Lecture: 4 min
N4073BTZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Un arrêt de la cour d'appel de Bourges, rendu le 11 octobre 2012, nous en livre un croustillant extrait. S'il n'est pas permis ou de bon ton de se moquer des drames humains et, plus particulièrement, familiaux, celui exposé dans cet arrêt mérite attention, outre l'apport juridique qu'il peut recéler en matière de divorce. Ne boudons pas notre plaisir et ne nous cachons pas de mots, la cour d'appel de Bourges a été amenée à considérer les relations de l'épouse avec sa mère et ses beaux-parents pour retenir un comportement dévalorisant à l'égard de son mari, constitutif d'une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage et fonder la demande principale en divorce. Dans cette affaire, une femme faisait preuve d'agressivité envers son mari. Elle le dévalorisait et se montrait blessante à son égard. Notamment, il est relaté que, lorsque sa belle-mère venait à leur domicile, il était mis à l'écart, devant aller dormir seul au bureau du sous-sol et attendre qu'elles aient fini de manger pour remonter prendre son repas. Enfin, la bru avait pris l'habitude de venir saluer ses beaux-parents qu'une heure et demie après leur arrivée chez elle.
Les relations conflictuelles gendre/belle-mère ou bru/beaux-parents sont légions au point de donner lieux à un florilège de maximes et proverbes "gaulois", ou de nourrir, sans cesse, les scenarii peu inspirés du cinéma burlesque. Mais, en l'espèce, le mari était si lourdement affecté par cette situation qu'il ne pouvait pas l'évoquer sans pleurer.
Comme lui expliquer, dès lors, qu'il ne fallait en vouloir à sa femme -son ex-femme désormais-, si elle adoptait un comportement qualifié, sans péjoration, mais de manière parfaitement ethnologique, de primitif ? Comment lui expliquer qu'il y a quelque chose des indiens Navahos et des Apaches dans le subconscient la Drômoise qu'il avait épousée et jadis aimée ? Cette dernière, férue de western -et sans doute de spaghettis-, lui aurait raconté comment les Ohamas, les Sioux et les indiens Dacotas ne doivent ni voir leurs belles-mères, ni converser avec elles, ni les nommer ; et que, si par hasard ils se rencontrent, ils doivent se voiler la tête en passant l'un près de l'autre... Et, le même phénomène est observable chez les Bantous de l'est de l'Afrique et chez les Battas de Sumatra.
Oui, ce mari bafoué, meurtri, aurait lu Howitt, Frazer ou, plus particulièrement, Reinach, "Le gendre et la belle-mère", in Cultes, Mythes et Religions, qu'il aurait compris que son ex-épouse le protégeait du tabou ultime : l'inceste. Reinach explique ce qu'il nomme la vitance, c'est-à-dire cet éloignement, cet évitement entre beaux-parents et gendres/brus, par l'attachement des sociétés primitives à éviter toute situations faisant craindre l'inceste, le rapprochement sexuel intergénérationnel. Howitt et Frazer raccroche l'exécrable rapport, lorsqu'il existe, au rapt originel de la bru pour expliquer l'antagonisme de la belle-mère ; et Tylor a bien soulevé le fait que le gendre va résider, à l'origine, dans la famille de sa femme, où il est considéré par les beaux-parents comme un intrus et où l'on fait semblant d'ignorer son existence ; mais quoiqu'il en soit, le caractère primitif d'une telle affliction au sein d'une même famille ne fait, pour tous, aucun doute.
Finalement, la cour d'appel aurait pu être beaucoup plus cinglante avec l'ex-épouse et rappeler ce jugement de Lévy-Bruhl selon lequel là où l'adulte européen sait distinguer nettement et tirer une ligne, le sauvage ne distingue rien et confond tout, parce que le sens de la réalité lui fait défaut et que ce sens, loin d'être le point de départ de notre évolution mentale, en est le couronnement et peut-être encore aujourd'hui l'idéal (l'appréciation est à relativiser toutefois, car elle émane d'un ethnologue de la fin du XIXème siècle, avec tout le travers de la verve de la supériorité occidentale).
Et, la voix off de Jean-Luc Reichmann (si si), de conclure par ce mot d'Anouilh : "le drame de la belle-mère, ce personnage comique du répertoire, c'est qu'il est l'image de la durée"... Et, le président Garonne, alias Yves Vincent, de lever l'audience.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:434073
Lecture: 2 min
N3991BTY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 18 Octobre 2012
Pascale Modelski : Ce thème constitue la synthèse d'un défi : maîtriser l'avenir et conserver les valeurs irréductibles de notre profession exercée en conformité avec une déontologie exigeante et nécessaire, ceci dans un monde socio-économique qui paraît souvent ne pas accepter des valeurs d'exception.
Ainsi, par exemple, la notion de transparence apparaît actuellement comme une exigence universelle, mais elle se heurte souvent aux fondements du secret professionnel.
Autre exemple, les professionnels que nous sommes, qui exerçaient à l'origine dans un contexte étranger aux nécessités économiques, doivent assumer une charge de gestion qui nous impose de valoriser financièrement notre activité.
Enfin la profession accède, à proportion de la multiplication des textes et de la régulation juridique de ses activités, à des domaines d'activité nouveaux parfaitement étrangers aux relations judiciaires nouées dans les Palais de justice.
Voici le défi qui se présente aux avocats.
Lexbase : Quel bilan pouvez-vous tirer de cette journée?
Pascale Modelski : Le Président Christian Charrière-Bournazel a demandé à ses deux Vice-présidentes, Paule Aboudaram et moi-même, d'organiser l'Assemblée générale extraordinaire 2012. C'est un travail de plusieurs semaines mené en collaboration avec l'ensemble des services du Conseil national des barreaux, c'est un travail d'équipe. Le succès revient donc à tous : plus de 800 participants, 102 barreaux représentés, un nombre de connexion sur le site du CNB extrêmement important avec une nouveauté cette année qui a consisté à transmettre, en très léger différé sur le site du Conseil national des barreaux, l'intégralité des travaux de cette journée.
Cette AGE fut l'occasion de recevoir Madame Christiane Taubira, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, qui pour la première fois s'exprimait devant les avocats et dont l'intervention était attendue.
Lexbase : Sur le fond, quels seront les prochains axes de travail du Conseil national des barreaux ?
Pascale Modelski : La profession d'avocat est en mutation avec une crise économique qui a touché près de la moitié des avocats et qui est toujours d'actualité pour un tiers d'entre eux avec comme principales menaces la concurrence interprofessionnelle et l'exigence économique.
Dans ce contexte, une opportunité majeure se présente : l'activité de conseil avec de nouvelles pratiques qui vont pour certaines encore se développer.
Les avocats se tournent vers de nouveaux métiers repoussant ainsi les limites de leur terrain professionnel.
Pour cela, ils s'appuient sur de nouveaux outils tels que l'acte d'avocat, la procédure participative, la communication électronique et le RPVA.
L'avocat doit être en mesure, sur le territoire national, dans l'Union européenne et plus largement dans le monde entier où ses clients travaillent et évoluent, d'apporter sa présence et sa compétence.
Le Conseil national des barreaux doit oeuvrer dans cette voie et faire en sorte que la profession d'avocat évolue pour apporter le service indispensable que le monde du droit, qui envahit tous les aspects de l'exercice professionnel, personnel et économique, exige.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433991
Lecture: 15 min
N3955BTN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Le 18 Octobre 2012
Selon l'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX), "à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire [...]".
En présence d'un texte similaire, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L7852AGW) -l'article L. 621-43, alinéa 1er (N° Lexbase : L6895AI9)-, la jurisprudence avait jugé que le créancier ayant déclaré au passif de la première procédure, et admis au passif de cette procédure, était soumis à la déclaration de créance, lorsque, après résolution d'un plan de continuation, s'ouvrait une seconde procédure (1). L'obligation pour le créancier de déclarer sa créance, pourtant admise à la première procédure, dans la seconde, s'expliquait par l'analyse selon laquelle la décision d'admission au passif de la première procédure n'avait pas autorité de chose jugée dans la seconde procédure (2). L'autonomie des procédures justifie la solution : d'une part, les créanciers de la première procédure n'étaient pas nécessairement ceux de la deuxième procédure et, d'autre part, le mandataire en charge de la vérification des créances et de la défense de l'intérêt collectif des créanciers était, dans la première procédure, un représentant des créanciers, dans la seconde, un liquidateur. Il n'y avait donc pas identité de qualité et, par voie de conséquence, de parties (3). Or l'identité de parties est une condition de l'autorité de la chose jugée.
Conscient de la lourdeur de la tâche imposée aux créanciers de la première procédure, le législateur, à l'occasion de la loi de sauvegarde, a décidé de simplifier leur tâche et c'est ainsi que l'article L. 626-27, III du Code de commerce (N° Lexbase : L3309ICK) dispose que "après résolution du plan et ouverture de la nouvelle procédure, les créanciers soumis à ce plan sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés. Les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues". L'article R. 626-49 du même code (N° Lexbase : L0972HZZ) complète le dispositif en prévoyant que "pour l'application du III de l'article L. 626-27, le commissaire à l'exécution du plan transmet au greffier la liste des créances admises à ce plan en déduisant, pour chacune d'elles, les sommes déjà perçues. Le greffier porte cette liste sur l'état des créances de la nouvelle procédure".
La lettre de ces textes a fait naître une difficulté, qui a conduit le tribunal de commerce d'Antibes à saisir pour avis la Cour de cassation, en posant deux questions.
La première porte sur le point de savoir si les créanciers soumis à l'article L. 622-24 du Code de commerce, qui ont déclaré, mais ne sont pas encore définitivement admis au passif à la date de la résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement, sont dispensés de déclarer à nouveau leurs créances. A cette première question, la Cour de cassation répond qu'elle est d'avis que "tout créancier, qui a déclaré sa créance et qui est soumis à un plan de sauvegarde de redressement, peut bénéficier de la dispense de déclaration prévue à l'article L. 626-27-III du Code de commerce, peu important que sa créance n'ait pas encore été définitivement admise au passif de la procédure à la date de la résolution du plan".
La seconde question a pour objet de déterminer si la procédure de vérification du passif et les instances en fixation de créances en cours à la date de résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement soumis à la loi du 26 juillet 2005 sont définitivement interrompues ou se poursuivent dans les conditions de l'article L. 622-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L3488IC8). A cette seconde question, la Cour de cassation répond qu'elle est d'avis que "par application de l'article L 626-27, I Code de commerce, le jugement qui pendant sa résolution du plan en cas de constatation de l'état de cessation des paiements au cours de l'exécution de ce plan met fin aux opérations et à la procédure lorsque celle-ci est toujours en cours, de sorte que les créances déjà déclarées au passif de la première procédure collective et qui n'ont pas été encore admises sont soumises à la procédure de vérification et d'admission propre à la seconde".
Pour parvenir à sa solution, la Cour de cassation considère qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre les créanciers ayant déclaré au passif de la première procédure, selon qu'ils sont ou non admis au passif de la seconde. Fort de cette première solution, la Cour de cassation, logiquement, considère que la procédure de vérification des créances de la seconde procédure concernera les créances déclarées au passif de la première, mais non encore admises au jour de la résolution du plan et de l'ouverture de la seconde procédure.
Incontestablement, les solutions de la Cour de cassation simplifient la tâche du créancier. La seconde solution n'est guère discutable, qui considère que la procédure de contestation de créances dans la première procédure se termine par l'effet de la résolution du plan, qui met fin aux opérations de la procédure. Il n'est évidemment pas question de faire perdurer une procédure de vérification des créances, qui s'inscrit dans une procédure collective, lorsque cette procédure collective a pris fin. Au demeurant, la solution n'est pas gênante, au regard de la contestation de créances développée dans la première procédure. Il n'y a en effet pas lieu, dès lors que le mandataire judiciaire ou le liquidateur de la seconde procédure en décide ainsi, de reprendre à son compte la contestation de créance émise dans le cadre de la première procédure, pour la faire trancher dans le cadre de la seconde procédure.
Pour autant, la réponse apportée par la Cour de cassation à la première question ne nous apparaît pas convaincante.
Il est certes incontestable que le texte de l'article L. 626-27, III du Code de commerce ne distingue pas, lorsqu'il établit la dispense de déclaration au passif de la seconde procédure, selon que le créancier a été ou non admis au passif de la première procédure. Et c'est cette absence de distinction qui a, selon toute vraisemblance, conduit la Cour de cassation, à appliquer le principe Ubi lex... et ainsi à ne pas distinguer davantage.
Les travaux parlementaires de la loi de sauvegarde ne sont d'aucun secours pour répondre à la question.
En revanche, il nous semble que la logique des textes aurait dû conduire à une toute autre solution.
Tout d'abord, l'article L. 626-27, III du Code de commerce, après avoir indiqué que après résolution du plan et ouverture de la nouvelle procédure, les créanciers soumis à ce plan sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés, poursuit en prévoyant que "les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues". Pour poser sa solution, la Cour de cassation est obligée de dissocier les deux phrases de l'article L 626-27, III du Code de commerce. Pourtant les deux propositions nous semblent intimement liées. Si on les reformule à l'envers, voici ce à quoi l'on aboutit : le créancier sera admis au passif de la seconde procédure déduction faite de ce qu'il a perçu dans le cadre de l'exécution du plan. Or, pour percevoir des sommes dans le cadre de l'exécution du plan, le créancier doit être admis au passif. Parce qu'il est admis au passif de la première procédure, il est dispensé d'avoir déclaré au passif de la seconde.
L'article R. 626-49 du même code (N° Lexbase : L0972HZZ) peut identiquement être interprété. Le greffier du tribunal va compléter l'état des créances de la seconde procédure de la liste des créances de la première en déduisant pour chacune d'elles les sommes déjà perçues. Ici encore, pour que le créancier ait pu percevoir des sommes dans le cadre de la première procédure, il devait nécessairement être admis au passif. On part de son admission au passif dans la première procédure. On déduit ce qu'il a perçu dans cette procédure. Cela aboutit à l'admission au passif de la seconde procédure qui est reportée sur l'état des créances.
Le reproche essentiel que l'on peut faire au législateur est d'avoir utilisé des mots approximatifs, tels ceux de "créanciers soumis au plan" ou encore ceux de "liste des créances admises au plan". Ces notions ne sont pas juridiques. Elles ne sont utilisées que dans les deux dispositions respectivement de l'article L. 626-27, III et R. 626-49 du Code de commerce.
