Réf. : QE n° 21762 de M. Jean Hingray, JO Sénat 25-03-2021 p. 1941 , réponse publ. 09-09-2021 p. 5279, 15ème législature (N° Lexbase : L8790L7P)
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N8700BYU
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par Marie Le Guerroué
Le 07 Octobre 2021
► Après avoir pris connaissance de la totalité du dossier, du déroulement des faits et du comportement de tous les protagonistes, et tenant compte de l'apaisement de la situation, le Premier ministre a décidé de ne pas donner de suites à caractère disciplinaire à l'incident d'audience survenu le 11 mars 2021 au tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence.
Question écrite. Jean Hingray attirait l'attention du garde des Sceaux sur l’atteinte portée à l'exercice des droits de la défense lors d'une audience devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence le 11 mars 2021. Cet incident avait été relayé par les médias et dénoncé unanimement par les avocats particulièrement émus et inquiets du sort réservé à leur confrère niçois expulsé du tribunal en pleine audience, à la demande du Président.
Pour en savoir plus sur cet incident : lire, L'expulsion d'un avocat par des policiers d'une audience à Aix suscite de vives réactions, Le Point, 12 mars 2021 [En ligne] |
Le CNB s'était fendu d'une motion pour dénoncer le comportement du Président du Tribunal qui avait « refusé de renvoyer le dossier d'un prévenu atteint de la Covid-19, encourant 20 ans d'emprisonnement et dans le même temps refusé qu'il assiste à son procès méconnaissant ainsi les règles du procès équitable, indispensables à l'œuvre de justice ; ordonné aux forces de l'ordre d'expulser par la force un avocat de la salle d'audience alors qu'il exerçait légitimement les droits de la défense de son client ; rejeté, sans concertation avec le tribunal, la demande conjointe du ministère public et de tous les avocats des parties à ce procès de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ; manifesté un mépris à l'encontre de la profession d'avocat et tenu des propos inadmissibles à l'encontre des avocats indiquant aux prévenus qu'ils feraient mieux d'être jugés sans avocats ; poursuivi l'audience par les interrogatoires des prévenus sans leurs avocats après avoir ordonné le huis clos ». Jean Hingray lui demande donc les réponses que le Gouvernement entend apporter afin de dissiper les inquiétudes des avocats, des justiciables et d'éviter que ce type d'incident, contraire au déroulement d'un procès équitable, ne se reproduise.
Réponse du ministère de la Justice. L'effectivité de l'exercice des droits de la défense, garantie fondamentale du procès équitable, est une préoccupation permanente du Gouvernement. Depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ), le législateur est régulièrement venu réformer le Code de procédure pénale afin de renforcer les droits de la défense, au premier rang desquels figure le droit pour toute personne à l'assistance par un avocat de son choix. Le projet de loi relatif à la confiance dans l'institution judiciaire, actuellement débattu au Parlement, comporte d'ailleurs d'importantes dispositions pour renforcer la présence et le rôle de l'avocat, en particulier lors des enquêtes préliminaires. S'agissant plus particulièrement des audiences devant le tribunal correctionnel, la jurisprudence de la Cour de cassation veille à la pleine effectivité de ce droit. La Chambre criminelle a ainsi écarté la théorie des circonstances insurmontables en cas de grève des avocats, considérant que cette situation ne pouvait justifier de statuer hors la présence de l'avocat dès lors qu'une disposition particulière du Code de procédure pénale impose spécifiquement sa présence. S'agissant de l'inspection de fonctionnement à la suite d'un incident d'audience survenu au tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, le Premier ministre a été rendu destinataire des rapports de l'inspection générale de la justice, conformément au décret de déport du 23 mars 2020. Après avoir pris connaissance de la totalité du dossier, du déroulement des faits et du comportement de tous les protagonistes, et tenant compte de l'apaisement de la situation, le Premier ministre a décidé de ne pas donner de suites à caractère disciplinaire. Le Premier ministre renvoie au garde des Sceaux la responsabilité d'apprécier l'opportunité des recommandations générales de la mission et, le cas échéant, les mettre en œuvre, l'objet du déport étant rempli par ailleurs.
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Réf. : Cass. civ. 3, 9 septembre 2021, n° 19-19.285, FS-B (N° Lexbase : A2573443)
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N8740BYD
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par Vincent Téchené
Le 16 Septembre 2021
► Justifie à elle seule le déplafonnement du loyer du bail renouvelé la modification notable des caractéristiques des lieux loués résultant des travaux qui ont été décidés et réalisés par la locataire du bail expiré ;
Les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du prix lorsque celle-ci émane du bailleur.
Faits et procédure. Une société (la bailleresse) a donné à bail des locaux à usage commercial. Après avoir proposé le renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2011 dans un congé délivré le 28 décembre 2010, la bailleresse a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé.
La locataire a alors formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel (CA Caen, 2 mai 2019, n° 17/01792 N° Lexbase : A2779ZA8) reprochant à celui-ci d’avoir fixé le loyer du bail renouvelé à une certaine somme et de l'avoir condamnée à payer les intérêts au taux légal sur l'arriéré résultant du loyer déplafonné depuis la date à laquelle le bail commercial a été renouvelé.
En premier lieu, la locataire soutenait qu’une modification des caractéristiques des locaux loués intervenue au cours du bail expiré ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’elle a eu une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur. Ainsi, la cour d’appel aurait retenu à tort qu’une modification notable des caractéristiques des locaux loués suffisait à justifier le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
Sur ce point, la Cour de cassation approuve la cour d’appel. Elle retient ainsi que, dès lors qu’elle avait constaté que les travaux, dont il n’était pas soutenu qu’ils fussent d’amélioration et qui avaient été décidés et réalisés par la locataire, avaient, au cours du bail expiré, modifié notablement les caractéristiques des locaux loués, la cour d'appel a exactement retenu que cette modification notable des caractéristiques des locaux loués justifiait, à elle seule, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
Précisions. On rappellera que s’agissant d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité, la Cour de cassation a au contraire retenu que cette dernière ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu'autant qu'elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité commerciale exercée par le preneur (Cass. civ. 3, 14 septembre 2011, n° 10-30.825, FS-P+B+R N° Lexbase : A7545HXQ). En revanche, la modification notable de la destination des lieux loués survenue au cours du bail à renouveler justifie le déplafonnement du loyer du bail renouvelé, sans rechercher si cette modification a eu une incidence favorable sur l'activité exercée par le preneur (Cass. civ. 3, 18 janvier 2012, n° 11-10.072, FS-P+B N° Lexbase : A1329IBT ; J. Prigent, Lexbase Affaires, février 2012, n° 282 N° Lexbase : N0034BTG).
La Cour de cassation va toutefois censurer l’arrêt d’appel s’agissant de la condamnation de la locataire à payer les intérêts au taux légal sur l'arriéré résultant du loyer déplafonné depuis le 1er juillet 2011, date à laquelle le bail commercial a été renouvelé.
Elle rappelle qu’il résulte de l’article 1155 du Code civil (N° Lexbase : L0858KZS), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK), que les revenus échus, tels que fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, produisent intérêt du jour de la demande ou de la convention.
Ainsi en fixant le point de départ des intérêts au taux légal sur l’arriéré de loyer à la date à laquelle le bail commercial a été renouvelé, alors que les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du prix lorsque celle-ci émane du bailleur, la cour d'appel a violé l’article 1155 précité.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les exceptions au plafonnement du loyer commercial renouvelé, L'exigence d'une modification notable ayant eu une incidence favorable sur l'activité du preneur ?, in Baux commerciaux (dir. J. Prigent), Lexbase (N° Lexbase : E3538ERH). |
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Réf. : Arrêté du 30 juillet 2021 précisant le format et le contenu de la fiche d'information sur le prix et les prestations proposées par le syndic (N° Lexbase : L8545L7M)
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N8697BYR
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 15 Septembre 2021
► A été publié au Journal officiel du 9 septembre 2021, un arrêté du 30 juillet 2021, précisant le format et le contenu de la fiche d'information sur le prix et les prestations proposées par le syndic.
L’article 18-1 A de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L5472IGR), tel que modifié par l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 (N° Lexbase : Z955378U), prévoit que tout projet de contrat de syndic soumis à l’assemblée générale doit être accompagné d'une fiche d'information sur le prix et les prestations proposées par le syndic selon un modèle fixé par arrêté.
Ce modèle figure donc en annexe de l’arrêté du 30 juillet 2021, qui rappelle que cette fiche d’information vise à apporter les informations nécessaires à une mise en concurrence facilitée des contrats de syndic professionnel, dans les conditions prévues par l'article 21 de cette même loi (N° Lexbase : L4821AHZ).
L’arrêté précise, également, que le formalisme de la fiche d'information doit être respecté et qu’aucune information ne peut y être ajoutée ou retranchée.
La présente fiche fait mention des seules prestations substantielles des syndics. L'ensemble des prestations et tarifications proposées par les syndics figure dans le contrat-type prévu à l'article 18-1 A de la loi du 10 juillet 1965, en annexe 1 au décret n° 67-223 du 17 mars 1967 pris pour l'application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
Sanctions. On rappellera, enfin, que l’article 18-1 A, I, prévoit que tout manquement à l’obligation de transmission de cette fiche d’information, peut être sanctionné par une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
Entrée en vigueur. Le présent arrêté entre en vigueur le 1er janvier 2022.
Pour aller plus loin : cf. P.-E. Lagraulet, ÉTUDE : Le syndic de copropriété, Le contrat-type et la fiche d'information, in Droit de la copropriété, (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase (N° Lexbase : E75634DH). |
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Réf. : Cass. civ. 3, 9 septembre 2021, n° 20-15.713, FS-B (N° Lexbase : A251744Y)
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N8765BYB
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 20 Septembre 2021
► Les travaux de rénovation d’une ruine - dont la toiture et le plancher du premier étage étaient effondrés, ce dont il résultait que les murs subsistaient - ne sauraient être considérés comme l’édification d’une construction neuve, au sens de l’article 555 du Code civil (relatif à l’accession artificielle à un immeuble), dès lors que les travaux ont été exécutés sur une construction préexistante, peu important l'importance de la rénovation effectuée.
En l’espèce, les époux X, prétendant que M. Y leur avait vendu, en avril 1993, une ruine située sur un terrain lui appartenant, l’avaient assigné en reconnaissance de leur qualité de propriétaire ou en indemnisation de leurs travaux de restauration.
La cour d’appel de Rennes avait condamné les époux à enlever à leurs frais les constructions réalisées sur le bien de M. Y et de rejeter leurs demandes en paiement de la somme de 85 000 euros au titre des améliorations réalisées sur ce bien (CA Rennes, 8 octobre 2019, n° 17/08828 N° Lexbase : A6176ZQS).
Pour se prononcer ainsi, la cour d’appel avait fait application de l’article 555 du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP) qui, pour rappel, pose le principe de l’accession du propriétaire aux constructions réalisées sur son terrain par un tiers ; il en résulte notamment que le propriétaire est en droit :
- soit d’en conserver la propriété (moyennant indemnisation du tiers constructeur) ;
- soit d’exiger leur démolition aux frais du tiers constructeur.
