Réf. : Loi n° 2021-1109, du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République (N° Lexbase : L6128L74)
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par Adélaïde Léon
Le 22 Septembre 2021
► Selon les mots du communiqué de presse du Conseil des ministres du 9 décembre 2020, 115 ans après la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État, « l’ambition de ce texte est de permettre à la République d’agir contre ceux qui veulent la déstabiliser afin de renforcer la cohésion nationale ; Ce texte vise à l’émancipation individuelle contre le repli identitaire » ; En matière pénale, cette nouvelle loi prévoit notamment l’élargissement du FIJAIT, le renforcement de la protection des agents publics contre les menaces et actes d’intimidation, un nouveau délit en matière de haine en ligne et des modifications s’agissant de la police des cultes.
Inscriptions au FIJAIT et mesures de sûreté. La loi prévoit notamment l’inscription dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions terroristes des condamnations pour provocation aux actes de terrorisme et apologie (C. pén., art. 421-2-5 N° Lexbase : L8378I43 et 421-2-5-1 N° Lexbase : L4800K8B).
Le régime d’inscription au FIJAIT est également modifié puisque l’ensemble des infractions visées par l’article 706-25-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7500L7W) (énumérant les infractions inscrites au fichier) sont désormais inscrites de plein droit sauf décision contraire et spécialement motivée.
Il est par ailleurs précisé que les mesures de sûreté énoncées à l’article 706-25-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7501L7X) ne seront pas appliquées aux personnes inscrites au FIJAIT lorsque les décisions ayant conduit à cette inscription concernent les infractions suivantes :
Protection des agents publics contre les menaces et actes d’intimidation. Il est créé un nouveau délit constitué par l’usage de menace, de violences ou d’intimidation à l’égard d’un agent public ou de toute autre personne chargée d’une mission de service public afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service (C. pén., art. 433-3-1 N° Lexbase : L7490L7K).
Ce délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Par ailleurs, une interdiction de territoire français peut être prononcée à l’encontre de tout étranger qui se rendrait coupable de cette infraction.
Le texte précise que, lorsqu’il a connaissance de faits susceptibles de constituer cette infraction, le représentant de l'administration ou de la personne de droit public ou de droit privé à laquelle a été confiée la mission de service public dépose plainte.
Protection des enseignants. En réaction à l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020, est par ailleurs créé un nouveau délit d’entrave à la fonction d’enseignant, d’une manière concertée à l’aide de menaces. Cette infraction est punie d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Extension du dispositif d’alerte. Le texte étend la protection fonctionnelle des agents publics aux atteintes à leur intégrité physique ainsi qu’aux menaces (loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors », art. 6, quater A N° Lexbase : L6938AG3) en leur permettant de signaler ces faits dont ils feraient l’objet dans l’exercice de leur fonction, au dispositif d’alerte dédié.
Par ailleurs, le texte confère à la collectivité publique l’obligation de prendre, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d’urgence de nature à faire cesser tout risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique d’un fonctionnaire et à prévenir la réalisation ou l’aggravation des dommages directement causés par ces faits.
Fiscalité des associations. La loi comprend également de nombreuses dispositions en matière fiscale, notamment en cas de condamnation pénale d’une association (v. M.-C. Sgarra, Loi confortant le respect des principes de la République : la fiscalité des dons en faveur des associations passée au crible, Le Quotidien Lexbase, 8 septembre 2021 N° Lexbase : N8632BYD).
Lutte contre les discours de haine et contenus illicites en ligne. La loi créée un délit de mise en danger par la révélation ou la diffusion d’informations relatives à la vie privée familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer (C. pén., art. 223-1-1 N° Lexbase : L7485L7D). Cette infraction est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. La peine est aggravée lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou titulaire d'un mandat électif public ou d'un journaliste.
La loi aggrave les peines des infractions prévues aux articles suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW) lorsqu’elles sont commises par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission :
Par ailleurs, fait notable en matière de presse, pour les délits précités, la loi nouvelle autorise le recours à la comparution immédiate et à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, sauf si ces délits résultent du contenu d’un message placé sous le contrôle d’un directeur de la publication. Les travaux parlementaires traduisent la volonté du législateur de viser ainsi les contenus publiés sur les réseaux sociaux.
Lutte contre les sites miroirs. La loi instaure une nouvelle procédure permettant de faciliter le blocage de l’accès aux sites miroirs, lesquels reproduisent des contenus déclarés illicites par décision judiciaire.
Modération en ligne. Nouveauté notable en matière de communication au public en ligne, la loi instaure de nouvelles obligations aux opérateurs de plateformes dépassant un certain nombre de connexions en matière de lutte contre la diffusion publique de contenus illicites. Cette disposition anticipe le projet de législation sur les services numériques (Digital Services Actes ou DSA) de la Commission européenne qui doit être présenté en décembre 2021.
Police des cultes. La loi nouvelle modifie la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État (N° Lexbase : C03134QN), en durcissant la peine prévue en cas de :
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Réf. : Cass. crim., 16 juin 2021, n° 20-83.098, F-P (N° Lexbase : A14224WL)
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par Paul Cazalbou, Professeur des Universités, agrégé des facultés de droit, La Rochelle Université.
Le 08 Septembre 2021
Mots-clés : personne morale • responsabilité pénale • organe collectif • représentant de fait • groupe de société • corruption d'agent public étranger • commissions
À l'occasion d'une affaire de corruption internationale impliquant plusieurs sociétés françaises la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise un peu plus le mécanisme de la responsabilité pénale des personnes morales. Dans la lignée de sa jurisprudence récente, le réalisme prévaut et permets de dépasser les artifices mis en œuvre pour diluer cette responsabilité.
La décision ici rapportée ne manquera pas d'attirer l'attention de tous ceux qui portent un intérêt à la question de la responsabilité pénale des personnes morales. En effet, dans la lignée d'un arrêt récent [1], très largement commenté, il semble que la Chambre criminelle entende, par la présente décision, poursuivre dans la voie d'une approche réaliste de ce mécanisme. Les faits de l'espèce, le versement de commissions à des agents publics et des personnalités politiques étrangères dans le cadre de la passation de contrats par une entreprise française et ses filiales, permettent ici à la Cour de cassation d'examiner la question de la répartition de la responsabilité pénale au sein des groupes de sociétés, particulièrement lorsque le groupe en question semble s'être structuré afin d'éviter la remontée de cette responsabilité vers la société mère, une célèbre entreprise française de téléphonie. C'est cette dernière qui formait un pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel prononçant sa condamnation pour corruption active d'agent public étranger.
Plusieurs salariés d'une filiale de la société en cause étaient ainsi convaincus d'avoir conclu un pacte de corruption avec des agents publics et des personnalités politiques étrangères afin que leur société remporte des marchés dans l’État en question. La corruption prenait la forme de commissions versées en application de contrats de consultants signés par une autre filiale du groupe dans un schéma qui ne laissait pas apparaître d'intervention directe de la société mère. Cette dernière pouvait alors soutenir qu'elle ne pouvait être tenue pour responsable des infractions ainsi commises. Selon elle, les actions des salariés de ses filiales ne sauraient emporter sa responsabilité, ces individus n'étant ni ses organes ni ses représentants, faute de s'être vu consentir par elle les délégations de pouvoirs idoines.
Il faut dire que, sous ce premier aspect, le pourvoi pouvait sembler fragile, la qualité de représentant au sens de la responsabilité pénale des personnes morales pouvant certes se déduire de l'existence d'une délégation de pouvoir [2] mais pas de manière exclusive. Il était donc loisible à la Cour de cassation de se reporter sur d'autres considérations pour évaluer la qualité de représentant de la société mère des salariés des sociétés filles ayant conclu le pacte de corruption [3].
C'est à ce stade que l'approche réaliste évoquée se développe. S'éloignant de l'analyse des rapports juridiques apparents existant entre la mère et ses filles, la Chambre criminelle s'intéresse aux rapports de fait qui se développent entre celles-ci pour leur faire jouer des effets de droit. Elle découvre alors l'existence d'une organisation occulte, en ce sens qu'elle repose sur des « entités virtuelles et transversales dépourvues de personnalité juridique », qu'elle qualifie de « matricielle » [4], se superposant au groupe de société lui-même. En fait d'organisation « matricielle », c'est à une véritable organisation parallèle des structures juridiques et sociétales, faites de «business group » et autres « areas » ignorant « les structures juridiques liant la société mère à ses nombreuses filiales », que l'on était ici confronté. Au sein de cette structure parallèle, la Chambre criminelle estime que les salariés des filiales étaient soumis à une seconde hiérarchie qui les liait « de fait » à la société mère pour le compte de laquelle ils exerçaient. En somme, si la structure juridique superficielle du groupe pouvait servir de coupe-circuit à la responsabilité de la société mère, la structure de fait de celui-ci permettait de la mettre en cause sur la base des infractions commises par les salariés des sociétés filles. Ces derniers en étaient ainsi les représentants de « fait » à raison de deux paramètres, la structure transversale propre au groupe et les missions qui leurs étaient confiées au sein de cette structure. On approuvera sans réserve cette manière de raisonner quoique pas tant au regard de son intérêt répressif qu'eu égard à sa compatibilité avec la lettre de l'article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) qui, en restant évasif quant à la définition du « représentant » de la personne morale, permet d'y rattacher celui qui ne le serait que de « fait ».
La Chambre criminelle n'approuve toutefois pas simplement la condamnation de la société mère sur la base des infractions commises par les salariés de ses filiales qui la représentaient. Elle s'intéresse également à l'intervention dans le processus de corruption d'un « comité dédié », émanation du groupe de société, et désigné sous le nom de « RAC » pour « Risk Assessment committee ». Une entité, composée de « dirigeants du groupe », qui avait la charge de valider un document intitulé IPIS, pour « Initial Project Income Statement », destiné à évaluer la rentabilité du projet de participation à l'appel d'offres passé par les autorités étrangères et qui mentionnait le coût des commissions à verser aux consultants dans le cadre du processus de corruption.
Pour la Cour de cassation, l'intervention de ce comité dans le processus de corruption est remarquable à deux égards. D'une part, dans l'approbation, et donc le contrôle, des documents IPIS qui mentionnaient expressément le versement de sommes d'argent à des consultants. D'autre part, à raison du fait « que de nombreux dirigeants du groupe, particulièrement les membres [du] RAC […] central, avaient une connaissance générale du système mis en place pour le recours à des consultants et de l'usage final des sommes consacrées par le groupe au paiement de ses agents dans les zones à risque ». Il y a là de quoi établir la participation de ce comité au processus de corruption et donc la responsabilité de la société mère puisque selon, la Cour de cassation, qui ne détaille pas son raisonnement sur ce point, ce comité n'est rien moins qu'un de ses organes [5].
Ce dernier aspect de la décision prête peut-être plus à la discussion que le premier. En effet, si l'engagement de la responsabilité d'une personne morale, sur la base de l'infraction commise dans tous ses éléments constitutifs par un de ses représentants ou un de ses organes personne physique ne pose pas de difficulté particulière, fonder cette responsabilité sur les actions d'un organe collectif peut paraître plus délicat. Dans le premier cas on relève une infraction commise matériellement par une personne physique tandis que dans le second on relèvera difficilement une véritable infraction, bien plus souvent une décision, ici l'approbation d'un document IPIS, diluée dans l'action collective des membres du comité dont la Cour de cassation nous indique qu'ils étaient « nombreux » – pas tous donc ? – à connaître la destination réelle des commissions. Même à ne retenir que ceux d'entre les membres du RAC qui connaissaient la destination des fonds on peut encore s'interroger sur l'infraction qu'ils auraient commise pour le compte de la société mère. Ont-ils personnellement commis un acte de corruption ou ont-ils commis un acte de participation – pourquoi pas d'instigation d'ailleurs ? – à l'acte de corruption commis par les salariés des filiales ? [6] La question se pose d'autant plus qu'à ce stade du raisonnement, établir l'infraction qui aurait été commise – on hésite réellement sur la terminologie à employer s'agissant d'un organe collectif – par le RAC n'avait plus d'intérêt, la responsabilité de la société mère étant déjà suffisamment engagée, et sur un fondement solide, sur la base des infractions de ses représentants, salariés de ses filiales.
