Réf. : Décret n° 2021-863, du 30 juin 2021, relatif à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » (N° Lexbase : L0390L7L)
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N8208BYN
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par Laïla Bedja
Le 05 Juillet 2021
► Le décret du 30 juin 2021, publié au Journal officiel du 1er juillet 2021, définit les modalités de mise en œuvre de l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » visant à mettre un terme à la privation durable d'emploi, prévue à l'article 9 de la loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020, relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique (N° Lexbase : L1024LZX) et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée ».
Cette expérimentation, réalisée pour une durée de cinq ans à compter du 1er juillet 2021, a pour objet de favoriser la création d'emplois sous forme de contrats à durée indéterminée, en faveur des personnes privées durablement d'emploi, dans des entreprises de l'économie sociale et solidaire en redéployant les dépenses sociales existantes.
Le décret détermine notamment les règles d'organisation et de fonctionnement de l'association gestionnaire du fonds national d'expérimentation, ainsi que les modalités de versement des aides aux entreprises participant à l'expérimentation. Il prévoit les modalités d'évaluation de l'expérimentation. Seront notamment mesurés les effets du dispositif sur la situation des territoires en matière d'emploi, de qualité de vie, d'inégalités et de développement durable, ainsi que son impact global sur les finances publiques.
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newsid:478208
Réf. : Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-10.596, F-B (N° Lexbase : A21284YH)
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N8210BYQ
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par Laïla Bedja
Le 12 Juillet 2021
► Il résulte de l’article 6, § 1, de la CESDH (droit à un procès équitable N° Lexbase : L7558AIR) et de l’article R. 143-28-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1211IN8), que les exigences d’un procès équitable impliquent que la partie qui a usé de la faculté d’adresser un mémoire à la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification des accidents du travail (CNITAAT) n’est irrecevable, sauf motif légitime, à présenter des prétentions ou moyens nouveaux ou à communiquer de nouvelles pièces, que si elle a été avisée de la date prévue pour la clôture.
Les faits et procédure. Après que la CARSAT lui a eu refusé l’attribution d’une majoration pour tierce personne, une assurée a formé un recours devant une juridiction du contentieux technique de la Sécurité sociale.
Pour rejeter la demande de révocation de l’ordonnance de clôture et écarter des débats le mémoire produit par l’assurée, la CNITAAT retient que cette dernière, qui a accusé réception le 5 juin 2019 de l’ordonnance de clôture, a adressé le 24 juillet 2019 de nouvelles observations à la Cour, et que la seule critique de l’avis du médecin consultant, qui aurait pu être exprimée avant l’ordonnance de clôture, ne constitue pas un motif légitime de révocation de cette dernière. À tort.
Cassation. Énonçant la règle précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt de la CNITAAT. Il appartenait à ses juges de constater que l’intéressée avait eu connaissance de la date à laquelle serait prononcée l’ordonnance de clôture.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Le contentieux de la Sécurité sociale, La nécessité d’une instruction, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E4141YS8). |
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newsid:478210
Réf. : T. confl., 14 juin 2021, n° 4210, Métropole Aix-Marseille-Provence c/ URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur (N° Lexbase : A14134WA)
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N8219BY3
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par Laïla Bedja
Le 08 Juillet 2021
► Il résulte des articles L. 2333-64 (N° Lexbase : L7234LZX), L. 2333-69, I (N° Lexbase : L4724I74) et L.2333-70 (N° Lexbase : L3958LU7), du Code général des collectivités territoriales que les tribunaux de l’ordre judiciaire sont compétents pour connaître de toutes les contestations concernant l'assiette et le recouvrement du versement destiné au financement des transports, et notamment des actions en responsabilité qui peuvent être engagées en raison de faits afférents aux opérations d’assiette et de recouvrement de ce versement, et que ne relèvent de la compétence de la juridiction administrative que les seules contestations relatives au remboursement prévu à l'article L. 2333-70 ; le litige qui oppose la Métropole à l’URSSAF portant sur des opérations d’assiette et de recouvrement, ce dernier relève alors de la compétence de la juridiction judiciaire.
