Réf. : CEDH, 13 octobre 2022, Req. 22636/19, Bouton c/ France
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N2951BZC
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par Adélaïde Léon
Le 19 Octobre 2022
► À la suite d’une performance réalisée seins nus dans une église par une militante féministe, les juridictions nationales françaises, qui ont sanctionné l’intéressée d’une peine d’emprisonnement avec sursis en répression du délit d’exhibition sexuelle, ne peuvent, pour justifier la nature et la lourdeur de cette peine, procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression revendiquée par la requérante et le droit à la liberté de conscience et de religion.
En outre, ne procèdent pas à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate et conformément aux critères dégagés par la jurisprudence de la CEDH les juridictions internes qui se bornent à examiner la question de la nudité d’une poitrine dans un lieu de culte, sans prendre en considération le sens donné à la performance litigieuse.
L’ingérence dans la liberté d’expression constituée par ladite peine d’emprisonnement n’est donc pas « nécessaire dans une société démocratique » et constitue une violation de l’article 10 de la CESDH.
Rappel des faits et de la procédure. Le 20 décembre 2013, dans le cadre d’une action militante, une membre du mouvement des « Femen » (organisation internationale de défense des droits des femmes créée en 2008) s’était présentée en dehors de tout office devant l’autel de l’église de la Madeleine. La poitrine dénudée, elle avait mimé, à l’aide de deux morceaux de foie de boeuf, un avortement. Son torse et son dos étaient couverts des slogans « 344e salope » et « Christmas is canceled ». À la demande du maître de chapelle, elle avait quitté l’église en silence.
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’intéressée, pour exhibition sexuelle, à un mois d’emprisonnement assorti d’un sursis simple et, sur les intérêts civils, à payer au représentant de la paroisse un montant de 2 000 euros au titre du préjudice moral.
Ce jugement fut confirmé en tout point, y compris sur la peine, par la cour d’appel.
Les juges de première instance et les juges d’appel avaient pareillement considéré que la prétendue violation de la liberté d’expression de la militante ne pouvait être retenue car ses droits trouvaient « leur limite d’exercice au besoin social impérieux de protéger autrui de la vue dans un lieu de culte, d’une action exécutée dénudée que d’aucuns peuvent considérer comme choquante ».
En cassation, la Chambre criminelle avait rejeté son pourvoi estimant que la cour d’appel s’était déterminée par des motifs qui caractérisaient en tous ses éléments constitutifs le délit d’exhibition sexuelle et n’avait pas porté d’atteinte excessive à la liberté d’expression de l’intéressée « laquelle doit se concilier avec le droit pour autrui de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion » (Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-81.618, FS-P+B N° Lexbase : A9843YSD).
Requête. La militante invoquait devant la CEDH une violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L4743AQQ, sa condamnation pénale pour des faits d’exhibition sexuelle à l’occasion d’une action menée en tant que membre des Femen ayant, selon elle, porté atteinte à sa liberté d’expression.
La requérante soutenait que, faute de clarté et de prévisibilité, l’ingérence dans sa liberté d’expression n’était pas « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de l’article 10. Elle estimait par ailleurs que compte tenu de la dimension politique de son acte militant, cette ingérence ne pouvait être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » et proportionnée au but légitime poursuivi. Elle avançait en effet que son action n’était pas gratuitement offensante, mais s’inscrivait dans un débat public sur la place des femmes dans la société et visait plus spécifiquement à aborder la question de la position de l’Église catholique concernant l’avortement. Elle rappelait également que la protection de l’article 10 de la CESDH s’étend aux idées qui peuvent heurter ou choquer une partie de la population. Elle dénonçait enfin l’absence de proportionnalité dans la détermination de sa peine.
Position du Gouvernement. Tout en ne contestant pas l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de la requérante, le Gouvernement considérait toutefois que les conditions du respect de sa liberté d’expression étaient réunies. Il estimait que la condamnation de la requérante résultait de la loi et d’une interprétation jurisprudentielle accessible et prévisible. L’ingérence en cause était donc « prévue par la loi ». Quant au « but légitime » poursuivi, le Gouvernement soulignait qu’il s’agissait de la nécessité de protéger la morale, l’ordre public et les droits d’autrui.
Décision. La CEDH souligne dans un premier temps qu’elle a déjà admis que les « performances » consistant en un mélange d’expressions verbales et comportementales s’analysant en une forme d’expression artistique et politique peuvent relever du champ de la liberté d’expression protégée par l’article 10 (CEDH, 17 juillet 2018, Req. 38004/12, Mariya Alekhina et autres c/ Russie [en anglais], concernant le groupe punk Pussy Riot). Elle rappelle qu’elle a elle-même considéré que la nudité en public puisse être considérée comme une forme de liberté d’expression (CEDH, 28 octobre 2014, Req. 49327/11, Gough c/ Royaume-Uni [en anglais]). La CEDH souligne toutefois que selon la nature et la fonction du lieu choisi, la tenue d’une performance ou d’un discours politique dans un lieu ouvert au public pouvait impliquer le respect de certaines règles de conduite prescrites (v. Mariya Alkhina, précité § 213).
Après avoir affirmé qu’il existait bien en l’espèce une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression de la requérante protégé par l’article 10, la CEDH apprécie les trois conditions susceptibles de justifier cette ingérence laquelle ne constituerait alors pas une violation de la Convention.
1. Une ingérence prévue par la loi. Selon la Cour, il résultait de la loi et de jurisprudence des juridictions nationales une prévisibilité raisonnable de l’incrimination pénale du comportement de la requérante : elle aurait pu bénéficier des conseils d’avocats spécialisés et devait donc être réputée avoir été au fait de la loi et de la jurisprudence constante applicable en la matière et ne pouvait ignorer les conséquences pénales de son comportement.
Un but légitime. La CEDH considère que les juridictions nationales pouvaient légitimement envisager de sanctionner le comportement d’une personne exhibant « une partie sexuelle de son corps », au sens du droit pénal interne dans un lieu public tel qu’une église.
Une ingérence non nécessaire dans une société démocratique.
Une exigence particulière de protection. Si la condamnation de la requérante était fondée sur la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle, la Cour souligne qu’eu égard à son caractère militant, l’action litigieuse doit être appréciée comme une « performance » entrant dans le champ d’application de l’article 10. Il s’agissait d’une action ayant pour but de diffuser un message, dans un lieu de culte symbolique, relatif à un débat public et sociétal portant sur le positionnement de l’Église sur la question du droit des femmes à disposer de leur corps. Même si elle était susceptible d’offenser des convictions personnelles et intimes relavant de la religion compte tenu du lieu choisi, la liberté d’expression de la requérante devait bénéficier d’un niveau suffisant de protection en considération du fait que le contenu de son message relevait d’un sujet d’intérêt général.
Une sanction sévère. Si elle conçoit que le comportement de la requérante pouvait être regardé comme méconnaissant les règles de conduite acceptables dans un lieu de culte, la CEDH souligne qu’elle est frappée par la sévérité de la sanction choisie par les autorités nationales, lesquelles n'avaient par ailleurs pas exposé en quoi une peine d’emprisonnement s’imposait pour garantir la protection de l’ordre public, de la morale et des droits d’autrui en l’espèce. Elle note qu’à cette sévérité s’ajoute le montant conséquent de la somme mise à la charge de la militante au titre des intérêts civils.
La Cour rappelle à ce titre que dans le domaine de la liberté d’expression, la voie pénale doit être choisie avec retenue et qu’une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique ou d’intérêt général n’est compatible avec la liberté d’expression que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été « gravement atteints » (par exemple en répression d’un discours de haine ou d’incitation à la violence). Or, en l’espèce, si la performance a pu choquer en raison de la nudité de son autrice, elle avait pour seul objectif de contribution à un débat public sur le droit des femmes à disposer de leur corps.
Une justification non adéquate. La Cour examine ensuite les motifs retenus par les juridictions internes pour justifier la lourdeur de la peine infligée. Elle constate que ces dernières se sont référées à des principes qu’elle a elle-même dégagés dans sa jurisprudence relative à l’article 10. Les juridictions internes se sont ainsi appuyées sur « la nécessité de concilier deux libertés protégées par la Convention, à savoir la liberté d’expression, d’une part, et la liberté de conscience et de religion ». Or, la CEDH constate que la sanction infligée à la requérante l’avait été en répression du délit d’exhibition sexuelle. La militante avait donc été sanctionnée pour avoir dénudé sa poitrine dans un lieu public et non pour avoir porté atteinte à la liberté de conscience et de religion. Il n’appartenait donc pas aux juridictions internes de procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression et le droit à la liberté de conscience et de religion.
Au demeurant, la Cour souligne que la cour d’appel comme la Cour de cassation, qui avaient choisi de s’orienter sur le terrain de la liberté de religion, n’ont pas même recherché si l’action de la requérante avait un caractère gratuitement offensant pour les croyances religieuses, injurieux ou si elle incitait à l’irrespect ou à la haine. Elles n’ont pas non plus pris en compte le fait que la militante avait agi en dehors de tout office, de manière brève et sans déclamation et qu’elle avait quitté l’église dès la demande du maître de chapelle.
La CEDH conclut que les juridictions internes se sont bornées à apprécier la question de la nudité dans un lieu de culte sans prendre en considération le contexte et la globalité de la performance et notamment les inscriptions inscrites sur le torse de la militante, les explications fournies par celle-ci sur le sens de l’utilisation de la poitrine dénudée comme étendard politique ainsi que sur le choix du lieu pour favoriser la médiatisation de cette action.
Les motifs retenus par les juridictions internes ne sont pas de nature à lui permettre de considérer qu’elles ont procédé à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate et conformément aux critères dégagés par sa jurisprudence. Ces motifs ne suffisent pas non plus à regarder la peine infligée comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
L’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante constituée par la peine d’emprisonnement avec sursis n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique ».
La Cour conclut à une violation de l’article 10 de la CESDH.
On notera que dès le 26 février 2020, la Cour de cassation avait sensiblement modifié son raisonnement en retenant que lorsque l’exhibition de la poitrine d’une femme s’inscrit dans une démarche de protestation politique, son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, peut constituer une inférence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression (Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I N° Lexbase : A39993G9).
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. civ. 2, 13 octobre 2022, n° 21-13.373, F-B N° Lexbase : A75598NB
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par Laïla Bedja
Le 21 Octobre 2022
► En l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du Code civil ; il résulte de ce texte que le délai de la prescription de l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute court à compter du jour où il a eu une connaissance effective de cette décision.
Les faits et procédure. La caisse primaire d'assurance maladie a informé la société de sa décision de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident dont l'une de ses salariées a été victime le 27 mai 2008.
Après le rejet de son recours devant la commission de recours amiable, l’employeur porta la contestation de l’opposabilité de la décision de prise en charge devant la juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale.
La cour d’appel. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la caisse et dire recevable l'action de l'employeur, l'arrêt relève que l'employeur ne conteste pas avoir reçu le courrier du 15 juillet 2008 l'informant de la décision de prise en charge de l'accident, au titre de la législation professionnelle. Il énonce qu'aucune prescription du droit d'agir ne saurait être opposée à l'employeur au motif que les conséquences de cette prise en charge ont été imputées à son compte depuis plus de cinq ans lorsqu'il a saisi le tribunal des affaires de Sécurité sociale, dès lors qu'il n'est justifié d'aucune notification de cette décision lui faisant grief et précisant les délais et voies de recours.
La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond.
La Cour de cassation énonce que le délai de la prescription de l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute court à compter du jour où il a eu une connaissance effective de cette décision.
Elle précise ainsi ses jurisprudences du 18 février 2021 (Cass. civ. 2, 18 février 2021, n° 19-25.887, FS-P N° Lexbase : A60924H4 et n° 19-20.102, FS-D N° Lexbase : A62264H3, lire T. Katz, Prescription quinquennale de l'action en inopposabilité de la décision de reconnaissance du caractère professionnel des AT/MP : focus sur un revirement de jurisprudence surprenant, Lexbase Social, mars 2021, n° 859 N° Lexbase : N6947BYX) par lesquelles elle a opéré un revirement de jurisprudence et mis fin à l'imprescriptibilité du recours de l'employeur contre la décision de prise en charge de la CPAM (Cass. civ. 2, 9 mai 2019, n° 18-10.909, FS-P+B+I N° Lexbase : A9352ZAM).
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par Théo Scherer, Doctorant à l'Institut caennais de recherche juridique (ICREJ), ATER à l'université Caen Normandie
Le 19 Octobre 2022
Mots-clés : communication électronique pénale (CEP) • PLEX • avocat • e-Barreau • portail du justiciable • plainte en ligne
L’avènement de la révolution numérique a eu une forte incidence sur l’activité des juridictions et des auxiliaires de justice, en permettant des échanges instantanés et sécurisés. À l’instar de la communication des actes de procédure au format papier, la communication par voie électronique est régie par un ensemble de règles, qui se révèlent différentes selon le champ concerné. L’objet de cette contribution est d’exposer les règles relatives à la procédure pénale et de les comparer avec les dispositions régissant la communication par voie électronique en matière civile, afin de mettre en avant leurs spécificités
1. Peu à peu, le domaine de la communication électronique pénale (CEP) s’étend. Après la signature d’une convention CEP entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux [1], il serait aujourd’hui question d’instaurer la déclaration d’appel par voie électronique [2]. En procédure civile, la déclaration d’appel par voie électronique existe depuis de nombreuses années [3]. Elle a récemment fait l’objet de vives discussions, provoquées par un arrêt de la deuxième chambre civile du 13 janvier 2022 [4]. Par sa décision, la Cour de cassation a mis en avant les points de friction qui pouvaient exister entre les exigences formelles du Code de procédure civile et les contraintes techniques de la voie électronique. Dans le même ordre d’idée, on peut relever le récent constat de violation du droit d’accès au juge par la France, en raison du formalisme excessif de la procédure d’appel par voie électronique obligatoire [5]. Si l’on estime que la communication électronique civile doit servir de modèle pour les futures évolutions de la CEP, il faudra prendre garde à ce que de telles déconvenues ne se reproduisent pas.
2. Il a déjà été affirmé que la procédure civile faisait office de « droit commun procédural » et que des règles du Code de procédure civile pouvaient servir à compenser les lacunes de la procédure pénale [6]. Quoi que l’on puisse penser de cette idée, il est certain qu’en matière de communication électronique, le droit judiciaire privé jouit d’une certaine aura. Les premiers textes relatifs à la communication électronique dans le Code de procédure civile découlent d’un décret du 28 octobre 2005 [7]. Elle a ensuite été mise en œuvre au gré « d’arrêtés techniques [8]» : devant la Cour de cassation [9], devant les tribunaux de grande instance [10], devant les cours d’appel [11], devant les tribunaux de commerce [12]… Le Code de procédure civile décrit précisément son régime : le titre XXI du Livre Ier est entièrement dédié à la communication par voie électronique. Il est complété par des dispositions spéciales, qui imposent notamment son utilisation pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel [13] ainsi que pour les procédures écrites ordinaires et les procédures à jour fixe devant les tribunaux judiciaires [14].
Par comparaison, la communication électronique pénale fait pâle figure. Bien que prévue par une loi de 2007 [15], elle n’est devenue effective que très récemment. En effet, sa mise en œuvre était originellement subordonnée à la conclusion de conventions locales entre les chefs de juridiction et le barreau [16]. Or, dans la majorité des ressorts, ces protocoles n’ont jamais existé [17]. La situation s’est débloquée en 2020, en période de crise sanitaire, lorsque des dispositions dérogatoires ont permis la mise en œuvre de la CEP [18]. Depuis lors, le décret n° 2020-1792 du 30 décembre 2020 [19] a remplacé l’exigence d’un protocole local par celle d’une convention nationale entre le ministère de la Justice et les organisations nationales représentatives des barreaux [20]. Ladite convention a été conclue le 5 février 2021.
Si l’on s’intéresse aux dispositions relatives à la CEP, on constate que son support légal, l’article 803-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1638MAW, est perdu au milieu d’un titre fourre-tout de « dispositions générales ». Ce texte est complété par des dispositions réglementaires, que l’on retrouve notamment aux articles D. 590 et suivants du même code N° Lexbase : L4542IYU.
3. Même s’il semble mieux construit et qu’il a été éprouvé par la pratique, le modèle de la communication électronique en matière civile ne doit pas être suivi aveuglément. En dépit de sa proximité, la procédure pénale connaît des spécificités irréductibles qui supposent l’existence d’un régime de communication par voie électronique autonome. La comparaison entre les dispositions du Code de procédure civile et celles du Code de procédure pénale permet de mettre en avant ces spécificités. Elle permet aussi de déceler les atouts et les points faibles de ces deux systèmes. Tous les deux ont pour point commun de distinguer deux cas de figure en fonction du sens de circulation de la communication : des juridictions aux parties (I.) et des parties aux juridictions (II.).
I. La communication par voie électronique des juridictions vers les parties
4. L’étude des notifications et des communications réalisées par les juridictions par la voie électronique suppose de distinguer deux situations, en fonction de l’assistance par un avocat ou non. En effet, la communication des juridictions vers les avocats (A.), reconnue depuis plus longtemps, n’est pas soumise aux mêmes règles que la communication des juridictions vers les justiciables (B.).
A. La communication des juridictions vers les avocats
5. En procédure civile, le domaine des actes concernés par la communication électronique est très large. L’article 748-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0378IG4 vise « les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux, ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles », autrement dit, « tous les actes susceptibles d’être accomplis lors d’un procès [21] ».
Selon l’article D. 590-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7796L7U, peuvent être transmis par voie électronique les convocations devant les juridictions, les avis délivrés par les magistrats ou par leurs greffiers, les décisions rendues par les juridictions ou le ministère public et les copies des pièces de procédure. Cette liste est un autre moyen de désigner l’ensemble des actes de la procédure.
6. Concernant les conditions de mise en œuvre, un principe important en procédure civile est que le destinataire doit avoir consenti à l’utilisation de la voie électronique. En procédure pénale, l’article 803-1 I n’impose pas ce consentement de la part des avocats, ce que n’a pas manqué de rappeler la Cour de cassation [22]. Cette distinction doit toutefois être relativisée. En effet, le deuxième alinéa de l’article 748-2 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1440I8T érige une présomption irréfragable de consentement à l’utilisation de la voie électronique par les auxiliaires de justice qui adhèrent à un réseau de communication électronique [23], comme le RPVA. On arrive donc à un résultat similaire dans les deux matières.