On le voit donc, c'est bien de réalisme qu'a fait preuve la Chambre criminelle de bout en bout de cette décision, tant dans l'analyse de la structure réelle du groupe que de la répartition du pouvoir de décision en son sein. Ce réalisme est le bienvenu en termes répressifs mais il ne faudrait toutefois pas qu'à l'opacité des structures employées par les groupes de sociétés pour dissimuler leur criminalité, s'ajoute celle de la loi qui prétend les châtier. Or, il semble bien que le problème posé in fine ici relève d'une mauvaise adéquation des termes de la loi aux problèmes qu'elle prétendait pourtant traiter, la responsabilité des personnes morales, particulièrement celles dotées d'organes collectifs, et le type d'infraction que peuvent commettre ces organes qui n'ont pas plus de corps que les personnes morales dont ils assurent le bon – ? – fonctionnement.
[1] Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I (N° Lexbase : A551437D).
[2] V. not. Cass. crim., 14 décembre 1999, n° 99-80.104 (N° Lexbase : A4939AGZ).
[3] Le dirigeant de fait peut ainsi être représentant : Cass. crim., 17 décembre 2003, n° 00-87.872, F-D (N° Lexbase : A1546YPX). Un agent commercial non salarié de la personne morale également : Cass. crim., 23 février 2010, n° 09-81.819, F-D (N° Lexbase : A8303ETP).
[4] On a déjà relevé avec curiosité l'emploi de ce terme issu du lexique managérial : J.-M. Brigant, Responsabilité pénale de la société holding pour corruption : à la recherche de l'organe et du représentant, JCP G, 2021, 768.
[5] On s'est d'ailleurs interrogé sur le fait de savoir s'il s'agissait ici, comme pour les salariés des sociétés filles qui étaient des représentants de fait, d'un organe de « fait » : J.-M. Brigant, Responsabilité pénale de la société holding pour corruption : à la recherche de l'organe et du représentant, JCP G, 2021, 768.
[6] V. pour un cas similaire d'engagement de la responsabilité d'une personne morale sur la base des infractions « commises » par un organe collectif : Cass. crim., 14 mars 2018, n° 16-82.117, FS-P+B (N° Lexbase : A2155XHB) : E. Dreyer, note, JCP E 2018, 1363 ; J.-H. Robert, note, Dr. pén., 2018, comm. 110.
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Réf. : Décret n° 2021-1143 du 2 septembre 2021 (N° Lexbase : L8057L7K) ; Décret n° 2021-1144 du 2 septembre 2021 (N° Lexbase : L8055L7H) ; Décret n° 2021-1145 du 2 septembre 2021 (N° Lexbase : L8056L7I)
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac
Le 08 Septembre 2021
► Le dispositif d'expérimentation d'encadrement du niveau des loyers est mis en place sur le territoire des communes de Lyon, Villeurbanne, Montpellier et Bordeaux.
Contexte. L'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8), dite loi « ELAN », prévoit un dispositif expérimental d'encadrement du niveau des loyers, pour une durée de cinq ans à compter de la publication de la loi, soit jusqu'au 23 novembre 2023.
Dans les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements telles que définies à l'article 17 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 (N° Lexbase : L8461AGH), les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d'habitat, la ville de Paris, les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, les métropoles de Lyon et d'Aix-Marseille-Provence peuvent proposer que tout ou partie de leur territoire soit soumis au dispositif expérimental par une demande transmise avant le 24 novembre 2020.
Conditions nécessaires à la mise en place du dispositif. Le décret détermine le périmètre du territoire sur lequel ce dispositif est mis en place lorsque quatre conditions sont réunies :
Les quatre conditions précitées étant réunies, les décrets fixent le périmètre où est mise en place l'expérimentation, qui correspond au territoire des communes de Lyon, Villeurbanne, Montpellier et Bordeaux.
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Réf. : Loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, art. 32 (N° Lexbase : L6065L7R)
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N8641BYP
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par Vincent Téchené
Le 09 Septembre 2021
► L’article 32 de la loi « climat et résilience », publiée au Journal officiel du 24 août 2021, apporte des modifications aux droits de propriété intellectuelle sur les pièces détachées automobiles assurant ainsi une ouverture partielle à la concurrence de leur vente.
Les pièces détachées visibles automobiles (ailes, capots, pare-chocs, pare-brise, feux, rétroviseurs, etc.) sont protégées, en France, au titre du droit des dessins et modèles et du droit d’auteur. Conformément à ces dispositions, seul le constructeur automobile peut distribuer ces pièces aux différents réparateurs.
Deux tentatives précédentes d’ouverture à la concurrence n’avaient pas passé le filtre du Conseil constitutionnel. En effet, alors considérée comme un cavalier législatif, cette disposition avait été censurée deux fois par le Conseil constitutionnel : la première fois dans la loi d’orientation pour les mobilités, dite « LOM » (loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 N° Lexbase : L1861LUH ; Cons. const., décision n° 2019-794 DC, du 20 décembre 2019 N° Lexbase : A6327Z8T et la seconde fois dans la loi de simplification, dite loi « ASAP » (loi n° 2020-1525, du 7 décembre 2020 N° Lexbase : L9872LYB ; Cons. constit., décision n° 2020-807 DC, du 3 décembre 2020 N° Lexbase : A721138L).
Elle a alors été réintroduite, cette fois-ci avec succès, dans la loi « climat et résilience »
Ainsi, en matière de droit d’auteur, l’article 32, II, 1° de la loi ajoute une exception à celles existantes au monopole conféré par le droit d’auteur, au moyen d’un nouvel alinéa (12°) à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L0307LMC) : dès lors qu’une pièce de réparation a été divulguée, son auteur ne peut plus interdire « La reproduction, l’utilisation et la commercialisation des pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du Code de la route (N° Lexbase : L8981AML)».
Concernant les dessins et modèles, la loi complète l’article L. 513-6 du CPI (N° Lexbase : L5292AWW), relatif aux actes contre lesquels le titulaire ne peut invoquer les droits qu’il détient sur son dessin ou modèle. Sont ainsi ajoutés les : « actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque au sens de l’article L. 110-1 du Code de la route et qui :
a) Portent sur des pièces relatives au vitrage ;
b) Ou sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine ».
Enfin, l’article L. 513-1 du CPI (N° Lexbase : L3323ADG), relatif à la durée de protection d’un dessin et modèle est modifié : « La durée maximale de vingt-cinq ans […] est ramenée à dix ans pour les pièces mentionnées au 4° de l’article L. 513-6 pour lesquelles cette disposition ne prévoit pas d’exception à l’exercice des droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle ».
Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2023.
Comme le relève l’Autorité de la concurrence dans un communiqué de presse du 25 août 2021, l'ensemble des équipementiers, qu'ils soient de première monte (c’est-à-dire ayant fabriqué le vitrage pour les véhicules neufs) ou indépendants, auront ainsi la possibilité de commercialiser les pièces de vitrage. Pour toutes les autres pièces détachées visibles (par exemple, les rétroviseurs, les pièces d’optique et de carrosserie), les équipementiers ayant fabriqué la pièce d’origine auront également la possibilité de commercialiser, à côté des constructeurs.
Enfin, tous les équipementiers pourront produire et commercialiser ces pièces à l’issue d’une période de 10 ans à compter de l’enregistrement du dessin ou du modèle de la pièce contre 25 ans aujourd’hui.
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Réf. : Loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R)
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N8690BYI
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par Vincent Téchené
Le 08 Septembre 2021
► La loi « climat et résilience », publiée au Journal officiel du 24 août 2021, contient de nombreuses dispositions intéressant le droit de la consommation, le titre II de la loi (art. 2 à 29) étant d’ailleurs intitulé « Consommer ». Ces dispositions ont pour objet principal de renforcer l’information des consommateurs.
L’article 2 de la loi crée une nouvelle sous-section dans le Code de l’environnement intitulée « Affichage de l'impact environnemental des biens et services » composé des articles L. 541-9-11 (N° Lexbase : L6922L7I) à L. 541-9-15. Ces dispositions rendent obligatoire un affichage destiné à apporter au consommateur une information relative aux impacts environnementaux ou aux impacts environnementaux et au respect de critères sociaux d'un bien, d'un service ou d'une catégorie de biens ou de services mis sur le marché national (C. environnement, art. L. 541-9-11, al. 1er).
Cet affichage doit s'effectuer par voie de marquage ou d'étiquetage ou par tout autre procédé adapté : il doit être visible ou accessible pour le consommateur, en particulier au moment de l'acte d'achat (C. environnement, art. L. 541-9-11, al. 2).
Un décret fixera la liste des catégories de biens et de services pour lesquelles, au terme et après évaluation des expérimentations, l'affichage environnemental est rendu obligatoire (C. environnement, art. L. 541-9-12 N° Lexbase : L6923L7K). Ces expérimentations seront menées pour une durée maximale de cinq ans pour chaque catégorie de biens et de services C. environnement, art. L. 541-9-15 N° Lexbase : L6926L7N).
Tout manquement aux obligations d'affichage est alors passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale (C. environnement, art. L. 541-9-14 N° Lexbase : L6925L7M).
Un chapitre, composé des articles 7 à 22, est dédié à l’encadrement et à la régulation de la publicité.
Sont notamment interdites les publicités suivantes :
Ces interdictions sont assorties de sanctions : il est prévu, dans chaque cas, une amende de 20 000 euros pour une personne physique et de 100 000 euros pour une personne morale, ces montants pouvant être portés jusqu'à la totalité du montant des dépenses consacrées à l'opération illégale.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est chargé de promouvoir des codes de bonne conduite environnementaux des publicités (art. 14). En outre l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et le CSA publient tous les deux ans un rapport mesurant l'impact environnemental des différents modes de diffusion des services de médias audiovisuels (art. 15).
Les règlements locaux de publicité peuvent, en outre, interdire les publicités et enseignes lumineuses (art. 18) et les banderoles tractées par avion sont également interdites (art. 20).
À titre expérimental et pour une durée de trois ans, la distribution à domicile d'imprimés en plastique, en papier ou cartonnés à visée commerciale non adressés, lorsque l'autorisation de les recevoir ne fait pas l'objet d'une mention expresse et visible sur la boîte aux lettres ou le réceptacle du courrier, est interdite (art. 21).
Au plus tard le 1er juillet 2020, la plupart des échantillons publicitaires sont interdits (art. 22).
L’article 23 de la loi prévoit notamment qu’au 1er janvier 2030, les commerces de vente au détail dont la surface est supérieure ou égale à 400 mètres carrés doivent consacrer à la vente de produits présentés sans emballage primaire, y compris la vente en vrac, soit au moins 20 % de leur surface de vente de produits de grande consommation, soit un dispositif d'effet équivalent exprimé en nombre de références ou en proportion du chiffre d'affaires.
Quant à l’article 24 de la loi, il complète l’article L. 541-15-10 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L6933L7W) par un alinéa qui impose, à compter du 1er janvier 2025, aux services de restauration collective proposant des services de vente à emporter de proposer au consommateur d'être servi dans un contenant réutilisable ou composé de matières recyclables.