Les faits et procédure. Une société a fait l’objet, en 2011, d’un redressement à raison de sommes qu’elle aurait dû acquitter au titre du versement destiné au financement des transports en commun, institué par la communauté d’agglomération Salon Étang-de Berre Durance. Contestant le redressement, la société avait alors saisi la commission de recours amiable de l’URSSAF qui a annulé le redressement et opéré un dégrèvement, par une décision du 25 septembre 2012.
Le 17 mars 2015, la communauté d’agglomération a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale des Bouches-du-Rhône et a demandé la condamnation de l’URSSAF à lui verser une somme correspondant au montant du dégrèvement accordé. Le juge judiciaire ayant décliné sa compétence (CA Aix-en-Provence, 25 août 2017, n° 17/03171 N° Lexbase : A7098WQX), la Métropole Aix-Marseille-Provence, venant aux droits de la communauté d’agglomération Salon Étang-de-Berre Durance, a ensuite saisi le tribunal administratif de Marseille. Ses juges ont alors renvoyé au Tribunal des Conflits, la question de compétence.
Compétence du juge judiciaire. Rappelant les règles précitées, le Tribunal dit le juge judiciaire compétent.
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Réf. : Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, trois arrêts, n° 20-22.473 (N° Lexbase : A19894YC), n° 20-22.476 (N° Lexbase : A21004YG) et n° 20-22.477 (N° Lexbase : A20554YR), F-D
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N8212BYS
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par Laïla Bedja
Le 13 Juillet 2021
► Les mentions prévues par l’article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’administration (N° Lexbase : Z14657PU), s’appliquant, sauf disposition spéciale, aux décisions des administrations mentionnées à l’article L. 100-3 du même code (N° Lexbase : L1766KNQ), il ne saurait être sérieusement soutenu que l'interprétation constante de ces dispositions par la Cour de cassation, selon laquelle cette omission n'affecte pas la validité de la mise en demeure prévue par l'article L. 244-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6932LN3), dès lors que celle-ci précise la dénomination de l'organisme qui l'a émise, méconnaît les exigences du principe d'égalité devant la loi, énoncé à l'article 6 de la DDHC (N° Lexbase : L1370A9M).
Les faits et procédure. Au cours de plusieurs instances opposant des cotisations à l’URSSAF, la question prioritaire de constitutionnalité suivante a été déposée à la Cour de cassation :
« L'article 4, alinéa 2, de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 (N° Lexbase : L0420AIE), devenu l'article L. 212-1, alinéa 1, du Code des relations entre le public et l'administration – interprété comme édictant que ‘’toute décision prise par les autorités administratives, dont les organismes de Sécurité sociale, comporte la signature et la mention des prénom, nom et qualité de son auteur mais l'omission de ces mentions n'affecte pas la validité de la mise en demeure émise par un organisme social, dès lors que celle-ci précise la dénomination de celui-ci’’ (Cass. Avis, 22 mars 2004, n° 00-40.002 N° Lexbase : A7979DB7, confirmé par Cass. civ. 2, 29 juin 2004, n° 03-30.136, FS-D N° Lexbase : A9147DCR, Cass. civ. 2, 5 juillet 2005, n° 04-30.196, F-P+B N° Lexbase : A9028DI9, Cass. civ. 2, 20 septembre 2005, n° 04-30.343 N° Lexbase : A5257DKW, 04-30.344 N° Lexbase : A5258DKX, 04-30.342 N° Lexbase : A5256DKU, F-D, Cass. civ. 2, 25 avril 2007, n° 06-12.773 N° Lexbase : A0307DWB et n° 06-12.771 N° Lexbase : A0305DW9, FS-D, Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, n° 08-21.852, F-D N° Lexbase : A0850EQK, Cass. civ. 2, 28 mai 2014, n° 13-16.918, F-D N° Lexbase : A6305MP9, Cass. civ. 2, 9 octobre 2014, n° 13-25.170, F-D N° Lexbase : A2121MY9, Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-26.321, F-D N° Lexbase : A3176YGQ) – est-il contraire à l'article 6 de la Déclaration de 1789 et au principe d'égalité ? ».
