Réf. : Cass. crim., 3 avril 2013, n° 08-83.982, FS-P+B (N° Lexbase : A3909KCR)
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Le 25 Avril 2013
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par Vincent Téchené, rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
Le 25 Avril 2013
Maître Jean-Pierre Blatter a sélectionné une série d'arrêts rendus dans le courant du premier trimestre 2013 s'interrogeant, au vu du thème de la réunion, sur la question de savoir s'il pouvait y avoir des excès dans les décisions de jurisprudence.
1. L'excès de la théorie de la soumission volontaire (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 9 janvier 2013 n° 10/23525 N° Lexbase : A8424IZZ)
Selon cette théorie, il est possible d'adopter volontairement le statut des baux commerciaux lorsqu'il n'est pas applicable de plein droit, à la condition que ce ne soit pas pour éluder un autre statut applicable à titre d'ordre public.
Dans cette affaire, un locataire réunissait toutes les conditions du droit à la propriété commerciale mais qui n'était pas immatriculé au répertoire des métiers. Pour prétendre au renouvellement de son bail, il faisait donc valoir que les parties avaient volontairement adopté le statut des baux commerciaux. Il ne pouvait évidemment pas être suivi par les juges, la cour d'appel lui répondant, de manière tout à fait pertinente, que le bail commercial qu'il a conclu ne résulte pas d'une soumission volontaire au statut des baux commerciaux, qui n'entraînerait pas alors la nécessité d'être inscrit au répertoire des métiers. En effet, en application de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS), le statut des baux commerciaux s'applique aux baux dans lesquels un fonds est exploité que soit usage soit commercial, industriel, artisanal ou mixte. S'agissant d'une application légale du statut des baux commerciaux, l'inscription au répertoire des métiers est une condition de renouvellement du bail. Autrement dit, ce locataire, quelle que soit l'application de la théorie de la soumission volontaire, qui connaît évidemment des limites, ne pouvait pas prétendre au renouvellement de son bail.
2. Les excès d'une lecture hâtive d'un texte (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 13 mars 2013 n° 10/16801 N° Lexbase : A6588I9U)
Dans cet arrêt il était question de l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L5736ISA), tel qu'il a été modifié successivement par la loi du 4 août 2008 (loi n° 2008-776, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), puis par la loi du 22 mars 2012 (loi n° 2012-387, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives N° Lexbase : L5099ISN). La loi de modernisation de l'économie avait, en effet, supprimé, de ce texte, la référence aux usages locaux concernant la date du congé, l'alinéa 1er de l'article L. 145-9 du Code de commerce dans sa version issue de la "LME" prévoyant alors que ce dernier devait être donné pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l'avance. Une lecture quelque peu hâtive de ce texte avait conduit un certain nombre de locataires, à l'occasion d'échéances triennales, à délivrer des congés non pas pour le troisième anniversaire de leur bail mais pour le dernier jour du trimestre suivant.
La loi du 22 mars 2012 a réparé la rédaction défaillante de l'article L. 145-9 issue de la loi du 4 août 2008, pour distinguer le congé à l'échéance contractuelle de celui en période de tacite prolongation, ces dernier devant être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil.
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 13 mars 2013, le troisième anniversaire du bail se "fêtait" le 16 septembre 2009. Or le preneur a fait délivrer au bailleur, par acte du 23 mars 2009, un congé pour le 30 septembre 2009. Etaient donc applicables les dispositions de l'article L. 145-9 dans sa version issue de la "LME". La cour d'appel applique ici une solution qui sera celle consacrée ultérieurement par la loi du 22 mars 2012 : les dispositions combinées des articles L. 145-4 (N° Lexbase : L0803HPG) et L. 145-9 du Code de commerce impliquent qu'un délai de 6 mois de la date de délivrance du congé à la date d'expiration contractuellement prévue, quand elle est distincte de celle du trimestre civil, doit être toujours au moins respecté. Dès lors, en l'espèce, la période triennale expirant, le 16 septembre 2009, le congé devait être donné six mois avant, soit le 16 mars 2009. Aussi, le congé donné le 23 mars est donc nul et n'a pas produit effet.
3. L'excès de confiance dans une clause résolutoire (Cass. civ. 3, 6 mars 2013, n° 12-12.200, FS-D N° Lexbase : A3159I9U)
Cet arrêt opère un intéressant rappel sur l'objet et la portée d'une clause résolutoire, les choses pouvant apparaître évidente au regard du bon sens et ne pas l'être au regard de l'application de la règle de droit.
Dans cette affaire, un immeuble est donné à bail pour y exploiter un fonds de commerce de café, articles de fumeurs, journaux, papeterie, débit de tabac. Le bailleur fait délivrer aux preneurs un commandement, visant la clause résolutoire, de cesser les activités de petite restauration, vente de confiserie, cartes téléphoniques, jeux de la Française des jeux, non prévues au bail. Les preneurs ont alors assigné la bailleresse en nullité de ce commandement, celle-ci demandant la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire. La procédure de constatation de la clause n'aboutira pas, alors même que l'on est en présence d'une infraction caractérisée qui certainement aurait permis au bailleur d'obtenir gain de cause s'il s'était agi d'un action en résiliation judiciaire. Mais, au regard de la clause résolution, tel n'est pas le cas : en effet, cette clause visait le défaut de paiement des loyers, de ses accessoires ainsi que le manquement à des conditions énumérées au bail et, parmi ces conditions, ne figurait pas le respect de la destination des lieux. Dès lors, la clause résolutoire ne pouvait être mise en oeuvre.
Jean-Pierre Blatter précise, qu'il n'est toutefois pas nécessaire dans la clause résolutoire de faire un catalogue de toutes les infractions contractuelles sanctionnées par elle, sauf à reproduire de nouveau l'ensemble des clauses et conditions du bail. Mais, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 6 mars 2013, il n'était pas mentionné que le locataire devait exercer cette activité à l'exclusion de toute autre, qu'il ne pouvait pas ajouter une activité complémentaire sans l'accord du propriétaire. Le même problème se présentera souvent en matière de cessation d'activité, dans la mesure où de nombreux baux, pour la plupart anciens ne contiennent pas d'obligation d'exploiter. Il n'est donc pas possible, dans ce cas, de faire une sommation visant la clause résolutoire d'avoir à exploiter. En revanche, ces baux contiennent presque systématiquement une obligation de garnir. Or, en cas de cessation d'activité, en général cette obligation n'est pas respectée, de sorte qu'il est possible de faire sommation d'avoir à garnir et ainsi passer outre l'absence de clause imposant au preneur d'avoir à exploiter.
4. L'excès de silence contractuel
- L'excès de silence contractuel et le sort du bail à palier lors de son renouvellement (Cass. civ. 3, 6 mars 2013, n° 12-13.962, FS-P+B N° Lexbase : A3072I9N)
Cet arrêt du 6 mars 2013 qui casse un arrêt d'appel de Paris de novembre 2011 (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 9 novembre 2011, n° 10/00962 N° Lexbase : A0881H4E), qui avait pu paraître singulier au regard de la jurisprudence, est relatif au bail à palier et plus particulièrement à son sort au moment du renouvellement. Pendant longtemps, les juges considéraient qu'une disposition de cette nature faisait définitivement obstacle au plafonnement dans la mesure où le bail modifiait les bases du loyer en cours de contrat. En 2006, la Cour de cassation a opéré un revirement jugeant, d'une part, que le bail à palier ne constituait pas, en tant que tel, un obstacle au plafonnement, et, d'autre part, que le loyer du bail renouvelé devait, en application de la règle de l'article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5732IS4), être calculé sur la base du bail initial. La Cour de cassation réitère donc ici sa position qui peut apparaître comme un arrêt de principe et aux termes duquel, pour la fixation du prix du bail renouvelé, la variation indiciaire prévue par l'article L. 145-34 du Code de commerce doit être appliquée au loyer initial acquitté par le preneur lors de la prise d'effet du bail à renouveler, nonobstant la fixation dans le bail expiré d'un loyer progressif par paliers.
Dans la mesure où l'on se situe dans une matière purement contractuelle, Jean-Pierre Blatter invite les rédacteurs de baux à prévoir quel sera le loyer pris en considération dans l'hypothèse du plafonnement et à envisager la question du renouvellement du bail dans l'hypothèse où le loyer serait plafonné.
- L'excès de silence contractuel et les travaux de ravalement, de toiture et de chauffage collectif (Cass. civ. 3, 6 mars 2013, n° 11-27.331, FS-P+B N° Lexbase : A3099I9N)
En l'espèce, le propriétaire d'un local à usage commercial dans un immeuble collectif l'avait donné à bail. Le bail stipulait que "le preneur fera son affaire de l'entretien, de la remise en état de toutes réparations de quelque nature qu'elles soient, de même de tous remplacements qui deviendraient nécessaires en ce compris les grosses réparations définies à l'article 606 du Code civil (N° Lexbase : L3193ABU)". Le bailleur avait réclamé paiement de travaux de ravalement, réparations de toiture et remplacement de chaudière collective de l'immeuble au prorata de la surface occupée, puis lui avait délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire. Le locataire a saisi le tribunal de grande instance afin de voir juger ce commandement nul et de voir le bailleur débouté de ses prétentions. Condamné par les juges du fond au paiement des sommes réclamées (CA Reims, 13 septembre 2011, n° 10/01742 N° Lexbase : A7096H39), le preneur s'est pourvu en cassation. La décision est censurée. Au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1754 (N° Lexbase : L1887ABI) du Code civil, la Cour de cassation énonce que la cour d'appel ne pouvait sans statuer ainsi sans constater que des stipulations expresses du contrat de bail commercial mettaient à la charge de la locataire les travaux de ravalement, de toiture et de chauffage collectif. En d'autres termes, de telles charges incombent au propriétaire sauf stipulations expresses du contrat de bail commercial.
Cette solution est à rapprocher de celle de deux autres arrêts rendus récemment par la troisième chambre civile. Ainsi, dans un arrêt récent en date du 13 juin 2012 (Cass. civ. 3, 13 juin 2012, n° 11-17.114, FS-P+B N° Lexbase : A8900INX), elle a précisé que, s'agissant d'un bail commercial, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut être mis à la charge du preneur qu'en vertu d'une stipulation contractuelle, alors que l'on aurait pu penser que cette taxe, à l'instar de ce qui est prévu pour les baux d'habitation faisait partie des taxes récupérables au titre des services dont profite le locataire. De même, elle a retenu, le 3 octobre 2012 (Cass. civ. 3, 3 octobre 2012, n° 11-21.108, FS-P+B N° Lexbase : A9645ITE), que les charges de chauffage collectif ne sont pas récupérables, dès lors notamment que l'on ne peut inférer du bail que l'on se réfère aux dispositions du décret du 26 août 1987 (décret n° 87-713 N° Lexbase : L9706A9D), la Cour affirmant très clairement que "le décret du 26 août 1987 ne peut être appliqué à un bail commercial qu'à la condition que les parties soient convenues de lui soumettre la détermination des charges locatives".
