1059ATE – Cass. civ. 2, 16 novembre 2004, n° 03-30.426, F-D N° Lexbase : A9564DDL – CA Orléans, 2 mai 2023, n° 21/03036 N° Lexbase : A88629TE).

▪ En revanche, si le cotisant a contesté, devant la commission, la totalité du redressement, celui-ci est fondé à contester l’ensemble des éléments même non motivés dans la requête initiale devant la commission de recours amiable (Cass. soc., 25 janvier 1989, n° 86-11.940 N° Lexbase : A3917AG8 Cass. civ. 2, 7 mai 2015, n° 14-14.914 N° Lexbase : A6990NHD – Cass. civ. 2, 12 mars 2020, n° 19-13.422, F-P+B+I N° Lexbase : A21143I7).

Dans un arrêt récent du 1er juin 2023 (Cass. civ. 2, 1er juin 2023, n° 21-21.329, F-B N° Lexbase : A64009XC), une société avait saisi la commission de recours amiable de l'URSSAF par une lettre de réclamation dans laquelle elle annonçait « contester l'intégralité du redressement dont elle a fait l'objet, tant sur la forme que sur le fond », sachant que n’étaient motivés que les points de contestation portant sur les chefs de redressement n° 9, n° 14 et n° 15… La cour d’appel en avait étrangement déduit que le contentieux était limité à ces trois points. La Cour de cassation censure cette position en relevant que « le recours amiable de la société portait sur l'ensemble des chefs de redressement » puisque le cotisant en avait contesté d’entrée la « totalité », même si la motivation ne portait que sur trois points.

Ainsi, le cotisant doit se montrer très vigilant quant au contenu de la saisine et ne pas opérer de contestation à la légère.

V. Contrainte et opposition à contrainte

CA Paris, 26 mai 2023, n° 20/00415 N° Lexbase : A81209XZ : la circonstance tirée de la saisine de la commission de recours amiable puis de la juridiction du contentieux de la Sécurité sociale d'une contestation par la cotisante de la mise en demeure qui lui a été notifiée ne prive pas l'organisme du recouvrement de la possibilité d'émettre une contrainte.

V. dans le même sens : Cass. soc., 31 mai 2001, n° 99‑14.622, inédit N° Lexbase : A5139ATI – Cass. civ. 2, 3 avril 2014, n° 13‑15.136, F-P+B N° Lexbase : A6280MIG – Cass. civ., 1er décembre 2022, n° 21-17.379, F-D N° Lexbase : A42118XA.

CA Bordeaux, 11 mai 2023, n° 20/00185 N° Lexbase : A42469US : le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable peut, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des causes de la contrainte.

V. dans le même sens : Cass. civ. 2, 22 septembre 2022, n° 21-10.105, FS-B N° Lexbase : A25408KB et 21-11.862 N° Lexbase : A25488KL.

CA Nîmes, 15 juin 2023, n° 21/00924 N° Lexbase : A824593R : conformément à l'article L. 244-9 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L0695LTW, la contrainte doit être délivrée par le directeur ou un agent de l'organisme intéressé ayant reçu délégation de pouvoir ; elle doit donc comporter la signature manuscrite de l'agent habilité, et non une simple griffe. Il appartient aux juges du fond de vérifier que le signataire de la contrainte est effectivement titulaire d'une délégation du directeur ; cependant, l'apposition de l'image numérisée d'une signature manuscrite ne suffit pas, à elle seule, à retenir que son signataire est dépourvu de tout pouvoir.

Cette position est conforme à la jurisprudence (V. CA Paris, 6-13, 17 février 2023, n° 19/10570 N° Lexbase : A03309EX – CA Paris, 6-13, 3 février 2023, n° 19/08117 N° Lexbase : A55669C7 – CA Grenoble, 23 juin 2022, n° 20/01162 N° Lexbase : A777078B). On relèvera que le raisonnement est identique s’agissant de la lettre d’observations : si l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale exige la signature de la lettre d'observations, il n'exige pas que la signature soit manuscrite ; l'apposition sur la lettre d'observations d'une image numérisée d'une signature manuscrite, ne permet pas à elle seule, de faire obstacle à l'identification du signataire ou de retenir que son signataire était dépourvu de la qualité pour ce faire (Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 19-11.744, F-P+B+I N° Lexbase : A22853ML).

VI. Travail dissimulé

► CA Nîmes, 16 mai 2023, n° 20/02141 : la lettre d'observations mentionne qu'elle intervient à la suite d’un contrôle opéré dans le cadre des articles L. 8221-1 N° Lexbase : L3589H9S et L. 8221-2 N° Lexbase : L3591H9U du Code du travail, soit dans le cadre de la recherche d'infractions de travail dissimulé. L'audition de Mr N. était donc soumise aux exigences de forme de l'article L. 8271-6-1 du Code du travail N° Lexbase : L5006K8W, et non pas à celles de l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale et pouvait par suite se dérouler en n'importe quel lieu.

Dans le cadre du travail dissimulé et s’agissant de l’audition des personnes intéressées, on sait que suivant l’article L. 8271-6-1 du Code du travail, les agents de contrôle sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l'employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature de ses activités. Il est clair que l’audition peut se dérouler en n’importe quel lieu. En revanche, et s’agissant d’un contrôle effectué dans le cadre des articles L. 243-7 et R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, l’URSSAF ne peut entendre des salariés dans ses locaux (CA Rennes, 22 septembre 2021, n° 18/00387 N° Lexbase : A123647W) …

CA Caen, 8 juin 2023, n° 20/00496 N° Lexbase : A68269ZT : s’il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur.

V. dans le même sens : Cass. civ. 2, 26 janvier 2023, n° 21-14.049, F-D N° Lexbase : A44719AT – CA Paris, 6-13, 17 mars 2023, n° 18/02689 N° Lexbase : A52739KI.

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Domaine public

[Questions à...] L’intégration d’un bien au domaine public comme mode d’extinction d’un bail rural - Questions à Christophe Roux, Professeur de droit public, Université Jean Moulin – Lyon 3

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 7 juin 2023, n° 447797, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A80159YI

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Le 26 Juillet 2023

Mots clés : domaine public • bail rural • inaliénabilité • sécurité juridique • contravention de grande voirie

Dans un arrêt rendu le 7 juin 2023, la Haute juridiction administrative a dit pour droit que lorsque la personne publique procède à l'intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d'un bail rural en cours de validité, ce contrat ne peut, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu'il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. Il peut alors être légalement dénoncé et priver par conséquent l'exploitant du droit et du titre d'occupation procédant de ce bail. Pour savoir si l’application de ce principe n’aura pas pour risque éventuel un déséquilibre des relations entre administration et personnes privées pensant légitimement pouvoir exploiter des parcelles qui leur avaient été concédées de manière régulière, Lexbase Public a interrogé Christophe Roux, Professeur de droit public, Directeur de l’EDPL (EA 666), Université Jean Moulin – Lyon 3*.


 

Lexbase : Quels sont les rapports entre un bail (rural ou autres) et domanialité (privée ou publique) ?

Christophe Roux : Ils sont frappés d’asymétrie. Par principe, sur le domaine privé des collectivités publiques, les baux commerciaux et ruraux (mais aussi, les baux d’habitation ou, encore, « à construction ») peuvent éclore en toute quiétude ; il reste, cependant à évoquer une part irréductible de spécificités (et « d’administrativité ») affectant certains. Ainsi, par exemple, le domaine privé forme l’une des terres d’élection des baux commerciaux dits « dérogatoires », quand ces derniers ne prennent pas la forme d’authentiques conventions précaires (v. respectivement, C. com., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5031I3Q et art. L. 145-5-1 N° Lexbase : L4973I3L). De même, faudrait-il réserver le cas des baux emphytéotiques… administratifs, susceptibles de grever un bien du domaine privé (CGCT, art. L. 1311-4, 4°N° Lexbase : L7345HIU ; CGPPP, art. L. 2331-1, 5° N° Lexbase : L2125INZ) : ou ceux « de droit commun », qui viennent revêtir une telle nature en présence notamment d’une clause exorbitante du droit commun [1]. Il serait enfin plus exact d’évoquer l’existence de baux ruraux « administratifs » sur le domaine privé : les concernant, un droit de priorité très spécifique est en effet accordé aux jeunes agriculteurs ou à ceux résidant dans la commune d’implantation ; de même, le « droit » à renouvellement de tels baux est-il profondément paralysé par les dispositions de l’article L. 415-11, alinéa 1er du Code rural N° Lexbase : L7625HIA, de simples considérations d’intérêt général pouvant l’annihiler [2].

Ces particularismes mis de côté, la situation est nettement plus tranchée du côté du domaine public, les baux de droit commun n’y ayant pas droit de cité. Les textes le relayent parfois – et mollement – s’agissant de certains baux commerciaux (C. com, art. L. 145-2-I-3° N° Lexbase : L5029I3N ; CGPPP, art. R. 2124-9 N° Lexbase : L3066IRY ou R. 2124-20 N° Lexbase : L3077IRE). C’est ainsi du côté de la jurisprudence qu’il faut se déporter pour trouver le fondement de cette prohibition, tenant à l’incompatibilité entre le droit à renouvellement propre aux baux de droit commun, d’un côté, et le principe de précarité inhérent à l’inaliénabilité domaniale, de l’autre (auquel on peut adjoindre le caractère personnel de l’autorisation). Au diapason – et quand bien même l’antinomie serait discutable –, la jurisprudence reprend ce fondement tant au sujet des baux ruraux [3] que commerciaux [4]. Il convient toutefois de ne pas en surestimer les conséquences : par exemple, sous réserve de bénéficier d’une clientèle propre et qu’il ait été constitué après la Loi Pinel, un fonds de commerce sera désormais susceptible de germer sur le domaine public, son existence étant indépendante de la présence d’un bail commercial (CGPPP, art. L. 2124-32-1 N° Lexbase : L5016I38).

Lexbase : Qu’advient-il du bail lorsque ce dernier porte sur un bien originellement privé (ou ressortant du domaine privé) qui intègre le domaine public ?

Christophe Roux : C’est tout l’apport de deux décisions récentes du Conseil d’État [5], lesquelles viennent acter la novation (v. C. civil, art. 1329 N° Lexbase : L0991KZQ) des contrats portant occupation privative en cas de mutation de la nature des dépendances domaniales occupées. La Cour de cassation avait pris les devants, dans l’hypothèse où un bien ressortant du domaine public venait à gagner le domaine privé, l’arrêt retenant que, à compter de cette intégration, le titulaire d’une autorisation précaire (de logement) voit son titre « nové » en bail – privé – d’habitation, avec toutes les garanties afférentes [6]. Le Conseil d’État, en sens inverse (c’est-à-dire lorsqu’un bien ressortant initialement du domaine privé rejoint le domaine public), a repris la même idée : le bail (commercial, rural…) fait, dans cette hypothèse, l’objet d’une double « publicisation ». De sa nature, d’une part, le contrat devenant administratif en vertu de son nouvel objet (l’occupation du domaine public : CGPPP, art. L. 2331-1 N° Lexbase : L2125INZ), ceci générant la compétence du juge administratif pour en connaître en cas de litige. De son régime, d’autre part, le bail originel étant expurgé de toutes ses clauses incompatibles avec la domanialité publique des lieux.