7. Pour ce qui est de la communication des actes par les juridictions vers les avocats, les différents arrêtés techniques relatifs à la matière civile imposent l’utilisation d’une voie de communication électronique allant du Réseau privé virtuel justice (RPVJ) [24] au Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) [25], les deux réseaux étant interconnectés. Concrètement, les magistrats et les greffiers utilisent les systèmes « ComCi TGI » ou « ComCI TA » pour la communication électronique, tandis que les avocats doivent accéder à « e-barreau », qui est une « plateforme de services » assurant l’interfaçage avec les systèmes précités [26].
En procédure pénale, une relative confusion a longtemps entouré les moyens de communication par voie électronique. L’article 803-1 du Code de procédure pénale indique seulement que la notification peut être réalisée par un envoi à l’adresse électronique de l’avocat. Selon une circulaire du 22 juin 2007, il n’était pas exigé une transmission sécurisée ou cryptée, et toute adresse mail fournie par l’avocat pouvait donc servir à la communication [27]. Un arrêt de 2019 montre que la Cour de cassation reconnaît la régularité d’une convocation adressée à un avocat par un courriel [28].
Néanmoins, le simple courriel n’est pas le moyen de communication privilégié par le Conseil national des barreaux. Une convention entre le ministère de la Justice et le CNB du 28 septembre 2007 a indiqué que la communication électronique en matière pénale ne pouvait être mise en œuvre qu’à travers les réseaux RPVJ et RPVA [29]. Depuis, la convention du 5 février 2021 stipule que les transmissions à destination des avocats doivent s’effectuer « par le biais de la mise à disposition des fichiers informatiques […] sur une plateforme d’échanges sécurisée [30] ». La plateforme en question s’appelle PLEX [31]. Elle a été conçue pour faciliter la transmission de fichiers volumineux aux avocats. Bien qu’elle se présente sous la forme d’un site internet [32], cette plateforme n’est accessible qu’aux seuls avocats inscrits au RPVA, car la création d’un compte PLEX suppose d’avoir une adresse de messagerie e-barreau [33]. À cet égard, il faut relever qu’en cas de transmission via PLEX, un avis de mise à disposition est automatiquement envoyé à l’adresse de messagerie du destinataire [34]. Un arrêt du 12 janvier 2022 [35] illustre ce processus de transmission. En l’espèce, un avis d’audience devant la chambre de l’instruction pour examiner l’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire avait été déposé sur PLEX pour l’avocat de l’auteur du recours. La Cour de cassation a estimé que la notification avait valablement été réalisée par l’envoi du courrier indiquant le dépôt de la convocation sur PLEX. En pratique, il semble que les communications électroniques en matière pénale des juridictions vers les avocats transitent encore parfois par des boîtes mail hors RPVA. Étant donné que les articles 801-1, I N° Lexbase : L7445LPG et D. 590-1 du Code de procédure pénale ne font pas référence à la convention nationale ministère de la Justice/CNB, il est difficile de critiquer cette pratique résiduelle.
B. Les justiciables, nouveaux destinataires de la communication par voie électronique
8. Si l’on en croit les différents arrêtés techniques, la communication par voie électronique en matière civile a principalement été conçue pour les échanges avec et entre les avocats. Il est plus rare de trouver des textes relatifs à la communication allant directement de la juridiction aux parties. Par exemple, depuis 2015 [36], l’article 748-9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1186LQY dispose que les convocations émanant du greffe peuvent être adressées par courrier électronique aux personnes morales qui y ont préalablement consenti. L’article 748-8 N° Lexbase : L1185LQX prévoyait que les avis adressés par le greffe par tous moyens pouvaient l’être par courriel ou texto. Un décret de 2019 [37] a supprimé de cet article toute référence à ces moyens de communication. Désormais, il vise le « Portail du justiciable [38] », qui est un système de notification aux parties de certains avis et convocations [39]. À partir d’une identification FranceConnect et d’un numéro d’identification fourni par courriel lorsque l’utilisateur a consenti à la communication par voie électronique [40], le justiciable peut consulter son dossier sur le site www.monespace.justice.fr. Après s’être connecté sur cette page web, il peut suivre son affaire en ligne et consulter les avis et convocations émis par le greffe. Il reçoit aussi par courriel des notifications de mise à jour relative à l’état d’avancement de la procédure le concernant.
Sur ce point, la procédure civile et la procédure pénale sont sœurs. En effet, le II de l’article 803-1 du Code de procédure pénale dispose que certains avis, convocations ou documents peuvent être adressés aux justiciables par voie électronique, dès lors que le destinataire y a préalablement consenti [41]. On notera que le domaine de la CEP vers les justiciables est plus large qu’en matière civile. En effet, le Code de procédure pénale autorise la transmission par voie électronique d’actes qui doivent en principe être notifiés par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR), ce que l’article 748-8 du Code de procédure civile ne permet pas. Pour l’envoi des avis et convocation, une circulaire de 2015 préconisait de les envoyer par texto ou courriel [42]. Quant à l’envoi de documents, c’est-à-dire les pièces du dossier, il est subordonné à la publication d’un arrêté indiquant par quelles modalités doivent être garanties la fiabilité de l’identification des parties, l’intégrité des documents ainsi que la sécurité et la confidentialité des échanges. Or, à ce jour, le seul arrêté visant l’article 803-1 et contenant ce type de spécification est celui du 21 octobre 2021, relatif à la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable » [43]. Comme en procédure civile, ce portail est donc un important vecteur de communication vers les justiciables, et à terme, on peut imaginer qu’il supplante totalement les envois d’avis et convocations par courriel ou par texto.
9. Il convient de signaler une particularité de la procédure pénale en matière de signification. La signification par voie électronique existe depuis de nombreuses années, elle est mentionnée à l’article 662-1 du Code de procédure civile. La particularité de la procédure pénale est qu’il revient souvent au procureur de la République de faire signifier des actes de procédure et des jugements [44]. Ce cas de figure est beaucoup moins fréquent en procédure civile, puisque le ministère public est rarement partie principale. La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 [45] a ouvert la voie électronique pour les significations en matière pénale, notamment à destination des prévenus ou des condamnés dès lors qu’ils ne sont pas détenus [46]. Toutefois, les modalités de cette signification doivent être précisées par voie réglementaire, ce qui n’est pas encore le cas.
Tant en procédure civile qu’en procédure pénale, la communication par voie électronique des actes et des avis par les juridictions est assez largement admise. Toutefois, la communication implique l’échange, la faculté de répondre et de présenter des demandes. Or, la communication par voie électronique des parties vers les juridictions est soumise à un régime distinct et, par certains égards, plus restrictif que celui de la communication par les juridictions.
II. La communication par voie électronique des parties vers les juridictions
10. À nouveau, il convient de distinguer le cas des parties assistées par un avocat de celles qui agissent seules. En effet, si les avocats sont rodés à l’utilisation de la voie électronique (A.), ce mode de communication n’en est qu’à ses balbutiements s’agissant des justiciables (B.).
A. La pratique habituelle de la communication par voie électronique des avocats vers les juridictions
11. Pour l’emploi de la voie électronique par les avocats en procédure civile, il existe trois possibilités : elle est soit obligatoire, soit facultative, soit interdite [47]. D’abord minoritaire, la voie électronique obligatoire tend à s’imposer dans un plus grand nombre de procédures. En procédure pénale elle est soit facultative, soit interdite. Elle ne s’impose jamais. Cette différence s’explique par le fait qu’en procédure civile, la communication par voie électronique obligatoire va de pair avec la procédure écrite et la représentation obligatoire [48]. Lorsque la représentation n’est pas obligatoire, les avocats ont la faculté d’utiliser ou non la voie électronique quand celle-ci est permise. Or, concernant la procédure pénale, même s’il existe des procédures pour lesquelles l’assistance par un avocat est obligatoire [49], le principe est que les parties peuvent se défendre seules. Il est donc d’une certaine manière logique de ne pas imposer la communication par voie électronique en matière pénale.
Lorsque la voie électronique est obligatoire, l’emprunt d’une autre voie est sanctionné par une fin de non-recevoir [50]. Ce cas de figure ne se retrouve pas en procédure pénale. En revanche, l’avocat pénaliste qui ferait usage de la voie électronique alors que celle-ci n’est pas permise risque de voir sa demande déclarée irrecevable. C’est ce qu’a décidé le président de la chambre d’instruction de Paris dans une ordonnance du 17 mai 2013. Toutefois, en l’espèce, la voie électronique était bel et bien ouverte, et l’ordonnance a été cassée [51].
12. En matière pénale, les avocats peuvent transmettre par voie électronique trois catégories de demandes, déclarations et observations : celles listées à l’article D. 591 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3966MCU, les mémoires devant la chambre de l’instruction [52], ainsi que toutes les demandes qui, en vertu d’une disposition du Code de procédure pénale, peuvent être faites par lettre simple [53]. La première catégorie renvoie à une liste comprenant 21 entrées. Il s’agit essentiellement de demandes qui peuvent être présentées en phase d’enquête de police judiciaire et au cours de l’instruction, comme des demandes d’actes ou de délivrance d’une copie du dossier. La méthode du listage montre la prudence avec laquelle le pouvoir réglementaire avance. Elle rappelle la communication par voie électronique devant la cour d’appel en matière civile, qui en 2010 était limitée à certains actes [54] avant d’être généralisée par un arrêté de 2020 [55]. On pourrait regretter que la liste de l’article D. 591 du Code de procédure pénale se cantonne à l’avant-procès. Certaines absences, comme celle des demandes d’actes adressées au président du tribunal correctionnel en phase d’audiencement [56] peinent à se justifier. À cette liste s’ajoute la troisième catégorie d’actes pouvant être communiqués par voie électronique, c’est-à-dire ceux pour lesquels une disposition prévoit qu’ils sont adressés à la juridiction par lettre simple.
En première analyse, peu de dispositions prévoient expressément l’envoi de demande par lettre simple dans le sens avocat-greffe. En réalité, il ne faut pas s’arrêter à l’absence de référence à un envoi par lettre simple. Selon la circulaire du 12 mars 2008, cette catégorie recouvre l’ensemble des demandes pour lesquelles le Code de procédure pénale n’impose pas de formalités particulières [57]. La circulaire donne notamment comme exemple les plaintes simples adressées au procureur de la République, qui depuis lors, ont été inscrites au 8° de l’article D. 591 du Code de procédure pénale. Il s’avère que le domaine des demandes pour lesquelles le Code de procédure pénale n’impose aucune modalité d’envoi est assez large, et qu’il forme un ensemble hétéroclite : il comprend notamment la requête en récusation [58], la demande de restitution d’un bien pendant l’enquête de police [59], la requête en effacement du bulletin n° 2 du casier judiciaire [60] ou encore la demande de confrontation à un témoin anonyme [61]. L’article D. 593 du Code de procédure pénale prévoit tout de même une exception : les demandes de mise en liberté ou de mainlevée du contrôle judiciaire ne peuvent pas être présentées par voie électronique. En 2008, cette restriction était justifiée par la gravité des conséquences attachées à une absence de réponse à ces demandes dans les délais légaux [62]. Le pouvoir réglementaire craignait donc que les demandes par voies électroniques soient moins bien suivies que les autres. Il est regrettable que cette défiance perdure en 2022 [63].
13. Pour ce qui est des modalités de la CEP, l’article D. 591 du Code de procédure pénale renvoie à la convention nationale ministère de la Justice/CNB. Selon l’article 6.3 de cette convention, l’avocat doit envoyer un courrier électronique adressé depuis e-Barreau. Son courriel doit être adressé à une Boîte aux lettres CEP (« BAL CEP »). Il s’agit d’une adresse de messagerie structurelle sécurisée des services judiciaires [64]. Il ne s’agit pas des adresses mail professionnelles des greffiers d’un service, la « boîte aux lettres » est une adresse mail dédiée à la CEP, qui a été communiquée par le ministère de la Justice au CNB. Tous les services du tribunal judiciaire concernés par la CEP en ont une. Un avocat ne peut pas envoyer sa demande à une autre adresse que la BAL CEP. Cette règle découle du dernier alinéa de l’article D. 591 du Code de procédure pénale. C’est aussi ce qu’a retenu la Cour de cassation dans un arrêt du 27 juillet 2022 N° Lexbase : A17358DM : le mémoire qui a été envoyé sur la messagerie professionnelle nominative d’un greffier et non sur la boîte aux lettres CEP doit être déclaré irrecevable [65]. Cet arrêt a une grande importance pratique, car de nombreux avocats utilisent d’autres adresses de messagerie que celles prévues par la convention [66]. On pourrait se demander pourquoi il est accordé autant d’importance aux BAL CEP, alors qu’elles présentent a priori les mêmes garanties de sécurité et de fiabilité que les autres adresses de messagerie. La réponse tient à une fonctionnalité particulière des BAL CEP : elles émettent automatiquement un accusé de réception adressé à l’auteur de la demande. Or, c’est l’émission de cet accusé de réception qui fait courir les délais de procédure, sauf si la demande a été reçue en dehors des jours ouvrables ou avant 9 heures ou après 17 heures [67]. Le cas échéant, ils commencent à courir le premier jour ouvrable suivant.
14. Étant donné que les moyens de communication électroniques sont parfois capricieux, il est important d’anticiper des dysfonctionnements. Le Code de procédure civile prévoit deux types de remèdes. Le premier est un retour au papier lorsque la voie électronique est obligatoire, mais qu’une cause étrangère à l’avocat empêche de l’utiliser [68]. Le second est de proroger le délai de procédure au premier jour ouvrable suivant lorsqu’une cause étrangère a empêché de le transmettre par voie électronique le dernier jour [69]. Tant que la voie électronique reste purement facultative en procédure pénale, le premier remède n’a aucune utilité. En revanche, certaines demandes qui peuvent être présentées par voie électronique sont enfermées dans des délais de procédure [70]. Il serait donc tout à fait pertinent de transposer le mécanisme de prorogation dans le Code de procédure pénale car, en l’état actuel du droit, l’avocat pénaliste n’a pas de solution en cas de dysfonctionnement en fin de délai.
B. Les premiers pas du justiciable-émetteur sur la voie électronique
15. La communication par voie électronique reliant directement le justiciable à la juridiction est sans doute l’aspect le plus novateur de la communication par voie électronique, mais aussi le moins abouti. En contentieux administratif, la plateforme en ligne « Télérecours citoyens [71] » permet aux justiciables de saisir directement les juges du fond et le Conseil d’État. Il existe aussi le portail « tribunal digital », qui permet de saisir les tribunaux de commerce [72]. Pour les tribunaux judiciaires, il faut passer par le « Portail du justiciable », déjà présenté [73]. L’article 756 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9224LTS reconnaît la requête par voie électronique, en renvoyant à un arrêté du garde des Sceaux. L’article 1 de l’arrêté relatif au Portail du justiciable évoque la possibilité offerte « au justiciable de saisir la justice via la requête numérique », sans plus de précision. C’est seulement en se connectant à ce portail que l’on comprend que le domaine des requêtes par voies électroniques est limité : pour l’instant, ce portail peut seulement être utilisé pour adresser des requêtes au juge des tutelles en cours de régime de protection et des requêtes au juge aux affaires familiales. Il est prévu de l’étendre aux petits litiges de moins de 5000 euros et aux contentieux locatifs [74]. Il semble que ces saisines en ligne des juridictions judiciaires ne connaissent pas le succès escompté : dans les six premiers mois de leur existence, il n’y a eu que 809 requêtes numériques en matière civile, alors que le comité de pilotage espérait qu’il y en ait plus d’une centaine de milliers la première année [75].
16. En procédure pénale, il n’existe qu’un type de demande qui peut être présenté via le portail du justiciable. Il s’agit des constitutions de partie civile. Cette possibilité est conforme à l’article 420-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7388LPC qui dispose que « toute personne qui se prétend lésée peut se constituer partie civile, directement ou par son avocat […] par le moyen d’une communication électronique ». Toutefois, la constitution de partie civile en ligne est limitée aux hypothèses où le justiciable a reçu un avis à victime. Elle est donc réduite aux constitutions de parties civiles par voie d’intervention. Il peut tant s’agir de l’avis à victime reçu en phase d’instruction que celui reçu en phase d’audiencement devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police [76]. Pour emprunter la voie électronique, la victime doit se rendre sur le site justice.fr [77]. Elle sera ensuite guidée vers le Portail du Justiciable après une identification FranceConnect.
17. On peut imaginer qu’à terme, les justiciables auront la possibilité de présenter par voie électronique toutes les demandes listées à l’article D. 591 du Code de procédure pénale. Pour autant, cette extension n’est pas prioritaire. En effet, le principal chantier à mener en procédure pénale n’est pas le renforcement de la voie électronique entre les justiciables et les juridictions, mais l’édification d’une voie électronique entre les victimes et la police, par l’intermédiaire d’un dépôt de plainte en ligne [78]. Annoncée depuis plusieurs années, la plainte en ligne piétine. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC [79] a créé l’article 15-3-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7192LP3 qui autorise le dépôt de plainte par voie électronique. Mais cet article renvoie à des dispositions réglementaires, qui renvoient elles-mêmes à une liste d’infractions fixée par arrêté du ministre de la Justice [80]. À ce jour, les seules infractions pour lesquelles la plainte en ligne est autorisée sont l’escroquerie, le chantage et l’extorsion connexe à l’infraction d’entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données ou à l’infraction d’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données [81]. Le dépôt de plainte est réalisé par l’intermédiaire de la plateforme THESEE [82]. Pour y accéder, la victime doit se rendre sur une page spécifique du site service-public.fr [83] et s’identifier grâce au téléservice FranceConnect [84]. Si la plateforme THESEE fait ses preuves, on peut supposer que le pouvoir exécutif élargira le domaine de la plainte en ligne.
18. La comparaison de la communication par voie électronique en procédure civile et en procédure pénale révèle des différences tenant aux spécificités de la matière. La plainte en ligne est propre à la procédure pénale. À l’inverse, la question de la communication par voie électronique entre les avocats est beaucoup plus prégnante en procédure civile qu’en procédure pénale. D’autres différences tiennent à l’architecture des systèmes de communication, qui n’ont pas été bâtis au même moment. La communication par voie électronique a tendance à être plus uniforme lorsque ses supports sont construits de manière synchrone. En effet, si l’on prend l’exemple du Portail du Justiciable, on remarque assez peu de différences de fonctionnement entre la matière civile et la matière pénale.