Mais, si l'on veut donner un sens à l'expression "créanciers soumis au plan", il nous semble qu'il faut comprendre qu'il s'agit des créanciers soumis aux contraintes du plan, c'est-à-dire aux créanciers qui seront payés selon les dispositions du plan par la voie des dividendes. Si l'on admet ce postulat, un créancier soumis au plan est nécessairement un créancier admis au passif, car pour pouvoir être payé, le créancier doit d'abord être admis.
Cette interprétation de "créanciers soumis au plan" aurait dû conduire la Cour de cassation a décidé que la dispense de déclaration des créances au passif de la seconde procédure ne pouvait concerner que les créanciers admis au passif de la première procédure. On aurait alors compris parfaitement que, pour ces créanciers admis au passif de la première procédure, la créance soit admise également au passif de la seconde, sous la seule déduction des sommes déjà perçues. Le mécanisme législatif aurait alors correspondu à ce que l'on pourrait appeler un correctif législatif à l'absence d'autorité de la chose jugée de l'admission au passif de la première procédure dans la seconde (4).
Les règles du dessaisissement, dans la liquidation judiciaire, exercent une influence sur la conduite des procédures et la dénonciation des actes de procédure. La saisie-attribution n'échappe pas à la règle, lorsque le débiteur est le saisi.
Plusieurs difficultés se présentent lorsque la saisie-attribution est signifiée au tiers saisi peu de temps avant le jugement d'ouverture.
On sait qu'elle ne peut l'être après, du fait de la règle de l'arrêt des voies d'exécution, dès lors que la créance, cause de la saisie, est soumise à la discipline collective, soit parce qu'elle est une créance antérieure au jugement d'ouverture, soit parce qu'elle est une créance postérieure non visée au I de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), autrement dit une créance postérieure non méritante.
L'article L. 622-21, II du Code de commerce (N° Lexbase : L3452ICT), dans la rédaction que lui donne la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2006-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), qui pose la règle de l'arrêt des voies d'exécution, n'a pas pour objet de remettre en cause les situations acquises. De même que les actions résolutoires ayant joué au jour du jugement d'ouverture ne seront pas remises en cause, les voies d'exécution terminées à cette date ne seront pas affectées par la règle de l'arrêt des voies d'exécution.
Une saisie-attribution a joué au jour du jugement d'ouverture si, au plus tard la veille de cet événement, la saisie a été signifiée au tiers saisi. La veille du jugement d'ouverture et non le jour même, du fait de la rétroactivité à zéro heure de sa date du jugement d'ouverture, ce qui justifie que le jour du jugement d'ouverture, on soit déjà après le jugement d'ouverture. La rétroactivité de celui-ci à zéro heure de sa date conduit en effet à considérer que la saisie pratiquée le jour du jugement d'ouverture est effectuée après jugement (5), même si le contraire a aussi été jugé (6).
La saisie-attribution produit un effet attributif immédiat au profit du saisissant à concurrence de la créance saisie disponible entre les mains du tiers, et ne peut en conséquence plus être remise en cause, si à la date du jugement d'ouverture, l'acte de saisie a été signifié au tiers saisi (7). La créance, qui a fait l'objet d'une saisie-attribution effectuée avant le jugement d'ouverture et qui a produit ses effets, est définitivement sortie du patrimoine du débiteur saisi et est entrée, par l'effet de la saisie-attribution, dans celui du créancier. Elle n'a donc pas à être déclarée (8).
Dès lors que la signification de l'acte de saisie a été faite avant le jugement d'ouverture, peu importe que la dénonciation au tiers saisi ne soit pas intervenue à la date du jugement d'ouverture.
Cela n'est pas à dire, pour autant, que cette dénonciation ne soit pas la source de certaines difficultés.
Si la saisie a joué au jour du jugement, parce qu'elle a été signifiée au tiers saisi au plus tard la veille, elle doit être dénoncée dans les huit jours. Ce délai de huitaine, qui résulte de l'article R. 211-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2667ITX), est la source de certaines difficultés, si la date du jugement d'ouverture est comprise à l'intérieur de ce délai.
Deux situations sont alors à distinguer.
Dans une première situation, qui a fait l'objet d'arrêts de la Cour de cassation, la dénonciation au tiers saisi, dans le délai de huitaine, n'a pas été faite avant le jugement d'ouverture, et plus exactement au plus tard la veille du jugement d'ouverture. En ce cas, il faut observer les règles de représentation du débiteur, liées au dessaisissement, pour savoir à qui la saisie doit être dénoncée. Dans la procédure de liquidation judiciaire, le liquidateur représente le débiteur dessaisi. Du fait des règles du dessaisissement, la dénonciation s'impose au liquidateur, sous réserve de l'hypothèse d'une poursuite d'activité autorisée en liquidation judiciaire, en présence d'un administrateur judiciaire. L'absence de dénonciation à l'organe compétent, dans le délai de huit jours, de la saisie pratiquée emportera sa caducité (9). Précisons toutefois que le tiers saisi n'a pas qualité pour se prévaloir de cette absence de dénonciation (10). La Cour de cassation n'admet pas que le délai de dénonciation se trouve interrompu par l'effet du jugement d'ouverture (11).
Dans une seconde situation, la saisie a été dénoncée avant l'ouverture de la procédure collective. Cela ne peut être qu'entre les mains du débiteur. La question qui se pose alors, et qui était au coeur d'un arrêt assez récent de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, était de savoir si une nouvelle dénonciation s'imposait à l'organe ayant qualité à recevoir les dénonciations de saisies, en l'espèce le liquidateur, dans le délai de huitaine, sauf caducité de la saisie-attribution pratiquée. A cette question, censurant la décision des juges du fond, la Cour de cassation (12) a répondu qu'une nouvelle dénonciation n'est pas exigée, alors que la saisie-attribution avait été dénoncée dans le délai légal au débiteur à la tête de ses biens. La solution est sans surprise. Dès lors qu'au jour de la dénonciation, cette dernière a valablement été effectuée à une personne ayant qualité pour la recevoir, une nouvelle dénonciation est inutile.
Cela ne signifie pas, pour autant, que l'organe représentant le débiteur soit totalement désarmé. En effet, si la dénonciation est faite, comme le prévoit la loi, dans le délai de huitaine de la signification de la saisie, et si à l'intérieur du délai de huitaine survient le jugement d'ouverture, cela signifie que le liquidateur, qui représente le débiteur ne peut bénéficier d'un délai complet -délai d'un mois qui court à compter de la dénonciation de l'acte de saisi, en vertu de l'article R. 211-11 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2217ITB)- pour contester la saisie devant le juge de l'exécution.
Tel était exactement le problème qui se posait dans l'affaire soumise à la Cour de cassation et objet de son arrêt du 2 octobre 2012. Il était question d'une saisie-attribution, qui avait été effectuée sur le compte bancaire d'une société. La saisie avait été signifiée le 27 avril et dénoncée au tiers saisi le 28 avril. Le 25 mai, était ouverte la liquidation judiciaire, soit 3 jours avant l'expiration du délai de contestation de la saisie par le débiteur saisi, qui expirait le 28 mai. Ainsi, la dénonciation était-elle intervenue avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de cette société, mais avant expiration du délai de contestation de la saisie ouvert au débiteur.
Dans cette situation, la question soumise à la Cour de cassation, était de savoir si la saisie devait à nouveau être dénoncée au liquidateur et derrière cette première interrogation, celle encore de savoir si le liquidateur disposait, faute de dénonciation à sa personne de la saisie, du délai de contestation.
La Cour de cassation, confirmant l'arrêt attaqué, va répondre que "lorsque le débiteur n'a pas été mis en liquidation judiciaire dans le délai de huit jours dans lequel la saisie-attribution doit lui être dénoncée par acte huissiers de justice, à peine de caducité, cette saisie, si elle lui a été régulièrement dénoncée dans ce délai, ne peut plus encourir la caducité prévue par l'article 58 du décret du 31 juillet 1992, devenu l'article R. 211-3 du Code des procédures civiles d'exécution ; il a relevé que la saisie-attribution pratiquée par M. A., le 27 avril 2010, a été régulièrement dénoncée à la société CS qui était à la tête de ses biens' le 28 avril 2010, soit dans le délai de huit jours prévu à peine de caducité de celle-ci, avant le prononcé de sa liquidation judiciaire en date du 25 mai 2010, l'arrêt retient que cette saisie-attribution ne peut être remise en cause par le liquidateur qui n'est saisi que des droits et actions du débiteur au jour de la liquidation judiciaire ; ayant relevé au surplus que le liquidateur s'est abstenu de contester au fond cette saisie-attribution à l'occasion de la présente procédure, l'arrêt retient encore qu'il résulte de la combinaison des articles L. 641-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L8860INH) et 66 du décret du 31 juin 1992, devenu l'article R. 211-11 du Code des procédures civiles d'exécution, que l'intervention d'un jugement de liquidation judiciaire au cours du délai d'un mois pour contester la saisie-attribution interrompt seulement ce délai au profit du liquidateur, cette interruption n'étant destinée qu'à permettre ce dernier, désormais seul habilité à agir en lieu et place du débiteur, d'exercer le cas échéant, une contestation au fond contre cette mesure".
La Cour de cassation, dans le présent arrêt, confirme en réalité plusieurs solutions.
Comme cela a déjà été indiqué, si la saisie a été dénoncée avant l'ouverture de la procédure collective, elle n'a pas à être à nouveau dénoncée, à peine de caducité, au liquidateur. Mais, comme cela avait déjà été également jugé par la Cour de cassation, il y a place à une interruption du délai de contestation si, pendant son cours, survient la liquidation (13). Comme le précise la Cour de cassation, l'absence de dénonciation à l'organe représentant le débiteur ne s'impose pas à peine de caducité. En revanche, si le liquidateur a des moyens à invoquer pour contester au fond la saisie, il le pourra, faute pour cette dernière d'être à l'abri d'un recours. Seule une nouvelle dénonciation, qui n'est pas enfermée dans le délai de huitaine de la signification au tiers saisi (14), permettra de rendre définitive la saisie en la mettant à l'abri d'un recours.
Ainsi, l'arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2012 confirme qu'une chose est d'admettre que l'efficacité de la saisie ne nécessite pas une nouvelle dénonciation à l'organe représentant le débiteur dessaisi -le liquidateur, mais aussi dans le redressement judiciaire, l'administrateur judiciaire représentant le débiteur dans le cadre d'une mission d'administration-. Une autre chose est de considérer que la saisie puisse devenir définitive par l'écoulement du délai de contestation. Efficace, la saisie le sera par la seule dénonciation au débiteur avant l'ouverture de la liquidation judiciaire. Définitive, la saisie le sera systématiquement si, au jour du jugement de liquidation judiciaire, le délai de contestation de la saisie est expiré. En revanche, la saisie ne deviendra définitive, dès lors que le délai de contestation de la saisie ne sera pas écoulé au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire, qu'au prix d'une nouvelle dénonciation au liquidateur apte à faire courir entièrement contre lui le délai de contestation. Mais cette nouvelle dénonciation n'est enfermée dans aucun autre délai que celui de la procédure collective.
(1) CA Rennes, 2ème ch., 21 avril 1992, Rev. proc. coll., 1995, 144, n° 22, obs. B. Soinne ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 juin 1995, Rev. proc. coll., 1996, 88, n° 2, obs. B. Soinne.
(2) Cass. com., 3 décembre 2003, n° 02-14.474, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3722DA4), Bull. civ. IV, n° 190, D., 2004, AJ 62, Act. proc. coll. 2004/2, n° 15, note C. Régnaut-Moutier, RD banc. et fin., 2004, p. 103, n° 78, obs. F.-X. Lucas, JCP éd. E, 2004, chron. 783, p. 858, n° 9, obs. Ph. Pétel, RTD com., 2004, 373, n° 4, obs. C. Martin-Serf, Gaz. Pal., 6-7 février 2004, jur. p. 20, nos obs., également nos obs. Autorité de chose jugée de l'admission des créances au passif et résolution du plan de continuation, Lexbase Hebdo n° 103 du 15 janvier 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N0082ABN) ; Cass. com., 3 décembre 2003, n° 02-14.477, FS-D (N° Lexbase : A3723DA7) ; Cass. com., 28 janvier 2004, n° 02-15.157, F-D (N° Lexbase : A7461DDP) ; Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-21.351, F-D (N° Lexbase : A4711DDT) ; Cass. com., 24 janvier 2006, deux arrêts, n° 04-19.304, F-D (N° Lexbase : A5554DMN) et n° 04-19.305, F-D (N° Lexbase : A7223DMH) ; Cass. com., 30 janvier 2007, n° 06-10.838, F-D (N° Lexbase : A7908DT3).
(3) Ass. plén., 10 avril 2009, n° 08-10.154, P+B+R+I (N° Lexbase : A1071EGR), Bull. AP, n° 4; D., 2009, AJ 1138, note A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2009/9, n° 141, note P. Cagnoli ; Procédures, 2009, comm. 197, note B. Rolland ; JCP éd E, 2009, chron. 1814, n° 9, note Ph. Pétel ; Dr. et patr., septembre 2009, n° 184, p. 114, note M.-H. Monsérié-Bon ; JCP éd E, 2009. 2030, note Ch. Lebel ; Rev. proc. coll., 2010/1, §1, p. 22, note S. Gorrias et V. Manié ; Rev. proc. coll., 2010/2, comm. 73, p. 66, note J.-J. Fraimout ; RTDCom., 2010. 423, n° 4, obs. A. Martin-Serf ; note E. Le Corre-Broly, in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Mai 2009, Lexbase Hebdo no 351 du 21 mai 2009 - édition privée (N° Lexbase : N0786BKC).
(4) Expression empruntée à Emmanuelle Le Corre-Broly.
(5) TGI Marmande, Jex, 24 septembre 1993, Rev. Huissiers, 1994, 653 ; CA Montpellier, 2ème ch., sect. B, 20 avril 2004, RD banc. et fin, 2005/2, p. 28, n° 59, note F.-X. Lucas ; adde, P. Canet, Les voies d'exécution issues de la loi du 9 juillet 1991 face au redressement et à la liquidation judiciaires, Rev. proc. coll., 1995, 265, sp. p. 268.
(6) CA Caen, 1ère ch., sect. civ., 29 avril 1997, Rev. proc. coll., 1997, 417, obs. Cadiou.