Non-renvoi. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction décide de ne pas renvoyer la question devant le Conseil constitutionnel.
Pour en savoir plus : v. F. Taquet, ÉTUDE : Le contentieux du recouvrement, La mise en demeure, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E28053N9). |
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Réf. : Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-14.543, FS-B (N° Lexbase : A20744YH)
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N8282BYE
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par Charlotte Moronval
Le 09 Juillet 2021
► Selon l’article L. 1134-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5913LBM), l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par 5 ans à compter de la révélation de la discrimination ;
Les dommages-intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.
Faits et procédure. Le 5 mai 2015, un salarié d’une société et un syndicat ont saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, notamment au titre du paiement de la médaille de travail pour 35 ans d'ancienneté, de dommages-intérêts pour discrimination, du solde de monétisation du compte épargne-temps et de dommages-intérêts pour non-exécution d'une décision de justice. Après avoir fait valoir ses droits à la retraite, le salarié a quitté les effectifs de l’entreprise le 31 janvier 2017.
Pour déclarer irrecevable la demande de versement de la gratification afférente à la médaille du travail, la cour d’appel (CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 30 janvier 2019, n° 17/00476 N° Lexbase : A5228YU8), après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 1471-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1453LKZ), dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU), retient que cette action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, ce dont elle déduit que le salarié ayant saisi la juridiction prud’homale le 5 mai 2015, la demande en versement de la gratification afférente à la médaille du travail en raison de ses 35 ans d’activité dans l’entreprise (acquis en 2007) est prescrite.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.
En statuant comme elle l’a fait, alors que l'action engagée le 5 mai 2015 était fondée sur des faits de discrimination allégués commis en application d'un accord collectif conclu le 24 janvier 2011, de sorte qu'elle était soumise à la prescription quinquennale et que l'action n'était pas prescrite à la date de la saisine de la juridiction prud’homale, la cour d'appel a violé l’article L. 1134-5 du Code du travail.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Le principe de non-discrimination, Les sanctions des discriminations prévues par le Code du travail, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E2601ETI). |
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newsid:478282
Réf. : Cass. soc., 30 juin 2021, n° 18-23.932, FS-B (N° Lexbase : A21214Y9)
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N8281BYD
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par Charlotte Moronval
Le 07 Juillet 2021
► La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale, prévue par l’article L. 3245-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0734IXH).
Faits et procédure. Un salarié est engagé par une société en qualité de directeur des ressources humaines par une société dans le cadre d’un contrat stipulant une convention de forfait en jours. Cette convention individuelle a été réitérée dans un avenant du 20 juillet 2015, après la conclusion, le 23 mai 2014, d'un accord d'entreprise prévoyant le recours à des conventions de forfait en jours.
Contestant son licenciement intervenu le 2 décembre 2015, le salarié a, le 27 avril 2016, saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail. La cour d’appel (CA Riom, 4 septembre 2018, n° 17/01631 N° Lexbase : A6391X34) rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement des heures supplémentaires. L’employeur forme un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale rejette le pourvoi.
Après avoir retenu que la convention de forfait en jours était inopposable au salarié, la cour d'appel, qui a constaté que ce dernier sollicitait un rappel d'heures supplémentaires exécutées en 2013, 2014, 2015 et durant les trois années précédant la saisine du conseil de prud'hommes, a exactement décidé que la demande n'était pas prescrite.
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Réf. : Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-18.533, FS-B (N° Lexbase : A20214YI)
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N8207BYM
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par Charlotte Moronval
Le 07 Juillet 2021
► Le juge, saisi d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.