À la réflexion, la summa divisio de la communication par voie électronique ne réside peut-être pas dans la nature du contentieux, mais dans la qualité ou non d’avocat de l’émetteur ou du destinataire. Le domaine de la communication par voie électronique est plus large pour les avocats que pour les justiciables. En outre, son régime est différent, la jurisprudence est plus fournie. Ce constat nous rappelle que les avocats ont un rôle déterminant dans le développement de ce mode de communication. Leur adhésion conditionne le succès de la CEP, et à l’inverse, leurs réticences condamneraient ses évolutions futures. Par l’intermédiaire des conventions nationales ministère de la Justice/CNB, ils peuvent modeler une voie électronique adaptée à la pratique. Sachant que de plus en plus d’avocats pénalistes souscrivent un abonnement au RPVA, il y a de fortes chances qu’elle soit amenée à se développer à brève échéance. L’histoire de la communication électronique pénale ne fait que commencer.
[1] Ministère de la Justice et CNB, Convention concernant la communication électronique en matière pénale entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats, à Paris le 5 février 2021 [en ligne].
[2] Sur ce point, v. V. Pénard, Numériser la procédure pénale : présent et perspectives de la procédure pénale numérique, Lexbase Pénal, juin 2022 N° Lexbase : N1885BZT.
[3] Pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, la déclaration d’appel par voie électronique est imposée depuis le 1er février 2011. V. (Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile, art. 5 N° Lexbase : L0292IGW et Arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel, art. 3 N° Lexbase : L9025IPX).
[4] Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU : M. Barba, Avis de tempête sur la déclaration d'appel, D. 2022, p. 325 ; C. Bléry, Application inopportune de la notion d’accessoire à la déclaration d’appel, Lexbase Droit privé, 27 janvier 2022 N° Lexbase : N0197BZC ; H. Croze, obs., Procédures 2022, repère 4 ; N. Fricero, Le formalisme électronique de la déclaration d’appel est-il compatible avec le droit au juge ?, JCP G, 2022, p. 202 ; R. Laffly, Annexe à la déclaration d’appel : tout sauf annexe, Dalloz actualité, 20 janvier 2022 [en ligne] ; A. Martinez-Ohayon, Annexe à la déclaration d’appel : valable uniquement en présence d’un empêchement d’ordre technique !, Lexbase Droit privé, 20 janvier 2022 N° Lexbase : N0084BZ7 ; S. Amrani Mekki, note, Procédures 2022, comm. 53.
[5] CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France N° Lexbase : A07327Z7 : M. Bléry, Condamnation de la France pour formalisme excessif : la CPVE sur la sellette (?), Dalloz actualité 16 juin 2022 [en ligne] ; M. Dochy, Communication électronique obligatoire : condamnation de la France pour formalisme excessif, Lexbase Droit privé, 7 juillet 2022 N° Lexbase : N2086BZB.
[6] V. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. II, 5e éd., 2001, éd. Cujas, n° 3.
[7] V. Décret n° 2005-1678, du 28 décembre 2005, relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom, art. 73 N° Lexbase : C08457CB. Pour un historique des évolutions de la communication par voie électronique en matière civile, v. C. Bléry, Communication par voie électronique, in S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile : droit interne et européen, 2020, Dalloz, 10e éd., no 273.00 et s. ; M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, thèse de doctorat, droit, 2021, université Toulouse Capitole, Dalloz, no 39 et s.
[8] Il s’agit des arrêtés évoqués à l’article 748-6 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1184LQW.
[9] Arrêté du 17 juin 2008 portant application anticipée pour la procédure devant la Cour de cassation des dispositions relatives à la communication par voie électronique N° Lexbase : L0432INC.
[10] Arrêté du 7 avril 2009 relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux de grande instance N° Lexbase : L0193IEU. Ce texte a été mis à jour, il est désormais relatif à « la communication par voie électronique devant les tribunaux judiciaires ».
[11] Arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel N° Lexbase : L3316IKZ ; Arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel. Ces deux arrêtés ont été remplacés par un arrêté en 2020. V. Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel N° Lexbase : L1630LXN.
[12] Arrêté du 21 juin 2013 portant communication par voie électronique entre les avocats et entre les avocats et la juridiction dans les procédures devant les tribunaux de commerce N° Lexbase : L1961IXW.
[13] C. proc. civ., art. 930-1 N° Lexbase : L7249LE9.
[14] C. proc. civ., art. 850 N° Lexbase : L9345LTB.
[15] Loi n° 2007-291, du 5 mars 2007, tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, art. 18 N° Lexbase : C46317B7. Sur le régime de la communication par voie électronique issu de cette loi, v. A.-S. Chavent-Leclère, À propos de la mise en œuvre concrète de la communication électronique pénale (RPVA), Procédures 2022, alerte 18 [en ligne].
[16] C. proc. pén., art. D. 591 N° Lexbase : L3966MCU dans sa rédaction issue du Décret n° 2007-1620 du 15 novembre 2007 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) et relatif à l'utilisation des nouvelles technologies N° Lexbase : L2972H3H.
[17] V. A.-S. Chavent-Leclère, RPVA pénal : une généralisation accélérée par la crise du Covid-19, Procédures 2020, alerte 8 [en ligne].
[18] V. Ordonnance n° 2020-303, du 25 mars 2020, portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, art. 4 N° Lexbase : L5740LWI.
[19] Décret n° 2020-1792 du 30 décembre 2020 relatif à la communication électronique pénale N° Lexbase : L6135LZA.
[20] Ministère de la Justice et CNB, Convention concernant la communication électronique en matière pénale entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats, à Paris le 5 février 2021, préc.
[21] C. Bléry, Communication par voie électronique, op. cit., n° 273.102.
[22] Cass. crim., 12 janvier 2022, n° 21-86.075, F-B N° Lexbase : A31437IA : O. Bachelet, Panorama : l’audience pénale (1er juillet 2021 au 30 juin 2022), Lexbase Pénal, juillet 2022 ; H. Diaz, Validité de la notification faite à l’avocat via PLEX, Dalloz actualité, 10 février 2022 [en ligne] ; P. Idoux et L. Calendri, Droit de la communication, JCP G, 2022, doctr. 495 ; A. Léon, PLEX : précisions sur les modalités de notifications du dépôt d’un avis d’audience sur la plate-forme, Lexbase Pénal, janvier 2022 N° Lexbase : N0114BZA ; A. Maron et M. Haas, note, Dr. pén., 2022, comm. 53 ; G. Roussel, obs., AJ pénal, 2022, p. 157.
[23] Créée par le Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends N° Lexbase : L1333I8U, cette disposition consacre un avis de la Cour de cassation du 9 septembre 2013. V. C. Bléry, La Cour de cassation valide le consentement exprès tacite !, JCP G 2013, 979.
[24] Pour les tribunaux de commerce, le réseau sécurisé s’appelle « i-greffes ».
[25] Devant la Cour de cassation, la communication entre la juridiction et les avocats aux conseils est soumise à un régime technique particulier reposant sur la connexion à un réseau intranet de la Cour. V. Arrêté du 17 juin 2008 portant application anticipée pour la procédure devant la Courde cassation des dispositions relatives à la communication par voie électronique.
[26] Ministère de la Justice et CNB, Convention concernant la communication électronique en matière civile entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats, à Paris le 5 février 2021, p. 7.
[28] Cass. crim., 24 juillet 2019, n° 19-83.412, F-P+B+I N° Lexbase : A9574ZKS : J. Chapelle, obs., AJ penal, 2019, p. 505 ; A.-S. Chavent-Leclère, obs., Procédures 2019, comm. 264 ; F. Dupuis, D’un courriel, à l’audience, convoqué tu seras, Lexbase Avocats, octobre 2019 N° Lexbase : N0574BYW.
[29] Ministère de la Justice et CNB, Convention concernant le développement des nouvelles technologies de communication dans le débat judiciaire entre les tribunaux de grande instance et les avocats, à Paris le 28 septembre 2007, p. 11 [en ligne].
[30] Ministère de la Justice et CNB, Convention concernant la communication électronique en matière pénale entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats, à Paris le 5 février 2021, p. 6 et 7 [en ligne].
[31] PLateforme d’échange EXterne. V. Communication électronique pénale - Entrée en vigueur de la plateforme PLEX, JCP G, 2021, 563 ; C. Bléry et J.-P. Teboul, PLINE et PLEX ou les mystères de la nouvelle « communication par voie électronique », Dalloz actualité, 18 novembre 2019 [en ligne].
[32] Plateforme PLEX. V. Arrêté du 24 octobre 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via la plateforme sécurisée d'échange de fichiers « PLINE » et « PLEX », art. 2 N° Lexbase : Z12639RS.
[33] V. le guide « L’utilisation de PLEX par les avocats », en ligne sur le site du CNB [en ligne].
[34] Arrêté du 24 octobre 2019, préc., art. 10 N° Lexbase : Z12647RS.
[35] Cass. crim., 12 janvier 2022, n° 21-86.075, F-B, préc.
[36] Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, art. 17 N° Lexbase : Z49467NH.
[37] Décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication électronique en matière civile et à la notification des actes à l'étranger, art. 5 N° Lexbase : Z38968RH.
[38] C. proc. civ., art. 748-8, al. 1 N° Lexbase : L1185LQX. Pour une présentation des cette plateforme, v. Création et condition de mise en oeuvre du traitement de données « Portail du justiciable », JCP G, 2019, 628 ; H. Croze, Décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 : la Justice entr’ouvre le portail au justiciable, Procédures 2019, repère 7.
[39] Selon l’article 748-8 du Code de procédure civile, il s’agit des avis, convocations ou récépissés pour lesquels il est prévu que le greffe les adresse au justiciable par tous moyens, par lettre simple ou par lettre recommandée sans avis de réception.
[40] Arrêté du 21 octobre 2021, relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable » N° Lexbase : L6549L83. Pour formaliser leur consentement à la transmission par voie électronique, les justiciables sont invités à remplir le formulaire cerfa n° 15414*06, disponible en ligne.
[41] Une différence peut être relevée entre la communication par voie électronique en matière civile et la CEP à destination des justiciables. Alors que l’article 748-8 du Code de procédure civile permet l’envoi par voie électronique d’un « avis, une convocation ou un récépissé », l’article 803-1 du Code de procédure civile vise les « avis, convocations ou documents ».
[42] Circulaire du 23 mars 2015 de présentation des dispositions relatives à la communication électronique en matière pénale issues de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, NOR : JUSD1506962C N° Lexbase : L5142I8X.
[43] Arrêté du 21 octobre 2021, préc. Il est vrai que l’arrêté du 24 octobre 2019 relatif à PLEX vise aussi l’article 803-1 CPP, mais à ce jour l’accès à cette plateforme n’est pas ouvert aux justiciables.
[44] C. proc. civ., art. 551 N° Lexbase : L6702H7D et 554 N° Lexbase : L6705H7H. C’est principalement le cas des jugements par défaut (C. proc. pén., art. 488 N° Lexbase : L4402AZ3) et des jugements contradictoires à signifier (C. proc. pén., art. 498 N° Lexbase : L9441IEE). Pour les citations (C. proc. pén., art. 390 N° Lexbase : L3182I3A), même s’il est toujours possible de les faire notifier par un huissier, elles tendent en pratique à être remplacées par des citations par OPJ (C. proc. pén., art. 390-1 N° Lexbase : L7422LPL).
[45] Loi n° 2021-1729, 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T : J. Buisson, comm., Procédures 2022, doss. 3 ; A. Léon, Confiance dans l'institution judiciaire : la loi est publiée, Lexbase Pénal, janvier 2022 N° Lexbase : N9856BYP ; H. Matsopoulou, comm., JCP G, 2022, doctr. 114.
[46] V. C. proc. pén., art. 803-1 N° Lexbase : L1638MAW.
[47] V. M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, op. cit., n° 153.
[48] Ces différents aspects de la procédure sont étroitement liés. Ainsi, devant le tribunal judiciaire, la voie électronique s’impose en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe (C. proc. civ., art. 850). Or, devant cette juridiction, la procédure est en principe écrite (C. proc. civ., art. 775) et les parties sont tenues, sauf disposition contraire, de constituer avocat (C. proc. civ., art. 760). L’article 761 du Code de procédure civile liste les matières dans lesquels les parties sont dispensées de constituer avocat. Le cas échéant, la procédure est en principe orale (C. proc. civ., art. 817), et l’emprunt de la voie électronique est alors facultatif. Il existe toutefois des contre-exemples, pour lesquels ces trois aspects sont désunis. C’est notamment le cas en matière de référés : la représentation par un avocat peut être obligatoire, alors que la procédure est orale. Par conséquent, l’emprunt de la voie électronique ne serait pas obligatoire.
[49] Par ex., l’assistance du mis en cause par un avocat est obligatoire devant la cour d’assises (C. proc. pén., art. 274 N° Lexbase : L3663AZP) et au cours de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (C. proc. pén., art. 495-8 N° Lexbase : L6810LW7).
[50] V. C. proc. civ., art. 850 N° Lexbase : L9345LTB et 930-1 N° Lexbase : L7249LE9.
[51] V. Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 13-84.319, FS-P+B+I N° Lexbase : A1623KRK : G. Beaussonie, Chronique de procédure pénale – Janvier 2014, Lexbase droit privé, 9 janvier 2014 N° Lexbase : N0059BUQ ; A. Maron et M. Haas, obs., Dr. pén. 2014, comm. 30.
[52] C. proc. pén., art. D. 592 N° Lexbase : L7798L7X.
[53] V. l’avant-dernier alinéa de l’article D. 591 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3966MCU.
[54] V. Arrêté du 23 décembre 2010 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, art. 1 N° Lexbase : L0022IPI.
[55] Arrêté du 20 mai 2020, préc.
[56] C. proc. pén., art. 388-5 N° Lexbase : L7512LPW. Selon ce texte, les demandes doivent être adressées par LRAR ou remises au greffe contre récépissé. Elles n’entrent donc pas dans la catégorie des demandes qui peuvent être faites par lettre simple.
[57] Circulaire n° CRIM 08‑09/E8 du 12 mars 2008 relative à la présentation générale des dispositions du décret n° 2007‑1620 du 15 novembre 2007 modifiant le code de procédure pénale et relatif à l’utilisation des nouvelles technologies, NOR : JUSD0806458C, p. 4 [en ligne].
[58] C. proc. pén., art. 669 N° Lexbase : L4039AZM.
[59] C. proc. pén., art. 41-1 N° Lexbase : L0655L4Z. On notera que les demandes de restitution adressées au juge d’instruction sont quant à elles expressément listées à l’article D. 591 Code de procédure pénale.
[60] C. proc. pén., art. 702-1 N° Lexbase : L9382IE9 et 703 N° Lexbase : L2597DGB, par renvoi de l’art. 775-1 N° Lexbase : L6428ISU.
[61] C. proc. pén., art. 706-61 N° Lexbase : L5749DYL.
[62] S. Sontag Koenig, Technologies de l’information et de la communication et défense pénale, 2015, Mare & Martin, n° 165.
[63] Sur ce point, il a été indiqué que les négociations étaient en bonne voie pour inclure le contentieux de la liberté dans le périmètre de la communication par voie électronique pénale. V. V. Pénard, préc.
[64] Convention concernant la communication électronique en matière pénale, art. 1.
[65] Cass. crim., 27 juillet 2022, n° 22-83.237, F-B N° Lexbase : A17358DM : D. Goetz, Irrecevabilité d’un mémoire transmis à la chambre de l’instruction sur la messagerie professionnelle d’un greffier, Dalloz actualité, 15 septembre 2022 [en ligne].
[66] M. Lartigue, E-barreau : le déploiement s’accélère en matière pénale, Gaz. Pal., 14 septembre 2021, p. 5.
[67] V. le dernier alinéa de l’article D. 591 du Code de procédure pénale.
[68] V. C. proc. civ., art. 850, II et 930-1, al. 2 N° Lexbase : L7249LE9.
[69] C. proc. civ., art. 748-7 N° Lexbase : L0423IGR.
[70] C’est notamment le cas des observations et demandes présentées sur le fondement de l’article 175 du Code de procédure pénale et visées au 19° de l’article D. 591 du Code de procédure pénale. En fonction des circonstances, elles doivent être présentées dans un délai d’un à trois mois.
[71] Arrêté du 2 mai 2018 pris pour l'application de l'article 10 du décret relatif à l'utilisation d'un téléservice devant le Conseil d'Etat, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs et portant autres dispositions N° Lexbase : L2199LKN : C. Bléry et T. Douville, « Télérecours citoyen » : un modèle de dématérialisation de la justice à parfaire, JCP G, 2018, p. 663 ; G. Koubi, comm., JCP A, 2018, act. 446 ; E. Maupin, obs., AJDA 2018, p. 947.
[72] Accessible sur le site www.tribunaldigital.fr. V. Bravard C., Les innovations attendues du tribunal digital, Rev. proc. coll., 2020, doss. 11.
[73] V. spéc. C. Bléry et J.-P. Teboul, Dématérialisation des procédures : saisine d’une juridiction par le Portail du justiciable, Dalloz actualité, 5 mars 2020 [en ligne].
[74] Rép. min. n° 37904, 15 février 2022, p. 1016.
[75] Cour des comptes, Améliorer le fonctionnement de la justice – Point d’étape du plan de transformation numérique du ministère de la Justice, janvier 2022, p. 37 [en ligne].
[76] Selon la notice cerfa « Requête numérique : déclaration de constitution de partie civile pour une affaire en cours », elle peut aussi être utilisée en cas de constitution de partie civile devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants. La notice est disponible sur le site monespace.justice.fr après avoir initié une déclaration de constitution de partie civile. Elle a aussi été diffusée par des associations d’aide aux victimes [en ligne].
[77] La Cour des comptes a critiqué l’ergonomie perfectible du Portail du Justiciable, qui ne permet que de suivre les requêtes déjà existantes. Pour en initier une nouvelle, il est nécessaire de revenir sur le portail justice.fr. V. Cour des comptes, op. cit., p. 142.
[78] W. Roumier, Les réformes prioritaires du ministère de la Justice, Dr. pén., 2021, alerte 18.
[79] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.
[80] Code de procédure pénale, art. D. 8-2-1 N° Lexbase : L8688LQT.
[81] Code de procédure pénale, art. A. 1er N° Lexbase : L1884MEI.
[82] Traitement harmonisé des enquêtes et des signalements pour les e-escroqueries.
[83] Site internet service-public.fr. En fonction de la situation décrite, l’usager peut aussi être guidé vers d’autres plateformes, comme Pharos ou Signal Conso.
[84] Code de procédure pénale, art. A-1-2 N° Lexbase : L5646LXE.