En somme, par cette mise en cohérence, les juridictions judiciaires et administratives sont parvenues à faire coïncider de nouveau le principe selon lequel « la compétence suit le fond ». Là où, alternativement et selon la jurisprudence en vigueur auparavant [7], des poches d’exorbitance pouvaient subsister au sein du titre lorsque le bien quittait le domaine public ; et, inversement, des résidus « privatistes » se maintenir lorsque le bien intégrait le même domaine. Par essence, cette novation vient toutefois entailler un dogme : celui selon lequel la nature d’un contrat doit s’apprécier à la date de sa conclusion [8]. On pourra s’interroger, du reste, sur le champ que cette… novation juridique pourrait demain recouvrir : il n’est nullement certain que la solution s’exporte au-delà du cadre domanial  9] ; il faut par ailleurs prudence garder, même dans ce pré carré, la Cour de cassation s’étant – entre temps – déclarée compétente pour connaître d’un différend relatif à la formation d’un contrat portant sur un bien, la circonstance qu’il ait été, par la suite, intégré au domaine public, étant jugée sans incidence [10].

Lexbase : Comment concilier inaliénabilité du domaine public et sécurité juridique afférente à un tel bail ?

Christophe Roux : C’est tout l’enjeu, auquel la juridiction administrative vient tenter d’apporter une réponse que l’on pourra qualifier « d’équilibrée », lors même qu’il restera loisible de regretter certains aspects ou, du moins, le maintien de certaines hypothèques. Solution équilibrée car, certes, à compter de l’intégration du bien au sein du domaine public, le bail devra être amputé de toutes ses clauses incompatibles avec la domanialité publique. Pour l’essentiel, c’est dire que, du jour au lendemain, un occupant privatif perd donc le bénéfice de son « droit » (ou « prétendu » droit car celui-ci mérite, selon les baux en cause, d’infinies nuances) à renouvellement. Toutefois, comme l’a retenu à deux reprises le Conseil d’État, c’est dire aussi que l’occupant privatif reste titré, du moins jusqu’à expiration du terme prévu par le bail originel : il ne peut, ainsi, et alors même que la dépendance a gagné le domaine public, être considéré comme un occupant sans titre du domaine ce qui lui assure une certaine sécurité juridique. À cet égard, la solution retenue par la haute juridiction administrative est dans la lignée de celle relative aux baux commerciaux conclus ab initio et illégalement sur le domaine public : dans ce cadre, il est déjà jugé – parfois implicitement – que le bail n’est – à raison de son incompatibilité avec la domanialité publique – qu’une autorisation précaire et révocable… mais une autorisation tout de même, son « titulaire » pouvant dès lors engager la responsabilité de l’Administration qui l’a induit en erreur sur la réalité de ses droits [11]. En définitive, le Conseil d’État vient donc appliquer la même solution, qu’il s’agisse de conventions ab initio ou (du fait de leur incorporation ultérieure au domaine public) « devenues » illégales.

La sécurité juridique de l’occupant privatif n’en reste pas moins toute relative. En premier lieu, il verse immédiatement dans la précarité [12]. L’ancien titre pourra, à cet égard, faire l’objet d’une dénonciation immédiate de la part du gestionnaire domanial ; en d’autres termes, il pourra faire l’objet d’une résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, sa (nouvelle) nature administrative autant que son (nouvel) objet domanial (à raison du principe de précarité, toujours) permettant d’y recourir. Dans ce cadre, l’ex-occupant aura toutefois droit à indemnités couvrant le lucrum cessans et le damnus emergens, même si, en matière domaniale, la générosité du juge pour reconnaître ces différents chefs de préjudice est pour le moins tempérée…[13]. En l’absence d’une telle dénonciation, son maintien dans les lieux ne sera pas pérennisé : il durera jusqu’à expiration du titre sans faculté de renouvellement, nul n’y ayant droit sur le domaine public [14], ceci d’autant plus que, en présence d’une activité économique exercée, l’exigence de sélection transparente préalable autant que celle de remise en concurrence périodique s’y opposent (CGPPP, art. L. 2122-1-1 N° Lexbase : L9569LDR et s.).

L’arrêt du 7 juin 2023 apporte encore quelques précisions (…et restrictions) sur l’étendue de la sécurité juridique conférée à l’occupant privatif. Si le Conseil d’État a admis en l’espèce que le titulaire de l’ex-bail rural demeurait occupant – légal – du domaine public, c’est après avoir vérifié que l’activité qu’il prenait en charge (l’élevage de chevaux) était compatible avec la nature et les finalités particulières assignées à la gestion des dépendances en cause (possédées par le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres). C’est signifier donc, en creux, que si la novation du titre doit être opérée par principe, celle-ci devra être écartée lorsque l’activité économique exercée par l’occupant ne répond pas aux règles parfois particulières (on pense à celles sises sur le domaine public maritime ou fluvial) d’utilisation du domaine public ; a minima, si cette activité n’est pas compatible avec l’affectation domaniale. La solution déçoit en revanche sur certains aspects, notamment en n’éclaircissant pas le champ d’extinction des anciennes clauses contractuelles. Tout juste sait-on que toutes celles incompatibles avec la domanialité publique disparaissent, ceci sans liste exhaustive. Mais, en sens inverse, ne serait-il pas logique d’éteindre (ou modifier) les stipulations contractuelles anciennement favorables à la collectivité bailleresse ? L’on pense, en priorité, au cas des redevances domaniales dont, dit-on parfois [15], le montant serait inférieur à celui des loyers versés sur le domaine privé pour des biens comparables, à raison entre autres des droits garantis (renouvellement, libre cessibilité…). La novation ne devrait-elle pas, alors, happer aussi ces stipulations, par trop favorables à la collectivité alors que l’ex-bailleur a perdu les avantages afférents ?

Lexbase : Qu'en est-il de la situation du titulaire du bail rural antérieur au classement ?  Doit-il être sanctionné par une contravention de grande voirie ?

Puisque le titre est nové (et en l’absence de toute dénonciation, rappelons-le), ce dernier continue de former la base légale des relations contractuelles qui ne s’éteignent donc pas, ipso facto, du fait de l’intégration des dépendances au sein du domaine public. Partant, l’ancien titulaire du bail ne peut être considéré comme un occupant sans titre et, de ce chef, se voir infliger une contravention de grande voirie. Néanmoins, la poursuite des relations contractuelles s’opère sans préjudice du respect de la police de la conservation applicable au domaine public concerné. Ainsi, dans l’affaire du 7 juin dernier, c’est valablement qu’une telle contravention a pu être infligée à l’occupant pour méconnaissance des dispositions (législatives) destinées à assurer la protection de l’intégrité du domaine public. En l’espèce, c’est donc à bon droit que l’autorité domaniale a pu dresser une telle contravention (sur le fondement de l’article L. 322-10-4 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6078HIX), l’utilisateur privatif ayant procédé à la découpe de roselières.

Pour traiter exhaustivement de la situation de l’ex-titulaire du bail, l’on ajoutera que ce dernier pourra tout de même rechercher l’engagement de la responsabilité de l’Administration à raison du préjudice subi (perte du « droit » à renouvellement notamment) consécutivement à l’intégration de la dépendance au sein du domaine public. Si l’on suit les conclusions de la rapporteure publique dans l’affaire « Commune de Saint-Félicien » [16], seule une responsabilité sans faute pourrait être de mise, celle-ci résultant d’une décision légale (de classement ou d’affectation à l’utilité publique du bien). On pourra juger la voie (bien) trop étroite. D’une part, car, pour prospérer, encore faudra-t-il démontrer l’existence d’un préjudice tout à la fois anormal et spécial. D’autre part, car l’on perçoit bien que, dans certaines hypothèses, l’idée de faute pourrait réapparaître, notamment si la collectivité publique entend savamment « organiser » la domanialité publique des lieux pour mieux se débarrasser – au moins à moyen terme… et à moindre frais – d’un occupant privatif jugé encombrant.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public, avec l'aimable communication des conclusions du rapporteur public, Maxime Boutron.


[1] CE, 12 décembre 2003, n° 256561 N° Lexbase : A4148DAU.

[2] Ph. Yolka, Le bail rural administratif, JCP éd. A, 2008, n° 2263.

[3] CE, 15 novembre 1950, Durel, Rec. p. 557 ; CAA Lyon, 18 octobre 2011, n° 11LY00780 N° Lexbase : A025243Q.

[4] CE, 24 novembre 2014, n° 352402 N° Lexbase : A2574M44.

[5] CE, 21 décembre 2022, n° 464505 N° Lexbase : A625483Z ; CE, 7 juin 2023, n° 447797.

[6] Cass. civ. 3, 6 juillet 2022, n° 21-18.450, FS-B N° Lexbase : A582979R.

[7] T. confl., 4 juillet 2016, n° 4055, Sté JCS Investissement et Sté Sodec Commercialisation et Gestion N° Lexbase : A4262RWR.

[8] T. confl., 11 avril 2016, n° 4043, Fosmax N° Lexbase : A6727RC7.

[9] E. Fâtome, A propos des contrats administratifs « recueillis et poursuivis par des personnes privées, in Mélanges Yves Jégouzo, Dalloz, 2009, p. 455.

[10] Cass. civ. 3, 26 octobre 2022, n° 21-19.053, FS-B N° Lexbase : A00988R3.

[11] CE, 24 novembre 2014, n° 352402 N° Lexbase : A2574M44.

[12] La précarisation des occupations privatives, JCP éd. A 2023, n° 2301.

[13] CE, 31 juillet 2009, n° 316534 N° Lexbase : A1347EK4.

[14] CE, 14 octobre 1991, n° 95857 N° Lexbase : A0521ARQ.

[15] Pour un tel postulat : v. CAA Marseille, 9 avril 2021, n° 18MA03151 N° Lexbase : A19004P3.

[16] K. Ciavaldini, BJCL, 2023-2, p. 100.

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Droit pénal fiscal

[Jurisprudence] Prévisibilité et gravité : de la distinction des critères à la combinaison des critères

Réf. : Cass. crim., 22 mars 2023, n° 19-81.929, FS-B N° Lexbase : A06869KM

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par Julien Gasbaoui, Avocat au barreau de Paris

Le 06 Juillet 2023

Mots-clés :  cumul de sanctions • fraude fiscale • prévisibilité de la loi pénale • ne bis in idem • critère de gravité de la faute

La Cour de cassation confirme l’exercice d’un véritable contrôle sur la motivation d’une condamnation intervenant après sanction fiscale. Le cumul est donc possible, mais il doit répondre à un critère de gravité dont la définition se précise. Pareillement, et même si sur ce point la Cour de cassation n’exerce pas sa censure, ce cumul conditionné doit être raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise.


 

La question du cumul des sanctions constitue un enjeu majeur du droit pénal des affaires.

Si ce cumul est devenu impossible en matière boursière [1], possible en matière commerciale, la solution en matière fiscale est plus nuancée.

L’état actuel du droit résulte de la combinaison de la jurisprudence de la CJUE, du Conseil constitutionnel et de la Chambre criminelle, qui exigent une sanction proportionnée et prévisible, et des faits présentant une forme certaine de gravité.

L’arrêt sous commentaire rappelle ces principes.

En l’espèce, un expert-comptable était poursuivi pour avoir souscrit des déclarations mensuelles de taxe sur le chiffre d’affaires (TVA) et de revenus minorés (IR).

Les droits éludés s’élevaient à 82 597 euros au titre de la TVA et à 108 883 euros au titre de l’IR.

