Réf. : Cass. civ. 3, 8 juillet 2021, n° 19-23.879 F D (N° Lexbase : A63314Y7)
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 22 Juillet 2021
► Le constructeur est tenu de sa faute dolosive dans l’exécution du contrat ;
► même sans intention de nuire, la faute dolosive suppose la démonstration d’une violation délibérée des obligations contractuelle par dissimulation ou par fraude ;
► l’élément intentionnel est donc toujours requis.
L’action en responsabilité décennale exercée à l’encontre du constructeur se prescrit dans le délai de dix ans à compter de la réception des travaux. Passé ce délai, le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage n’est pas totalement démuni. Il lui reste la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur, en cas de faute dolosive. L’action n’est, en effet, pas nécessairement prescrite compte tenu du point de départ « glissant » retenu par l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC). La solution n’est pas nouvelle (pour exemple, Cass. civ. 3, 5 janvier 2017, n° 15-22.772, FS-P+B N° Lexbase : A4806S3E) mais les décisions sont suffisamment éparses pour être soulignées.
En l’espèce, une SCI vend à un particulier un bungalow qu’elle a fait construire. Après son entrée en jouissance, l’acquéreur constate des infiltrations par la toiture et assigne la venderesse en réparation de son préjudice. La cour d’appel de Papeete, dans un arrêt rendu le 11 juillet 2019 (CA Papeete, 11 juillet 2019, n° 17/00160 N° Lexbase : A5267ZKB), considère son action sur le fondement de la responsabilité civile décennale irrecevable comme prescrite. Elle rappelle, en revanche, qu’après l’expiration de la garantie décennale, l’acquéreur de l’immeuble peut encore rechercher la responsabilité contractuelle du constructeur, en alléguant l’existence d’une faute dolosive. Elle rappelle, également, que cela suppose pour celui qui s’en prévaut de démontrer que le constructeur a violé par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles, ce qui est le cas en l’espèce.
La SCI venderesse forme un pourvoi en cassation au motif que la faute dolosive suppose la démonstration d’une volonté délibérée et consciente du constructeur de violer ses obligations contractuelles, ce que les juges du fond n’auraient pas recherché. La Haute juridiction censure au visa de l’article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance du 10 février 2016. Les juges du fond auraient dû caractériser une volonté délibérée et consciente de la SCI de méconnaître ses obligations par dissimulation ou fraude.
Les deux conditions de la faute dolosive dans l’exécution du contrat sont rappelées :
- une violation contractuelle délibérée, l’élément intentionnel de commettre le dol ;
- une violation contractuelle par dissimulation ou par fraude, l’élément matériel du dol.
La faute dolosive n’est donc pas équivalente à la faute lourde (Cass. civ. 3, 29 mars 2011, n° 08-12.703, F-D N° Lexbase : A3881HMP). La solution est constante (V. dernièrement Cass. civ. 3, 12 mai 2021, n° 19-25.547, F-D N° Lexbase : A85804R9). Le dol est donc relativement compliqué à démontrer, surtout rapporté dans le domaine de la construction où il est difficile d’imaginer qu’un constructeur ait la volonté de mal faire pour causer un dommage. Le fondement est, toutefois, fréquemment invoqué dès lors qu’il permet d’échapper à la forclusion décennale.
Si, de prime abord, le délai de droit commun de la responsabilité contractuelle est plus court que le délai décennal qui court à compter de la réception, ce n’est pas toujours le cas. Le délai de l’action de droit commun peut se poursuivre après le délai de dix ans puisque l’article 2224 prévoit un délai dit « glissant ». Il est de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action.
L’action fondée sur le dol perdure donc parfois au délai de forclusion décennal (pour exemple, Cass. civ. 3, 8 septembre 2009, n° 08-17.336, F-P+B N° Lexbase : A8977EKP) et se transmet, elle-aussi, aux acquéreurs successifs de l’ouvrage (pour exemple, Cass. civ. 3, 12 janvier 2018, n° 17-20.627, FS-P+B+I N° Lexbase : A7969XXG).
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Réf. : Loi n° 2021-689, du 31 mai 2021, relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, art. 13 (N° Lexbase : L6718L4L)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)
Le 18 Octobre 2021
Mots clés : entreprises en difficulté • procédure collective de traitement de sortie de crise
Une nouvelle procédure collective entre dans le paysage juridique français, empruntant à la sauvegarde, au redressement judiciaire et à la sauvegarde accélérée. Elle présente, du fait de ce mélange des genres, une réelle spécificité. Elle est destinée à traiter les difficultés des petites entreprises, qui fonctionnaient normalement avant la crise sanitaire, par un passage éclair sous procédure collective en restructurant par un plan les dettes, mais sans intervention de l’AGS.
Voilà maintenant sept ans que nous n’avions pas eu droit à une nouvelle procédure collective. Juste avant la réouverture des bars fermés pour cause de pandémie, notre législateur nostalgique utilise la méthode du shaker : on met de la sauvegarde, de la sauvegarde accélérée, du redressement judiciaire ; on agite bien le tout et voilà le résultat, la procédure de traitement de sortie de crise créée par l’article 13 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021.
Cette disposition est issue d’un amendement gouvernemental présenté au Sénat.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises, soutenant l’amendement a précisé que la procédure créée était « une procédure judiciaire simplifiée visant à régler les difficultés des entreprises ». Cette procédure a pour objet de « permettre aux entreprises les plus touchées d’être accompagnées au mieux, de manière simple et rapide, et de pouvoir in fine poursuivre leur activité avec un échéancier de dette plus soutenable ».
Il a été indiqué que cette procédure de traitement de sortie de crise est destinée aux petites entreprises qui fonctionnaient dans des conditions satisfaisantes avant la crise économique. Le but annoncé est alors de leur permettre de rebondir, grâce à une restructuration de leur dette.
Il s’agit d’une véritable procédure collective, même si son périmètre, quant au plan de sauvetage auquel elle tend, est plus restreint quant aux personnes concernées qu’une procédure collective classique. C’est une procédure collective dans la mesure où, d’une part, le débiteur va connaître une réduction de ses pouvoirs, notamment du fait de la nomination d’un organe à ses côtés, et où, d’autre part, les créanciers vont être soumis à une discipline collective, entrainant la réduction de leurs initiatives individuelles et la nomination d’un organe de défense de leur intérêt collectif.
Notons immédiatement que la loi porte clairement atteinte à la scission des professions d’administrateurs et de mandataires judiciaires, instituée depuis 1985, pour faire renaître, d’une certaine manière, le syndic-administrateur judiciaire.
Comme son nom l’indique, il s’agit, avec cette procédure de traiter en urgence les difficultés rencontrées par un débiteur de petite taille, à la tête d’une entreprise, en lui offrant la possibilité de sortir des difficultés par l’adoption d’un plan après une procédure collective éclair, qui ne peut dépasser trois mois.
Le débiteur doit avoir l’une des qualités visées à l’article L. 620-2 (N° Lexbase : L7225LQN). Il doit être un débiteur susceptible, par sa qualité, de bénéficier de la sauvegarde. Il s’agira donc de tout débiteur personne physique, professionnel indépendant en activité, y compris un EIRL, et de toute personne morale de droit privé en activité.
La procédure de traitement de sortie de crise n’est cependant accessible que sous condition de seuils, comme dans la sauvegarde accélérée ou la liquidation judiciaire simplifiée. Le nombre de salariés et le total de bilan devront être inférieurs à des plafonds. Ces derniers relèvent du décret et ne sont pas encore connus. On remarque immédiatement une logique inverse à celle de la sauvegarde accélérée : l’éligibilité n’est pas conditionnée à une certaine taille, mais au contraire au fait de ne pas dépasser cette taille. Si ces seuils sont juste inférieurs à ceux de la sauvegarde accélérée, on aura compris que les débiteurs d’une certaine taille disposent de la procédure éclair de sauvegarde accélérée, les autres de la procédure de traitement de sortie de crise. La logique voudrait plutôt que les seuils soient ceux à partir desquels la liquidation judiciaire simplifiée n’est plus possible. On est bien ici dans une procédure simplifiée de sauvetage.
Tant que ces seuils ne seront pas connus, la loi ne pourra entrer en application, bien qu’il soit prévu son entrée en vigueur dès le 2 juin 2021, lendemain de la date de publication de la loi au Journal officiel. Cette procédure pourra être ouverte pendant deux ans. Plus précisément, l’article 13, VI prévoit que la loi s’appliquera aux demandes formées avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de cette même date.
Comme cela est le cas pour la sauvegarde accélérée, les comptes de l’entreprise devront apparaître réguliers, sincères et aptes à donner une image fidèle de la situation financière de l'entreprise. La solution s’explique par le fait qu’il n’y aura pas ici de vérification du passif et que les chiffres avancés par le débiteur seront ceux sur lesquels s’appuiera le tribunal pour adopter le plan.
Comme cela est également le cas de la procédure de sauvegarde accélérée (C. com., art. L. 628-2, al. 2 N° Lexbase : L7311IZS), l'ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise est examinée en présence du ministère public. Il ne s’agit pas d’une simple communication de la cause, ni de la simple exigence d’un avis.
Avec cette procédure, il s’agit clairement d’éviter le redressement judiciaire, alors que la situation économique du débiteur relève de cette dernière procédure, puisque le débiteur est en état de cessation des paiements.