Par ailleurs, à titre expérimental dans certaines communes et pour une durée de dix-huit mois, il peut être fait obligation aux restaurants, aux débits de boissons et aux plateformes de livraison de proposer au consommateur final la livraison dans un contenant réutilisable et consigné.
L’article 30 de la loi « climat et résilience » complète les obligations de la loi « AGEC »(loi n° 2020-105 du 10 février 2020 N° Lexbase : L8806LUP) qui prévoit déjà l’obligation de mise à disposition de pièces détachées pour certains équipements, notamment les petits équipements informatiques et de télécommunications, les écrans et des moniteurs et le matériel médical, pour une durée supérieure à 5 ans, à compter de la date de mise sur le marché de la dernière unité du modèle concerné (C. consom., art. L. 111-4 N° Lexbase : L1722K7W).
La même obligation est ainsi introduite pour les outils de bricolage et de jardinage motorisés, d'articles de sport et de loisirs, y compris les bicyclettes, de bicyclettes à assistance électrique et d'engins de déplacement personnel motorisés (C. consom., art. L. 111-4-1, nouv. N° Lexbase : L6682L7M).
Par ailleurs, l’article L. 131-3 (N° Lexbase : L6686L7R) est rétabli pour prévoir que tout manquement à l'obligation de disponibilité des pièces détachées est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.
L’article 30 de la loi introduit également une nouvelle obligation : tout professionnel qui commercialise des prestations d'entretien et de réparation d'outils de bricolage et de jardinage motorisés (C. consom., art. L. 224-112 N° Lexbase : L6688L7T) ou d'articles de sport et de loisirs, y compris les bicyclettes, de bicyclettes à assistance électrique et d'engins de déplacement personnel motorisés (C. consom., art. L. 224-113 N° Lexbase : L6689L7U) doivent permettre aux consommateurs d'opter pour l'utilisation, pour certaines catégories de pièces de rechange, de pièces issues de l'économie circulaire à la place des pièces neuves.
Le manquement à cette dernière obligation est censuré par une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale (C. consom., art. L. 242-49 N° Lexbase : L6681L7L et L. 242-50 N° Lexbase : L6673L7B).
L’ensemble de ces dispositions relatives aux pièces détachées entrent en vigueur le 1er janvier 2023.
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Réf. : Min. Travail, protocole national en entreprise, 31 août 2021
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par Charlotte Moronval
Le 08 Septembre 2021
► Dans une nouvelle version du protocole sanitaire en entreprise en date du 31 août 2021, applicable à compter du 1er septembre, le ministère du Travail supprime l'exigence d'un nombre minimum de jours de télétravail et redonne la main aux entreprises pour définir les règles en matière de télétravail.
Rappel. Il était jusqu’à présent prévu par le protocole national sanitaire que les employeurs devaient définir, dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent.
Absence de jauge hebdomadaire minimale. Désormais, le protocole sanitaire ne prévoit plus l’obligation pour les employeurs de fixer un nombre minimal de jours de télétravail par semaine. Le télétravail reste toutefois possible, mais il revient aux employeurs de fixer dans le cadre du dialogue social de proximité, les modalités de recours à ce mode d'organisation du travail en veillant au maintien des liens au sein du collectif de travail et à la prévention des risques liés à l'isolement des salariés en télétravail. Les employeurs peuvent librement adapter les règles encadrant le télétravail et demander aux salariés de revenir à 100 % en présentiel.
À noter. Le questions-réponses du ministère du Travail sur le télétravail en période de covid-19 a été mis à jour le 6 septembre 2021, pour tenir compte de cette nouveauté.
En savoir plus. Sur les obligations liées au passe sanitaire et à la vaccination présentes dans le protocole sanitaire, lire M.-L. Boulanger et Elodie Dubuy, Droits et obligations de l’employeur en matière de passe sanitaire et d’obligation vaccinale, Lexbase Social, septembre 2021, n° 875 (N° Lexbase : N8586BYN). |
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newsid:478684
Réf. : TA Strasbourg, 27 août 2021, n° 2105891 (N° Lexbase : A011743Q) ; TA Cergy-Pontoise, 30 août 2021, n° 2110762 (N° Lexbase : A011643P) ; TA Versailles, 24 août 2021, n° 2107184 (N° Lexbase : A83154ZY) ; TA Montpellier, 28 août 2021, n° 2104451 (N° Lexbase : A237743G) ; TA Lyon, 28 août 2021, n° 2106797 (N° Lexbase : A011843R)
Lecture: 3 min
N8660BYE
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par Yann Le Foll
Le 08 Septembre 2021
► Le passe sanitaire dans les centres commerciaux fait l’objet d’un traitement différencié sur le territoire par le juge administratif, selon qu’est mise en avant la lutte contre l’épidémie de covid-19 ou l’accès aux biens de première nécessité.
Suspension de l’application du passe sanitaire pour l’accès aux centres commerciaux : il résulte notamment de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-824 DC du 5 août 2021 (N° Lexbase : A62354ZX), que les restrictions d'accès aux grands magasins et centres commerciaux pouvant être mises en place par arrêté préfectoral en cas d'aggravation importante des risques sanitaires liés à l'épidémie de covid-19 doivent garantir l'accès des personnes ne disposant pas de passe sanitaire aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport situés dans l'enceinte de ces magasins et centres.
Le juge constate que les mesures de restriction imposées par le préfet s'appliquent de façon générale et absolue à l'ensemble des commerces situés dans les grands magasins et centres commerciaux listés et ne prévoient aucun aménagement permettant de réserver l'accès des personnes ne disposant pas de passe sanitaire aux établissements commercialisant des biens de première nécessité dans l'enceinte de ces magasins et centres, en particulier aux commerces alimentaires, en méconnaissance des dispositions législatives applicables.
Les juges strasbourgeois relèvent que le préfet du Haut-Rhin ne saurait se prévaloir de l'existence, dans les bassins de vie concernés, d'une offre alternative en produits de première nécessité de nature à garantir l'accès des personnes à ces biens et services de première nécessité, dès lors que le législateur n'a pas prévu l'existence d'une telle mesure de compensation (TA Strasbourg, 27 août 2021, n° 2105891). Un autre tribunal relève d’ailleurs la différence de traitement ainsi instituée au seul motif qu'il existe ou non des commerces de proximité pour permettre l'accès des personnes non titulaires d'un « passe sanitaire » aux biens et services de première nécessité n'est pas justifiée au regard du principe d'égalité, compte tenu de l'objectif poursuivi de contrôle de l'épidémie (TA Cergy-Pontoise, 30 août 2021, n° 2110762).
Ils en déduisent que le requérant est donc fondé à soutenir que l'arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'aller et venir. Les juges versaillais adoptent la même position (TA Versailles, 24 août 2021, n° 2107184).
Validation de l’application du passe sanitaire pour l’accès aux centres commerciaux : pour les juges montpelliérains, en revanche, l'intérêt général qui s'attache à combattre la propagation de l'épidémie de covid-19 justifie le rejet de la requête demandant la suspension de l'arrêté préfectoral subordonnant l'accès à un centre commercial de Perpignan à la présentation du passe sanitaire (TA Montpellier, 28 août 2021, n° 2104451). Les juges lyonnais adoptent la même solution, mettant également en avant l’existence de nombreux commerces susceptibles, à titre alternatif, de permettre l’accès des personnes démunies de passe sanitaire aux biens de première nécessité (TA Lyon, 28 août 2021, n° 2106797).
Levée progressive du passe sanitaire dans certains centres commerciaux à la suite de l’amélioration de la situation sanitaire : dans 18 départements, l’obligation de présentation du passe sanitaire pour accéder à certains centres commerciaux sera levée à compter du mercredi 8 septembre. Les territoires concernés sont ceux connaissant un taux d’incidence inférieur à 200 / 100 000 et en décroissance continue depuis au moins sept jours, indique le Gouvernement dans un communiqué publié sur le site du ministère de l’Économie.
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newsid:478660
Réf. : CEDH, 7 septembre 2021, Req. 27516/14, M.P. c/ Portugal (N° Lexbase : A453243A)
Lecture: 7 min
N8688BYG
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par Aude Lelouvier
Le 08 Septembre 2021
► Bien que le droit au respect de la vie privée implique le droit au secret des correspondances, celui-ci ne saurait contrevenir au droit de bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter sa cause en justice ; c’est la raison pour laquelle, dès lors que des messages électroniques issus de l’ordinateur familial du couple sont produits en justice, cette production ne saurait constituer une violation du droit au respect de la vie privée puisqu’elle n’intervient qu’au cours de procédures civiles dont l’accès public est strictement restreint.
En l’espèce, l’affaire soumise à la Cour européenne des droits de l'Homme concernait un contentieux familial dégénérant en contentieux pénal. En effet, la requérante introduisait une requête devant la Cour dans la mesure où son ex-mari n’avait pas été condamné pénalement par les juridictions portugaises alors même que ce dernier avait produit, sans son consentement et à l’occasion d’une procédure de partage de l’autorité parentale et d’une procédure de divorce devant les juridictions civiles portugaises, des messages électroniques issus de l’ordinateur familial et relatant des échanges via des sites de rencontres.
Ainsi, la requérante considérait que l’absence de poursuites pénales par les juridictions portugaises à l’encontre de son ex-mari, alors même que celui-ci avait produit des messages électroniques issus de l’ordinateur familial sans son consentement, constituait une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), c’est-à-dire du droit au respect de la vie privée et conséquemment du droit au secret des correspondances.
La CEDH devait donc déterminer si la production par l’époux de messages électroniques émanant de l’ordinateur familial dans des procédures familiales portait atteinte au respect de la vie privée de son épouse ainsi qu’au secret des correspondances.
Si la Cour rappelle avant tout que l’article 8 de la CESDH entraîne l’obligation pour les États d’assurer le « respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux », et précisait surtout qu’il faut « garder à l’esprit que seules des défaillances suffisamment sérieuses dans la législation et la pratique, ainsi que dans leur application, [emportent] violation des obligations positives de l’État en vertu de l’article 8 » et que « la Cour ne saurait se substituer aux autorités internes dans l’appréciation des faits de la cause, elle ne saurait non plus statuer sur la responsabilité pénale de l’agresseur allégué ».
Ainsi, après avoir recentré le débat, la CEDH précise que son rôle ne consiste qu’à contrôler la mise en balance des intérêts en jeu, notamment lorsqu’un conflit surgit entre deux droits protégés par la CESDH comme cela est le cas en l’espèce. En effet, la CEDH devait donc vérifier que les intérêts de l’épouse et de l’époux étaient préservés en appréciant l’équilibre effectué par les juridictions internes entre le droit au respect de la vie privée de l’épouse et le droit de l’ex-époux de bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter sa cause.
En premier lieu, la Cour note que l’équilibre de chacun des époux avait été préservé dans la mesure où le cadre juridique existant au Portugal offrait à la requérante « une protection adéquate du droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance » puisque « le fait d’accéder au contenu de lettre ou de télécommunications sans le consentement des correspondants et le fait de divulguer le contenu ainsi obtenu sont sanctionnés pénalement » et que celle-ci a pu s’en prévaloir devant les juridictions pénales portugaises.
En second lieu, la CEDH souscrit à l’approche de la cour d’appel de Lisbonne concernant le versement des messages électroniques. Ainsi, elle estime « que dans une telle situation, l’ingérence dans la vie privée qui découle de la production de pareils éléments [les messages électroniques] doit se limiter, autant que faire se peut, au strict nécessaire ». La Cour ajoute alors que les effets sur la vie privée de la requérante ont été limités puisque « ces messages n’ont été divulgués que dans le cadre des procédures civiles » dont « l’accès du public aux dossiers […] est restreint ». En sus, « les messages n’ont pas été examinés concrètement, le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne n’ayant finalement pas statué sur le fond des demandes formulées par le mari ».