Condamné à douze mois d’emprisonnement ainsi qu’à la publication de la décision, le prévenu faisait valoir qu’ayant déjà subi une procédure de redressement fiscal et des pénalités à hauteur de 40 %, il ne pouvait être condamné à nouveau pour les mêmes faits.

L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne N° Lexbase : L0230LGM était visé. Il faisait ainsi valoir que « la sévérité globale du système répressif s’agissant des faits qui lui sont reprochés dépasse ce qui est strictement nécessaire ».

La cour d’appel décidait d’aggraver la sanction et d’écarter la règle ne bis in idem en reprenant la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon qui :

« les dispositions des articles 1741 à 1743 du Code général des impôts prévoient la possibilité d’un cumul des sanctions pénales et des sanctions pénales aux termes d’une procédure pénale et d’une procédure administrative qui sont indépendantes l’une de l’autre, ayant des objets et des finalités différents » ;

[…]

« cette règle est conforme à l’article 50 de la Charte dès lors que le Conseil, dans deux décisions du 24 juin 2016, en a précisé la portée en prévoyant : qu’elle ne s’applique qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse des sommes soumises à l’impôt, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie et des circonstances de leur intervention ; et que le montant global des sanctions éventuelles prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues, en application du principe de proportionnalité ».

Le pourvoi faisait valoir que :

  • d’une part, les dispositions de l’article 1741 N° Lexbase : L6015LMQ comme interprétées par le Conseil constitutionnel ne sont ni claires ni précises ;
  • d’autre part, les juges auraient dû s’assurer que la charge résultant de l’ensemble des sanctions prononcées à l’encontre du prévenu n’était pas excessive au regard de la gravité de l’infraction concernée.

C’est sur le fondement de ce dernier critère que la Cour de cassation a censuré les juges du fond.

Le critère de la prévisibilité (I.) est clair dans son interprétation ; celui de la gravité l’est moins (II.). La combinaison de l’ensemble devient nébuleuse (III.).

I. L’article 1741 du CGI à l’épreuve des principes de clarté et de précision

Selon la Chambre criminelle, « l’arrêt n’encourt pas la censure de ce chef. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que ce cumul était raisonnablement prévisible pour l’intéressé, dès lors qu’à la date des faits poursuivis, antérieure aux décisions du Conseil constitutionnel précitées (paragraphe 12), les dispositions des articles 1729 et 1741 du Code général des impôts permettaient le cumul de telles sanctions, quels que soient les faits en cause, la dissimulation excédant le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros ».

Sur ce point, l’arrêt n’étonne guère, puisque si les dispositions pénales doivent être claires et précises, il est bien évident que la jurisprudence occupe en cette matière une place déterminante et que le texte, à lui seul, est insuffisant.

Cependant, la CJUE considère que « la circonstance que la jurisprudence nationale se réfère, dans le cadre de son interprétation des dispositions législatives pertinentes, à des notions générales devant graduellement être clarifiées ne fait pas, en principe, obstacle à ce que la réglementation nationale puisse être considérée comme prévoyant des règles claires et précises permettant au justiciable de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale » [2]

Ainsi, « il ressort de la jurisprudence relative au principe de légalité des délits et de peines que ce principe ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre ».

La solution présente évidemment une limite. La jurisprudence s’écrivant au gré des décisions, elle s’oppose par nature au texte, figé et écrit en amont. Pour tenter de maintenir la nécessité de prévoir, a donc été érigée une limite, ou plutôt un garde-fou : l’interprétation retenue par les juges doit être… prévisible ! « [L]e résultat [d]oit [être] raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause ».

Cette solution est reprise par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui n’hésite pas, en cas de revirement clair, à différer les effets de sa jurisprudence.

Ainsi, le 25 novembre 2020 [3], les magistrats ont mis un terme à l’impossibilité d’imputer toute faute pénale à une société absorbante pour des agissements imputables à la société absorbée. Les effets dans le temps de cette solution, qui constituait alors un important revirement, étaient toutefois organisés par la Cour elle-même, qui a pris soin de préciser que seules les opérations réalisées après cette date, subiront le nouveau régime [4] :

« Cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme » et ainsi en conformité avec la jurisprudence européenne selon laquelle l’application rétroactive d’un revirement imprévisible de jurisprudence in defavorem méconnaît le principe de légalité criminelle, y compris dans les pays de droit écrit ».  

La solution est satisfaisante dans son principe, mais encore faudrait-il savoir à quel moment revirement de jurisprudence il y a et qui en est juge.

Ainsi la Chambre criminelle a-t-elle consacré pour la première fois, en 2021, l’abus de confiance par détournement du temps de travail [5]. Si le principe dégagé est discutable, son caractère innovant, et donc difficilement prévisible au regard du libellé du texte relatif à l’abus de confiance ne fait aucun doute. Il a pourtant été décidé que la solution pouvait s’appliquer à des cas antérieurs à 2021.

En l’espèce, et de façon très concrète, la complexité des sanctions fiscales et administratives laisse peu de place à une compréhension claire par le justiciable de sa situation et des risques encourus.

À cet égard, la CJUE a choisi une interprétation défavorable aux droits de la défense, en soulignant qu’il importe peu que le prévenu doive « recourir à l’assistance d’un conseil juridique pour évaluer les conséquences pouvant résulter des faits qui lui ont été reprochés au regard des conditions d’application du cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale prévues [aux] articles [1729 et 1741 du CGI], tels qu’interprétés par les juridictions nationales »

Pour intéressante qu’elle soit, la solution bute sur la combinaison avec le deuxième critère, à savoir celui de la gravité.

II. Le critère de gravité

Sur le terrain de la gravité, la solution dégagée ne surprend pas. Elle suit un courant établi et clair dans son principe. On sait, en effet, que le Conseil constitutionnel a, par deux décisions, érigé en principe la possibilité de cumuler les pénalités administratives à caractère répressif et les sanctions pénales [6], c’est-à-dire le cumul des articles 1729 N° Lexbase : L4733ICB puis 1728 N° Lexbase : L1445MDU du Code général des impôts d’une part, et 1741 N° Lexbase : L6015LMQ du Code général des impôts d’autre part [7].

Toutefois, et la Cour de cassation suit cette logique, trois conditions ont été posées.

Lorsqu’un prévenu a déjà été sanctionné fiscalement, la qualification pénale de l’article 1741 du Code général des impôts ne peut s’appliquer qu’aux « cas les plus graves » de fraude. Ainsi les juges estiment-ils que « le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l’engagement de procédures conduisant à l’application de plusieurs sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l’article 1741 ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ».

La gravité dont il est question s’apprécie donc à l’aune de trois critères :

  • le « montant des droits éludés » ;
  • la « nature des agissements de la personne poursuivie » ;
  • ou « des circonstances de leur intervention ».

Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation :

« Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du Code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. À défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation » [8]

D’aucuns ont trop facilement relevé que le critère de la gravité est déjà pris en considération par la commission des infractions fiscales et le procureur de la République au stade des poursuites.

La Chambre criminelle a pris soin d’écarter une telle assimilation :

« Si la gravité des faits est prise en considération par l’administration fiscale lorsqu’elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu’il décide d’engager des poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s’engager, de s’assurer de cette gravité » [9].

Le défaut de gravité doit conduire à la relaxe et le défaut de motivation sur ce point conduit la Cour de cassation à censurer les juges du fond :

« Sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que le prévenu faisait valoir qu’il avait fait l’objet d’une pénalité fiscale sur le fondement de l’article 1729 du Code général des impôts, la cour d’appel a méconnu la portée de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel. » [10]

C’est par une formule proche que l’arrêt sous commentaire tranche, en reprenant ainsi les trois critères de la gravité.

Mais est-il à cet égard éclairant ?

Le Conseil avait relevé que répondent notamment au critère de gravité « les omissions portant sur des sommes très importantes » ou « des manquements répétés dans le temps ou relatifs à de nombreux impôts » [11].

Ce faisceau d’indices proposé par le Conseil constitutionnel doit donc conduire les juridictions à distinguer celui qui fait le choix d’ériger la fraude fiscale en système, de celui qui n’a été que passif, même si incontestablement coupable.

La Chambre criminelle ne dit pas davantage en l’espèce, et si la solution est satisfaisante, elle reste frustrante : comme par le passé, c’est une absence de motivation qui est censurée.

Les trois critères sont repris, mais ils ne sont pas explicités, de sorte que la jurisprudence reste à notre avis… imprévisible !

III. La combinaison des critères : retour sur la prévisibilité

La cause est entendue : la jurisprudence palliant le silence des textes, le contribuable sait qu’il pourra faire l’objet d’une sanction pénale après avoir subi une sanction fiscale.

Toutefois, cette double sanction n’a aucun caractère systématique. Au contraire, si l’on s’en tient à la formulation du Conseil constitutionnel comme celle de l’arrêt sous commentaire, elle ne s’applique « qu’aux cas les plus graves ». Une telle formule, qui renvoie à une comparaison entre cas, et non à un standard, devrait même permettre d’affirmer qu’il s’agit de cas exceptionnels, imposant une identification claire puis une motivation spéciale.

Or en l’état de la jurisprudence, notamment de celle des juges du fond, cette solution ne semble pas être ainsi comprise.

La fraude fiscale est le fait du petit commerçant comme de groupes importants ; elle tient tout aussi bien dans une simple abstention que dans un montage juridique complexe ; elle vise la structure dont l’activité est intégralement frauduleuse comme celle qui ne l’est que très marginalement.

Cette solution très générale se poursuit. Là où, à l’évidence, les termes « les cas les plus graves » auraient dû mettre à terme à des poursuites pénales à la suite d’une abstention déclarative sans aucun montage, au moins lorsque les montants de droits éludés ne sont pas importants, de telles poursuites continuent.

C’est le sens de la formule « les conditions de réalisation de l’infraction », comme celle de « la nature des agissements ». Pourtant, existe-t-il, sur ces questions, une interprétation cohérente ? Le critère chiffré, qui devrait être le plus objectif, ne l’est pas lui-même. Certaines fraudes se comptent en milliards ou en dizaines de millions. La jurisprudence comme les affaires médiatiques en cours en témoignent.

Comment, dans ces conditions, poursuivre des dirigeants de PME, à l’évidence en difficulté financière et personnelle, pour des montants de 100 000 ou 200 000 euros de droits éludés, alors que le recouvrement desdits droits, majorés, est déjà acquis ?

Une telle assertion est discutable, sans doute. Elle divise, sur un plan juridique, mâtiné parfois d’un certain regard politique.

C’est pourquoi il faut sans doute revenir au droit, et à travers le critère de la gravité, laisser ressurgir celui de la prévisibilité, en reprenant la formule de l’arrêt sous commentaire :

« Il résulte des considérations qui précèdent, en premier lieu, que, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, d’une part, s’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier qu’il était raisonnablement prévisible, au moment où l’infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale, le cas échéant en tenant compte de la profession du prévenu et des conseils juridiques auxquels il pouvait recourir ».

Au regard de la jurisprudence connue, et des trois arrêts de censure, existe-t-il un professionnel capable de se positionner clairement sur le sujet ? Non pas au regard de ce qui devrait être, mais au regard de ce qui est ?

La réponse nous semble négative, ce qui devrait appeler une sanction également sur le terrain de la prévisibilité et non pas seulement sur le terrain de la gravité.