5. L'excès d'économie de mots de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 3 octobre 2012, n° 11-17.177, FS-P+B+R N° Lexbase : A9680ITP)
Dans son arrêt du 3 octobre 2012, la Cour de cassation, cassant un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, à la suite du revirement du 4 novembre 2009 qui avait décidé que les intérêts sur les loyers fixés judiciairement ne pouvaient commencer à courir qu'à compter de la décision de justice, adopte une solution qui n'est pas pleinement satisfaisante. Elle énonce, en effet, et ce en application de l'article 1155 du Code civil (N° Lexbase : L1257AB8), que les intérêts moratoires attachés aux loyers courent, en l'absence de convention contraire relative aux intérêts, du jour de la demande en fixation du nouveau loyer par le seul effet de la loi. Selon Jean-Pierre Blatter, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence immédiatement antérieure afin, d'abord, d'empêcher les manoeuvres dilatoires des locataires, puisque tant qu'aucune décision de justice n'était rendue, les locataires ne devaient pas les intérêts sur les arriérés de loyers. Mais elle a voulu aussi dissuader les bailleurs de traîner dans les procédures sans ne jamais saisir le juge. Or, la Cour ne précise pas ce qu'il faut entendre par "demande en fixation du nouveau loyer". Dans une procédure de renouvellement, est-ce le congé, le mémoire, ou l'assignation ? Dans une procédure en révision, est-ce la demande de révision, le mémoire, ou l'assignation ?
La cour d'appel de Paris s'est rapidement inclinée devant cette jurisprudence et a rendu un arrêt allant dans ce sens dès le 31 octobre 2012, précisant que la demande en fixation du nouveau loyer correspond à l'assignation (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 31 octobre 2012, n° 11/01173 N° Lexbase : A2674IWX). Après quelques hésitation durant le quatrième trimestre 2012, au cours duquel elle a pu décider que les intérêts couraient à compter du mémoire, elle est revenue, à la faveur d'un arrêt rendu le 6 mars 2013 (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 6 mars 2013, n° 11/08834 N° Lexbase : A1248I94), à sa première position, plus orthodoxe, jugeant très clairement que les intérêts au taux légal courront sur les arriérés de loyers dus à compter de la demande en justice -c'est-à-dire l'assignation- et seront capitalisés année par année dans les conditions de l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7).
Jean-Pierre Blatter apporte toutefois une petite réserve à la position adoptée par les juges parisiens : les intérêts moratoires attachés aux loyers courent du jour de la demande en fixation du nouveau loyer, laquelle correspond à l'assignation à la condition qu'elle soit postérieure à la date de renouvellement du bail. En effet, des intérêts ne peuvent pas courir sur un loyer fixé ultérieurement.
Jusqu'à présent, il était exigé que les intérêts soient dus sur le fondement de l'article 1155 du Code civil (N° Lexbase : L1257AB8) et qu'ils soient capitalisés sur celui de l'article 1154 du même code. Le tribunal de commerce de Paris a rendu au moins deux décisions, le 21 décembre 2012 et le 15 janvier 2013, dans lesquelles il a retenu qu'il ne peut pas y avoir de cumul entre les articles 1154 et 1155 du Code civil, les juges consulaires estimant qu'il résulte de ces textes, et en particulier de l'utilisation de la conjonction "néanmoins", que l'article 1155 constitue une dérogation aux règles de l'article 1154. Pour Jean-Pierre Blatter, il s'agit là d'une question à suivre avec la plus grande attention, bien que le montant du taux d'intérêt légal pour 2013 (0,04 %) en limite les enjeux !
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par Vincent Téchené, rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
Le 25 Avril 2013
L'exposé de Gilles Hittinger-Roux s'est articulé autour de trois questions :
- Quelle est la définition de l'excès ?
- Existe-t-il un principe général de l'excès ?
- Dans quel domaine peut-on identifier l'excès ?
1 - Existe-t-il une définition de l'excès ?
Il est impossible de donner une définition juridique précise de l'excès. Cette notion renvoie elle-même à d'autres notions dont il est possible de l'apparenter. Ce qui est excessif est habituellement ce qui est à l'extérieur d'une norme, ce qui est démesuré, exagéré, ou encore exorbitant. Ainsi, l'excès doit être considéré comme synonyme d'une démesure objective dont il faut apprécier l'écart entre l'état d'un fait et la normalité.
Pour autant, la notion est facile à comprendre et elle est même vécue au quotidien par tous. L'excès scande nos vies et, par conséquence, nous tentons de lutter en permanence contre celle-ci. L'excès de vitesse, l'excès d'alcool, de tabac, d'exposition au soleil. Toutes ces situations sont mortifères. Pour autant, l'excès de modération n'est-il pas signe de l'ennui comme le rappelait Madame Michelle Gobert dans la préface de la thèse de David Bakouche.
Un respect peu scrupuleux de la limitation de vitesse sur autoroute entraîne une réduction de l'attention du conducteur, voire même un état de somnolence. Il n'est pas certain d'ailleurs que si Balzac n'avait bu que du Coca-Cola, il aurait pu rédiger autant de lignes et nous donner d'aussi bons romans.
Une appréciation identique peut être faite à l'égard de Baudelaire et de ses poèmes ou du Comte de Lautréamont s'agissant de certaines substances.
Aujourd'hui, les baux commerciaux évoluent dans la sphère des opérations de commerce complexes et risqués tant pour les investisseurs fonciers que par les enseignes de commerces. En permanence, dans une stratégie capitalistique, des positions sont prises par l'une ou l'autre des parties avec fréquemment des attitudes proches de positions dominantes ou à tout le moins dans des rapports de dépendance.
Le droit des contrats a pour objectif de rechercher des équilibres. Le rôle du juge est ici fondamental puisque c'est auprès de ce magistrat que l'on se tournera afin qu'il identifie et vérifie éventuellement l'équilibre entre les parties.
Ne pas être en mesure de définir la notion d'excès n'est pas dirimant. Le Doyen Cornu relève que dans le droit français il existe de nombreuses expressions qu'il qualifie de notions cadre. Ces notions ont une valeur intrinsèque en elles-mêmes et sont perçues par chaque individu avec une valeur souvent commune. Il en est notamment ainsi du bon père de famille, de la bonne foi, ou encore de l'intérêt de l'enfant.
Il appartient aux magistrats de définir en permanence le contenu.
Le bon père de famille va-t-il disparaître au profit de la bonne mère de famille, ou même des bons parents ?
2 - L'excès est-il un principe général du droit ?
Selon le Doyen Ripert, le principe général du droit est celui qui est établi par un nombre indéterminé d'actes ou de faits. C'est en fait une série indéfinie d'application. Alors savoir si l'excès est un principe général du droit relève finalement de l'office du juge. Un concept juridique n'existe en tant que principe juridique que s'il a été qualifié en tant que tel par le juge. Or, concernant l'excès, la réponse est pour l'instant négative ou, pour autant, pas encore totalement positive si le législateur ne l'a pas expressément visé. Très peu de décisions jurisprudentielles se fondent en effet sur cette notion. Pour autant, il est vraisemblable que sur des principes moraux ou de justice distributive la notion d'excès pourrait être un sous-ensemble d'un autre principe général du droit.
Il appartient donc aux avocats et aux juristes de faire valoir cette nouvelle mention auprès des magistrats afin que ces derniers puissent prendre des décisions sur ce fondement.
En tout état de cause, il faut retenir l'excès comme une évolution notable du droit civil contemporain. Depuis quelques années, il existe une profonde mutation du système juridique et il convient de poursuivre les incidences sur la théorie générale du droit. Il est certain qu'apparaît une influence forte des contrats spéciaux tels que ceux du droit de la consommation, de la concurrence qui, précisément, sont mis en exergue par la sanction de l'excès. Peut-être que ces derniers serviront de modèle au droit commun.
3 - Le recensement de l'excès
Le recensement de l'excès dans les textes
Ainsi, au cours des cinquante dernières années, de nombreux textes ont permis aux magistrats de réduire, de supprimer, de corriger les engagements qui auraient été pris par l'une ou l'autre des parties.
S'il est en vrai qu'en 1804 il existait une présomption d'égalité des individus, de nos jours la présomption est plutôt d'inégalité, si bien que le législateur souhaite rétablir l'égalité, l'équilibre ou la proportionnalité quand ce n'est pas instaurer la fraternité.
. La loi du 13 juillet 1965 (loi n° 65-570 N° Lexbase : L8190AI8) écarte-t-elle toute solidarité entre époux lorsque l'un d'eux a souscrit des dépenses "manifestement excessives" au sens de l'article 220, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2389AB4), susceptible de menacer l'équilibre financier d'un ménage.
Il faut d'ores et déjà noter que l'abus, la déloyauté, la mauvaise foi, sont bien souvent à l'origine de l'excès et en constitue, d'une certaine manière, la cause efficiente. Cependant, le Magistrat ne recherchera pas la cause éventuelle de l'excès, mais il effectuera une appréciation objective de cet excès.
. La loi de 1968 (loi n° 68-5 N° Lexbase : L8081HUT) sur la protection des majeurs (C. civ., art. 491-2 N° Lexbase : L3052ABN et 510-3 N° Lexbase : L3086ABW) permet d'écarter des actes qui ne sont pas pris dans l'intérêt de ceux-ci ou qui paraissent tout à fait excessifs. Le tiers contractant aura vraisemblablement abusé de la faiblesse de l'incapable ou en tout état de cause il y aura une présomption d'un tel excès.
. La loi de 1975 (C. civ., art. 1152, alinéa 2, N° Lexbase : L1253ABZ) était l'un des textes certainement le plus discuté. Il portait sur la révision de la clause pénale. En effet, la doctrine traditionnelle considérait qu'il était impossible aux juges de s'insérer dans un rapport contractuel et de le remettre en cause.
Les arguments développés portaient sur l'absence de sécurité juridique, laquelle suppose un niveau de prévisibilité. Certains de la doctrine avaient qualifié le texte comme étant l'exemple de la grande peur de "l'aléa judiciaire". Ce sentiment d'aléa était d'autant plus marqué par l'emploi d'une notion à contenu variable tel que "l'excès".