(7) Cass. com., 13 octobre 1998, n° 96-14.295, publié (N° Lexbase : A5719ACS), Bull. civ. IV, n° 237; Gaz. Pal., 1999, n° 245, p. 17, note P. Veron, D. Affaires, 1998, 2018, obs. A. Lienhard, Rev. proc. coll., 1999, 106, n° 18, obs. P. Canet ; Cass. com., 19 juin 2007, n° 06-12.916, F-D (N° Lexbase : A8736DWH), Gaz. proc. coll., 2007/4 p. 44, note I. Rohart-Messager.
(8) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-16.155, F-D (N° Lexbase : A2514HQ8), Gaz. pal. 9 juillet 2011, n° 189, p. 27, note Ph. Roussel Galle ; BJE, septembre/octobre 2011, comm. 118, p. 254, note M. Laroche.
(9) Cass. com., 19 février 2002, n° 98-22.727, FS-P (N° Lexbase : A0220AYS), Bull. civ. IV, n° 37, D., 2002, AJ 1070, obs. V. Avena-Robardet, Act. proc. coll., 2002/6, n° 77, RD banc. et fin., 2002/3, p. 135, n° 105, obs. F.-X. Lucas, RD banc. et fin., 2002/3, p. 138, n° 109, obs. J.-M. Delleci, RJ com., 2002, n° 1604, obs. J.-L. Courtier ; Cass. com., 20 octobre 2009, n° 08-16.629, F-D (N° Lexbase : A2648EMZ), Rev. proc. coll., 2010/2, comm. 82, p. 72, note G. Berthelot ; CA Rennes, 1ère ch., sect. B, 16 mai 2002, RD banc. et fin., 2002/4, n° 146, obs. F.-X. Lucas.
(10) Cass. com., 10 juin 2008, n° 06-13.054, F-D (N° Lexbase : A0513D9U), RTDCiv., 2008. 555, n° 9, obs. R. Perrot ; CA Aix-en-Provence, 15ème ch., sect. A, 30 avril 2010, n° 2010/212.
(11) Cass. com., 4 mars 2003, n° 00-13.020, FS-P+B (N° Lexbase : A3568A7B), Bull. civ. IV, n° 34, D., 2003, AJ 907, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2003/8, n° 104 ; D.,,2003, somm. 1623, obs. F.-X. Lucas ; JCP éd. E, 2003, chron. 1396, p. 1576, n° 17, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2003, jur. 708, p. 814, note Ch. Delattre ; RD banc. et fin., 2003/3, n° 118, p. 170, obs. J.-M. Delecci ; Procédures, juillet 2003, p. 10, n° 167, note R. Perrot ; Gaz. Pal., 5-6 septembre 2003, somm. 7, note Denner ; nos obs., La dénonciation au liquidateur d'une saisie-attribution ayant joué au jour du jugement d'ouverture, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N6797AAY).
(12) Cass. civ. 2, 8 décembre 2011, n° 10-24.420, FS-P+B (N° Lexbase : A1972H4S), D., 2012, chron. 1515, obs. A. Leborgne ; Gaz. Pal., 28 avril 2012, n° 118, p. 27, note Ph. Roussel Galle ; Act. proc. coll., 2012/3, comm. 37, note P. Cagnoli ; BJE, mars 2012, comm. 59, p. 90, note Ch. Hugon ; Dr. et proc., février 2012, p. 44, note F. Vinckel ; Rev. proc. coll., mars 2012, comm. 39, note O. Staes ; LPA, 15 juin 2012, n° 120, p. 9, note P. Nabet ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Décembre 2011, Lexbase Hebdo n° 277 du 15 décembre 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N9267BSZ). En sens contraire, CA Douai, 8ème ch., 3ème sect., 28 octobre 2010, Rev. proc. coll., sept. 2011, comm. 136, p. 50, note G. Blanc.
(13) Cass. com., 19 janvier 1999, n° 96-18.256, publié (N° Lexbase : A8682AHZ), Bull. civ. IV, n° 17 ; LPA, 9 mars 1999, n° 48, p. 8, nos obs. ; LPA, 1999, n° 94, p. 26, note F. Derrida ; D. Affaires, 1999, 478 ; JCP éd E, 1999, chron. 815, n° 13, obs. P. P. ; RJ com., 2000, no 1548, p. 29, note J.-L. Courtier ; D., 1999, jur. 245, note F. Derrida ; Defrénois 2000, n° 1, p. 45, obs. J.-P. Sénéchal.
(14) Ph. Théry, L'incidence d'une procédure collective sur les procédures civiles d'exécution, Dr. et proc., 2002/3, p. 140, sp. p. 144.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433955
Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 24 septembre 2012, n° 342990, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3663ITT)
Lecture: 15 min
N3983BTP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen
Le 18 Octobre 2012
La mise en oeuvre de ce principe place très clairement l'autorité dans la dépendance complète des milieux scientifiques, puisqu'il nécessite qu'on puisse identifier les conséquences potentiellement négatives de l'utilisation du phénomène concerné et impose de procéder à une évaluation complète du risque, fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale (3). On voit donc à quel point ce "principe" est d'une nature résolument différente des approches juridiques traditionnelles. Les règles de droit essentielles tirent, en effet, leur origine de règles morales et ne sont donc pas dépendantes de considérations matérielles. Le principe de précaution est, en revanche, entièrement dépendant d'appréciations scientifiques qui ne sont pas du ressort de l'auteur de la règle de droit. D'où l'extrême dangerosité du principe qui tient à sa malléabilité : il faut être d'une grande naïveté pour croire que les scientifiques sont nécessairement objectifs. D'une part, ils ne sont pas à l'abri des formes de pression les plus variées. D'autre part, on rappellera qu'il ne suffit pas qu'un phénomène fasse l'objet d'études scientifiques pour être scientifiquement prouvé.
Les limites du principe apparaissent, ainsi, rapidement. D'un côté, la prise en compte d'un risque, fondé sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées est écartée (4). En revanche, des mesures de protection sont justifiées "lorsqu'il s'avère impossible de déterminer avec certitude l'existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d'un dommage persiste dans l'hypothèse où le risque se réaliserait" (5). Comme le principe de précaution suppose qu'il soit invoqué en amont de la réalisation du risque, il peut être légitimement invoqué sans qu'on ait besoin d'attendre que la réalité et la gravité des risques soient pleinement démontrées (6).
La réforme constitutionnelle du 1er mars 2005 (loi n° 2005-205, relative à la Charte de l'environnement N° Lexbase : L0268G8G) a introduit le principe de précaution dans l'ordre juridique national par le biais de l'intégration de la Charte de l'environnement dans la Constitution. Le texte de la Charte délimite à peu près le champ d'application du principe au regard du droit public, puisqu'il concerne, en effet, les "seules hypothèses où un débat scientifique est ouvert mais non tranché quant à l'existence d'un risque pour l'environnement pouvant l'affecter de manière grave mais aussi irréparable" (7). En revanche, les incertitudes ne manquent pas sur son application en droit privé (8). Le flou qui entoure, néanmoins, ce principe dans l'esprit du plus grand nombre a conduit les autorités locales à l'invoquer pour intervenir dans divers domaines. En l'espèce, le maire d'une commune a cru pouvoir interdire, par voie d'arrêté municipal, la culture de plantes génétiquement modifiées, à quelque fin que ce soit, pour une période de trois ans dans certaines zones définies par le plan local d'urbanisme. A la suite du déféré préfectoral, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté, décision qui a été confirmée par la cour administrative d'appel de Lyon le 30 juin 2010 (9). La commune s'est alors pourvue en cassation contre cet arrêt.
Au titre de la légalité externe, la commune soulevait deux moyens qui ont été tous deux écartés par le Conseil, mais qui méritent d'être évoqués.
D'une part, elle invoquait l'irrégularité de l'arrêt, rendu sous la présidence d'un magistrat désigné par le président de la cour, au motif que la décision ne mentionnait pas que ce dernier avait été régulièrement désigné pour siéger en cette qualité en cas d'absence ou d'empêchement du président de la chambre qui a rendu la décision. La jurisprudence considère que les mentions procédurales des jugements font foi jusqu'à preuve du contraire (10). Le Conseil d'Etat en profite pour rappeler qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation au jugement d'apporter des précisions sur ce genre de considérations, confirmant, ainsi, une jurisprudence classique (11), et rejette donc le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la juridiction.
D'autre part, la commune soulevait l'irrégularité de la procédure au motif que le recours gracieux exercé par le représentant de l'Etat avait été signé par ce dernier en qualité de préfet de la Drôme le 15 octobre 2008, alors qu'il avait été nommé préfet du Haut-Rhin le 9 octobre précédent. La commune en concluait que le recours gracieux avait été signé par une autorité incompétente et n'avait donc pu interrompre le délai du déféré. L'argument était, pour le moins, douteux. Le Conseil, relevant que le décret de nomination ne devait prendre effet qu'à la date d'installation du préfet, écarte le moyen tiré de l'incompétence de ce dernier.
Sur le fond, le Conseil rejette le pourvoi de la commune. Les règles applicables au concours entre police générale et police spéciale viennent donc confirmer l'incompétence du maire pour restreindre l'autorisation accordée par le ministre. Le Conseil en profite, également, pour préciser les rapports entre police administrative et principe de précaution.
I - Police spéciale des OGM et compétence des autorités de police
Afin de confirmer l'incompétence du maire pour prendre l'arrêté contesté, le Conseil d'Etat rappelle, dans un premier temps, l'existence d'une police spéciale des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Plusieurs textes instaurent un pouvoir de réglementation administratif en matière d'OGM. D'une part, l'article L. 533-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8857IAB) soumet la dissémination volontaire des OGM à une procédure d'autorisation administrative préalable. Cet article dispose, en effet, que "toute dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés à toute autre fin que la mise sur le marché, ou tout programme coordonné de telles disséminations, est subordonnée à une autorisation préalable [...] cette autorisation est délivrée par l'autorité administrative après avis du Haut Conseil des biotechnologies qui examine les risques que peut présenter la dissémination pour l'environnement et la santé publique. Elle peut être assortie de prescriptions. Elle ne vaut que pour l'opération pour laquelle elle a été sollicitée [...]".
D'autre part, l'article L. 533-3-1 du même code (N° Lexbase : L7115IRX) fait application du principe de précaution à la matière des OGM. Il prévoit, en effet, que, si des éléments d'information portés à la connaissance de l'autorité administrative font apparaître un risque pour l'environnement ou la santé publique, cette autorité les soumet pour évaluation à un Haut conseil des biotechnologies et peut modifier, suspendre ou retirer l'autorisation.
La procédure d'autorisation est donc précisément prévue par les textes. En principe, l'autorité administrative est le ministre chargé de l'Environnement, sauf si un texte particulier en dispose autrement. Dans ces cas, l'autorité doit, malgré tout, recueillir l'avis de ce dernier. En ce qui concerne les plantes, semences ou plants, la compétence pour délivrer ou refuser l'autorisation appartient au ministre de l'Agriculture. Comme toute procédure d'autorisation administrative, la demande est évidemment appuyée sur un dossier complet. Le maire n'intervient dans la procédure que d'une manière très périphérique, puisque son intervention se limite à organiser des réunions d'informations auxquelles doit participer le pétitionnaire.
L'ensemble de ces dispositions ne prête guère à interprétation. Le Conseil d'Etat en déduit, en effet, que "le législateur a organisé une police spéciale de la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés, confiée à l'Etat, dont l'objet est, conformément au droit de l'Union européenne, de prévenir les atteintes à l'environnement et à la santé publique pouvant résulter de l'introduction intentionnelle de tels organismes dans l'environnement". Afin d'éviter toute contestation sur ce point le Conseil rappelle également que la décision d'autorisation est prise, au cas par cas, après avis d'un organisme scientifique. L'instruction doit envisager toutes les conséquences de l'activité qui est susceptible d'être organisée, y compris son impact sur l'agriculture biologique.
En précisant ce point, le Conseil dévoile une partie du contrôle qu'il exerce sur l'instruction qui doit précéder la délivrance de l'autorisation. On sait que le juge administratif ne s'immisce pas dans les appréciations techniques que les organismes scientifiques peuvent être conduits à émettre lors de l'instruction d'une demande d'autorisation. En revanche, il conserve la possibilité de censurer l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait la décision accordant l'autorisation, s'il apparaissait que certains aspects déterminants du dossier n'ont pas été pris en compte. Ce contrôle apparaît souvent aux requérants comme formel en ce qu'il ne leur permet pas d'invoquer utilement devant le juge des considérations scientifiques contraires à l'appréciation sur la base de laquelle l'administration a statué. En revanche, il s'agit du seul contrôle que le Conseil d'Etat peut opérer dans une telle matière, étant par nature dépourvu des compétences scientifiques nécessaires pour remettre en cause les appréciations émises lors de l'instruction. L'arrêt rappelle donc les limites du contrôle que le juge doit opérer dans ce domaine et évoque au moins deux motifs éventuels de censure : encourrait l'annulation une décision qui serait générale en ce qu'elle porterait sur un produit ou sur un demandeur sans acception des circonstances de la demande. Il en irait de même pour une décision qui ne prendrait pas en compte les spécificités locales et, notamment, la présence d'exploitations d'agriculture biologique auprès de la zone de culture visée par la demande d'autorisation.
Dans un second temps, le Conseil d'Etat rappelle les principes régissant les relations entre police administrative spéciale et police administrative générale.
L'appréciation de considérations locales ne peut remettre en cause les principes juridiques qui gouvernent les hypothèses de concours de police. En effet, le simple critère géographique ne peut conduire à soumettre au pouvoir de l'autorité de police administrative générale une compétence que la réglementation attribue au seul pouvoir de police spéciale. En cas de combinaison de police générale et de police spéciale, la jurisprudence évite les détournements de procédure et les dessaisissements d'autorités.
Trois cas de figure peuvent se présenter. En premier lieu, la même autorité est titulaire des deux pouvoirs de police : dans ce cas, la mise en oeuvre des pouvoirs de police générale ne doit pas être utilisée pour éviter l'accomplissement des formalités imposées pour l'exercice des compétences de police spéciale (12). En deuxième lieu, plusieurs autorités sont susceptibles d'intervenir : dans ce cas, la solution est guidée par la bonne application des textes. Si l'autorité locale n'est pas nécessairement dépourvue de toute capacité d'intervention, elle ne peut, par sa seule compétence d'autorité de police générale, édicter une réglementation qui irait à l'encontre de la décision prise par l'autorité de police spéciale. En troisième lieu, l'exercice de la compétence de police spéciale épuise la matière et interdit au titulaire de pouvoir de police générale d'exercer sa compétence. C'est ce que rappelle le Conseil d'Etat lorsqu'il énonce que, "s'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale". Ce faisant, il confirme la décision de principe qu'il a rendu peu avant au sujet des antennes de télécommunications (13).