Reste donc la nécessité pour les juges du fond de se saisir de cette question en en précisant le sens et à la Cour de cassation d’en tracer réellement les contours.

 

[1] Cons. const., décisions n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, du 18 mars 2015 N° Lexbase : A7983NDZ.

[2] CJUE, 22 octobre 2015, aff. C‑194/14, AC-Treuhand/Commission  N° Lexbase : A8607NTX.

[3] Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I N° Lexbase : A551437D.

[4] La limite est bien sûr les cas de fraude. V. récemment pour une application de cette solution, Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-80.653, FS-B N° Lexbase : A41207TR.

[5] Cass. crim., 30 juin 2021, n° 20-81.570, F-B N° Lexbase : A19904YD.

[6] Cons. const., décisions n° 2016-545 et 2016-546 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0909RU9 : S. Detraz, note, Dr. Fisc. 2016, comm. 405 ; R. Salomon, obs., Dr. Fisc., 2016, 439 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB, n° 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC, n° 18-81.980 N° Lexbase : A9083ZMD, n° 18-82.430 N° Lexbase : A9084ZME, n° 18-84.144, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9086ZMH.

[7] V. J. Gasbaoui, ÉTUDE : La fraude fiscale, in Droit pénal spécial (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E102603E.

[8] Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC, n° 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB et n° 18-84.144, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9086ZMH.

[9] Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.040, pt. 13 N° Lexbase : A9081ZMB, n° 18-81.067, pt. 32 N° Lexbase : A9082ZMC et n° 18-84.144, FS-P+B+R+I, pt. 20 N° Lexbase : A9086ZMH.

[10] Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-81.366, F-D N° Lexbase : A04717P7.

[11] Commentaire officiel de la décision Cons. const., décision n° 2018-745 QPC, du 23 novembre 2018 N° Lexbase : A3978YMB, page 17.

newsid:485887

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] De l’investissement immobilier en outre-mer, du droit de jouir d’une réduction d’impôt, de l’agrément ministériel

Réf. : CAA Nantes, 5 mai 2023, n° 22NT01879 N° Lexbase : A24039T8

Lecture: 9 min

N6133BZ8

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord

Le 05 Juillet 2023

Mots-clés : iknvestissements outre-mer • impôt sur le revenu • réduction d’impôt • immobilier

La cour administrative d’appel de Nantes est venue apporter des précisions sur les investissements immobiliers outre-mer.


 

Un contribuable souscrit en 2011 à une augmentation de capital social d’une SCI créée par les associés d’une SARL. L’objet social de cette dernière consiste en la réalisation d’un ensemble immobilier de 117 logements sur un terrain situé en Nouvelle-Calédonie. Associé de la SCI, notre contribuable bénéficie d’une réduction d’IR au titre de l’année 2015 en vertu de l’article 199 undecies A du CGI N° Lexbase : L8919MCC (réduction d’impôt en cas d’investissement en Nouvelle-Calédonie, avec agrément préalable obligatoire du ministre du budget en cas d’investissement supérieur à 2 millions d’euros). Constatant l’absence d’agrément préalable du ministre, l’administration remet en cause le bénéfice de la réduction d’impôt pour non-respect des conditions édictées par l’article 199 undecies A du CGI. Contentieux. Le contribuable se tourne vers le TA de Caen afin qu’il prononce la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’IR et de prélèvements sociaux par lui subis. Le TA de Caen rejette sa demande.

Les griefs du requérant sont multiples. Le jugement du TA serait irrégulier faute d’avoir répondu au moyen tiré de la motivation insuffisante de la proposition de rectification ; de plus, le TA n’aurait pas répondu au moyen tiré de l’absence de communication des documents fondant la proposition de rectification. Méconnaissance il y aurait eu des articles L. 57 N° Lexbase : L0638IH4 et R. 57-1 N° Lexbase : L2033IBW du LPF en raison d’une motivation insuffisante de la proposition de rectification ; de plus, l’administration ne joint pas à ladite proposition des documents dont elle fait pourtant état. L’administration aurait violé l’article L. 76 B du LPF N° Lexbase : L7606HEG en ne l’informant pas de la teneur des renseignements et documents obtenus auprès de tiers ; en outre, ces documents ne lui ont pas été adressés. Quant au fond, est contestée naturellement la remise en cause - pour défaut d’agrément préalable du ministre du Budget - de la réduction d’impôt dont il a bénéficié. Le contribuable estime que la remise en cause de la réduction d’impôt ne peut pas être fondée sur l’article 217 undecies (III) du CGI N° Lexbase : L3603MGK : ces dispositions ne concernent pas, selon lui, les modalités d’appréciation du seuil d’agrément de 2 millions d’euros mais les conditions de délivrance de l’agrément. Quant à l’article 170 (I bis et I ter) de l’annexe IV du CGI N° Lexbase : L8046MHH, il ne concernerait pas les modalités d’appréciation du seuil d’agrément de 2 millions d’euros ; il se rapporterait exclusivement aux modalités d’appréciation du seuil de compétence de 20 millions d’euros. Enfin, le contribuable récuse l’utilisation, par l’administration, de la documentation référencée BOI-IR-RICI-80-30-20130826 n° 30 à 60 (bulletin officiel des finances publiques, 26 août 2012) pour apprécier le seuil de 2 millions d’euros par programme immobilier ; ladite documentation serait illégale en ce qu’elle ajouterait une condition supplémentaire à la loi.

Trois points méritent attention : l’application de la loi fiscale, la régularité de la procédure d’imposition, l’interprétation administrative de la loi fiscale.

Premier point : l’application de la loi fiscale.

Le juge d’appel fait lecture de l’article 199 undecies A du CGI. Les contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B N° Lexbase : L6146LU8 peuvent jouir d’une réduction d’IR lorsqu’ils investissent en Nouvelle-Calédonie. La réduction d’impôt s’applique au prix de souscription de parts ou actions de sociétés dont l’objet réel est exclusivement de construire des logements neufs. Les fondations des immeubles doivent être achevées dans les 2 ans suivant la clôture de chaque souscription annuelle ; les souscripteurs doivent conserver leurs parts ou actions pendant 5 ans au moins à compter de la date d’achèvement des immeubles. Dans l’hypothèse où le montant des investissements est supérieur à 2 millions d’euros, il y a réduction d’impôt seulement si le ministre du Budget délivre préalablement un agrément sur le fondement du III de l’article 217 undecies. En vertu de cette dernière disposition, l’agrément ministériel est délivré quand l’investissement : présente un intérêt économique pour le territoire visé (et ne porte pas atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, ne constitue pas une menace contre l’ordre public, ne laisse pas présumer l’existence de blanchiment d’argent) … poursuit comme l’un de ses buts principaux la création ou le maintien d’emplois dans le territoire … s’insère dans la politique d’aménagement du territoire ainsi que de l’environnement et du développement durable … garantit la protection des investisseurs et des tiers. Pour que délivrance de l’agrément il y ait, encore faut-il que les bénéficiaires – directs ou indirects – respectent leurs obligations fiscales et sociales, et que les modalités de réalisation et d’exploitation de l’investissement puissent faire l’objet d’idoines vérifications. La CAA de Nantes se penche sur les intentions du législateur lorsqu’il rédige les textes mentionnés en amont : il appert que réduction d’impôt il y a seulement quand les investissements réalisés outre-mer dans le secteur du logement ont reçu l’agrément ministériel, obligatoire quand le montant excède 2 millions d’euros. Comment apprécier le seuil de 2 millions d’euros eu égard à l’objet et aux critères de délivrance de l’agrément ? Ce seuil de 2 millions d’euros ne s’apprécie pas au regard des souscriptions au capital des sociétés ; il s’apprécie « au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d’actions de sociétés ont été réalisées ». Sont réputés constituer un programme immobilier les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l’objet d’une même demande de permis de construire. Dans notre affaire, le contribuable a souscrit une augmentation de capital d’une SCI, augmentation s’inscrivant dans le cadre d’un programme immobilier dont la finalité est la réalisation de 117 logements ; ceux-ci sont répartis en 5 bâtiments ayant fait l’objet d’une unique demande de permis de construire. Le montant du programme – 19 967 864 euros – est supérieur au seuil de 2 millions d’euros mentionné à l’article 199 undecies du CGI. Dès lors, estime la CAA, l’administration pouvait à bon droit – à savoir sans méconnaître l’article 217 undecies (III) du CGI – exiger la production de l’agrément ministériel. Telle était l’impérative condition pour que le programme immobilier dans lequel le contribuable a investi puisse se traduire par une réduction d’impôt au sens de l’article 199 undecies (A) du CGI. À défaut d’avoir sollicité et obtenu l’agrément du ministre du Budget, le contribuable est redevable des impositions supplémentaires qui ont été mises à sa charge au titre de l’année 2015. Enfin, le contribuable n’est pas fondé à soutenir que l’administration ne pouvait pas avoir recours à l’article 170 decies de l’annexe IV du CGI N° Lexbase : L8905MCS[1]. Selon la CAA, « la référence à ce texte n’a constitué pour l’administration qu’un argument à l’appui de son interprétation des dispositions de l’article 199 undecies A de ce même code ». D’un point de vue herméneutique – bref, de la logique juridique quand il s’agit pour le juge de construire la maïeutique jurisprudentielle – la formule du juge apparaît hautement contestable. Quand un texte sert de référence argumentative aux fins d’interpréter une disposition normative, il entre d’évidence dans le coeur du raisonnement de l’administration. Il devrait être alors scruté avec intensité et rigueur par le juge tant il conditionne (en partie) le processus interprétatif et in fine (en partie) le sort du litige.

Second point : l’interprétation administrative de la loi fiscale.

Le contribuable soutient que l’interprétation de l’administration – cf. la documentation référencée BOI-IR-RICI-80-30-20130826, n° 40 à 60, BOFIP du 26 août 2013 – ajoute une condition non prévue par l’article 199 undecies A du CGI. L’administration estime en effet que l’appréciation du seuil de 2 millions d’euros s’effectue selon le programme immobilier et non au regard des souscriptions réalisées. Le contribuable n’est pas entendu par le juge qui assène la formule suivante : « les impositions contestées ont été établies sur la base des seules dispositions légales. L’éventuelle illégalité de l’interprétation administrative de la loi fiscale est donc en tout état de cause sans influence ». Formule là encore hautement contestable : comme si appliquer le droit signifiait seulement appliquer la loi… Tournons-nous vers le réalisme et l’empirisme juridiques : un texte de loi devient instrument normatif seulement après son interprétation, les interprètes réalisant, inéluctablement, opération créatrice. Nous en revenons à la question herméneutique et à la césure application (prétendument objective et neutre) / interprétation (évidement subjective et créatrice). Aussi est-il intolérable de déclarer qu’une « éventuelle illégalité de l’interprétation administrative de la loi fiscale est donc en tout état de cause sans influence » ; l’interprétation administrative de la loi fiscale est la loi fiscale puisqu’elle la fait émerger en tant que norme vivante s’appliquant à un contentieux gros de plusieurs lectures possibles. Le droit en vigueur n’est pas le texte-loi, il est ce qu’en font les interprètes, et in fine l’interprète authentique (l’organe du dernier mot) : le juge…

 

[1] CGI, art. 170 decies, annexe IV. Version en vigueur depuis le 7 mai 2022 :

« I. – L'agrément prévu aux II quater et III de l'article 217 undecies du Code général des impôts est délivré par le directeur départemental ou le directeur régional des finances publiques du département dans lequel le programme d'investissement est réalisé lorsque son montant total n'excède pas 10 millions d'euros, à l'exception du secteur du logement.