Par conséquent, la CEDH conclut que « les autorités nationales ont mis en balance les intérêts en jeu en respectant les critères qu’elle a établis dans sa jurisprudence ».
Cet arrêt constitue une illustration du traditionnel contrôle opéré par la Cour européenne des droits de l'Homme sur le respect de l’équilibre des intérêts en présence, mais invite à considérer que la production de messages électroniques au cours d’une procédure familiale ne saurait être sanctionnée dans la mesure où ce type de procédure n’est pas publique. Toutefois, la CEDH n’oublie pas d’en rappeler la limite puisque cette production doit se cantonner au strict nécessaire.
En tout état de cause, la Cour évince la problématique liée au caractère frauduleux de la production. Néanmoins, celle-ci note que « la cour d’appel de Lisbonne a considéré que [la requérante] avait donné à son mari un accès total à la messagerie qu’elle entretenait sur le site de rencontre et que, à partir de ce moment, ces messages faisaient partie de la vie privée du couple » et « estim[ait] que le raisonnement tenu par les autorités internes quant à l’accès mutuel à la correspondance des conjoints est sujet à caution, d’autant que tout porte à croire en l’espèce que le consentement finalement donné par la requérante à son mari est apparu dans un contexte conflictuel ». Par ailleurs, elle juge que « la conclusion à laquelle les juridictions internes ont abouti quant à l’accès même auxdits messages n’apparaît pas arbitraire au point de justifier que la CEDH substitue sa propre appréciation à la leur ».
Bien que cette problématique soit écartée par la Cour, il convient de noter que cette dernière critiquait la présomption selon laquelle, les époux se seraient donnés consentement à un accès total de leur messagerie dès lors qu’ils ont pu durant leur vie de couple s’accorder une certaine liberté d’accès aux contenus de leur messagerie électronique. Ainsi, le concept retenu par la cour d’appel de Lisbonne sur l’existence d’un « patrimoine moral commun du couple » impliquant « une autorisation tacite d’utiliser » les contenus de messageries électroniques, n’a pas obtenu d’écho auprès de la CEDH.
En outre, si la Cour n’a pas apporté de précision quant à la détermination du caractère frauduleux de messages électroniques issus d’un ordinateur familial, il peut être pertinent d’opérer un parallèle avec la jurisprudence des cours d’appel françaises. En effet, il a notamment été retenu par la cour d’appel de Lyon en 2011 (CA Lyon, 7 février 2011, n° 09/06238 N° Lexbase : A9713GWN) que « si l'ordinateur consulté est l'ordinateur familial sans code d'accès verrouillé, le juge considère que les preuves recueillies par un époux sont recevables, à moins que l'autre ne démontre qu'un moyen frauduleux a été utilisé pour accéder à son compte ». Finalement, la jurisprudence française se rapprocherait donc de la jurisprudence portugaise. Toutefois, si une présomption de libre accès est érigée quant à l’utilisation de l’ordinateur portable, il ne s’agit que d’une présomption simple laquelle peut être renversée chaque fois qu’un moyen frauduleux a été utilisé pour accéder au compte de l’époux.
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Réf. : Actualité BOFiP, 11 août 2021
Lecture: 4 min
N8610BYK
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par Marie-Claire Sgarra
Le 08 Septembre 2021
► L’administration fiscale a intégré dans ses commentaires l’aménagement du régime d’imputation sur une base élargie des déficits sur agrément dans le cadre du régime de groupe.
🔎 Rappels
Le régime de l’intégration fiscale permet, sous certaines conditions, de calculer l’IS en consolidant les profits et pertes des membres d’un même groupe.
Les règles d’imputation diffèrent selon que les déficits enregistrés par une société membre d’un groupe l’ont été antérieurement ou postérieurement à l’entrée de cette société au sein du groupe.
En cas de cessation du groupe, plusieurs cas peuvent se présenter :
Le dispositif d’imputation permet à l’ancien groupe de poursuivre l’imputation de son déficit d’ensemble à l’intérieur du nouveau groupe.
💡 Pour aller plus loin :
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⚖️ Position de la jurisprudence : le Conseil d'État avait refusé l'imputation sur une base élargie de la fraction du déficit générée par une filiale de l'ancien groupe qui avait été absorbée avant sa cessation par une autre société du groupe qui avait bien rejoint le nouveau groupe (CE 3° et 8° ch.-r., 28 novembre 2018, n° 417173, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2469YNR).
🖊️ Que prévoient les aménagements instaurés par la loi de finances pour 2021 ?
L'article 30 de la loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021 (N° Lexbase : L3002LZ9) a aménagé les conditions dans lesquelles le déficit d'ensemble d'un groupe fiscal mentionné à l'article 223 A (N° Lexbase : L2208LYG) et suivants du Code général des impôts, ses charges financières nettes non déduites et sa capacité de déduction de charges financières inemployée, peuvent être utilisés suite à la cessation de ce groupe, par une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés qui forme un nouveau groupe avec des sociétés du groupe ayant cessé, dans les situations de restructuration visées à l’article 223 L du CGI (N° Lexbase : L9023LNI).
✔ Dans ces situations, la fraction du déficit d'ensemble correspondant aux sociétés qui, antérieurement à la cessation de l'ancien groupe, ont été absorbées par d'autres sociétés de ce groupe ou scindées à leur profit en plaçant l'opération sous le régime prévu à l'article 210 A du CGI (N° Lexbase : L9521ITS), est dorénavant prise en compte pour déterminer la part de ce déficit qui peut s'imputer sur les résultats des sociétés membres de l'ancien groupe devenant membres du nouveau groupe.
✔ Lorsque l'opération consiste en l'absorption de la société mère, sa scission, ou un apport-attribution réalisé par elle, la part du déficit d'ensemble, des charges financières nettes non déduites et de la capacité de déduction inemployée qui peut être transférée sur agrément au profit de la ou des personnes morales bénéficiaires des apports, est dorénavant déterminée en prenant notamment en compte les sommes provenant des sociétés qui, antérieurement à la cessation de l'ancien groupe, ont été absorbées par d'autres sociétés de ce groupe ou scindées à leur profit en plaçant l'opération sous le régime prévu à l'article 210 A du CGI.
✔ Par ailleurs, des précisions sont apportées sur les modalités d'imputation du déficit d'ensemble d'un groupe fiscal prévues au deuxième alinéa de l'article 223 C du CGI (N° Lexbase : L6224LU3), lorsque des sociétés du groupe ont bénéficié, entre le 15 avril 2020 et le 31 décembre 2021, d'abandons de créances de loyers et accessoires afférents à des immeubles donnés en location.
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Lecture: 9 min
N8647BYW
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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine
Le 15 Décembre 2021
Mots-clés : pacte Dutreil • transmission • patrimoine • location meublée
L’activité de location meublée revêt une nature particulière. En effet, le Code général des impôts et le Code de commerce n’envisagent pas cette activité sous le même angle.
Pour le droit fiscal, l’activité de location meublée revêt une nature commerciale. À ce titre, en vertu de l’article 35 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3342LCR), les activités de location en meublé sont imposées dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
En revanche, l’article L.110-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1282IWE) ne vise pas l’activité de location en meublée au rang des activités commerciales.
On en déduit ainsi, a contrario, que l’activité de location en meublé est une activité civile.
Or, les articles 787 B (N° Lexbase : L5936LQW) et 787 C (N° Lexbase : L8958IQT) du Code général des impôts, traitant respectivement des cas de transmissions de parts de sociétés ou d’entreprises individuelles, définissent respectivement l’application du « pacte Dutreil », aux activités « industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou libérales ». Il convient de rappeler que « le pacte Dutreil » permet de bénéficier d’un abattement de 75% sur les droits de donation ou de succession.
Effectivement, les articles 787 B et 787 C du Code général des impôts visent les activités commerciales.
Cependant, ces articles ne procèdent pas à un renvoi à l’article 35 du Code général des impôts ou L.110-1 du Code de commerce.
Pour reprendre l’expression de Monsieur Frédéric Douet (Droit fiscal, n° 19-20, 7 mai 2015, n° 301), comment gérer « ce hiatus » entre le droit fiscal et le code de commerce.
Quelles sont les positions de l’administration fiscale (I) et de la jurisprudence (II) sur cette question ?
I. Une doctrine administrative réfractaire à l’application du pacte Dutreil
A. Une ancienne doctrine favorable mais discutée par certains auteurs
Les commentaires administratifs en vigueur jusqu’au 6 avril 2021, au BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 10 précisait : « Les biens susceptibles de bénéficier de l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit prévue à l'article 787 B du CGI sont les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Pour l’appréciation de la nature de ces activités, il convient de se reporter aux indications données dans la documentation y afférente dans le cadre de l'exonération des biens professionnels à l'impôt sur la fortune (BOI-PAT-ISF-30-30-10-10) ».
Ainsi, le périmètre d’éligibilité du pacte Dutreil était défini par renvoi à l’impôt sur la fortune immobilière.
Il s’agissait de la doctrine administrative relative à la notion de biens professionnels
Le paragraphe n° 180 du BOI-PAT-ISF-30-30-10-10 comprenait un ensemble d’indications visant le cas des locations en meublé exercées à titre professionnel.
Ainsi, étaient considérées comme professionnelles les activités de location en meublée qui remplissaient les conditions cumulatives suivantes :
On pouvait donc considérer, au moins par une majeure partie des auteurs et des praticiens, que l’activité de location meublée à titre professionnel était éligible au pacte Dutreil.
Cette lecture de la doctrine administrative a notamment été mise en avant par un certain nombre d’auteurs et de praticiens, avec des avis plus ou moins divergents (M. F. Douet - Droit fiscal, n° 19-20, 7 mai 2015, n° 301 ; J. Duhem, P. Danis, C. Goarant, P. Julien Saint-Amand, L. Benoudiz – Acte pratique et stratégie patrimoniale, n° 2, avril 2016, dossier 8).
B. Un repositionnement difficilement compréhensible
La nouvelle mouture de la doctrine administrative, qui a fait l’objet d’une consultation publique jusqu’au 6 juin 2021 est nettement plus restrictive quant au champ d’application du pacte Dutreil.
En effet, le paragraphe n° 15 du BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 (N° Lexbase : X6754ALQ) précise dorénavant :
« Sont ainsi exclues toutes les activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier, y compris celles mentionnées à l'article 34 du CGI ou à l'article 35 du CGI (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30, § 90, II). Tel est le cas notamment :
On constate ainsi que la nouvelle rédaction de la base BOFiP exclut les activités de location en meublé du champ d’application des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts.
Ce nouveau positionnement de la doctrine administrative, s’il devait perdurer, met ainsi à mal l’application du pacte Dutreil sur ce type d’activité.
On comprend mal ce retournement de position, dans la mesure où comme l’indique Monsieur François Fruleux (Acte pratique et stratégie patrimoniale, avril 2021, n° 2), l’administration fiscale avait déjà eu l’occasion d’accepter l’application du pacte Dutreil à ce type d’activité. En effet, l’avis rendu par Commission des Abus de droit fiscal du 6 novembre 2015 permettait de nourrir de nombreux espoirs (CADF, avis n° 2015-07 à 2015-09, 6 novembre 2015, p. 6 ; La revue fiscale du patrimoine, juin 2016, n° 6).