Le propriétaire perd toutefois le bénéfice de cette option lorsque le constructeur est qualifié de « bonne foi », à savoir, plus précisément, qu’il est dans l’obligation d’indemniser celui-ci, sans pouvoir exiger la démolition à ses frais.
Pour justifier l’application de ce texte, les conseillers d’appel ont estimé que, compte tenu de l'importance de la rénovation effectuée, les travaux réalisés devaient être regardés comme l’édification d’une construction neuve.
Écartant alors la qualité de possesseurs de bonne foi des époux, les conseillers ont retenu que ces derniers ne pouvaient s'opposer à la suppression des ouvrages.
Les époux ont alors formé un pourvoi, contestant la qualification de « construction neuve » ainsi retenue, et dès lors l’application des dispositions de l’article 555 du Code civil.
L’argument est accueilli par la Haute juridiction qui censure la décision pour violation de ce texte. En effet, dès lors que la cour d’appel avait constaté que les époux avaient pris possession d’un bâtiment en ruine dont la toiture et le plancher du premier étage étaient effondrés, ce dont il résultait que les murs subsistaient, il fallait en déduire que les travaux avaient été exécutés sur une construction préexistante avec laquelle ils s'étaient identifiés, et ne pouvaient donc constituer des constructions nouvelles pouvant être l'objet d'une accession au profit du propriétaire du sol, qui seules permettent l’application de l’article 555 du Code civil.
Pour rappel, cette condition de « construction nouvelle » a été posée par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt rendu le 5 juin 1973 (Cass. civ. 3, 5 juin 1973, n° 72-12.323, publié au bulletin N° Lexbase : A6905AGT). Dans sa décision du 9 septembre 2021, la Haute juridiction réaffirme la règle avec force, en retenant une appréciation rigoureusement stricte de la notion : quelle que soit leur importance, des travaux de rénovation ne sauraient être assimilés à des constructions nouvelles.
En l’espèce, la démolition ne pouvant donc être imposée aux constructeurs à leurs frais, en application de l’article 555, reste à savoir s’ils pourront obtenir indemnisation, et sur quel fondement…
On relèvera que la cour d’appel avait précisément écarté l’application de l’article 1381 du Code civil (N° Lexbase : L1487ABP), dans sa rédaction applicable antérieurement à l'ordonnance du 10 février 2016 (selon lequel « Celui auquel la chose est restituée doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose »), relevant que ces dispositions s'appliquent à la restitution d'un immeuble indûment cédé, alors qu’il avait été définitivement statué par un jugement de 2013 qu'aucune cession de l'immeuble n'avait été effectuée au bénéfice des époux, et que dès lors, ces derniers ne pouvaient se prévaloir de la qualité de possesseurs évincés.
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Réf. : CJUE, 9 septembre 2021, aff. C-18/20, XY C-18-20 (N° Lexbase : A895143W)
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N8695BYP
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par Marie Le Guerroué
Le 15 Septembre 2021
► Le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une demande ultérieure de protection internationale soit rejetée comme irrecevable au seul motif qu’elle est fondée sur des faits qui existaient déjà lors de la procédure relative à la première demande ; en outre, la réouverture de la première procédure en vue de l’examen au fond de la demande ultérieure ne peut pas être soumise à la condition que cette demande ait été introduite dans un certain délai.
Faits et procédure. Un ressortissant irakien, dont la première demande de protection internationale avait été rejetée de manière définitive par l’office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d’asile autrichien, avait introduit quelques mois plus tard devant cette même autorité une demande ultérieure de protection internationale.
Alors qu’il avait fondé sa première demande sur le fait qu’il craignait pour sa vie en cas de retour en Irak, au motif qu’il avait refusé de combattre pour des milices chiites (lui-même étant de confession musulmane chiite) et que ce pays était toujours en guerre, il faisait maintenant valoir que le motif réel de ses demandes tenait à son homosexualité, laquelle serait interdite par son pays et par sa religion. Il expliquait que, au moment de la première demande, il ne savait pas encore qu’il n’aurait rien risqué en Autriche en révélant être homosexuel. L’office fédéral avait rejeté cette demande ultérieure comme irrecevable, au motif qu’elle tendait à remettre en cause une décision antérieure de refus qui avait acquis l’autorité de chose jugée.
En effet, selon le droit autrichien, toute demande ultérieure fondée sur des éléments ou faits existant déjà avant l’adoption de la décision définitive clôturant la procédure antérieure ne peut entraîner que la réouverture de cette procédure et cela seulement si le demandeur n’a pas commis de faute en omettant de les invoquer lors de la procédure antérieure. Seuls des éléments ou faits qui se sont nouvellement produits après l’adoption de la première décision définitive peuvent justifier l’ouverture d’une nouvelle procédure. Estimant que sa demande ultérieure aurait dû conduire à l’ouverture d’une nouvelle procédure, le demandeur concerné s’est adressé aux juridictions autrichiennes. La cour administrative autrichienne a demandé à la Cour de justice d’interpréter la Directive relative à des procédures communes pour l’octroi de la protection internationale (Directive (UE) 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD).
Réponse de la Cour. La Cour précise que l’examen au fond d’une demande ultérieure de protection internationale, fondée sur des éléments ou faits existant déjà avant la clôture définitive de la première procédure, peut, en principe, et sous réserve du respect des principes et garanties fondamentales prévus par la Directive, être conduit dans le cadre de la réouverture de la procédure ayant eu pour objet la première demande.
Une telle réouverture peut, comme en Autriche, être soumise à la condition que i) ces éléments ou faits nouveaux augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale et ii) le demandeur ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure. En revanche, une telle réouverture ne doit pas être soumise à la condition que, comme le prévoit le droit autrichien, la demande ultérieure ait été introduite dans un certain délai.
Pour le cas où les dispositions de droit autrichien applicables à la réouverture de la procédure n’assurent pas le respect des conditions de recevabilité de la demande ultérieure ou ne sont pas conformes aux principes et aux garanties fondamentales prévus par la Directive, la Cour ajoute encore que la demande ultérieure du demandeur en question devrait, en l’espèce, être examinée dans le cadre d’une nouvelle procédure administrative.
En l’absence de transposition par l’Autriche, pour de telles nouvelles procédures, de la disposition facultative de la Directive permettant aux États membres de prévoir de ne poursuivre l’examen de la demande ultérieure que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, les nouveaux éléments ou faits alors qu’ils existaient déjà, l’ouverture de la nouvelle procédure ne peut pas être refusée au motif qu’une telle faute peut être imputée au demandeur.
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Réf. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (N° Lexbase : L6065L7R)
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N8713BYD
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par Gaspard Lebon, élève-avocat et Yann Borrel, Avocat associé, Green Law Avocats
Le 15 Septembre 2021
Mots clés : environnement • commande publique
Cet article est issu d'un dossier spécial loi « climat et résilience » réalisé en collaboration avec le cabinet Green Law Avocats. Pour consulter le sommaire de ce numéro spécial, cliquez ici (N° Lexbase : N8772BYK).
Dès son origine, le droit de la commande publique a été innervé par le principe non écrit de neutralité, qui suppose que « la dépense publique qui s’effectue à l’occasion d’un marché ne doit pas être l’instrument d’autre chose que de la réalisation du meilleur achat au meilleur coût » [1]. Néanmoins, le principe de neutralité, qui sous-tend les objectifs d’efficacité de la commande publique et de bon emploi des deniers publics [2], a été progressivement aménagé afin de tenir compte des enjeux sociétaux comme ceux liés à la protection des travailleurs et ce, dès la fin du XIXème siècle. A ce titre, Gilles Pellissier a rappelé que « les décrets ‘Millerand’ du 10 août 1899 imposaient déjà dans les marchés publics des clauses sociales relatives aux conditions de travail, notamment en termes de repos hebdomadaire et de durée de travail » [3].
Un siècle plus tard, le droit de la commande publique a été rattrapé par les considérations environnementales. Ainsi, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [4], puis le législateur européen [5] et enfin les pouvoirs publics en France, ont admis la prise en compte de critères relatifs à la protection de l’environnement. Ce mouvement de verdissement de la commande publique s’est progressivement accéléré à partir de la promulgation des lois « Grenelle I » [6] et « Grenelle II » [7], avec l’adoption du décret du 25 août 2011 [8], de la loi « TECV » du 17 août 2015 [9], ou encore de la loi « AGEC » du 10 février 2020 [10]. Pour rappel, cette loi a notamment imposé aux acheteurs publics de tenir compte de la performance environnementale des produits, en particulier de leur caractère biosourcé [11]. Elle a également énoncé le principe selon lequel les acheteurs publics doivent acquérir une proportion comprise entre 20 % et 100 % de produits issus du réemploi ou de la réutilisation [12].
En dépit de ce « verdissement » progressif de la commande publique, l’étude d’impact du projet de loi « climat et résilience » a dressé un bilan amer de la mise en œuvre du Plan National d’Action pour les Achats Publics Durables (PNAAPD) pour la période 2014-2020, lequel avait fixé un objectif ambitieux de 30% des marchés publics intégrant une clause environnementale. Et pour cause : en 2018, selon l’Observatoire économique de la commande publique (OECP), seulement 18,6 % des marchés publics recensés (en montant) et 13,6 % (en nombre) contenaient une clause environnementale [13]. A l’aune des 8 % du P.I.B et quelques 200 milliards d’euros par an que représente la commande publique, le Conseil économique, social et environnemental avait pour sa part considéré que la « commande publique responsable » constitue un levier d’action publique insuffisamment exploité [14].
Ce constat d’insuffisance comparé au moteur pour la transition écologique qu’est susceptible de constituer l’achat public a conduit la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) à « renforcer les clauses environnementales dans les marchés publics ». À la suite de débats parlementaires intenses, ces propositions ont trouvé une traduction juridique au sein de l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience » [15]. Mais faut-il voir dans les dispositions de cet article spécifiquement consacrées à la commande publique un « greenwashing » ou une vraie révolution verte dans le contexte de l’urgence climatique actuelle ? A cette question, plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés.
Force est, tout d’abord, de constater que l’article 35 de la loi pose, à échéance de cinq années, une obligation de prise en compte de considérations environnementales au stade de la passation comme de l’exécution des marchés publics mais aussi des contrats de concessions, ce qui va au-delà des propositions de la CCC et du projet de loi initial [16] (I).
Ensuite, ce même article contribue au développement de la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) avec la possibilité pour les acheteurs publics et les autorités concédantes de prévoir un motif d’exclusion des candidatures tiré d’un devoir de vigilance certes facultatif, mais qui ne s’en avère pas moins discutable du point de vue de sa conventionnalité (II).
Enfin, le reste des dispositions instaure et préfigure un certain nombre d’outils opérationnels aux fins de faciliter la mise en œuvre de ces nouvelles obligations, lesquels devraient être complétées par des dispositions règlementaires d’ici cinq ans (III).