La décision est prise par le ministre du Budget lorsque le programme d'investissement est d'un montant supérieur à 10 millions d'euros ou qu'il est réalisé dans plus d'un département d'outre-mer, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Polynésie française, aux îles Wallis et Futuna, dans les Terres australes et antarctiques françaises, en Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Pierre-et-Miquelon ou bien lorsque l'affaire est évoquée par le ministre.

I bis. – Dans le secteur du logement, l'agrément prévu au 4 de l'article 199 undecies A, aux II quater et III de l'article 217 undecies et au VII de l'article 244 quater W du Code général des impôts, est délivré par le directeur départemental ou le directeur régional des finances publiques du département dans lequel les logements sont réalisés, lorsque le montant total du programme immobilier est inférieur ou égal à 20 millions d'euros.

L'agrément est délivré par le ministre du Budget lorsque ce montant est supérieur à 20 millions d'euros ou lorsque le programme immobilier est évoqué par le ministre.

I ter. – Les montants mentionnés au I et au I bis s'apprécient toutes taxes, frais et commissions compris, par programme.

II. – Les demandes d'agrément mentionnées au premier alinéa des I et I bis, sont adressées au directeur départemental ou au directeur régional des finances publiques du département où sera réalisé le programme d'investissement.

Les demandes d'agrément mentionnées au second alinéa du I et au second alinéa du I bis sont adressées à la direction générale des finances publiques.

III. – Pour les programmes d'investissement placés sous le régime de la copropriété ou réalisés par l'une des sociétés ou groupements visés aux articles 8 ou 239 quater du Code général des impôts, la demande d'agrément est faite par un représentant unique, promoteur de l'opération, gérant ou associé, qui doit remettre une copie de la décision obtenue aux investisseurs, copropriétaires ou associés.

IV. – (Dispositions devenues sans objet).

Modifications effectuées en conséquence de l'article 106-I [2°] de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016.

Conformément au II de l'article 11 de l'arrêté du 13 janvier 2020 ( NOR : CPAP1931008A ), les demandes de décisions administratives individuelles présentées avant l'entrée en vigueur de cet arrêté sont instruites selon les procédures applicables à la date de leur présentation ».

newsid:486133

Fiscalité internationale

[Brèves] Appréciation d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI par l’administration fiscale

Réf. : CAA Lyon, 25 mai 2023, n° 21LY03690 N° Lexbase : A67639XR

Lecture: 5 min

N6185BZ4

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par Maxime Loriot, Notaire Stagiaire – Doctorant en droit international privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 11 Juillet 2023

► Par un arrêt rendu le 25 mai 2023, la cour administrative d’appel de Lyon était amenée à trancher un litige relatif à la caractérisation du transfert indirect de bénéfices à l’étranger prévue par l’article 57 du CGI d’une société française détenue par une société brésilienne.

Pour rappel, larticle 57 du CGI N° Lexbase : L9738I33 prévoit, en matière d'impôt sur le revenu, la réintégration dans le résultat d'une entreprise des bénéfices indirectement transférés à des entreprises situées hors de France avec qui elle entretient un lien de dépendance, l'existence d'un lien de dépendance entre deux sociétés n'est pas subordonnée à celle d'un lien capitalistique ou à la présence de dirigeants de droit commun.

Cet article à vocation à jouer à l’égard :

  • soit d’une entreprise française placée sous la dépendance d’une entreprise étrangère ;
  • soit d’une entreprise française ayant sous sa dépendance une société étrangère ;
  • soit une entreprise française placée, en même temps qu’une ou plusieurs entreprises étrangères, sous la commune dépendance d’une même entreprise, d’un groupe ou d’un consortium.

En conséquence, ladministration dispose dune option pour mettre en œuvre larticle 57 du CGI relatif au transfert indirect de bénéfices à l’étranger :

  • démontrer l’existence d’un avantage accordé par une entreprise établie en France à une entreprise associée établie à l’étranger. La preuve de l’existence de tels avantages fait présumer le transfert de bénéfices. L’entreprise française dispose toutefois de la faculté d’apporter la preuve contraire en démontrant que l’opération est en réalité justifiée par les nécessités de l’exploitation, ou ;
  • établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu pour démontrer l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise établie en France (CE, 3°-8° s.-sect. réunies, 7 novembre 2005, n° 266436 N° Lexbase : A4994DLK ; CE, 3°-8° ch. réunies, 19 septembre 2018, n° 405779, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6136X7E).

Rappel des faits et procédure

  • Une société française détenue par une société espagnole, elle-même détenue en totalité par une société brésilienne, ayant pour activité le négoce de moteurs électriques industriels et d’équipements électriques, a fait l’objet d’un contrôle comptable au titre des exercices clos de 2010 à 2012.
  • Selon l’administration, la société n’avait pas présenté de documentation justifiant la politique de prix de transfert au sein du groupe et réglait ses fournisseurs dans un délai maximal de trente jours à compter de l’embarquement des marchandises au départ, alors que les délais de livraison étaient entre deux et trois mois et que ses propres clients ne s’acquittaient de leurs factures que dans un délai de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours.
  • L’administration fiscale a jugé que la société exerçait une fonction financière sans contrepartie, constitutive d’un transfert indirect de bénéfices conformément aux dispositions de l’article 57 du CGI. Elle a ainsi réintégré dans les résultats imposables le résultat d’exploitation médian corrigé des charges financières par comparaison avec quatorze entreprises comparables. En complément, les sommes réputées transférées à l’étranger ont été soumises à l’impôt à la source prévu par l’article 119 bis, 2, du CGI.
  • En conséquence, la société a engagé une action en justice afin d’obtenir la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
  • En première instance, les juges du fond du tribunal administratif de Grenoble ont débouté la société demanderesse de ses prétentions. Par conséquent, la société demanderesse a interjeté appel devant la CAA de Lyon.

Question de droit. La CAA de Lyon était amenée à trancher la question suivante : Dans quelle mesure l’administration fiscale est-elle tenue de rapporter la preuve d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI ?

Solution

La CAA de Lyon a tout dabord comparé le taux de marge nette de la société calculé après suppression des charges financières, à celui d'entreprises indépendantes n'assumant pas de fonction financière spécifique, parmi un échantillon de quatorze entreprises indépendantes ayant le même code NAF que la société française, aux CA supérieurs à 5 millions d’euros pour les années considérées, et dont le montant des ventes était inférieur à 90 % du CA, se positionnant en qualité de grossiste/négociant.

Elle juge ainsi que le panel de comparables retenu par ladministration fiscale n’était pas pertinent.

Les juges dappel ajoutent que lorsque ladministration souhaite se prévaloir de la présomption dun transfert de bénéfices, elle est tenue de rapporter lexistence dun avantage en comparant les pratiques avec celles dentreprises similaires exploitées normalement, sans lien de dépendance.

Elle en déduit que faute de comparables appropriés, ladministration fiscale na pas rapporté la preuve de lexistence dun avantage de nature à faire jouer la présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger prévue par larticle 57 du CGI.

newsid:486185

Libertés publiques

[Brèves] Neutralité religieuse pendant les matches de football : validation du règlement de la FFF

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 29 juin 2023, n° 458088, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4969978

Lecture: 2 min

N6130BZ3

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par Yann Le Foll

Le 05 Juillet 2023

► L’interdiction du port de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » pendant les matchs de football est adaptée et proportionnée.

Faits. La Fédération française de football interdit, par l’article 1er de ses statuts, « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale », ainsi que « tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande », à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la fédération ou en lien avec elle. La Ligue des droits de l’Homme et deux associations ont demandé au Conseil d'État d’annuler cette interdiction.

Position CE. Le principe de neutralité du service public s’applique aux fédérations sportives qui sont en charge d’un service public. Leurs agents et plus largement toutes les personnes sur lesquelles elles ont autorité doivent s’abstenir de toute manifestation de leurs convictions et opinions personnelles (CE, 3 mai 2000, n° 217017 N° Lexbase : A9574AGP).

Cette obligation de neutralité s’applique également à toutes les personnes sélectionnées dans une des équipes de France lors des manifestations et compétitions auxquelles elles participent.

Il est également de la responsabilité de ces fédérations de déterminer les règles de participation à leurs compétitions ou manifestations sportives, y compris en matière de tenue et d’équipement afin d’assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu.

Si les licenciés ne sont pas soumis, contrairement aux agents des fédérations et aux joueurs des équipes de France, à l’obligation de neutralité, les règles de participation édictées par ces fédérations peuvent limiter leur liberté d’expression de leurs opinions et convictions pour garantir le bon fonctionnement du service public et la protection des droits et libertés d’autrui.

Décision. Pour garantir le bon déroulement des matchs de football et éviter tout affrontement ou confrontation, la FFF pouvait donc édicter l’interdiction contestée, cette interdiction étant adaptée et proportionnée.

newsid:486130

Licenciement

[Brèves] Licenciement décidé en rétorsion d’une demande d’élections professionnelles : précisions utiles sur le régime de preuve applicable

Réf. : Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-11.699, F-B N° Lexbase : A266997Y

Lecture: 5 min

N6155BZY

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par Lisa Poinsot

Le 05 Juillet 2023

Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d'organiser des élections professionnelles au sein de l'entreprise.

Faits et procédure. Un salarié demande l’organisation d’élections professionnelles. Un mois plus tard, il est convoqué à un entretien préalable à un licenciement avec mise à pied conservatoire. Il est par la suite licencié pour faute grave.

Soutenant l’existence d’une discrimination syndicale, ce salarié saisit la juridiction prud’homale aux fins d’annulation de son licenciement.

Rappel. Le salarié, demandant des élections professionnelles, ne doit pas être discriminé en raison de son appartenance à un syndicat ou de l’exercice d’une activité syndicale. Le licenciement prononcé pour ce motif est nul, impliquant la réintégration du salarié et son indemnisation.

En matière de discrimination, il appartient d’abord au salarié de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Ensuite, il appartient à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La cour d’appel (CA Paris, 2 juin 2021, n° 19/00973 N° Lexbase : A75284TY) retient que le salarié ne présente dans ses conclusions aucun élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale. Elle rejette alors les demandes du salarié au titre de la nullité du licenciement pour discrimination syndicale.

Le salarié forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel.

Sur le fondement des articles L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY et L. 2141-5 N° Lexbase : L2652LI3 du Code du travail, la Haute juridiction relève que :

  • le licenciement prononcé n’est pas justifié par l’existence d’une cause réelle et sérieuse ;
  • le salarié, ayant demandé l’organisation des élections professionnelles, est mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé un mois plus tard et licencié pour faute grave quatre jours plus tard ;
  • le salarié soutient dans ses conclusions que la procédure de licenciement a été engagée le jour durant lequel l’employeur a reçu la demande d’organisation des élections des délégués du personnel.

Rappel. La Chambre sociale de la Cour de cassation s’est déjà penchée sur la question des mesures de rétorsion. En effet, elle a déjà affirmé que le licenciement d’un salarié à la suite d'une action en justice qu’il a engagée, sur le fondement du principe de non-discrimination ou de l’égalité professionnelle, est nul s’il est établi que ce licenciement est sans cause réelle et sérieuse et constitue une mesure prise par l’employeur en raison de cette action en justice (Cass. soc., 21 novembre 2018, n° 17-11.122, FS-P+B N° Lexbase : A0000YNC).