L’un des traits saillants de cette procédure intéressant pourtant un débiteur en état de cessation des paiements est l’interdiction du recours à l’AGS : le débiteur sera seul face à son passif salarial et aux conséquences induites par les restructurations sociales. Sans doute s’est-il agi d’éviter un recours massif à l’AGS, qui aurait conduit mécaniquement à une augmentation sensible des cotisations patronales couvrant le risque de chômage. Cette caractéristique rapproche cette procédure de la conciliation et sera clairement à éviter pour un débiteur ne pouvant supporter seul le coût des restructurations salariales. Il devra impérativement se tourner vers le redressement judiciaire.
Le débiteur doit être en état de cessation des paiements, c’est-à-dire dans l’impossibilité, avec son actif disponible, de payer son passif exigible. Toutefois, le législateur pose une condition supplémentaire : le débiteur doit disposer des fonds disponibles pour payer ses créances salariales. Il faut donc comprendre que le débiteur peut avoir laissé des dettes salariales impayées au jour du jugement d’ouverture, mais il doit démontrer au tribunal qu’il est en mesure de les payer. Puisque, d’une part, l’AGS n’interviendra pas dans cette procédure et que, d’autre part, ce type de dettes ne peut être moratorié dans un plan de sauvetage, cela signifie implicitement mais nécessairement que le législateur fait échapper ces créances à la règle de l’interdiction du paiement des créances antérieures après le jugement d’ouverture. Le débiteur pourra donc payer ses dettes salariales antérieures au jugement d’ouverture en période d’observation de la procédure de traitement de sortie de crise.
Si les fonds disponibles sont suffisants pour payer le passif salarial, ils ne sont pas suffisants pour permettre au débiteur de faire face à tout son passif exigible. Il est donc en état de cessation des paiements.
On peut se demander pourquoi, si le débiteur a des fonds suffisants pour payer son passif salarial exigible, il ne le paie pas. Il y aurait une urgence prioritaire, dont on ignore, à la lettre des textes, la nature exacte.
Quoi qu’il en soit, une difficulté va se présenter si le tribunal autorise l’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise malgré l’existence d’un passif salarial. En effet, l’AGS n’intervient pas dans cette procédure. C’est donc bien le débiteur qui doit payer ce passif. En outre, ce passif ne peut être étalé dans le plan, puisque le plan « ne peut affecter les créances nées d'un contrat de travail » (loi du 31 mai 2021, art. 13, IV, B).
Faut-il comprendre que les salariés devront attendre l’adoption du plan pour prétendre être payés par le débiteur ? Ce serait alors leur imposer un délai de trois mois bien inhabituel et surtout bien insupportable pour des créances présentant pour partie un caractère alimentaire.
Il faut donc comprendre autrement la loi. Non seulement l’existence de fonds disponibles doit permettre au débiteur, qui ne l’a pas fait au jour de l’ouverture de la procédure collective, d’effectuer ce paiement, mais en outre, il faut implicitement, mais nécessairement, lui reconnaître ce droit. En d’autres termes, se trouve écartée la règle de l’interdiction du paiement des créances antérieures, règle dont on rappellera que, classiquement, elle s’impose même aux salariés. Ainsi, le débiteur, grâce à ces fonds disponibles, pourra payer, pendant la période d’observation, ce qu’il doit aux salariés avant le jugement d’ouverture.
Pourquoi alors ne pas avoir posé plus radicalement l’interdiction d’avoir des dettes salariales au jour du jugement d’ouverture pour être éligible à la procédure ? Sans doute pour permettre au débiteur de trouver une porte de sortie en évitant des déchéances du terme avant le jugement d’ouverture, ou des résiliations de plein droit de contrats, ce qui sera possible en ne payant pas immédiatement les dettes salariales. Puis, une fois la procédure collective ouverte, le passif antérieur sera par principe gelé, ce qui permettra alors le paiement des dettes salariales.
Nous sommes ici en présence d’une procédure anti-licenciements, non pas qu’ils soient interdits, mais parce que le débiteur doit les financer, contrairement à ce qui se passe dans une sauvegarde ou un redressement judiciaire où intervient l’AGS. Cette procédure n’est donc pas destinée aux restructurations, mais seulement à payer du passif selon des aménagements.
Les difficultés ne doivent donc pas être structurelles. Il s’agit, a-t-on dit en soutenant l’amendement visant à introduire dans la loi cette procédure, de permettre à des petites entreprises qui fonctionnaient dans des conditions satisfaisantes avant la crise économique une restructuration de leur dette.
Pourtant, fondamentalement, il s’agit bien d’appliquer à la fois les règles du redressement judiciaire pendant la période d’observation, mais aussi celle de la sauvegarde en ce qui concerne le plan, et cela à un débiteur en état de cessation des paiements. On note les emprunts à la sauvegarde en relevant que cette procédure est volontariste : elle ne peut être sollicitée que par le débiteur, non par un créancier ou le ministère public. Mais attention la liberté n’est pas totale car si cette procédure n’est pas utilisée, alors c’est le redressement judiciaire qui sera ouvert. L’observation est confortée par le visa, au sein de l’article 13 de la loi du 31 mai 2021, d’un certain nombre d’articles du titre 2 du livre VI du Code de commerce, c’est-à-dire des règles d’élaboration et d’exécution du plan de sauvegarde. En revanche, par principe, les règles applicables à la période d’observation seront celles du redressement (visa du titre III du livre VI du Code de commerce).
Cela peut apparaître surprenant de faire bénéficier d’une procédure empruntant à la sauvegarde un débiteur en état de cessation des paiements. Cette surprise se dissipe cependant dès lors que l’on observe que la sauvegarde accélérée est accessible à un débiteur en état de cessation de paiements depuis au maximum six mois et demi. Elle est en effet ouverte au bénéfice d’un débiteur qui peut déjà être en état de cessation des paiements depuis 45 jours. Or, après ouverture de la conciliation, l’état de cessation des paiements n’est pas neutralisé, par principe. Il ne le sera que par l’accord de conciliation.
La durée maximale de la période d’observation de la procédure de traitement de la sortie de crise est de trois mois ; il s’agit de la même durée que celle de la sauvegarde accélérée. On peut donc, sans peur de se tromper, dire que la procédure de traitement de sortie de crise emprunte aussi à la sauvegarde accélérée, mais sans passage préalable par la conciliation. Il s’agit là de faire en sorte que la durée du placement sous procédure collective soit très courte, car chacun connaît l’équation entre durée de la procédure collective et dégradation de l’image du débiteur.
Nous verrons au fur et à mesure les emprunts notables à la sauvegarde accélérée, même si nombre de règles qui gouvernent la période d’observation sont celles du redressement judiciaire (I). Au contraire, les emprunts à la sauvegarde accélérée sont assez flagrants en ce qui concerne l’adoption du plan (II).
I. Règles gouvernant la période d’observation
Lorsque s’ouvre une procédure de traitement de sortie de crise, la période d’observation est enfermée dans un délai maximum de trois mois, durée non renouvelable, comme cela est le cas dans la sauvegarde accélérée.
Le tribunal intervient obligatoirement en cours de période d’observation. Au plus tard au terme d'un délai de deux mois à compter du jugement d'ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d'observation s'il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes.
Si la période d’observation se poursuit, au terme d’un délai de trois mois maximum, un plan devra être adopté. Si tel n’est pas le cas, il est mis fin à la période d’observation sur demande du mandataire de justice désigné, du débiteur ou du ministère public. On reconnaît ici l’emprunt à la sauvegarde accélérée.
En outre, à défaut de plan arrêté dans le délai de trois mois de l’ouverture de la procédure, le tribunal, à la demande du débiteur, du mandataire désigné ou du ministère public, ouvre une procédure de redressement judiciaire, si les conditions prévues à l'article L. 631-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3381IC9) sont réunies, ou prononce la liquidation judiciaire, si les conditions prévues à l'article L. 640-1 du même code (N° Lexbase : L4038HB8) sont réunies. Cette décision met fin à la procédure. On remarque ici que l’expiration du délai de trois mois ne met pas fin à la procédure ; il faut une décision de justice qui ouvre une nouvelle procédure collective pour qu’il soit mis fin à la procédure de traitement de sortie de crise. La solution diffère ici légèrement de celle posée en sauvegarde accélérée.
L’article 13, IV, D de la loi précise que la durée de la période d'observation de la procédure de traitement de sortie de crise s'ajoute à celle de la période définie à l'article L. 631-8 dudit code (N° Lexbase : L7315IZX). C’est une règle différente de celle posée en cas de conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire (C. com., art. L. 621-10 N° Lexbase : L7283IZR et L. 622-10 N° Lexbase : L2758LBR).
Il n’existe pas de passerelle entre la procédure de traitement de la sortie de crise et le redressement judiciaire. Il n’y a pas de conversion entre les deux procédures. L’une prend fin et l’autre s’ouvre. Pourquoi la conversion n’a-t-elle pas été prévue ? Parce qu’elle est techniquement impossible du fait de la mise à l’écart, dans la procédure de traitement de la sortie de crise, de certaines règles, telles l’obligation de déclaration des créances, l’obligation de revendiquer et les règles de continuation des contrats relatives à la mise en demeure. Il faut donc bien ouvrir une nouvelle procédure pour créer une discontinuité entre les procédures, afin que les délais relatifs à ces trois démarches – déclaration de créance, revendication et mise en demeure sur les droits du créancier – puissent courir.
L’article 13, III, A soumet, par principe, la procédure de traitement de sortie de crise aux règles prévues au titre III du livre VI du Code de commerce. Il faut donc comprendre que les règles du redressement judiciaire s’appliquent par principe à la période d’observation.
Il en est ainsi des règles relatives à la fixation de la cessation des paiements et au report de date de cessation des paiements (C. com., art. L. 631-8 N° Lexbase : L7315IZX), ainsi que celles relatives aux nullités de la période suspecte (C. com., art. L. 632-1 N° Lexbase : L2203LYA et s.).