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Réf. : CJUE, 13 octobre 2022, aff. C-344/20 N° Lexbase : A75928NI
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par Lisa Poinsot
Le 19 Octobre 2022
► La règle interne d'une entreprise interdisant le port visible de signes religieux, philosophiques ou spirituels ne constitue pas une discrimination directe si elle est appliquée de manière générale et indifférenciée à tous les travailleurs.
Faits et procédure. Une femme de religion musulmane portant le foulard islamique indique, lors d’un entretien d’embauche, qu’elle refuse d’ôter son foulard pour se conformer à la politique de neutralité promue au sein de la société et inscrite dans le règlement de travail de celle-ci. Elle renouvèle, par la suite, sa demande de stage auprès de la même société, en proposant de porter un autre type de couvre-chef, ce qui lui est refusé au motif qu’aucun couvre-chef n’est autorisé dans les locaux.
Face à ce nouveau refus, cette candidate saisit la juridiction nationale compétente en soutenant que l’absence de conclusion d’un contrat de stage est fondée directement ou indirectement sur la conviction religieuse. Elle estime que la société a violé le principe de non-discrimination.
Le tribunal compétent sursoit à statuer et interroge la CJUE :
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Cour de justice de l’Union européenne considère que la religion et les convictions sont comme un seul et unique motif de discrimination, sous peine de porter atteinte au cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail prévu par le droit de l’Union, et plus particulièrement à la Directive n° 2000/78.
Autrement dit, dès lors que chaque personne est susceptible d’avoir soit une religion, soit des convictions religieuses, philosophiques ou spirituelles, une telle règle, pour autant qu’elle soit appliquée de manière générale et indifférenciée, n’instaure pas une différence de traitement fondée sur un critère indissociablement lié à la religion ou à ces convictions.
Au contraire, une telle règle interne est susceptible de constituer une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou sur les convictions s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle contient aboutit, en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données.
Ainsi, la simple volonté de l’employeur de mener une politique de neutralité, bien que constituant en soit, un objectif légitime, ne suffit pas, comme telle, à justifier de manière objective, le caractère objectif d’une telle règle justifiant ne pouvant être identifié qu’en présence d’un besoin véritable de cet employeur, ce qu’il lui incombe de démontrer.
Pour aller plus loin :
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Réf. : CE 1°-4° ch. réunies, 19 juillet 2022, n° 428311, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A37268CY
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Le 19 Octobre 2022
Mots clés : handicap • scolarisation • responsabilité de l'État • droit à l'éducation • service public
Dans un arrêt rendu le 19 juillet 2022, la Haute juridiction administrative a retenu que la carence de l'État à assurer effectivement le droit à l'éducation des enfants handicapés soumis à l'obligation scolaire est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité. La circonstance que les parents de l’enfant n'aient pas immédiatement contacté, après chacune des décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du Rhône, l'ensemble des structures vers lesquelles celle-ci avait orienté leur enfant, n'est pas de nature à exonérer la puissance publique de sa responsabilité. Pour faire le point sur cette décision et ses implications, Lexbase Public a interrogé Raphaël Matta-Duvignau, Maître de conférences en droit public UVSQ – Paris Saclay. Laboratoire VIP, EA 3643*.
Lexbase : Quel est le cadre normatif de l'obligation de scolarisation des enfants en situation de handicap ?
Raphaël Matta-Duvignau : À titre liminaire, il convient de replacer l’obligation de scolarisation des enfants en situation de handicap dans un cadre normatif plus général.
Premièrement, le droit à l’éducation bénéficie, en droit français, d’une valeur juridique incontestable : déjà consacré à l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946, l’article L. 111-1 du Code de l’éducation N° Lexbase : L7611L7Z le confirme : « L'éducation est la première priorité nationale. Le droit à l'éducation est garanti à chacun ». Par conséquent, le droit à l’éducation, en ce qu'il énonce l'obligation d'un service public gratuit et un égal accès à l'instruction, implique une créance opposable à la collectivité, un droit exigible [1] : le droit à l'éducation étant garanti à chacun, l'État est tenu d'assurer l'égalité de traitement. Deuxièmement, le Code de l’éducation consacre la notion d’obligation scolaire [2], qui peut se définir comme l’obligation faite aux personnes responsables de l’éducation d’un enfant mineur au sens du Code civil, de lui donner une instruction minimale. Concrètement, l’instruction est obligatoire pour chaque enfant de trois à seize ans et il incombe à l'État de faire respecter cette obligation.
L’article L. 111-2 du même code N° Lexbase : L6724L78 affirme que « tout enfant a droit à une formation scolaire » et que « pour favoriser l'égalité des chances, des dispositions appropriées rendent possible l'accès de chacun, en fonction de ses aptitudes et de ses besoins particuliers, aux différents types ou niveaux de la formation scolaire ».
L’article L. 112-1 N° Lexbase : L6772LRA précise en outre que : « pour satisfaire aux obligations qui lui incombent (…), le service public de l’éducation assure une formation scolaire (…) aux enfants (…) présentant un handicap (…). Dans ses domaines de compétence, l’État met en place des moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants (…) handicapés (…) ». Mais pour comprendre le cadre normatif actuel, il convient de se tourner vers le passé : « Jusqu’en 1975, les enfants handicapés échappaient à l’obligation scolaire prévue par la Troisième République. Nombre d’enfants polyhandicapés ou handicapés mentaux, psychiques ou cognitifs n’étaient pas ou étaient peu scolarisés. C’est pourquoi des associations de parents ont-elles-mêmes fondé les établissements scolaires nécessaires à l’accueil de leurs enfants (instituts médicoéducatifs, médicopédagogiques et médicoprofessionnels, notamment). La scolarité des enfants handicapés s’effectuait généralement hors du champ du service public » [3]. La loi n° 75-534 du 30 juin 1975, d'orientation en faveur des personnes handicapées N° Lexbase : L6688AGS, crée avant tout une obligation éducative. La commission départementale d’éducation spéciale était chargée d’assurer l’orientation des enfants et leur admission dans un établissement spécialisé. Cette obligation éducative s’est matérialisée le jour où l’État fut condamné pour défaut de scolarisation d’un enfant handicapé, faute d’une adaptation suffisante du service public [4]. Puis, la fameuse loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R, consacre le passage de l’obligation éducative à l’obligation scolaire et met à la charge de l’État les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation des élèves en milieu ordinaire. Rappelons que pour ladite loi, constitue un handicap « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant » [5].
Affectant les personnes, le handicap ne doit cependant pas leur interdire de bénéficier de leurs droits. À ce titre, les articles L. 351-1 N° Lexbase : L6730LRP et D. 351-4 N° Lexbase : L7140MDS du Code de l’éducation prévoient que les élèves présentant un handicap sont scolarisés en priorité en milieu scolaire ordinaire, dans l’établissement de « secteur », si nécessaire au sein de dispositifs adaptés (au sein d’une classe pour l’inclusion scolaire – CLIS – en primaire ou d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire – ULIS – au collège, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves). Pour les élèves dont la scolarité en milieu ordinaire est possible, un accompagnement en classe est envisageable : selon l’article L. 917-1 du Code de l’éducation N° Lexbase : L6910LRD, « des accompagnants des élèves en situation de handicap peuvent être recrutés pour exercer des fonctions d’aide à l’inclusion scolaire de ces élèves y compris en dehors du temps scolaire » ; ces personnels sont aujourd’hui dénommés « accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) », recrutés en CDD de trois ans, renouvelable une fois et en CDI au terme d’une période de six ans en cas de renouvellement. Si les besoins l'exigent, l'élève peut être inscrit dans un autre établissement lorsque celui de secteur ne dispose pas des telles unités. Dans ce cas, la décision est prise par le Directeur académique des services de l’éducation nationale sur proposition de l'établissement de référence, avec l'accord des représentants légaux. On le perçoit, ce n’est donc qu’en cas de besoin que l’élève concerné peut être inscrit dans un établissement spécialisé, sur proposition de l’établissement de référence et avec l’accord des parents. L’évaluation des compétences de l’élève est alors opérée par une équipe pluridisciplinaire dépendant de la maison départementale des personnes handicapées, laquelle doit proposer un parcours de formation adapté. Il appartient donc aux autorités de l'État, éclairées par les expertises médicales, de décider au cas par cas, dans l'intérêt de l'enfant, des modalités de sa scolarisation.
Par la suite, le décret n° 2009-378 du 2 avril 2009 N° Lexbase : L9901ID3 a institutionnalisé une collaboration avec le secteur médico-social. Des conventions précisent les modalités d’intervention des professionnels et les moyens mis en œuvre par les établissements médicosociaux ; le décret n° 2020-515 du 4 mai 2020, relatif au comité départemental de suivi de l'école inclusive N° Lexbase : L8157LWZ, a créé un comité départemental de suivi de l’école inclusive coprésidé par le directeur général de l’agence régionale de santé et le recteur d’académie ou son représentant, chargé du suivi, de la coordination et de l’amélioration des parcours de scolarisation [6].
Si les élèves présentant un handicap peuvent être accueillis dans des établissements spécialisés, ce n'est aujourd'hui qu'à titre exceptionnel. L'idée est que la scolarisation en classe ordinaire demeure le principe [7]… ce qui implique que l’Ecole s’adapte, que les dispositifs se diversifient et que ses personnels reçoivent une formation adaptée…
Lexbase : Dans quels cas la responsabilité de l'État peut-elle être engagée en cas de manquement à cette obligation ?
Raphaël Matta-Duvignau : La présente décision s’inscrit dans une jurisprudence cohérente, quasi constante, construite autour de la reconnaissance progressive de la responsabilité de l’État pour défaut de scolarisation des enfants handicapés.
Sur un autre registre, le Conseil d’État a déjà jugé que le manquement à l'obligation d'assurer l'éducation scolaire pouvait constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l'État [8]. Le terrain était donc propice.
Préalablement à l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005, la juridiction administrative avait déjà fait droit à la reconnaissance de la responsabilité de l’État pour un tel défaut de scolarisation [9]. Le juge des référés a aussi consacré comme liberté fondamentale (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT), le droit à la scolarisation, notamment pour les enfants souffrant de handicap : un droit-créance a donc été reconnu à la charge de l’éducation nationale : « la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’un handicap, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale » [10].
En vérité, c’est l’incontournable arrêt « Laruelle » [11] de 2009 qui constitue le principal point de repère en la matière : il incombe désormais à l’État, « au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif et que la carence de l’État est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que l’administration puisse utilement se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ». Toute la question était de déterminer la nature de la responsabilité (faute ou sans faute) et de l’obligation incombant à l’État (moyens ou résultat). À la lecture des conclusions du rapporteur public sous cette affaire, il est possible de comprendre que le raisonnement fondé sur une simple obligation de moyens serait contraire aux textes et dérogerait à l’évolution tendant à renforcer l’insertion des personnes handicapées. Or, l'article L. 351-1 du Code de l’éducation N° Lexbase : L6730LRP impose à l'État de prendre en charge les dépenses nécessaires à la scolarisation des enfants handicapés, que ce soit en les accueillant dans des classes ordinaires, en mettant du personnel à la disposition des établissements spécialisés ou en passant des contrats avec les établissements d'enseignement privé. Il en résulte que c’est bien une véritable obligation de résultat qui repose sur les autorités publiques et qu’en conséquent, un objectif non atteint constitue bien une faute. Comme le souligne P. Raimbault, la haute juridiction a « consacré l'existence d'un véritable droit subjectif à l'éducation pour les élèves handicapés, lequel induit corrélativement la reconnaissance d'un devoir de scolarisation à la charge de l'État, sous peine d'engager sa responsabilité pour carence fautive » [12]. Il ressort de cet arrêt que le droit à l’éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. En application de cette jurisprudence, il est possible de signaler une série contentieuse datant de 2015 dans laquelle le tribunal administratif de Paris a considéré que la prise en charge pluridisciplinaire obligatoire des personnes autistes, combinée au droit à l'éducation et à l'obligation de mettre en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation ordinaire des enfants en situation de handicap impose à l'État de proposer un lieu d'accueil adapté; constatant la «carence dans la mise en œuvre des moyens nécessaires» et qu’en conséquent, l’État est condamné à dédommager les parents qui avaient dû scolariser leurs enfants en Belgique [13].
D’une certaine manière, les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État sont déjà posées depuis 2009 : il incombe bien à ce dernier, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires, le défaut de place disponible dans un établissement spécialisé ne saurait l’exonérer de sa responsabilité. Dès lors, il appartient aux familles de démontrer, d’une part, l’existence d’un ou de plusieurs préjudices liés au défaut de scolarisation en milieu adapté, d’autre part, que ce préjudice n’est pas exclusivement lié à une décision prise soit par un établissement spécialisé, soit par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Enfin, compte tenu de ce qui précède, les enfants ont droit à réparation des différents préjudices, tout comme les parents : dans ce cas, l’appréciation de la réalité des préjudices et du montant de leur indemnisation se font selon les critères habituels déterminés par la jurisprudence administrative.
Il existe cependant quelques causes d’exonérations à la responsabilité de l’État. Ainsi, la responsabilité de la Commission Départementale d'Education Spéciale peut être recherchée, par exemple, si elle désigne un établissement non adapté. Dans ce cas, c'est au juge judiciaire qu'il appartient de se prononcer [14]. En outre, la responsabilité de l’État ne saurait être recherchée à raison des décisions par lesquelles la CDAPH se prononce sur l'orientation et l'accueil des personnes handicapées, les fautes commises par la CDAPH engageant la responsabilité de la maison départementale pour les personnes handicapées (MPDH) [15]. Par ailleurs, la responsabilité de l’État peut aussi être atténuée compte tenu, classiquement, du comportement des responsables légaux de l’enfant, notamment si ces derniers n’ont pas accompli toutes les diligences ou démarches nécessaires [16]. Enfin, il est toujours possible pour l’État, dans les conditions habituelles, d’engager une action récursoire contre un établissement social et médico-social auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité.
Lexbase : Quel est l'apport de la présente décision par rapport à la jurisprudence antérieure (notamment à l'arrêt n° 311434 du 8 avril 2009) ?
Raphaël Matta-Duvignau : La présente décision ne constitue pas un revirement de la jurisprudence Laruelle; il s’agit plutôt d’un complément, comme l’exprime d’ailleurs le rapporteur public : « Le litige est un cas d’application de votre jurisprudence Laruelle » [17]. Nous émettons l’hypothèse selon laquelle la décision de 2022 serait plutôt un « dérivé » de 2009, dans la mesure où le Conseil d’État a ici à se prononcer sur l’hypothèse où le refus d’accueillir l’enfant est opposé, faute de place disponible, par un établissement spécialisé désigné par la CDAPH.
De prime abord, l’État pourrait soutenir qu’il n’a commis aucune faute ; la question est donc de savoir si l’État peut engager sa responsabilité alors qu’il n’a, comme le souligne le rapporteur public, « aucun moyen de contraindre un tel établissement à accueillir un enfant », d’autant que dans une précédente affaire, le juge des référés du Conseil d’État a précisé que l’ARS, qui agit au nom de l’État, n’a pas plus les moyens d’imposer à un établissement médico-social la prise en charge d’une personne [18].
On perçoit ici la difficulté, encore, d’établir une imputabilité à l’État du préjudice allégué. Or, les subtilités juridiques et contentieuses doivent pouvoir, dans certains cas, s’effacer devant les faits et, oserait-on dire, une nécessité politique : un droit fondamental, le droit à l’éducation, n’est pas effectif pour plusieurs enfants souffrant de handicap, créant ainsi une discrimination difficilement acceptable et compréhensible pour la société. Dès lors, il semblerait « normal » qu’incombe à l’Etat l’obligation de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit ait un caractère effectif. La lecture des conclusions du rapporteur public apporte ainsi quelques réponses à la compréhension du raisonnement tenu par le Conseil d’État : l’ARS arrête, au nom de l’État, le projet régional de santé constitué notamment d’un schéma régional d'organisation médico-sociale ayant pour objet de prévoir et de susciter les évolutions nécessaires de l'offre des établissements et services médico-sociaux ; une carence de la part des structures (manque de place notamment) serait du fait de l’ARS, donc imputable à l’État.
Partant, la carence de l’État doit être considérée comme constitutive d’une faute.
Dès lors, la présente décision est remarquable à plusieurs titres. D’une part, elle semble créer une présomption de faute imputable à l’État dans le défaut de scolarisation d’un enfant handicapé résultant d’une absence de prise en charge conformément aux orientations décidées par la CDAPH. D’autre part, elle semble faire primer, par principe, la responsabilité de l’État, « dans une logique de guichet unique » [19] pour éviter aux parents de rechercher la responsabilité de chacun des établissements fautifs. Ainsi, elle s’inscrit dans un mouvement général d’évolution du droit de la responsabilité administrative, favorable aux victimes de préjudices liés à l’(in)action des pouvoirs publics dans la mise en œuvre effective de droits et tendant à la recherche d’une meilleure, et plus rapide, indemnisation, et où les maîtres-mots sont simplification et solvabilité.
Lexbase : La reconnaissance systématique d'une faute présumée de l'État en la matière ne pourrait-elle pas être porteuse d'éventuelles dérives ?
Raphaël Matta-Duvignau : Répondre précisément à cette question constitue un exercice très délicat car nous ignorons si la présomption de faute de l’État sera, dans les faits, systématiquement reconnue. Même si nous admettons cette hypothèse, nos propos seront essentiellement prospectifs et abstraits ; nous ferons ici de la « procédure fiction ».