Le Conseil procède, ainsi, à une substitution de motifs et confirme l'incompétence du maire pour édicter une interdiction générale et absolue de culture des OGM sur certaines parties de la commune.
II - Le principe de précaution et police administrative
Le principe de précaution ne permet pas de déroger aux règles qui régissent la répartition des pouvoirs de police administrative. C'est là le second apport de cette décision.
Il faut rappeler, dans un premier temps, que la Haute juridiction a déjà abordé la question du principe de précaution. L'article 5 de la Charte de l'environnement le définit ainsi : "lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage". Pour Renaud Denoix de Saint Marc, le Conseil conçoit ce principe "non comme un devoir d'abstention mais comme un principe d'action orienté vers l'évaluation et l'amélioration de la connaissance du risque [qui] doit se traduire par une exigence de prise en compte précoce des risques potentiels" (14). Le Conseil d'Etat estime que le principe de précaution n'impose pas aux autorités administratives "de fonder leurs décisions sur des certitudes scientifiques" (15).
Le Conseil a, notamment, délimité le champ d'application du principe de précaution par rapport au droit de l'urbanisme. Après avoir considéré que "le principe de précaution ne peut être utilement invoqué à l'appui de la contestation d'une autorisation relevant de la législation relative à l'urbanisme" (16), solution rendue avant l'introduction de la Charte de l'environnement dans la Constitution, le Conseil d'Etat a fait évoluer sa jurisprudence en précisant que les dispositions de la Charte "qui n'appellent pas de dispositions législatives ou réglementaires en précisant les modalités de mise en oeuvre s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs", reprenant, ainsi, la formulation retenue par le Conseil constitutionnel (17).
Les autorités compétentes en matière d'urbanisme peuvent donc être amenées à faire application du principe de précaution (18). Un arrêt du 30 janvier 2012, tout en rappelant le principe essentiel de l'indépendance des législations, confirme cette solution qui s'appuie sur la prise en compte, par l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7368HZW), de la sécurité et de la salubrité publique lors de la délivrance des autorisations d'urbanisme. L'arrêt énonce, en effet, "que s'il appartient, dès lors, à l'autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme, les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en oeuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus". En l'espèce, le Conseil a jugé qu'en l'état des connaissances scientifiques, aucun risque circonstancié pour le public ne pouvait être identifié (19).
Le principe de précaution a, également, été invoqué dans d'autres domaines. L'implantation d'antennes hertziennes a donné plusieurs fois à la Haute juridiction administrative l'opportunité de préciser sa jurisprudence. Dès avant l'introduction du principe dans la Constitution, un arrêt du 19 mai 2003 énonçait que le principe de précaution ne peut, à lui seul, constituer un motif d'intérêt général suffisant pour justifier de la résiliation unilatérale d'un contrat administratif (20). De même, le principe de précaution ne permet au maire de dépasser le champ de sa compétence pour édicter des réglementations de nature à porter atteinte aux autorisations délivrées régulièrement par l'autorité compétente en matière de police spéciale des communications électroniques (21).
Le Conseil d'Etat a, également, considéré que le ministre n'avait pas fait une application disproportionnée et paralysante du principe de précaution en imposant des contraintes techniques, et, notamment, l'utilisation d'un déflecteur, lors des semailles des semences de maïs entourées de substances phytopharmaceutiques (22). Son respect est évidemment contrôlé à l'occasion de la réglementation des installations nucléaires (23) ou de la réglementation des dates de chasse au gibier d'eau (24). Il peut, également, être utilement invoqué à l'appui d'un décret organisant le port du bracelet électronique, à charge, pour le requérant, de démontrer l'existence d'un quelconque danger pour la santé des personnes astreint à cette mesure (25).
En revanche, le principe de précaution ne peut être invoqué dans le cadre de la protection de la santé et de la sécurité des personnes pour critiquer une disposition législative autorisant les pilotes de ligne à continuer d'exercer leur activité au-delà de soixante ans (26). De même, il ne peut être utilement invoqué à l'appui d'un recours dirigé contre le refus du ministre d'édicter une interdiction générale et absolue de mise en circulation des véhicules dépassant la vitesse de 130 kilomètres à l'heure (27).
Dans un second temps, l'arrêt du 24 septembre 2012, dans le droit fil de la jurisprudence antérieure, rappelle donc la portée du principe de précaution. Il résulte de l'article 5 de la Charte de l'environnement "que le principe de précaution, s'il s'impose à toute autorité publique dans ses domaines d'attribution, n'a ni pour objet, ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence". La Charte ne peut donc être interprétée "comme habilitant les maires à adopter une réglementation locale portant sur la culture de plantes génétiquement modifiées en plein champ et destinée à protéger les exploitations avoisinantes des effets d'une telle culture". En effet, en vertu des dispositions législatives et réglementaires instituant la police spéciale des OGM, "il appartient aux seules autorités nationales auxquelles les dispositions précitées du Code de l'environnement confient la police spéciale de la dissémination des organismes génétiquement modifiés de veiller au respect du principe de précaution, que la réglementation prévue par le Code de l'environnement a précisément pour objet de garantir, conformément à l'objectif fixé par l'article 1er de la Directive du 12 mars 2001 (Directive (CE) 2001/18, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement N° Lexbase : L8079AUR ) qu'elle a pour objet de transposer".
La portée du principe de précaution est ainsi clairement précisée : il ne s'agit pas d'un outil juridique qui serait à la disposition de toutes les autorités administratives, quel que soit leur échelon, à l'aune duquel elles pourraient porter une appréciation sur les décisions prises par d'autres autorités. Plus généralement, ce principe ne se superpose pas à la réglementation, mais doit être apprécié dans le cadre de l'application de cette dernière. Il n'y a donc pas lieu de l'invoquer ou d'en poursuivre l'application, dès lors que cet objectif a déjà été réalisé. Le principe doit donc impérativement s'intégrer dans les procédures existantes et ne peut, en aucun cas, permettre de déroger aux procédures instituées par le législateur. On voit que le souci du Conseil d'Etat demeure d'éviter les détournements de procédure. En effet, le principe profite à tous, et particulièrement aux pétitionnaires dont la demande fait l'objet d'une instruction poussée, fondée, notamment, sur le principe de précaution. Il serait inique qu'au nom de ce principe, apprécié différemment par une autorité ne disposant pas des mêmes capacités d'analyse, l'autorisation accordée par le pouvoir de police spéciale soit réduite à néant par une autorité de police générale. Il ne faut pas, en effet, être naïf : du point de vue des élus locaux, le principe de précaution n'est conçu que comme un instrument d'interdiction de techniques jugées dangereuses. Ce principe doit donc s'apprécier à l'occasion de l'application des diverses réglementations et ne doit pas venir s'opposer à leur mise en oeuvre.
La solution n'est pas surprenante. D'une part, elle est parfaitement conforme aux textes applicables. Ceux-ci désignent l'autorité de police compétente et instaurent une procédure d'instruction complète qui conduit à l'avis d'une autorité scientifique sur des domaines particulièrement pointus, mettant, ainsi, en oeuvre le principe tel qu'il est défini par la Charte de l'environnement. D'autre part, elle est la seule solution supportable. En effet, toute autre réponse de la part du Conseil d'Etat aurait ouvert la boîte de Pandore : de nombreux maires auraient, à n'en pas douter, suivi l'exemple du maire de la commune en cause dans la décision du 24 septembre et on aurait vu une multitude d'arrêtés municipaux venir restreindre, sans autre fondement que le principe de précaution, entendu comme la recherche du risque zéro, la portée géographique de l'autorisation accordée par le ministre de l'Agriculture. Le désordre inhérent à une telle solution permettait de l'exclure d'office. Le fait que le principe de précaution soit déjà pris en compte dans la réglementation a, ainsi, permis au Conseil d'Etat d'éviter des contorsions juridiques pour faire prévaloir l'ordre et l'unité du système juridique. Le principe de précaution n'est donc pas susceptible d'ouvrir une brèche au sein des règles de répartition de compétence entre autorités de police.
(1) CJCE, 9 septembre 2003, aff. C-236/01 (N° Lexbase : A5262C9R), Rec. I. 8105.
(2) TPICE, 26 novembre 2002, aff. T-74/00 (N° Lexbase : A2158A4P).
(3) CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-333/08 (N° Lexbase : A6689EQS).
(4) CJCE, 9 septembre 2003, aff. C-236/01, préc..
(5) CJCE, 23 septembre 2003, aff. C-192/01 (N° Lexbase : A5825C9M), Rec. I. 9693.
(6) CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-333/08, préc..
(7) Y. Jégouzo, De certaines obligations environnementales : prévention, précaution et responsabilité, AJDA, 2005, p. 1164.
(8) P. Malinvaud, Le principe de précaution, un principe contagieux, Revue de droit immobilier, 2011, p. 353.
(9) CAA Lyon, 5ème ch., 30 juin 2010, n° 09LY01065, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9868E7M).
(10) CE Sect., 5 mai 1986, n° 61219, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4748AMS), Rec., p. 127.
(11) CE 8° et 9° s-s-r., 8 février 1999, n° 168382, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4637AXZ).
(12) CE 1° et 4° s-s-r., 2 décembre 1983, n° 13205, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0816AM8), Recueil, p. 470.
(13) CE Ass., 26 octobre 2011, n° 326492 (N° Lexbase : A0172HZE), n° 329904 (N° Lexbase : A0173HZG), et n° 341767 (N° Lexbase : A0174HZH), publiés au recueil Lebon.
(14 ) R. Denoix de Saint Marc, Vers une socialisation raisonnée du risque, AJDA, 2005, p. 2201.
(15) CE 3° et 8° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 309632, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1315E4H).
(16) CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 262105, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7309DLB).
(17) Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC (N° Lexbase : A2111D93), AJDA, 2008, p. 1232.
(18) CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 328687, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9950E4B).
(19) CE 2° et 7° s-s-r., 30 janvier 2012, n° 344992, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6872IB7).
(20) CE 3° et 8° s-s-r., 19 mai 2003, n° 251850, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1736B98).
(21) CE Ass., 26 octobre 2011, n° 326492, n° 329904 et n° 341767, préc..
(22) CE 3° et 8° s-s-r., 23 juillet 2012, n° 341726, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0725IRB).
(23) CE 9° et 10° s-s-r., 4 août 2006, n° 254948, publié au recueil Lebon ([LXB=A7922DQH)]).
(24) CE 1° et 6° s-s-r., 13 juillet 2006, n° 293764, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6599DQH).
(25) CE 1° et 6° s-s-r., 26 novembre 2010, n° 323694, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4316GLG).
(26) CE 2° et 7° s-s-r., 26 juillet 2011, deux arrêts, mentionné aux tables du recueil Lebon, n° 342454 (N° Lexbase : A8378HW9) et n° 342453 (N° Lexbase : A8377HW8).
(27) CE 2° et 7° s-s-r., 10 juillet 2006, n° 271835, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3915DQ3).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433983
Réf. : Projet de loi de finances pour 2013, art. 57
Lecture: 4 min
N3984BTQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 19 Octobre 2012
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le dispositif "Duflot" tel qu'il est inscrit dans le projet de loi de finances pour 2013 ?
Jean-Dominique Delannoy : Ce dispositif concerne les logements acquis neufs entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2016 (en réalité, ce dispositif est un peu plus large mais nécessiterait des développements beaucoup plus étoffés). Cette réduction d'impôt s'appliquerait pour le contribuable justifiant du respect d'un niveau de performance énergétique globale fixé par décret en fonction du type de logement concerné.
Les immeubles devraient être situés en France dans des communes classées par arrêté dans certaines zones géographiques caractérisées par un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements. Toutefois, dans les zones où ces besoins sont localisés, la réduction d'impôt s'appliquerait aux logements situés dans les communes qui ont fait l'objet, dans des conditions définies par décret, d'un agrément du représentant de l'Etat dans la région.
De plus, la loi prévoit que, dans un même immeuble neuf comportant au moins cinq logements, un pourcentage de ces logements devrait être acquis sans pouvoir ouvrir droit à la réduction d'impôt. Ce pourcentage, qui ne pourrait être inférieur à 20 %, serait fixé par décret.
Le propriétaire du logement devra prendre l'engagement de le donner en location nue à titre d'habitation principale pendant une durée minimale de 9 ans.
L'engagement de location devrait prévoir que le loyer et les ressources du locataire, appréciés à la date de la conclusion du bail ne doivent pas excéder les plafonds fixés par décret en fonction de la localisation et de son type.
Lexbase : Quels sont les écueils, rencontrés par le dispositif "Scellier", auxquels le "Duflot" tente d'échapper ? Pensez-vous que la tentative réussisse ?
Jean-Dominique Delannoy : Le dispositif "Scellier" (il en existe plusieurs) aurait eu, selon ses détracteurs, l'inconvénient de construire des logements neufs dans des communes où la pénurie de logements n'était pas évidente. Il en serait résulté que certains investisseurs n'auraient pas trouvé de locataire pour ces logements.
De plus, il était considéré que malgré les coups de rabots successifs subis par ce dispositif, il coûtait trop cher aux finances publiques. Le même reproche avait d'ailleurs été fait dans le passé pour d'autres dispositifs, comme le "Robien" (1) ou le "Périssol" (2).
En fait, les dispositifs fiscaux qui rencontrent du succès auprès des investisseurs engendrent, en général, un coût prohibitif pour les finances publiques.
Lexbase : Les dispositifs concernant les niches fiscales (coup de rabot et plafonnement global) sont-ils applicables au "Duflot" ?
Jean-Dominique Delannoy : La réduction d'impôt prévue par ce dispositif serait basée sur le prix de revient du logement retenu dans la limite d'un plafond par m² de surface habitable fixé par décret et sans pouvoir dépasser la limite de 300 000 euros par contribuable et pour une même année d'imposition.
Le taux de la réduction d'impôt serait fixé à 18 % et réparti sur 9 années. Elle serait accordée au titre de l'année d'achèvement du logement ou de son acquisition si elle est postérieure à l'achèvement.