Toutefois, le jugement qui ouvre la procédure de traitement de sortie de crise entraîne la désignation d’un organe choisi sur la liste des mandataires judiciaires ou des administrateurs judiciaires et éventuellement en dehors de cette liste, comme cela est déjà le cas dans les procédures collectives classiques. Nul doute qu’il ne devrait être fait appel que rarement à ces personnes en dehors des listes.
La particularité de la procédure ici étudiée est de ne pas entraîner la nomination obligatoire de deux organes, mais d’un seul, qui assurera les deux offices : celui d’administrateur judiciaire et celui de mandataire judiciaire.
L’article L. 631-9 (N° Lexbase : L8624LQH) s’applique. Or cette disposition rend applicable l’article L. 621-4 (N° Lexbase : L2760LBT), qui autorise le débiteur à choisir son administrateur judiciaire. Faut-il comprendre que le débiteur pourra choisir son mandataire de justice qui exercera tout à la fois la fonction de mandataire judiciaire et d’administrateur judiciaire ?
L’article 13, I, C de la loi du 31 mai 2021 indique que les contrôleurs sont désignés dans les conditions prévues à l'article L. 621-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L7283IZR). Le juge-commissaire désignera, parmi les créanciers qui en font la demande, de un à cinq contrôleurs. Mais, en écartant le deuxième alinéa de l’article L. 621-10, les postes réservés de contrôleurs sont supprimés. C’est logique pour celui occupé par l’AGS qui en fait la demande, puisque l’AGS n’intervient pas dans cette procédure. On notera aussi que le poste réservé aux créanciers publics est également supprimé, alors pourtant que la loi ne fait pas échapper les créanciers publics au plan.
Les règles relatives à l’incessibilité des parts détenues par les dirigeants (C. com., art. L. 631-10 N° Lexbase : L3467ICE) sont applicables. Il en est de même des possibilités d’ordonner des mesures conservatoires sur les biens des dirigeants (C. com., art. L. 631-10-1 N° Lexbase : L3834ISS) et des règles relatives à la rémunération des dirigeants.
En revanche, l’article L. 631-12 (N° Lexbase : L4023HBM), qui précise les missions de l’administrateur judiciaire en redressement judiciaire, est clairement écarté. En effet, le mandataire de justice désigné, qui a la double casquette de mandataire judiciaire et d’administrateur judiciaire, ne peut, en cette dernière qualité, avoir qu’une mission de surveillance. L’emprunt à la sauvegarde est ici évident.
Cet organe, administrateur judiciaire investi d’une mission de surveillance, fera aussi office de mandataire judiciaire ; il aura les fonctions visées à l’article L. 622-20 du Code de commerce (N° Lexbase : L7288IZX) : ce sera donc bien, pendant la période d’observation, le défenseur de l’intérêt collectif des créanciers. En revanche, il n’aura pas, comme nous le verrons, mission de vérifier le passif, tâche centrale d’un mandataire judiciaire, au cœur de sa mission de défense de l’intérêt collectif des créanciers en contrôlant que seuls les vrais créanciers puissent accéder au gage commun et qu’ils n’y accèdent que pour ce qui leur est dû. Sa mission ne saurait dépasser le cadre de la période d’observation, puisque la seule mission d’un mandataire judiciaire susceptible de dépasser cette période, à savoir la mission de vérification du passif, n’existe pas.
L’article 13, II, A de la loi du 31 mai 2021 pose des règles particulières à l’inventaire. L'inventaire du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent est établi dans les conditions prévues aux articles L. 622-6 (N° Lexbase : L2849IXS) et L. 622-6-1 (N° Lexbase : L7986IQT) du Code de commerce. Il faut comprendre que l’on applique ici les règles de la sauvegarde. Le débiteur peut donc demander à réaliser lui-même l’inventaire. La loi va ici plus loin en précisant que le tribunal peut dispenser le débiteur, à sa demande, de procéder à l'inventaire. Cette solution existe dans la sauvegarde accélérée, mais elle est réservée aux seuls débiteurs qui ne sont pas en état de cessation des paiements.
L’alinéa 1er de l’article L. 631-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L3398ICT) est repris par l’article 13 de la loi du 31 mai 2021. Au plus tard au terme d'un délai de deux mois à compter du jugement d'ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d'observation s'il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes.
En pratique, il faudra qu’un rapport soit établi, par le mandataire de justice désigné, pour établir cette situation. On reconnaît là le rapport en cours de période d’observation du redressement judiciaire, au terme d’un délai de deux mois, exigé par l’article L. 631-15 du Code de commerce. Ce rapport n'existe pas en sauvegarde. Pourquoi ? Parce que le débiteur n’est pas en état de cessation de paiements. S’il existe ici dans une procédure empruntant à la sauvegarde, c’est précisément pour tenir compte du fait que le débiteur est en état de cessation de paiements et que l’environnement économique impose de vérifier que son passif ne va pas augmenter pendant la période d’observation.
De même, le tribunal peut ordonner la cessation partielle de l’activité. En revanche, la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire est impossible.
Il est possible, en application de l’article L. 631-16 du code (N° Lexbase : L4027HBR) de demander la clôture de la procédure si le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais de la procédure.
L’article L. 631-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L0721IXY) n’est pas écarté. Par conséquent, si des licenciements économiques sont urgents inévitables et indispensables, ils peuvent être autorisés par le juge-commissaire, mais, précisons-le, le coût de ces licenciements devra être supporté par le débiteur seul, sans intervention de l’AGS, ce qui devrait dissuader le débiteur d’utiliser cette procédure en substitut au redressement judiciaire, s’il a besoin de licencier.
L’article L. 631-14 (N° Lexbase : L7317IZZ) n’est pas écarté. Or ce texte rend applicables les articles L. 622-3 (N° Lexbase : L3862HBN) à L. 622-9, et L. 622-13 (N° Lexbase : L7287IZW) à L 622-33.
S’applique donc notamment l’article L. 622-7 (N° Lexbase : L7285IZT) qui pose la règle de l’interdiction des paiements et de ses exceptions, et l’interdiction des actes de disposition étrangers à la gestion courante. S’applique aussi l’article L. 622-8 (N° Lexbase : L2848IXR) qui régit les ventes de biens grevés de suretés en période d’observation.
Notons que l’application de l’article L. 622-7 oblige à opérer la distinction traditionnelle entre les créanciers soumis à la discipline collective et ceux qui ne le sont pas. Échapperont donc, de manière classique, à la discipline collective, pour bénéficier de la règle du paiement à l’échéance, les titulaires de créances postérieures éligibles au traitement préférentiel, les créanciers postérieurs méritants.
De façon plus générale, les règles de la discipline collective trouvent application dans cette procédure : arrêt des poursuites individuelles et des mesures d’exécution, arrêt du cours des intérêts, arrêt du cours des inscriptions de suretés.
Certaines dispositions qui s’appliquent tant en sauvegarde qu’en redressement judiciaire sont explicitement écartées. L’article 13, A de la loi du 31 mai 2021 indique que « Les III et IV de l'article L. 622-13 (N° Lexbase : L7287IZW), les sections 1, 3 et 4 du chapitre IV et le chapitre V du titre II du livre VI du même code ne sont pas applicables ». Il s’agit sensiblement de la mise à l’écart des mêmes règles que celles qui sont mises à l’écart dans la sauvegarde accélérée. En ce dernier domaine, ce sont les dispositions du III et du IV de l’article L. 622-13 et celles des sections 3 et 4 du chapitre IV du titre II du livre VI qui ne sont pas applicables.
Il faut d’abord comprendre que les règles relatives à l’option sur la continuation des contrats en cours et les règles régissant les suites de cette option (C. com., art. L. 622-13, III et IV) sont inapplicables à la procédure de traitement de la sortie de crise. Les I et II restent applicables. Toutefois, puisqu’on applique ici les règles du redressement judiciaire et non celles de la sauvegarde, les contrats en cours seront continués avec obligation pour le débiteur de payer au comptant, sans pouvoir se prévaloir des délais fournisseurs. Il faut se souvenir que la procédure a été ici ouverte au bénéfice d’un débiteur en état de cessation des paiements.
Pourquoi avoir mis à l’écart les III et IV de l’article L. 622-13, c’est-à-dire les règles régissant la résiliation des contrats à la suite de la mise en demeure du contractant et celles permettant à l’administrateur de mettre fin à un contrat primitivement continué sur option si cette résiliation est nécessaire au sauvetage de l’entreprise ? Parce que, comme dans la sauvegarde accélérée, les délais de la procédure de traitement de la sortie de crise – trois mois maximum - sont inconciliables avec les règles de la mise en demeure sur la continuation des contrats en cours, qui imposent à l’administrateur judiciaire de répondre, alors que les délais de la procédure seront peut-être déjà expirés lorsque le cocontractant se décidera à mettre en demeure l’organe compétent.
Il faut aussi entendre que les règles relatives à la revendication des propriétaires de meubles (C. com., art. L. 624-9 N° Lexbase : L3492ICC et s.) et celles qui régissent la reprise des biens par un EIRL (C. com., art. L. 624-19 N° Lexbase : L8844INU) sont identiquement inapplicables, pour les mêmes raisons : les délais de la procédure de traitement de la sortie de crise sont trop courts pour permettre à de telles actions de prospérer. On notera l’importance de la règle : les vendeurs sous clause de réserve de propriété ne pourront reprendre les biens vendus sous clause et seront soumis aux délais du plan.