Ce nouveau positionnement crée ainsi une disparité entre le traitement au niveau de l’IFI et le pacte Dutreil. Cela contribue à rajouter des difficultés à un dispositif qui se complexifie au fil des années.
Ce positionnement de l’administration fiscale n’en demeure pas moins étonnant, surtout au vu de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble.
II. Une jurisprudence rare et hostile en apparence
A. La cour d’appel de Grenoble refuse l’application du pacte Dutreil
La cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 11 mai 2021 n° 19/01583 N° Lexbase : A46784RP) a rendu un arrêt concernant le pacte Dutreil et l’activité de location meublée le 11 mai 2021.
Dans cette affaire, Madame A avait plusieurs biens :
Madame A a exercé jusqu’en 2010 l’activité de loueur en meublé professionnel. En 2011, l’exploitation de cette activité a été confiée à la SARL Manaau.
Lors du décès de Madame A, ses enfants ont hérité de ses biens, dont le chalet donné en location.
Il a été fait application de l’article 787 C du Code général des impôts sur celui-ci.
L’administration fiscale a remis en cause l’application de l’article 787 C du Code général des impôts.
La cour d’appel de Grenoble indique :
« En conséquence, pour bénéficier du régime d’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit de ces dispositions, il faut que l’entreprise individuelle soit détenue par le défunt, exploitée par ce dernier et que les biens affectés en cause soient affectés à cette entreprise.
Il est constant qu’à compter de 2011, Madame A a confié en 2011 la gestion de son activité de loueur professionnel de meublés à la SARL MANAAU.
Le tribunal qui a omis de vérifier la première condition d’exercice d’une activité individuelle, a mal appliqué les dispositions de l’article 787 C du Code général des impôts à la situation de fait.
Ainsi, faute pour Madame A d’avoir, à la date de son décès, exercé une entreprise individuelle à laquelle étaient affectés les biens transmis par succession, Mesdames X et B-A ne peuvent bénéficier de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit de l’article 787 C du Code général des impôts ».
La cour d’appel refuse ainsi de l’article 787 C du Code général des impôts.
Faut-il pour autant en conclure que la jurisprudence considère purement et simplement que le pacte Dutreil ne s’applique pas à l’activité de location meublée.
B. Un rejet aux apparences trompeuses ?
Incontestablement, l’arrêt rendu par la cour d’appel Grenoble rejette l’application du pacte Dutreil dans ce contexte.
Cependant, il est intéressant de constater que la cour d’appel motive l’arrêt eu égard aux conditions d’application de l’article 787 C du Code général des impôts et non de son champ d’application.
En effet, le raisonnement de la cour d’appel est bâti sur l’absence d’exercice d’une activité individuelle, à savoir la condition visée au a de l’article 787 C du Code général des impôts.
La cour d’appel accepte donc de vérifier les conditions d’application de ce dispositif. En l’acceptant, elle considère implicitement, mais nécessairement que l’activité de location meublée est dans le champ d’application de l’article 787 C du Code général des impôts.
À défaut, elle aurait pu adopter le même positionnement que la nouvelle doctrine administrative, considérant que l’activité de location meublée est hors champ, ce qui lui aurait évité de s’interroger sur les conditions d’application de l’article 787 C du Code général des impôts.
On peut se demander si le traitement aurait été le même en cas d’apport de l’entreprise individuelle à la SARL par Madame A, suivi du transfert des parts.
On peut effectivement se demander si une telle situation n’aurait pas été plus favorable.
Ainsi, même si la nouvelle rédaction de la base BOFiP apporte une précision, il n’est pas certain que le débat soit définitivement tranché.
En espérant que la version définitive de la base BOFiP revienne sur ce positionnement.
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Réf. : Décret n° 2021-1111 du 23 août 2021, modifiant les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité (N° Lexbase : L6131L79) ; CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, Simonsen & Weel A/S (N° Lexbase : A76564WH)
Lecture: 24 min
N8693BYM
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par Thomas Gaspar, Avocat associé, Selas Charrel & Associés, Chargé d’enseignement à la faculté de droit de l’Université de Montpellier
Le 09 Septembre 2021
Mots clés : accords-cadres • montant estimé • montant maximum
La CJUE a confirmé l’obligation pour les acheteurs d’avoir à indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur estimée des fournitures, services ou travaux à fournir en vertu d’un accord-cadre et affirmé l’obligation pour ces mêmes acheteurs d’en indiquer également la quantité et/ou la valeur maximale, obligeant le pouvoir réglementaire français à en tirer les conséquences.
Dans un arrêt du 17 juin 2021 [1], la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue encadrer, à plusieurs égards, le régime juridique des accords-cadres, en dépit pourtant de certaines dispositions de la Directive européenne 2014/24/UE du 26 février 2014 [2] qui avaient elles-mêmes été la source d’une refonte du régime des accords-cadres au sein de l’ordonnance du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS) et son décret d’application n° 2016-360 du 25 mars 2016, relatifs aux marchés publics (N° Lexbase : L3006K7H) [3].
Sous l’égide du principe d’égalité de traitement et de transparence des procédures, principes fondamentaux de la commande publique, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel des tribunaux danois, a confirmé d’une part, l’obligation pour les acheteurs d’avoir à indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur estimée des fournitures, services ou travaux à fournir en vertu d’un accord-cadre, laquelle émergeait déjà en jurisprudence nationale [4], et a affirmé d’autre part, l’obligation pour ces mêmes acheteurs d’en indiquer également la quantité et/ou la valeur maximale (I).
Ce faisant, et dès lors qu’une telle position remet en partie en cause le régime juridique de l’accord-cadre prévu par le Code de la commande publique, un décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 (N° Lexbase : L6131L79) est venu en tirer les conséquences en modifiant notamment les articles R. 2121-8 (N° Lexbase : L6369L7Z) et R. 2162-4 (N° Lexbase : L6370L73) du Code de la commande publique (II).
I. Les apports de l’arrêt « Simonsen & Weel A/S » sur les accords-cadres
Avant de revenir sur les apports et conséquences de l’arrêt « Simonsen & Weel A/S » (A), il est nécessaire de refaire un tour d’horizon pour comprendre très précisément ce qu’est l’accord-cadre et comment il s’utilise depuis l’ordonnance et le décret « marchés publics » entrés en vigueur le 1er avril 2016 (B).
A. L’accord-cadre et ses conditions d’utilisation depuis le 1er avril 2016
Historiquement, et presque dans un temps déjà loin, l’accord-cadre au sens littéral du terme était défini par l’article 1er du Code des marchés publics comme « le contrat conclu entre un des pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, ayant pour objet d'établir les termes régissant les marchés à passer au cours d'une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées ».
Son régime juridique et ses conditions d’utilisation étaient quant à eux définis au sein de l’article 76 rappelant la faculté de prévoir un minimum et/ou maximum en valeur et en quantité, précisant les modalités de conclusions des marchés passés sur son fondement en fonction du nombre d’opérateurs économiques titulaires, et encadrant sa durée à quatre ans maximum « sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur objet, ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure à quatre ans ».
L’exécution des marchés subséquents pouvant quant à elle se prolonger au-delà de cette durée sous réserve de ne pas méconnaître « l'obligation d'une remise en concurrence périodique des opérateurs économiques ».
Coexistaient à ses côtés les marchés à bons de commande définis par l’article 77 du Code des marchés publics comme les « marchés conclus avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécutés au fur et à mesure de l'émission de bons de commande », que le Conseil d’État avait d’ailleurs rapidement requalifiés en affirmant qu’ils devaient « être regardés comme des accords-cadres au sens de la Directive » et plus largement du droit européen [5].
La Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, que nous avons transposée avec l’ordonnance et le décret « marchés publics » entrés en vigueur le 1er avril 2016, a en conséquence remis à plat le régime des accords-cadres [6], pour « en clarifier certains aspects », en affichant la volonté « d’octroyer davantage de souplesse aux pouvoirs adjudicateurs passant un marché en vertu d’un accord-cadre qui est conclu avec plusieurs opérateurs économiques et définit toutes les conditions » [7].
Le marché à bon de commande a donc disparu, pour ne laisser place qu’à l’accord-cadre, lui-même pouvant être exécuté soit par l’émission de bons de commande, soit par la conclusion de marchés subséquents, soit par un « mixte » des deux « à condition que l'acheteur identifie les prestations qui relèvent des différentes parties de l'accord-cadre » [8].
Le Code de la commande publique définit ainsi aujourd’hui trois types d’accords-cadres :
- l’accord-cadre qui « ne fixe pas toutes les stipulations contractuelles » ab initio et qui donnera lieu à la conclusion de marchés subséquents. Le but des marchés subséquents étant justement de venir définir les conditions d’exécution technique, administrative et financière de la prestation à exécuter ;
- l’accord-cadre qui « fixe toutes les stipulations contractuelles » ab initio, en l’occurrence les conditions techniques, administratives et financières propres à l’exécution des prestations objet de l’accord-cadre, et qui donnera lieu à l’émission de « simple » bons de commande ;
- l’accord-cadre mixte, dont une partie « ne fixe pas toutes les stipulations contractuelles » et devra être exécuté par la conclusion de marchés subséquents, et dont une autre partie bien définie « fixe toutes les stipulations contractuelles » et pourra être exécutée par l’émission de bon de commande.
Au-delà de leur mode d’exécution, les accords-cadres présentent des caractéristiques communes au nombre desquelles figurent, outre la possibilité d’être conclus avec un ou plusieurs opérateurs économiques, celle de pouvoir être conclu « 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; 3° Soit sans minimum ni maximum » [9].
Cette grande flexibilité laissée aux acheteurs de pouvoir borner, ou pas, en « plancher » ou en « plafond », la valeur ou les quantités de l’accord-cadre, correspondait à l’essence même de cette technique d’achat qui est un outil de planification (possibilité d’ajuster en cours de contrat la quantité et la fréquence des commandes en fonction des besoins), de simplification et d’accélération des commandes, et d’adaptation aux conditions du marché (possibilité de prendre en compte des conditions d’achat favorables pour les prix susceptibles de faire l’objet de variations importantes en cours d’exécution du contrat).
Concernant la fixation d’un minimum et/ou d’un maximum, le minimum présente l’avantage de pouvoir bénéficier d’économies d’échelle mais aussi l’inconvénient d’être engageant vis-à-vis du ou des titulaire(s) [10], là où le recours au maximum était principalement utilisé pour pouvoir recourir à la procédure adaptée voire, le cas échéant, à la procédure sans publicité ni mise en concurrence[11].
Si l’absence de fixation d’un maximum imposait à l’acheteur d’avoir recours à la procédure formalisée, il lui permettait de pouvoir commander, pendant la durée de l’accord-cadre, de manière quasi-illimitée les prestations objet de l’accord-cadre, et conséquemment de pouvoir faire face à des besoins exceptionnels et imprévisibles, sans craindre l’échéance du contrat en cas d’atteinte du maximum.
Une pratique, offrant de la souplesse aux acheteurs tout en étant encadrée par le régime des modifications de contrat, mais que la CJUE refuse de valider au visa des principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
B. La fin des commandes illimitées et l’information des candidats sur la valeur et/ou la quantité estimée des commandes prônées par la Cour de Justice de l’Union Européenne
Sans parler non plus de révolution dans les pratiques, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue mettre un coup de frein aux conditions d’utilisation des accords-cadres, en ce qui concerne notamment les quantités estimées et maximales.
La Cour de Justice était saisie sur renvoi préjudiciel des tribunaux danois, qui l’interrogeaient notamment sur le fait de savoir si « les principes d’égalité de traitement et de transparence (…) doivent-ils être interprétés en ce sens que l’avis de marché doit (…) contenir des informations sur la quantité estimée et/ou la valeur estimée des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre objet du marché [et] une quantité maximale et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre objet du marché, de sorte que l’accord-cadre en question aura épuisé ses effets lorsque cette limite sera atteinte ».