Faits et procédure. Une salariée est placée en arrêt maladie en juillet 2012. Elle demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquements de l’employeur à son obligation de sécurité en juillet 2015, soit trois ans après avoir été placée en arrêt de travail.
Pour débouter la salariée de sa demande, la cour d’appel (CA Versailles, 14 mars 2019, n° 17/01469 N° Lexbase : A9618Y3M) considère que les faits invoqués étaient prescrits. En effet, la demande présentée au titre du manquement à l’obligation de sécurité étant relative à l’exécution du contrat de travail, elle se prescrit par deux ans.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.
En statuant comme elle l’a fait, alors qu’il lui appartenait d’examiner l’ensemble des griefs articulés par la salariée au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, la cour d’appel, qui a refusé d’examiner certains griefs, et a omis d’en examiner d’autres, a violé l’article L. 1231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8654IAR).
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N8213BYT
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Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Allocution d’ouverture
La construction chiasmatique des politiques en matière de vieillissement et de jeunesse : de la lutte entre générations à la solidarité inter-générationnelle, Jean-Gabriel Contamin, Doyen de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille (N° Lexbase : N8211BYR).
Propos introductifs
Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'université de Lille (N° Lexbase : N8073BYN)
Qu’est-ce que vieillir ? Le vieillissement : une notion polysémique, Philippe Sanchez, Docteur en philosophie à l’Université de Louvain, Membre de l’ERER des Hauts-de-France, Conférencier et formateur en éthique, cabinet Socrates (N° Lexbase : N8076BYR)
I. Le vieillissement et la personne « active »
Le vieillissement en entreprise, Bernard Bossu, Professeur agrégé des facultés de droit à l’Université de Lille, Doyen honoraire, Directeur du LEREDS (CRDP) (N° Lexbase : N8082BYY).
Le vieillissement et les aidants non professionnels, Yéfoungnigui Silué, Doctorant en droit privé à l'Université de Lille et Bérengère Legros, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Lille (N° Lexbase : N8105BYT).
Vieillissement et départ anticipé, Sophie Rozez, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Paris Nanterre (N° Lexbase : N8113BY7).
Les choix (réels ou supposés) entourant l’âge de départ à la retraite, Bastien Urbain, Docteur en droit privé, Consultant chez Ère conseils retraites.
II. Le vieillissement et la personne « dépendante »
Usages et valeurs de l'idée d'autonomie à la lumière de quelques grilles d'évaluation médico-légales, Stéphane Zygart, Docteur en philosophie à l’Université de Lille, Membre de l’ERER des Hauts-de-France (N° Lexbase : N8122BYH).
La création de la cinquième branche de Sécurité sociale : la branche autonomie, Jean-Philippe Tricoit, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille (N° Lexbase : N8138BY3).
L’accès aux soins des personnes âgées dépendantes : de la difficulté d’adapter sans exclure, Camille Bourdaire-Mignot, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris Nanterre et Tatiana Gründler, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre (N° Lexbase : N8176BYH)
L'e-care ou le mythe d'une prise en charge par le numérique des personnes âgées fragilisées, Margaux Taccoen, Doctorante en philosophie pratique sur le numérique en santé, chargée de mission à l’Espace de réflexion éthique régional des Hauts de France et Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille (N° Lexbase : N8184BYR).
L’expression de la volonté en EHPAD, Célia Blondel, Doctorante en droit privé à l'Université de Lille et Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille (N° Lexbase : N8186BYT).
L'articulation de la volonté de la personne en EHPAD avec les instruments de protection, Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de droit privé à l’Université de Brest, Responsable de l’axe « Vulnérabilité » du Lab-LEX (EA 7480) (N° Lexbase : N8188BYW).
Propos conclusifs
Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille (N° Lexbase : N8189BYX).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:478213
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N8211BYR
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par Jean-Gabriel Contamin, Doyen de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille
Le 12 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
« Tant de dernières fois qui s’accumulent petit à petit et qui, en réalité, constituent la vieillesse ». Ainsi, Georges Simenon définissait littérairement la vieillesse. Ce faisant, il ouvrait la voie à une distinction majeure entre ce qu’on pourrait qualifier de « vieillissement biologique » et ce qu’on pourrait qualifier de « vieillissement social », puisqu’en fonction de son « être » social, on peut faire face à des « dernières fois » à des âges biologiques très différents.