Pour autant, de grands noms étaient foncièrement contre ces clauses pénales qualifiées d'injustes :
- Bruno Boccara y voyait "des clauses choquantes et léonines" ;
- pour Philippe Malaurie "la clause pénale a souvent donné lieu à des abus, soit qu'elle fut dérisoire, soit surtout qu'elle fut excessive" ;
- Jean Carbonnier évoquait la notion de "tyrannie";
- et pour Denis Mazeaud, il s'agissait de "terrorisme contractuel".
Finalement, la loi du 9 juillet 1975 permet aux magistrats, concernant les clauses pénales, même d'office, "de modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire" (C. civ., art. 1152, alinéa 2 [LXB=L1253ABlZ]) par ce texte régulièrement utilisé par les magistrats ; la notion d'excès a trouvé ses grandes lettres de noblesse.
. La loi du 10 janvier 1978, sur les clauses abusives (loi n° 78-23 N° Lexbase : L4196ITL, mais plus encore celle du 1er février 1995 (loi n° 95-96 N° Lexbase : L2605DY7) (C. consom., art. L. 132-1 N° Lexbase : L6710IMH) s'est inscrite dans la même philosophie.
L'ancien article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3301DAI) considérait comme abusives "les clauses imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de puissance économique" du professionnel conférant à celui-ci un "avantage excessif". Le nouveau texte issu de la réforme de 1995 caractérise les clauses abusives comme "ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat".
La modification est essentielle. Avant la réforme de 1995, la qualification de clause abusive supposait la réunion des deux éléments unis l'un à l'autre par un lien de causalité :
- l'abus de puissance économique, critère personnel ou subjectif tenant au comportement de l'un des contractants était relatif à l'origine de la clause ;
- l'avantage excessif critère matériel ou objectif concernant l'effet de celle-ci.
En fait, il fallait rapporter la preuve de l'abus par le demandeur.
Depuis 1995, l'abus a disparu des critères d'identification des clauses visées par l'article L. 132-1. L'avantage excessif se muant en déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Le législateur a ainsi substitué à la notion d'"avantage excessif" à celle de "déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat". Il est possible de penser que le "déséquilibre significatif" suppose de tenir compte de l'équilibre général du contrat et implique une appréciation "in concreto".
Sous l'empire de la loi de 1978, le caractère excessif de la clause était apprécié en lui-même, abstraction faite de l'économie du contrat. Le juge peut donc désormais uniquement examiner l'effet de la clause sur l'équilibre contractuel, sans se préoccuper de la clause du déséquilibre.
. Au fil des années, l'excès s'est largement décliné en droit bancaire et droit des sûretés, domaines dans lesquels il occupe une place importante avec les notions de crédit excessif ou de cautionnement manifestement disproportionné.
En effet, à l'origine prévue à l'article L. 313-10 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6786ABX), inséré par la loi du 26 juillet 1993 dans le Code de la consommation reprenant ainsi les dispositions de la loi "Neiertz" du 31 décembre 1986, ces dispositions furent reprises en droit commun pour la jurisprudence, pour y être finalement consacrées par le législateur (C. consom., art. L. 341-4 du Code de la consommation N° Lexbase : L8753A7C, issu de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3557BLC).
C'est sur le même fondement de la lésion que le Code de la consommation a reconnu le pouvoir souverain au juge du fond, de réduire le prix de cession des offices ministériels s'il est excessif (Cass. Req. 11 juin 1890) et les rémunérations excessives des mandataires et agents d'affaires indiquent, par un arrêt de principe en date du 12 janvier 1863 que les juges du fond avaient "le droit et le devoir de rechercher le rapport de l'importance des soins, démarches et peines des mandataires avec l'importance de la rémunération convenue, et de la réduite dans le cas où elle paraîtrait excessive".
Cette décision a été régulièrement reprise et étendue aux honoraires des notaires, des avocats, des experts comptables aux généalogistes,...
. D'autres textes existent, eux, depuis toujours et ne sont pas directement issus de ce mouvement récent de développement de la notion d'excès dans notre droit. Il s'agit notamment des dispositions en matière de lésion où le législateur a fixé un seuil.
L'article 887, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L0027HPP) prévoit ainsi que le partage est lésionnaire "lorsqu'un des héritiers établit, à son préjudice, une lésion de plus du quart". De même, en matière de vente immobilière, selon l'article 1674 (N° Lexbase : L1784ABP), le prix de l'immeuble est lésionnaire "ni le vendeur a été lésé de plus de sept douzième", c'est-à-dire s'il reçoit moins des cinq douzième de la valeur de l'immeuble.
Le recensement de l'excès dans la jurisprudence
L'une des meilleures illustrations quant au refus de toute considération subjective tenant au comportement d'un individu relève de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage. En effet, il n'est fait aucune analyse du comportement de l'individu, mais le fondement de la responsabilité en la matière réside dans l'anormalité ou le caractère excessif du trouble. Ce principe de responsabilité est ancien : il date d'un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 1844 rendu au visa des articles 544 (N° Lexbase : L3118AB4) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil.
Dans un premier temps, cet arrêt a été rattaché à la responsabilité. L'exercice d'un droit peut constituer une faute si le titulaire du droit, tout en restant dans les limites légales apparentes de celui-ci, l'exercice dans des conditions abusives. Mais la preuve d'une faute par son auteur était introuvable, à moins de présupposer une obligation de ne pas troubler son voisin dans l'exercice de son droit. Finalement, dans un arrêt du 4 février 1971 (Cass. civ. 3, 4 février 1971, n° 69-12.528 N° Lexbase : A9758CE7, Bull. civ. III, n° 179 et n° 180), la Cour de cassation détache la faute de la responsabilité pour trouble de voisinage en consacrant une responsabilité purement objective.
Le sens de ces jurisprudences est que les inconvénients liés au voisinage doivent être supportés jusqu'à une certaine limite, parce qu'ils sont inhérents à la vie en société.
Au-delà d'un certain seuil, la responsabilité sera engagée, même en l'absence de faute de l'auteur du trouble, parce que la gêne devient intolérable et ne peut plus être justifiée par des relations de voisinage.
Il y a bien une distinction entre :
- l'usage abusif des droits ;
- et le seuil de tolérance lié au voisinage.
Le détachement progressif de l'appréciation de l'anormalité du trouble des notions de faute et d'abus est extrêmement révélateur de la prise de conscience des Juges de l'autonomie de la notion d'excès par rapport à des notions éminemment subjectives qui supposent, pour les caractériser, une véritable investigation psychologique.
. Aussi, il est possible d'effectuer une première conclusion permettant d'établir qu'il y a une réelle indépendance entre les notions d'abus et de faute d'une part, et de l'excès d'autre part.
Il y a donc délaissement des notions subjectives au profit de seules considérations objectives dans l'appréciation de l'excès. Pour la partie débitrice, plus encore pour le juge, seul compte le caractère excessif. La cause, l'abus, la faute éventuelle demeurent indifférents à toute appréciation par le juge.
En d'autres termes, en passant par "l'excès", la preuve pour le débiteur sera grandement facilitée et donc corrélativement, l'appréciation de la sanction.
. Souvent, l'excès trouve sa cause dans le comportement répréhensible ou blâmable d'un individu.
La mauvaise foi serait un critère idéal pour assurer la qualification de l'excès. Toutefois, il existe les dispositions essentielles du droit civil en cette matière et notamment 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1135 (N° Lexbase : L1235ABD) du Code civil. Ainsi, en matière de dette ménagère, la bonne foi et la mauvaise foi sont intégrées dans le texte (C. civ. art. 220, alinéa 2 N° Lexbase : L2389AB4). Les dépenses du ménage s'apprécient "eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne foi ou mauvaise foi du tiers contractant".
Cependant, la bonne foi ou la mauvaise foi n'est pas un critère d'appréciation du caractère excessif. Ce n'est qu'au stade de la mise en oeuvre de la sanction de l'excès que la question de savoir si le tiers est ou non de mauvaise foi.
. La seconde conclusion est donc de permettre au juge, sans qualifier le comportement de l'une ou l'autre des parties, de maintenir le rapport contractuel en réduisant son champs ou certaines des obligations prévues au contrat.
L'excès se veut être une notion résolument objective détachée à toute appréciation comportementale, elle est aussi indifférente à la morale. En ce sens, l'excès serait facile à appliquer en matière de loyer pour les baux commerciaux et ne blessera personne.
A titre d'exemple, l'excès pourrait être utilisé dans le cadre d'une nouvelle notion qui a semblé voir le jour ces dix dernières années : celle du taux d'effort. Les bailleurs ont souhaité revaloriser leurs prétentions en matière de loyer par le rapprochement le chiffre d'affaires réalisé avec le loyer payé. Le pourcentage ainsi dégagé constituerait le taux d'effort. Chaque fois que le loyer payé serait faible au regard du chiffre d'affaires, le bailleur devrait nécessairement augmenter le loyer. Or, aujourd'hui compte tenu de la dégradation de la situation économique et alors que les loyers demeurent constants, le taux d'effort tend à devenir excessif (entre 15 et 40 % du chiffre d'affaires). Aussi, pour Gilles Hittinger-Roux, se pose la question de savoir s'il faut utiliser ce type de mécanisme pour reprendre les clauses financières des loyers, et ce en dehors même des révisions classiques fondées sur les articles 148 et suivants du Code de Commerce. Une telle solution permettrait de répondre rapidement à la situation économique et éviter la perte de points de vente et d'emploi. Par ailleurs, les modifications des conditions de loyer s'effectueraient en dehors des comportements des locataires et des bailleurs. En aucune manière, le bailleur ne pourrait être inquiété par des baisses de loyer qui pourraient être qualifiées de soutien abusif.
Pour l'intégralité de ces développements, il vous est proposé de vous reporter à l'excellente thèse publiée aux Editions LGDJ par Monsieur David Bakouche, préfacée par Michelle Gobert (n° 432).
L'excès est une notion relative : ce qui paraît excessif aujourd'hui, ne le paraissait pas il y a trente ans. Ce qui paraissait excessif il y a trente ans n'est plus ressenti comme tel aujourd'hui. L'excès a pour mesure ce qui paraît normal à la société, à un moment donné. Il est donc historiquement relatif. Tout dépend des limites posées par la société à un moment donné, de l'état d'esprit, de l'ambiance du moment.
Le droit des baux commerciaux offre un bon exemple de ce relativisme : qu'est-ce qui est excessif, la réglementation ou le contrat ?