Elle fait tout d’abord un rappel exhaustif de l’état du droit européen, notamment des dispositions de la Directive 2014/24/UE relatives aux accords-cadres [12] et aux méthodes d’évaluation du besoin [13], et de celles du Règlement d’exécution (UE) 2015/1986 [14] et de la Directive 89/665/CEE [15].
Concernant la première interrogation relative à l’obligation d’indiquer un montant maximal en valeur ou en quantité, la Cour affirme sur cette base, consciente des règles européennes relatives aux accords-cadres, que « la seule interprétation littérale desdites dispositions n’est pas concluante aux fins de déterminer si un avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre » [16].
Pour en déduire que, si « certaines dispositions de la Directive 2014/24/UE, prises isolément, peuvent laisser entendre que le pouvoir adjudicateur dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre » [17], au visa des « principes d’égalité de traitement et de transparence », il ne « saurait être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre ».
Elle fonde son raisonnement sur l’article 5 la Directive qui précise que « pour les accords-cadres, la valeur à prendre en considération est la valeur maximale estimée hors TVA de l’ensemble des marchés publics envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre », qui l’avait d’ailleurs déjà conduit à juger que le pouvoir adjudicateur doit préciser le volume global dans lequel pourront s’inscrire les marchés subséquents [18], combiné au point 7 de la partie C de l’annexe V de la Directive 2014/24/UE et aux formulaires d’avis du Règlement 2015/1986 qui imposent au pouvoir adjudicateur d’indiquer dans l’avis la quantité ou la valeur des fournitures qui seront couvertes par l’accord-cadre pris dans sa globalité.
Le tout englobé par les principes fondamentaux d’égalités de traitement et de transparence qui impliquent « que toutes les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause » [19], la Cour estimant que l’indication de la quantité et/ou de la valeur estimée ainsi que la quantité et/ou la valeur maximale des produits à fournir « revêt une importance considérable pour un soumissionnaire, dès lors que c’est sur la base de cette estimation que celui-ci sera en mesure d’apprécier sa capacité à exécuter les obligations découlant de cet accord-cadre ».
Concernant la deuxième interrogation, relative cette fois-ci à l’obligation d’indiquer la quantité estimée et/ou la valeur estimée des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre, la Cour confirme cette obligation sur la base du même raisonnement.
Il résulte ainsi de cet arrêt une double obligation pour les acheteurs dans la préparation de leur accord-cadre :
- indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur estimée des produits/prestations à fournir en vertu de l’accord-cadre ;
- indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur maximale des produits/prestations à fournir en vertu de l’accord-cadre.
La première obligation était en réalité déjà connue en droit national puisque, même si le Code de la commande publique ne le précisait pas expressément dans ses dispositions relatives aux accords-cadres, le Conseil d’État avait récemment jugé que « doit figurer dans l'avis de marché, outre la « quantité ou étendue globale », une « estimation de la valeur totale des acquisitions pour l'ensemble de la durée de l'accord-cadre » [20].
Ce qui semble, au regard du principe de transparence, parfaitement logique dès lors qu’il est normal qu’un opérateur économique, souhaitant soumissionner à un accord-cadre qui ne comporte ni minimum ni maximum, puisse connaître les estimations de l’acheteur afin de savoir sur quoi il s’engage et, le cas échéant, avec qui, et sur la base de quelle offre.
Il en va d’ailleurs de l’appréciation des conditions de participation (i.e des capacités) qu’il appartient à l’acheteur d’indiquer et vérifier en application de l’article R. 2142-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L2501LR3), puisqu’il semble difficile de reprocher à un candidat un défaut de capacité technique, professionnelle ou financière, si l’acheteur ne lui a pas lui-même indiqué quel est le volume estimé des prestations sur la durée du contrat.
La deuxième l’était moins, et même n’existait pas, tantôt au visa du Code de la commande publique faisant – depuis toujours – de l’indication d’un maximum une simple faculté, tantôt au regard de la jurisprudence la plus récente du Conseil d’État estimant qu’il « résulte de ces dispositions que l'acheteur public n'est pas tenu de fixer un montant maximum pour l'accord-cadre qu'il entend conclure » [21].
L’absence d’obligation de fixer un maximum était une garantie de souplesse pour l’acheteur, préférant s’astreindre à une procédure formalisée plutôt que de plafonner son accord-cadre et risquer en cas d’évolution du besoin de se retrouver bloquer, et ce d’autant plus que, sur certains types de prestations, le maximum de commande sur 4 ans est parfois difficilement déterminable.
Elle était, à l’inverse, idéologiquement un peu problématique, non pas tant au visa de la transparence (dès lors que le candidat connaît l’estimation en valeur ou en quantité), mais plutôt au regard du principe posé à l’article R. 2162-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L3897LR4) qui prévoit que « les acheteurs ne peuvent recourir aux accords-cadres de manière abusive ou aux fins d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence », risquant au passage d’engendrer une utilisation du régime désormais assez favorable des modifications de contrat [22] pour y intégrer de nouvelles prestations, sans parallèlement n’être lié par aucun plafond, le seuil de 50 % - pour chaque modification – prévus par les articles R. 2194-2 (N° Lexbase : L3558LR9) et R. 2194-5 (N° Lexbase : L4268LRI) devenant au demeurant impossible à apprécier.
La CJUE le souligne d’ailleurs dans son arrêt en indiquant qu’une « interprétation extensive de l’obligation de définir la valeur ou la quantité maximale estimée couverte par l’accord-cadre serait également susceptible, d’une part, de priver d’effet utile la règle (…) selon laquelle les marchés fondés sur l’accord-cadre ne peuvent en aucun cas entraîner des modifications substantielles des termes fixés dans ledit accord-cadre, et, d’autre part, de caractériser une utilisation abusive ou une utilisation visant à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence, telle que visée au considérant 61 de ladite Directive ».
En conclusion, la solution apportée par la Cour, si elle constitue évidemment une limite dans la souplesse qu’offrait aux acheteurs le régime juridique d’utilisation de la technique d’achat qu’est l’accord-cadre, peut se justifier par les risques de dérives engendrés par l’absence d’indication d’un maximum, tantôt quant à l’utilisation abusive des accords-cadres, tantôt quant à la transparence des procédures et aux informations essentielles dont doivent nécessairement bénéficier les opérateurs économiques candidats.
II. Les conséquences engendrées par l’arrêt « Simonsen & Weel A/S » sur le droit national
Le législateur n’a pas tardé à tirer les conséquences de cet arrêt allant à l’encontre de règles existant de longue date dans notre droit de la commande publique, avec la publication du décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 (A). Bien qu’on en comprenne les raisons, son application différée au 1er janvier 2022 laisse planer quelques incertitudes juridiques (B).
A. Les modifications apportées au code de la commande publique par le décret du 23 août 2021
L’origine de ce décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 ne réside pas uniquement dans la survenance de l’arrêt « Simonsens », puisqu’il comporte un certain nombre d’autres modifications qui étaient d’ores et déjà prévues pour les marchés de la défense et de la sécurité.
Quoiqu’il en soit, ce décret comporte un article 2 au sein d’un chapitre intitulé « Dispositions relatives aux accords-cadres » qui modifie respectivement les articles R. 2121-8 [23] et R. 2162-4 [24] du Code de la commande publique.
Tout d’abord, le deuxième alinéa de l’article R. 2121-8 du Code qui prévoyait que « lorsque l'accord-cadre ne fixe pas de maximum, sa valeur estimée est réputée excéder les seuils de procédure formalisée » est supprimé.
Désormais, dès lors que la fixation d’un maximum est imposée, il n’y aura plus de procédure formalisée par défaut…de maximum. C’est le maximum indiqué qui, au-dessus ou en dessous des seuils de procédure formalisée, de publicité obligatoire, voire de procédure sans publicité ni mise en concurrence, déterminera la procédure applicable.
Ensuite, l’article R. 2162-4 est logiquement lui aussi modifié, avec la suppression du 3° qui permettait que l’accord-cadre soit conclu « soit sans minimum ni maximum », et le remplacement du 2° qui indiquait avant « soit avec seulement un minimum ou un maximum » pour préciser désormais « soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité ».
Aucune conséquence particulière n’est directement tirée de l’autre apport de l’arrêt relatif à l’indication de la valeur et/ou des quantités estimées à fournir pendant la durée de l’accord-cadre, certainement parce que ce principe résulte déjà d’autres dispositions du Code et a au demeurant déjà été rappelé par le Conseil d’État [25].
Désormais, l’absence d’indication d’un montant maximum par l’acheteur lors de la passation d’un accord-cadre constituera un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui pourra, accompagné de la violation du principe de transparence, engendrer l’annulation de la procédure si le candidat évincé démontre que cette absence d’indication du montant maximal a été de nature à le léser directement ou indirectement [26].
L’attitude du requérant, qui se serait abstenu d’interroger l’acheteur ou de formuler des objections sur ce point, ou encore la circonstance que tous les candidats ont été placés dans la même situation, sera certainement prise en considération dans l’appréciation de sa lésion [27].
L’on peut penser que « la lésion » sera souvent caractérisée, dès lors que la Cour affirme que « l’indication par le pouvoir adjudicateur de la quantité et/ou de la valeur estimée ainsi que d’une quantité et/ou d’une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre revêt une importance considérable pour un soumissionnaire, dès lors que c’est sur la base de cette estimation que celui-ci sera en mesure d’apprécier sa capacité à exécuter les obligations découlant de cet accord-cadre ».
Pour autant, la Cour affirme aussi, sur la troisième question préjudicielle relative aux sanctions et notamment celle de l’absence d’effets du contrat, « qu’il serait disproportionné d’étendre l’application de cette disposition à une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle les régions ont publié un avis de marché et rendu accessible le cahier des charges sans mentionner, dans cet avis ou ce cahier des charges, la quantité estimée et/ou la valeur estimée, et la quantité maximale et/ou la valeur maximale des produits à fournir en vertu de cet accord-cadre », notamment parce que « le manquement du pouvoir adjudicateur à son obligation de mentionner l’étendue d’un accord-cadre est, dans un tel cas, suffisamment perceptible pour pouvoir être décelé par un opérateur économique qui entendait soumissionner et qui devait, de ce fait, être considéré comme étant averti ».
Une manière d’indiquer que le requérant doit se manifester sur les difficultés rencontrées du fait de l’absence de maximum, si ce défaut d’information est de nature à rendre la formalisation de son offre plus compliquée.
Les débats contentieux à venir sur ce manquement se cristalliseront en conséquence plus sur son impact pour le requérant lors de la remise de son offre et de son attitude lors de la soumission à l’accord-cadre, que sur le manquement lui-même.
B. L’application différée au 1er janvier 2022 des modifications apportées au Code de la commande publique
Le législateur a toutefois prévu une application différée pour l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, le décret indiquant en notice qu’il « tire les conséquences de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 juin 2021, ‘Simonsen & Weel A/S, aff. C-23/20’ (…). Ainsi, le décret supprime, à compter du 1er janvier 2022, la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum ».
Cette application différée se comprend très probablement par l’objectif de sécurité juridique souhaité par le législateur, puisqu’une application immédiate conduirait à des annulations multiples des procédures de passation actuellement en cours.
Le Conseil d’État a d’ailleurs lui-même l’habitude de différer dans le temps l’application de certaines de ses décisions en matière de commande publique et de contentieux contractuel, au nom de l’impératif de sécurité juridique [28].