En écartant la section du chapitre IV du livre VI du Code de commerce, ce sont les règles des articles L. 624-1 (N° Lexbase : L7294IZ8) à L. 624-4 qui sont rendues inapplicables, c’est-à-dire celles qui régissent la vérification des créances non salariales. En conséquence, et c’est sans doute par rapport à toutes les autres procédures collectives le point le plus saillant, le passif ne sera pas vérifié.
Si le passif non salarial n’est pas vérifié, c’est la suite logique de l’absence de déclaration de créance au passif. L’article 13, II, B de la loi dispose que le débiteur établit la liste des créances de chaque créancier identifié dans ses documents comptables ou avec lequel il est lié par un engagement dont il peut justifier l'existence.
Ainsi, la liste des créanciers établie par le débiteur l’est à partir de ses documents comptables. Si la créance ne figure pas dans les documents comptables, le débiteur devra en prouver l’existence par la démonstration de l’engagement qui a fait naître la créance.
On remarquera la similitude avec le mécanisme de la sauvegarde accélérée.
Le législateur, opportunément, a enjoint au débiteur de faire figurer sur cette liste les mentions des deux premiers alinéas de l’article L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC). Il s’agit du montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. Il s’agit encore des sûretés qui assortissent la créance. Il s’agit enfin de la conversion en euros au jour du jugement d’ouverture des créances libellée en monnaie étrangère. On notera que ce sont les mêmes exigences qui sont posées, dans une procédure collective classique, afin de faire jouer le mécanisme de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier. Si ces exigences sont communes, la finalité n’est pas la même. Il s’agit ici simplement d’apporter une précision suffisante pour permettre la prise en compte des droits des créanciers dans le plan, et non de faire jouer une présomption de déclaration de créance, puisque les créances non vérifiées ne sont pas déclarées. Ainsi, si les règles de la discipline collective s’appliquent aux créanciers autres que postérieurs méritants, c’est à la notable exclusion de l’obligation de déclaration des créances.
La liste des créances fait l'objet d'un contrôle dont les modalités sont fixées par décret en Conseil d’État.
L’article 13, II, C complète les solutions en posant en règle que la liste est déposée au greffe du tribunal par le débiteur. Le mandataire désigné transmet à chaque créancier figurant sur la liste l'extrait de cette liste déposée concernant sa créance. Cette solution est exactement la reprise de celle prévue dans la procédure de sauvegarde accélérée.
Si le créancier est d’accord avec les mentions de la liste le concernant, il n’a rien à faire. S’il n’est pas d’accord, il peut faire connaître au mandataire sa demande d'actualisation des créances mentionnées ou toute contestation sur le montant et l'existence de ces créances. Les délais sont fixés par décret en Conseil d’État.
Le mécanisme est inversé par rapport à une vérification des créances. Ce n’est pas ici le débiteur ou le mandataire qui conteste, ce dernier envoyant un courrier de contestation, mais le créancier.
L’article 13, III, B de la loi indique ce qui se passe ensuite. En cas de contestation par un créancier de l'existence ou du montant de sa créance portée sur la liste établie par le débiteur, le juge-commissaire, saisi par le mandataire désigné, le débiteur ou le créancier, statue sur la créance dans les conditions fixées à l'article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9). Ainsi, le juge-commissaire ne statue que si le créancier a émis une contestation. On peut cependant imaginer que si débiteur et mandataire de justice sont d’accord avec la position du créancier, le mandataire peut le faire savoir, et modifier le contenu de la liste établie par le débiteur, ce qui évitera ainsi le passage devant le juge-commissaire.
La décision d’admission ou de rejet que rend le juge-commissaire a autorité de chose jugée étendue, en ce qu’elle est opposable à toutes les personnes intéressées à la dette et notamment les garants. Tel ne sera pas ici le cas. En effet, l’article 13, III, B de la loi précise que la décision du juge-commissaire n'a d'autorité qu'à l'égard des parties entendues ou convoquées. On comprend donc deux choses. D’une part, devant le juge appelé à connaître de la condamnation au paiement du garant, les exceptions inhérentes à la dette pourront être soulevées. D’autre part, la réclamation contre l’état des créances n’a plus d’intérêt, puisque la décision d’admission ne s’imposera pas à la personne intéressée qui n’est pas une partie.
Les conditions et formes du recours contre sa décision sont fixées par décret en Conseil d'État. Il faut donc s’attendre à ce qu’il ne s’agisse pas du recours porté devant la cour d’appel dans un délai de dizaine de la notification.
Non seulement le passif non salarial n’est pas vérifié, mais encore le passif salarial ne l’est pas davantage. L’article 13, III, A de la loi du 31 mai 2021 indique que le chapitre V du titre II du livre VI est sans application. Sont donc écartées les règles des articles L. 625-1 (N° Lexbase : L3315ICR) et suivants du Code de commerce qui régissent le règlement des créances résultant du contrat de travail. Par conséquent, il n’y a pas d’établissement de relevés de créances salariales, ce qui se justifie aisément : l’AGS n’intervient pas dans cette procédure. Il est donc inutile de rendre opposable le montant des créances salariales aux fins de prise en charge.
Si les règles de fonctionnement de la période d’observation sont celles du redressement judiciaire, en revanche, celles gouvernant l’élaboration et l’exécution du plan empruntent à la sauvegarde.
II. Règles gouvernant l’élaboration et l’adoption du plan
Comme nous l’avons indiqué, la période d’observation ne peut dépasser trois mois. Par conséquent, le plan ne peut être obtenu qu’en trois mois. À défaut, il est mis fin à la procédure collective, comme cela est le cas dans les sauvegardes accélérées et le tribunal ouvre alors un redressement ou une liquidation judiciaire en fonction de la situation. Il est saisi à cette fin par le débiteur, le mandataire désigné ou le ministère public.
C’est donc une procédure collective qui ne peut avoir qu’une issue : un plan de sauvetage. À défaut, une autre procédure collective s’imposera.
C’est le débiteur qui élabore le plan de sauvetage, avec l’assistance du mandataire de justice. Il y a donc là emprunt aux règles de la sauvegarde, et non du redressement judiciaire.
Alors que la procédure est ouverte au bénéfice d’un débiteur en état de cessation des paiements, le plan ne peut, selon l’article 13, IV, A de la loi du 31 mai 2021, « comporter de dispositions relatives à l'emploi que le débiteur ne pourrait financer immédiatement ». Il ne pourra donc pas y avoir de restructurations sociales non financées immédiatement par le débiteur, car l’AGS n’intervient pas dans cette procédure. Il est donc très clair que si le débiteur doit licencier et qu’il n’a pas la trésorerie pour le faire, il devra passer par un redressement judiciaire.
L’article 13, IV, A indique que « le mandataire désigné exerce les fonctions confiées au mandataire judiciaire par le même chapitre VI ». La formulation surprend car, en droit commun, une fois le plan adopté, la mission du mandataire judiciaire prend fin, ce dernier ne restant en fonction que pour terminer la vérification du passif. Or cette mission n’existe pas ici. Il faut donc plutôt comprendre que le mandataire de justice désigné exercera les fonctions de commissaire à l’exécution du plan, sans particularité.
Ce qui va servir de base à la consultation des créanciers est la liste établie par le débiteur, comme cela est le cas dans la sauvegarde accélérée. L’article 13, IV, D de la loi énonce en ce sens que « les engagements pour le règlement du passif, mentionnés à l'article L. 626-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2756LBP), peuvent être établis sur la base de la liste prévue au B du présent II, actualisée le cas échéant, dès lors que ces créances ne sont pas contestées ». Il n’est pas ici question de tenir compte du passif soumis à déclaration, comme dans une procédure de sauvetage classique, mais seulement du passif indiqué par le débiteur, dès lors qu’il n’est pas contesté par le créancier. Le passif contesté, qui donnera lieu à une décision du juge-commissaire, ne pourra faute de temps être mentionné dans le plan. Il sera néanmoins payé dans le cadre du plan. Il sera prudent d’indiquer dans le jugement d’adoption du plan comment le passif contesté, mais admis par le juge-commissaire, sera payé.
Pour le surplus, l’article 13, IV, A de la loi précise que « Le tribunal arrête le plan dans les conditions prévues au chapitre VI du titre II du livre VI du Code de commerce, sous réserve du présent article ». Il s’agit donc d’appliquer les règles des articles L. 626-1 (N° Lexbase : L7296IZA) et suivants du Code de commerce, et notamment les règles relatives à la consultation des créanciers. Il ne s’agira ici que de la consultation individuelle des créanciers, du fait des seuils de la procédure collective de traitement de sortie de crise. La procédure de consultation des créanciers publics aux fins de remises de dettes est applicable. Le plan ne pourra avoir une durée supérieure à dix ans, sauf pour les agriculteurs.
Les dispositions arrêtant le plan bénéficient aux garants personnes physiques du débiteur. On applique donc aux garants d’un débiteur en état de cessation des paiements les règles qui profitent aux garants personnes physiques d’un débiteur en sauvegarde.
Les règles de paiement des dividendes seront celles classiquement appliquées dans la sauvegarde et qui sont, au demeurant, communes au redressement judiciaire. Quelques solutions particulières sont cependant posées.