En premier lieu, il convient de déterminer de quelles sortes de « dérives » il est question. S’agit-il, d’abord, d’une augmentation exponentielle du contentieux, dérivant ainsi vers un éventuel « contentieux de masse » ? Répondre n’est pas aisé car nous n’avons pas une connaissance précise du nombre d’élèves concernés par une telle faute présumée [20], mais peut-on parler de dérive lorsque l’on fait valoir des droits ? S’agit-il, ensuite, du montant élevé des indemnités que l’État serait amené à verser, induisant ainsi une charge exceptionnelle sur les deniers publics ? De la même manière, peut-on pertinemment exciper d’une charge supplémentaire sur les finances publiques quand l’État ne remplit pas ses obligations ? Or, l’État ne saurait s’exonérer de sa responsabilité pour des raisons budgétaires [21] et, en tout état de cause, l’article L. 351-1 du code de l’éducation impose à l'État de prendre en charge les dépenses nécessaires à la scolarisation des enfants handicapés. L’argument budgétaire ne résiste pas pour dénoncer d’éventuelles dérives. À ce stade de l’analyse, il ne semble pas opportun d’évoquer des dérives dans la mesure où la responsabilité de l'État est reconnue et avérée. Toutefois, d’autres hypothèses pourraient être mentionnées, en adoptant cette fois-ci un regard critique, voire cynique (que nous assumons) : d'un côté, l’effet « appel d’air » qui pourrait pousser des familles à « profiter » de la situation pour exiger une indemnisation en avançant des préjudices inexistants ou exagérés ; d’un autre côté, la « peur » de l’identification d’une faute pourrait entrainer une diminution des reconnaissances de la qualité d’handicapé [22], bloquant ainsi, en amont, tout recours ; enfin, le recrutement urgent et massif de personnels, au risque de recourir à des agents insuffisamment formés…
En deuxième lieu, il paraît intéressant d’envisager la stratégie contentieuse des familles concernées. Les évolutions de la procédure administrative contentieuse permettent d’imaginer le développement de recours collectifs : l’ action de groupe (CJA, art. L. 77-10-1 N° Lexbase : L4498LNW), d’abord, permet d’obtenir une indemnisation suite aux manquements ou fautes concernant notamment les discriminations et il ne fait aucun doute qu’un défaut de scolarisation en raison du handicap en constitue une ; l’action en reconnaissance de droits (CJA, art. L. 77-12-1 N° Lexbase : L1883LBD), ensuite, permet de reconnaître des droits individuels résultant de l'application de la loi ou du règlement en faveur d'un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt ; les enfants handicapés ne bénéficiant pas d’une scolarisation adaptée étant bien concernés.
En dernier lieu, il serait tout aussi pertinent de connaître et d’anticiper la réaction des pouvoirs publics : il est possible d’envisager la mise en place de mécanismes spécifiques pour réguler l’afflux de contentieux, comme des recours préalables obligatoires ou des dispositifs de médiation, de transaction, voire même des commissions d’indemnisation ad hoc…
Au final, ces éléments révèlent une incertitude sur les conséquences d’une telle décision. Il convient donc d’attendre et d’observer les décisions à venir. Nous pouvons souligner que le tribunal administratif de Nantes [23] a récemment confirmé la possibilité de faire condamner l’État pour faute en cas d’atteinte au droit à l’éducation dans enfant en situation de handicap. Peut-être assistons-nous à l’émergence d’un mouvement qui conduira les pouvoirs publics à répondre, non plus ponctuellement à un problème en ne traitant que les symptômes, mais de manière systémique et globale, en prenant en compte les causes initiales du problème et en associant tous les acteurs concernés, en clarifiant leurs compétences et responsabilités…bref, en adoptant les mesures nécessaires pour rendre effectif, pour tous les enfants, ce droit fondamental qu’est le droit à l’éducation.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] Sur l'égal accès à l'enseignement, v. Cons. const., décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001 N° Lexbase : O8714BAY, DDOSEC, cons. 33, Rec. 82.
[2] Cf. S. Monchambert, L’obligation scolaire, in Dictionnaire critique du droit de l’éducation, tome 1, enseignement scolaire (dir. P. Bertoni et R. Matta-Duvignau), Paris, 2022, Mare & Martin.
[3] Cf. H. Rihal, Ecole inclusive, in Dictionnaire critique du droit de l’éducation, op. cit. La plupart des éléments relatifs au cadre normatif de la scolarisation des élèves en situation de handicap sont tirés de cette notice.
[4] CAA Paris, 11 juillet 2007, n° 06PA01579 N° Lexbase : A5525DYB et 06PA02793 N° Lexbase : A5525DYB, AJDA, 2007. 2161, Concl. B. Foscheim, RDSS 2007, note H. Rihal, D. 2008, p 140, note E. Célestine.
[5] CASF, art. L. 114 N° Lexbase : L8905G8C.
[6] CASF, art. D. 312-10-13 N° Lexbase : L8292LWZ à D. 312-10-13-3.
[7] Rappelons également que la vie de l’enfant ne s’arrête pas à l’école proprement dite ; les communes prennent en charge les temps périscolaires (pause méridienne, garderies du matin et du soir, etc.), cf. CAA Nantes, 15 mai 2018, n° 16NT02951 N° Lexbase : A1951XQC, AJDA, 2018 p. 1546, Chron. E. Durup de Baleine.
[8] CE, 27 janvier 1988, n° 64076 N° Lexbase : A0264B8B, concl. Martine Laroque.
[9] CAA Paris, 11 juill. 2007, n° 06PA01579, préc.
[10] CE, 15 décembre 2010, n° 344729 N° Lexbase : A6803GNB, AJDA, 2010. 2453, RDSS, 2011. 176, AJDA, 2011. 858, note Prélot.
[11] CE, 8 avril 2009, n° 311434 N° Lexbase : A9544EE9, Recueil Dalloz, n° 18, 07/05/2009, p. 1208-1209. Les conclusions de Rémi Keller parues à l'AJDA n° 23 du 29 juin 2009, dont nous nous sommes inspirés, permettent de comprendre le cheminement intellectuel du Conseil d’État.
[12] P. Raimbault, La reconnaissance d’un droit subjectif à la scolarisation des enfants handicapés, Recueil Dalloz, 2009, p. 1508.
[13] TA Paris, 15 juillet 2015, n°s 1416868/1 N° Lexbase : A9651NME et s.
[14] T. confl., 18 octobre 1999, n° 03087 N° Lexbase : A5614BQY.
[15] T. confl., 11 décembre 2017, n° 4105 N° Lexbase : A5273XAK ; CE, 8 novembre 2019, n° 412440 N° Lexbase : A4260ZUC, RDSS, 2020, p. 168, concl. F. Dieu, AJDA, 2020, p. 1039, note H. Rihal.
[16] Pour s’exonérer partiellement ou totalement de sa responsabilité, l’État essaiera, probablement, de démontrer l’absence de démarches de la part des parents…
[17] R. Chambon, rapporteur public, conclusions sous CE, 19 juillet 2022, n° 428311, que nous avons pu nous procurer.
[18] CE, 1er août 2018, n° 422614 N° Lexbase : A9635XZU.
[19] Les mots du rapporteur public sont ici éloquents.
[20] D’après les chiffres fournis par Catherine Becchetti-Bizot, Médiatrice de l’Education nationale (rapport annuel de 2021) : 480 saisines liées à des problèmes de scolarisation d'élèves handicapés reçues en 2021 ; 400 000 élèves en situation de handicap seraient scolarisés en milieu ordinaire pour 125 500 accompagnants en 2021.
[21] CE, Sect., 26 novembre 1954, Lota, p. 622.
[22] Dans cette hypothèse, le risque d’une augmentation mécanique des recours contre les décisions de refus est grand…
[23] TA Nantes, 26 août 2022, n° 1912479 N° Lexbase : A99508EA.
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Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 17 octobre 2022, n° 428409 N° Lexbase : A60008PW
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N2971BZ3
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par Yann Le Foll
Le 19 Octobre 2022
► Le dépassement actuel et constant des seuils limites de pollution au dioxyde d’azote, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille, sans garantie d’amélioration à court terme, implique la condamnation de l’État à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros pour les deux périodes allant de juillet 2021 à janvier 2022 et de janvier à juillet 2022.
Rappel. Saisi par plusieurs associations de défense de l’environnement, le Conseil d’État a ordonné le 12 juillet 2017 à l’État de mettre en œuvre des plans pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) dans treize zones en France, afin de respecter la Directive européenne sur la qualité de l’air (CE, 1°-6° ch. réunies, 12 juillet 2017, n° 394254, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6547WMG). Constatant trois ans plus tard que les mesures prises étaient insuffisantes pour atteindre cet objectif, il a condamné l’État à agir, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard (CE, 10 juillet 2020, n° 428409, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A17963RX).
Le 4 août 2021, le Conseil d'État condamnait l’État à payer une première astreinte de 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021, observant que les seuils limites restaient dépassés dans cinq zones » (CE, 5°-6° ch. réunies, 4 août 2021, n° 428409, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A58514ZQ).
Situation actuelle. Pour les zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille, si la moyenne annuelle de concentration en dioxyde d’azote a globalement diminué en 2021 par rapport à 2019, les seuils limites y ont été dépassés sans que les mesures prises par le Gouvernement dans le secteur des transports (aides à l’acquisition de véhicules moins polluants, développement des mobilités dites douces, déploiement de bornes de recharge) et du bâtiment (interdiction des chaudières à fioul ou à charbon) ne précisent leurs conséquences concrètes dans ces territoires.
En outre, les nouvelles « zones à faibles émission mobilité » (ZFE-m) prévues par la loi « Climat et résilience » (loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R) ont vu leur mise en œuvre décalée ou effective avec plusieurs années de retard sur le calendrier initial.
Futur proche ? Si des procédures de révision de plusieurs plans de protection de l’atmosphère (PPA) ont été récemment engagées ou sont en voie de l’être, l’objectif de respect des seuils limites demeure très éloigné et n’est accompagné d’aucun élément permettant de considérer ces délais comme étant les plus courts possibles. Or, la date butoir pour respecter les valeurs maximales de concentration en dioxyde d’azote dans l’air ambiant était fixée par la Directive (CE) n° 2008/50, du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe N° Lexbase : L9078H3M, au 1er janvier 2010.
Décision. Il en résulte le fixement de l’astreinte au montant précité.
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N2996BZY
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par Lexbase Social
Le 19 Octobre 2022
Mots-clés : abandon de poste • démission • salarié • entreprise • droit du travail • contrat de travail
Dans le cadre des débats sur le projet de loi sur le marché du travail, un amendement a été déposé et adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022. Celui-ci prévoit que le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut alors saisir le conseil de prud’hommes.
Décryptage avec Loïc Lewandowski, Avocat associé au cabinet HOGO Avocats.
Cette interview est à écouter également en podcast sur Lexradio ici.
Lexbase Social : Tout d’abord, l’abandon de poste, qu’est-ce que c’est ?
L’abandon de poste est une situation dans laquelle un salarié ne se présente plus à son poste de travail, sans autorisation de l'employeur. L’abandon de poste est une non-présence continue au poste de travail, à distinguer de l’absence injustifiée. Il s’agit d’une situation d'absence continue dans laquelle l'employeur va être amené à demander au salarié de justifier son absence au poste.
Lexbase Social : Comment l’employeur doit-il réagir face à un abandon de poste ?
La réaction traditionnelle d’un employeur face à un abandon de poste est de demander, dans un premier temps, au salarié, de justifier de sa situation. En effet, en pratique, il peut arriver un élément de fait dans la vie personnelle du salarié ou alors des motifs impérieux qui pourraient expliquer que le salarié ne soit plus à son poste et qu'il n'ait pas encore eu l'opportunité de justifier de son absence. Ensuite, dans un objectif de sécurisation de la procédure, l’employeur peut envoyer une mise en demeure au salarié, voire deux. Si ces deux mises en demeure restent sans réponse, l’employeur peut alors engager l'ouverture d'une procédure de licenciement disciplinaire. C’est l’absence du salarié à l’intégralité de ces sollicitations qui permet de qualifier, en définitive, l’abandon de poste.
À noter également que cette procédure peut varier en fonction du tissu conventionnel dont relève l'entreprise. En effet, il peut y avoir des accords d'entreprise ou des conventions collectives de branche imposant des garanties de procédures particulières. On peut citer, par exemple, un nombre de mises en demeure à respecter ou encore un délai minimal à observer. Il faut également être attentif au règlement intérieur, puisque le but du règlement intérieur est justement d'encadrer tout le processus disciplinaire et donc, potentiellement, de se positionner sur la question de l’abandon de poste. Il est vrai qu’il est assez rare, aujourd’hui, d’observer dans un règlement intérieur des dispositions dédiées à l’abandon de poste. Elles sont généralement rattachées à la procédure disciplinaire et à la faute grave plus spécifiquement. Il est cependant possible pour un règlement intérieur de prévoir des garanties de procédures dérogatoires, notamment dans le cas spécifique de l’abandon de poste.
Lexbase Social : Que contient précisément l’amendement, adopté par l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi sur le marché du travail, visant à créer une présomption simple de démission en cas d'abandon de poste ? Quelle est sa finalité ?
La finalité, qui n'est pas du tout masquée, est de dire que ces salariés ont finalement une action positive sur le fait de ne plus se présenter à leur poste. Autrement dit, ils témoignent d’une intention de ne plus venir travailler. Ils ne sont plus dans une situation où il y a une privation volontaire d’emploi. Ce sont eux qui sont à l’initiative de cet abandon de poste. En conséquence, le but est de suspendre le versement des allocations de retour à l'emploi pour les salariés qui sont licenciés pour abandon de poste.
Quand on rentre un petit peu plus dans le détail du texte, on retient plusieurs points particuliers qui méritent d'être soulevés :
1° Le premier est la mention de la présomption de démission, qui apparait comme un bouleversement de l'équilibre juridique travailliste. Il n’a jamais existé par le passé de présomption de démission. C'est même l'inverse. On a toujours interdit, ou en tout cas prohibé, la notion de présomption automatique de démission. On peut prendre l'exemple de la prise d'acte à l’initiative du salarié qui existe depuis longtemps et dans laquelle il n’existe pas de présomption de démission pour le salarié qui ne se présente plus à son poste.
2° Le deuxième point important est le fait que le législateur fait un lien automatique entre la démission et l’absence de versement des allocations de retour à l'emploi. Or, il existe aujourd'hui des démissions qui permettent le bénéfice de ces allocations.
À ce propos, il faut rappeler que la question des allocations de retour à l'emploi est, en principe, une prérogative de la réglementation Unédic. C'est elle qui détermine si les allocations de retour à l’emploi sont versées, en fonction du cas de rupture.
3° Troisième point à mentionner, le texte fait référence à une procédure accélérée dans l’hypothèse où le salarié souhaite contester la présomption de démission. L'affaire est alors directement portée devant le bureau de jugement qui doit se prononcer sur la nature de la rupture dans le délai d'un mois.
Actuellement entre les mains du Sénat, le texte a fait l’objet de petites transformations. Tout d'abord, il est proposé l'ajout d'un nouvel article dans le Code du travail qui viendrait préciser que le licenciement pour abandon de poste n'est pas assimilable à une privation d’emploi involontaire. Ensuite, il est également prévu de simplifier davantage la procédure, en prévoyant que la mise en demeure restée sans réponse ferait finalement office de notification de licenciement. C'est-à-dire que la rupture du contrat de travail serait consommée dès l'absence de réponse à la première mise en demeure. À noter que c’est l’employeur qui portera la responsabilité de déclencher la rupture du contrat de travail.
Lexbase Social : Quelles sont les conséquences pratiques de l’adoption de cet amendement et les difficultés d’application que vous pouvez d’ores et déjà identifier ?
Effectivement, ce texte soulève plusieurs questions et incohérences.
1° D’un point de vue un peu plus théorique d’abord, la notion de présomption de démission vient bouleverser toute la construction juridique autour de la rupture unilatérale du contrat de travail. Jamais, dans le Code du travail, on a eu la possibilité de présumer d'une démission.
Il faut également noter que l'abandon de poste a toujours été observé sous l'angle de la faute grave. Dès lors, est-ce que cela n’aboutit pas à une nouvelle structure des motifs de rupture du contrat de travail pour motif personnel ? En effet, dans le cadre du licenciement pour motif personnel, le motif est disciplinaire ou non. Dans le motif disciplinaire, on a trois catégories de fautes : la faute simple, la faute grave et la faute lourde. Avec ce texte, un nouvel item viendrait se créer, propre au régime de l’abandon de poste. Est-ce que l'abandon de poste coexisterait alors avec les trois autres types de fautes ou, au contraire, est-ce que l'abandon de poste deviendrait un régime dérogatoire dans la faute grave ? Est-ce que, finalement, cela ne reviendrait pas à diviser la faute grave en deux : d’un côté l’abandon de poste, avec son propre régime et, de l’autre côté, la faute grave de droit commun qui elle, ouvre le droit aux allocations de retour à l’emploi ?
Ensuite, une autre interrogation repose sur le préavis à exécuter en cas de démission par le salarié. Si, demain, on vient faire présumer le statut de démissionnaire au salarié en abandon de poste, le salarié sera redevable d’un préavis alors que dans le cadre de l’abandon de poste, il n’y a pas de préavis.
Et puis, autre sujet important : la question du chômage. On peut imaginer que la réglementation Unédic vienne à être mise à jour et qu’elle prévoit que la présomption de démission ouvre droit aux allocations de retour à l’emploi pendant une durée de 30 jours, par exemple. Il y aura forcément à un moment donné une mise en cohérence qui sera faite entre la réglementation Unédic et le régime travailliste.
Enfin, en cas de mise en place de l’abandon de poste comme présomption de démission, il faut aussi relever une future reconstruction des outils et services informatiques. En pratique, je pense au paramétrage des logiciels et à la DSN. Pôle Emploi va également devoir mettre à jour l’intégralité de ses services pour créer ce régime particulier de l’abandon de poste.
2° D’un point de vue très opérationnel maintenant, les employeurs vont devoir opérer des modifications dans la gestion des abandons de poste ainsi qu’une mise à jour du règlement intérieur afin de s’adapter à ce nouveau régime de l’abandon de poste.
Autre difficulté à souligner : le cas où un salarié ne se présente plus à son poste de travail. Comme expliqué précédemment, l’employeur lui envoie alors une mise en demeure. À réception de celle-ci, le salarié se présente à son travail, mais il ne revient pas travailler le lendemain. Il n’agit pas ici d’un abandon de poste, mais d’absences injustifiées qui relèvent de la faute grave. Or, c’est un motif qui aujourd’hui, dans le texte, n’est pas assimilable à une présomption de démission.
Il ne faut pas oublier qu’en pratique, certains abandons de poste ont lieu parce que les salariés ne veulent tout simplement plus venir travailler. Mais il existe également des abandons de poste liés à de mauvaises conditions de travail ou encore à des difficultés relationnelles. De nombreux cas existent concernant l'origine et l'initiative de l'abandon de poste et, à la fin, c’est à l’employeur que revient la tâche de présumer que le salarié est démissionnaire. C’est lui qui doit porter la responsabilité et prendre le risque devant le conseil de prud’hommes s’il y a un débat contentieux.
Selon moi, ce n’est pas à l’employeur de porter la responsabilité du droit au chômage de ses salariés. Dans ces conditions, pourquoi la rupture conventionnelle à l’initiative du salarié permettrait une meilleure indemnisation chômage que dans le cas, justement, de l'abandon de poste ou le salarié a quitté son poste parce qu’il était dans un environnement toxique par exemple et qu’il ne supportait plus de venir au travail la boule au ventre.