Cette réduction d'impôt, en application au 1er janvier 2013, rentrerait dans le plafonnement des niches fiscales (3), dont le taux est fixé à 10 000 euros pour cette même année 2013. A titre indicatif, pour un investissement de 300 000 euros, le contribuable pourrait réduire son impôt sur le revenu de 6 000 euros par an et ce sur 9 ans.
Lexbase : Le "Duflot" pourrait-il, selon vous, constituer une réponse efficace à la crise du logement ?
Jean-Dominique Delannoy : Les commentateurs avertis du secteur de la construction neuve en France estiment, de façon quasi unanime, que ce dispositif aura peu d'impact sur la crise du logement, compte tenu de toutes les contraintes que ce texte impose (zonage, prix maximum au m², ressources plafonnées du locataire et plafonnement du loyer).
De plus, le contribuable devra arbitrer ce dispositif avec d'autres dispositifs qui rentrent également à partir de 2013 dans le plafonnement des niches fiscales à 10 000 euros, et l'on cite notamment comme autre avantage fiscal visé par le plafonnement l'emploi des salariés à domicile.
Mes interlocuteurs dans le domaine de la construction promotion sont très dubitatifs et réservés sur ce dispositif, dans la mesure où de nombreux décrets devraient paraître début 2013 afin de délimiter les modalités d'application de ce dispositif. La seule bonne nouvelle pour eux, c'est l'existence d'un texte, car ils redoutaient que le Gouvernement ne prévoie rien en ce domaine.
Lexbase : A quel(s) type(s) de contribuable(s) pourriez-vous conseiller le recours au dispositif "Duflot" ?
Jean-Dominique Delannoy : A ce stade, le texte n'est pas voté et pourrait subir des modifications au cours des débats parlementaires et en matière d'investissements immobiliers à connotation fiscale, il est impératif de faire un bilan de l'opération, à savoir de procéder à des calculs de rentabilités financières, c'est-à-dire, par exemple, est-ce que la réduction de loyer imposée par le texte sur une durée de 9 ans minimum est compensée par la réduction d'impôt.
En fait, pour un contribuable qui utiliserait au maximum ce nouveau dispositif, c'est-à-dire réduire de 10 000 euros son impôt par an (donc investir sur deux ans un montant de 500 000 euros, ce qui correspondrait à une réduction d'impôt de 100 000 euros environ sur 10 ans).
La réduction d'impôt, a priori, compenserait largement la baisse du loyer car, faut-il le rappeler, le loyer est lui-même imposable, au contraire de la réduction d'impôt (hors plafonnement ISF).
(1) CGI, art. 31, I, 1, h (N° Lexbase : L1189HPQ) ; dispositif disparu depuis le 1er janvier 2010.
(2) CGI, art. 31, I, 1, f (N° Lexbase : L1093HL3) ; dispositif disparu depuis le 31 décembre 1998 avec prorogation temporaire jusqu'au 31 août 1999.
(3) CGI, art. 200-0 A (N° Lexbase : L5282IR3).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433984
Lecture: 2 min
N4072BTY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 18 Octobre 2012
Pour optimiser ces avancées, une mission d'imputabilité lésions/SBS a été rédigée par plusieurs acteurs de l'audition publique. Pour la mettre en oeuvre, les experts devront réunir ou s'adjoindre des compétences très précises en radiologie, ophtalmologie et/ou autopsie pédiatriques.
Le programme de cette journée a pour ambition de familiariser tous les acteurs de la prise en charge de cette victime souvent méconnue à ces avancées novatrices.
9h : Introduction - Dr Anne Laurent-Vannier, Présidente du comité d'organisation et membre du Jury de l'audition publique
Mécanismes lésionnels lors du secouement d'un bébé
9h15
- Caractéristiques du bébé et des mécanismes en oeuvre dans le secouement - Pr Jean-Sébastien Raul, Neurochirurgien à l'institut médico-légal de Strasbourg, Expert de l'audition publique
- Caractéristiques, en imagerie, des lésions consécutives à un secouement - Pr Catherine Adamsbaum, Radiologue pédiatre à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, Ancienne Présidente de la société francophone d'imagerie pédiatrique et prénatale
10h15 Pause
Diagnostics différentiels et critères diagnostiques
10h30
Lignes de partage entre traumatisme infligé, traumatisme accidentel, pathologies - Recommandations de la HAS sur le diagnostic de secouement - Dr Anne Laurent-Vannier
12h Déjeuner
Mise en oeuvre des recommandations et datation des lésions
13h30
- L'enfant vivant : signes d'appel, facteurs de risque, réitération et expertise d'imputabilité - Dr Caroline Rey-Salmon, Pédiatre de l'unité médico-judiciaire à l'Hôtel Dieu Paris, Expert de l'audition publique
- La prise en charge en cas de mort inattendue du nourrisson (recommandations de la HAS de 2007) et les spécificités de l'autopsie pédiatrique en cas de suspicion de secouement - Pr Jean-Sébastien Raul
Les séquelles
15h
- Atteintes précoces lors du neuro-développement du bébé : des séquelles délétères qui peuvent n'apparaître que tardivement - Pr Emmanuel Raffo, Pédiatre
- Et nécessitant des investigations expertales spécifiques - Dr Anne Laurent-Vannier
16h Pause
Suites judiciaires au diagnostic de secouement
16h15
Les recommandations de la HAS sur le signalement et l'importance de l'indemnisation de cette victime d'une infraction pénale - Mme Elisabeth Vieux, Magistrat honoraire, expert de l'audition publique
17h15
Conclusions - Dr Anne Laurent-Vannier
17h30
Fin des travaux
7h de formation gratuite, validées au titre de la formation continue
Inscription auprès du secrétariat de l'Ordre
Programme et informations : www.avocats-metz.com
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:434072
Réf. : Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-23.335, FS-P+B (N° Lexbase : A9275ISC)
Lecture: 11 min
N3982BTN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)
Le 18 Octobre 2012
Résumé
Lorsque des modifications sont apportées aux droits et obligations des membres participants d'une mutuelle, l'employeur ou la personne morale est également tenu d'informer chaque membre participant en lui remettant une notice établie à cet effet par la mutuelle ou par l'union ; pour les opérations collectives facultatives, tout membre participant peut, dans un délai d'un mois à compter de la remise de la notice, dénoncer son affiliation en raison de ces modifications. |
I - Les enjeux juridiques du mode d'engagement à l'égard de l'assureur mutualiste
Il existe trois façons d'être couvert par une mutuelle. La couverture peut, en effet, être le fruit d'une adhésion individuelle décidée à titre personnel mais aussi d'un acte de volonté individuelle exprimé dans le cadre d'une opération collective à adhésion facultative initiée par une personne morale ou encore la conséquence d'une opération collective à adhésion obligatoire à l'occasion de laquelle les bénéficiaires n'ont pas à manifester leur volonté.
Si la distinction entre opérations collectives et adhésion individuelle semble a priori pertinente, le cas d'espèce appelle davantage à souligner le distinguo entre les deux modalités juridiques d'engagement : l'engagement qui résulte de la signature d'un bulletin d'adhésion et celui qui se matérialise par la souscription d'un contrat collectif par une personne morale. La voie empruntée est déterminante à plus d'un titre.
Signature d'un bulletin d'adhésion. Lorsqu'une personne souscrit une couverture santé auprès d'une mutuelle, elle fait acte d'adhésion et "la signature du bulletin d'adhésion emporte acceptation des dispositions des statuts et des droits et obligations définis par le règlement [mutualiste]" (C. mut, art. L. 114-1, al. 5 N° Lexbase : L6204DKY). Par conséquent, on est en présence d'un contrat d'adhésion car l'adhérent (ou membre participant) ne négocie pas le contenu du contrat (notamment nature et niveau des garanties, montant des cotisations) qui est prédéterminé par le règlement mutualiste ; il dispose seulement de la liberté de ne pas adhérer si le contenu ne le satisfait pas.
Le règlement mutualiste est le support juridique qui définit les engagements contractuels liant la mutuelle à chaque membre participant tant en ce qui concerne le volet "prestations" que le volet "cotisations". La logique contractuelle s'exprime cependant mais de façon particulière. En effet, sous réserve qu'elles lui soient notifiées (4), les modifications du règlement mutualiste sont opposables à chaque membre participant là où le droit commun requiert l'accord des deux parties pour faire évoluer le contenu du contrat (C. civ., art. 1134 N° Lexbase : L1234ABC). L'assentiment individuel de l'adhérent n'est pas requis mais la modification n'en est pas moins consentie, le consentement résultant du vote exprimé par l'assemble générale sur les propositions de modification du règlement mutualiste suggérées par le conseil d'administration. En d'autres termes, les modifications sont acceptées collégialement par la collectivité des membres participants qui, en application de la démocratie mutualiste, disposent tous d'une voix au sein de l'assemblée générale (5).
La modalité de l'adhésion au règlement mutualiste trouve principalement à s'exprimer dans le cadre des opérations individuelles (6). Elle peut toutefois être également utilisée pour des opérations collectives ; en effet, l'engagement liant la mutuelle à la personne morale ou à l'employeur peut résulter soit de la signature d'un bulletin d'adhésion, soit de la souscription d'un contrat collectif (7). Lorsque la voie du bulletin d'adhésion est empruntée, la situation juridique créée est tout à fait comparable à celle évoquée précédemment au titre des opérations individuelles : l'adhésion se fait au règlement mutualiste, règlement dont les modifications résultent d'un vote de l'assemblée générale et s'imposent aux membres participants de l'opération collective (c'est-à-dire les membres du groupe bénéficiaire de l'opération).
Souscription d'un contrat collectif. Dans le cadre d'une opération collective, les engagements réciproques de la mutuelle et du souscripteur (personne morale ou employeur) peuvent résulter d'un contrat de gré à gré dont le contenu est le fruit d'une négociation entre les parties. Les prestations y figurant peuvent dès lors différer de celles prévues dans le règlement mutualiste. Le plus souvent, ce mode d'engagement permet au souscripteur de faire bénéficier les membres d'un groupe de garanties "calées" sur les besoins exprimés.
La logique est davantage contractuelle que strictement mutualiste. Elle emporte comme conséquence principale que la modification du contrat collectif procède nécessairement d'un avenant signé des parties (C. mut., art. L. 221-5-II N° Lexbase : L6029DKI) et non d'un vote de l'assemblée générale de l'organisme mutualiste. Si la solution semble relever de l'évidence juridique, elle ne va pas sans difficulté dans l'hypothèse d'une opération collective à adhésion facultative. En effet, la situation créée se situe alors à mi-chemin de la logique contractuelle pour ce qui est des relations mutuelle/souscripteur et de la logique de l'adhésion mutualiste pour ce qui concerne les relations entre la mutuelle et les personnes faisant le choix individuel d'adhérer. Le cas d'espèce est une parfaite illustration de l'ambiguïté juridique des opérations collectives à adhésion facultative lorsqu'une modification survient.
II - Les conditions de résiliation d'une opération collective à adhésion facultative souscrite par voie contractuelle
On était ici en présence d'une association ayant souscrit un contrat collectif "frais de santé" auprès d'une mutuelle au bénéfice de ses membres. Ce contrat était à adhésion facultative et plusieurs membres de l'association avaient fait le choix d'y adhérer, devenant par là même membres participants de la mutuelle. Mais un différend survint au cours de l'année 2009 consécutivement à la décision de la mutuelle d'augmenter les cotisations. Confrontée à cette décision, l'association souscriptrice adressa un courrier le 15 novembre 2009 à ses membres leur demandant de lui retourner une lettre de résiliation avant le 22 novembre afin de transmission à la mutuelle. Cependant, cette dernière réclama le paiement des cotisations au titre de l'année 2010 arguant du fait que les adhérents n'avaient pas respecté le délai de prévenance de deux mois prévu par le règlement mutualiste et l'article L. 221-10 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6025DKD). Elle obtint des ordonnances d'injonction de payer les cotisations 2010 contre lesquelles les adhérents concernés formèrent opposition. En premier et dernier ressort, la juridiction de proximité condamna les adhérents au paiement de la cotisation 2010. Le jugement est toutefois cassé par la deuxième chambre civile au visa de l'article L. 221-6 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6030DKK).
Les textes en présence. Toute la difficulté réside dans l'existence de textes a priori contradictoires. En effet, le règlement mutualiste de la mutuelle avait manifestement fait siennes les dispositions de l'article L. 221-10 du Code de la mutualité qui prévoit que "le membre participant, pour les opérations individuelles, le membre participant ou l'employeur ou la personne morale, pour les opérations collectives à adhésion facultative, la personne morale souscriptrice, pour les opérations collectives à adhésion obligatoire, peut mettre fin à son adhésion ou résilier le contrat collectif tous les ans en envoyant une lettre recommandée à la mutuelle ou à l'union au moins deux mois avant la date d'échéance [...]" (8).
En revanche, l'article L. 221-6 encadre la résiliation dans les seules opérations collectives. Il précise, d'une part, que, "lorsque des modifications sont apportées aux droits et obligations des membres participants, l'employeur ou la personne morale est également tenu d'informer chaque membre participant en lui remettant une notice établie à cet effet par la mutuelle[...]" et, d'autre part, que, "pour les opérations collectives facultatives, tout membre participant peut, dans un délai d'un mois à compter de la remise de la notice, dénoncer son affiliation en raison de ces modifications".
Dans l'espèce commentée, les membres de l'association souscriptrice avaient notifié à la mutuelle leur décision de résiliation dans le mois au cours duquel ils avaient été informés de la future augmentation des cotisations (c'est-à-dire dans le délai mentionné à l'article L. 221-10). Réalisée fin novembre 2009, cette notification était donc intervenue moins de deux mois avant la date d'échéance (contrairement aux dispositions de l'article L. 221-6), ce qui avait conduit l'organisme mutualiste à exiger le paiement de la cotisation 2010.
La solution retenue par la Cour de cassation. Au visa de l'article L. 221-6 du Code de la mutualité, la Cour de cassation casse le jugement. Elle invite les juges du fond à s'en tenir à l'application de ce texte, ce qui suppose de vérifier "tout simplement" si les adhérents ont fait jouer leur faculté de résiliation dans le délai spécifique d'un mois prévu par ce texte.