En droit commun de la sauvegarde et du redressement judiciaire, les créances non déclarées sont inopposables pendant la durée du plan et restent « inopposables au débiteur » après la complète exécution du plan (C. com., art. L. 622-26, al. 2 N° Lexbase : L8103IZ7). Au contraire, dans la procédure de traitement de sortie de crise, l’article 13, IV, B de la loi prévoit que « le plan ne peut affecter que les créances mentionnées sur la liste prévue au B du II du présent article, nées antérieurement à l'ouverture de la procédure ». Par conséquent, si le débiteur, par omission ou par choix – cas du fournisseur stratégique –, n’a pas mentionné l’existence d’une créance sur la liste établie à l’ouverture de la procédure, cette créance sera écartée du plan et le créancier échappera alors à la discipline collective pour le paiement de cette créance, une fois le plan adopté. En d’autres termes, la durée de la discipline collective, pour ce créancier reste limitée à la période d’observation. Une fois le plan adopté, le créancier peut être payé à l’échéance et recouvre son droit de poursuite individuelle. Le débiteur devra donc être vigilant lors de l’établissement de liste de ses créances.
Du fait que le passif salarial n’est pas pris en charge par l’AGS, le débiteur doit le payer. Le législateur prend le soin de préciser que le plan ne peut affecter les créances nées d'un contrat de travail. Les salariés non payés avant le jugement d’ouverture et non payés au jour de l’adoption du plan retrouvent leur droit de poursuites individuelles, qu’ils avaient semble-t-il, mais rien n’est moins sûr, perdu, faute de dérogation à l’article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3452ICT), par l’effet de l’ouverture de la procédure collective, même si, nous l’avons dit, le débiteur a conservé, semble-t-il, le droit de les payer.
Conformément au droit commun, le plan ne peut davantage affecter les créances alimentaires. Il ne peut non plus avoir d’impact sur les créances d'un montant inférieur à une somme fixée par décret en Conseil d'État.
Enfin, une dernière particularité mérite d’être relevée : selon l’article 13, IV, C de la loi « le montant des annuités prévues par le plan à compter de la troisième ne peut être inférieur à 8 % du passif établi par le débiteur ». En droit commun des plans de sauvegarde et de redressement, ce pourcentage est de 5%. La formulation du texte semble interdire aux créanciers la possibilité d’accepter des remboursements plus faibles, contrairement aux règles établies en matière de plans classiques.
Au final, nous sommes donc en présence d’une procédure volontariste, profitant à un débiteur à la tête d’une petite entreprise en état de cessation des paiements, désireux d’éviter le redressement judiciaire. Il sait qu’il ne pourra obtenir l’assistance de l’AGS et devra seul faire face au passif salarial et aux conséquences financières induites par des licenciements économiques.
Il bénéficiera d’une procédure simplifiée, éclair, fonctionnant globalement comme la sauvegarde ou le redressement judiciaire, mais sans vérification de passif, qui lui permettra d’obtenir un plan au bout de trois mois maximum, qui obéira aux règles classiques des plans de sauvegarde ou de redressement, sous réserve de l’absence de prise en charge du passif délictuel dans le plan et du fait qu’il lui faudra être vigilant dans l’établissement de la liste de ses créances pour pouvoir les soumettre au plan.
Dans ce savant mélange de sauvegarde de droit commun, de sauvegarde accélérée et de redressement judiciaire, un doute subsiste dans la composition : l’actif disponible suffisant pour payer les salariés, dont on mesure encore assez mal l’apport au cocktail. La dégustation renouvelée, avec modération, nous permettra peut-être de mieux appréhender la subtilité... du produit.
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Réf. : Cass. civ.2, 4 mars 2021, n° 19-21.579, F-P (N° Lexbase : A01414KG)
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par Yannick Joseph-Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes - Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble en charge de la prépa ENM - Membre du Centre de Recherches Juridiques - EA 1960
Le 23 Juillet 2021
Mots-clés : conseiller de la mise en état • déféré • procès équitable • droit à un tribunal impartial • récusation • appel •intérêt à agir • jugement mixte • absence de signification • délais • acquiescement au jugement.
L’arrêt rendu le 4 mars 2021 par la Cour de cassation est riche d’enseignements et de rappels utiles, qu’il s’agisse des conséquences pour le plaideur de ne pas avoir récusé son juge dans les temps, des règles relatives à l’appel des jugements mixtes ou encore de l’appréciation de l’acquiescement implicite au jugement.
En l’espèce, une station d'épuration ainsi qu’un château d’eau sont construits, à l’initiative de la commune du Diamant, située sur l’île de la Martinique, sur une parcelle de terrain dont la propriété est revendiquée par la société Cofic qui, s’estimant victime d'une voie de fait sur sa parcelle, assigne en réparation la commune du Diamant devant un tribunal de grande instance le 16 octobre 2007, et attrait en intervention forcée, le 7 juillet 2009, devant cette même juridiction, le syndicat intercommunal du centre et du sud de la Martinique (le syndicat intercommunal), auquel la commune du Diamant prétend avoir transféré les compétences d'assainissement sur le terrain de la société Cofic.
Par jugement du 20 avril 2010, le tribunal dit que la prise de possession du terrain appartenant à la société Cofic est constitutive d'une voie de fait imputable à la commune du Diamant, rejette la demande tendant à voir constater que la compétence d'assainissement a été transférée au syndicat intercommunal, ainsi que le moyen tiré de la déchéance quadriennale opposé par la commune du Diamant à la demande d'indemnisation présentée par la société Cofic, et, avant dire droit, ordonne une expertise sur l'évaluation du préjudice.
Par jugement du 19 novembre 2013, le tribunal condamne la commune du Diamant à payer à la SARL Cofic une somme à titre d'indemnisation de la voie de fait commise sur la parcelle dont elle revendique la propriété, outre les intérêts.
Le syndicat intercommunal interjette appel de ce jugement le 12 juin 2014, ainsi que la commune du Diamant. Le conseiller de la mise en état déclare irrecevable l’appel du syndicat intercommunal, et par suite, l’appel incident de la commune du Diamant. Cette ordonnance du conseiller de la mise en état est infirmée par la cour d’appel de Fort-de-France statuant sur déféré, laquelle déclare l’appel du syndicat intercommunal recevable par arrêt du 22 novembre 2016.
Le 16 juillet 2015, la commune du Diamant interjette appel du jugement rendu le 20 avril 2010 par le tribunal de grande instance, lequel est déclaré recevable par le conseiller de la mise en état dans une ordonnance du 15 décembre 2016, tout comme l'appel incident du syndicat intercommunal qui, selon la cour d’appel, a intérêt à discuter les prétentions de la SARL Cofic, même dirigées à l'encontre de la seule commune du Diamant, puisqu'il serait susceptible d'en supporter les conséquences en vertu des dispositions du Code général des collectivités territoriales, et alors même qu’elle constate dans sa décision que le jugement entrepris n'a prononcé aucune condamnation contre le syndicat et l'a même mis hors de cause. La cour d'appel rejette les demandes de sursis à statuer et d'irrecevabilité des conclusions de la société Cofic qui soulevaient, notamment, la nullité de l’ordonnance déférée en raison de la participation du conseiller de la mise en état à la formation de jugement, alors que ce dernier avait statué en déféré contre une autre ordonnance rendue entre les mêmes parties dans l'autre instance d'appel concernant le jugement du 19 novembre 2013, et qu'étaient repris dans l'ordonnance déférée certains éléments de motivation de l'arrêt rendu dans l'autre instance. Statuant sur déféré, la cour d'appel confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions dans son arrêt du 14 décembre 2017.
La société Cofic forma alors un pourvoi en cassation au sein duquel elle fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé, tout d’abord, l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (droit à un tribunal impartial), en ayant confirmé l'ordonnance déférée et en ayant refusé de l'annuler alors même que l’arrêt a été rendu par une formation comportant en son sein un magistrat qui avait préalablement porté une appréciation sur les faits en litige (premier moyen) ; ensuite, les articles 544 (N° Lexbase : L6695H74) et 545 (N° Lexbase : L6696H77) du Code de procédure civile, en ayant confirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré recevable l'appel principal de la commune du Diamant à l'encontre du jugement du 20 avril 2010, alors « que l'appel d'un jugement mixte est irrecevable s'il est interjeté après l'appel du jugement statuant sur le fond » ; enfin, les dispositions des articles 31 et 546 du Code de procédure civile, en ayant confirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré recevable l'appel incident du syndicat intercommunal, alors même que, selon elle, ce dernier ne disposait d’aucun intérêt à agir contre un arrêt qui ne lui faisait pas grief.
Dans son arrêt rendu le 4 mars 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 546 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6697H78), prononce la cassation partielle de l’arrêt rendu le 14 décembre 2017 par la cour d’appel de Fort-de-France aux motifs que le syndicat intercommunal était dépourvu d’intérêt à interjeter appel dès lors que le jugement entrepris n'avait prononcé aucune condamnation à son encontre, et que ce dernier, qui n'était pas comparant en première instance, n'avait formulé aucune demande devant le tribunal. Les deux autres moyens au pourvoi sont rejetés par la Cour de cassation qui considère, d’une part, qu’en s’abstenant de solliciter, en application de l’article 342 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6751LER), la récusation du magistrat, alors que la composition collégiale de la juridiction était connue à l’avance, la partie a renoncé à s’en prévaloir, de sorte qu’elle ne peut être recevable à invoquer devant la Cour de cassation la violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; d’autre part, que la cour d'appel a fait une exacte application des textes en retenant que l'article 545 du Code de procédure civile, interprété comme imposant de former appel le même jour du jugement avant dire droit et du jugement sur le fond, n'était pas applicable au jugement du 20 avril 2010, ce texte concernant les jugements « autres » que ceux visés par l'article 544 du même code. Elle a donc eu raison d’en déduire, après avoir constaté que le jugement n'avait pas été signifié, que le délai d'appel n'avait pas commencé à courir et que l'appel de la commune du Diamant était recevable.