Dans les années 80-90, l'opinion était quasiment unanime pour critiquer l'excès de réglementation du statut des baux commerciaux. Aujourd'hui, la réglementation est admise, les critiques se focalisant sur l'excès de contrat, au vu du volume qu'ont pris les baux commerciaux. Ainsi, dans les années 80-90, doctrine et jurisprudence était unanime pour considérer que la réglementation en droit des baux commerciaux était excessive, les critiques se dirigeant, essentiellement, en direction du plafonnement, du statut lui-même et des prix judiciaires.
Critique du plafonnement
Le professeur Derruppé a pu ainsi écrire que "la règle du plafonnement est un mal qui empoisonne le statut des baux commerciaux". Pour François Robine, "le plafonnement est si pervers que personne n'ose le défendre". Il était alors considéré comme une règle anti-économique, inéquitable, source de litiges, dépourvue de sens. Cette unanimité se traduisait même au sein de la Cour de cassation dont le rapport de 1999, contenait une étude de Madame Fossaert Sabatier, selon laquelle "il est possible de discerner dans la jurisprudence récente une tendance à l'élargissement des hypothèses d'exclusion de la règle du plafonnement". C'est dans ce contexte que la Cour de cassation a rendu un arrêt important le 13 juillet 199^9 (Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-18.295, N° Lexbase : A8130AG9), dans lequel elle avait jugé que la modification des facteurs locaux de commercialité n'avait pas à être favorable pour entraîner le déplafonnement dès lors qu'elle était notable. Elle avait également retenu que l'addition de plusieurs petites modifications, chacune d'elles étant insuffisante par elle-même, pouvait néanmoins constituer la modification notable autorisant le déplafonnement (Cass. civ. 3, 2 décembre 1998, n° 97-12.138, N° Lexbase : A6398AG3). Cette jurisprudence est aujourd'hui abandonnée.
Critique du statut
Dans les années 80-90, le statut des baux commerciaux était largement décrié. En témoigne, par exemple, l'organisation par Madame le Professeur Françoise Auque, en 1999, d'un colloque intitulé "Faut-il supprimer le statut des baux commerciaux ?". Ce statut était considéré comme excessivement protecteur du locataire. Les loyers apparaissaient sous-évalués et l'indemnité d'éviction surévaluée.
Critique des prix judiciaires
Dans les années 80-90, l'écart entre les prix judiciaires et prix de marché était considéré comme néfaste. Le marché, quant à lui, était vu comme le lieu de la vérité (vérité des prix) et de la liberté.
Aujourd'hui, l'état d'esprit et le contexte ont totalement changé. Après la première crise des années 1994-1997, puis la crise actuelle, les critiques pointent désormais un excès de contrat. Le marché n'est plus le lieu de la vérité mais celui de l'excès, il n'est plus le lieu de la liberté mais la cause des déséquilibres et de l'instabilité.
En outre, la règlementation n'est plus véritablement considérée, même pas les propriétaires, comme excessive. Ceci a pu notamment se remarquer lors de la mission "Pelletier" en 2004, mise en place pour étudier la nécessité d'une reforme du droit des baux commerciaux, dans le cadre de laquelle les propriétaires n'ont pas demandé pas la suppression du statut. L'immobilier commercial s'est, en outre, largement développé ces trente à quarante dernières années dans ce cadre, la réglementation ayant, au contraire, accompagné ce développement. Les propriétaires ne critiquent plus le plafonnement ; ils le demandent.
Le contrat est donc, aujourd'hui, considéré comme excessif. Il contient un nombre excessif de clauses et de pages. Le Professeur Françoise Auque, dans le cadre d'un article sur les baux dans les centres commerciaux, a même démontré que ces derniers sont de vrais contrats d'adhésion déséquilibrés dans lesquels les clauses ne sont pas négociables. La doctrine parle ainsi de "contrat-contrainte", conçu non pour régir de façon équilibrée les relations des parties, mais pour assurer la domination du bailleur et la soumission du preneur.
Ce caractère excessif a été également évoqué dans le cadre de la mission "Pelletier", le rapport qui en fut issu mentionnant que "la rédaction actuelle de certains baux, inspirée parfois de pratiques anglo-saxonnes, se caractérise par la longueur du contrat et la densité de ses stipulations. Les locataires évoquent de véritables contrats d'adhésion et se plaignent du corps excessif des obligations mises à leur charge".
Cet excès de contrat n'est pas expressément sanctionné dans la loi (1) mais peut être rééquilibré par le juge (2).
1 - L'absence de sanction expresse par la loi
En matière des baux commerciaux, il n'y a pas de réglementation des clauses abusives ou des clauses excessives, comme en droit des baux d'habitation. Les articles L. 145-15 (N° Lexbase : L5743AIK) et L. 145-16 (N° Lexbase : L5763ISA) du Code de commerce frappent de nullité les clauses contraires au droit au renouvellement, à la durée du bail, à la déspécialisation, aux révisions légales, au droit de céder le fonds de commerce... Les clauses nulles sont donc celles qui portent atteinte à la propriété commerciale, mais non les clauses excessives.
Une clause nulle n'est pas nécessairement excessive. Ainsi, la clause d'enseigne est-elle jugé nulle par la Cour de cassation comme portant atteinte à la propriété commerciale (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-21.671 N° Lexbase : A9125AG3). Une telle clause n'est pas en soi excessive ; il est, en effet, tout à fait, compréhensible que le propriétaire d'un centre commerciale souhaite conserver des enseignes notoires et organiser la commercialité. Cette nullité est donc sans aucun rapport avec l'excès. De même la clause d'association, imposant au locataire d'adhérer à l'association de commerçant du centre commercial a été déclarée nulle par la Cour de cassation, sur le fondement de la liberté d'association, la notion d'excès étant ici tout aussi étrangère (Cass. civ. 3, 12 juin 2003, n° 02-10.778, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7273C8U ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17.587, FS-P+B+I N° Lexbase : A7510IQ9). Il en est également ainsi de la nullité de la clause prévoyant un congé par lettre recommandée (Cass. civ. 3, 5 novembre 2003, n° 01-17.530, FS-P+B N° Lexbase : A0655DAI).
Inversement, la clause excessive n'est pas nécessairement nulle. Ainsi, la clause transférant au locataire l'intégralité des charges (pour les charges de chauffage, cf. Cass. civ. 3, 3 octobre 2012, n° 11-21.108, FS-P+B, préc.), des taxes (pour la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, cf. Cass. civ. 3, 13 juin 2012, n° 11-17.114, FS-P+B, préc.) des travaux (par ex., Cass. civ. 3, 6 mars 2013, n° 11-27.331, FS-P+B, préc.) bien qu'elle puisse paraître parfaitement excessive, n'est pas frappée de nullité si elle bien rédigée. Egalement, ne sont pas nulles les clauses d'interdiction imposant au locataire l'accord du propriétaire pour toute une série de démarches, pourtant nécessaires à l'exploitation de son activité, telle que celle qui suppose l'autorisation du bailleur pour effectuer des travaux imposés par un service de contrôle. De même, les clauses de contrôle et d'investigation, notamment dans les centres commerciaux, qui permettent au bailleur de vérifier la comptabilité, le chiffre d'affaires du locataire, s'il s'est acquitté de ses obligations auprès de l'URSSAF, etc., et qui sont assurément excessives, n'en sont pas moins valables.
2 - Le rééquilibrage par le juge
Le juge, par nature modéré, sera donc sollicité pour rééquilibrer le contrat et combattre ainsi les excès du contrat et du marché. Deux types de clause peuvent illustrer ce propos.
Il s'agit, d'abord, des clauses mettant à la charge du preneur des charges exorbitantes. Ainsi, aux termes de l'article R. 145-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L0046HZQ), "les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative". Pour fixer la valeur locative, le juge va donc appliquer un abattement tenant compte des charges exorbitantes mises à la charge du preneur.
Ainsi, dans un arrêt du 30 novembre 2011, la cour d'appel de Paris a retenu que "l'impôt foncier pèse en principe sur le bailleur et l'allégation que l'usage en centre commercial est de faire supporter par le preneur la charge de l'impôt foncier est inopérante dès lors qu'un tel usage, à le supposer établi, ne peut contrevenir à une disposition claire de la loi [...]. Il convient en conséquence d'approuver le premier juge en ce qu'il a déduit le montant de l'impôt foncier de la valeur locative" (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 30 novembre 2011, n° 10/05085 N° Lexbase : A2352H3I).
Egalement, le 3 avril 2012, la cour d'appel d'Angers a jugé que "les travaux de mise aux normes et l'impôt foncier incombant normalement au bailleur, c'est à juste titre que [le preneur] demande qu'ils viennent en déduction de la valeur locative. La circonstance que de telles clauses figurent habituellement dans les baux relatifs à ce type de locaux implantés dans des zones commerciales est indifférente, les obligations particulières mises à la charge du preneur s'appréciant par rapport à la loi" (CA Angers, 3 avril 2012, n° 09/04378 (N° Lexbase : A0875IIA).
Le juge, par le biais de l'article R. 145-8 du Code de commerce, va donc rééquilibrer le contrat, puisque tout ce que le propriétaire gagne d'un coté en application des clauses exorbitantes, il le perd de l'autre, par l'application d'un abattement.
Il s'agit, ensuite, des clauses relatives à l'obligation de délivrance. Ces dernières années, la Cour de cassation a rendu de nombreux arrêts fondés sur l'obligation de délivrance, pour limiter la portée de certaines clauses excessives. Selon l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL) "le bailleur est obligé, par la nature du contrat [...] de délivrer au preneur la chose louée [...] d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée". C'est une obligation essentielle du contrat sans être pour autant d'ordre public.
Trois arrêts récents, rendus dans le courant de l'année 2013, illustrent l'intervention du juge sur le fondement de l'obligation de délivrance, pour rééquilibrer le contrat.
- Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-28.170, FS-P+B (N° Lexbase : A1513IZ3)
En l'espèce, avait été donné à bail un ensemble de parcelles en nature de terre, bois et landes, pour y exploiter une activité de parc de chasse. L'activité de parc de chasse est définie à l'article L. 424-3 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L3486ISW) qui impose la présence d'une habitation attenante et d'une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage du gibier et celui de l'homme. Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2012, les lieux loués étaient dépourvus d'une habitation attenante et d'une clôture continue, si bien que le locataire s'était vu opposé l'interdiction d'exploiter. Le preneur avait alors demandé la résiliation du bail aux torts de la bailleresse. Pour rejeter cette demande, la cour d'appel de Nîmes avait retenu que si la destination des biens donnés à bail était celle de parc de chasse, le bail mettait expressément à la charge du preneur la mise en conformité des lieux loués avec les règlements en vigueur ainsi que toutes les transformations et réparations nécessitées par l'exercice de son activité, de sorte que la clause de non-garantie de l'obtention des autorisations nécessaires à l'utilisation de l'immeuble loué en vue de l'exercice de l'une des activités autorisées était parfaitement licite, les parties ayant la faculté de limiter l'étendue de l'obligation de délivrance du bailleur (CA Nîmes, 29 septembre 2011, n° 09/01354 N° Lexbase : A9026H8S). La décision est censurée au visa de l'article 1719 du Code civil : la cour d'appel a violé ce texte, dès lors qu'aucune clause ne peut décharger le bailleur de son obligation de délivrer une chose conforme à sa destination
- Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, n° 11-12.970, FS-D (N° Lexbase : A3352IW3)
Dans cette affaire, la cour d'appel de Douai (CA Douai, 2ème ch., sect. 2, 16 novembre 2010, n° 09/00499 N° Lexbase : A6146GKT) avait retenu que le bail exonère le propriétaire de son obligation de délivrance en bon état comme de son obligation d'entretien et de réparation en cours d'exécution du contrat, y compris pour les grosses réparations et celles résultant de la vétusté. La Cour de cassation censure également cette solution : "les clauses du contrat de bail ne pouvaient décharger le bailleur de son obligation de délivrance d'un local en état de servir à l'usage contractuellement prévu".
- Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, n° 11-20.660, FS-D (N° Lexbase : A3357IWA)
Dans cette affaire, la locataire de locaux à usage de café-restaurant, situés dans un centre commercial, se plaignant d'entrées d'air froid dues au mauvais fonctionnement des portes d'accès à ce centre l'empêchant d'exploiter normalement les lieux loués, a assigné la bailleresse en réparation de son trouble de jouissance. La cour d'appel de Rennes avait rejeté la demande du preneur (CA Rennes, 16 mars 2011, n° 09/06450 N° Lexbase : A8854HCW), au motif qu'une clause du bail stipule que le preneur s'interdit tout recours en diminution de loyer du fait de l'interruption dans le fonctionnement des appareils communs , ladite clause rendant sa demande irrecevable. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel : la clause litigieuse ne décharge pas la bailleresse de son obligation de délivrance et ne prive pas la locataire du droit de demander l'indemnisation de son trouble de jouissance.
Ainsi, à la lecture de ces décisions, Jehan-Denis Barbier relève que, si les juges du fond appliquent les clauses contractuelles, la Cour de cassation prive d'effet les clauses excessives.
A l'issue du bail, le bailleur peut refuser le renouvellement, en application du droit absolu qu'il tire de l'article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII). Il doit alors sauf exception au preneur une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. L'alinéa 2 précise alors que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. Il en résulte que ce texte pose une présomption de disparition du fonds du fait du non-renouvellement, qui constitue la base sur laquelle le locataire doit être indemnisé. Cette présomption peut être combattue si le bailleur apporte la preuve que le préjudice subi par le locataire est moindre, en démontrant que le transfert du fonds est possible. Mais cette preuve n'est pas évidente à rapporter car il a été jugé que l'acquisition ou la création d'un nouveau fonds de commerce par le locataire ne suffit pas à écarter cette présomption. Ainsi, dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 12 avril 2008, le locataire évincé, qui exploitait précédemment sur une enseigne, avait trouvé de nouveaux locaux et s'était réinstallé avec la même enseigne. Le propriétaire soutenait qu'il y avait bien eu transfert du fonds de commerce. Pourtant, pour la cour d'appel de Montpellier l'exploitation par le preneur d'une nouvelle enseigne identique à la précédente, dans les lieux loués avant l'éviction et la restructuration globale des activités commerciales du locataire évincé sous cette même enseigne ne démontrent nullement que le fonds a été simplement déplacé. L'exploitation d'un commerce de détail dépend de son emplacement. Le preneur évincé était privé d'un emplacement spécifique et peu important le choix par le preneur d'un emplacement différent et de l'exercice d'une activité commerciale un petit peu plus large.
Par conséquent, la première vérification à faire dans chaque contentieux d'éviction va consister à déterminer si le fait pour le preneur de devoir quitter les lieux entraîne ou non la perte du fonds de commerce. Si le refus de renouvellement entraîne la perte du fonds, le bailleur doit régler l'indemnité dite de remplacement qui aura pour assiette la valeur du fonds. Si, au contraire, le fonds de commerce peut être déplacé sans perte de clientèle, le bailleur ne devra régler qu'une indemnité dite de déplacement ou de transfert qui aura pour assiette la valeur du droit au bail. Les indemnités accessoires sont dues dans les deux cas et en particulier les frais de réinstallation pour un fonds de même valeur (Cass. civ. 3 18 décembre 2012 n° 11-23.273, F-D N° Lexbase : A1639IZQ).
Seront donc examinées successivement la valeur de déplacement, puis la valeur de remplacement dans les cas particuliers où le droit au bail est pris en compte comme indemnité principale.
1 - Le droit au bail dans le cadre de la valeur de déplacement
La valeur de déplacement suppose donc que le fonds de commerce peut être transféré. Le bailleur doit établir que l'exploitation peut être poursuivie sans perte significative de clientèle. Ce sera le cas essentiellement pour des grossistes, des locaux industriels, des bureaux, des entrepôts, des commerces de détail de forte notoriété, ou lorsque le commerçant trouve une possibilité de se réinstaller à proximité immédiate. On considère toutefois que le preneur subit un préjudice lié à la perte de l'économie de loyer, le loyer qu'il devra payer pour se réinstaller pouvant être supérieur à celui qu'il paye pour les locaux dont il est évincé. Il s'agit du droit au bail, dont la valeur est déterminée par la capitalisation de la différence sur un an entre la valeur locative des lieux loués et ce qu'aurait été pour le locataire évincé le loyer de renouvellement. Il faut donc identifier plusieurs éléments et en premier lieu ce montant du loyer de renouvellement ce qui impose de vérifier si ce dernier aurait été plafonné ou déplafonné. Il convient ensuite d'évaluer la valeur locative des lieux loués hors du plafonnement. Se pose dès lors la question de savoir s'il s'agit d'une valeur locative de renouvellement déterminée en fonction de l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9), c'est-à-dire en fonction des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage ; ou de la valeur locative de marché du local libre de toute occupation, c'est-à-dire le prix du loyer pour une location nouvelle sans versement de droit d'entrée pour le commerce qui serait le plus adapté à l'emplacement, celui qui génèrera le chiffre d'affaires le plus élevé au mètre carré.
Chaque fois que le déplafonnement est pratiquement acquis en raison de la durée du bail ou parce qu'il existe un motif relativement inconstatable de déplafonnement, il doit en résulter une forte minoration du droit au bail. En revanche, si la valeur locative de renouvellement est appliquée, il n'y a alors plus du tout de valeur de droit au bail, sauf à appliquer une valeur locative "compassionnelle" pour reprendre les termes de François Robine.
Si la valeur locative du prix marché est appliquée, le droit au bail correspondra alors à une valeur résiduelle qui sera la différence entre le prix de renouvellement et le prix de marché. Mais dans ce cas, peut-on estimé que l'on est encore dans une économie de loyer ? La réponse semble négative, dans la mesure où l'on est dans le cadre de la valeur du droit au bail lui-même que le locataire pourrait éventuellement vendre à un autre locataire pour exercer, dans les locaux loués, une activité différente, étant entendu que, dans ce cas, il lui faudra souvent obtenir l'accord du bailleur puisque dans la quasi-totalité des baux interdisent la cession libre du seul droit au bail.
Concernant la détermination du multiple, à une certaine époque était appliqué un multiple de 9, considérant que l'économie de loyer se faisait sur 9 ans. Le différentiel d'une année de loyer était donc multiplié par 9. Or, payer un capital en une seule fois et faire une économie de loyer sur neuf ans sont deux choses différentes, si bien qu'à cette méthode lui a été ensuite préférée l'application d'un coefficient financier. Cette technique a également été abandonnée, la pratique retenant aujourd'hui un coefficient dit de commercialité qui varie de 2 à 10 voire 12 :
- coefficient de 2 ou 3 pour les situations médiocres ;
- coefficient de 4 ou 5 les situations moyennes ;
- coefficient de 5 pour les bonnes situations ;
- coefficient de 6 pour les très bonnes situations ;
- coefficient de 10 voire 12 pour les situations exceptionnelles à Paris.
Il s'agit donc du calcul théorique de la valeur du droit au bail dans le cadre de l'indemnité de déplacement.
Lorsque l'activité est transférable, il apparaît logique que la valeur du droit au bail soit appréciée en prenant en considération, exclusivement, les locaux dont le preneur est évincé. A ce niveau, surgit, néanmoins un problème, lorsque le preneur prend l'initiative d'un transfert en cours d'instance, avant que l'indemnité soit définitivement fixée.
Considérant les indemnités dites accessoires, il est d'usage de prendre en comptes le préjudice effectivement subi et justifié par le preneur : le frais de déplacement, éventuellement le double loyer et le trouble commercial.
Mais, en ce qui concerne le droit au bail, lui-même, doit-on faire abstraction de la valeur du droit au bail des locaux dans lesquels le commerce exercé a été effectivement transféré ou, au contraire doit-on prendre en comptes les modalités de réinstallation ? Si le locataire s'est réinstallé en faisant l'acquisition d'un droit au bail, appelé pas de porte, fort logiquement la mesure de l'indemnité sera fournie par le droit au bail. En revanche, lorsqu'il n'y a pas de droit au bail, il existe des divergences entres juridictions du fond.
Certaines semblent exclure la prise en considération du loyer payé pour le nouveau local. Ainsi, dans une affaire jugée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en 2003, une activité de garde meuble était exercée à Nice en centre-ville. Le locataire trouve de nouveaux locaux pour se réinstaller dans un nouvel immeuble à Saint-Laurent du Var. L'expert judiciaire commis a considéré que le locataire pouvait transférer son activité sans perte de clientèle. Le bailleur faisait donc valoir que ces nouveaux locaux, plus commodes et plus économiques pour le locataire, anéantissaient la valeur du droit au bail. La cour d'appel considère que la méthode du différentiel de loyers n'a pas à prendre en considération le loyer effectivement payé pour un nouveau local ni même les nouvelles conditions économiques de l'activité déplacée, telle une exploitation plus rationnelle.