Enfin, je trouve cela étrange que nous n’ayons pas de lecture de la volumétrie de cette situation dans les ruptures du contrat de travail. Quand on regarde les relevés Insee de l’année dernière, qui listent statistiquement le nombre de ruptures du contrat de travail en pourcentage, les ruptures pour motif personnel sont particulièrement dérogatoires. Plus de 50 % des ruptures en France sont des démissions. L’abandon de poste n’est lui-même qu’une petite quote-part de la faible quote-part de la rupture pour motif personnel. Nous sommes donc en train de bouleverser l’équilibre de la rupture unilatérale du contrat de travail pour créer ce nouveau régime de la présomption de démission alors que nous n’avons pas de données sur la volumétrie. À aucun moment les parlementaires n’ont abordé cette question.
Voilà pourquoi j’ai des doutes sur le fait qu’en l’état, le texte puisse passer le contrôle constitutionnel. Il y a trop de failles dans le dispositif tel qu'il est réfléchi et tel qu'il est conçu.
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Réf. : Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-15.382, F-B N° Lexbase : A55138NI
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N2947BZ8
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par Perrine Cathalo
Le 18 Octobre 2022
► Les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.
Faits et procédure. Le 13 mai 2011, une personne physique a été nommée directeur général d’une société par actions simplifiée par décision de son associé unique. Ce dernier l'a révoqué de ces fonctions par décision du 17 décembre 2014.
Considérant que sa révocation était intervenue sans juste motif, le directeur général a assigné l’associé unique en paiement d'une indemnité.
Par décision du 18 février 2021, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-9, 18 février 2021, n° 20/00654 N° Lexbase : A69504HU) l’a débouté de sa demande tendant à la condamnation de l’associé unique à lui payer des dommages et intérêts en raison de la révocation sans juste motif de son mandat social. C’est dans ces conditions que le directeur général a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Décision. Aux termes de son arrêt du 12 octobre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi du directeur général au visa des articles L. 227-1 N° Lexbase : L2397LR9 et L. 227-5 du Code de commerce N° Lexbase : L6160AIY, selon lesquels les statuts de la SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Ainsi, les juges de la Cour de cassation rappellent que si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.
Or, en l’espèce, l’article 12 des statuts de la SAS affirme non seulement que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’aucun motif soit nécessaire, par décision de la collectivité des associés ou de l’associé unique », mais encore que « [l]a cessation, pour quelque cause que ce soit et qu’elle qu’en soit la forme, des fonctions de directeur général, ne donnera droit au directeur général révoqué à aucune indemnité de quelque nature que ce soit. »
En conséquence, la Cour de cassation considère que l’acte extra-statutaire intervenu entre le directeur général de la SAS et l’associé unique qui prévoyait, en cas de révocation pour juste motif, une indemnité forfaitaire égale à six mois de la rémunération brute, est sans incidence sur les modalités de révocation du directeur général fixées par les statuts de la société.
Observations. Cette décision permet à la Cour de cassation de réaffirmer la prééminence des statuts dans la détermination des conditions dans lesquelles les dirigeants de SAS peuvent être révoqués de leurs fonctions. En particulier, après avoir admis que le directeur général d’une SAS pouvait être révoqué sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif, dès lors que les statuts ne subordonnent pas la révocation du dirigeant à une telle condition (Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4), la Cour de cassation précise désormais qu’aucun acte extra-statutaire ne peut déroger aux dispositions statutaires qui viennent encadrer la révocation du dirigeant.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. com., 21 septembre 2022, n° 19-26.203, FS-B N° Lexbase : A25348K3
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N2960BZN
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par Nadège Jullian, Professeur de droit privé, Université Toulouse 1 Capitole, Centre de droit des affaires
Le 18 Octobre 2022
Mots-clefs : qualité d’associé • conjoint • revendication • affectio societatis • autonomie professionnelle
La Cour de cassation apporte, dans cet arrêt, trois précisions relatives à la possibilité pour un époux de revendiquer la qualité d'associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises à partir de deniers communs. D’une part, la société n'est pas recevable à se prévaloir de l'atteinte que la revendication serait susceptible de porter à l'autonomie professionnelle de l'autre époux. D’autre part, l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la revendication par un époux de la qualité d'associé. Enfin, la Cour précise que la renonciation à la revendication peut être tacite.
L’article 1832-2 du Code civil N° Lexbase : L2003ABS poursuit un objectif louable : protéger l’époux non-souscripteur ou non-acquéreur de parts sociales non négociables lorsque les droits sociaux ont été acquis par son conjoint à l’aide de deniers communs. Ainsi lui offre-t-il un droit à l’information et la possibilité de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des titres acquis. Toutefois, on constate en pratique que le droit de revendication peut se transformer en arme entre les mains de l’époux lorsque des difficultés naissent au sein du couple, conduisant certains à en proposer la modification [1]. En effet, la faculté de revendiquer la qualité d’associé en permettant l’intrusion de l’époux dans la société, entraîne parfois la désorganisation de la société, voire sa paralysie et sa mise à mort. L'arrêt du 21 septembre 2022 semble, de prime abord, laisser naître un espoir pour tous les époux imprudents, autrement dit ceux qui n’auraient pas obtenu la renonciation expresse de leur époux et ne seraient plus dans une situation leur permettant aujourd’hui de l’obtenir : la renonciation peut être tacite.
En l’espèce, deux personnes avaient contracté mariage le 17 juillet 1970 sans établir au préalable de contrat, leur union relevait ainsi du régime de la communauté réduite aux acquêts. Des années plus tard, le 13 juin 2007, l'époux avait revendiqué le bénéfice des dispositions de l'article 1832-2 du Code civil et notifié à la société, une SARL, dont son épouse était la gérante, son intention d'être personnellement associé à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l'apport que cette dernière avait effectué. L’épouse refusant de lui communiquer les comptes de la société, il l'avait alors assignée en justice, ainsi que la société, aux fins de voir constater qu'il avait la qualité d'associé depuis juin 2007 et ainsi obtenir la communication de certains documents sociaux.
Le 29 août 2019, la cour d'appel d’Aix-en-Provence [2] avait reconnu la qualité d'associé au conjoint non apporteur depuis le 13 juin 2007 et ordonné à la société de lui communiquer les bilans, les comptes de résultat, les rapports de gestion et les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires relatives aux exercices sociaux de 2014 à 2017. Les juges avaient également rappelé que la renonciation du conjoint non apporteur à sa faculté de revendiquer ne pouvait être qu’expresse, de sorte qu'aucune renonciation tacite n’avait pu avoir lieu. La société avait formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle va tout d’abord sommairement écarter l’argument selon lequel la revendication porterait atteinte à l'autonomie professionnelle de l'époux, protégée par les articles 223 N° Lexbase : L2395ABC et 1421, alinéa 2 N° Lexbase : L1550ABZ, du Code civil (I). Puis, elle énonce que « l’affectio societatis n'est pas une condition requise pour la revendication, par un époux, de la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2 du Code civil » (II). Enfin, au visa de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L1234ABC, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la Cour rappelle que « la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent de façon non équivoque la volonté de renoncer ». Ainsi la cour d'appel a-t-elle violé le texte susvisé en retenant que la renonciation à exercer la faculté de revendication devait être expresse et non équivoque et ne pouvait être tacite (III). Chacune de ces précisions mérite ainsi que l'on s'y attarde.
I. L’incidence incertaine du principe d’autonomie professionnelle
La société invoquait à l'appui de son pourvoi le principe d'autonomie professionnelle des époux. Elle estimait ainsi que, les parts sociales étant pour l'épouse « le support nécessaire de son activité professionnelle », cet élément devait faire obstacle à la faculté de revendication de la qualité exercée par l’époux. La Cour de cassation écarte cet argument estimant que la société n'est pas recevable à se prévaloir de l'atteinte que la revendication serait susceptible de porter aux droits de l'épouse car les articles 223 et 1421, alinéa 2, du Code civil ont pour seul objet de protéger les intérêts de l'époux exerçant une profession séparée.
L’arrêt ne dit en conséquence rien de ce qu’aurait été la solution si cet argument avait été soulevé par l’épouse. Néanmoins, il nous semble que la revendication de la qualité d’associé par l’époux pour la moitié des parts n’aurait pas remis en cause l’autonomie professionnelle de l’épouse si bien que cet argument n’aurait pu prospérer, même s’il avait été soulevé par l’épouse.
Dans cette affaire, l’épouse exerçait dans la société son activité de transporteur routier et les parts, comme la qualité d’associé, n’étaient nullement nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle qu’elle pouvait poursuivre après la revendication de son époux. De plus, quand bien même les parts et la qualité d’associé auraient été nécessaires à l’exercice de sa profession – ce qui peut être le cas dans certaines sociétés, on pense notamment à certaines SCP –, la revendication par l’époux n’entraîne ni la perte de la qualité d’associé de l’épouse, ni la fin de son activité au sein de la société. L’épouse demeurait associée, bien qu’elle ait, à compter de la revendication, à composer avec la présence d’un nouvel associé : son époux. Son autonomie professionnelle n’était donc pas atteinte par la revendication, et ce en raison de la personnalité juridique de la SARL. En effet, les biens nécessaires à l’activité professionnelle de l’épouse étaient déjà la propriété de la société et l’activité était exercée dans la société. En outre, la propriété des droits sociaux était déjà entre les mains des deux époux en raison de la nature commune des parts. Restait uniquement la question de la qualité d’associé. Sur ce point, l’attribution à l’époux de cette qualité n'entravait pas l’autonomie de l’épouse dans la société. Elle limitait en revanche l’autonomie de l’épouse comme associée, lors des prises de décision sociale, éventuellement. Cependant, cette activité d’associé ne relève pas de la notion d’autonomie professionnelle. L’existence de la personnalité de la société semble ainsi faire obstacle à l’application du principe d’autonomie professionnelle sur des biens appartenant à la société.
Aussi convient-il de conseiller aux époux, envisageant d’exercer leur activité professionnelle sous la forme sociétaire, de prévoir une clause d’agrément visant expressément l’hypothèse de la revendication postérieure à l’acquisition ou la souscription des parts sociales. En effet, si la Cour de cassation est venue limiter les possibilités de revendication d'un époux en interprétant l'article L. 221-13 du Code de commerce N° Lexbase : L0083LTA d'une manière assez surprenante en matière de SNC, il y a fort à craindre que cette solution ne soit pas de mise en présence d’une clause d’agrément statutaire [3]. Il faut donc viser précisément l’hypothèse de la revendication dans les statuts.
II. L’inefficacité de l’affectio societatis contre l’époux revendiquant
Le deuxième argument de l'auteur du pourvoi était qu’en vertu des articles 1832, 1833 N° Lexbase : L8681LQL et 1832-2 N° Lexbase : L2003ABS du Code civil, « seul peut revendiquer la qualité d'associé d'une société, celui qui est animé d'une volonté réelle et sérieuse de collaborer activement et de manière intéressée dans l'intérêt commun, avec les autres associés, à la réalisation de l'objet social ». Cet argument est jugé non fondé par la Cour qui répond que « l’affectio societatis n'est pas une condition requise pour la revendication, par un époux, de la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2 du Code civil ».
C’est à notre connaissance la première fois que la Cour retient cette solution [4] et le refus de ce moyen nous paraît légitime. Dès lors que les conditions posées à l’article 1832-2 du Code civil étaient réunies et qu’elles n’imposaient pas la démonstration d’un affectio societatis, il est heureux que la Cour n’ajoute pas une condition supplémentaire. Toutefois, dans le cas présent, il semblait, en toutes hypothèses, difficile de ne pas identifier chez l’époux un affectio societatis. Ainsi, si ce critère nébuleux avait été exigé, l’époux l’aurait rempli avec succès. En effet, lorsque l’époux manifeste son désir de devenir associé en revendiquant la qualité d’associé, qu’exiger de plus de lui pour identifier un affectio societatis ? L’affectio societatis, défini comme la volonté de participer au pacte social, « n’intègre pas les mobiles personnels de l’associé, qui restent en principe extérieurs à l’engagement » [5]. Le fait que l’époux choisisse fréquemment de revendiquer lorsque le couple est en voie de désunion ne permet donc pas d’exclure qu’il existe de sa part un affectio societatis. En l’espèce, le fait que l’époux souhaite accéder aux bilans et comptes sociaux de la société démontre d’ailleurs qu’il possédait bel et bien la volonté de participer au pacte social et de s’intéresser aux affaires de la société. Ses mobiles personnels sont au contraire plus incertains.
III. L’admission de la possibilité d’une renonciation tacite
Enfin, et là réside pour le praticien le point le plus stimulant, l'auteur du pourvoi estimait « qu’en l'absence de disposition légale contraire, la renonciation à un droit n'est soumise à aucune condition de forme ». Partant, toujours selon la société, la renonciation à la possibilité de revendiquer la qualité d’associé par l’époux peut être tacite.
Ce dernier moyen conduit la Cour de cassation à censurer l’arrêt d'appel, au visa de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. La Cour de cassation affirme que « la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ». Ainsi, la cour d'appel qui, pour dire que l'époux avait acquis la qualité d'associé, avait retenu que « si l'époux peut renoncer, lors de l'apport ou de l'acquisition des parts par son conjoint, ou ultérieurement, à exercer la faculté qu'il tient de l'article 1832-2, alinéa 3, du Code civil, c'est à la condition que cette renonciation soit expresse et non équivoque et que la renonciation tacite dont se prévalent [l’épouse] et [la société] ne suffit pas à faire obstacle au droit de [l’époux] d'exercer cette revendication », a violé l'article 1134 dans sa rédaction antérieure.
La solution mérite d’être approuvée. En effet, classiquement définie comme « l’acte de disposition par lequel une personne – abandonnant volontairement un droit déjà né dans son patrimoine […] – éteint ce droit (renonciation à une créance, à un usufruit, à une servitude) ou s'interdit de faire valoir un moyen de défense ou d'action » [6], la renonciation est un acte abdicatif [7] devant être certain en raison de sa gravité [8]. Cependant, aucune forme n’est imposée en principe, de sorte qu’en l’absence de disposition légale expresse ou conventionnelle [9], la renonciation peut être tacite.
Toutefois, pour être certaine lorsqu’elle est tacite, la renonciation doit nécessairement être non équivoque. Cette exigence, rappelée par la Cour dans son attendu de principe, supposera l’existence de circonstances particulières que les juges devront vérifier. En l’espèce, tel était peut-être le cas. L’arrêt d’appel nous apprend que les époux avaient un temps exploité ensemble une entreprise individuelle ayant deux activités, avant de constituer deux sociétés dont chacun était l’associé et le gérant sans que l’autre revendique la qualité [10]. En somme, les époux, communs en biens, avaient créé deux sociétés, une pour chaque activité et surtout une pour chacun, conservant en conséquence une certaine liberté en tant qu’associé et gérant, qui ne se confond pas avec l’autonomie professionnelle. Ils auraient alors, tacitement et réciproquement, renoncé à revendiquer la qualité d’associé dans la société de l’autre. Finances communes des parts sociales des deux sociétés et titres d’associé propres à chacun auraient alors été leur credo ! La cour d’appel de renvoi devra donc désormais vérifier si la renonciation tacite existait et était bien non équivoque.
Sur le plan théorique, la solution est conforme aux règles régissant la renonciation à un droit. Sur le plan pratique, l’arrêt paraît apporter un sauf-conduit à tous ceux qui n’auraient pas obtenu de renonciation expresse de la part de leur époux lors de la souscription ou de l’acquisition de parts sociales communes et qui ne seraient pas en mesure d’insérer dans les statuts de clause d’agrément de nature à faire obstacle à la revendication… mais en apparence seulement car cette échappatoire suppose que les circonstances soient de nature à démontrer que l’époux a eu, par le passé, la volonté certaine de renoncer à revendiquer la qualité d’associé, de sorte qu’il ne dispose désormais plus de ce droit, peu important qu’il ait depuis changé d’avis. Et la preuve de cette volonté sera, il nous semble, difficile à rapporter.
Le contentieux de la revendication ne se tarira donc pas à l’avenir malgré la reconnaissance de la possibilité d’une renonciation tacite à la revendication de la qualité d’associé. Il serait donc peut-être temps pour le législateur, à l’instar de la doctrine, de s’interroger sur la légitimité de ce droit et son avenir. Certains auteurs ont pu proposer la suppression pure et simple de ce droit [11] et le récent congrès des notaires émet une proposition en ce sens également [12], d’autres aspirent à une approche restrictive du texte [13]. Pour notre part, il nous semble que l’instauration d’un délai de deux ans pour exercer son droit de revendiquer la qualité d’associé pour l’époux [14] serait une mesure de nature à éviter que ce droit ne devienne un instrument de chantage… parfois mortel pour la société [15].
[1] Rapport de la fédération nationale de droit du patrimoine, à paraître JCP N 2022, N. Kilgus, N. Jullian, R. Mortier et Cl. Farge.
[2] CA Aix-en-Provence, 29 août 2019, n° 18/16573 N° Lexbase : A1051ZMU.
[3] La Cour de cassation a pu juger qu'il résulte d'une combinaison des articles 1832-2, alinéa 3, du Code civil N° Lexbase : L2003ABS et L. 221-13 du Code de commerce N° Lexbase : L0083LTA que la revendication de la qualité d'associé par le conjoint d'un associé en nom, bien que ne constituant pas une cession, est subordonnée au consentement unanime des autres associés qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales : Cass. com., 18 novembre 2020, n° 18-21.797, FS-P+B+R N° Lexbase : A512037R ; Dr. sociétés, 2021, comm. 3, note R. Mortier ; Dr. sociétés, 2021, comm. 6, note J.-F. Hamelin ; JCP E, 2020, act. 832 ; JCP G, 2021, 232, comm. D. Gibirila ; Rev. sociétés, 2021, p. 185, obs. E. Naudin ; GPL, 30 mars 2021, p. 78, note D. Gallois-Cochet ; Bull. Joly Sociétés, janvier 2021, p. 34, obs. S. Tisseyre ; F. Julienne, Lexbase Affaires, décembre 2020, n° 659 N° Lexbase : N5723BYM.
[4] La Chambre commerciale a, en revanche, déjà retenu que « l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux » : Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-22.296, F-P+B N° Lexbase : A5797KGS, Dr. sociétés, 2013, comm. 175, note R. Mortier ; Bull. Joly Sociétés, octobre 2013, n° 110t9, p. 624, note P. Le Cannu ; JCP E, 2013, 1527, note B. Dondero ; Gaz. Pal., 27 juin 2013, n° 178, p. 26 ; D., 2013, p. 1546.