I. L’insertion d’une obligation de prise en compte de l’environnement à tous les stades du processus contractuel
A la suite de l’adoption de l’article 35 de la loi, l’obligation de prise en compte des considérations relatives à l’environnement est mentionnée dans le Code de la commande publique à trois niveaux : définition et formalisation du besoin, examen des offres et contenu du marché.
Tout d’abord, en ce qui concerne la définition et la formalisation du besoin, il est à noter que les articles L. 2111-2 (N° Lexbase : L7411LQK) (pour les marchés) et L. 3111-2 (N° Lexbase : L4428LRG) du Code de la commande publique (pour les contrats de concession) ont été complétés par des dispositions imposant que les spécifications techniques « prennent en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».
Ensuite, les acheteurs et les autorités concédantes ont désormais l’obligation de déterminer au moins un critère d’attribution prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. En ce sens, les articles L. 2152-7 (N° Lexbase : L4496LRX) et L. 3124-5 (N° Lexbase : L3763LRS) du Code de la commande publique prévoient désormais qu’« au moins un [des critères de sélection des offres] prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. ». Force est de constater qu’une grande latitude a été accordée aux acheteurs et aux autorités concédantes pour la détermination du critère environnemental. En effet, le législateur n’a fourni aucun exemple, aucune indication, ni même aucune énumération des caractéristiques environnementales devant être prise en compte (point d’ailleurs nettement discuté lors des débats parlementaires).
Enfin, les articles L. 2112-2 (N° Lexbase : L3632LRX) et L. 3114-2 (N° Lexbase : L4433LRM) du Code de la commande publique imposent désormais que les marchés publics et les contrats de concessions « prennent en compte des considérations relatives à l’environnement ». Précisons qu’il ne s’agit encore que d’une faculté pour les marchés et concessions de défense ou de sécurité [17].
L’ambition affichée dans les travaux préparatoires de la loi est claire : faire de la commande publique un moteur de la transition écologique et permettre aux acheteurs « de se détacher de la dictature du prix pour passer à la liberté du coût » [18].
Cet objectif a-t-il conduit à remettre en cause la place prééminente que le principe de neutralité occupe dans la commande publique ? À cette question, l’avis du Conseil d’État du 4 février 2021 sur le projet de loi nous semble avoir apporté une réponse claire en soulignant le fait que l’obligation de prise en compte de l’environnement lors de la rédaction des clauses de contrats de la commande publique ne crée ni hiérarchie, ni prééminence sur les autres considérations qui doivent être prises en compte (telles que les considérations relatives au domaine social, à l’emploi ou à l’innovation, par exemple) [19].
Par ailleurs, l’obligation de prise en compte de l’environnement dans la commande publique est-elle de nature à fragiliser juridiquement la passation et l’exécution des marchés et des concessions auxquelles elle s’applique ? Ce questionnement nous semble pouvoir appeler plusieurs éléments de réponse.
Premièrement, la volonté de laisser une grande liberté aux acheteurs et autorités concédantes ressort clairement des travaux parlementaires. Ceux-ci n’en avaient pas moins mis en évidence les risques quant aux très probables difficultés d’application de ces nouvelles dispositions [20]. En effet, il appartiendra aux acheteurs publics de donner eux-mêmes un sens à la notion de « considérations relatives à l’environnement » ou de « prise en compte de caractéristiques environnementales ». Ceci suppose l’existence d’outils permettant, à la fois, d’établir l’intensité de cette prise en compte (au titre de critères d’attribution, par exemple), mais également, de s’assurer de leur pertinence compte tenu de leur soutenabilité par le marché concurrentiel [21]. À cet égard, relevons que le manque d’outils opérationnels ainsi que l’exigence de formation des acheteurs publics figurent précisément aux rangs des motifs qui justifient l’entrée en vigueur différée de ces dispositions. Rappelons néanmoins qu’en marge de la loi dite « climat et résilience », les nouveaux CCAG, qui sont entrés en vigueur le 1er avril 2021 prévoient d’ores et déjà des clauses environnementales [22]. Ces documents pourraient constituer une aide précieuse pour les acheteurs publics car les commentaires de leurs stipulations insèrent des exemples de prise en compte environnementale (comme la réduction des prélèvements de ressources, la réduction des impacts sur la biodiversité, les économies d’énergie et développement des EnR, etc.).
Deuxièmement, si le sens commun peut accepter que la prise en compte de l’environnement devienne une obligation, le régime juridique tenant à l’insertion de telles considérations n’est quant à lui pas modifié. Autrement dit, les considérations environnementales désormais obligatoirement retenues devront nécessairement présenter un lien avec l’objet du contrat de la commande publique ou ses conditions d’exécution [23]. Dit plus clairement, ces nouvelles dispositions présument qu’un lien environnemental pourra toujours être identifié quel que soit le dispositif contractuel en cause. C’est ce qu’indique l’étude d’impact du projet de loi, qui justifie ce choix en précisant que « l’exigence de lien avec l’objet du marché devrait pouvoir raisonnablement toujours être satisfaite dans la mesure où tout achat a nécessairement une incidence écologique à une étape ou une autre du cycle de vie de la prestation (fabrication, transport…) » [24]. Cet argument pourrait confiner à l’artificialité dans certains contrats et en compromettre la sécurité juridique. De même, de manière quelque peu paradoxale, l’Etude d’impact du projet de loi a précisé, à cet égard, que « Dans l’hypothèse, essentiellement théorique, où aucun lien avec l’objet du marché ne serait démontré, les acheteurs devraient s’abstenir d’intégrer un les conditions d’exécution du contrat de la commande publique. Ce lien devrait probablement être apprécié avec souplesse. Il n’en demeure pas moins que le débat sur l’artificialité du lien avec l’objet du contrat et le risque contentieux y afférant aurait pu être évité si l’orthodoxie juridique avait bénéficié d’un fauteuil plus confortable à la table de la volonté politique. En effet, à l’examen, il aurait été souhaitable de ménager une issue juridique, par exemple en prévoyant que les acheteurs et autorités concédantes puissent déroger à l’obligation de prise en compte de considérations environnementales en cas d’impossibilité liée à l’objet ou aux conditions d’exécution du contrat dûment justifiée dans les documents contractuels. Toutefois, ce n’est pas le choix que le législateur a opéré.
À titre de comparaison, les considérations sociales et celles de l’emploi ne s’est pas vu accorder un traitement aussi favorable. En effet, et d’une part, seuls les marchés et les concessions dont le montant est supérieur aux seuils européens devront en principe comprendre des conditions d’exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à l’emploi [26]. D’autre part, l’acheteur pourra déroger à cette obligation dans quatre hypothèses énumérées par ces dispositions [27], tandis que l’autorité concédante pourra y déroger dans seulement deux cas, sachant que le recours à chacune de ces dérogations devra faire l’objet de justifications [28].
Enfin, signalons qu’outre les obligations précitées, la loi « climat et résilience » a prévu qu’à compter du 1er janvier 2030, et après précision par décret en Conseil d’État, au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique devront utiliser des matériaux biosourcés ou bas-carbone [29].
II. L’insertion d’un motif facultatif d’exclusion tiré d’un devoir de vigilance
Sous l’impulsion du Sénat [30], l’article 35 de la loi a créé les articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 du Code de la commande publique pour y insérer un nouveau motif d’exclusion d’une candidature à l’appréciation des acheteurs et des autorités concédantes : il sera donc facultatif.
Précisément, il sera possible d’exclure d’une procédure de passation d’un marché public ou d’un contrat de concession les candidats qui, soumis en vertu du Code de commerce à l’obligation d’établir un plan de vigilance [31], ne satisferaient pas à cette exigence pour l’année précédant celle de l’engagement de la consultation.
S’inscrivant comme un énième renforcement de la responsabilité sociale des entreprises, il s’agit finalement de priver du bénéfice de l’achat public les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière de prévention des risques sociaux ainsi que des atteintes à l’environnement. Il ressort de l’examen des travaux préparatoires sur le projet de loi que cette obligation pourrait concerner aujourd’hui près de 250 entreprises françaises [32].
Sachant que la France assurera la présidence du Conseil de l’Union européenne de janvier à juin 2022, l’insertion de ce motif d’exclusion est probablement sous-tendue par la volonté de préfigurer (et finalement, de devancer) les évolutions futures du droit de l’Union européenne. À cet égard, il convient de signaler le fait qu’en mars de cette année, le Parlement européen a adopté une résolution contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises, résolution à l’annexe de laquelle figure précisément un projet de directive européenne [33]. Par ailleurs, des évolutions sur le sujet sont attendues à Bruxelles pour la rentrée de septembre [34].
Outre la difficulté que les acheteurs et les autorités concédantes pourraient rencontrer aux fins de vérifier si l’entreprise candidate est ou non soumise à un plan de vigilance et dans l’affirmative, de contrôler le respect des différentes obligations lui incombant à ce titre, les travaux préparatoires n’ont pas manqué de relever un risque d’inconventionnalité du motif d’exclusion. En effet, bien qu’une telle mesure soit ravalée au rang de simple faculté, elle serait susceptible d’avoir un effet discriminatoire à l’encontre des entreprises françaises concernées vis-à-vis des candidats européens non encore soumis à une telle obligation[35].
Par conséquent, si les articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 du Code de la commande publique entraient en vigueur avant l’adoption d’une législation européenne harmonisée sur le sujet, les acheteurs et les autorités concédantes pourraient être réticents à les appliquer du moins tant que cette législation européenne n’aurait pas vu le jour.
III. Le renforcement d’outils visant a faciliter la mise en œuvre du verdissement de la commande publique
Conscient des difficultés opérationnelles que pourraient impliquer l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 35 de la loi, le législateur a prévu différents dispositifs d’accompagnement des acheteurs et des autorités concédantes.
Premièrement, l’État aura l’obligation de mettre à la disposition des pouvoirs adjudicateurs des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie des biens pour les principaux segments de l’achat et ce, le 1er janvier 2025 au plus tard [36]. Ces outils devront intégrer le coût global lié notamment à l'acquisition, à l'utilisation, à la maintenance et à la fin de vie des biens ainsi que, lorsque c'est pertinent, les coûts externes supportés par l'ensemble de la société, tels que la pollution atmosphérique, les émissions de gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité ou la déforestation.
Deuxièmement, les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) ont été renforcés et apparaissent désormais comme le référentiel initial de l’achat public responsable. L’article L. 2111-3 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L4485LRK) a ainsi renforcé les exigences en matière de publicité de ces schémas qui devront désormais être rendus publics par une mise en ligne sur internet, lorsqu’il existe, des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices. Ce même article exige également que ces schémas contiennent des indicateurs précis sur les taux réels d’achats publics relevant des catégories de l’achat socialement et écologiquement responsables réalisés par la collectivité ou l’acheteur en cause, ainsi que la fixation d’objectifs cibles à atteindre pour chacune des catégories.