En revanche, la même cour d'appel a pu considérer que concernant le différentiel de loyer à prendre en compte, la différence se fait entre le dernier loyer payé par le locataire et le prix du marché et non la valeur locative de renouvellement. La cour d'appel de Paris a considéré, au contraire, que la valeur locative à retenir et non pas celle des locaux en cause, mais celle que la société locataire va devoir payer pour des locaux équivalents. Ainsi, dans un arrêt du 16 juillet 2006, elle a retenu que le preneur ayant retrouvé un local correspondant à ses besoins, l'indemnité principale d'éviction, qui doit réparer l'intégralité du préjudice réellement causé par l'éviction, n'a pas à être calculée sur une valeur locative théorique, mais sur la différence réelle entre le loyer du local dont le preneur est évincé et celui qui le remplace. Cela paraît parfaitement logique ; rien d'excessif dans tout cela.
Dans un arrêt du 12 mars 2008, la cour d'appel de Montpellier fait la même analyse. Dans cette affaire, l'expert avait mis en évidence le transfert de l'activité du preneur dans de nouveaux locaux situés à proximité des locaux, objet du congé, l'opération n'ayant pas nécessité de rachat de fonds de commerce. Dès lors, en raison du transfert de l'existant, l'indemnité principale se résume à la valeur du droit au bail et en l'absence de contrat de bail, la valeur du droit au bail est déterminée en fonction des loyers versés. Or, le loyer versé est inférieur au loyer des locaux, objet du congé, de telle sorte que la valeur du droit au bail est nulle et que ne doit être versée qu'une indemnité pour trouble commercial.
La Cour de cassation considère quant à elle que c'est au juge du fond d'user de leur pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer la valeur du droit au bail dès lors que le preneur s'est réinstallé dans des locaux équivalents.
En conclusion sur cette indemnité de transfert, il est généralement admis que la valeur du fonds de commerce majorée des indemnités accessoires constituerait le maximum de cette indemnité susceptible d'être reçue par le locataire. Dès lors qu'il se réinstalle, il est en effet considéré légitime que le locataire reçoive une indemnité supérieure à celle qu'il aurait reçue s'il avait perdu le fonds. Aussi, si indemniser le transfert s'avère plus onéreux qu'indemniser la perte du fonds, il convient, dans la logique de l'article L. 145-14 du Code de commerce, s'en tenir à l'indemnisation du fonds. En effet, il se peut que des indemnités de transferts soient infiniment plus onéreuses que la valeur du fonds. Ce sera notamment le cas pour les sites industriels pour lesquels le transfert est particulièrement lourd financièrement.
2 - Le droit au bail dans le cadre de la valeur de remplacement
Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle il existe une valeur de plancher du droit au bail et uniquement du droit au bail. Il peut en effet y avoir une valeur de fonds même en présence d'une entreprise déficitaire, la valeur du fonds étant alors réduite à celle du droit au bail. En d'autres termes, le résultat déficitaire d'une exploitation n'est pas de nature à priver le locataire évincé d'une indemnité d'éviction. Si cela peut paraître curieux, il ne s'agit que de l'application de la méthode de l'actif net qui s'impose dans l'évaluation de n'importe quelle entreprise. Dans le cas de fonds de commerce faiblement déficitaire ou exercé dans des locaux important géographiquement ou physiquement, tout le centre de la gravité du calcul de l'indemnité de remplacement va basculer vers l'évaluation du droit au bail.
On retrouve ici le calcul de l'économie de loyers ou de différentiel de loyer avec le montant du loyer théorique de renouvellement comparé à la valeur locative des lieux loués hors plafonnement. Se pose donc toujours la même question : s'agit-il de la valeur locative de renouvellement ou bien de la valeur locative de marché, valeur du local libre de toute occupation sans versement de droit d'entrée ?
Selon certains experts, il convient d'appliquer la valeur locative telle qu'elle est déterminée par les règles du marché. Sur ce dernier point, d'un point de vue économique le droit au bail est défini comme la somme versée par un locataire à un autre locataire pour acquérir le droit d'occuper un local commercial. La valeur du droit au bail déterminée selon les règles du marché correspond donc à la différence entre la valeur locative de marché et le loyer. Les commerçants recherchent la rentabilité directe mais également les beaux emplacements et les emplacements de prestige pour leurs répercussions sur les autres boutiques exploitées sous la même enseigne pour l'effet vitrine, afin de multiplier le concept et valorisation de la marque. Or, les emplacements d'exception sont rares, ce qui crée une véritable valeur de droit au bail et un véritable marché du droit au bail. Ainsi, lorsqu'il est exercé dans une boutique ou un commerce qui n'est plus adapté à la rue, il est fréquent que la valeur du droit au bail soir très supérieure à celle du fonds. Dans ce cadre économique, la valeur du droit au bail est bien la différence entre le loyer théorique de renouvellement et le loyer au prix du marché.
Mais dans cette même pratique du marché que se passe-t-il dès lors que le fonds de commerce est librement cessible alors que la plupart des baux interdisent au preneur de céder sans l'accord du bailleur le seul droit au bail ? Naîtra donc une négociation tripartite entre le vendeur, l'acquéreur et le bailleur, dans la mesure où le vendeur n'a pas d'autre choix que de faire intervenir le bailleur qui monnayera son accord. Il autorisera en effet la déspécialisation et à vendre le droit au bail en contrepartie du versement d'une indemnité de déspécialisation ou le plus souvent d'une réévaluation du loyer. Le bailleur ne devra être avoir des exigences financières mesurées, au risque de faire baisser excessivement la valeur du droit au bail et d'entraîner une cession du seul fonds de commerce. Le bailleur profite donc de la demande de changement d'activité pour réévaluer son loyer et en obtenir une hausse qui met fin au plafonnement et permet de rétablir, malgré tout, un équilibre contractuel locatif lorsque le loyer est plafonné depuis des années et que la valeur du droit est bail est parallèlement très élevé. C'est ce que l'on appelle la valeur partagée.
Mais que se passe-t-il en matière d'indemnité d'éviction ? Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle le loyer est plafonné et le bailleur préfère payer une indemnité d'éviction plutôt que de rester sur un loyer qui n'est plus en adéquation avec le marché. Or, par le système du droit au bail, plus le loyer est bas plus l'indemnité d'éviction sera élevée, voire excessive dans les emplacements prestigieux. Dès lors, le bailleur perd ici toute faculté d'augmentation du loyer. En effet, il ne trouvera jamais de locataire prêt à payer un droit au bail très élevé et une valeur locative de marché. Aussi, retenir une valeur de droit au bail, dans le cadre d'une indemnité d'éviction, tout commerce constitue un enrichissement pour le locataire lorsque cette valeur est supérieure à celle du fonds de commerce et cette valeur revient à avoir des valeurs de droit au bail parfaitement excessive.
Pour éviter ces écueils, il conviendrait, dès lors, de considérer que si le droit au bail n'est pas cessible seul, il n'a pas de valeur patrimoniale. Un arrêt de la cour d'appel de Dijon de septembre 1993 a ainsi réduit de moitié la valeur du droit au bail pour tenir compte du fait qu'il n'était pas librement cessible.
La deuxième solution consisterait à estimer que, lorsque le locataire fait l'objet d'une éviction, l'indemnité qui doit compenser le préjudice subi devrait se rapprocher de la valeur de droit au bail susceptible d'être négociée sur le marché avec l'accord du bailleur.
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Réf. : Arrêtés du 12 avril 2013, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, NOR : EFIT1306883A (N° Lexbase : L6412IWE) et NOR : EFIT1308148A (N° Lexbase : L6403IW3)
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Le 26 Avril 2013
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Réf. : AMF, guide AIFM - sociétés de gestion, publié le 16 avril 2013
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Le 02 Mai 2013
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Réf. : Cass. com., 16 avril 2013, n° 10-14.881, FS-P+B (N° Lexbase : A4085KCB)
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Le 27 Avril 2013
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Réf. : Aut. conc, avis n° 13-A-09, 18 avril 2013 (N° Lexbase : X2731AM4)
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N6857BT7
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Le 30 Avril 2013
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Réf. : CJUE, 18 avril 2013, aff. C-247/12 (N° Lexbase : A1409KC8)
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N6852BTX
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Le 16 Octobre 2017
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Réf. : Cass. com., 15 janvier 2013, n° 11-27.298, FS-P+B (N° Lexbase : A4838I3L) et Cass. com., 26 mars 2013, n° 11-27.423, FS-P+B (N° Lexbase : A2719KBC)
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N6780BTB
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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan
Le 25 Avril 2013
I - Les précisions quant à la notion de défendeur au sens de l'article 1699 du Code civil
Il résulte de la production du début d'année de la Cour de cassation qu'un demandeur reconventionnel peut être considéré comme défendeur pour les besoins de l'article 1699 du Code civil (A), tout comme une caution (B).
A - Qualité de défendeur et demande reconventionnelle
La jurisprudence constante de la Cour de cassation exige que seul le défendeur à l'instance ayant pour objet le droit litigieux puisse valablement se prévaloir des dispositions de l'article 1699 du Code civil (3). Dans la ligne du caractère exceptionnel de la faculté de retrait litigieux, il s'agit, par ce critère, de ne pas offrir une sortie trop commode au débiteur cédé qui pourrait autrement trouver dans sa propre prétention une planche de salut face au cessionnaire de la créance dont il est redevable.
Au cours de la procédure s'étant dénouée devant la Chambre commerciale le 15 janvier 2013, la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 29 septembre 2011, n° 10/11434 N° Lexbase : A3624HYU) avait dénié tout droit à retrait litigieux à la partie qui en estimait être bénéficiaire au nom de ce qu'elle avait introduit une demande reconventionnelle, à savoir "une demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire" (C. proc. civ., art. 64 N° Lexbase : L1267H4P), ce qui lui aurait fait complètement perdre, dans l'esprit des juges d'appel, sa qualité de défendeur à l'instance au fond portant sur la contestation du droit litigieux.
L'arrêt du second degré est, sur ce terrain (comme sur bien d'autres), cassé à juste titre par la Cour de cassation : dans l'instance relative à la créance d'indemnité contractuelle, le demandeur reconventionnel, sans schizophrénie, était bien défendeur. Peu importe donc la demande reconventionnelle : dans un souci d'équilibre, il ne s'agirait pas de trop contraindre la stratégie contentieuse du débiteur cédé.