De cette distinction, on peut donner une illustration en s’appuyant sur des données démographiques. Celles-ci présentent ainsi le vieillissement biologique de la population française comme une évidence statistique. D’après l’INSEE, à l’horizon 2050, un Français sur trois aura plus de 60 ans. Si plus de 9 % des Français ont aujourd’hui passé la barre des 75 ans, ils seront 16 % d’ici 2060. Cela représentera 24 millions de personnes âgées, dont environ 200 000 centenaires. Pourtant, cette évidence biologique n’est pas nécessairement une évidence sociale. Ainsi, selon une étude de la DRESS menée en 2018, en dix ans, l’espérance de vie en bonne santé [1] de la population française n’aurait pas évolué : 64,1 ans pour les femmes et 62,7 ans pour les hommes. Toutefois, cette étude note aussi que, sur la même période, l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans a augmenté de près d’un an tant pour les hommes que pour les femmes. Comme si la « mauvaise santé » touchait plus les plus jeunes que les plus anciens et comme s’il pouvait y avoir une forme de déconnexion entre le vieillissement biologique et le vieillissement social : si on parvient à rester en vie jusqu’à un âge biologique important, on devient vieux socialement de plus en plus tard. Du reste, selon l’International Longevity Centre en France, dans la frange des plus de 75 ans, seuls 8 % sont atteints de dépendance, ce qui signifie que 92 % de cette population est autonome.
I. Le double visage du vieillissement
Cette articulation ou désarticulation entre vieillissement biologique et vieillissement social est précisément au cœur de la problématique du colloque organisé par Bérengère Legros sur « le vieillissement à l’épreuve des choix », en ce que celui-ci interroge les formes de stigmatisation dont font l’objet les personnes âgées dans nos sociétés et les moyens d’y remédier. Si les indicateurs de cet « âgisme » sont multiples, ainsi que ses conséquences sur celles et ceux qui en sont les victimes [2] , il ne faudrait pourtant pas négliger que, dans les faits, de même que la jeunesse peut être le terrain de représentations opposées, parfois très négatives en tant que risques et problème à résoudre [3], parfois très positives en tant que potentialité et avenir de nos sociétés, de même, la vieillesse, historiquement et sur la période contemporaine, est, telle Janus, bifrons. Entre la figure de la sagesse et de celle de la déchéance.
On pourrait rappeler la place des aînés dans les sociétés traditionnelles, le fait que le vieillissement y soit considéré comme un mûrissement plutôt que comme une déchéance [4] alors même que l’enfance est invisibilisée [5] et que la jeunesse n’est pas encore un âge de la vie autonomisé [6]. Si le développement de l’éducation et de la durée de scolarité s’est donc traduit dans les sociétés industrielles par l’émergence d’un nouvel âge de la vie, la jeunesse, qui a fait l’objet de politiques spécifiques [7], en retour, l’augmentation de l’espérance de vie a eu pour conséquence l’augmentation de la part de la population âgée dans la population occidentale et l’apparition d’un autre âge de la vie : la personne âgée sous la figure du retraité. Dès la fin du XIXe siècle, cette nouvelle catégorie -croissante à la fois en termes de nombre de retraités et de durée de la période de retraite puisqu’en France, en 1950, un homme partant en retraite à 65 ans pouvait espérer vivre une douzaine d'années de retraite, alors qu’aujourd'hui l'espérance de vie à 60 ans est supérieure à vingt ans pour les hommes et à vingt-cinq pour les femmes - a été la cible d’actions publiques dédiées, avec la formation du droit social à la retraite, lu d’abord comme une forme de protection contre l’invalidité dans un contexte de dissolution des liens de solidarité intrafamiliale, puis, à partir de 1945 et sa généralisation sous forme d’un système de répartition, comme une forme de récompense pour les services rendus à la société à travers une vie de travail.