A l'égard des adhérents, la solution n'ouvre guère la voie à la critique puisque, dans le cadre d'une opération collective à adhésion facultative, l'article L. 221-6 est sans ambiguïté sur deux points qui étaient vérifiés :
- la dénonciation est ouverte en cas de modifications "apportées aux droits et obligations" ; or, au cas d'espèce, la modification portait sur la tarification et affectait donc les obligations des adhérents.
- le point de départ du délai spécifique d'un mois est la date de remise aux adhérents, par la personne morale souscriptrice (ici, l'association), de la notice établie par la mutuelle et l'informant des modifications projetées (9). En l'occurrence, le droit de dénonciation était donc ouvert et avait été exercé dans le délai imparti (information sur les modifications communiquée par courrier du 15 novembre 2009 et lettres de résiliation parvenues à la mutuelle fin novembre 2009).
Par cette décision, la deuxième chambre civile considère que les dispositions relatives au délai de résiliation contenues dans l'article L. 221-6 "priment" sur celles de l'article L. 221-10. Et la solution ne peut surprendre puisqu'il s'agit en réalité de faire application du principe selon lequel on applique -lorsqu'elle existe- la règle spéciale par préférence à la règle générale (specialia generalibus derogant). L'article L. 221-10 abordant en des termes généraux le délai de résiliation est logiquement écarté au bénéfice de l'article L. 221-6 qui traite lui aussi de la résiliation mais dans une hypothèse particulière (modification concernant une opération collective à adhésion individuelle). Cette dernière étant caractérisée, le juge la soumet par conséquent et inéluctablement à la règle spéciale. En d'autres termes, la mutuelle ne pouvait valablement opposer aux membres de l'association le non-respect du délai prévu tant par le règlement mutualiste que le "droit commun" (C. mut., art. L. 221-10).
III - Les questions en suspens
Le rôle du souscripteur personne morale dans la procédure de résiliation. Les opérations collectives à adhésion facultative sont teintées d'ambiguïté, spécialement quant au rôle qu'y occupe le souscripteur (employeur ou personne morale telle qu'une association) au stade de la résiliation. L'article L. 221-6 du Code de la mutualité fait de lui une sorte d'intermédiaire ou d'interface entre la mutuelle et les membres ayant fait le choix d'adhérer.
En effet, lorsque la mutuelle a informé le souscripteur de modifications apportées aux droits et obligations des bénéficiaires, le texte met alors à la charge du souscripteur l'obligation de remettre à chaque membre adhérant la notice modificative qu'il a lui-même reçue de l'organisme mutualiste. La remise à l'adhérent constitue le point de départ du délai de résiliation d'un mois dont dispose individuellement chaque bénéficiaire en application de l'article L. 221-6 (10).
Si le souscripteur n'a pas fait diligence pour remettre la notice, cela n'emporte pas d'effet dans les relations mutuelle/adhérents individuels. C'est d'ailleurs ce qu'il semblait s'être produit dans l'affaire présentée. Les moyens annexés au pourvoi font état du fait que la mutuelle avait informé le souscripteur de la hausse des cotisations au cours du premier semestre 2009. Or, celui-ci n'avait répercuté l'information auprès de ses membres qu'à la mi-novembre. Pour autant, la solution de la Cour de cassation ne permet pas à la mutuelle d'opposer à l'adhérent le caractère tardif de la résiliation alors même qu'elle a satisfait à son obligation d'information à l'égard du souscripteur bien en amont du moment où l'association a décidé de répercuter l'information relative à la modification auprès de ses membres. En revanche, en cas de condamnation des membres de l'association à s'acquitter de la cotisation 2010, il aurait été tout à fait envisageable pour eux de se retourner contre l'association pour avoir fait preuve de légèreté blâmable dans l'exercice de son obligation d'information et de conseil, la transmission tardive de la modification les ayant empêchés d'exercer à temps leur faculté de résiliation.
Le rôle de l'assemblée générale de la mutuelle. Dans le fonctionnement mutualiste, l'assemblée générale est l'organe souverain. En attestent les attributions que l'article L. 114-9 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6195DKN) lui confie. L'assemblée générale statue notamment sur les montants ou taux de cotisations et les prestations offertes (11). Ainsi, dans le cadre des opérations individuelles mais également des opérations collectives reposant sur la signature d'un bulletin d'adhésion, les modifications des garanties et/ou du montant des cotisations ne peuvent être mises en oeuvre que consécutivement à un vote de l'assemblée générale ; c'est cette délibération qui rend opposable aux adhérents concernés les modifications.
La place de l'assemblée générale est plus délicate à définir en présence d'opérations collectives ayant donné lieu à la souscription d'un contrat de gré à gré avec la mutuelle. En effet, les modifications susceptibles d'être apportées au contenu de l'engagement contractuel requièrent la signature d'un avenant (C. mut., art. L. 221-5-II). Au regard des attributions dévolues à l'assemblée générale, il y a toutefois lieu de se demander si les avenants contractuels ne doivent pas donner lieu à validation par l'organe souverain de la mutuelle.
Le sort des adhésions individuelles en cas de dénonciation du contrat collectif. Cette question est très rapidement évoquée dans les moyens annexés au pourvoi mais ne trouve pas écho dans la décision, la solution fondée sur l'article L. 221-6 ne rendant pas nécessaire de statuer sur les autres griefs. Pourtant, les opérations collectives à adhésion facultative peuvent se dénouer dans des conditions qui mettent en jeu toutes les parties intéressées. Il en va ainsi lorsque le souscripteur décide de résilier le contrat qui le lie à la mutuelle puisque le sort des adhésions individuelles se pose.
Au cas présent, l'association avait résilié le contrat collectif la liant à MGF au mois de juin 2009. Selon un des moyens annexés, cette résiliation par le souscripteur aurait dû entraîner par voie de conséquence la caducité des adhésions individuelles (12), ce qui n'aurait pas rendu légitime la demande de paiement de la cotisation 2010 formulée par la mutuelle à l'encontre des membres adhérents. Or, la juridiction de proximité a estimé que la résiliation du contrat collectif avant le terme prévu "ne change pas les obligations contractuelles de chaque adhérent qui a conservé sa liberté individuelle envers la MGF".
Bien que la Cour de cassation n'apporte pas réponse à ce moyen, elle considère implicitement que les adhésions individuelles ne sont pas affectées par la résiliation du contrat collectif puisqu'elle tranche la question des conditions de résiliation de ces adhésions individuelles... ce qui présuppose que celles-ci sont toujours existantes. Elles ne sont donc pas privées d'effet par la décision postérieure de l'association de résilier le contrat collectif et ce alors même que ce contrat fixait le cadre dans lequel les manifestations individuelles d'adhésion pouvaient s'exprimer. De nouveau, la situation ainsi créée traduit bien toute l'ambiguïté de ces opérations collectives à adhésion facultative et le caractère tout relatif de la dimension collective : les adhésions individuelles survivent malgré la disparition de l'acte qui leur servait de support. Juridiquement, la solution n'est pas exempte de critiques ; elle est toutefois protectrice des intérêts des adhérents dont la relation avec la mutuelle n'est pas dépendante d'une décision du souscripteur sur laquelle ils n'ont aucune prise.
(1) Sur les caractéristiques de la protection sociale d'entreprise, v. Enquête Protection sociale complémentaire d'entreprise 2009, IRDES, Les rapports de l'IRDES, n° 1890, juillet 2012.
(2) CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L9528IT3).
(3) Dans le cadre collectif, le souscripteur est le plus souvent un employeur. Cependant, au cas d'espèce, il s'agissait d'une personne morale (en l'occurrence une association) qui agissait au bénéfice de ses membres adhérents et non de ses salariés.
(4) C. mut., art. L. 221-5 (N° Lexbase : L6029DKI).
(5) Application du principe démocratique "un homme, une voix".
(6) V. la formulation de l'article L. 221-2-II du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6035DKQ).
(7) Cette alternative existe aussi bien pour les opérations collectives dites facultatives que celles dénommées obligatoires (v. C. mut., art. L. 221-2-III 1° et 2°).
(8) Il s'agit là d'un délai maximum auquel il ne peut être dérogé. Ainsi, il a été jugé que les parties ne peuvent contractuellement prévoir une clause imposant un délai de préavis d'une durée supérieure à celle prévue à l'article L. 221-10 du Code de la mutualité. V. Cass. civ. 2, 15 septembre 2011, n° 10-23.837, FS-D (N° Lexbase : A7569HXM).
(9) Des interrogations relatives à la nature et à la preuve de l'information auraient pu être soulevées mais il n'en a rien été au cas d'espèce. Cependant, le contentieux sur ces questions existe en raison du silence du législateur quant aux modalités de remise de la notice (silence rencontré tant dans le Code des assurances que dans le Code de la mutualité).
(10) La question ne se pose pas du tout dans les mêmes termes lorsque l'opération collective (ou le contrat d'assurance de groupe) est à adhésion obligatoire. En effet, en cas de modifications du contenu de l'opération, les adhérents ne disposent d'aucun "droit de sortie" (absence de faculté de dénonciation), les modifications leur étant opposables dès lors qu'ils en ont été informés.
(11) Pour la détermination des cotisations et des prestations, délégation annuelle -peut être donnée par l'assemblée générale au conseil d'administration. Cette délégation n'est valable que pour un an (C. mut., art. L. 114-11 N° Lexbase : L6191DKI).
(12) Les adhésions individuelles auraient été privées d'effet par la survenance d'un événement postérieur, à savoir la résiliation anticipée du contrat collectif par le souscripteur.
Décision
Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-23.335, FS-P+B (N° Lexbase : A9275ISC) Texte visé : C. mut., art. L. 221-6 (N° Lexbase : L6030DKK) Mots-clés : contrat collectif, adhésion facultative, résiliation, complémentaire santé Liens base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433982
Réf. : Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-13.177, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5388ITQ)
Lecture: 12 min
N3974BTD
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Séverin Jean, docteur en droit privé, Université Toulouse I Capitole (IEJUC)
Le 18 Octobre 2012
Cet arrêt se prononce très clairement en faveur d'une appréciation stricte de la prévisibilité du dommage. Certes, on pourra très bien objecter que la Cour de cassation, en censurant le jugement au nom d'un défaut de base légale, ne se positionne pas aussi sévèrement puisqu'elle aurait pu trancher la contestation dans le sens inverse si la juridiction de proximité avait suffisamment constaté les faits pour que la Cour de cassation puisse statuer sur le droit. Cela étant dit, nous souscrivons à l'analyse retenue par les magistrats du quai de l'Horloge. En effet, la solution doit être saluée car, d'une part, la détermination de la prévisibilité du dommage tient à la seule existence d'un contrat et non à la prétendue responsabilité contractuelle (I) et, d'autre part, parce qu'il en résulte nécessairement une appréciation stricte de la prévisibilité du dommage (II).
I - La détermination de la prévisibilité du dommage
La prévisibilité du dommage est une spécificité contractuelle inscrite à l'article 1150 du Code civil, lequel dispose que "le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat [...]". En d'autres termes, en matière contractuelle, seules les conséquences prévues ou prévisibles (2) de l'inexécution contractuelle au moment de la formation du contrat ne peuvent donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts (3). Le contrat de transport -comme tous les contrats- n'échappe pas à l'exigence de la prévisibilité du dommage au moment de sa conclusion comme l'énonce la Cour de cassation (A). En revanche, on oublie trop souvent que cette spécificité est consubstantielle à la notion de contrat et non, comme on aime à le penser, à celle de responsabilité (B).
A - La prévisibilité du dommage inhérente à tout contrat
La prévisibilité du dommage en matière contractuelle a pour effet de limiter l'indemnisation des préjudices dans la mesure où seuls ceux qui ont été prévus ou prévisibles lors de la formation du contrat sont indemnisés. La prévisibilité du dommage est alors présentée comme une exception au principe de la réparation intégrale et partant, comme une spécificité de la défaillance contractuelle. Tout contrat suppose une rencontre de volontés, et c'est précisément parce que celle-ci survient que se justifie la prévisibilité du dommage. Parce que l'on sait à quoi l'on s'engage, on sait ce que l'on risque ; et parce que l'on sait ce que l'on risque, on s'engage ou non. En l'espèce, le contrat de transport avait pour objet de transporter un avocat de Limoges à Paris, qui en contrepartie s'est acquitté du prix du billet. Dès lors, on comprend que la Cour de cassation n'accepte d'indemniser l'avocat qu'à hauteur du coût du billet, "celui-ci rendu inutile par l'effet du retard subi". En effet, il était prévisible, dès la formation du contrat, que l'avocat subirait une perte constituée par le prix du billet en cas de retard du train (4). En d'autres termes, le préjudice prévisible n'est autre dans cet arrêt que l'objet de l'obligation, c'est-à-dire le coût du transport. D'autres préjudices étaient-ils prévisibles ?
Si la Cour de cassation ne retient que le prix du billet de train au titre du préjudice prévisible, c'est sans doute parce que la perte d'honoraires, la perte de crédibilité ainsi que l'inquiétude et l'énervement éprouvés par l'avocat ne sauraient pénétrer la sphère contractuelle. Cela est d'autant plus vrai dans notre affaire que le contrat en cause est un contrat d'adhésion. La nature juridique du contrat de transport -contrat d'adhésion- se heurte à la possibilité pour le passager d'en restreindre ou d'en élargir le contenu et de prévenir la SNCF de la nécessité de respecter la ponctualité du train. Néanmoins, cet argument tient essentiellement au fait que l'on raisonne en termes de compensation, c'est-à-dire de responsabilité, là où il faudrait simplement envisager les choses sous le seul prisme de l'exécution par équivalent, c'est-à-dire en dehors de toute idée de responsabilité.
B - La prévisibilité du dommage étrangère à toute responsabilité
Cet arrêt est l'occasion de revenir sur la thèse réfutant l'existence de la responsabilité contractuelle (5). Ceux qui prônent l'inexistence de la responsabilité contractuelle estiment que le contrat suppose d'être exécuté alors que la responsabilité a vocation à rétablir la victime dans la situation qui aurait été la sienne si elle n'avait pas subi un préjudice. En d'autres termes, "on exécute ce que l'on doit, c'est-à-dire ce qui a été promis par le contrat ; on répare le dommage causé par sa faute ou sa négligence" (6). Dès lors, en exécutant mal le contrat de transport, la SNCF a causé un préjudice à l'avocat constitué par la perte du prix du billet devenu inutile du fait du retard. L'exécution forcée par équivalent tend alors à réaliser l'objet de l'obligation et non à rétablir la situation de la victime.