[5] M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 2022, 35ème éd., p. 92, n° 252.
[6] Vocabulaire juridique Henri Capitant, « Renonciation ».
[7] Elle peut être translative et est alors qualifiée parfois de cession à titre onéreux, notamment sur le plan fiscal : Th. Tarroux, La renonciation à usufruit : aspects fiscaux, Dr. Fiscal, 2008, n° 29, 412 ; A. Chamoulaud-Trapiers, fasc. Usufruit – Règlements consécutifs à l’extinction de l’usufruit, n° 473 et s., Rép. Civ. Dalloz, 2012.
[8] Cass. Req., 2 février 1852, DP. 1852, 1, 33 – Cass. Req. 16 mars 1870, DP 1870, 1, 329 – Cass. com., 1er juillet 2008, n° 07-17.786, F-P+B N° Lexbase : A4959D9K, AJ Famille, 2008, 434.
[9] Cass. com., 1er juillet 2008, n° 07-17.786, préc., D., 2008, 2079 ; AJ fam., 2008, 434, obs. V. A.-R – Cass. civ 3, 9 septembre 2021, n° 20-14.189, F-D N° Lexbase : A255744H, D. Actualité, note C. Dreveau.
[10] CA Aix-en-Provence, 29 août 2019, n° 18/16573, préc..
[11] A. Rabreau, Plaidoyer pour la suppression de l'article 1832-2 du Code civil, in Mélanges en l'honneur du professeur Michel Germain, LexisNexis-Lextenso, 2015, p. 697.
[12] Proposition du 118e congrès des notaires de France, 2022 : Pour une harmonisation du régime juridique des « droits sociaux » non cotés.
[13] E. Naudin, Champ d'application de l'article 1832-2 du Code civil : pour une approche restrictive, JCP N, 2015, 1193.
[14] Rapport de la fédération nationale de droit du patrimoine, à paraître JCP N 2022, N. Kilgus, N. Jullian, R. Mortier et Cl. Farge.
[15] Sur la dissolution pour mésentente entre associés : Cass. civ. 3, 17 novembre 2021, n° 19-13.255, F-D N° Lexbase : A47357CD, Dr. sociétés, février 2022, n° 2, comm. 15, note N. Jullian ; Bull. Joly Sociétés, février 2022, n° BJS200r7, note E. Guégan.
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Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 11 octobre 2022, n° 464561, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A60428N4
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par Marie-Claire Sgarra
Le 21 Octobre 2022
► Nouvel arrêt du Conseil d’État en matière de TVA sur marge. Cette fois-ci, le Conseil d’État devait déterminer si des cessions de terrains à bâtir issus de la division parcellaire de terrains bâtis pouvaient bénéficier de ce régime.
Les faits :
Principes :
Solution du Conseil d’État. « En se fondant, pour juger que les terrains à bâtir objets des cessions en litige avaient été acquis en cette même qualité par la société auprès de leurs anciens propriétaires, sur la seule circonstance que la division parcellaire dont ces terrains procédaient avait été autorisée de façon suffisamment précise et détaillée préalablement à cette acquisition, sans rechercher s'il ressortait des actes de vente que ces terrains avaient été acquis par la société comme terrains à bâtir, distinctement des terrains supportant des constructions, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ».
L’arrêt de la CAA de Bordeaux est annulé.
Précisions. Cet arrêt du CE est une application de la jurisprudence « Promialp » en date du 27 mars 2020 par lequel le Conseil d’État s’est prononcé en faveur d’une condition d’identité entre l’acquisition et la revente du bien. (CE, 3°-8° ch. réunies, 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A42573KU). Lire en ce sens, D. Falco, TVA sur la marge en matière immobilière : la condition d’identité validée par le Conseil d’État, Lexbase Fiscal, mai 2021, n° 865 N° Lexbase : N3279BY4. Cette condition d’identité avait été confirmée par la CJUE dans un arrêt du 30 septembre 2021 (CJUE, 30 septembre 2021, aff. C-299/20, Icade Promotion SAS N° Lexbase : A776147L). Lire en ce sens, P. Pradeau, O. Galerneau et M. Mahtout, L’application du régime de la TVA sur la marge en matière de TVA immobilière – un régime enfin examiné par le juge de la CJUE, Lexbase Fiscal, octobre 2021, n° 880 N° Lexbase : N8987BYI. Pour aller plus loin : W. Stemmer et D. Colin, TVA sur la marge immobilière : quelles jurisprudences après la décision « Promialp » ?, Lexbase Fiscal, mai 2020, n° 865 N° Lexbase : N7588BYP. |
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 12 mai 2022, n° 416727, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A82907WX
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par Sabrina Le Normand-Caillère, Maître de conférences HDR en droit privé, Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité, Université d’Orléans
Le 19 Octobre 2022
Mots-clés : TVA • TVA sur marge • Directive TVA • immobilier • terrains à bâtir
1. La saga liée à la TVA sur marge en matière de terrains à bâtir n’en finit pas. Elle suscite une insécurité juridique pour les professionnels de l’immobilier. Au regard du contentieux suscité en droit interne et de la divergence d’interprétation des textes selon les différents acteurs, la saisine à titre préjudiciel de la Cour de justice de l’Union européenne semblait intéressante pour clore définitivement le débat. Son intervention dans l’affaire Icade promotion immobilière ne semble pas avoir eu l’effet escompté. Bien au contraire, la décision du 30 septembre 2021 (CJUE, 30 septembre 2021, aff. C-299/20, Icade Promotion SAS N° Lexbase : A776147L) a suscité davantage de questions qu’elle ne semble y résoudre. Dans cet arrêt à commenter du 12 mai 2022, les hauts magistrats en tirent les conséquences en droit interne...
…Mais sans refermer la boite de Pandore [1].
2. Pour bien comprendre le débat, revenons sur ses éléments essentiels et notamment les fondements juridiques. Des difficultés d’interprétation de l’article 268 du Code général des impôts N° Lexbase : L4910IQW se sont cristallisées autour du sort particulier de la vente de terrains à bâtir issus de la division d’un ensemble immobilier, comportant du bâti, acquis par le professionnel de l’immobilier auprès d’une personne n’agissant pas en tant qu’assujettie et partant située hors du champ d’application de la TVA. En application de l’article 268 du Code général des impôts, sont concernées par la TVA sur marge les livraisons « d'un terrain à bâtir, ou d'une opération mentionnée au 2° du 5 de l'article 261 N° Lexbase : L8934MCU pour laquelle a été formulée l'option prévue au 5° bis de l'article 260 N° Lexbase : L6023ISU, si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ». Deux conditions sont exigées par le texte. La première tient au bien immobilier. Se trouvent visés par la TVA sur marge les terrains à bâtir et les immeubles achevés depuis plus de cinq ans. La seconde tient à l’ouverture du droit à déduction lors de l’acquisition du bien. Cette condition est superfétatoire dans notre hypothèse dans la mesure où le bien a été acquis à des particuliers.
3. Dans son interprétation des textes, l’administration fiscale a rajouté un critère supplémentaire aux conditions exigées expressément par l’article 268 du Code général des impôts. Elle exige également une identité de qualification entre le bien acquis et le bien vendu. Ainsi, elle refuse toute TVA sur marge pour les cessions de biens ayant changé de qualification juridique entre la date de leur acquisition et celle de leur livraison par l’assujetti. Se trouve ainsi exclue du champ d’application de la TVA sur marge la vente d’un terrain à bâtir issu de la démolition d’un immeuble. Il en est de même de la cession d’un immeuble, plus de cinq années après son achèvement, par un investisseur qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage. Une telle cession doit donc selon l’administration fiscale être soumise à la TVA sur le prix total de la vente [2].
4. Des réponses ministérielles vont même plus loin. À les lire, « la mise en œuvre de ce régime dérogatoire prévu à l’article 268 du CGI suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique » [3]. En conséquence, au critère de l’identité de qualification juridique et fiscale serait adjoint un autre critère, celui de l’identité physique des immeubles concernés. Cette position peut surprendre dans la mesure où ces exigences n’apparaissent pas expressément à l’article 268 du code général des impôts. Pour l’administration fiscale, l’absence de de mention dans le texte ne serait pas déterminante dans la mesure où cette exigence serait implicite, résultant de l’essence même du texte.
5. Les juridictions administratives ont toutefois opté pour une position divergente. Dans une autre affaire que celle commentée, le tribunal administratif de Grenoble a expressément condamné cette interprétation [4]. Selon les juges, « l’application de la taxe sur la valeur ajoutée en matière de livraison de terrains à bâtir est conditionnée au seul fait que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée » et « que contrairement à ce que soutient l’Administration, il ne ressort pas de ces dispositions que les terrains revendus comme terrains à bâtir doivent nécessairement avoir été acquis comme terrain n’ayant pas le caractère d’immeuble bâti ; que, dès lors le fait pour la société requérante de procéder à la vente de terrains à bâtir issus d’acquisition portant sur des immeubles bâtis et leurs terrains d’assiette ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de l’article 268 précitées ». Malgré ce jugement, une réponse ministérielle du 7 septembre 2017 [5] exclut publiquement tout réexamen de la question. Elle maintient la position de l’administration fiscale. De cette réponse, il résulte que « la mise en œuvre de ce régime dérogatoire au principe selon lequel la TVA est calculée sur le prix total suppose ainsi nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique ». En conséquence, toute modification du bien intervenue entre l’acquisition et la revente obligerait à liquider la TVA sur le prix de vente et non sur la marge. Le 20 novembre 2017 [6], le tribunal administratif de Marseille a sanctionné à nouveau la position de l’administration fiscale.
6. Pour mettre fin au débat sur la TVA sur marge, une réponse ministérielle a de nouveau été adoptée le 17 mai 2018 [7] afin d’assurer la sécurité juridique des professionnels de l’immobilier et notamment des opérations conclues par les lotisseurs. Elle renonce expressément au critère de l’identité physique imposé par les réponses ministérielles antérieures mais maintient l’exigence de qualification juridique. Elle énonce ainsi que « compte tenu des difficultés d'application suscitées par la publication de ces commentaires sur l'identité physique et afin de rétablir la sécurité juridique des opérations d'aménagement foncier, il est admis, y compris pour les opérations en cours, dans le cas de l'acquisition d'un terrain ou d'un immeuble répondant aux conditions de l'article 268 du CGI qui n'a pas ouvert droit à déduction par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente en plusieurs lots, que ces ventes puissent bénéficier du régime de la marge dès lors que seule la condition d'identité juridique est respectée ».
7. Pour tenter d’offrir davantage de sécurité juridique aux professionnels de l’immobilier, et notamment aux promoteurs, le Conseil d’État a saisi, par une décision du 25 juin 2020 [8], la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur le régime de TVA applicable avant la réforme du 11 mars 2010 [9]. Bien qu’interrogée sur le régime ancien de la TVA immobilière, le raisonnement te nu par la Cour de justice de l’Union européenne serait transposable au régime actuel.
Deux questions ont ainsi été posées : d’une part, le régime de la TVA sur marge trouve-t-il à s’appliquer « lorsque les terrains, acquis non bâtis, sont devenus entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir » ? ; d’autre part, le régime de la TVA sur marge s’applique-t-il « lorsque ces terrain ont fait l’objet entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur dessert par divers travaux ?
S’agissant de la première question, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que la TVA sur marge était applicable aux livraisons de terrain à bâtir dans deux situations : d’une part, lorsque l’acquisition du terrain revendu a été soumise à la TVA et que l’assujetti-revendeur n’a pas été en mesure de déduire cette TVA ; d’autre part, dans l’hypothèse de l’acquisition d’un terrain à bâtir non assujetti à la TVA si le vendeur initial avait inclus au prix de vente un montant de TVA qu’il n’avait pas été en mesure de déduire. En dehors de ces deux hypothèses, le régime de la TVA sur marge ne pourrait s’appliquer à des livraisons de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à TVA. Par cette prise de position, la Cour de justice limite fortement l’application de la TVA sur marge. Ainsi, lorsque l’acquisition du terrain a été réalisée par l’acheteur-revendeur en exonération de TVA ou se retrouvait hors du champ d’application de la TVA, sa revente ne devrait plus pouvoir bénéficier de la TVA sur marge sauf s’il peut être établi que le vendeur n’avait pu déduire la TVA au titre du bien immobilier. Sur ce point la position de la Cour de justice de l’Union européenne est davantage restrictive en comparaison à celle de l’administration fiscale.
S’agissant de la deuxième question, la cour a jugé que si le régime de la TVA est bien conditionné à une qualification juridique identique du bien lors de son acquisition et de sa revente, il n’est en revanche pas exigé un maintien de son identité physique. Un acheteur-revendeur peut ainsi lotir un terrain sans que cette division parcellaire ne fasse obstacle à l’application du régime de la TVA sur la marge lors des différents lots. La TVA sur marge ne s’appliquera pas à la revente d’un immeuble bâti acquis en terrain à bâtir. A cet égard, la position de l’administration fiscale allait déjà en ce sens depuis que les réponses ministérielles avaient délaissé le cumul de l’identité juridique et fiscale.
Cette décision « Icade Promotion SAS » du 30 septembre 2021 est importante à plus d’un titre [10]. Si elle confirme que le changement de caractéristiques physiques du terrain à bâtir entre son acquisition et sa revente (division, viabilisation) n'est pas un obstacle à la TVA sur marge, la Cour adopte en revanche une interprétation restreinte de la notion d'acquisition n'ayant pas ouvert droit à déduction de TVA, condition d'application de la TVA sur marge. Cette interprétation, lorsqu'elle sera intégrée au BOFiP, réduira considérablement les hypothèses de TVA sur marge.
Afin de sécuriser les professionnels de l’immobilier, le ministre de l’Économie a apporté des précisions par une réponse ministérielle prenant acte de la décision « Icade Promotion SAS » [11]. Après que le juge national aura tranché le litige national en cours, en concertation avec les acteurs du secteur de l'immobilier, l'administration tirera les conséquences de cet arrêt de la Cour par une mise à jour de ses commentaires publiés au Bulletin officiel des finances publiques – impôt (BOFiP-I) sous la référence BOI-TVA-IMM-10-20-10. Selon le ministre, « aussi longtemps que cette mise à jour n'est pas intervenue, les assujettis revendeurs bénéficient pleinement de la garantie prévue par les dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales (LPF). Cette garantie permet au contribuable de bonne foi de se prévaloir de l'interprétation faite par l'administration d'un texte, même contraire au droit de l'Union tel que précisé par la jurisprudence de la CJUE. En outre, cette garantie interdit à l'administration fiscale de remettre en cause l'application par un redevable d'un texte fiscal effectuée conformément à l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportées à la date des opérations en cause (CE Contentieux, 8 mars 2013, n° 353782, publié au recueil Lebon, avis « Monzani » N° Lexbase : A3210I9R). Enfin, le Gouvernement entend préciser que cette mise à jour de la doctrine fiscale n'aura pas vocation à remettre en cause les équilibres économiques des opérations en cours. Ainsi, dans le cadre de la revente d'un bien immobilier intervenant postérieurement à la date de publication des futures précisions doctrinales tirant les conséquences de la jurisprudence de la CJUE, l'assujetti revendeur pourra continuer à se prévaloir de l'actuelle doctrine fiscale si son acquisition du bien considéré est intervenue ou a fait l'objet d'un compromis de vente antérieurement à cette publication ».
Pour autant, cette prise de décision formelle du ministre de l’Économie n’a pas empêché les hauts magistrats d’appliquer les grands principes dégagés par la Cour de justice et d’en déduire les conséquences à l’égard de l’affaire qui avait été à l’origine de la saisine à titre préjudiciel [12]. Ainsi, le Conseil d’État reprend à son compte dans sa décision les conclusions tirés par la Cour de justice de l’Union européenne, tout tranchant l’affaire au fond, à l’aune des principes de neutralité fiscale et d’effectivité du droit de l’Union européenne.
S’agissant de la première question, les hauts magistrats ont jugé que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI relatives au régime de la TVA sur marge sont incompatibles avec l'article 392 de la Directive 2006/112/CE.
L’affaire a toutefois rebondi sous un angle original au regard de l’argumentation menée par la société requérante, laquelle avait soutenu déduire de la décision de la Cour de justice sanctionnant la non-compatibilité du droit interne avec l’article 392 de la sixième directive. Pour elle, plus aucun texte ne pouvait justifier l’imposition à la TVA. Se posait alors la question de l’application du principe de l’effectivité du droit de l’Union européenne.
Ces éléments l’ont ainsi amené à censurer, par substitution de motifs, l’arrêt de la cour administrative d’appel pour erreur de droit. Pour autant, ils ont rejeté le pourvoi de la société Icade Promotion au motif que cette dernière était dans l’impossibilité d’invoquer en l’espèce cette incompatibilité entre le droit interne et le droit communautaire, comme fait justificatif de la TVA sur marge qu'elle avait acquittée. Le régime de la marge étant dérogatoire au principe d’imposition sur le prix total, la société qui a payé la TVA sur sa seule marge ne peut demander la restitution de cette TVA. Pour aboutir à cette conclusion, les hauts magistrats se sont fondés sur le principe de neutralité fiscale, lequel s’oppose, « dans le cadre d’un circuit commercial unique, à ce que le prix d’une livraison incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial » [13]. Ce recours implicite au principe de neutralité fiscale n’étonne guère dans la mesure où première question préjudicielle se fondait sur une interprétation de l’article 392 de la sixième directive.
S’agissant de la deuxième question, parmi toutes les hypothèses dressées dans la cartographie dressée par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision de septembre 2021, les hauts magistrats relèvent celles applicable dans l’affaire litigieuse. Les hauts magistrats ont ainsi appliqué la condition du maintien de la qualification juridique mais sans exiger une identité matérielle du bien. Ils en ont ainsi déduit que les travaux de viabilisation de travaux opérés préalablement à leur revente à des particuliers par le lotisseur demeure sans incidence sur l’application du régime de la TV sur marge.
À la lecture de cet arrêt, aucune grande nouveauté à l’horizon au regard des principes de celle prise quelques mois plus tôt de la Cour de justice de l’Union européenne. En revanche, sa lecture est riche d’enseignements sur l’application de ces principes en droit interne.