Dès lors, si le licenciement ne trouve pas sa cause dans l’action en justice du salarié, il appartient à ce dernier de prouver que la rupture du contrat de travail constitue une mesure de rétorsion de l’employeur (Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 17-24.773, FS-P+B N° Lexbase : A0148ZRW).

Ce raisonnement est le même en matière de protection du lanceur d’alerte contre les mesures de représailles (C. trav., art. L. 1121-2 N° Lexbase : L0917MCX).

En l’espèce, pour la Cour de cassation, dès lors que le licenciement prononcé après une demande d’élections professionnelles n’a pas de cause réelle et sérieuse, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la demande du salarié d’organiser les élections professionnelles et le licenciement prononcé.

En appliquant les règles prévues en cas de licenciement décidé par rétorsion d’une action en justice ou d’une alerte, la Haute juridiction ajoute un nouveau cas de nullité d’une mesure de rétorsion prise par l’employeur à l’encontre d’un salarié et définit le régime de preuve applicable à ce type de licenciement.

Par ailleurs, en application de l’article L. 2313-1 du Code du travail N° Lexbase : L1430LK8, dans sa rédaction applicable en la cause, l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240 N° Lexbase : L0950KZ9, du Code civil et l'article 8, § 1, de la Directive (CE) n° 2002/14, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne N° Lexbase : L7543A8U, la Haute juridiction rappelle que l’absence de mise en place d’instances représentatives du personnel, sans l’établissement de procès-verbal de carence, cause un préjudice au salarié devant être automatiquement réparé.

Pour aller plus loin :

  • sur le licenciement décidé par rétorsion : v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, Le motif lié à une liberté fondamentale, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E5015ZN3 ;
  • sur la réparation automatique du préjudice en cas d’absence de mise en place d’IRP, sans PV de carence : v. déjà Cass. soc., 22 mars 2023, n° 21-21.276, F-D N° Lexbase : A01039LE ;
  • v. aussi ÉTUDE : Le délit d’entrave, L'entrave à la constitution des institutions représentatives du personnel, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1720ETU.

 

newsid:486155

Procédure pénale

[Brèves] Audition en garde à vue : précisions sur la vérification de l’effectivité du droit à l’assistance d’un avocat

Réf. : Cass. crim., 21 juin 2023, n° 20-81.164, inédit N° Lexbase : A076898X

Lecture: 4 min

N6159BZ7

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par Adélaïde Léon

Le 05 Septembre 2023

► Méconnaît l’exigence de motivation de ses arrêts la chambre de l’instruction qui, pour rejeter une requête en annulation d’un procès-verbal d’audition de garde à vue, de son enregistrement et des actes subséquents fondée sur la différence significative entre les mentions du procès-verbal et les termes de l’enregistrement, a retenu que l’intéressé était régulièrement et complètement informé lorsqu’il avait formulé ses choix relatifs à son assistance par un avocat ; sans rechercher, au préalable les conditions dans lesquelles l’enquêteur avait mis en mesure le gardé à vue d’exercer ce droit et sans répondre au moyen de nullité tiré de la déloyauté de l’administration de la preuve.

Rappel de la procédure. Un individu a été mis en examen pour viol et agression sexuelle sur personne qu’il savait particulièrement vulnérable en raison de sa déficience physique ou psychique.

Lors de sa troisième et dernière audition en garde à vue, l’intéressé a reconnu, hors la présence de son avocat, des faits qui ont fondé des poursuites à son encontre du chef de viol.

Par la suite, le mis en examen a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en annulation du procès-verbal de cette dernière audition, de son enregistrement, ainsi que de tous les actes qui en était le support. Cette requête soulignait la différence significative entre les mentions du procès-verbal et les termes de l’enregistrement de l’audition, relatifs aux conditions de sa renonciation à l’assistance d’un avocat. Cette divergence était, selon les termes de la requête, constitutive d’une nullité fondée sur la déloyauté dans l’administration de la preuve.

Le 14 janvier 2020, la chambre de l’instruction a rejeté ladite requête.

Le 18 novembre 2022, le juge d’instruction a requalifié les faits de viol en agression sexuelle et ordonné le renvoi du mis en examen devant le tribunal correctionnel. La partie civile a relevé appel de cette décision.

Par arrêt de la chambre de l’instruction du 28 mars 2023, le mis en examen était renvoyé devant la cour criminelle de Paris, sous l’accusation de viol et d’agression sexuelle, aggravés.

En cause d’appel. Pour rejeter la requête en nullité, la chambre de l’instruction a retenu que le gardé à vue avait été régulièrement et complètement informé de ses droits et que c’était dans ces conditions qu’il avait fait le choix de prévenir son frère, seule personne autorisée à lui désigner un avocat, et renoncé à l’assistance d’un avocat à chacune de ses audition, ainsi que lors de la notification de la prolongation de sa garde à vue.

Le mis en examen a formé des pourvois contre les arrêts de la chambre de l’instruction du 14 janvier 2020 et du 28 mars 2023.

Moyens du pourvoi. Il était reproché à la chambre de l’instruction de ne pas avoir répondu favorablement à la requête en annulation.

Il était plus précisément fait grief à l’arrêt de n’avoir pas répondu au moyen de nullité tiré de la déloyauté dans l’administration de la preuve alors qu’il ressortait de l’exploitation et de la retranscription de l’enregistrement de la dernière audition que l’enquêteur en charge de l’audition en cause avait trompé l’intéressé quant à la possibilité pour ce dernier de bénéficier de l’assistance d’un avocat à ce stade et durant cette troisième audition et qu’il avait réalisé une fausse retranscription de ses propres propos à ce sujet ainsi que d’une réponse qu’il n’était pas celle du gardé à vue.

Il était également reproché à la chambre de l’instruction d’avoir déclaré la troisième audition régulière alors qu’il résultait de la retranscription du début de cette mesure que le gardé à vue n’avait pas réitéré son choix de renoncer à l’assistance de son avocat.

Décision. La Chambre criminelle casse et annule en toutes leurs dispositions les arrêts attaqués au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC.

Selon la Haute juridiction c’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que c’est pleinement informé de ses droits que l’intéressé avait fait connaître ses choix relatifs à l’assistance d’un avocat, alors qu’elle n’avait pas recherché les conditions dans lesquelles l’enquêteur avait mis l’intéressé en mesure d’exercer ce droit lors de cette dernière audition et ni répondu au moyen de nullité tiré de la déloyauté de l’administration de la preuve.

Pour aller plus loin : v. C. Lanta de Bérard, ÉTUDE : La garde à vue et les auditions, Le droit à l’assistance d’un avocat, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E46203C4.

newsid:486159

Responsabilité médicale

[Brèves] Avis de la Cour de cassation sur le titre exécutoire émis par l’ONIAM et la place de la demande reconventionnelle de l’Office dans l’instance

Réf. : Cass. Avis, 28 juin 2023, n° 23-70.003, FS-B N° Lexbase : A497597E

Lecture: 5 min

N6157BZ3

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par Laïla Bedja

Le 05 Juillet 2023

► Dans un avis du 28 juin 2023, la Cour de cassation s’est prononcée sur plusieurs questions relatives l’émission d’un titre exécutoire par l’ONIAM et à la place de la demande reconventionnelle effectuée par l’Office au cours de l’instance l’opposant à l’assureur.

Dans le cadre d’une instance opposant l’ONIAM à un assureur, le tribunal judiciaire de Bobigny a sollicité la demande d’avis suivante :

« Questions n° 1

a) L'ONIAM est-il en droit d'émettre un titre exécutoire afférent au recouvrement d'une créance née de l'application de l'article L. 1221-14 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1608LZL ?

b) L'ONIAM peut-il, dans le cadre d'un litige afférent à une contamination par le VHC (en application de l'article L. 1221-14 du Code de la santé publique ou du IV de l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 N° Lexbase : L2678IC8), formuler une demande reconventionnelle ou subsidiaire de condamnation de l'assureur à la somme correspondant à la créance du titre exécutoire et aux intérêts y afférent, dans l'hypothèse de la validation du titre ? Dans l'hypothèse de l'annulation du titre au motif d'une irrégularité formelle ?

c) L'avis en date du 5 avril 2019 (CE 9e-10e ch. réunies, 5 avril 2019, n° 413712, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2927Y8W) du Conseil d'État relatif à l'ordre de l'examen du titre exécutoire, à savoir le bien-fondé de la créance puis la régularité formelle du titre, s'impose-t-[il] au juge judiciaire dans le contentieux opposant les assureurs à l'ONIAM sur le fondement de la nature privée du contrat d'assurance ?

Question n° 2 

Le moyen visant à la contestation du droit de l'ONIAM à formuler une demande reconventionnelle qualifie-t-[il] une fin de non-recevoir dont le juge de la mise en état a compétence pour la trancher ou un moyen de défense au fond relevant de la compétence du tribunal judiciaire, ce qui implique la potentielle application du deuxième alinéa de l'article 789 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG ? »

L’avis. Les réponses apportées par la Cour de cassation sont les suivantes.

• Sur le droit de l’ONIAM d’émettre un titre exécutoire sur le fondement de l’article L. 1221-14 du Code de la santé publique :

le droit pour l’ONIAM d’émettre un titre exécutoire a été reconnu par le Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 1221-14 et L. 1142-15 N° Lexbase : L5390IR3 du Code de la santé publique (CE, Avis, 9 mai 2019, n° 426365 N° Lexbase : L2762LQD et 426321 N° Lexbase : L2763LQE) et par la Cour de cassation sur le fondement de l’article L. 1142-15 précitée (Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 21-16.435, FS-B N° Lexbase : A44677TM). Il s’en déduit, que, pour recouvrer les sommes versées aux victimes de dommages, l'ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l'encontre des assureurs des structures reprises par l'EFS ou encore des assureurs des personnes considérées comme responsables de dommages, de celles-ci ou du fonds, auxquels il s'est substitué, soit saisir la juridiction compétente d'une demande à cette fin.

• Sur la possibilité pour l’ONIAM de former des demandes reconventionnelles lorsque l’assureur conteste devant le juge judiciaire la validité du titre exécutoire :

Lorsque le titre est validé par le juge, l'ONIAM n'est pas recevable à former une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation du débiteur à lui payer le montant de ce titre ; mais il peut demander reconventionnellement sa condamnation à lui payer des intérêts moratoires sur cette créance et, le cas échéant, la pénalité prévue aux articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 N° Lexbase : L9041IQW ou L. 1142-24-17 N° Lexbase : L7367LZU du Code de la santé publique.

Il peut, en outre, former, à titre subsidiaire, dans l'éventualité où le juge annulerait le titre exécutoire pour un motif d'irrégularité formelle invoqué par le débiteur, une demande reconventionnelle de condamnation de celui-ci au montant du titre exécutoire, ainsi que des intérêts moratoires et, le cas échéant, de la pénalité prévue aux L. 1142-15, 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du Code de la santé publique.

Dès lors que la juridiction est appelée à statuer sur des responsabilités liées à la survenue de dommages corporels et sur les préjudices en résultant, l'ONIAM doit mettre en cause les tiers payeurs, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8870LHY, afin que ceux-ci puissent solliciter le remboursement de leurs débours.