Ce nouvel âge de la vie est pourtant dès lors approché de manières contradictoires tant dans les travaux scientifiques que dans les politiques publiques qui sont progressivement mises en place.
En matière scientifique, l’étude du vieillissement, défini comme la perte progressive d’un certain nombre de rôles sociaux (mise à la retraite, départ des enfants, décès du conjoint…) oppose les partisans des théories de l’activité selon lesquelles les personnes âgées compenseraient cette dépossession par l’acquisition de nouveaux rôles comme celui de grands-parents ou par l’intensification d’autres rôles comme de celui de militant associatif [8], aux partisans des théories du désengagement qui constatent plutôt un processus irréversible et universel de retrait et de marginalisation [9] qui se traduirait de multiples manières : diminution du nombre de rôles sociaux joués par l’individu, déclin de ses interactions sociales, réduction des liens affectifs qui l’unissent à ses univers sociaux, l’individu se retirant de la société au moment où « la société lui reprend les responsabilités sociales qui lui étaient auparavant conférées » [10].
Dans la même période, la commission d'études sur les problèmes de la vieillesse, présidée par Pierre Laroque, remet un rapport [11] qui, d’un côté, appelle à répondre à la situation particulièrement précaire des plus âgés, touchés par l’isolement et le mal-logement, notamment en revalorisant les retraites et le minimum vieillesse ou en développant des services de maintien à domicile et d’inclusion, mais, qui, d’un autre côté, développe la figure du troisième âge actif et est à l’origine du développement des « clubs du troisième âge » pour les personnes de milieu populaire et des universités du troisième âge pour les classes moyennes [12]. Ce terme de troisième âge se diffuse au cours des années 1970 en véhiculant une image active et positive d’une nouvelle « classe de loisir » [13] âgée qui aspire à une nouvelle jeunesse, mais en contribuant en retour à le différencier d’un quatrième âge, repoussé du côté de la vieillesse et de la dépendance. À la figure des « seniors », tels qu’ils sont rebaptisés par le monde du marketing au début des années 1990 parce qu’ils constituent pour lui un nouveau marché, doté d’un pouvoir d’achat et d’une disponibilité non négligeables, est opposée la figure du « vieillard dépendant et apathique », destinataire de nouveaux dispositifs de politique sociale pour mesurer cette situation de dépendance et y répondre.
Du reste, c’est cette variabilité des vieillesses sur laquelle s’accordent les recherches plus récentes. D’une part, en mettant en avant la variabilité des formes d’engagement au monde des personnes âgées, même présentées comme les plus dépendantes [14]. D’autre part, et surtout, via la théorie de la déprise [15] qui, certes, désigne le processus de réorganisation des activités qui se produit au cours de l’avancée en âge, au fur et à mesure que les personnes qui vieillissent doivent faire face à des contraintes nouvelles, qui prend donc acte d’une tendance à la baisse du niveau moyen des activités au cours du grand âge, mais qui prend aussi en compte à la fois la variabilité des degrés dans la déprise et la variabilité des « stratégies » qui peuvent être opposées à ce processus : l’abandon, qui peut lui-même être abandon-renoncement, mais aussi abandon-substitution ou abandon-sélection ; l’adaptation lorsqu’il s’agit de poursuivre une activité antérieure, mais en s’adaptant aux contraintes nouvelles ; voire, le rebond, lorsque la personne d’un certain âge en vient, une fois à la retraite, à renouer avec une activité délaissée, à s’engager dans une activité nouvelle ou à accroître son investissement dans une activité déjà pratiquée [16].