Mais cette nouvelle obligation ne résulte pas d’une décision du Conseil d’État qui en aurait différé l’application, mais bien d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendu sur renvoi préjudiciel au visa d’une règlementation européenne (la Directive européenne 2014/24/UE), qui nous est par principe applicable.
Á ce titre, le renvoi préjudiciel est la procédure par laquelle les juges nationaux se tournent vers la Cour de justice pour demander de préciser un point d'interprétation du droit de l'Union, afin de leur permettre, entre autres, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation nationale.
Sur cette procédure, la Cour de justice ne rend par un avis, mais bien un arrêt motivé de sorte que, non seulement la juridiction nationale qui l’a saisie est liée par cet arrêt, mais également toutes les juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème identique.
Aussi, malgré l’application différée des modifications du Code de la commande publique, il y a fort à penser que les accords-cadres lancés sans montant maximum ne résistent pas au juge des référés, pas tant au visa d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par le Code de la commande publique, mais au visa d’un manquement aux obligations imposées par la Directive 2014/24/UE.
C’est en ce sens que des juridictions nationales ont déjà prononcé des annulations de procédure de passation au regard de l’interprétation donnée par l’arrêt « Simonsens » [29], y compris postérieurement au décret du 23 août 2021 [30] qui a pourtant souhaité différer en droit national l’application de ses impacts.
Le juge des référés du tribunal administratif de Lille a en effet récemment affirmé qu’un « accord-cadre doit indiquer une valeur ou une quantité maximale dans le cadre la procédure de passation du marché public, un tel principe étant applicable en l’espèce nonobstant la circonstance que le décret du 23 août 2021 modifiant les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité et intervenu notamment afin de tirer les conséquences de la décision précitée de la Cour de justice de l'Union européenne n’a prévu l’entrée en vigueur des dispositions de son article 2 portant suppression de la possibilité de conclure un accord-cadre sans mention d’une valeur maximale qu’à compter du 1er janvier 2022 ».
Pour conclure donc, application différée ou pas, il est impératif de prendre d’ores et déjà en considération les apports de l’arrêt « Simonsens » et d’indiquer, pour tous les accords-cadres lancés ou à lancer, un montant maximum. Pour les procédures en cours et dont la date limite de remise des offres n’est pas intervenue, nous recommandons vivement de modifier le dossier de consultation en ce sens et de proroger le délai de remise des offres.
Quel impact dans ma pratique ? Les acheteurs ont l’obligation d’indiquer en valeur et/ou en quantité, le montant estimé des accords-cadres. Les acheteurs ont désormais l’obligation d’indiquer également, en valeur ou en quantité, le montant maximal de l’accord-cadre. Nous recommandons une application immédiate pour les consultations à lancer, indépendamment de l’application différée du décret du 23 août 2021 Nous recommandons, pour les consultations déjà lancées mais dont la date limite de remise des offres n’est pas intervenue, de modifier le dossier de consultation en ce sens et de proroger la date limite de remise des offres. S’agissant de la fixation du maximum, il sera opportun de se laisser une certaine marge pour ne pas se retrouver bloquer en cours d’exécution en raison de l’évolution du besoin durant les quatre années à venir, quitte à fixer un maximum au-dessus du seuil de procédure formalisé quand bien même l’estimation et le maximum envisagé seraient inférieurs au seuil. |
[1] CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, Simonsen & Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark.
[2] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la Directive 2004/18/CE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE (N° Lexbase : L8592IZA).
[3] Article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS) ; décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, art. 21-III, 78 à 80.
[4] CE, 12 juin 2019, n° 427397 (N° Lexbase : A2216ZES).
[5] CE, 8 août 2008, n° 309136 (N° Lexbase : A0746EAU) ; voir également QE n° 05527 de M. Bernard Piras, réponse publ. 2 juillet 2009 p. 1676, (N° Lexbase : L8476KLI).
[6] Le régime des accords-cadres est défini à l’article 33 de la Directive 2014/24/UE.
[7] Voir en ce sens les considérants n°s 60 à 62 de la Directive 2014/24/UE.
[8] Le régime de l’accord-cadre étant désormais défini aux articles L. 2125-1 (N° Lexbase : L7085LQH) et R. 2162-1 à R. 2161-14 du Code de la commande publique.
[9] Article R. 2162-4 du Code de la commande publique dans sa version antérieure au décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 (N° Lexbase : L6131L79).
[10] CE, 10 octobre 2018, n° 410501 (N° Lexbase : A7023YET).
[11] L’article R. 2121-8 du Code de la commande publique indiquant que « pour les accords-cadres et les systèmes d'acquisition dynamiques définis à l'article L. 2125-1, la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur maximale estimée de l'ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre pendant la durée totale de l'accord-cadre ou du système d'acquisition dynamique ». A fortiori les accords-cadres conclus sans maximum doivent obligatoirement être passés sous la forme d’une procédure formalisée.
[12] Considérants n°s 59 à 62 et article 33 de la Directive 2014/24/UE relatifs aux accords-cadres ; art. 18, relatif aux principes fondamentaux de la passation des marchés et 72, relatif aux modifications de contrat.
[13] Article 5 de la Directive 2014/24/UE : « Pour les accords-cadres et pour les systèmes d’acquisition dynamiques, la valeur à prendre en considération est la valeur maximale estimée hors [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] de l’ensemble des marchés envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre ou du système d’acquisition dynamique ».
[14] Règlement (UE) n° 2015/1986 de la Commission du 11 novembre 2015, établissant les formulaires standard pour la publication d’avis dans le cadre de la passation de marchés publics et abrogeant le Règlement (UE) n° 842/2011 (N° Lexbase : L2755KQ4).
[15] Directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la Directive 2014/23.
[16] CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, cons. n° 53.
[17] CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, cons. n°s 49 et 54.
[18] CJUE, 19 décembre 2018, aff. C‑216/17, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice (N° Lexbase : A0692YR3).
[19] CJUE, 7 avril 2016, aff. C-324/14, Partner Apelski Dariusz (N° Lexbase : A7193RBZ) ; CJUE, 4 mai 2017, aff. C-387/14, Esaprojekt sp. z o.o. c/ Województwo Łódzkie (N° Lexbase : A9959WBH) ; CJUE, 19 décembre 2018, aff. C‑216/17, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice (N° Lexbase : A0692YR3).
[20] CE, 12 juin 2019, n° 427397 (N° Lexbase : A2216ZES).
[21] Ibid.
[22]CCP, art. R. 2194-1 (N° Lexbase : L4270LRL) à R. 2194-10.
[23] CCP, art. R. 2121-8 dans sa version postérieure au décret du 23 août 2021 : « Pour les accords-cadres et les systèmes d'acquisition dynamiques définis à l'article L. 2125-1, la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur maximale estimée de l'ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre pendant la durée totale de l'accord-cadre ou du système d'acquisition dynamique ».
[24] CCP, art. R. 2162-4 dans sa version postérieure au décret du 23 août 2021 : « Les accords-cadres peuvent être conclus : 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; 2° Soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité ».
[25] CE, 12 juin 2019, n° 427397, préc.
[26] CE, 3 octobre 2008, n° 305420 (N° Lexbase : A5971EAE).
[27] En ce sens : CE, 3 juin 2009, n° 319103 (N° Lexbase : A7243EHQ) ; CE, 8 juillet 2009, n° 318187 (N° Lexbase : A7147EIK) ; TUE, 4 octobre 2018, aff. T-914/16, Proof IT SIA (N° Lexbase : A6125YEL) ; CJUE, 12 mars 2015, aff. C-538-13, Vigilot Ltd (N° Lexbase : A6883NDB).
[28] Voir en ce sens : CE, Ass., 11 mai 2004, n° 255886 (N° Lexbase : A1829DCQ) ; CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545 (N° Lexbase : A4715DXW) ; CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994 (N° Lexbase : A6449MIP) ;
[29] TA Bordeaux, 23 août 2021, n° 2103959 (N° Lexbase : A011543N).
[30] TA Lille, 27 août 2021, n° 2106335.
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Réf. : Cass. com., 7 juillet 2021, n° 20-22.048, F-B (N° Lexbase : A41354YS)
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, NFALAW – SCP d'Avocats, Avocats au Barreau de Paris
Le 08 Septembre 2021
Mots clés : contrefaçon • saisie-contrefaçon • captures d’écran • force probante • extraits du site « archive.org » • validité des procès-verbaux de constat
Les captures d'écran ne sont pas dépourvues par nature de force probante. Tel est l'un des principaux apports de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 juillet 2021, à rebours d'une tendance jurisprudentielle des juges du fond. Il s'agit évidemment d'une excellente nouvelle pour les titulaires de droits auxquels le défaut de valeur des captures d'écran est régulièrement opposé dans le cadre des procédures. C'est également l'occasion de revenir brièvement sur de récentes décisions de justice qui, avec un même pragmatisme, tendent à accueillir des extraits du site « archive.org » à titre de preuve et à confirmer la validité de procès-verbaux de constat à l'élaboration desquels pourraient intervenir des stagiaires de cabinets d'avocats.
L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 juillet 2021 est intéressant à plusieurs titres. Très brièvement, l'espèce en cause avait trait à une problématique de contrefaçon d’un logiciel de supervision d’automatisme. La demanderesse avait obtenu, sur requête présentée devant le Président du tribunal judiciaire de Lyon, la désignation d’un huissier de justice avec pour mission de procéder à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux du contrefacteur allégué. Après réalisation des opérations, celui-ci a formé une demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon ; aux termes d'un arrêt rendu le 17 novembre 2020, la cour d'appel de Lyon y a finalement fait droit, ordonnant sous 48 heures la restitution de l'ensemble des éléments saisis [1]. La Cour de cassation a été saisie d'un pourvoi à l'initiative de chacune des parties.
Deux points de droit ont alors été soumis à l'appréciation de la Haute Cour. Les juges d'appel avaient tout d'abord estimé que, « saisis sur le fondement de l’article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L0399LTX) d’une demande de mainlevée d’une saisie-contrefaçon en matière de logiciels, il ne leur appartenait pas de statuer sur la demande du saisi tendant à voir « dire et juger nul et de nul effet la requête et les actes subséquents de la procédure de saisie-contrefaçon » [2]. Sur cette question, le saisi n'a pas obtenu gain de cause : la Chambre commerciale rappelle en effet que la demande de mainlevée ne tend qu'à la cessation pour l’avenir des effets de la saisie ; elle ne permet donc pas d'obtenir la rétractation ou l’annulation de la requête aux fins de saisie-contrefaçon, de l’ordonnance accueillant cette requête ou des actes accomplis en vertu de cette ordonnance [3]. En pratique, il en résulte qu'une éventuelle mainlevée est sans incidence sur la validité de la partie « descriptive » du procès-verbal de saisie-contrefaçon.
La Cour de cassation a en revanche censuré la cour d'appel de Lyon qui, pour accueillir la demande de mainlevée, avait jugé que le demandeur aux mesures de saisie-contrefaçon n'avait joint à sa requête « aucun élément objectif et vérifiable à l’appui de ses soupçons de contrefaçon de son logiciel » et avait refusé de prendre en considération les éléments révélés lors des opérations de saisie au motif que « le résultat de la saisie-contrefaçon ne peut établir a posteriori le bien-fondé de la requête ». Cette appréciation est censurée par la Haute Cour qui, après avoir rappelé l'absence d'effet de la mainlevée sur l'autorisation de procéder à la saisie-contrefaçon, dit pour droit que le juge saisi d’une telle demande « doit en apprécier les mérites en tenant compte de tous les éléments produits devant lui par les parties, y compris ceux qui ont été recueillis au cours des opérations de saisie-contrefaçon ».