L’arrêt rendu le 4 mars 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est riche d’enseignements, mais également de rappels qui ne sont pas inutiles. Il en est ainsi bien évidemment des conditions dans lesquelles l’impartialité du tribunal peut être remise en question, et des voies de droit offertes au justiciable pour redresser cette situation et garantir le respect de son droit à un procès équitable (I), mais également des règles qui conditionnent la recevabilité de l’appel, lesquelles ne sont pas toujours aisément identifiables, notamment en présence de jugements mixtes (II).
I. Ne pas agir en récusation à temps, c’est renoncer à son droit à un tribunal impartial
À la lecture de l’arrêt, l’on comprend que la Cour de cassation ne nie pas, qu’en l’espèce, le Conseiller de la mise en état avait porté une appréciation juridique de nature à faire douter de son impartialité lorsqu'il a siégé ensuite en formation collégiale dans le cadre du déféré qui a été soumis à la cour d’appel (A), mais se contente d’esquiver le problème en recourant à une jurisprudence bien établie qui consiste à reprocher au plaideur de ne pas avoir fait usage de la procédure de récusation offerte par l’article 342 du Code de procédure civile, pour en déduire qu’il a « donc ainsi renoncé à s'en prévaloir » (B).
A. Qui préjuge ne saurait juger…
Le respect du droit à un procès équitable débute par le respect du droit fondamental reconnu à toute personne à ce que sa cause entendue par un tribunal impartial. Bien que la jurisprudence ait refusé de voir dans la participation du conseiller de la mise en état à la formation collégiale statuant en déféré sur les ordonnances qu’il a rendues un élément suffisant, à lui seul, à faire douter de la partialité de ladite formation (1), cette solution est aujourd’hui largement dépassée, comme en témoigne l’arrêt rendu le 4 mars 2021 par la Cour de cassation (2).
1) L’absence de partialité du « tribunal » résultant de la présence du conseiller de la mise en état dans la formation collégiale statuant en, déféré, sur les ordonnances dont il est l’auteur
Il est admis que la partialité peut résulter dans la connaissance, par le juge, des mêmes faits pour les mêmes parties à des instances différentes, soit que l’on se trouve dans des instances qui se succèdent dans le temps, soit successivement, soit en parallèle. De ce point de vue, il est classiquement enseigné qu’un même juge ne peut pas connaître deux fois de la même affaire, pour les mêmes faits et pour les mêmes parties car, en pareille hypothèse, il y a risque de préjugement au fond de l’affaire. Bien évidemment, la question s’est rapidement posée de savoir s’il était possible, pour le conseiller de la mise en état, de participer à la formation qui statue en déféré sur les décisions qu’il a rendues. Dans la droite ligne de la jurisprudence « Morel » [1], la Cour de cassation a considéré, dans un premier temps, que, partant de ce que le rôle du conseiller de la mise en état est d’instruire le dossier et de le mettre en état, sa fonction « « ne le met pas en état » de partialité puisqu’il s’agit de régler des questions de procédure distinctes de celles qui sont traitées au fond par le tribunal. [2] La solution se justifiait aisément dans le cas particulier du déféré par le fait que la Cour de cassation considérait – et considère encore [3] – que le déféré n’est pas un recours au sens de l’article 763 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8601LY9) . Toutefois, cette position a été dépassée avec les arrêts « Le Grand Galion » [4] et « Laye » [5] au sein desquels la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a affirmé, au visa de l’alinéa 5 de l’article 341 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6752LES), qu’à compter de l’instant où « la composition de la formation de jugement appelée à connaître du déféré étant connue du syndicat des copropriétaires, celui-ci n'est pas recevable à invoquer, devant la Cour de Cassation la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il avait la possibilité de récuser le conseiller de la mise en état et qu'il s'en est abstenu » ; solution ultérieurement entérinée par l’Assemblée plénière avec l’arrêt« Comet » . [6]
En admettant que la procédure de récusation pouvait être engagée à l’encontre du conseiller de la mise en état, la Cour de cassation admettait donc que le conseiller de la mise en état pouvait devenir partial dès lors qu’il avait porté, à un moment de la procédure, une appréciation juridique de nature à faire douter de son impartialité lorsqu'il siège, ensuite, dans la formation collégiale statuant sur la requête déférée à la cour contestant l’ordonnance dont il est l’auteur. Tel est le cas lorsque la motivation donnée par le conseiller de la mise en état laisse penser qu'il s’est forgé une conviction de nature à influencer l'opinion qu'il serait conduit à émettre lors de l'examen au fond. En l’espèce, nul ne sait réellement si tel était le cas dès lors que la demanderesse, dans son pourvoi, relevait simplement que le conseiller de la mise en état dont l'ordonnance était déférée avait préalablement siégé au sein de la formation collégiale qui avait connu du déféré d'une autre ordonnance prise dans le cadre d’une autre instance d'appel pour les mêmes faits et entre les mêmes parties concernant le jugement du 19 novembre 2013, et qu'il était également relevé qu'étaient repris, dans l'ordonnance déférée, certains éléments de motivation de l'arrêt rendu dans l'autre instance. La simple reprise d’éléments de motivation de l’arrêt rendu dans l’autre instance suffit-elle à démonter objectivement la partialité du magistrat auteur des deux décisions ? Pour la cour d’appel, tel n’était pas le cas puisqu’elle a considéré que la « reprise de la motivation d'un arrêt rendu préalablement entre les mêmes parties ne démontrait en aucune façon la partialité » du magistrat auteur des deux décisions. Pourtant, la motivation de l’arrêt d’appel étonne au regard de la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 10 septembre 2009.
2) La partialité du « tribunal » résultant de la présence du conseiller de la mise en état dans la formation collégiale statuant, en déféré, sur les ordonnances dont il est l’auteur
Dans un arrêt du 10 septembre 2009, la Cour de cassation, au seul visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, a admis que la seule présence du conseiller de la mise en état dans la formation statuant sur la requête déférée à la cour (CPC, art. 914, al. 2 N° Lexbase : L7247LE7)contestant l’ordonnance, rendue par lui, ayant déclaré irrecevable l’appel principal porte atteinte au droit à un tribunal impartial garanti par ce texte.[7] Avec la solution retenue dans cette décision, finalement peu importe que le conseiller de la mise en état ait porté ou non une appréciation juridique de nature à faire douter de son impartialité lorsqu'il siège dans la formation collégiale statuant sur la requête déférée à la cour, contestant l’ordonnance dont il est l’auteur, sa seule présence au sein de cette formation collégiale est légitime à faire naître un doute sur son impartialité dans l’esprit du justiciable, et lui ouvrir les portes de la récusation. S’il s’agit assurément d’une jurisprudence sévère en ce qu’elle oblige les chefs de juridiction à jongler avec la distribution des affaires pour empêcher que l’organisation et la composition des différentes formations des juridictions ne génèrent des situations dans lesquelles l’impartialité du tribunal ou de l’un de ses membres ne pourrait être mise en doute, ce qui est un exercice particulièrement complexe dans un contexte de pénurie des personnels judiciaires, elle apparaît surtout discutable par son visa ! En effet, comment justifier, dans l’arrêt du 10 septembre 2009, comme ceux qui suivront d’ailleurs, y compris l’arrêt du 4 mars 2021 commenté, l’application à la récusation des règles du procès équitable s’agissant d’une procédure qui ne constitue pas à première vue une accusation en matière pénale, ni la contestation d’un droit ou d’une obligation à caractère civil ? Des éclaircissements de la part de la Haute Juridiction seraient plus que souhaitables ! Par ailleurs, si le niveau de garantie de l’impartialité de la formation collégiale statuant sur la requête en déféré des ordonnances du conseiller de la mise en état s’accroît à l’aune de cette jurisprudence, le sentiment d’une meilleure protection du droit à un tribunal impartial fond comme neige au soleil lorsque l’analyse des arrêts rendus par la Haute juridiction sur la question, et dans la droite ligne duquel l’arrêt du 4 mars 2021 commenté s’inscrit, montre qu’il est possible, aux yeux de la Cour de cassation, plus haute autorité judiciaire de notre pays, et donc, gardienne des libertés fondamentales si l’on en croit l’article 66 de la Constitution, de déduire de l’absence de la possibilité offerte au justiciable de récuser son juge dès que la cause de récusation a été découverte, un renoncement de ce dernier à son droit à un tribunal impartial, autrement dit, à son droit un procès équitable.
B. … Sauf accord implicite de la partie concernée
En effet, la solution retenue par la Cour de cassation, dans l’arrêt du 4 mars 2021, tend à confirmer une jurisprudence bien établie selon laquelle, si le plaideur n’a pas sollicité la récusation de son juge dès la découverte de la cause de récusation, il est réputé avoir renoncé à son droit à un tribunal impartial. Cette solution jurisprudentielle, si elle est conforme aux textes applicables en la matière (1) semble excessive et quelque peu déconnectée des réalités de la pratique au regard des dispositions de l’article 339 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1515LSW) (2).