Bien qu’ils aient été conçus comme des outils d’accompagnement des acheteurs dans la voie d’achats responsables et de diffusion des bonnes pratiques [37], on peut regretter que les SPASER demeurent encore limités aux seuls acheteurs dont le montant annuel total des achats dépasse les 100 millions d’euros hors taxe [38].
Pour leur part, les concessionnaires devront désormais inclure, dans leur rapport annuel d’information aux autorités concédantes, une description des mesures mises en œuvre pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique dans le cadre de l’exécution de leur contrat [39].
Conclusion
La loi « climat et résilience » ne s’est pas bornée à créer un article 3-1 du Code de la commande publique précisant que « la commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les conditions définies par le présent code ».
Il serait toutefois erroné d’en déduire que les considérations environnementales priment désormais les objectifs d'efficacité de la commande publique et de bonne utilisation des deniers publics qui sont fixés à l’article 3 du code. Le fait que l’article 3-1 n’ait qu’une importance secondaire par rapport aux objectifs fixés à l’article 3 corrobore le bien-fondé de cette analyse, de même que le rappel fait par le Conseil d’État selon lequel l’obligation de prise en compte des caractéristiques environnementales de l’offre n’aura pas pour effet de déroger à l’exigence du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse [40]. A ceci s’ajoute la circonstance que ces dispositions n’entreront pas immédiatement en vigueur, le législateur ayant pris le soin de reporter l’entrée en vigueur de l’essentiel des dispositions à une date fixée par décret et au plus tard cinq après la promulgation de la loi.
A tout le moins, l’amorce d’une révolution verte de la commande publique pourrait être inférée de l’article 35 de la loi sur le plan de la finalité et des déterminants micro-économiques de la commande publique : en effet, celle-ci était articulée, aux origines, autour de la lutte contre la corruption, de la maîtrise et du bon emploi des deniers publics ; après la pousse, elle est innervée par la prise en compte de l’externalité environnementale et la nécessité de contribuer à la transition écologique dont elle est un moteur.
[1] cf. concl. D. Piveteau sur CE, Sect., 25 juillet 2001, n° 229666 (N° Lexbase : A1249AW8) ; voir également F. Jourdan et Y. Benrahou, Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique : les marchés pour le climat, JCP éd. A, n° 9, 1er mars 2021, act. 157.
[2] cf. CCP, art. L. 3.
[3] cf. concl. G. Pellissier sur CE, 25 mai 3018, n° 417580 (N° Lexbase : A4637XPG).
[4] cf. CJCE, 17 septembre 2002, aff. C-513/99, Concordia Bus Finland, (N° Lexbase : A3655AZE) ; CJCE, 4 décembre 2003, aff. C-448/01 EVN et Wienstrom (N° Lexbase : A3433DAE).
[5] cf. Directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 du Parlement européen et du et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (JOUE L 134 du 31 mars 2004).
[6] cf. Loi n° 2009-967 du 3 août 2009, du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (N° Lexbase : L6063IEB) (JORF n° 0179 du 5 août 2009).
[7] cf. Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN) (JORF n° 0160 du 13 juillet 2010).
[8] cf. Décret n° 2011-1000 du 25 août 2011, modifiant certaines dispositions applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique (N° Lexbase : L0015IRY) (JORF n°0197 du 26 août 2011).
[9] cf. Loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (N° Lexbase : L2619KG4) (JORF n° 0189 du 18 août 2015).
[10] cf. Loi n° 2020-105 du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (N° Lexbase : L8806LUP) (JORF n° 0035 du 11 février 2020).
[11] cf. C. env., art. L. 228-4 (N° Lexbase : L6882L7Z), issu de l’article 39 de la loi « AGEC ».
[12] cf. Loi « AGEC », art. 58.
[13] cf. Étude sur les pratiques des acheteurs en matière d’accès des TPE/PME à la commande publique, d’achats innovants et d’achats durables, juin 2020.
[14] P. Lexcellent, Commande publique responsable : un levier insuffisament exploité, CESE, mars 2018.
[15] JORF n° 0196 du 24 août 2021.
[16] Les contrats de concession étaient initialement exclus du champ d’application de cette obligation. Cette exclusion avait suscité des critiques de la part du Conseil d’État. Dans son avis sur le projet de loi, ce dernier y a décelé un manque de cohérence du fait de la durée particulièrement longue de tels contrats ainsi que des secteurs concernés (transport, assainissement). La justification donnée par le Gouvernement, qui tient à l’existence de règlementations sectorielles propres à ces domaines, a finalement cédé dès l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale, qui y a vu une occasion de mobiliser pleinement la commande publique au service de l’environnement.
[17] cf. CCP, art. L. 2312-1-1 et L. 3114-2.
[18] Propos de C. Motin, rapporteur thématique de la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’examiner le projet de loi « climat et résilience », séance du 2 avril 2021.
[19] NOR : TREX2100379L/Verte-1.
[20] Voir également F. Jourdan et Y. Benrahou, préc.
[21] cf. B. Koebel, Vers un achat public impérativement durable, Contrats et Marchés pub., n° 4, avril 2021, repère 4.
[22] cf. art. 16 du CCAG FCS ; 16 du CCAG PI ; 16 du CCAG TIC ; 17 du CCAG MI ; 18 du CCAG MOE ; 20 du CCAG Travaux.
[23] Pour des exemples, voir CE, 25 mai 2018, n° 417580, préc. ; CE, 20 décembre 2019, n° 428290 (N° Lexbase : A2891Z9X).
[24] cf. étude d’impact du projet de loi, p. 140
[25] Ibid.
[26] cf. CCP, art. L. 2112-2-1 et L. 3114-2-1 ; cf. également la fiche explicative de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, Les mesures commande publique de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi « Climat et résilience »), 24 août 2021.
[27] cf. CCP, art. L. 2112-2-1-II et III.
[28] cf. CCP, art. L. 3114-2-1-II et –II.
[29] cf. Loi « AGEC », art 39.
[30] cf. Amendements COM-1411 et COM-1412.
[31] cf. C. com., art. L. 225-102-4 (N° Lexbase : L2119LGL).
[32] cf. Propos de M. P. Martin, rapporteur de la commission, Sénat, séance du 16 juin 2021.
[33] cf. document intitulé 2020/2129 (INL)
[34] cf. Propos de Mme. O. Grégoire, secrétaire d’État, Sénat, séance du 16 juin 2021.
[35] cf. Propos de Mme. O. Gégoire, secrétaire d’État, Sénat, séance du 16 juin 2021
[36] cf. Loi « climat et résilience », art. 36.
[37] cf. Fiche explicative de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie, des Fiinances et de la Relance, préc.
[38] cf. CCP, art. L. 2111-3 et D. 2111-3 (N° Lexbase : L3624LRN) ; cf. également B. Koebel, Vers un achat public impérativement durable, Contrats et Marchés publics n° 4, avril 2021, repère 4.
[39] cf. CCP, art. L. 3131-5.
[40] NOR : TREX2100379L/Verte-1.
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Réf. : CAA Paris, 8 juin 2021, n° 18PA03711 (N° Lexbase : A09614WI)
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par Fleur Chidaine, Responsable du service juridique de la société Exa, La Réunion
Le 15 Septembre 2021
Mots-clés : entreprises • holding animatrice • déficits • agrément
La cour administrative d’appel de Paris s’est récemment prononcée sur la question du transfert des déficits dans le cadre des opérations de fusion et assimilées sur application de l’article 209 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6979LZI) (ci-après le « CGI »), et notamment dans une hypothèse où les déficits transférés provenaient d’une société holding animatrice.
Pour rappel, en principe, les déficits subis par la société apporteuse / absorbée antérieurement à l’opération de fusion ou assimilée ne sont pas déductibles des bénéfices ultérieurs de la société bénéficiaire des apports.
La société absorbante bénéficie toutefois de plein droit depuis la loi du 28 décembre 2018 [1] du transfert desdits déficits ainsi que des charges financières nettes non déduites et de la capacité de déduction des charges financières non déduites de la société absorbée lorsque leur montant cumulé est inférieur à 200 000 euros, à condition que la société absorbée ou assimilée n’ait pas cédé ou cessé d’exploiter l’activité ayant généré les déficits au cours de la période déficitaires, et que les déficits et intérêts transférés ne proviennent pas de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier.
En outre, le législateur a prévu la possibilité pour la société bénéficiaire des apports, en cas de fusion ou d’opération assimilée bénéficiant du régime de faveur, de déduire les déficits antérieurs non encore déduits subis par la société apporteuse sur agrément spécial. Cet agrément est de droit lorsque :
Ainsi, l’article 209, II du CGI prévoit qu’ « en cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de l’article 210 A, les déficits antérieurs et la fraction d’intérêts mentionnée au sixième alinéa du 1 du II de l’article 212 non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse sont transférés, sous réserve d’un agrément […] à la ou aux sociétés bénéficiaires des apports, et imputables sur ses ou leurs bénéfices ultérieurs dans les conditions prévues respectivement au troisième alinéa du I et au sixième alinéa du 1 du II de l’article 212 (N° Lexbase : L6215LUQ). L’agrément est délivré lorsque :
Les faits qui opposaient les contribuables, en l’occurrence la société Sopra Steria Groupe, à l’administration fiscale française se basaient sur la nature de la société et l’activité à l’origine des déficits transférés, dans la mesure où lesdits déficits avaient été générés par une société holding dans le cadre de prestations d’animation et de support au profit de filiales.
La société Sopra Group a absorbé, en septembre 2014, dans le cadre d’une opération de fusion absorption placée sous le bénéfice du régime de faveur de l’article 210 A du CGI, la société Groupe Steria et la filiale à 100 % de cette dernière avec effet rétroactif fiscal et comptable au 1er janvier 2014. Dans le cadre de cette opération, la société Sopra Group a sollicité, par courrier du 15 décembre 2014, un agrément pour le transfert des déficits reportables au 31 décembre 2013 de la société Groupe Steria à hauteur de 50 326 829 euros et des déficits ayant pour origine la société Steria d’un montant de 40 909 003 euros.
Par décision du 2 décembre 2015, le ministre de l’Action et des Comptes publics a accueilli partiellement la demande d’agrément à hauteur de 346 653 190 euros correspondant à une partie des déficits fiscaux antérieurement subis par la société Steria, et rejeté le surplus.
La société Sopra Group a présenté, par courrier du 3 février 2016, un recours gracieux tendant au réexamen de sa demande d’agrément. Le 3 février 2016, en l’absence de retour de l’administration, la société Sopra Group a saisi le tribunal administratif de Paris d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par jugement du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision d’acceptation partielle et enjoint au ministre de procéder au réexamen de la demande d’agrément de la société Sopra Steria Group. Le ministre de l’Action et des Comptes publics relève appel de ce jugement.
En l’espèce, la société absorbée exerçait une activité de holding mixte qui comportait donc, outre la gestion de ses participations financières, des prestations relatives à la gestion des achats du groupe, à l’assistance juridique apportée aux filiales ou encore à la direction des systèmes d’information de celles-ci. L’administration fiscale soutenait notamment que les prestations précitées devant obligatoirement être rattachées aux filiales, elles ne pouvaient donc être source de déficits.