La capture d'écran produite par la requérante, dont la Cour de cassation prend soin de rappeler qu'elle « n'est pas dépourvue par nature de force probante », aurait dû être prise en compte par les juges d'appel à cet égard. C'est ainsi l'occasion de faire le point sur la jurisprudence récente des différentes juridictions françaises en matière de preuve de la contrefaçon.
I. Les captures d'écran ne sont pas dépourvues par nature de force probante
L'article L. 332-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L7027IZB) dispose que « la contrefaçon de logiciel peut être prouvée par tout moyen ». La Chambre commerciale en déduit qu’elle peut notamment l’être par des captures d’écran de sites internet, lesquelles ne sont pas dépourvues par nature de force probante.
Cette appréciation devrait mettre un terme à une certaine jurisprudence qui, au contraire, tendait par principe à écarter la force probante des captures d'écran [4], sauf à ce qu'elles aient fait parallèlement l'objet d'un procès-verbal de constat d'huissier [5] ; en pratique, le recours à un huissier revient alors à les priver de leurs principales qualités, à savoir la simplicité d'exécution et leur caractère peu onéreux.
Pour autant, la formulation indirecte choisie par la Cour (« pas dépourvue de force probante ») rappelle qu'il ne s'agit en aucun cas d'un blanc-seing. Ainsi, la force probante des captures d'écran doit pouvoir faire l'objet d'une contestation motivée, en établissant par exemple l'existence d'une falsification ou en communiquant tout élément de nature à alimenter un doute sur leur intégrité [6]. Elle doit donc s'apprécier dans le cadre du pouvoir souverain des juges du fond.
Quoi qu'il en soit, il fait peu de doute que l'arrêt du 7 juillet 2021 constitue une excellente nouvelle pour les titulaires de droits. Empreint de pragmatisme, il nous semble devoir être approuvé alors que rien ne justifiait qu'une sorte de présomption de mauvaise foi puisse peser sur ceux qui s'en prévalent et qui, bien souvent, ne sont autres que les victimes d'actes de contrefaçon.
La portée de cette décision n'est d'ailleurs pas négligeable dans la mesure où la solution retenue trouve à s'appliquer mutatis mutandis aux autres droits de propriété intellectuelle pour lesquels la contrefaçon se prouve également « par tout moyen », qu'il s'agisse des dessins et modèles [7], des marques [8], des brevets [9] ou encore des obtentions végétales [10] et des indications géographiques [11].
II. Vers un consensus concernant la force probante du site « archive .org »
L'arrêt rendu le 7 juillet 2021 par la Cour de cassation fait échos à certaines décisions récemment rendues par les juges du fond et relatives à la force probante des extraits issus du site internet « archive.org / way back marchine », lequel permet de visualiser l’apparence et le contenu de sites à différentes époques.
Là encore, la jurisprudence a connu une évolution notable vers plus de libéralisme puisque, dans un premier temps, la valeur probante de ces extraits était niée par les juridictions au motif qu'il s'agit d'un site privé « non officiel dont l'indépendance et l'impartialité ne sont pas démontrés et où la date des documents qui y sont reproduits, dont il n'est pas exclu qu'elle puisse être modifiable par une simple manipulation technique, n'est pas certaine » [12].
Revenant sur ce courant jurisprudentiel, la cour d'appel de Paris a plus récemment eu l'occasion de juger qu'il ne peut « être dénié toute valeur probante à cette pièce, à défaut d'élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité » [13], a fortiori dès lors que la capture d'écran a été réalisée dans le cadre d'un procès-verbal de constat d'huissier [14]. Bien souvent, c'est alors au regard d'un environnement probatoire plus global et des éléments convergents permettant de constituer un faisceau d'indices que les extraits du site « archive.org » vont être, ou non, retenus comme éléments de preuve pertinents [15].
Ce faisant, tend à se faire jour un consensus entre les différentes juridictions, françaises et européennes puisque l'INPI a rappelé que « la preuve de l’exploitation de la marque dans le cadre de la procédure d’opposition étant libre, il n’y a pas lieu de refuser ces éléments » [16]. Dans le même temps, la Chambre de recours technique de l’Office européen des brevets a jugé que « l’archive elle-même présente des garanties suffisantes pour bénéficier d’une présomption de source d’information fiable et de confiance, à charge pour la partie adverse de produire, en fonction de l’espèce, les éléments de nature à jeter un doute sur cette fiabilité présumée » [17] ; le site internet « archive.org » est également cité dans les directives G-IV 7.5.4 de l'OEB qui précise que leur caractère certes incomplet ne nuit aucunement à la fiabilité des données de ses pages.
III. Une éclaircie en matière de constats d'achat ?
Quelques mots, pour finir, concernant la pratique des procès-verbaux de constat dressés par huissier, particulièrement utiles pour établir la matérialité des actes de contrefaçon.
L'on se souviendra de l'émoi qu'avait suscité l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 janvier 2017 [18]. Au visa des dispositions des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) et 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D], ensemble le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, la Haute Cour avait en effet censuré l'arrêt d'appel qui, pour rejeter la demande d'annulation du procès-verbal de constat, avait retenu que la circonstance que la personne assistant l'huissier de justice soit un avocat stagiaire au cabinet de l'avocat du requérant était indifférente, dès lors qu'il n'était argué d'aucun stratagème déloyal ; ce faisant, la cour d'appel aurait violé les textes précités alors que « le droit à un procès équitable commande que la personne qui assiste l'huissier instrumentaire lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante ».
L'on peut reprocher à cette décision un certain manque de pragmatisme. Dans l'incapacité d'identifier un tiers strictement neutre et sans aucun lien avec l'affaire (c'est-à-dire ni l'huissier ou son clerc, ni l'avocat et son stagiaire), les titulaires de droits se voient en pratique privés d'un mode probatoire pourtant fort utile car simple et peu coûteux, leur imposant d'avoir recours à la procédure beaucoup plus contraignante et obligatoirement contentieuse qui résulte de la saisie-contrefaçon.
Dès lors, c'est non sans un certain soulagement que l'on constate l'apparition de décisions récentes rendues par la cour d'appel de Paris en résistance à la Cour de cassation. La motivation qui y est développée, particulièrement convaincante, mérite d'être reproduite largement :
« La Cour européenne des droits de l'Homme, dans le prolongement de l'égalité des armes et au nom du droit au procès équitable, impose que les preuves soient recueillies et exploitées loyalement sans pour autant aller jusqu'à imposer ou refuser certains modes de preuve indépendamment de toute autre considération. Ce qui importe est que le procès ait présenté un caractère équitable dans son ensemble, y compris au regard des modalités d'ordre probatoire. La Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et il revient aux juridictions internes d'apprécier notamment la pertinence des éléments de preuve dont une partie souhaite la production, et en cela de vérifier si la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable » [19].
Il en résulte que la validité d'un procès-verbal de constat d'achat ne peut être remise en question du simple fait que l'huissier a été assisté par le stagiaire du cabinet d'avocat du requérant ; statué en ce sens reviendrait en effet à faire peser sur lui une présomption de mauvaise foi que rien ne justifie. En définitive, les opérations de constat n'encourent la sanction de l'annulation que si la qualité de stagiaire a été volontairement tue dans le cadre du procès-verbal, en violation du principe de loyauté dans l'administration de la preuve [20].
Il est également intéressant de constater que la cour d'appel de Paris a jugé que la présence, aux côtés de l'huissier de justice lors des opérations de constat d'achat sur internet, du conseil en propriété industrielle de la société requérante « n'est pas de nature à remettre en cause de loyauté des éléments de preuve que constitue le procès-verbal de constat » ; les magistrats rappellent en effet que « la profession de conseil en propriété industrielle est une profession réglementée soumise à des règles déontologiques et qu’il n’est ni le préposé ni le représentant de la requérante » [21]. On peut d’ailleurs souligner ici que les avocats sont soumis à des règles déontologiques au moins aussi contraignantes…
Les dernières positions récemment prises par la cour d'appel de Paris permettraient-elles d'espérer, à terme, un revirement de la Cour de cassation ? En attendant, un principe de prudence semble devoir prévaloir. Il n'en reste pas moins que l'arsenal probatoire des titulaires de droit tend à s'étoffer à la lumière des dernières décisions de jurisprudence, ce dont on ne peut que se réjouir.
[1] CA Lyon, 17 novembre 2020, n° 19/06334 (N° Lexbase : A776234A).
[2] Celui-ci considérait en effet que la mainlevée de la saisie prive l’ordonnance qui l’a autorisée de tout effet et entraîne l’annulation des actes subséquents de la procédure de saisie-contrefaçon et notamment du procès-verbal de saisie-contrefaçon.
[3] Ce qui en fait une différence notable avec le recours de droit commun de l'article 497 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6614H74) applicable aux saisies-contrefaçon de tous les droits de propriété intellectuelle sauf en matière de droit d'auteur, de bases de données et de logiciels (Cass. civ. 1, 30 mai 2000, n° 97-16.548 N° Lexbase : A5224AWE).
[4] A titre d'exemples : CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 10 juin 2021, n° 20/18725 (N° Lexbase : A66934UG) – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 14 mai 2021, n° 19/16955 (N° Lexbase : A71934RT) – CA Lyon, 17 novembre 2020, n° 19/06334 (N° Lexbase : A776234A).
[5] CA Toulouse, 7 septembre 2011, n° 10/03849 (N° Lexbase : A6450HX8).
[6] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 24 janvier 2017, n° 15/14533 (N° Lexbase : A0300TAD).
[7] CPI, art. L. 521-4 (N° Lexbase : L7029IZD).
[8] CPI, art. L. 716-4-7 (N° Lexbase : L5828LTZ).
[9] CPI, art. L. 615-5 (N° Lexbase : L7030IZE).
[10] CPI, art. L. 623-27-1 (N° Lexbase : L7032IZH).
[11] CPI, art. L. 722-4 (N° Lexbase : L7034IZK).
[12] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 27 octobre 2015, n° 14/14239 (N° Lexbase : A0199RKL).
[13] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 2 mars 2021, n° 19/01351 (N° Lexbase : A55644IW) – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 4 octobre 2019, n° 17/10064 (N° Lexbase : A4549ZQK).
[14] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 12 septembre 2014, n° 13/0366 (N° Lexbase : A6225MY9) – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 5 juillet 2019, n° 17/03974 (N° Lexbase : A2432ZIW).
[15] CA Paris, 27 octobre 2015, n° 14/14239, préc. ; TGI Paris, 3ème ch., 23 mars 2018, n° 16/17062 (N° Lexbase : A3959XYB).
[16] Directeur Général de l’INPI, décision n° 18-3261, 29 janvier 2019 – Directeur Général de l’INPI, décision n° 16-3200, 20 janvier 2017 ; la circonstance que ces décisions ont trait à des preuves d'usage de la marque (et non de contrefaçon) ne nous semble pas de nature à remettre en question la pertinence de l'analyse.
[18] Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-25.210, F-P+B (N° Lexbase : A5484TAD).
[19] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 28 février 2020, n° 18/03683 (N° Lexbase : A71923GH) – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 29 janvier 2021, n° 19/04589 (N° Lexbase : A07994EC).
[20] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch.,18 octobre 2019, n° 18/08962 (N° Lexbase : A5606ZR3).
[21] Dans une autre affaire relative à une procédure de saisie-contrefaçon, la cour d'appel de Paris insiste : « l'impartialité du conseil en propriété industrielle doit se présumer jusqu'à preuve contraire en raison de l'indépendance statutaire de cette profession » (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 6 novembre 2020, n° 19/15536 N° Lexbase : A8039337).
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