II. Du conflit entre les générations à la solidarité inter-générationnelle
De même que « la jeunesse n’est qu’un mot » [17], la « vieillesse » n’est qu’un mot qui subsume des réalités très différentes, selon les contextes sociaux et les trajectoires individuelles de chacun, de sorte que la question des rapports entre « jeunes » et « vieux » dans nos sociétés tend à osciller entre deux théories presque opposées en tous points. L’une, parfaitement illustrée dans ce colloque, qui constate une tendance croissante des politiques et des normes juridiques en matière de vieillesse à voir le vieillissement selon un modèle pathologique et médical [18], en mettant l’accent sur les incapacités liées à la vieillesse et sur les coûts induits pour la collectivité (coûts médicaux, coûts en termes de financement de la retraite) dans un contexte de tensions budgétaires, ce qui se traduit par une prise en charge de plus en plus comptable de la dépendance [19]. L’autre, à l’inverse, qui, en insistant sur le « pouvoir gris » [20], sur la quasi monopolisation des pouvoirs directoriaux par les catégories les plus âgées et sur l’assiduité électorale de ces catégories d’électeurs [21], fait état de l’amélioration de la situation, à la fois matérielle et symbolique [22], des personnes âgées dans nos sociétés au détriment des catégories les plus jeunes et interroge le risque d’un conflit de générations.
Louis Chauvel met ainsi en évidence statistiquement pour la France ce qu’il qualifie de « fin de la loi du progrès générationnel », à savoir la loi qui voudrait que la situation des puînés soit systématiquement plus favorable que celle de leurs aînés, en comparant le destin exceptionnel des générations nées avant ou pendant la seconde guerre mondiale tant par rapport aux générations qui précèdent que par rapport à celles qui suivent. Selon lui, elles ont bénéficié à la fois d’un contexte d’explosion scolaire et de forte croissance économique qui leur a donné des opportunités exceptionnelles sur tous les plans : économiques (bons salaires, précoces), sociaux (postes de décision) et culturels (monopole des représentations sociales légitimes). Qui plus est, elles bénéficieraient des mécanismes de la retraite par répartition pour ne subir que marginalement les effets de la crise économique que les générations suivantes subiraient de plein fouet. Une argumentation qu’il étaye à partir d’un ensemble de statistiques très diversifiées : une stagnation, voire un déclin, du revenu des générations nées après les années 1950 par rapport à leurs aînés, mais, aussi, une stagnation ou un déclin du taux de départ en vacances, de la taille du logement, de l’équipement du ménage, du taux de possession d’une automobile et même de l’espérance de vie des moins de 40 ans. Ainsi, selon lui, « c’est un peu comme si les Trente Glorieuses se prolongeaient pour les plus anciens, alors que les plus jeunes connaissaient une pause, voire un déclin » [23].
Reste qu’en traçant ainsi les fondements d’un possible conflit des générations, Louis Chauvel nous met aussi sur la piste d’une forme de solution qui pourrait aussi valoir pour ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées en situation de dépendance : la place essentielle des mécanismes de solidarité. Il voit en effet deux processus qui pourraient favoriser un « compromis générationnel » : d’une part, la relative communauté de culture entre les cohortes nées après les années 1940, marquées par un même phénomène de sécularisation et d’éloignement par rapport aux normes les plus traditionnelles et d’autre part, l’importance des mécanismes de solidarité inter-générationnelle (aides financières, aides en nature…) qui peuvent exister non pas seulement sur trois, mais sur quatre générations [24]. Un phénomène dont une récente étude de l’IFOP[25] rappelle la prégnance. Selon celle-ci, passée dans le contexte de l’actuelle crise sanitaire, la moitié des répondants (50 %) estiment que le lien entre les personnes des différentes générations s’est plutôt affaibli ces vingt dernières années, mais, ce diagnostic d’affaiblissement du lien n’est pas corroboré au plan individuel : les répondants sont plus nombreux à considérer s’être personnellement rapprochés des membres d’autres générations (35 %) qu'à s'en être éloignés (22 %), tandis que deux sur trois (43 %) pensent ne s’être ni rapprochés ni éloignés. Qui plus est, ce sont les plus jeunes qui considèrent le plus qu’ils se sont rapprochés des membres d’autres générations (46 % des 18-24 ans).