[1] Dans ses conclusions, Mme Marie-Gabrielle Merloz énonce que « ce nouvel épisode contentieux va constituer l’épilogue de cette affaire sans pour autant, nous le craignons, fermer le dossier relatif au régime de la TVA sur marge dont les difficultés de mise en œuvre continuent à nourrir votre contentieux ». Voir : Dr. fisc. 2022, n°29, comm. 282.
[2] BOI 3 A-9-10, n° 68, reprise au BOFiP : BOI-TVA-IMM-10-20-10, n° 20 N° Lexbase : X5340ALD.
[3] QE n° 94538 de M. Gilles Savary, JOANQ 29 mars 2016, réponse publ. 20-09-2016 p. 8514, 14ème législature N° Lexbase : L2410LAI, et celle rédigée en termes identiques : QE n° 96679 de M. Dominique Bussereau, JOANQ 14 juin 2016, réponse publ. 20 septembre 2016 p. 8522, 14ème législature N° Lexbase : L2650LAE – N. Gonzalez Gharbi, Le glas de la TVA sur marge a-t-il déjà sonné ?, Constr.-Urb. 2016, comm. 152.
[4] TA Grenoble, 14 nov. 2016, n° 140-3397, SARL G : N. Gonzalez Gharbi, Vente de terrains à bâtir issus de la division d’un ensemble immobilier : le juge applique la loi et infirme la doctrine administrative, Const.-Urb. 2017, comm. 45 ; R. Vogel, Une première décision favorable aux marchands de biens, Dr. fisc. 2017, comm. 216.
[5] QE n° 00904 de Mme Colette Giudicelli, JO Sénat 3 août 2017 p. 2485, réponse publ. 7 septembre 2017 p. 2809, 15ème législature N° Lexbase : L7189LGD – Vente de terrain à bâtir après division : Bercy campe sur ses positions, Constr.-Urb. 2017, comm. 141.
[6] TA Marseille, 4 décembre 2017, n° 1602770.
[7] QE n° 04171 de M. Jean Pierre Vogel, JO Sénat 29 mars 2018 p. 1439, réponse publ. 17 mai 2018 p. 2361, 15ème législature [L2363LL4].
[8] CE 3/8 ch.-r., 12 mai 2022, n° 416727, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB=A82907WXCE] : RFP, 2020, alerte 129.
[9] CJUE, 30 septembre 2021, aff. C-299/20, Icade Promotion SAS N° Lexbase : A776147L.
[10] D. Roche, La CJUE rend une décision qui conforte, précise et inquiète !, La revue fiscale du patrimoine n° 12, Décembre 2021, 23. E. Kornprobst, TVA sur marge : arrêt de la CJUE en réponse à deux questions préjudicielles, Droit fiscal n° 43, 28 octobre 2021, comm. 405.
[11] QE n° 42486 de M. Romain Grau, JOANQ 9 novembre 2021, réponse publ. 1er février 2022 p. 702, 15ème législature N° Lexbase : L8921MBZ.
[12] CE 3° et 8° ch.-r., 12 mai 2022, n° 416727, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A82907WX.
[13] Voir le point 7 de l’arrêt du 12 mai 2022.
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Réf. : Cass. civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-17.040, FS-B N° Lexbase : A55238NU
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N2950BZB
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par Yann Le Foll
Le 19 Octobre 2022
► L'injonction du maire d'une commune de supprimer le branchement au réseau électrique d'une construction ayant été annulée par la juridiction administrative, la cour d'appel a pu retenir que le refus du gestionnaire du réseau de raccorder celle-ci et la privation d'électricité en résultant constituaient un trouble manifestement illicite.
Rappel. En application de l'article L. 111-12 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L2249KI7, le refus de raccorder un immeuble, mesure de police de l'urbanisme destinée à assurer le respect des règles d'utilisation du sol, ne peut résulter que d'une décision de l'autorité administrative compétente (Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-16.838, FS-P+B N° Lexbase : A2247WI3).
Rappel bis. En dehors des zones de desserte ou en l'absence de délimitation par le schéma de distribution d'eau potable de telles zones, la collectivité apprécie la suite à donner aux demandes d'exécution de travaux de raccordement, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, en fonction, notamment, de leur coût, de l'intérêt public et des conditions d'accès à d'autres sources d'alimentation en eau potable (CE, 3°-8° ch. réunies, 26 janvier 2021, n° 431494, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A57544DH).
Position CA. La cour d'appel a, par motif adopté, retenu que la société Enedis avait procédé, le 27 octobre 2016, à la suppression du raccordement au réseau électrique des parcelles appartenant aux demandeurs en exécution de l'injonction du maire de la commune par décision du 23 septembre 2016, laquelle avait été annulée par la juridiction administrative, de sorte que la suppression n'avait plus de fondement juridique.
Position CCass. La cour d'appel a pu déduire, de ces seuls motifs, que le refus de procéder au raccordement au réseau opposé par la société Enedis et la privation d'électricité qui en résultait constituaient un trouble manifestement illicite.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les contraintes applicables à l'opération de construction, Le refus de branchement des constructions irrégulières aux différents réseaux, in Droit de l’urbanisme, (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E2807GA9. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 21 septembre 2022, n° 21-15.125, FS-D N° Lexbase : A89368K8
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N2967BZW
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par Marc Dupré, Enseignant-chercheur, Doyen faculté DEG, UCO, CREDO, Chercheur associé Centre Jean Bodin UPRES EA n° 4337
Le 20 Octobre 2022
Mots clés : vente immobilière • lésion • appréciation • indices • expertise
La lésion s’apprécie en fonction de l’état et de la valeur du bien immobilier au jour de la vente. Une estimation à rebours de la valeur du terrain tenant compte d’aménagements postérieurs à la vente et déduction faite des dépenses de l’opération ne respecte pas les dispositions de l’article 1675 du Code civil.
Par son arrêt rendu le 21 septembre 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation se prononce, dans le contexte d’un litige relatif à la démonstration d’une vente d’immeuble lésionnaire, sur le contenu d’un rapport d’expertise produit par les demandeurs. Ce rapport avait évalué la valeur d’un terrain en tenant compte des aménagements effectués après la vente, déduction faite des dépenses de l’opération. Fort logiquement, la Cour considère que le rapport n’a pas respecté les dispositions de l’article 1675 du Code civil N° Lexbase : L8656L84.
Une communauté de communes envisage la création d’une zone d’aménagement concertée (ZAC), visant à favoriser l’implantation d’activités économiques entre la France et la Suisse. En 2014, elle confie le projet à une société publique locale (la SPL). Celle-ci, par l’intermédiaire d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (la SAFER), négocie auprès d’un propriétaire l’acquisition de plusieurs parcelles exploitées à titre agricole. Puis, au décès de ce dernier en 2016, elle poursuit les négociations auprès de ses héritiers. Un acte de vente est signé le 9 mai 2017 entre les parties, prévoyant un prix de vente de 52 euros le mètre carré pour les terrains situés sur une partie du plan local d’urbanisme (le PLU), et de 2,60 euros le mètre carré pour ceux sis sur une autre zone.
Peu après les vendeurs ont connaissance d’une éventuelle disparité entre le prix de vente de leur terrain et celui prévu dans le cadre d’une promesse de vente conclue par la SPL avec le propriétaire de parcelles voisines faisant l’objet d’un même classement au PLU. Ils assignent la SPL en vue de voir constater l’existence d’indices graves et vraisemblables laissant penser que la vente est lésionnaire. Ils sollicitent également une expertise judiciaire pour déterminer la valeur des biens vendus. Ils fournissent à l’appui de leurs prétentions un rapport d’expertise laissant envisager le caractère lésionnaire de la vente.
Les vendeurs sont déboutés par la cour d’appel de Lyon dans un arrêt rendu le 2 février 2021 (CA Lyon, 2 février 2021, n° 20/03042 N° Lexbase : A35644EQ). Ils forment un pourvoi qui s’appuie sur deux moyens. L’un est relatif au refus de la cour d’appel d’ordonner la communication de la promesse de vente conclue entre la SPL et le propriétaire de la parcelle voisine. L’autre conteste le rejet par la cour d’appel de l’existence d’indices laissant penser au caractère lésionnaire de la vente et le refus d’ordonner une expertise judiciaire.
Le premier moyen est rapidement écarté par la troisième chambre civile, laquelle rappelle que c’est « dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire » qu’elle a pu refuser d’accueillir cette demande [1].
Le second moyen fait l’objet d’une analyse plus détaillée. L’arrêt confirme la position de la cour d’appel ayant refusé de retenir l’existence d’indices graves et vraisemblables laissant envisager la lésion et d’ordonner une expertise judiciaire. L’expert ayant pris en compte « des modifications susceptibles d’influencer l’usage et la valeur du bien réalisées postérieurement à la vente », il a contrevenu à une appréciation de l’état et de la valeur du bien au jour de la vente. Elle approuve aussi la cour d’appel en ce qu’elle a déduit de la production d’éléments par la SPL, témoignant d’expropriations et de cessions amiables de parcelles pour des valeurs très similaires voire inférieures à la vente litigieuse, que les prétentions des vendeurs ne sont pas prouvées.
En conséquence, le pourvoi est rejeté dans son intégralité. La décision offre l’opportunité de rappeler les conditions particulières de mise en œuvre de la rescision pour lésion en matière immobilière (I), conditions non réunies par les demandeurs (II).
I. Les conditions particulières de mise en œuvre de la rescision pour lésion
Les articles 1674 N° Lexbase : L1784ABP et suivants du Code civil témoignent d’un régime particulier, tant au niveau de ses incidences procédurales (A), que dans les critères d’évaluation de la valeur du bien au jour de la vente (B).
A. Un régime aux incidences procédurales importantes
La rescision de la vente immobilière pour cause de lésion comprend des conditions de fond mais implique également une procédure particulière. Dérogation à la libre détermination du prix par les parties, la lésion est régie par les articles 1674 et suivants du Code civil. Elle porte uniquement sur une vente immobilière, le terme immeuble étant entendu de manière assez stricte [2]. Elle est source d’un « préjudice » [3] pour le vendeur, lequel est seul admis à intenter l’action [4] dans un délai de deux années à compter du jour de la vente [5]. A priori ces conditions ne semblaient pas soulever de difficultés particulières.
Restait encore à déterminer l’existence d’une lésion d’au moins sept douzièmes dans le prix de l’immeuble. Cette preuve est rendue compliquée par les dispositions des articles 1677 N° Lexbase : L1787ABS à 1680 N° Lexbase : L1790ABW du Code civil, ancien témoignage d’une méfiance à l’égard de ce mécanisme. L’action en rescision présente en effet la particularité de s’effectuer en deux étapes.
L’article 1677 du Code civil précise : « la preuve de la lésion ne pourra être admise que par jugement, et dans le cas seulement où les faits articulés seraient assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion ».
Ce n’est qu’une fois reconnue l’existence de ces éléments que la procédure peut être poursuivie par la nomination d’experts dont le rapport pourra éclairer le juge afin de déterminer l’existence ou non d’une vente lésionnaire [6]. C’est au contentieux consécutif à la première étape procédurale que s’attache l’arrêt.
B. La difficulté de rapporter la preuve d’indices vraisemblables et graves
Afin de rapporter la preuve « d’indices graves et vraisemblables » relatifs à l’existence d’une vente lésionnaire et solliciter une expertise judiciaire, les demandeurs ont notamment fait appel à un expert pour évaluer le terrain. Si rien ne les y obligeait, en pratique une telle expertise offre des éléments d’appréciation utiles au juge afin d’ordonner la poursuite de la procédure, notamment en l’absence d’autres éléments probants comme des prix de vente comparatifs. Cela n’empêche pas le juge d’interroger la pertinence de l’évaluation présentée par les vendeurs, et ce dès cette première étape de la procédure. L’arrêt vise en ce sens l’article 1675 du Code civil, qui énonce « qu’il faut estimer l’immeuble suivant son état et sa valeur au moment de la vente ».
Cette exigence soulève le débat des éléments pris en compte pour effectuer l’estimation, et notamment le sujet de l’usage du bien au moment de la vente. Dans un arrêt du 21 juillet 1999, la troisième chambre civile avait pu accepter que « plusieurs hypothèses d’utilisation de l’immeuble » soient retenues par les experts afin de retenir « l’hypothèse la plus élevée » pour déterminer la valeur de l’immeuble au jour de la vente [7]. Néanmoins dans cette affaire l’immeuble semblait avoir plusieurs utilisations possibles au jour de la vente, ce qui semblait permettre une telle démarche de calcul.
La situation de l’arrêt étudié est différente : les terrains étaient uniquement à usage agricole au moment de la conclusion du contrat, nécessitant des aménagements ultérieurs importants en vue de leur intégration dans une ZAC. Or l’expert mandaté par les demandeurs a de son côté estimé la valeur du terrain objet du litige à partir de la valeur locative d’entrepôts ou d’entreprises construits sur les terrains après la vente. Par la suite, il a déduit les dépenses nécessaires à l’aménagement pour estimer la valeur du bien au jour de la vente. La cour d’appel, approuvée par la troisième chambre civile, conteste ce mode de calcul.
II. Le rejet cohérent de la demande
La troisième chambre civile confirme l’ensemble du raisonnement retenu par la cour d’appel (A). Par ailleurs, le régime de la lésion envisagé par l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux ne bouleverserait pas le contenu de la solution, mais occasionnerait quelques évolutions procédurales (B).
A. L’absence de preuve d’indices graves et vraisemblables
Le mode de calcul présenté par l’expert présentait un biais important que la cour d’appel ne pouvait que relever : en ne tenant pas compte de la nature de terrain à usage agricole de l’immeuble au jour de la vente, l’expert n’a pas pu apprécier la valeur du bien au jour de la vente.
L’article 1675 du Code civil, visé par l’arrêt, a un effet de protection du vendeur contre l’érosion monétaire. Mais son interprétation a également pour intérêt de tenir compte de l’usage du bien au moment de la vente et d’éviter la prise en compte d’éléments postérieurs qui pourraient fausser le calcul, au profit ici du vendeur. Il est certain qu’un terrain sur lequel sont bâtis après la vente des entrepôts et des locaux d’entreprise aura une valeur bien supérieure à celle d’un terrain à usage agricole au jour de la vente. Le vendeur ne doit ainsi pas bénéficier de l’opération finale pour laquelle son immeuble a été acquis et qui confère ici une plus-value au bien.
En conséquence, la troisième chambre civile approuve la cour d’appel d’avoir rappelé « à juste titre » que ce ne sont pas les « modifications susceptibles d’influencer l’usage et la valeur du bien réalisées postérieurement à la vente » qui importent. C’est l’usage du bien au jour de la vente qui est le point de départ de l’évaluation de l’immeuble.
Si cet élément est en soi important pour rejeter les prétentions des demandeurs, la cour d’appel, encore approuvée par la troisième chambre civile, a également tenu compte des éléments présentés par le défendeur. Ce dernier a produit un certain nombre de documents relatifs à des expropriations ou des cessions amiables sur des biens comparables, lesquels témoignent de « valeurs très similaires, voire inférieures » au prix de vente des terrains faisant l’objet du litige. Ici le contrôle de la Cour est presque nul, la troisième chambre civile relevant que la cour d’appel « a souverainement déduit » de ces éléments l’absence d’indices graves et vraisemblables laissant présumer l’existence d’une vente lésionnaire.
B. La lésion immobilière, un régime en suspens ?
Le maintien du régime de la lésion immobilière, lequel aurait une filiation avec des mécanismes juridiques connus du droit romain, est principalement justifié aujourd’hui par les limites qu’il poserait face à certains excès. Il servirait notamment à protéger des vendeurs profanes face à l’appétit de professionnels de l’immobilier voyant l’occasion de réaliser de très bonnes affaires [8].
Mais la complexité de la procédure, finalement peu protectrice des intérêts du vendeur, le champ d’application restreint d’un régime peu adapté aux réalités économiques et juridiques actuelles [9], l’existence d’autres dispositions tenant compte du prix déséquilibré [10], l’introduction d’une forme de lésion qualifiée consécutive à un vice de violence [11] et le maintien d’une rescision parfois difficilement distinguée de la nullité relative, ont pour effet d’interroger la pertinence de son maintien dans notre droit positif.
L’avant-projet de réforme des contrats spéciaux envisage de conserver la lésion pour les ventes immobilières, mais en supprimant les actuels articles 1677 à 1680 lesquels, selon la commission, « compliquent inutilement la procédure » [12]. Si une telle évolution est souhaitable, appliquées à l’arrêt, les dispositions envisagées n’auraient sans doute pas changé le sens de la décision, puisque l’article 1675 de l’avant-projet précise toujours : « La lésion de plus de sept douzièmes s’apprécie suivant l’état et la valeur de l’immeuble au moment de la conclusion de la vente ».
[1] Cass. civ. 1, 4 décembre 1973, n° 72-13.385, publié au bulletin N° Lexbase : A1080CG4, Bull civ. I, n°336 ; Cass. civ. 2, 16 octobre 2003, n° 01-13770, FS-P+B N° Lexbase : A8301C9C.
[2] Cass. civ. 3, 9 avril 1970, n° 68-13.956, publié N° Lexbase : A6556AGW, pour l’irrecevabilité de la demande dans le cadre de la cession de parts d’une société civile immobilière. Par ailleurs, la jurisprudence exclut les ventes aléatoires (Cass. Req., 6 mai 1946, D. 1946.287, RTD civ. 1946. 324, obs. J. Carbonnier) et l’article 1684 N° Lexbase : L1794AB3 écarte les ventes par autorité de justice.
[3] Terme sans doute mal choisi, D. Mazaud et M. Latina, Rép. civ. Dalloz, V° Lésion, avril 2018, n° 3.
[4] C. civ., art 1674 et C. civ., art. 1683 N° Lexbase : L1793ABZ.
[5] C. civ., art. 1675.
[6] C. civ., art. 1678 N° Lexbase : L1788ABT à 1680.
[7] Cass. civ. 3, 21 juillet 1999, n° 96-22185, publié au bulletin N° Lexbase : A5113AWB, obs. J.-C. Groslière, Mode et date d’évaluation de la lésion, RDI, 1999, p. 663.
[8] A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, Précis Domat droit privé, 14e éd., LGDJ, 2021, n° 40.
[9] V. récemment G. Chantepie et M. Latina, Observations générales sur l'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, D. 2022, p. 1716.
[10] C. civ., art. 1169 N° Lexbase : L0877KZI et 1658 N° Lexbase : L1028ABP.
[11] C. civ., art. 1143 N° Lexbase : L1977LKG.
[12] Chancellerie, Ph. Stoffel-Munck (prés.), Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, juillet 2022, art. 1676.
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