• Sur l’ordre d’examen des demandes formées par l’assureur :

en application des articles 4 N° Lexbase : L1113H4Y et 5 N° Lexbase : L1114H4Z du Code de procédure civile, il incombe au juge judiciaire d'examiner, d'abord, la demande principale formée par le débiteur en annulation du titre exécutoire émis par l'ONIAM pour un motif d'irrégularité formelle, puis, le cas échéant, sa demande subsidiaire en annulation du titre exécutoire pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre et les demandes reconventionnelles formées par l'ONIAM.

• Sur la qualification du moyen visant à la contestation du droit de l’ONIAM à formuler une demande reconventionnelle :

le moyen contestant la recevabilité d'une demande reconventionnelle formée par l'ONIAM constitue une fin de non-recevoir susceptible d'être tranchée par le juge de la mise en état en application de l'article 789 du Code de procédure civile.

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Sociétés

[Jurisprudence] Fixation anticipée du prix de cession des titres et droit pour le dirigeant d'agir contre la société

Réf. : Cass. com., 21 juin 2023, n° 21-21.875, F-B N° Lexbase : A982793D

Lecture: 20 min

N6144BZL

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par Philippe Duprat, Avocat à la cour, ancien Bâtonnier du Barreau de Bordeaux, chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux

Le 05 Juillet 2023

Mots-clés : promesse unilatérale de vente de titres sociaux • prix • clause léonine (non) • clause pénale (oui) • révocation du directeur général • droit d’action • liberté fondamentale.

Une convention dont l'objet est, sauf fraude, d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, est étrangère au pacte social et est, par suite, sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux dettes dans les rapports sociaux, de sorte que les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil ne s’appliquent pas.

La révocation pour faute du dirigeant ou de l'administrateur d'une société ne saurait, sauf à porter atteinte au droit d'agir en justice, être fondée sur la circonstance que ce dirigeant ou cet administrateur a introduit une action en justice à l'encontre de la société. Il importe peu, à cet égard, que cette action ait été déclarée non fondée.


Au carrefour du droit et de l'imagination, l'ingénierie juridique en droit des sociétés constitue souvent le terrain de réflexion privilégiée de tous ceux qui rêvent, sinon de prédire l'avenir, du moins de l'écrire. La sécurité juridique y trouverait son compte puisque par avance, l'on connaîtrait les conséquences juridiques et économiques attachées à la survenance des principaux événements de la vie d'une société. La pratique règle ainsi les conditions auxquelles les associés entrent ou sortent de la société. Elle en définit par avance, pour le plus grand bonheur des directeurs financiers, le prix à payer soit pour retrouver la liberté, soit pour financer, souvent par voie d'exclusion, la séparation contrainte. Néanmoins, la réalité apporte souvent un démenti cinglant aux prévisions les mieux encadrées. Témoin, l'arrêt rendu le jour de la fête de la musique par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. L'importance que la Haute juridiction a souhaité donner à sa décision se traduit par une publication de son  arrêt au Bulletin de la Cour.

Les faits au soutien de la décision de la Cour peuvent se résumer assez simplement de la manière suivante. Une société avait consenti à plusieurs bénéficiaires – une personne physique et deux sociétés – une promesse unilatérale de vente par laquelle elle s'engageait à leur céder l'intégralité des titres qu'elle détenait dans le capital social d'une société tierce, en cas de révocation du directeur général des fonctions qu'il occupait dans cette société. Le directeur général est effectivement révoqué de ses fonctions pour faute grave. Il saisit la juridiction de première instance d'une demande tendant à obtenir la nullité de cette décision. À la lecture de l'arrêt sous commentaire, on apprend que la société promettante avait assigné aux mêmes fins. Dans le cadre d’une intervention volontaire, deux des trois bénéficiaires sollicitaient l'exécution de la promesse qui leur avait été consentie. La cour d’appel de Chambéry [1] accueille la demande des intervenants volontaires et juge qu’il y avait lieu de procéder à la mise en œuvre de la promesse unilatérale pour le prix convenu, minoré de l’effet d’une clause pénale stipulée à l’acte. La cour écarte en revanche la demande de l’ancien directeur général tendant à faire juger du caractère infondé de sa révocation.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi principal émanent du directeur général révoqué et de la société promettante. Elle est également saisie d'un pourvoi incident émanant des deux bénéficiaires de la promesse unilatérale de vente et de la société dont les titres étaient cédés.

Après avoir écarté divers moyens, comme n’étant ni procéduralement recevables, ni de nature à entraîner la cassation, la Haute Cour approuve la cour d’appel d’avoir jugé qu’une convention  par laquelle les parties, sauf fraude, décident d’assurer moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, était étrangère au pacte social, et par suite, sans incidence sur la participation aux bénéfices et à la contribution aux dettes dans les rapports sociaux, de sorte que les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil N° Lexbase : L2021ABH n’avaient pas à s’appliquer.

En revanche, la Cour désapprouvera les juges d’appel d’avoir considéré que le directeur général avait été justement révoqué, au motif que la circonstance qu’il ait assigné la société, dont il était le dirigeant, ne pouvait justifier sa révocation, sauf à porter atteinte à une liberté fondamentale, protégée au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, peu important que l’action engagée ait été déclarée non fondée.

Enfin, sur l’aspect particulier de la fixation du prix de cession des titres, concerné par le pourvoi incident, la Cour de cassation désapprouve les juges du fond, auxquels elle fait le reproche d’avoir réduit le montant de la clause pénale stipulée dans la promesse unilatérale de vente en retenant que les conditions de la cession, déjà très avantageuses, consenties par le promettant justifiaient la très substantielle réduction pratiquée, alors qu’il lui appartenait de rechercher si elle était manifestement excessive en considération du préjudice subi par les bénéficiaires de la clause.

La cassation étant intervenue sur la révocation du dirigeant de ses fonctions, la cour de renvoi se trouve saisie de l’intégralité du litige, dès lors que la perte du mandat social était la condition de la mise en œuvre de la promesse de cession des titres.

Abandonnant l’articulation purement procédurale des questions soumises à la Cour de cassation, on retiendra que celle-ci s’est prononcée sur deux points particuliers. D’une part, examinant la validité des clauses déterminant le prix de cession des titres elle indique que la fixation anticipée du prix de cession est étrangère au pacte social (I). D’autre part, elle dit, pour droit, que l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut justifier la révocation d’un dirigeant social et consacre ainsi le principe selon lequel la saisine du juge par le dirigeant social d’une action à l’encontre de la société ne saurait fonder sa révocation (II).

I. La clause de prix contenue dans la promesse de vente est étrangère au pacte social

Le transfert de propriété des droits sociaux peut être juridiquement organisé au moyen de convention dont le régime juridique est plus ou moins complexe. S’agissant d’une vente, il suffit dans l’absolu que les parties soient d’accord sur la chose (nombre de titres vendus) et sur le prix à payer. L’établissement d’un acte écrit n’est d’ailleurs pas utile. Cependant, des conventions plus sophistiquées sont souvent mises en œuvre, de manière autonome ou au travers d’un pacte d’associés [2].

La place de la promesse unilatérale. Qu’elle soit de vente ou d’achat, la promesse unilatérale occupe au rang des conventions particulières une place tout aussi privilégiée que prépondérante. Depuis la réforme du droit des obligations, elle est définie à l’article 1124, alinéa 1er du Code civil N° Lexbase : L0826KZM comme « le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ». Le recours à la technique de la promesse unilatérale se justifie parfois par des considérations fiscales qui peuvent inciter les parties à établir une promesse de vente et une promesse d’achat réciproques afin que l’acte de cession ne soit pas ostensible. Elles sont aussi utilisées pour organiser la prise de pouvoir dans une société ou pour aménager la sortie de certains associés. Dans ce cas, il n’est pas rare que la mise en œuvre de la promesse de vente ou d’achat soit subordonnée à la survenance d’un événement préalablement défini. Tel était bien le cas, dans l’espèce soumise à l’appréciation de la Cour, puisque le promettant s’était engagé à vendre ses titres à divers bénéficiaires en cas de révocation du directeur général de la société, dont les titres étaient l’objet de la promesse.

La promesse unilatérale peut être conditionnelle.  Si la réalisation de la condition sous laquelle la promesse est consentie a pour effet d’entraîner sa mise en œuvre, elle peut avoir également pour conséquence d’ouvrir un débat sur sa validité même. C’est en effet souvent à l’occasion de l’exécution de la promesse que les parties en discutent la validité.

C’est exactement ce qui se produira en l’espèce, puisque lorsque certains des bénéficiaires de la promesse solliciteront judiciairement la mise en œuvre de l’accord préalablement conclu, le promettant soutiendra la nullité de l’engagement en  prétendant que «  constitue une clause léonine, réputée non écrite, la clause d'une promesse de vente prévoyant l'obligation de vendre des actions à un prix maximum, quelle que soit leur valeur réelle, et sans limitation de temps, de sorte que le promettant est seulement soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions sans pouvoir jamais bénéficier de leur augmentation éventuelle ».

Le promettant, définitivement engagé par la promesse faite, soutenait que la promesse était affectée d’un vice fondamental affectant le prix pour lequel elle avait été consentie, puisque selon lui, le prix de réalisation de la promesse ne correspondait en rien à la valeur des titres sociaux. La comparaison entre le prix stipulé et la valeur réelle des titres sociaux, largement supérieure, caractérisait selon lui une situation léonine dont il était la seule victime. Or, c’est du moins ce qu’il prétendait, l’article 1844-1 du Code civil prohibe les clauses léonines, ce dont il résultait que la promesse devait être annulée.

Le débat relatif au périmètre d’application de l’article 1844-1 du Code civil. Ce débat engagé par le promettant n’est pas nouveau. Il a déjà été abordé par la jurisprudence. Malheureusement, la Cour de cassation n’a pas sur la question une position univoque. La Chambre commerciale, procédant à une interprétation stricte de l’article 1844-1 du Code civil, considère que la vente ou le rachat des titres sociaux à un prix fixé par avance ou à un prix minimum est une question totalement étrangère au contrat de société, seul visé par les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil [3]. À l’opposé, la première chambre civile estime que la promesse a un caractère léonin au motif qu'elle avait pour effet d’exempter un associé de toute contribution aux pertes [4]. L’arrêt commenté s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Chambre commerciale, laquelle affirme que la transmission des droits sociaux est étrangère au pacte social, reprenant ainsi l’attendu de principe de la décision du 20 mai 1986 [5]. La Chambre commerciale valide ainsi le principe des clauses dites, en bon français, de bad leaver. Ces clauses sont celles par lesquelles les parties prévoient à l’avance que le prix de cession des titres sociaux sera fixé dans certaines hypothèses, en tenant compte d’une pénalité. Sont essentiellement concernées par ces mécanismes, le rachat des titres détenus par des associés exclus de la société, à raison de leur comportement défaillant, ou les associés, qui perdant leur qualité de salarié par l’effet d’un licenciement pour faute, sont contraints de céder leurs titres sociaux.

Les conséquences économiques de la situation. Économiquement, les associés placés dans une telle situation sont souvent tenus de céder leurs titres pour leur valeur nominale, et non pour leur valeur économique, ce qui a pour effet de les priver de tout droit sur les réserves éventuellement accumulées par la société. Ils sont également privés de toute participation à la valorisation des titres sociaux à laquelle ils ont cependant très activement contribué.