B - Qualité de défendeur et caution
Dans l'arrêt du 26 mars 2013, la question de droit soumise à la Cour de cassation était, en substance, la suivante : le retrait litigieux peut-il être exercé par la personne s'étant portée caution au titre de la créance cédée ?
A nouveau, il s'agit donc pour la Haute juridiction de jouer avec l'asymptote du régime de l'article 1699 du Code civil. La cour d'appel de Paris (toujours elle) n'avait pas souhaité le faire : à son avis, une caution ne pouvait bénéficier de la faculté de retrait litigieux (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 novembre 2011, n° 10/24014 N° Lexbase : A0666H33). De notre point de vue, ce raisonnement est porteur d'un vice de droit : l'une des caractéristiques essentielles du cautionnement est d'obliger à payer une dette à la place du débiteur si celui-ci ne le fait lui-même (C. civ., art. 2288 N° Lexbase : L1117HI9), ce qui aboutit à ce que l'obligation principale et l'obligation de la caution partagent le même objet. Aussi, il paraît non seulement concevable mais, au surplus, juridiquement indispensable que, face au cessionnaire d'une créance, la caution puisse se libérer pour le prix de cession de la créance cédé, comme peut le faire le débiteur dans les limites posées par l'article 1699 du Code civil, puisque la caution ne peut être tenue plus sévèrement que le débiteur principal (C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L1121HID).
C'est cette voie que retient la Chambre commerciale dans sa décision du 26 mars 2013 en ouvrant le retrait litigieux à la caution, dès lors que celle-ci est "défenderesse à l'instance qui [a] pour objet la contestation du droit litigieux". En somme, l'exercice du retrait litigieux impose la qualité de défendeur à l'action en justice relative à la créance mais pas nécessairement à celle en contestation du retrait litigieux lui-même.
Ces quelques précisions quant à ce que la position prétorienne comprend comme le défendeur à une instance ayant pour objet le retrait litigieux sont bonnes à prendre, tant pour ceux qui raisonnent dans le sens du candidat retrayant, puisque se clarifient des situations jusqu'alors frappées d'ambiguïté, que pour ceux qui veulent protéger les intérêts des cessionnaires, car ils y trouveront plus de prévisibilité dans la structuration des opérations d'acquisition de créances. La même prévisibilité est aussi une vertu des avancées jurisprudentielles, même modestes, des dernières semaines à propos de certaines conditions relatives à la cession pour que celle-ci soit éligible au bénéfice de l'article 1699 du Code civil.
II - Les précisions quant à certaines conditions relatives à la cession pouvant bénéficier de l'article 1699 du Code civil
C'est ici l'arrêt du 15 janvier 2013 qui va nous retenir exclusivement, en ce qu'il se prononce relativement à l'incidence sur l'exercice du retrait litigieux du fait que la créance "fasse bloc" avec autre chose (A) et qu'il exclut toute considération pour les motifs de la cession de créance en dessous du nominal (B).
A - Bloc et retrait litigieux
Pour éviter l'application des dispositions de l'article 1699 du Code civil, a été prise l'habitude de procéder à des cessions de créances en bloc, à savoir en cédant des portefeuilles de créances en une seule fois. Le raisonnement sous-jacent tient à ce que, de la sorte, le prix de cession de chaque créance serait plus difficile à déterminer, ce qui couperait court à toute velléité du débiteur cédé de demander un retrait litigieux. La tactique est d'autant plus fondée qu'elle correspond, souvent, à l'appétit de certains cessionnaires qui achètent, à des prix plus ou moins cassés, des portefeuilles de créances.
Mais voilà, la Cour de cassation sait se montrer protectrice des prérogatives offertes à la partie faible que serait le débiteur cédé. C'est ainsi que, dans un arrêt déjà fort ancien, elle avait jugé que "un créancier, en comprenant une créance litigieuse dans une cession en bloc d'un grand nombre de créances, ne saurait détruire ni paralyser la faculté qu'un débiteur tient de la loi [...] d'exercer un retrait litigieux" (4). Cette position générale a été réaffirmée à plusieurs reprises depuis la fin du XIXème siècle, notamment pour préciser que le retrait litigieux reste toujours possible dès lors que le prix de cession de la créance litigieuse peut être déterminé au sein de celui du portefeuille cédé (5).
Dans les faits de l'arrêt du 15 janvier 2013, deux créances, dont celle litigieuse, avait été cédées : dans ce petit bloc, la cour d'appel avait cru y voir un motif suffisant pour refuser toute application de l'article 1699 du Code civil. Sans surprise, pour les motifs classiques évoqués ci-dessous, la Chambre commerciale y trouve un chef de cassation : la cour d'appel aurait dû rechercher "si la part correspondant à la créance litigieuse dans le prix de cession global était déterminable". En ce sens, les juges de cassation se situent purement et simplement dans la ligne existante et ne vouent pas aux gémonies les cessions en bloc : si celles-ci, sans intention frauduleuse, sont réalisées pour un prix forfaitaire ne conduisant pas à appliquer un ratio unique à chacune des créances du portefeuille (ce qu'une clause de la convention de cession peut utilement préciser), le cessionnaire trouve une bonne protection face au risque que constitue pour lui le retrait litigieux.
En fait de bloc, et le point fait également partie de la discussion de l'arrêt du 15 janvier 2013, il faut également envisager l'impact du caractère accessoire de la cession de créance litigieuse par rapport à un droit principal, avec lequel elle ferait donc corps, quant à l'applicabilité du régime de l'article 1699 du Code civil. En la matière, la première chambre civile de la Cour de cassation conçoit, il est vrai, d'écarter toute faculté de retrait litigieux dès lors que la créance contestée en justice est inséparable d'un droit principal (6). En l'espèce, parce que la cession de la créance en cause n'avait été que l'accessoire de la liquidation amiable du débiteur cédé, qu'elle entendait simplifier (c'est réussi...), la cour d'appel de Paris avait, une fois encore, refusé de faire application de l'article 1699 du Code civil. Nouvelle cassation : selon la Chambre commerciale, le caractère inséparable du droit principal, auquel nous faisions référence, n'a pas été suffisamment caractérisé par les juges du fond. On peut voir, comme d'autres (7), dans cette position, une atténuation sensible des exigences du juge du droit qui semble ne plus souhaiter se contenter d'un refuge derrière l'appréciation souveraine des juges du fond comme il pouvait le faire jusqu'alors (8).
B - Spéculation et retrait litigieux
Pour refuser au défendeur le retrait litigieux, la cour d'appel de Paris avait cru bon subordonner l'exercice de cette faculté à l'existence d'une intention spéculative du cessionnaire. Il est exact que le parfum balzacien de l'article 1699 du Code civil est celui d'une farouche envie d'éviter la spéculation autour de créances décotées déjà en procès. Or, dans les faits de l'espèce de l'arrêt du 15 janvier 2013, la cession était intervenue pour la somme d'un euro pour purger le passif du cédant, alors en liquidation judiciaire : en conséquence, on peut affirmer sans trop s'avancer qu'il n'y avait, en effet, aucune intention spéculative derrière la cession de la créance litigieuse.
Pourtant, la Cour de cassation néglige cet argument du cessionnaire au nom d'une lecture littérale de l'article 1699 du Code civil : ce serait ajouter à la loi que d'imposer que le retrait litigieux ne puisse intervenir que si la cession a été réalisée à des fins spéculatives. Au demeurant, ce serait un critère fort délicat à apprécier, susceptible de vider de sa substance l'article 1699 du Code civil. Au final, on ne voit pas trop comment la Cour de cassation aurait pu ne pas casser l'arrêt rendu par la cour d'appel pour avoir exigé que le retrait litigieux ne soit exerçable qu'à la condition que la cession ait été spéculative, et ce, en dépit, de l'interprétation téléologique consensuelle de l'article 1699 du Code civil.
A propos d'une problématique proche, nous pouvons exprimer un regret relatif à l'argumentaire déployé dès l'instance au fond : pourquoi ne pas avoir avancé que la cession ayant été faite pour le prix symbolique d'un euro, elle ne comportait pas de prix, ce qui devrait conduire à exclure les dispositions de l'article 1699 du Code civil ? Certes, la Cour de cassation a déjà admis que le retrait litigieux était possible même en cas de cession à titre gratuit (9), mais il paraît malgré tout dommage de s'être privé d'un beau discours sur ce point, à la recherche d'un revirement de jurisprudence.
A reconsidérer l'ensemble que forme le très sec grand chelem de cassation du 15 janvier 2013 et la cassation unique du 26 mars 2013, on s'aperçoit que la principale innovation dont ils sont porteurs est la précision indéniable de ce que la cession a beau être effectuée sans intention spéculative elle n'est pas pour autant immunisée contre le retrait litigieux. Ces deux arrêts sont aussi révélateurs d'un flux abondant de litiges relatifs au retrait litigieux. Appel sur appel a beau ne pas valoir, quand entre en jeu l'article 1699, litige sur litige vaut clairement.
(1) Cass. civ. 1, 30 juin 1981, n° 79-12.531 (N° Lexbase : A5680CKL), D., 1983, 102, note Abitbol ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 00-20.086, FS-P (N° Lexbase : A8617DAE), Bull. civ. I, n° 17.
(2) Cass. com., 15 avril 2008, n° 03-15.969, F-P+B (N° Lexbase : A9571D7M), Droit & patrimoine, septembre 2008, p. 97, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm. Pour être tout à fait exact, l'arrêt concernait un fonds commun de créances, prédécesseur des organismes de titrisation dont on peut donc assez légitimement penser qu'ils sont soumis au même régime en matière de retrait litigieux.
(3) Cass. com., 26 mars 1973, n° 71-14712, publié (N° Lexbase : A0452CKX), Bull. civ. IV, n° 133 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, préc..
(4) Cass. Req., 30 juin 1880, S. 1881, 1, p. 59.
(5) Voir, en particulier, Cass. com., 29 octobre 2003, JCP, éd. G., 2004, I, 141, obs. Ph. Simler et Ph. Delebecque.
(6) Cass. civ. 3, 31 mai 1978, n° 77-20.007 (N° Lexbase : A6477CK4), Bull. civ. III, 1978, n° 231.
(7) X. Delpech, Cession de créances : précisions sur l'exercice du retrait litigieux, D., 2013, p. 542.
(8) Cass. civ. 3, 31 mai 1978, préc..
(9) Cass. com., 31 mars 1998, n° 96-12.897, inédit (N° Lexbase : A7920C7H).