1) Une solution conforme aux textes encadrant le droit de récusation
Si la partialité du tribunal ouvre, en droit interne, la voie de la récusation au plaideur (CPC, art. 343 N° Lexbase : L6750LEQ à 349 N° Lexbase : L6744LEI), encore faut-il qu’il use de cette faculté dès que la cause de récusation est découverte, que ce soit en dehors de l’audience (CPC, art. 344, al. 1 N° Lexbase : L6749LEP) ou à l’audience (CPC, art. 344, al. 2). Ce principe est gravé dans le marbre de l’article 342 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6751LER) depuis l’entrée en vigueur du décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975 (N° Lexbase : L8919IRR) instituant un nouveau Code de procédure civile, et ni le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 (N° Lexbase : L9637HT4) relatif à la matière successorale et modifiant certaines dispositions de procédure civile, ni le récent décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2664LEE) portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la procédure civile ne sont venues modifier le contenu de ce texte. De ce point de vue, en rappelant à la demanderesse au pourvoi que « les débats ayant eu lieu devant une formation collégiale dont la composition était nécessairement connue à l'avance de la partie représentée par son avocat, celle-ci n'est pas recevable à invoquer devant la Cour de cassation la violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle n'a pas fait usage de la possibilité d'en obtenir le respect en sollicitant, en application de l'article 342 du Code de procédure civile », la Cour de cassation fait une exacte application des textes. La solution peut paraître sévère à l’égard des parties, notamment au regard des enjeux (nous parlons ici ni plus ni moins du respect au droit à un procès équitable), mais elle se comprend aisément à la lecture d’un autre texte de grande importance : l’article 339 du Code de procédure civile.
2) Récusation versus abstention
Selon l’article 339 du Code de procédure civile, « Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience ne pas devoir connaître de l’affaire peut s’abstenir ». En d’autres termes, la question de la récusation ne se pose aux parties que dans l’hypothèse où le juge ne s’est pas abstenu, alors même qu’il connaît la cause de récusation bien avant les parties, ce qui était le cas en l’espèce. Le conseiller de la mise en état ne pouvait pas ignorer qu’il avait déjà jugé de l’affaire, même si les deux procédures étaient formellement distinctes, dès lors que le lien de connexité était évident et connu des avocats qui représentaient les parties. Or, ce texte, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-913 du 30 août 2019 (N° Lexbase : L8789LRX) pris en application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC), dispose que « Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre juge que désigne le président de la juridiction à laquelle il appartient ». L’article 339 du Code de procédure civile met ainsi en exergue le fait que la partialité du tribunal n’est pas seulement le problème des parties, mais également celui du service public de la justice. Il ne nous semble pas possible, comme le fait la Cour de cassation, de remettre entièrement entre les mains des parties la responsabilité de contester le choix de la composition qui va juger de leur affaire, notamment dans les cas où la partialité dérive des nécessités managériales de la juridiction, ce qui semble être le cas en l’espèce, et que, si en principe, il est possible d’obtenir la composition de la juridiction auprès du greffe, en pratique, c’est bien souvent quelques instants avant l’audience, lors de l’affichage du bulletin, que les avocats prennent réellement connaissance de la composition de la juridiction, et qu’ils peuvent se trouver saisis du problème, soit au dernier moment, sans compter qu’il arrive que la composition de la juridiction soit modifiée au dernier moment. En d’autres termes, c’est précisément juste avant de plaider l’affaire au fond que l’avocat va devoir soulever l’incident, ce qui est loin d’être simple en pratique… De ce point de vue, considérer comme le fait la Cour de cassation, que le plaideur a renoncé au droit à un tribunal impartial parce qu’il n’a pas réagi dans l’instant confine à la fiction. Du côté des magistrats, la modification de l’article 339 du Code de procédure civile les place face à un dilemme : s’abstenir de siéger et/ou de statuer pour garantir le droit à un tribunal impartial ou considérer que, de ce droit ils ne sont pas redevables, ce qui est contraire à l’article 66 de la Constitution, et qu’ils leur incombent, dans l’ordre des priorités, de faire passer les impératifs du service avant ? De ce point de vue, il nous semble que la rédaction de l’article 19 du décret n° 2019-913 du 30 août 2019 est maladroite. Il aurait été plus opportun, dans l’intérêt des magistrats et des parties, d’introduire une obligation d’abstention pour le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience ne pas devoir connaître de l’affaire.
II. L’exercice du droit d’appel : quelques rappels utiles
Avec l’arrêt du 4 mars 2021, la Cour de cassation rappelle quelques fondamentaux utiles en ce qui concerne l’exercice du droit d’appel, qu’il s’agisse de l’exigence d’un intérêt à interjeter appel de l’appelant (A) ou des règles particulières régissant l’appel des jugements mixtes (B).
A. Irrecevabilité de l’appel, faute d’intérêt à interjeter appel de l’appelant
Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle que, pour être recevable en son appel, l’appelant doit avoir un intérêt à interjeter appel (1), lequel doit être direct et personnel (2).
1) L’intérêt à interjeter appel
Si en principe, les personnes ayant été parties en première instance peuvent interjeter appel du jugement, il n’est toutefois pas acceptable qu’une personne puisse saisir la cour sans attendre de celle-ci une amélioration du sort qui lui a été réservé par le premier jugement. C’est précisément la raison pour laquelle le législateur encadre l’exercice du droit d’appel par un certain nombre de conditions de fond et de forme, dont l’intérêt à agir de l’appelant. En application de l’article 546 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6697H78), « le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt […] ». Il est classiquement admis que l’intérêt à interjeter appel ressort du profit, de l’avantage que l’appel est susceptible de procurer à l’appelant, ce qui pose, en définitive, la question de l’utilité de sa demande [8]. Il est possible de rechercher l’existence d’un intérêt à interjeter appel dans l’appréhension de la notion de succombance. Celui qui a succombé, même partiellement, a intérêt à poursuivre pour obtenir un résultat plus avantageux [9], ce qui induit que celui qui n’a pas succombé ne peut, en principe, interjeter appel du jugement de première instance au motif qu’il est dépourvu d’intérêt à agir. Nous ne sommes toutefois pas en présence d’une interdiction de principe, et il est admis qu’il ne s’agit que d’une présomption d’absence d’intérêt à interjeter appel d’une décision dont la jurisprudence considère qu’elle n’est pas irréfragable, ce qui autorise l’appelant à prouver qu’il conserve un intérêt à appeler d’une décision qui, en apparence, lui a donné satisfaction ou ne lui cause aucun grief [10].
En l’espèce, le syndicat intercommunal fondait son intérêt à agir sur le fait qu'il serait susceptible de supporter les conséquences de la condamnation de la commune du Diamant en vertu des dispositions du Code général des collectivités territoriales. Il est vrai que, sur le fondement des dispositions des articles L. 1321-1 (N° Lexbase : L9584DNB) et L. 1321-2 (N° Lexbase : L2867LNI) du Code général des collectivités territoriales, le transfert de compétence d’une commune à un syndicat intercommunal entraîne de plein droit la mise à disposition des biens meubles et immeubles utilisés pour l’exercice de cette compétence, la collectivité bénéficiaire devant, dès lors, assumer l’ensemble des obligations de la commune. Pour la cour d’appel, dès lors que le jugement entrepris condamnait la commune du Diamant au paiement de dommages et intérêts en réparation d’une voie de fait commise sur une parcelle appartenant à la Cofic, et sur laquelle la commune a fait édifier une station d’épuration, l’intérêt à agir du syndicat intercommunal était démontré. Pour le juge d’appel, dès lors que le syndicat était destiné à assumer la condamnation prononcée à l’encontre de la commune du Diamant, sauf infirmation du jugement en appel, il était certain que le respect des dispositions légales relatives à l’organisation des collectivités publiques constituait un intérêt supérieur pour lui, même s’il n’avait pas été condamné en première instance. Ce raisonnement est sanctionné dès lors que l’intérêt à interjeter appel doit être direct et personnel !
2) Un intérêt à interjeter appel direct et personnel
L'article 546, alinéa 1er, du Code de procédure civile est une application particulière de la règle « pas d’intérêt, pas d'action », valable pour toutes les actions en justice [11]. Pour que l’intérêt soit direct, il faut, qu’au jour de l’appel [12], le jugement de première instance cause un grief à l'appelant [13]. De facto, l’intérêt à interjeter appel sera considéré comme direct et personnel toutes les fois où une partie aura été condamnée ou, de façon plus générale, aura succombé dans tout ou partie de ses prétentions formulées en première instance. Or, en l’espèce, tel n’était pas le cas. Comme le faisait valoir la demanderesse dans son pourvoi, un syndicat intercommunal prétendument bénéficiaire d’un transfert de compétence n'a pas vocation à veiller de façon abstraite au respect de la loi indépendamment de son intérêt propre ! En justifiant l’intérêt du syndicat à faire appel d’un jugement qui ne lui faisait pas grief, aux motifs qu’il aurait intérêt à faire assurer le respect des dispositions légales relatives à l’organisation des collectivités publiques par la détermination, en cas de condamnation, de l’exact débiteur de celle-ci, le raisonnement des juges d’appel entrait nécessairement en contradiction avec les dispositions des articles 31 (N° Lexbase : L1169H43) et 546 du Code de procédure civile. Le moyen au pourvoi soulevé par la demanderesse qui contestait la recevabilité de l’appel du syndicat intercommunal pour défaut d’intérêt à interjeter appel est accueilli favorablement par la Cour de cassation qui, au visa de l’article 546 du Code de procédure civile, rappelle que, si le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt si elle n'y a pas renoncé, l'intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance, et qu’en l’espèce, non seulement le jugement rendu par le tribunal de grande instance n’avait prononcé aucune condamnation à l'encontre du syndicat intercommunal, mais en outre, ce dernier, qui n'était pas comparant en première instance, n'avait formulé aucune demande devant le tribunal, de sorte que le syndicat intercommunal n'avait aucun intérêt à interjeter appel.
B. Tardiveté de l’appel d’un jugement mixte : « à nos actes manqués »
Dans l’arrêt du 4 mars 2021, si la Cour de cassation rappelle le régime de l’appel applicable aux jugements mixtes (1), lequel ne doit pas être confondu avec celui des jugements avant dire droit, elle esquive toutefois le moyen au pourvoi qui arguait de l’existence d’un acquiescement au jugement que la cour d’appel avait manqué de vérifier (2).