Après avoir rappelé les termes de l’article 209 II du CGI, la Cour administrative d’appel de Paris précise que :
► D’une part, l’article précité prévoit que, s’agissant des sociétés dont l’actif est principalement composé de participations financières, ce qui est le cas des sociétés holdings, le bénéfice du dispositif de transfert de déficit sur agrément n’est exclu que pour les seuls déficits provenant de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier de telles sociétés.
► La cour administrative d’appel ajoute à cet égard que « par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 16 août 2012 de finances rectificatives pour 2012 dont [ces dispositions] sont issues que l’intention du législateur était d’exclure les seules « holdings financières » et non l’ensemble de ces holdings, dans le but de limiter les possibilités d’exploitation des déficits à des fins d’optimisation fiscale et notamment de lutte contre le marché des déficits ».
► La cour administrative d’appel déduit de cette analyse que les dispositions litigieuses ne font dès lors « pas obstacle, par principe, à ce qu’une société holding puisse bénéficier de l’agrément prévu par cet article en vue d’imputer sur ses bénéfices ultérieurs les déficits antérieurs non encore déduits de la société absorbée dès lors que les déficits concernés ne proviennent pas d’une activité de gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier au sens de ce texte ».
► D’autre part, la cour administrative d’appel précise qu’une société holding animatrice (i.e. société ayant activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, de participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers) doit « être regardée comme exerçant une activité distincte de la gestion d’un patrimoine mobilier au sens des dispositions du d) du II de l’article 209 du CGI et qui n’est pas accessoire à une telle gestion ».
► De ce fait, la cour administrative d’appel conclue que les « déficits d’une société holding animatrice susceptibles de bénéficier de l’agrément prévu par les dispositions du II de l’article 209 du CGI ne se limitent pas aux seuls déficits provenant d’une activité opérationnelle distincte de son activité de gestion de ses filiales et réalisée au seul profit de clients tiers. Il s’ensuit que l’agrément prévu par ces dispositions ne pouvait être refusé à la société Sopra Steria Group au motif que, du seul fait de la nature de société holding de la société Groupe Steria, les déficits générés par son activité devaient être regardés comme provenant d’une activité de gestion de son patrimoine mobilier faute de résulter d’une activité exercée au profit de sociétés tierces à son groupe ».
Confirmant ainsi la position du tribunal administratif de Paris, la cour administrative d’appel rejette la requête du ministre de l’Action et des Comptes publics.
💡 Quel impact dans ma pratique ? la cour administrative d’appel vient ici confirmer la position précitée du Tribunal administratif de Paris incitant l’administration à distinguer, chez une société holding animatrice, ses activités de gestion de patrimoine mobilier et immobilier, exclues du bénéfice de l’agrément, de celles rattachables à son activité opérationnelle vis-à-vis de ses filiales ou de tiers. Les juges rappellent ainsi le texte de l’article 209 du CGI et l’esprit du législateur : il convient de vérifier, comme l’a rappelé le tribunal administratif de Paris, si les déficits proviennent en tout ou partie des activités d’animation et de prestations de services effectivement rendues par le holding à ses filiales. Si tel est le cas, l’exception prévue par l’article 209 du CGI empêchant le bénéfice de l’agrément pour les sociétés holdings financières ne trouve pas à s’appliquer. Il est donc primordial dans le cadre de ces opérations, en cas de demande d’agrément, d’être en mesure de ventiler les déficits générés par la société absorbée ou assimilée selon que ces derniers proviennent de la pure gestion de participation ou au contraire d’une activité opérationnelle, étant précisé que le simple fait d’être une société holding ne suffit pas, à lui seul, à exclure le bénéfice de l’agrément. |
[1] Loi n° 2018-1327, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019, art. 53 (N° Lexbase : L6297LNK).
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Réf. : Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-17.263, F-B (N° Lexbase : A252744D).
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N8750BYQ
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 17 Septembre 2021
► Il résulte de la combinaison des règles fixées par l’article 908 (N° Lexbase : Z55221KU) dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL) et l’article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7253LED) dans sa rédaction alors applicable, que, dans le cas où l’appelant n’a pas pris, dans le délai de l’article 908 du code précité, de conclusions comportant, en leur dispositif, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut confirmer le jugement frappé d'appel, la caducité de la déclaration d’appel est encourue ; la Haute juridiction précise que cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice.
Faits et procédure. Dans cette affaire, un salarié a interjeté appel du jugement rendu le 30 mars 2020 par un conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à son employeur.
Le pourvoi. Le demandeur fait grief à l'arrêt (CA Paris, pôle 6, 9ème ch., 20 mai 2020, n° 17/04995 (N° Lexbase : A90003LW), d’avoir constaté la caducité de la déclaration d’appel. En l’espèce, la cour d’appel a retenu que les conclusions de l’appelant comportaient un dispositif qui se bornait à demander de confirmer pour partie le jugement et pour le surplus, de faire droit à l’ensemble des demandes, en sus d’une demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W), des dépens et d’ordonner l’exécution de l’exécution provisoire de la décision à intervenir. Le dispositif des conclusions procédant par renvoi ne comportait pas de prétentions pouvant déterminer l’objet du litige.
Solution. Énonçant la solution susvisée, les Hauts magistrats valident le raisonnement de la cour d’appel et rejettent le pourvoi. La Haute juridiction précise que cette règle ne résulte pas d’une interprétation nouvelle qu’elle a affirmée le 17 septembre 2020 (Cass. civ 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA) imposant à l’appelant de solliciter dans le dispositif de ses conclusions, l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation de ce dernier, et que dans le but de respecter le droit à un procès équitable, cette décision n’entre pas dans le champ du différé d’application.
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Réf. : Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 21-80.642, FS-B (N° Lexbase : A459043E)
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N8736BY9
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par Adélaïde Léon
Le 15 Septembre 2021
► La jurisprudence, qui réserve au seul titulaire d’un droit sur le local perquisitionné la qualité pour agir en nullité, ne peut être maintenue en cas de violation d’une formalité substantielle dont l’objet est de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de perquisition ainsi que la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis ; ainsi, toute partie a qualité pour invoquer la méconnaissance de la formalité prise de l’absence de signature du procès-verbal de perquisition et saisie.
Rappel des faits. Informés par la responsable d’un hôtel de la possible utilisation d’une chambre pour le conditionnement de produits stupéfiants, des policiers ont interpellé trois personnes qui sortaient d’un véhicule et une quatrième parvenait à fuir. Du cannabis conditionné dans des sachets était retrouvé dans le véhicule. Du cannabis et de l’argent étaient saisis au cours d’une perquisition dans ladite chambre d’hôtel, en présence de l’un des occupants.
Une information judiciaire du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants était ouverte et les trois personnes interpellées étaient mises en examen de ce chef. La quatrième personne ayant pris la fuite lors de l’arrestation était interpellée puis mise en examen pour ces faits.
Le conseil de ce dernier mis en examen saisissait la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de la perquisition précitée, prise de l’absence de signature du procès-verbal de transport et de perquisition par le mis en examen présent lors de cette opération.
En cause d’appel. La chambre de l’instruction rejetait la demande de nullité des opérations de perquisition et de saisie au motif que, si le mis en examen ayant interjeté appel revendiquait avoir loué la chambre d’hôtel, cette location avait été payée avec la carte bancaire de la compagne du mis en examen présent lors de l’opération. Par ailleurs, les quatre hommes avaient passé une partie de la soirée dans cette chambre sans y loger. Enfin, lors de la perquisition, aucun des mis en cause n’a revendiqué avoir un droit sur ladite chambre et le mis en examen revendiquant la nullité de l’acte avait lui-même pris la fuite.
La juridiction soulignait également que le mis en examen présent était garant de la régularité de la perquisition dès lors qu’il n’avait pas émis de contestation sur le procès-verbal de perquisition.
Selon la chambre de l’instruction, les enquêteurs pouvaient considérer que chacun des occupants était légitime à s’assurer de la régularité des opérations de perquisitions en y assistant. L’auteur de la requête en nullité avait fait le choix de fuir et ne pouvait dès lors se prévaloir de la nullité de l’absence de signature du co-mis en examen présent sur le procès-verbal.
Le même mis en examen formait un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.
Moyens du pourvoi. Il était reproché à la chambre de l’instruction d’avoir privé le mis en examen de la possibilité de contester la perquisition de la chambre d’hôtel au motif qu’il avait pris la fuite alors qu’il avait occupé les lieux, qu’il avait un titre à les occuper et que les éléments découverts avaient fondé sa mise en examen.
Décision. La Chambre criminelle casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la chambre de l’instruction au visa des articles 171 (N° Lexbase : L3540AZ7) et 802 (N° Lexbase : L4265AZY) du Code de procédure pénale.
La Cour souligne qu’il résulte de ces articles que la méconnaissance des formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité doit entraîner la nullité de la procédure, lorsqu’il en est résulté une atteinte aux intérêts de la partie concernée. La Haute juridiction poursuit en précisant qu’il appartient à la chambre de l’instruction saisie d’une requête en nullité de vérifier si :
La question en l’espèce portait donc sur le fait de savoir quel requérant avait la qualité pour agir en cause de méconnaissance d’une formalité substantielle lors d’une perquisition.
La Cour rappelle que sa jurisprudence réserve au seul titulaire d’un droit sur le local perquisitionné la qualité pour agir en nullité (Cass. crim., 6 février 2018, pourvoi n° 17-84.380, FS-P+B N° Lexbase : A6728XC8). Toutefois, la formalité substantielle dont la méconnaissance était dénoncée – la signature du procès-verbal de perquisition et de saisie – a pour objet d’authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations.
Or, selon l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR), tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 10 mars 2009, Req. 4378/02, Bykov c/ Russie N° Lexbase : A4528EMN), et l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3311LTS), tout requérant doit se voir offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité des éléments de preuve et de s’opposer à leur utilisation.
Dès lors, toute partie a qualité pour invoquer la méconnaissance de la formalité prise de l’absence de signature du procès-verbal de perquisition et saisie, peu important qu’elle ait pris la fuite.
Par ailleurs, la Cour précise que l’absence de contestation, par le co-mis en examen présent, sur la présence des produits dans ladite chambre ne pouvait être opposée au mis en examen qui contestait cette présence.
Pour aller plus loin : v. F. Dupuis, ÉTUDE : Le contrôle et la contestation des actes d’investigation, La qualité pour agir, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E4142ZMD). |
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Réf. : Cass. soc., 8 septembre 2021, n° 19-22.251, FS-B (N° Lexbase : A894443N)
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par Charlotte Moronval
Le 21 Septembre 2021
► Dans le cadre d’une action en justice portant sur la rupture du contrat de travail, le point de départ de la prescription est la date de rupture du contrat de travail mais en cas de recours interne ouvert au salarié contre la décision de son employeur, le délai de prescription court à compter de la notification de la décision du directeur général statuant sur recours gracieux.