Cette situation ne présente cependant aucun caractère dolosif, car la clause est signée au moment de l’entrée dans la société et non lors de la cession des titres. L’associé concerné accepte, en connaissance de cause, de prendre un risque qu’il est à même d’apprécier, ou en tout cas d’évaluer avec une précision suffisante. Il accepte par avance l’aléa.

L’ambiguïté de la situation à l’égard du salarié. L’approche retenue est source d‘ambiguïté dans le cas où l’associé concerné cède ses titres après avoir été licencié. On pourrait y voir une sanction pécuniaire infligée au salarié. Or, l’article L. 1331-2 du Code du travail N° Lexbase : L1860H9R prohibe de telles clauses. La Cour de cassation n’a pas encore été sensible à cette argumentation puisque dans un arrêt du 7 juin 2016 [6] elle a jugé que  « la clause d'un pacte d'actionnaires passé entre un salarié, détenant des actions de la société qui l'emploie, dont partie lui a été remise à titre gratuit, et la société mère de son employeur, en présence de ce dernier, prévoyant que le salarié promet irrévocablement de céder la totalité de ses actions en cas de perte de cette qualité, pour quelque raison que ce soit, et qu'en cas de cessation des fonctions pour cause de licenciement autre que pour faute grave ou lourde, le prix de cession des titres serait le montant évalué à dire d'expert dégradé du coefficient 0,5, ne s'analyse pas en une sanction pécuniaire prohibée, en ce qu'elle ne vise pas à sanctionner un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, dès lors qu'elle s'applique également dans toutes les hypothèses de licenciement autre que disciplinaire » .

Une évolution de la jurisprudence est-elle envisageable ? Cette interrogation est sûrement hasardeuse, car que ce soit sur le terrain des clauses léonines ou des sanctions pécuniaires, la jurisprudence de la Chambre commerciale est bien établie et résiste aux argumentations les mieux bâties. La force de cette jurisprudence est telle qu’elle pourrait même finir par entraîner la première chambre civile, qui vient récemment de juger que rien n'interdisait aux SELAS d’avocats « d'adopter des dispositions statutaires prévoyant la détermination de la valeur des parts à leur valeur nominale et non réelle », approuvant la cour d’appel d’avoir rejeté la critique que formulaient les associés sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil [7].

Un rééquilibrage serait le bienvenu. On pourrait s’interroger sur le point de savoir si pour rétablir un certain équilibre, que la Cour de cassation refuse d’accorder aux parties, celles-ci n’avaient pas intérêt à invoquer le dispositif de l’article 1195 du Code civil N° Lexbase : L2218ABR qui consacre le principe de la révision pour imprévision, sauf cependant à renâcler devant le risque de voir le juge fixer lui-même le prix de cession.

C’est cependant, ce qui risquera d’arriver, au moins pour partie, lorsqu’il sera tenu d’apprécier le caractère manifestement excessif ou non de la clause pénale. Dans les faits qui sous-tendent le présent commentaire, les parties avaient prévu que le prix des titres sociaux serait le cas échéant affecté d’une décote pouvant aller jusqu’à 20 % du prix convenu. Certainement sensible au fait que l’application intégrale de cette décote aurait eu pour effet de minorer encore un peu plus le prix de cession, la cour d’appel avait analysé cette clause comme une clause pénale et décidé qu’il convenait de la réduire à 1 %. Il en résultait une minoration quasi symbolique du prix de cession et donc sûrement acceptable pour le vendeur. Néanmoins, la cour d’appel se voit reprocher, à juste titre, le caractère erroné de sa motivation. La cour ne pouvait motiver, comme elle l’a fait, la réduction de la clause pénale en considération des conditions déjà très avantageuses consenties par le promettant. En effet, le caractère manifestement excessif d’une clause pénale s’apprécie par rapport au préjudice subi par le bénéficiaire de la clause [8]. La référence à l’économie du contrat est dépourvue de tout effet. Pour ce motif, l’arrêt est sur ce point cassé. C’est donc à la cour de renvoi qu’il appartiendra de rechercher l’existence éventuelle de ce préjudice. Il lui appartiendra également de rechercher si les conditions de la révocation du dirigeant étaient ou non réunies.

II. Le droit au juge et l'absence de faute pour le dirigeant à engager une action à l'encontre de la société

La promesse de vente ne pouvait être exécutée qu’en cas de révocation du directeur général des fonctions qu’il occupait au sein de la société. Au demeurant, il convenait que cette faute fût grave. Les associés crurent la trouver dans l’initiative prise par le directeur général qui avait introduit une action en justice à l’encontre de la société.

L’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, fondement de la cassation. Le malheureux dirigeant social, révoqué par l’assemblée générale des associés de la société, était directeur général d’une société par actions simplifiée. En l’absence de toute précision légale concernant les conditions de révocation du directeur général d’une SAS, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être révoqué ad nutum ou pour juste motif. Dans ce cas, l’absence de juste motif n’a pas d’autre conséquence que d’ouvrir droit à des dommages et intérêts en cas de révocation injustifiée. Cette question est tranchée notamment par un arrêt du 9 mars 2022 [9] selon lequel, en l’absence de toute précision dans les statuts, la révocation n’a pas besoin d’intervenir pour un juste motif.

Il se trouve cependant qu’au cas d’espèce, la convention liant les parties avait prévu que la révocation n’était possible qu’en cas de faute grave. La révocation supposait donc la démonstration d’une faute suffisamment caractérisée pour être qualifiée de grave.

La collectivité des associés, sûrement pressée de se défaire de son directeur général, a pensé qu’elle pouvait lui faire le reproche d’avoir assigné la société dont il était le mandataire, ce qui, selon elle, était d’autant plus grave que l’action engagée avait été jugée mal fondée. La collectivité des associés avait étayé son appréciation en rappelant que le directeur général avait poursuivi la nullité des actes constitutifs de la société.

Dans un attendu de principe, la Cour de cassation casse l’arrêt et énonce au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que la révocation d’un dirigeant de société ne saurait, à peine de porter atteinte à une liberté fondamentale, être fondée sur la circonstance que ce dernier a introduit une action en justice à l’encontre de la société. Le contenu du texte est connu, il précise que : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Le droit d’agir en justice : droit fondamental. Le droit de saisir un juge fait partie, en quelque sorte, du minimum vital dont tout citoyen est par sa seule qualité nanti. Ce droit, sans lequel la démocratie ne peut réellement exister, est avant tout celui de pouvoir faire valoir son point de vue et d’en obtenir judiciairement la consécration. L’article 30 du Code procédure civile N° Lexbase : L1167H4Y ne dit pas autre chose lorsqu’il proclame que « l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ».

L’abus comme seule limite. Seul l’abus du droit d’agir est susceptible d’être condamné. En revanche, l’exercice dans des conditions normales, et notamment de recevabilité, du droit d’agir, ne peut en aucune circonstance constituer une faute elle-même susceptible de fonder la révocation des fonctions sociales exercées. Le droit d’agir en justice du dirigeant social est considéré sans aucune restriction comme une liberté fondamentale dont l’exercice est protégé en ce qu’il ne peut justifier par la société aucune sanction.

Par cet arrêt, la Cour de cassation contribue à constituer, en le complétant, le statut du dirigeant social, mais également celui de l’associé, car nul doute que l’on ne pourra pas exclure un associé au seul motif qu’il aurait assigné la société.

Le renforcement des droits propres. Cette décision est donc à rapprocher de toutes les décisions, qui en d’autres domaines, ont construit la jurisprudence des droits propres de l’associé, ou du débiteur en procédure collective [10], qui permettent à ces derniers de faire entendre leur voix, nonobstant, par exemple, une absence de recours ou une situation de dessaisissement. Ce mouvement est en quelque sorte perpétuel, en tout cas récurant puisque dans un autre domaine, mais dans la même optique, la Cour de cassation a jugé  [11] jugé au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme que « le  droit effectif au juge, garanti par ce texte, implique que l'associé d'une société civile, qui a hérité de parts sociales de cette société et qui a été agréé comme associé au titre de ces parts, soit recevable à former tierce-opposition à l'encontre de la décision annulant la délibération de la société l'agréant comme associé ». Le mouvement a par ailleurs une ampleur qui dépasse le cadre simplement national. L’illustration peut en être fournie par l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 22 septembre 2011 [12], sanctionnant la France en estimant qu’une procédure collective, non encore clôturée, vingt et un ans après son ouverture, contrevenait à la condition du délai raisonnable tirée de l’article 6,  § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, et ouvrait droit à indemnisation.

Il est manifeste que le juge, national ou communautaire, reste très attentif à tout ce qui porte une atteinte au statut personnel de l’associé ou du dirigeant de la société. L’on ne peut que s’en féliciter.

Il appartiendra désormais à la cour de renvoi de vérifier si le directeur général pouvait être révoqué, et dans l’affirmative, de décider ce qu’il doit advenir de la promesse de cession dont, en toute hypothèse, la détermination du prix sera strictement encadrée.


[1] CA Chambéry, 1er juin 2021, n° 18/01002 N° Lexbase : A65534TU.

[2] Sur la diversité de ceux-ci, v. S. Schiller, Guide des pactes d’actionnaires et d’associés, LexisNexis, 2019/2020.

[3] Cass. com., 20 mai 1986, n° 85-16.716, publié N° Lexbase : A5091AAS  Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-14.009, F-D N° Lexbase : A5749DK7, Dr. sociétés, décembre 2005, p. 26, obs. H. Lécuyer et, p. 35, obs. H. Hovasse ; D., 2005, AJ 2681, obs. A. Lienhard ; RTD com., avril 2006, p. 443, note F.-X. Lucas.

[4] Cass. civ. 1, 22 juillet 1986, n° 84-15.177, publié N° Lexbase : A3829AGW, note P. Le Cannu.

[5] Cass. com., 20 mai 1986, n° 85.16-716, publié, préc.

[6] Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-17.978, FS-P+B N° Lexbase : A7018RSQ, JCP E, 2016, comm. 1504, note S. Schiller, J.-M. Leprêtre et P. Bignebat ; B. Saintourens, Lexbase Affaires, juin 2016, n° 472 N° Lexbase : N3418BWI.

[7] Cass. civ. 1, 22 septembre 2021, n° 20-15.817, FS-B N° Lexbase : A134547X, JCP E, février 2022, 1053, note B. Brignon, Ch. Lhermitte, Lexbase Avocats, octobre 2021, n° 318 N° Lexbase : N8974BYZ.

[8] V. not. Cass. com., 11 février 1997, n° 95-10.851 N° Lexbase : A1713ACG, D., 1997, 71 ; RTD civ., 1997, p. 654, obs. J. Mestre ;  Defrénois, 1997, p. 740, obs. Ph. Delebecque.

[9] Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4, RTD com., 2022, note X. Delpech, B. Saintourens ; Ph. Duprat, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 899 N° Lexbase : N0830BZR.

[10] Pour une illustration de cette problématique, v. not. Cass. com., 8 février 2023, n° 21-16.954, F-B N° Lexbase : A97059B3.

[11] Cass. com., 11 mai 2023, n° 21-17.899, FS-B N° Lexbase : A76679WU.

[12] CEDH, 22 septembre 2011, réq. n° 60983/09, TETU c/ France N° Lexbase : A9479HXD, Rev. proc. coll., 2012, étude 3, note B. Saintourens et Ph. Duprat.

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