1) Le régime de l’appel des jugements mixtes
De la qualification du jugement dépend l'ouverture immédiate d'une voie de recours et l'autorité de la décision. Un jugement mixte est, par nature, un jugement au sein duquel le tribunal a statué partiellement sur une partie des demandes, et ordonné, avant dire droit, une mesure d’instruction ou provisoire qui doit porter sur la demande partiellement tranchée, sans quoi il s’agit d’un jugement susceptible d’appel portant uniquement sur ce chef. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le jugement rendu le 20 avril 2010 est un jugement mixte dès lors qu’il constate, au fond, une voie de fait imputable à la commune du Diamant, et rejette la demande tendant à voir constater que la compétence assainissement a été transférée au syndicat intercommunal du centre et du sud de la Martinique, ainsi que le moyen tiré de la prescription quadriennale opposée par la commune du Diamant à la demande d’indemnisation formulée par la société Cofic ; et il est avant dire droit en ce qu’il ordonne une mesure d’expertise préalablement à l’évaluation de l’indemnité due à la Cofic. Les modalités de l’appel de ce type de jugement sont fixées par l’article 544 du Code de procédure civile qui permet l’appel immédiat des jugements mixtes suivant les modalités de droit commun des articles 528 (N° Lexbase : L6676H7E) et 538 (N° Lexbase : L6688H7T) du même code, soit dans le délai d’un mois à compter de sa signification. Reste qu’en l’espèce, le jugement du 20 avril 2010 n’avait jamais été signifié, de sorte que le délai butoir de l’article 528-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6677H7G), en vertu duquel « Si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai » semblait interdire à la commune du diamant la possibilité d’interjeter appel de cette décision, lequel intervenait plus de cinq ans après la date du jugement (appel interjeté le 16 juillet 2015).
Reste que l’article 528-1 du Code de procédure civile n’est applicable qu’aux jugements qui tranchent tout le principal, et à ceux qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, mettent fin à l'instance. Or, par définition, un jugement mixte n’est pas un jugement qui « tranche tout le principal » puisque la saisine du juge ne sera épuisée, en l’espèce, qu’une fois le jugement du 19 novembre 2013, par lequel il sera statué sur le montant de l’indemnité due au titre de la voie de fait commise sur la parcelle de terrain dont la propriété était revendiquée par la Cofic, prononcé. Reste que la question pouvait se poser de savoir si l’appelant n’aurait pas dû interjeter appel, d’abord, du jugement du 20 avril 2010, pour ensuite interjeter appel du jugement rendu le 19 novembre 2013 ? C’est ce que soutenait la demanderesse au pourvoi qui arguait que de ce que l’appel d’un jugement mixte est irrecevable s’il est interjeté après l’appel du jugement statuant sur le fond, et qu’en ayant décidé le contraire, la cour d’appel aurait violé par fausse interprétation les articles 544 et 545 du Code de procédure civile. La règle est pourtant simple ! Le régime de l’appel des jugements mixtes est défini à l’article 544 du Code de procédure civile, il ne saurait donc leur être appliqué celui de l’article 545 du même code qui vise, notamment, les jugements avant dire droit, ce que n’était pas le jugement rendu le 20 avril 2010.
2) L’irrecevabilité de l’appel fondé sur l’acquiescement au jugement
Se posait alors la question, plus sérieuse peut-être, de l’acquiescement au jugement du 20 avril 2010 par la commune du Diamant ? Il est en principe admis que, sauf disposition expresse, législative ou réglementaire, l’acquiescement au jugement n’est pas possible. À notre connaissance, il n’existe qu’une seule prohibition de ce type : celle prévue à l’article 1120 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1115IGE), dans sa rédaction issue du décret n° 75-1124 du 5 décembre 1975, en vertu duquel « Un majeur protégé ne peut acquiescer au jugement de divorce, ou se désister de l'appel, qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ». Hors ce cas de figure très particulier, il est donc possible pour les parties d'adhérer implicitement au jugement en laissant expirer, sans exercer de voies de recours, les délais pendant lesquels elles peuvent attaquer cette décision. A priori, il suffirait donc de ne pas intenter les recours ouverts contre le jugement pour obtenir un même résultat. L'identité de résultat ne signifie cependant pas, pour la Cour de cassation, que l'expiration du délai pour exercer une voie de recours puisse, à elle seule, emporter acquiescement au jugement [14]. En pratique, toute la difficulté réside dans l’appréciation de l’existence d’un tel acquiescement. L’article 410 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6511H7B) dispose que « l'acquiescement peut être exprès ou implicite. L'exécution sans réserve d'un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n'est pas permis ». Dans le premier cas, c'est-à-dire lorsque la volonté d'acquiescer est expresse, aucune autre formalité n'est en principe exigée [15]. Mais, lorsque le code vise une volonté implicite d'acquiescer, la formule qu'il retient dans ce second cas impose néanmoins de caractériser l'intention non équivoque de l'intéressé d'acquiescer, de sorte qu'un acquiescement ne peut s'induire à partir de simples présomptions [16]. L’acquiescement implicite doit donc résulter d'actes ou de faits démontrant avec évidence et sans équivoque l'intention de la partie à laquelle on l'oppose [17].
En l’espèce, c’est bien l’argument qui était soulevé par la demanderesse. Elle reprochait à la cour d’appel d’avoir examiné de façon isolée les éléments présentés par la société Cofic comme valant acquiescement par la commune du Diamant au jugement frappé d’appel sans apprécier si, ensemble, les circonstances de la cause qui s’étaient succédées - la soumission volontaire à l’expertise judiciaire, le fait que la commune du Diamant ait laissé expirer le délai sans faire appel du jugement sur le fond prononçant sa condamnation à plus d’un million deux cent mille euros, l’écoulement d’un délai de plus de cinq ans avant de faire appel du jugement entrepris - ne manifestait pas la volonté certaine de cette dernière d’acquiescer au jugement. Bien consciente que l'expiration du seul délai pour exercer l’appel n'emporte pas, à elle seule, acquiescement au jugement, la demanderesse faisait valoir que les juges d’appel auraient dû rechercher si cette circonstance de fait ne pouvait pas, avec d’autres, manifester la volonté implicite d’acquiescer. Or, l’arrêt d’appel retient, de façon abstraite, que le temps mis par une partie pour interjeter appel ne peut lui être opposé autrement que par la sanction de l’irrecevabilité de l’appel pour tardiveté et n’est pas un signe d’acquiescement, sans rechercher de façon concrète si l’expiration du délai de recours contre le jugement de condamnation au fond n’était pas une circonstance de fait de nature à manifester, avec d’autres, la volonté non équivoque d’acquiescer au jugement entrepris. Sur cette critique, la Cour de cassation ne répond pas, ce qui est regrettable selon nous car, si les juges d’appel font une exacte application de la loi en retenant que la tardiveté de l’appel n’est pas, en soi, un élément propre à caractériser un acquiescement au jugement, force est de constater qu’ils n’ont pas apprécié si l’ensemble des circonstances de la cause qui s’étaient succédées ne manifestait pas la volonté certaine de l’appelant d’acquiescer au jugement.
À retenir : avec l’arrêt du 4 mars 2021, la Cour de cassation rappelle :
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[1] CEDH, 6 juin 2000, Req 34130/96, Morel c/ France (N° Lexbase : A7094AWN).
[2] Cass. civ. 2, 13 mars 1996, n° 93-20.557 (N° Lexbase : A8316ABM) ; Ass. plén., 6 novembre 1998, n° 95-11.006 (N° Lexbase : A3207AR9).
[3] Cass. civ. 2, 11 janvier 2018, n° 16-23.992 (N° Lexbase : A2014XAT).
[4] Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 96-10.407 (N° Lexbase : A3220CGD).
[5] Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 96-12.964 (N° Lexbase : A9734A7N).
[6] Ass. plén., 24 novembre 2000, n° 99-12.412 (N° Lexbase : A3217AUP).
[7] Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-14.004, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8946EKK).
[8] Cass. civ. 2, 6 mars 2008, n° 07-12.538, F-P+B (N° Lexbase : A3340D7T).
[9] Cass. civ. 1, 21 avril 1970, n° 68-14.452 (N° Lexbase : A3946CIY).
[10] Cass. civ. 2, 19 juin 1980, n° 79-10.82.
[11] Cass. civ. 2, 18 octobre 2012, n° 11-20.450, FS-P+B (N° Lexbase : A7251IU4) ; Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n°14-13.801, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8860NHM).
[12] Cass. civ. 3, 27 janvier 2015, n° 13-27.703, F-D (N° Lexbase : A7001NAK) ; Cass. civ. 3, 23 juin 2016, n° 15-12.158, F-D (N° Lexbase : A2610RU9).
[13] Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 09-11.159, FS-P+B (N° Lexbase : A5837EUQ) ; Cass. civ. 1, 14 avril 2010, n° 09-11.218, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9199EUA).
[14] Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 96-10.753 (N° Lexbase : A2172ACG).
[15] Cass. civ. 2, 18 novembre 1999, n° 97-15.92.
[16] Cass. civ. 2, 25 mai 1994, n°93-10.881 (N° Lexbase : A7543ABY) ; Cass. civ. 3, 21 juin 2006, n° 05-12.975, FS-P+B, (N° Lexbase : A9968DPU).
[17] Cass. com., 26 octobre 1999, n° 96-21.745 (N° Lexbase : A8050AGA) ; Cass. civ. 1, 16 juin 2011, n° 10-30.689, F-P+B+I (N° Lexbase : A6186HTB).
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