Faits et procédure. Le 7 mars 2013, une salariée, dont le contrat de travail est soumis au statut national du personnel des industries électriques et gazières, est licenciée pour faute grave, mesure consistant statutairement en une mesure de mise à la retraite d’office. Le 30 mars 2013, elle forme un recours gracieux auprès du directeur général de la société qui maintient la sanction puis saisit la juridiction prud’homale le 10 juillet 2015 de diverses demandes en paiement au titre de la rupture de son contrat de travail.
Pour juger l’action de la salariée prescrite, la cour d’appel (CA Metz, 20 mai 2019, n° 18/00783 N° Lexbase : A8868ZB3) retient que le point de départ de la prescription est la date de rupture du contrat de travail, soit le 9 mars 2013, date de notification de la lettre de licenciement et que l’introduction d’un recours gracieux devant le directeur général de la société n’étant pas une demande en justice, elle ne saurait avoir ni effet interruptif, ni suspensif sur le cours de la prescription. Elle ajoute que la loi du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU), promulguée le 17 juin 2013, ayant réduit le délai de prescription à deux ans, ce nouveau délai commençait à courir le 17 juin 2013, alors que l’action a été engagée le 10 juillet 2015.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Le délai de prescription de l’action en contestation du licenciement courait à compter de la notification de la décision du directeur général statuant sur recours gracieux.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Les compétences du conseil de prud’hommes, Les litiges liés à la rupture du contrat de travail, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E4960EXY). |
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Réf. : Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B)
Lecture: 11 min
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par Thomas Humbert, Avocat associé, cabinet BRL Avocats
Le 15 Septembre 2021
Mots clés : loi « santé » • DUERP • évaluation des risques • prévention des risques • CSE • harcèlement sexuel
Cet article est issu du dossier spécial consacré à la loi « santé au travail », publié le 16 septembre 2021 dans la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8719BYL).
Plusieurs mois de débats parlementaires et une commission mixte paritaire auront été nécessaires pour trouver un accord sur les dispositions de la loi « santé » visant à renforcer la prévention en santé au travail, qui transcrit, à quelques exceptions et aménagements près, l’accord interprofessionnel du 9 décembre 2020.
Le texte retenu par la commission mixte paritaire a été discuté et voté au Sénat le 20 juillet 2021 et a été adopté par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2021. Promulguée le 2 août 2021, la loi a été publiée au Journal officiel le 3 août 2021 [1]. Les différentes dispositions de cette loi entreront en vigueur le 31 mars 2022, sauf mention spécifique d’une autre date.
Ce texte a pour ambition de moderniser le système de santé au travail existant en mettant notamment l’accent sur la prévention avec pour ambition de faire évoluer les pratiques des employeurs vers une culture de la « prévention primaire », en replaçant au cœur du dispositif l’élaboration et la mise à jour régulière du document unique d’évaluation des risques professionnels (« DUERP »).
Les sénateurs ont opéré une distinction entre les entreprises de plus ou moins 50 salariés pour la mise en œuvre de certaines obligations. L’enjeu est de savoir si ce nouveau texte, qui va encore alourdir les obligations administratives à la charge des employeurs ainsi que le formalisme des politiques de prévention en entreprise, sera à la hauteur des ambitions affichées dans le contexte économique actuel difficile couplé à une pénurie importante des professionnels de santé.
En préambule de l’analyse de ces nouvelles mesures, on relèvera que la loi réorganise la gouvernance de la santé au travail en renforçant le pilotage national au travers d’un comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), aux compétences étendues, est institué au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT). Ce comité national sera également épaulé par des comités régionaux de prévention et de santé au travail (CRPST).
Un dernier article, issu de la commission mixte paritaire, prévoit également les conditions de la fusion des agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) avec l'Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). Un décret doit intervenir avant 2023.
I. La mise à jour de la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail
Le législateur a profité de l’adoption de ce texte pour mettre à jour la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail en l’harmonisant avec celle du Code pénal. Cette définition est centrée sur les faits subis par la victime et non sur l’intention de l’agresseur.
Ainsi, l’article 1 de la loi met à jour l’article L. 1153-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8840ITL) afin de tenir compte des apports de la loi du 3 août 2018 [2]. Il précise que les propos ou comportements à connotation sexiste peuvent également caractériser des faits de harcèlement sexuel.
Toutefois, comme indiqué précédemment, l’apport principal de la nouvelle définition est qu’elle ne retient pas d’élément intentionnel pour constituer le harcèlement. Les propos ou comportements n’ont pas à être « imposés » à la victime, cette dernière doit seulement les avoir « subis ».
Dès lors, comme en matière de faute inexcusable devant les juridictions de Sécurité sociale, les juridictions prud’homales ne seront pas liées par les décisions rendues par le juge pénal. Le caractère non intentionnel de l’infraction permettra au juge prud’homal de constater le harcèlement sexuel même en cas de relaxe au pénal.
II. Un renforcement de la prévention des risques par le biais d’une modernisation du DUERP
Notre système de santé au travail s’est initialement construit sur la « réparation/sanction » plutôt que sur la « prévention » des risques professionnels.
Selon la dernière enquête du ministère du Travail, seuls 45 % des employeurs interrogés ont élaboré (ou réactualisé) un document unique d’évaluation des risques professionnels (« DUERP ») au cours des douze mois précédant l’enquête [3], et ce, en violation des dispositions légales applicables.
Une première avancée notable s’est dessinée à l’occasion de la création du dispositif de pénibilité au travail dans le cadre de la réforme des retraites. En effet, à cette occasion, le législateur a fait expressément référence aux situations d’exposition à des facteurs de risques professionnels « au-delà de certains seuils, appréciés après application des mesures de protection collective et individuelle » [4].
De facto, la prévention a alors commencé à supplanter la réparation dans la mesure où le législateur a privilégié la mise en œuvre de moyens efficaces de protection permettant aux employeurs vertueux d’échapper aux sanctions attachées au dispositif de réparation de la pénibilité ; seule l’exposition résiduelle étant concernée.
La loi santé vient confirmer cette approche préventive demandée aux employeurs en imposant des actions de prévention intégrées dans un DUERP modernisé.
A. Un DUERP modernisé et régulièrement actualisé au cœur de la politique de prévention
Les contours actuels du DUERP sont modifiés par la création d’un nouvel article L. 4321-3-1 du Code du travail qui prévoit notamment que :
« I.- Le document unique d'évaluation des risques professionnels répertorie l'ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions.
II.- L'employeur transcrit et met à jour dans le document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3. »
Le législateur réaffirme donc l’obligation pour les employeurs de mettre en place un DUERP et surtout de l’actualiser régulièrement en conservant les différentes versions au fil du temps. Pour mémoire, l’absence d’élaboration ou de mise à jour de DUERP est pénalement sanctionnée [5].
B. Distinction des actions à mettre en œuvre entre les entreprises de plus ou moins 50 salariés
Le nouvel article L.4121-3-1, III distingue les actions à mettre en œuvre en fonction de l’effectif de l’entreprise avec un seuil fixé à 50 salariés.
Les entreprises de 50 salariés et plus doivent établir un programme annuel de prévention des risques détaillé qui :
Afin d’éviter un formalisme trop grand qui aurait nui à l’effectivité de la mesure, les entreprises de moins de 50 salariés devront uniquement consigner dans le DUERP une liste des actions de prévention.
Toutefois, il est illusoire de penser que les PME de 50 salariés et plus absorberont sans difficulté l’élaboration d’un programme annuel de prévention des risques professionnels avec un tel niveau de détails (indicateurs de résultat et estimation des coûts) accompagné d’un calendrier de mise en œuvre.
C. Un DUERP dématérialisé conservé pendant 40 ans
Le législateur a prévu la création d’un portail numérique sur lequel le DUERP ainsi que ses mises à jour, feront l’objet d’un dépôt dématérialisé (administré par un organisme géré par les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel). La confidentialité des données est bien évidemment respectée.
Cette obligation de dépôt dématérialisé sera applicable à compter du 1er juillet 2023 pour les entreprises d'au moins 150 salariés, et au 1er juillet 2024 pour toutes les autres entreprises.
Le paragraphe V de l’article L. 4121-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4414L7M) prévoit que l’accès à ces documents sera facilité pour les travailleurs, anciens comme actuels et les personnes ou instances qui ont un intérêt à y avoir accès. Les modalités de conservation et de mise à disposition du document ainsi que la liste des personnes et instances sont fixées par décret en Conseil d'État (à paraître).
Cette disposition impose aux employeurs de veiller à la plus grande vigilance dans la rédaction de leur DUERP qui ne manquera pas d’être utilisé par les salariés ou leurs représentants, notamment dans les procédures en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur ou devant les juridictions prud’homales pour caractériser un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. À travers cette disposition, la charge de la preuve d’un éventuel manquement à une obligation de sécurité de l’employeur sera donc facilitée pour les salariés.
Il convient, en outre, de relever que le défaut d’élaboration et/ou de mise à jour du DUERP est constitutif en soi d’une infraction pénale et qu’il n’est donc pas à exclure que les inspections du travail utilisent également ce portail numérique afin de recueillir des éléments de preuve.
Cela d’autant plus que la durée de conservation du DUERP par l’employeur ne peut être inférieure à quarante ans.
III. Une contribution renforcée du CSE (CSSCT) à l’élaboration du DUERP
L’ambition du législateur est de recentrer le document unique sur son objectif principal, l’évaluation des risques, et de faire en sorte que toutes les entreprises se l’approprient pleinement, quelle que soit leur taille notamment par le biais des représentants du personnel. En effet, si l’évaluation des risques transcrite dans le DUERP relève toujours de la responsabilité de l’employeur, la loi acte désormais que le CSE « est consulté sur le DUERP et sur ses mises à jour ».
Il apparait évident que la crise sanitaire a placé au cœur des préoccupations la gestion des risques professionnels et donc leur évaluation, leur retranscription dans le DUERP et les mesures à mettre en œuvre (en respectant les recommandations des pouvoirs publics). Cette épidémie de Covid-19 a été un catalyseur vers une amplification du rôle du CSE dans la démarche d'actualisation des risques et de consultation sur la mise à jour du document unique.
L’esprit de la loi rejoint ainsi les compétences attachées au CSE et à la CSSCT telles que définies dans le Code du travail et conforte ainsi la position de plusieurs magistrats qui s’est illustrée dans plusieurs décisions récentes [6]. Dans une affaire très médiatisée concernant la société Amazon, la cour d’appel de Versailles a jugé qu’il appartenait à l’employeur de « consulter le CSE central dans le cadre de l’évaluation des risques - comprenant la modification du DUER -, puis la mise en œuvre des mesures appropriées, sans pour autant ignorer les CSE d’établissements lesquels, dans le cadre de cette démarche d’évaluation, devaient être consultés et associés en leur qualité de représentants des salariés, étant rappelé que le comité social et économique a pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail » [7].