En outre, on remarquera que la défaillance contractuelle ne rime pas avec faute contractuelle dans la mesure où l'inexécution n'est pas un fait générateur de responsabilité mais simplement un événement propre à obtenir satisfaction -ici par équivalent- du créancier (7). Il suffit pour s'en convaincre de constater que la Cour de cassation se moque que le train ait eu un retard de près de quatre heures, seul compte le fait qu'il n'était pas l'heure pour retenir l'inexécution contractuelle. Etre en retard et être très en retard constitue indifféremment une inexécution contractuelle (8) mais en aucun cas une faute. Quoiqu'il en soit, il faut bien avouer que les magistrats du quai de l'Horloge ne proclament pas implicitement la fin de la responsabilité contractuelle même si le résultat est identique.
La Cour de cassation en indiquant que seuls les dommages prévisibles, constituant "une suite immédiate et directe de l'inexécution" (9), peuvent donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts, s'inscrit pleinement dans la responsabilité contractuelle. En effet, elle fait très clairement référence à l'exigence d'un lien de causalité entre le retard du train -la défaillance contractuelle- et les différents préjudices invoqués par l'avocat. Or, si le régime de l'inexécution contractuelle ne s'assimile pas à un régime de responsabilité, la référence au lien de causalité est superflue car il s'agit simplement d'exécuter, en nature ou par équivalent, ce qui ne l'a pas été. "Ce n'est que par habitude que l'exigence de causalité est retenue comme une constance de la défaillance contractuelle, alors que le régime de celle-ci, sainement conçu, ignore la réalité de la causalité" (10). En outre, le fait que le jugement soit cassé pour défaut de base légale invite à penser que les dommages et intérêts auraient pu compenser les préjudices consécutifs au retard du train si le juge de proximité avait suffisamment établi leur prévisibilité de sorte qu'il est implicitement reconnu ici une fonction indemnitaire à la défaillance contractuelle (11).
En définitive, la Cour de cassation censure la juridiction de proximité à un double niveau : d'une part, l'absence de prévisibilité du dommage, et d'autre part, l'absence de lien de causalité. Or, la difficulté d'appréciation de ces notions tient à leur appréhension sous l'angle de la prétendue responsabilité contractuelle alors qu'en les envisageant en dehors, la solution retenue est justifiée et logique. Cela étant dit, c'est avant tout l'appréciation de la prévisibilité du dommage qui doit retenir notre attention, car sans elle, la question de la causalité ne se pose même plus.
II - L'appréciation de la prévisibilité du dommage
La prévisibilité du dommage concerne sa nature et sa quotité de sorte que l'on doit être en mesure, lors de la formation du contrat, de savoir en quoi il consisterait et quelle en serait son importance. Nonobstant, il ne faudrait pas oublier que le dommage indemnisé est à la fois celui qui est prévu et prévisible. Or, en allouant des dommages et intérêts au seul titre du coût du billet, ce serait accepter de réparer seulement le dommage prévu. Quid alors du dommage prévisible, c'est-à-dire celui qu'il est possible de prévoir ? La SNCF aurait-elle pu prévoir, du fait du retard du train, que l'avocat ne pourrait assister son client et qu'il en résulterait pour lui une perte d'honoraires, une perte de crédibilité ainsi que l'énervement et l'inquiétude qu'il a éprouvés ? La prévisibilité du dommage est assurément délicate (A), soit parce qu'elle est entendue trop largement, soit parce qu'elle est appréciée trop strictement. Pourtant, si l'on voulait bien admettre que la responsabilité contractuelle est une chimère, il serait alors possible d'apprécier plus sereinement le dommage prévisible (B).
A - L'appréciation délicate du dommage prévisible
Soit l'on s'attache seulement aux dommages "intrinsèques", ce qui revient à n'envisager que l'objet de l'obligation inexécutée, soit l'on accepte aussi de prendre en compte les dommages "extrinsèques", de sorte qu'il convient aussi de réparer les préjudices consécutifs à l'obligation inexécutée. La doctrine et la jurisprudence semblent aujourd'hui avoir opté pour l'indemnisation des dommages tant "intrinsèques" qu'"extrinsèques". Pourtant, l'arrêt du 26 septembre 2012 témoigne de la difficulté d'envisager ces derniers parce qu'encore faut-il rapporter la preuve que la SNCF avait connaissance de la suite du voyage de l'avocat. En d'autres termes, la SNCF devait-elle prévoir qu'une personne -dont la SNCF ignore d'ailleurs qu'elle est avocate- ne pourrait assister son client si le train était en retard ? Ou plus simplement, la SNCF avait-elle connaissance des suites que la personne victime d'un retard de train entendait donner à son voyage ? De toute évidence, il semble bien délicat de répondre par l'affirmative à ces questions, et quand bien même ce serait le cas, on comprend la difficulté pour le voyageur de rapporter une telle preuve. Par conséquent, le défaut de base légale n'est pas surprenant, le juge de proximité ne pouvant procéder que par pétition de principe (12). Pour autant, la rigueur de la solution de la Cour de cassation, bien que logique et empreinte de sagesse, n'est pas satisfaisante car il est certain que l'avocat a subi des préjudices qui ne seront jamais compensés. Aussi, la doctrine s'est employée à proposer des solutions à l'imprévisible dommage prévisible.
L'appréciation du dommage prévisible doit être entreprise in abstracto, c'est-à-dire par comparaison à ce qui aurait été prévisible pour le bon père de famille. Cela étant cette appréciation suppose d'être individualisée en tenant compte des circonstances où jour de la formation du contrat comme, par exemple, les usages ou encore la nature de l'engagement (13). Ainsi, la doctrine a proposé de tenir compte de la gare d'arrivée pour défendre l'idée que la SNCF pouvait se douter que l'arrivée en gare de Paris ne constituait pas la destination finale du voyageur mais seulement une étape du voyage se poursuivant, par exemple, par la prise d'un avion dans un aéroport parisien (14). Heureusement, une partie de la doctrine a démontré que cette conception était contestable ne serait-ce parce que l'attractivité de la capitale permet aussi de conclure dans un sens opposé, Paris étant souvent la destination finale.
On a ensuite avancé l'idée qu'il faudrait distinguer selon les circonstances du dommage. Il conviendrait de prendre en compte non seulement l'étendue du retard du train mais aussi la prévoyance dont a fait preuve le voyageur dans l'organisation de son voyage. Ainsi, il faudrait accepter l'indemnisation des préjudices consécutifs au retard du train lorsque ce dernier a beaucoup de retard alors que la victime s'était montrée suffisamment prévoyante quant à l'organisation de son voyage (15). Cette analyse n'est autre que l'argumentation de la juridiction de proximité qui, après avoir "rappelé l'impératif de ponctualité figurant au cahier des charges [de la SNCF, a retenu que la victime avait] pris la précaution d'organiser son voyage en se ménageant un temps suffisant pour se faire transporter en taxi à Paris au tribunal". Cette proposition est juste mais juridiquement inopérante, du moins, sous l'angle de la responsabilité contractuelle. En effet, tenir compte de l'importance du retard, revient à s'intéresser à l'inexécution contractuelle et non au préjudice. Et quand bien même, l'inexécution serait constituée du seul fait du retard sans que l'on en apprécie son importance (16).
B - L'appréciation possible du dommage prévisible
Le préalable consisterait à nier l'existence contractuelle. Ainsi, les dommages et intérêts alloués du fait d'une inexécution contractuelle correspondraient à une exécution forcée de l'obligation inexécutée. Il en résulterait alors que seul l'objet de l'obligation serait indemnisé, c'est-à-dire exclusivement le dommage prévu, "intrinsèque". Pour autant, on comprendrait mal que les conséquences de l'inexécution ne soient jamais compensées. Aussi, il conviendrait que les dommages "extrinsèques" obéissent au régime de la responsabilité délictuelle. En effet, "tandis que les dommages et intérêts intrinsèques, c'est-à-dire ceux représentant le promis, relèveraient d'une exécution en nature ou par équivalent correspondant au bien non reçu et satisfaisant ainsi l'établissement du droit subjectif au profit du créancier, les dommages et intérêts extrinsèques, c'est-à-dire ceux consistant à une compensation des utilités atteignant des biens autres que celui qui fait l'objet du contrat en cause, devraient être ordonnés, non pas sur le fondement de la prétendue responsabilité contractuelle mais au titre de la responsabilité délictuelle" (17). Le recours à la responsabilité délictuelle est d'ailleurs présent dans les termes de l'article 1150 du Code civil in fine puisque ce dernier prévoit la possibilité de dépasser le préjudice prévisible lorsque le débiteur a commis un dol. Bien sûr, il conviendrait d'admettre que le dol a une fonction purement punitive ne s'appliquant pas, dès lors, aux dommages extrinsèques, ces derniers relevant du régime général de la responsabilité délictuelle.
Cette distinction entre les dommages "intrinsèques" et "extrinsèques" aurait le mérite de redonner à chacun d'eux un régime spécifique et adéquat. En d'autres termes, l'exécution par équivalent est un remède spécifique excluant l'idée même de responsabilité contractuelle mais non élusive de la responsabilité délictuelle. Cette dissociation aurait d'ailleurs des mérites. En premier lieu, on comprendrait mieux l'idée d'une partie de la doctrine de tenir compte des circonstances du dommage. En effet, l'importance du retard permettrait de qualifier la faute délictuelle de la SNCF là où l'inexécution contractuelle ne l'exige pas. En effet, il serait possible de considérer que le comportement de la SNCF, lorsque le retard est important -comme dans notre affaire- est fautif et qu'il en résulte pour la victime divers préjudices (perte d'honoraires, perte de crédibilité... etc.) qu'il convient de compenser. En second lieu, on pourrait aussi scruter le comportement de la victime afin d'exonérer ou non, partiellement ou totalement, l'auteur du fait dommageable. Ainsi, le fait que la victime ait été suffisamment prévoyante dans l'organisation de son voyage devrait permettre de conclure à l'absence d'exonération de la SNCF et inversement.
En définitive, notre sentiment eu égard à la solution de la Cour de cassation est nuancé. Si sa solution semble renouer avec l'orthodoxie juridique, sa méthode est en revanche contestable. D'un côté, il faudrait se réjouir que seul l'objet de l'obligation inexécutée ait été exécuté par équivalent ; de l'autre, la référence à la responsabilité contractuelle et la porte laissée ouverte par le défaut de base légale inquiètent. Il nous semble qu'un trajet moins tortueux pourrait être emprunté en distinguant les dommages qui relèvent de la défaillance contractuelle et ceux qui relèvent de la responsabilité délictuelle. On pourrait alors éviter le terminus du défaut de base légale...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433974
Réf. : Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-23.335, FS-P+B (N° Lexbase : A9275ISC)
Lecture: 11 min
N3982BTN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)
Le 18 Octobre 2012
Résumé
Lorsque des modifications sont apportées aux droits et obligations des membres participants d'une mutuelle, l'employeur ou la personne morale est également tenu d'informer chaque membre participant en lui remettant une notice établie à cet effet par la mutuelle ou par l'union ; pour les opérations collectives facultatives, tout membre participant peut, dans un délai d'un mois à compter de la remise de la notice, dénoncer son affiliation en raison de ces modifications. |
I - Les enjeux juridiques du mode d'engagement à l'égard de l'assureur mutualiste
Il existe trois façons d'être couvert par une mutuelle. La couverture peut, en effet, être le fruit d'une adhésion individuelle décidée à titre personnel mais aussi d'un acte de volonté individuelle exprimé dans le cadre d'une opération collective à adhésion facultative initiée par une personne morale ou encore la conséquence d'une opération collective à adhésion obligatoire à l'occasion de laquelle les bénéficiaires n'ont pas à manifester leur volonté.
Si la distinction entre opérations collectives et adhésion individuelle semble a priori pertinente, le cas d'espèce appelle davantage à souligner le distinguo entre les deux modalités juridiques d'engagement : l'engagement qui résulte de la signature d'un bulletin d'adhésion et celui qui se matérialise par la souscription d'un contrat collectif par une personne morale. La voie empruntée est déterminante à plus d'un titre.
Signature d'un bulletin d'adhésion. Lorsqu'une personne souscrit une couverture santé auprès d'une mutuelle, elle fait acte d'adhésion et "la signature du bulletin d'adhésion emporte acceptation des dispositions des statuts et des droits et obligations définis par le règlement [mutualiste]" (C. mut, art. L. 114-1, al. 5 N° Lexbase : L6204DKY). Par conséquent, on est en présence d'un contrat d'adhésion car l'adhérent (ou membre participant) ne négocie pas le contenu du contrat (notamment nature et niveau des garanties, montant des cotisations) qui est prédéterminé par le règlement mutualiste ; il dispose seulement de la liberté de ne pas adhérer si le contenu ne le satisfait pas.
Le règlement mutualiste est le support juridique qui définit les engagements contractuels liant la mutuelle à chaque membre participant tant en ce qui concerne le volet "prestations" que le volet "cotisations". La logique contractuelle s'exprime cependant mais de façon particulière. En effet, sous réserve qu'elles lui soient notifiées (4), les modifications du règlement mutualiste sont opposables à chaque membre participant là où le droit commun requiert l'accord des deux parties pour faire évoluer le contenu du contrat (C. civ., art. 1134 N° Lexbase : L1234ABC). L'assentiment individuel de l'adhérent n'est pas requis mais la modification n'en est pas moins consentie, le consentement résultant du vote exprimé par l'assemble générale sur les propositions de modification du règlement mutualiste suggérées par le conseil d'administration. En d'autres termes, les modifications sont acceptées collégialement par la collectivité des membres participants qui, en application de la démocratie mutualiste, disposent tous d'une voix au sein de l'assemblée générale (5).
La modalité de l'adhésion au règlement mutualiste trouve principalement à s'exprimer dans le cadre des opérations individuelles (6). Elle peut toutefois être également utilisée pour des opérations collectives ; en effet, l'engagement liant la mutuelle à la personne morale ou à l'employeur peut résulter soit de la signature d'un bulletin d'adhésion, soit de la souscription d'un contrat collectif (7). Lorsque la voie du bulletin d'adhésion est empruntée, la situation juridique créée est tout à fait comparable à celle évoquée précédemment au titre des opérations individuelles : l'adhésion se fait au règlement mutualiste, règlement dont les modifications résultent d'un vote de l'assemblée générale et s'imposent aux membres participants de l'opération collective (c'est-à-dire les membres du groupe bénéficiaire de l'opération).