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Réf. : Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-17.633, F-P+B (N° Lexbase : A3921KC9)
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Le 25 Avril 2013
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Réf. : Commission européenne, communiqué de presse IP/13/330 du 16 avril 2013
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Le 25 Avril 2013
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Réf. : Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.213, F-P+B (N° Lexbase : A5783KAG)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
Le 25 Avril 2013
La responsabilité civile des administrateurs peut être mise en cause par les actionnaires, au moyen de deux actions. Tout d'abord par une action individuelle (3), dont la finalité est la réparation du préjudice subi personnellement par un actionnaire, indépendamment de celui subi par la personne morale (4). Cette action personnelle vise à réparer le préjudice de l'actionnaire qui est le corollaire du préjudice global subi par la société (5). Par ailleurs, les actionnaires peuvent agir, en se substituant aux représentants légaux en cas d'inaction de leur part, afin d'obtenir la réparation de l'entier dommage subi par la société (6). Ainsi, on peut relever que la loi autorise les actionnaires à agir au nom et pour la compte de la société (I). Toutefois, l'action sociale ainsi exercée est une action attirée dont le domaine est limité par la loi (II). Par conséquent, à défaut de respect des dispositions légales, l'action doit être jugée irrecevable.
I - Le droit d'agir légalement qualifié
En principe, il n'est pas possible d'agir en justice pour le compte d'autrui, car la gestion d'affaire est exclue en matière procédurale (7), et plus spécialement lorsque le demandeur est une société (8). Cette interdiction est fondée sur une conception individualiste de l'action en justice, dont les origines remontent à l'époque révolutionnaire. Toutefois, le droit positif a développé des exceptions à ce principe, et notamment les actions attitrées. La notion d'action attitrée (8) évoquée à l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43), vise, à côté de l'action qualifiée de "banale", car ouverte à tout intéressé, des "cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé". Ainsi, la loi limite les personnes habilitées à agir, ou, au contraire, elle l'étend à l'ensemble des titulaires possibles du droit substantiel (10).
La distinction des actions "banales" et des actions attitrées se retrouve en droit des sociétés et les actions peuvent être regroupées en deux catégories. D'une part, celles qui sont exercées par les dirigeants au nom et pour le compte de la société, et qui en pratique, sont les plus fréquentes. D'autre part, les actions pour lesquelles la qualité et l'intérêt pour agir ne sont plus appréciés à l'égard de la société, mais chez une autre personne à laquelle l'action est légalement dévolue. L'action sociale ut singuli figure dans cette seconde catégorie (11). En effet, l'article L. 225-252 du Code de commerce dispose que les actionnaires peuvent "intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général". Cette action répond à des nécessités pratiques. En effet, la mise en cause de la responsabilité des dirigeants sociaux peut mettre à jour un conflit d'intérêts. Dans une telle situation, les dirigeants sont naturellement peu enclins à exercer, au nom de la société, une action mettant en jeu leur propre responsabilité. L'existence de ce risque a été détectée depuis longtemps. Pour cette raison, la jurisprudence reconnaît de longue date la recevabilité de l'action sociale exercée par des associés (12). Cette action est dénommée "action ut singuli", par opposition à l'"action ut universi" que la société exerce par ses dirigeants sociaux (13).
Dans la présente affaire, deux sociétés et deux personnes physiques, actionnaires ont ainsi agi en responsabilité au nom de la société anonyme en vue d'obtenir la réparation du préjudice subi par la personne morale, du fait de décisions et agissements considérés par ces derniers comme fautifs et à l'origine du préjudice social. Toutefois, s'agissant d'un régime spécifique de responsabilité civile, il faut que toutes les conditions légales soient remplies pour que cette action attitrée soit recevable.
II - Le droit d'agir légalement autorisé
En raison de son caractère dérogatoire, l'action ut singuli doit être limitée au domaine des actions en responsabilité contre les dirigeants sociaux, car elle a pour fondement l'existence, au moins potentielle d'un conflit d'intérêts entre les dirigeants et la société (14). Par conséquent, un actionnaire ne peut exercer une action ut singuli en nullité (15). Il en va de même pour un actionnaire qui ne peut agir en rescision pour lésion d'une vente d'immeuble préjudiciable à la société, quand bien même celle-ci serait en liquidation (16) ou bien encore interjeter appel d'une décision, au seul motif qu'elle causerait un grief à la société (17).
L'article L. 225-252 précité permet aux actionnaires d'agir en lieu et place des représentants légaux de la société, leur action étant toutefois limitée quant à la qualité des défendeurs : il faut que ces derniers ait la qualité de dirigeant social ! Ainsi, il faut un préjudice social et un défendeur ayant la qualité de dirigeant de la société pour que l'action sociale ut singuli soit recevable. Les conditions légales sont ici cumulatives. C'est ce que permet d'affirmer l'arrêt rendu le 19 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La Haute cour rejette le pourvoi rédigé par les actionnaires minoritaires qui prétendaient que cette action était recevable contre les tiers qui ont causé le préjudice subi par la société. Elle confirme ainsi l'analyse des juges du fond qui considéraient que, s'agissant d'un régime de responsabilité spécifique, les conditions légales de mise en oeuvre de cette action doivent être respectées, faisant ainsi une application stricte de la règle de droit. En effet, aucun texte ne confère aux actionnaires l'exercice au nom de la société, d'une action en responsabilité contre les tiers ayant pu commettre une faute préjudiciable à l'intérêt social. Sachant que nul ne peut agit en justice pour le compte d'autrui sauf s'il est légalement qualifié à cette fin, les actionnaires minoritaires ne pouvaient déclencher l'action sociale ut singuli contre les personnes physiques ou morales présentes dans le groupe de sociétés intéressées par les immeubles à rénover n'ayant ni la qualité d'administrateur, ni celle de directeur général. La solution rendue, en matière civile, doit être totalement approuvée.
La solution est plus nuancée en matière pénale, car la Chambre criminelle de la Cour de cassation, sur le double fondement du droit des sociétés et de l'article 480-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9921IQI), a admis la recevabilité de l'action sociale ut singuli contre les personnes n'ayant pas les qualités légales requises mais qui avaient été condamnées pour complicité des fautes commises par les administrateurs de la société (18). Enfin, la présente solution rendue à propos d'une société anonyme est valable pour l'ensemble des sociétés. En effet, la règle prétorienne reprise uniquement pour ce type de société, a été généralisée à toutes les formes sociétaires par la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988, et figurant actuellement à l'article 1843-5 du Code civil (N° Lexbase : L2019ABE).
(1) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 13 décembre 2011, n° 09/18 552 (N° Lexbase : A1416H8X).
(2) CA Paris 13 décembre 2011, préc..
(3) C. com., art L. 225-252 (N° Lexbase : L6123AIM) et art R. 225-167 (N° Lexbase : L0302HZ9) et s..
(4) Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-19.679, F-D (N° Lexbase : A5936DLG), Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 502, note J.-J. Daigre.
(5) Cass. com., 1er mars 1997, n° 94-18.912 (N° Lexbase : A8134AXK), Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 650, note J.F. Barbièri ; RTDCom., 1997, p. 647, obs. B. Petit et Y. Reinhard.
(6) CA Versailles, 29 mars 1978, JCP éd G, 1979, II, n° 19209.
(7) R. Morel, Traité élémentaire de procédure civile, Sirey, 2ème éd, 1949, p. 271. ; H. Solus et R. Perrot, Procédure de première instance, t. 3, Sirey, 1991, n° 34. ; Cass. civ. 1, 9 mars 1982, n° 80-16.163, publié (N° Lexbase : A7402CGA), Bull. civ. I, n° 104, RTDCiv., 1983, p. 193, obs. R. Perrot
(8) Cass. civ. 3, 15 octobre 1974, n° 73-11.413 (N° Lexbase : A0050AUE), Bull. civ. III, n° 359
(9) Cette notion a été proposée par les professeurs G. Cornu et J. Foyer (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, coll. Thémis Droit privé, 3ème éd., 1996, n° 77) avant d'être consacrée par le législateur
(10) F. Vinvkel, J. Cl. Traité Sociétés, Fasc. 149-10, Actions en justice dans l'intérêt de la société anonyme - Existence, spéc. n° 45.
(11) Ch. Armand et A. Viandier, Réflexions sur l'exercice de l'action sociale dans les groupes de sociétés : transparence des personnalités et opacité des responsabilité ?, Rev. Sociétés, 1989, p. 557 ; G. Chesne, L'exercice ut singuli de l'action sociale, RTDCom., 1962, p. 347 ; G. Delmotte, L'action sociale ut singuli, Jour. not., 1981, p. 945, J.Ch. Pagnucco, L'action sociale ut singuli et ut universi en droit des groupements, LGDJ, Fondation Varenne, 2006
(12) Cass. req., 3 décembre 1883, D., 1884, 1, p. 339 ; Cass. req., 30 mars 1909, D., 1913, 1, p. 174 ; Cass. civ., 23 janvier 1931, DH 1931, p. 521
(13) G. Chesne, L'exercice ut singuli de l'action sociale dans la société anonyme, préc., p. 348.
(14) J. Bouveresse, Les conflits d'intérêts en droit des sociétés, thèse dactyl. Strasbourg 2006 ; D. Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly 1999
(15) Cass. com., 16 octobre 1972, n° 70-13.691 (N° Lexbase : A6907AYH), JCP éd. G, 1973, II, 17532, note N. Bernard
(16) Cass. com., 12 octobre 1954 , D. 1955, jurispr., p. 697, note J. Copper-Royer
(17) Cass. com., 6 décembre 1977, n° 76-11.061 (N° Lexbase : A9282ATX), Rev. sociétés, 1979, p. 373, note D. Schmidt
(18) Cass. crim., 28 janvier 2004, n° 02-87.585, FS-P+F (N° Lexbase : A3306DB3), Bull. crim. n° 18 ; D., 2004, p. 1447, note H. Matsopoulou ; Rev. Sociétés, 2004, p. 405, note B. Bouloc ; Bull Joly Sociétés, 2004, p ; 678, note J.F. Barbièri, Droit & patrimoine, juillet-août 2004, p. 108, obs. D. Poracchia ; JCP éd. E, 2004, act. p. 451
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Réf. : CA Douai, 13 février 2013, n° 11/05224 (N° Lexbase : A1534I8C)
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Le 25 Avril 2013
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Réf. : CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 19 mars 2013, n° 12/03157 (N° Lexbase : A4093KAT)
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Le 25 Avril 2013
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Réf. : Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-14.445, FS-P+B (N° Lexbase : A4087KCD)
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N6853BTY
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : CJUE, 18 avril 2013, aff. C-625/10 (N° Lexbase : A1413KCC)
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Le 25 Avril 2013
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