Toutefois, si cette volonté du législateur d’une « co-construction » de l’évaluation des risques est louable, en pratique cela risque bien d’engendrer un formalisme et une lourdeur administrative pour les employeurs… et de créer d’éventuelles divergences d’appréciation avec les représentants du personnel.
La loi précise enfin qu’à compter de son entrée en vigueur, le 31 mars 2022, tous les membres du CSE bénéficient de cinq jours de formation santé, sécurité et conditions de travail [8]. En cas de renouvellement de leur mandat, ils ont droit à trois jours supplémentaires de formation, avec une bonification à cinq jours pour les membres de la CSSCT. Le financement de cette formation est pris en charge par l’employeur.
*
Le recul de ces vingt dernières années sur la gestion des risques professionnels en entreprise conduit à se féliciter d’une telle modernisation du système de santé par le législateur centré sur la prévention des risques au lieu et place d’une réparation / sanction.
Les données statistiques et l’analyse des causes liées à la survenance de sinistres professionnels illustrent parfaitement la nécessité de développer et d’amplifier une culture de prévention des risques en entreprise.
Toutefois, l’adoption de ces nouvelles dispositions engendra une augmentation du formalisme déjà « asphyxiant » à la charge des employeurs. Ceux-ci devront désormais « coconstruire » leur évaluation des risques et leur DUERP avec les représentants du personnel ce qui risque d’engendrer des divergences d’appréciation. Sans compter les risques juridiques induits par la mise à disposition de ces documents aux salariés (et anciens salariés), pendant une durée minimum de quarante ans, au moyen d’un portail numérique et leur utilisation dans différents types de contentieux...
[1] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B).
[2] Loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (N° Lexbase : L6141LLZ).
[4] Réforme sur les retraites issue de la loi n° 2014-40, du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (N° Lexbase : L2496IZH), modifiée par la loi n° 2015-994, du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite loi « Rebsamen » (C. trav., art. L. 4161-1 N° Lexbase : L8033LGM).
[5] C. trav., art. R. 4741-1 (N° Lexbase : L3068IAU) : contraventions de cinquième classe, soit 1 500 euros d’amende pour une personne physique et quintuplée pour la personne morale. Ces peines sont doublées en cas de récidive.
[6] Jurisprudence « covidienne » rendue en avril et mai 2020 (TJ Lille, ord. réf., 24 avril 2020, n° 20/00395 N° Lexbase : A32283L7 ; TJ Le Havre, ord. réf., 7 mai 2020, n° 20/00143 N° Lexbase : A32313LA ; TJ Lyon, ord. réf., 11 mai 2020, n° 20/00593 N° Lexbase : A63163LI) et les questions/réponses du ministère du Travail publiées sur son site internet.
[7] CA Versailles, 24 avril 2020, n° 20/01993 (N° Lexbase : A99883K7).
[8] C. trav., art. L. 2315-18 (N° Lexbase : L0336LME).
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Réf. : Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, art. 24 I-1° (N° Lexbase : L6128L74)
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par Aude Lelouvier, Docteur en droit
Le 15 Septembre 2021
Mots-clés : droit de prélèvement compensatoire • droit international privé • loi applicable • ordre public international français • ordre public de proximité • réserve héréditaire • héritiers réservataires • mécanisme réservataire • égalité devant la loi • succession • biens existants sur le territoire français • égalité des enfants • exhérédation des femmes • discriminations successorales
La loi du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, a introduit à l'article 913 du Code civil (N° Lexbase : L7497L7S) un nouvel alinéa prévoyant que « lorsque le défunt ou au moins l'un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d'un État membre de l'Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. »
Cette disposition entrera en vigueur le 1er novembre 2021 et s’appliquera aux successions ouvertes à compter de cette date, y compris pour les libéralités consenties antérieurement à cette date.
Droit de prélèvement compensatoire. La loi du 24 août 2021 a instauré « un prélèvement compensatoire » dans le cadre de successions internationales sur les biens existants situés en France au jour du décès de défunt. Par conséquent, chaque fois que le défunt possédait des biens sur le territoire français, ses héritiers pourront user de ce nouveau droit pour être rétablis dans les droits que la réserve héréditaire de droit français leur octroie. En d’autres termes, les enfants et le conjoint du défunt pourront donc, en tant qu’héritiers réservataires, prélever leur part réservataire sur les biens situés sur le territoire français.
Historique. Cette restauration du droit de prélèvement paraît surprenante compte tenu de son historique juridique spécifique ainsi que de celui de la réserve héréditaire en droit international privé.
En effet, il convient de rappeler que, par décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel, saisi à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré le droit de prélèvement, issu de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l'abolition du droit d'aubaine et de détraction (N° Lexbase : C47214IP), contraire à la Constitution française (Cons. const., 5 août 2011, n° 2011-159 QPC N° Lexbase : A9239HW4).
Pour rappel, cet article instaurait un droit de prélèvement afin de protéger l'héritier français venant à la succession d'après la loi française et exclu de son droit par la loi étrangère. Cependant, dans la mesure où ce droit de prélèvement sur la succession était réservé au seul héritier français, le Conseil constitutionnel a considéré que la disposition établissait « une différence de traitement entre les héritiers venant également à la succession d’après la loi française et qui ne sont pas privilégiés par la loi étrangère », et en conséquence qu’elle méconnaissait le principe d’égalité devant la loi (Cons. const., 5 août 2011, n°2011-159 QPC N° Lexbase : A9239HW4).
Ainsi le droit de prélèvement était effacé du système juridique français. Toutefois, le retrait du droit de prélèvement déplaçait le débat autour de la place de la réserve héréditaire en droit international privé. Longtemps, la doctrine s’est interrogée sur le traitement de la réserve héréditaire en droit international privé, et plus particulier dans le cadre de la mise en œuvre du mécanisme de l’ordre public international [1].
Puis, en 2017, par deux arrêts du même jour (Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, deux arrêts, n° 16-17.198 N° Lexbase : A1719WTT et n° 16-13.151 N° Lexbase : A1718WTS, FS-P+B+R+I [2]), la Cour de cassation a mis fin à ce débat et considéré qu’ « une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
La Haute Cour a donc estimé que le principe même de la réserve héréditaire ne saurait suffire à la mise en œuvre de l’ordre public international. Finalement, seulement une loi étrangère dont l’application à l’espèce conduirait à une situation incompatible avec les principes essentiels du droit français permettrait le jeu de l’ordre public international.
Il peut donc difficilement être considéré que la réserve héréditaire a été érigé au rang de principe universel du droit français, sa décadence ne cessant de s’accroître. La majeure partie de la doctrine a d’ailleurs indiqué que la réserve héréditaire ne pouvait jouer au titre du mécanisme de l’ordre public international que dans des situations exceptionnelles et notamment lorsque la loi étrangère laisse les enfants exclus dans une situation de précarité économique ou de besoin [3]. Comme l’a affirmé le Professeur Bertrand Ancel, la réserve héréditaire serait donc réduite à une fonction d’assistance [4].
Incontestablement, tant la décision du Conseil constitutionnel que celles de la Cour de cassation annonçaient le déclin de la réserve héréditaire au sein du système français, dont la justification pourrait trouver sa source dans la liberté de disposer de ses biens à titre gratuit. C’est pourquoi, l’introduction de l’article 24 de la loi du 24 août 2021 paraît surprenant puisqu’il s’inscrit en rupture avec le mouvement jurisprudentiel actuel. Elle le semble d’autant plus qu’elle réinstaure un droit de prélèvement qui avait été déclaré contraire à la Constitution.
Toutefois, il semblerait que les parlementaires aient fait preuve de vigilance pour éviter un nouvel assaut du Conseil constitutionnel dans la mesure où le droit de prélèvement bénéficie à tous les héritiers du défunt et non pas aux héritiers uniquement de nationalité française. Pour cette raison, l’égalité des héritiers serait donc préservée.
Objectifs. La surprise est de mise quant à l’introduction de cet article 24 de la loi du 24 août 2021 dans la mesure où il tend à rendre à la réserve héréditaire de droit français la prééminence qu’elle semblait avoir perdue. C’est en effet l’une des raisons pour lesquelles le législateur s’est attelé à légiférer à ce propos.
Tel qu’il ressort du rapport présenté à l’Assemblée nationale avant le premier examen en séance publique, l’objectif principal consiste « à affermir la réserve héréditaire » et permettre « d’éviter que des discriminations ne soient réalisées entre les enfants qu’elles soient exercées à l’encontre des enfants d’une précédente union dans les familles recomposées ou qu’elles soient fondées sur le sexe, l’ordre de naissance, la nature de la filiation ou encore la religion » [5].
Ainsi, l’affermissement de la réserve héréditaire interviendrait au service de l’égalité des enfants. La Chancellerie a notamment impulsé la création de ce texte afin de lutter contre l’exhérédation des femmes. Plus particulièrement, le garde des Sceaux pointait cette problématique et affirmait que « quand une loi étrangère a vocation à s’appliquer et permet à des parents de déshériter leurs filles, c’est totalement contraire à nos valeurs » [6]. Le but poursuivi par l’instauration de cette nouvelle disposition législative paraît plus que légitime puisqu’il vise à lutter contre les règles successorales qui exhérèdent les femmes.
Toutefois, pour l’heure, comme l’indique le rapport du Sénat présenté avant l’examen en première séance publique, « le Gouvernement a choisi de créer un indicateur permettant d’en vérifier l’effectivité en mesurant « le nombre d’enfant déshérités » censé baisser du fait de l’entrée en vigueur de cette disposition » mais il demeure « d’ores et déjà possible de douter de sa faisabilité dans la mesure où la Chancellerie ne dispose d’aucune statistique, l’essentiel des successions étant réglées à l’amiable, devant les notaires qui ne recueillent pas de données » [7]. En d’autres termes, bien que la finalité poursuivie soit théoriquement louable, elle sera difficilement mesurable en pratique.
En tout état de cause, le législateur demeure animé par un certain conservatisme et la volonté de sauvegarder la réserve héréditaire en tant que principe fondateur du système juridique français depuis 1804. D’ailleurs, dans le premier rapport de l’Assemblée nationale, le législateur indique son souhait de mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation issue de ses arrêts de 2017, qui n’a reconnu à la réserve héréditaire qu’un fondement alimentaire et qui a pu être vivement critiqué [8].
En effet, une partie de la doctrine s’est élevée contre ces arrêts de la Cour de cassation. Le Professeur Michel Grimaldi a notamment dénoncé « avec véhémence la politique de la Cour de cassation, qui, hier dans l’ordre interne et aujourd’hui dans l’ordre international, œuvre au démantèlement de la réserve héréditaire et ruine ainsi un équilibre de valeurs, ancien certes, mais toujours essentiel à la sauvegarde d’un ordre civil qui ne soit subverti ni par l’impérialisme des libertés marchandes ni par l’exacerbation des droits individuels » [9].