Souscription d'un contrat collectif. Dans le cadre d'une opération collective, les engagements réciproques de la mutuelle et du souscripteur (personne morale ou employeur) peuvent résulter d'un contrat de gré à gré dont le contenu est le fruit d'une négociation entre les parties. Les prestations y figurant peuvent dès lors différer de celles prévues dans le règlement mutualiste. Le plus souvent, ce mode d'engagement permet au souscripteur de faire bénéficier les membres d'un groupe de garanties "calées" sur les besoins exprimés.
La logique est davantage contractuelle que strictement mutualiste. Elle emporte comme conséquence principale que la modification du contrat collectif procède nécessairement d'un avenant signé des parties (C. mut., art. L. 221-5-II N° Lexbase : L6029DKI) et non d'un vote de l'assemblée générale de l'organisme mutualiste. Si la solution semble relever de l'évidence juridique, elle ne va pas sans difficulté dans l'hypothèse d'une opération collective à adhésion facultative. En effet, la situation créée se situe alors à mi-chemin de la logique contractuelle pour ce qui est des relations mutuelle/souscripteur et de la logique de l'adhésion mutualiste pour ce qui concerne les relations entre la mutuelle et les personnes faisant le choix individuel d'adhérer. Le cas d'espèce est une parfaite illustration de l'ambiguïté juridique des opérations collectives à adhésion facultative lorsqu'une modification survient.
II - Les conditions de résiliation d'une opération collective à adhésion facultative souscrite par voie contractuelle
On était ici en présence d'une association ayant souscrit un contrat collectif "frais de santé" auprès d'une mutuelle au bénéfice de ses membres. Ce contrat était à adhésion facultative et plusieurs membres de l'association avaient fait le choix d'y adhérer, devenant par là même membres participants de la mutuelle. Mais un différend survint au cours de l'année 2009 consécutivement à la décision de la mutuelle d'augmenter les cotisations. Confrontée à cette décision, l'association souscriptrice adressa un courrier le 15 novembre 2009 à ses membres leur demandant de lui retourner une lettre de résiliation avant le 22 novembre afin de transmission à la mutuelle. Cependant, cette dernière réclama le paiement des cotisations au titre de l'année 2010 arguant du fait que les adhérents n'avaient pas respecté le délai de prévenance de deux mois prévu par le règlement mutualiste et l'article L. 221-10 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6025DKD). Elle obtint des ordonnances d'injonction de payer les cotisations 2010 contre lesquelles les adhérents concernés formèrent opposition. En premier et dernier ressort, la juridiction de proximité condamna les adhérents au paiement de la cotisation 2010. Le jugement est toutefois cassé par la deuxième chambre civile au visa de l'article L. 221-6 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6030DKK).
Les textes en présence. Toute la difficulté réside dans l'existence de textes a priori contradictoires. En effet, le règlement mutualiste de la mutuelle avait manifestement fait siennes les dispositions de l'article L. 221-10 du Code de la mutualité qui prévoit que "le membre participant, pour les opérations individuelles, le membre participant ou l'employeur ou la personne morale, pour les opérations collectives à adhésion facultative, la personne morale souscriptrice, pour les opérations collectives à adhésion obligatoire, peut mettre fin à son adhésion ou résilier le contrat collectif tous les ans en envoyant une lettre recommandée à la mutuelle ou à l'union au moins deux mois avant la date d'échéance [...]" (8).
En revanche, l'article L. 221-6 encadre la résiliation dans les seules opérations collectives. Il précise, d'une part, que, "lorsque des modifications sont apportées aux droits et obligations des membres participants, l'employeur ou la personne morale est également tenu d'informer chaque membre participant en lui remettant une notice établie à cet effet par la mutuelle[...]" et, d'autre part, que, "pour les opérations collectives facultatives, tout membre participant peut, dans un délai d'un mois à compter de la remise de la notice, dénoncer son affiliation en raison de ces modifications".
Dans l'espèce commentée, les membres de l'association souscriptrice avaient notifié à la mutuelle leur décision de résiliation dans le mois au cours duquel ils avaient été informés de la future augmentation des cotisations (c'est-à-dire dans le délai mentionné à l'article L. 221-10). Réalisée fin novembre 2009, cette notification était donc intervenue moins de deux mois avant la date d'échéance (contrairement aux dispositions de l'article L. 221-6), ce qui avait conduit l'organisme mutualiste à exiger le paiement de la cotisation 2010.
La solution retenue par la Cour de cassation. Au visa de l'article L. 221-6 du Code de la mutualité, la Cour de cassation casse le jugement. Elle invite les juges du fond à s'en tenir à l'application de ce texte, ce qui suppose de vérifier "tout simplement" si les adhérents ont fait jouer leur faculté de résiliation dans le délai spécifique d'un mois prévu par ce texte.
A l'égard des adhérents, la solution n'ouvre guère la voie à la critique puisque, dans le cadre d'une opération collective à adhésion facultative, l'article L. 221-6 est sans ambiguïté sur deux points qui étaient vérifiés :
- la dénonciation est ouverte en cas de modifications "apportées aux droits et obligations" ; or, au cas d'espèce, la modification portait sur la tarification et affectait donc les obligations des adhérents.
- le point de départ du délai spécifique d'un mois est la date de remise aux adhérents, par la personne morale souscriptrice (ici, l'association), de la notice établie par la mutuelle et l'informant des modifications projetées (9). En l'occurrence, le droit de dénonciation était donc ouvert et avait été exercé dans le délai imparti (information sur les modifications communiquée par courrier du 15 novembre 2009 et lettres de résiliation parvenues à la mutuelle fin novembre 2009).
Par cette décision, la deuxième chambre civile considère que les dispositions relatives au délai de résiliation contenues dans l'article L. 221-6 "priment" sur celles de l'article L. 221-10. Et la solution ne peut surprendre puisqu'il s'agit en réalité de faire application du principe selon lequel on applique -lorsqu'elle existe- la règle spéciale par préférence à la règle générale (specialia generalibus derogant). L'article L. 221-10 abordant en des termes généraux le délai de résiliation est logiquement écarté au bénéfice de l'article L. 221-6 qui traite lui aussi de la résiliation mais dans une hypothèse particulière (modification concernant une opération collective à adhésion individuelle). Cette dernière étant caractérisée, le juge la soumet par conséquent et inéluctablement à la règle spéciale. En d'autres termes, la mutuelle ne pouvait valablement opposer aux membres de l'association le non-respect du délai prévu tant par le règlement mutualiste que le "droit commun" (C. mut., art. L. 221-10).
III - Les questions en suspens
Le rôle du souscripteur personne morale dans la procédure de résiliation. Les opérations collectives à adhésion facultative sont teintées d'ambiguïté, spécialement quant au rôle qu'y occupe le souscripteur (employeur ou personne morale telle qu'une association) au stade de la résiliation. L'article L. 221-6 du Code de la mutualité fait de lui une sorte d'intermédiaire ou d'interface entre la mutuelle et les membres ayant fait le choix d'adhérer.
En effet, lorsque la mutuelle a informé le souscripteur de modifications apportées aux droits et obligations des bénéficiaires, le texte met alors à la charge du souscripteur l'obligation de remettre à chaque membre adhérant la notice modificative qu'il a lui-même reçue de l'organisme mutualiste. La remise à l'adhérent constitue le point de départ du délai de résiliation d'un mois dont dispose individuellement chaque bénéficiaire en application de l'article L. 221-6 (10).
Si le souscripteur n'a pas fait diligence pour remettre la notice, cela n'emporte pas d'effet dans les relations mutuelle/adhérents individuels. C'est d'ailleurs ce qu'il semblait s'être produit dans l'affaire présentée. Les moyens annexés au pourvoi font état du fait que la mutuelle avait informé le souscripteur de la hausse des cotisations au cours du premier semestre 2009. Or, celui-ci n'avait répercuté l'information auprès de ses membres qu'à la mi-novembre. Pour autant, la solution de la Cour de cassation ne permet pas à la mutuelle d'opposer à l'adhérent le caractère tardif de la résiliation alors même qu'elle a satisfait à son obligation d'information à l'égard du souscripteur bien en amont du moment où l'association a décidé de répercuter l'information relative à la modification auprès de ses membres. En revanche, en cas de condamnation des membres de l'association à s'acquitter de la cotisation 2010, il aurait été tout à fait envisageable pour eux de se retourner contre l'association pour avoir fait preuve de légèreté blâmable dans l'exercice de son obligation d'information et de conseil, la transmission tardive de la modification les ayant empêchés d'exercer à temps leur faculté de résiliation.
Le rôle de l'assemblée générale de la mutuelle. Dans le fonctionnement mutualiste, l'assemblée générale est l'organe souverain. En attestent les attributions que l'article L. 114-9 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6195DKN) lui confie. L'assemblée générale statue notamment sur les montants ou taux de cotisations et les prestations offertes (11). Ainsi, dans le cadre des opérations individuelles mais également des opérations collectives reposant sur la signature d'un bulletin d'adhésion, les modifications des garanties et/ou du montant des cotisations ne peuvent être mises en oeuvre que consécutivement à un vote de l'assemblée générale ; c'est cette délibération qui rend opposable aux adhérents concernés les modifications.
La place de l'assemblée générale est plus délicate à définir en présence d'opérations collectives ayant donné lieu à la souscription d'un contrat de gré à gré avec la mutuelle. En effet, les modifications susceptibles d'être apportées au contenu de l'engagement contractuel requièrent la signature d'un avenant (C. mut., art. L. 221-5-II). Au regard des attributions dévolues à l'assemblée générale, il y a toutefois lieu de se demander si les avenants contractuels ne doivent pas donner lieu à validation par l'organe souverain de la mutuelle.
Le sort des adhésions individuelles en cas de dénonciation du contrat collectif. Cette question est très rapidement évoquée dans les moyens annexés au pourvoi mais ne trouve pas écho dans la décision, la solution fondée sur l'article L. 221-6 ne rendant pas nécessaire de statuer sur les autres griefs. Pourtant, les opérations collectives à adhésion facultative peuvent se dénouer dans des conditions qui mettent en jeu toutes les parties intéressées. Il en va ainsi lorsque le souscripteur décide de résilier le contrat qui le lie à la mutuelle puisque le sort des adhésions individuelles se pose.
Au cas présent, l'association avait résilié le contrat collectif la liant à MGF au mois de juin 2009. Selon un des moyens annexés, cette résiliation par le souscripteur aurait dû entraîner par voie de conséquence la caducité des adhésions individuelles (12), ce qui n'aurait pas rendu légitime la demande de paiement de la cotisation 2010 formulée par la mutuelle à l'encontre des membres adhérents. Or, la juridiction de proximité a estimé que la résiliation du contrat collectif avant le terme prévu "ne change pas les obligations contractuelles de chaque adhérent qui a conservé sa liberté individuelle envers la MGF".
Bien que la Cour de cassation n'apporte pas réponse à ce moyen, elle considère implicitement que les adhésions individuelles ne sont pas affectées par la résiliation du contrat collectif puisqu'elle tranche la question des conditions de résiliation de ces adhésions individuelles... ce qui présuppose que celles-ci sont toujours existantes. Elles ne sont donc pas privées d'effet par la décision postérieure de l'association de résilier le contrat collectif et ce alors même que ce contrat fixait le cadre dans lequel les manifestations individuelles d'adhésion pouvaient s'exprimer. De nouveau, la situation ainsi créée traduit bien toute l'ambiguïté de ces opérations collectives à adhésion facultative et le caractère tout relatif de la dimension collective : les adhésions individuelles survivent malgré la disparition de l'acte qui leur servait de support. Juridiquement, la solution n'est pas exempte de critiques ; elle est toutefois protectrice des intérêts des adhérents dont la relation avec la mutuelle n'est pas dépendante d'une décision du souscripteur sur laquelle ils n'ont aucune prise.
(1) Sur les caractéristiques de la protection sociale d'entreprise, v. Enquête Protection sociale complémentaire d'entreprise 2009, IRDES, Les rapports de l'IRDES, n° 1890, juillet 2012.
(2) CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L9528IT3).
(3) Dans le cadre collectif, le souscripteur est le plus souvent un employeur. Cependant, au cas d'espèce, il s'agissait d'une personne morale (en l'occurrence une association) qui agissait au bénéfice de ses membres adhérents et non de ses salariés.
(4) C. mut., art. L. 221-5 (N° Lexbase : L6029DKI).
(5) Application du principe démocratique "un homme, une voix".
(6) V. la formulation de l'article L. 221-2-II du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6035DKQ).
(7) Cette alternative existe aussi bien pour les opérations collectives dites facultatives que celles dénommées obligatoires (v. C. mut., art. L. 221-2-III 1° et 2°).
(8) Il s'agit là d'un délai maximum auquel il ne peut être dérogé. Ainsi, il a été jugé que les parties ne peuvent contractuellement prévoir une clause imposant un délai de préavis d'une durée supérieure à celle prévue à l'article L. 221-10 du Code de la mutualité. V. Cass. civ. 2, 15 septembre 2011, n° 10-23.837, FS-D (N° Lexbase : A7569HXM).
(9) Des interrogations relatives à la nature et à la preuve de l'information auraient pu être soulevées mais il n'en a rien été au cas d'espèce. Cependant, le contentieux sur ces questions existe en raison du silence du législateur quant aux modalités de remise de la notice (silence rencontré tant dans le Code des assurances que dans le Code de la mutualité).
(10) La question ne se pose pas du tout dans les mêmes termes lorsque l'opération collective (ou le contrat d'assurance de groupe) est à adhésion obligatoire. En effet, en cas de modifications du contenu de l'opération, les adhérents ne disposent d'aucun "droit de sortie" (absence de faculté de dénonciation), les modifications leur étant opposables dès lors qu'ils en ont été informés.
(11) Pour la détermination des cotisations et des prestations, délégation annuelle -peut être donnée par l'assemblée générale au conseil d'administration. Cette délégation n'est valable que pour un an (C. mut., art. L. 114-11 N° Lexbase : L6191DKI).
(12) Les adhésions individuelles auraient été privées d'effet par la survenance d'un événement postérieur, à savoir la résiliation anticipée du contrat collectif par le souscripteur.
Décision
Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-23.335, FS-P+B (N° Lexbase : A9275ISC) Texte visé : C. mut., art. L. 221-6 (N° Lexbase : L6030DKK) Mots-clés : contrat collectif, adhésion facultative, résiliation, complémentaire santé Liens base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:433982