Finalement, c’est bien par souci de conservatisme que le législateur s’est engagé à « affermir la réserve héréditaire », mais aussi par volonté de lui rendre sa stature afin qu’elle ne soit plus réduite au rang de fonction alimentaire. D’ailleurs le même rapport de l’Assemblée nationale en fait état et précise que « le principe de la réserve va bien au-delà (d’un seul fondement alimentaire) puisqu’elle n’est pas calculée en fonction des besoins des enfants et des ressources de la succession, et peut même n’être attribuée qu’en nue-propriété » [10]. Ainsi le législateur rend à la réserve héréditaire sa véritable fonction.
Conditions de mise en œuvre. Pour restituer sa force à la réserve héréditaire française, le législateur a donc instauré un droit de prélèvement compensatoire au bénéfice de tous les héritiers. Toutefois, le recours à ce droit de prélèvement suppose la réunion de plusieurs conditions.
1° - En premier lieu, pour pouvoir recourir au droit de prélèvement compensatoire, il est nécessaire que la loi étrangère applicable à la succession ne connaisse aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants. Par conséquent et a contrario, cela signifie que si la loi étrangère prévoit une réserve héréditaire, le droit de prélèvement ne pourra pas être invoqué par les héritiers du défunt pour s’en prévaloir quant aux biens situés en France.
Or, comme le note le rapport présenté au Sénat avant l’examen en première séance publique, « la réserve héréditaire n’est pas une spécificité française » et « existe dans la plupart des droits de tradition civiliste » [11]. Ainsi, cela regroupe la plupart des pays fondateurs de l’Europe, mais également la plupart des pays d’Amérique du Sud, ainsi que certains pays d’Afrique. D’autres pays encore connaissent de la réserve héréditaire mais celle-ci ne s’applique que sous certaines conditions comme en Russie ou en Chine.
2° - En second lieu, pour que le droit de prélèvement puisse jouer, et sous réserve que la première condition soit remplie, le défunt ou l’un de ses enfants doit être ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou posséder sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre. Par conséquent, il convient simplement d’établir un rattachement avec un État membre de l’Union européenne. En aucun cas il n’est nécessaire que ce rattachement s’opère absolument avec le territoire français. Par conséquent, le critère de la nationalité française des héritiers qui était au cœur des dispositions de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 (N° Lexbase : C47214IP) n’est plus de mise.
3° - En dernier lieu, si les deux conditions précédentes sont réunies, le droit de prélèvement compensatoire ne pourra jouer que si la succession comprend des biens existants en France au jour du décès du défunt. Ce n’est donc que si le patrimoine successoral contient des biens en France que le droit de prélèvement compensatoire peut s’appliquer.
En outre, quand bien même toutes les conditions seraient réunies, le prélèvement n’opère que sous réserve de biens successoraux suffisants en France pour permettre à l’héritier de compenser la perte subie à l’étranger. En d’autres termes, le droit de prélèvement ne joue qu’à l’égard des biens situés en France. Par conséquent, le droit de prélèvement ne pourra pas toujours jouer notamment si le patrimoine situé en France est insuffisant en comparaison du patrimoine situé à l’étranger.
Effets. Si ces conditions sont réunies, le droit de prélèvement peut jouer. Le notaire pourra donc l’appliquer sans recours au juge. En tout état de cause, le prélèvement compensatoire permet à tous les héritiers réservataires, au sens de la loi française, quelle que soit leur nationalité, de prélever dans la limite des droits que leur octroi la loi française, la part à laquelle ils peuvent légitimement prétendre et correspondant à leur réserve.
Par conséquent, il est nécessaire au préalable de déterminer la part à laquelle chaque héritier réservataire a droit, mais aussi d’en calculer le montant compte tenu de tout ce qu’il aurait pu déjà recevoir du défunt. Une fois le calcul du montant établi, l’héritier réservataire pourra prélever sa part dans la limite des biens existants sur le territoire français. Ainsi la mise en œuvre pratique de ce droit de prélèvement soulèvera un certain nombre de difficultés.
Ordre public international français. En outre, cette régénération du droit de prélèvement sonne le glas de la fin de la jurisprudence de la Cour de cassation puisque la volonté des parlementaires consiste à faire jouer « le prélèvement compensatoire (…) comme un effet de l’exception d’ordre public international » [12]. La réserve héréditaire qui autrefois n’était pas un principe d’ordre public international, l’est aujourd’hui. Une nouvelle fois, l’objectif poursuivi par le législateur consiste véritablement à renforcer la réserve héréditaire.
Néanmoins, la réserve héréditaire n’intervient qu’au titre d’un ordre public de proximité lequel n’a vocation à jouer que lorsque d’une part la loi étrangère exclut tout mécanisme réservataire et d’autre part lorsque la succession comprend des biens situés en France au jour du décès. C’est la raison pour laquelle des doutes peuvent être émis quant à la viabilité pratique de ce nouvel alinéa introduit à l’article 913 du Code civil (N° Lexbase : L0060HPW).
Hypothèses d’application ? Bien que le système prévu par l’article 24 de la loi du 24 août 2021 permette une application d’office par le notaire sans intervention judiciaire, ce droit de prélèvement ne jouera que dans l’hypothèse où l’autorité compétente saisie est issue de l’Union européenne. Or, ce sont bien la plupart des pays de l’Union européenne qui possèdent des mécanismes réservataires en raison de leurs tradition civilistes. A contrario, ce sont les pays tiers à l’Union, tels que les pays de droit musulman et les pays de Common Law, qui ne connaissent pas de la réserve héréditaire. Par conséquent la finalité de la loi du 24 août 2021 est de mettre en échec ces législations. Or, si la succession est ouverte dans l’un de ces pays, on voit mal comment l’autorité compétente pourrait appliquer la réserve héréditaire de droit français. Par conséquent, même en présence de biens situés en France, le juge ou notaire étranger à l’Union européenne mettra en échec ces dispositions.
Quand bien même un juge européen serait saisi, il pourrait simplement mettre en échec la loi étrangère par le biais du mécanisme de l’ordre public international français chaque fois que les dispositions matérielles de la loi étrangère seraient manifestement discriminatoires pour les héritiers notamment pour les femmes. C’est d’ailleurs l’un des arguments repris par le Sénat dans son premier rapport et qui justifiait donc la suppression de l’article en cause [13]. En effet, l’objectif que s’est assigné la loi à propos de la lutte contre l’exhérédation des femmes est déjà atteint par le droit en vigueur et préservé par l’ordre public international français. Pourtant, l’Assemblée nationale a maintenu sa position malgré celle du Sénat [14].
Finalement, l’hypothèse la plus probable où ce droit de prélèvement pourrait intervenir serait celle dans laquelle la loi étrangère désignée aurait une origine anglo-saxonne et l’autorité compétente serait européenne. Toutefois, cette hypothèse s’avérera sans doute rarissime. D’une part, pour que l’autorité compétente soit européenne, il faut que le défunt ait sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre au moment du décès [15] et d’autre part, pour qu’une loi étrangère à l’Union s’applique, il faut que le défunt ait par professio juris choisi d’appliquer sa loi nationale laquelle serait une loi tierce à l’Union [16]. En effet, rappelons qu’en principe la loi applicable à la succession est celle de dernière résidence habituelle du défunt au moment du décès [17]. Il est donc permis de douter de l’efficacité de ce nouveau mécanisme qui n’a vocation à s’appliquer qu’à titre exceptionnel.
De surcroît, une critique peut être émise quant à la difficulté de mise en œuvre de ce droit de prélèvement qui implique la vérification d’un certain nombre de conditions et qui suppose surtout une quantité de biens existants suffisante, quantité qui ne sera appréciable qu’en fonction de l’ensemble du patrimoine du défunt au moment du décès.
En conclusion, l’article 24 de la loi du 24 août 2021 réinstaure un droit de prélèvement au sein du système de droit français. Toutefois, ce droit ne saurait répondre à l’identique à son ancêtre puisqu’il a vocation à s’appliquer à tous les héritiers quelle que soit leur nationalité. En outre, cette nouvelle disposition innove en ce qu’elle range la réserve héréditaire parmi les principes essentiels de droit français qui font partie intégrante de l’ordre public international français. Néanmoins, la vigilance reste de mise quant à l’efficacité de ce nouveau droit promu par la réserve héréditaire. |
[1] V. S. Godechot-Patris, Conflits de lois. - Successions internationales. - Droit de prélèvement. - Inconstitutionnalité. - Contrariété au principe d'égalité garantie par la Constitution. - Réserve d'interprétation., JDI 2012. 145 s. ; M. Grimaldi, Brèves réflexions sur l'ordre public et la réserve héréditaire, Defrénois 2012. 755.
[2] V. J. Casey, Réserve héréditaire et DIP : l'exhérédation est légale, Lexbase Droit privé, 19 octobre 2017, n° 716 (N° Lexbase : N0710BXL).
[3] Voir en ce sens : J. Guillaumé, La loi étrangère qui ne connaît pas la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international, D. 2018. 2185 ; P. Lagarde, A. Meier-Bourdeau, B. Savouré et G. Kessler, La réserve héréditaire n’est pas d’ordre public international, AJ fam. 2017. 598 ; B. Ancel, Réserve héréditaire et principes essentiels du droit français, RCDIP 2018. 87 ; M. Grimaldi, La réserve ne relève pas de l’ordre public international, RTD Civ. 2018, p. 189 ; E. Fongaro, La réserve héréditaire ne relève pas, en principe, de l’ordre public international, JCP N,. n° 45, 10 novembre 2017, 1305 ; M. Nicod, La réserve héréditaire et l'ordre public international français : ou comment concilier liberté et solidarité ?, Dr. fam. n° 11, novembre 2017, comm. 230.
[4] B. Ancel, op. cit., p. 87.
[5] Rapport AN n° 3797, première lecture, art. 13 du projet de loi « renforcement de la protection des héritiers réservataires » [en ligne].
[6] E. Dupond-Moretti : « J'ai défendu les magistrats quand ils ont été accusés de laxisme », Le Figaro, 5 octobre 2020.
[7] Rapport n° 454 du Sénat, première lecture [en ligne], art. 13 du projet de loi « (Supprimé) Rétablissement d'un mécanisme de prélèvement en cas de loi étrangère ne connaissant aucun mécanisme réservataire et renforcement de l'obligation d'information des notaires sur l'action en réduction des libéralités excessives ».
[8] Rapport n° 3797, op. cit., art. 13.
[9] M. Grimaldi, op. cit., p. 189.
[10] Rapport n° 3797, op. cit., art. 13.
[11] Rapport n° 454, op. cit., art. 13.
[12] Rapport n° 3797, op. cit., art. 13.
[13] Rapport n° 454, op. cit., art. 13.
[14] Rapport n° 4239 de l’Assemblée nationale après seconde lecture, art. 13 du projet de loi « « renforcement de la protection des héritiers réservataires ».
[15] Règlement (UE) n° 650/2012 du parlement européen et du conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et la création d’un certificat successoral européen dit Règlement « successions », art. 4 (sauf compétences subsidiaires ou forum necessitatis).
[16] Règlement « successions », art. 22.
[17] Règlement « successions », art. 21.
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