C’est donc peut-être en articulant « politiques de la jeunesse » et « politiques du vieillissement » qu’il serait possible, en s’appuyant sur les potentialités positives associées à chacune de ces catégories de trouver les ressources pour pallier aux risques négatifs associés aussi à chacune d’elles : aux seniors actifs au service des jeunes en déshérence répondraient les jeunes actifs au service des personnes âgées dépendantes.
[1] On définit l’« espérance de vie en bonne santé » comme le nombre d’années qu’une personne peut compter vivre sans souffrir d’incapacité dans les gestes de la vie quotidienne.
[2] M. Masse, L’identité du sujet vieillissant face au regard social. Effets de la stigmatisation sociale liée à l’âge et stratégies de négociation identitaire des adultes âgés face au vieillissement individuel et à l’âgisme, Université Catholique de Louvain, 2011.
[3] F. Labadie, L'évolution de la catégorie jeune dans l'action publique depuis vingt-cinq ans, Recherches et Prévisions, 2001, n° 65, pp. 19-29.
[4] A.-M. Peatrik, Vieillir ailleurs et ici : l’exemple des Meru du Kenya, Retraite et Société, n° 34, 2001, pp. 152-165.
[5] P. Ariès, L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Paris, Seuil, 1960.
[6] O. Galland, Sociologie de la jeunesse. L'entrée dans la vie, Paris, A. Colin, 1991.
[7] P. Loncle, L’action publique malgré les jeunes. Les politiques de jeunesse en France de 1870 à 2000, L’Harmattan, Paris, 2003 ; H. Williamson, Supporting Young People in Europe Vol 3: Looking to the Future, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2017.
[8] R. Havighurst et R. Albrecht, Older people, New York, Longmans, Green and Co., 1953.
[9] E. Cumming et W. Henry, Growing Old. The Process of Disengagement, New York, Basic Books, 1961.
[10] A.-M. Guillemard et R. Lenoir, Retraite et échange social, Paris, C.E.M.S, 1974, p. 65.
[11] Haut comité consultatif de la population et de la famille, politique de la vieillesse, Rapport de la commission d'études des problèmes de la vieillesse présidée par Monsieur Pierre Laroque, Paris, 1962.
[12] V. Caradec, Sociologie de la vieillesse et du vieillissement, Armand Colin, coll. « 128 », 2008.
[13] T. Veblen, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970 (1899).
[14] D. Unruh, Invisible Lives. Social Worlds of the Aged, Beverly Hills, Sage, 1983.
[15] S. Clément et M. Drulhe, Vieillesse ou vieillissement ? Les processus d'organisation des modes de vie chez les personnes âgées, Les Cahiers de la Recherche sur le Travail Social, 1988, n° 15, pp. 11-31.
[16] V. Caradec, Vieillir au grand âge, Recherche en soins infirmiers, 2008, vol. 94, n° 3, pp. 28-41.
[17] P. Bourdieu, La jeunesse n'est qu'un mot, in P. Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1992 (1984), pp. 143-154.
[18] F. Weber, Politiques et sciences sociales de la vieillesse en France (1962-2016) : de la retraite à la dépendance, Genèses, 2017, vol. 106 (1), pp. 115-130.
[19] D. Bouget et R. Tartarin (dir.), Le prix de la dépendance. Comparaison des dépenses des personnes âgées selon leur mode d’hébergement, Paris, La documentation française, 1990.
[20] P. Viriot-Durandal, Le pouvoir gris. Sociologie des groupes de pression de retraités, Paris, PUF, 2003 ; A. Lambelet, Entre logiques organisationnelles et vocation militante : les groupements suisses de défense des retraités en pratiques, Thèse de science politique, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et Université de Lausanne, 2010.
[21] H. Thomas, Personnes âgées et vote. Les significations plurielles de la participation électorale dans la vieillesse, Politix, Revue des sciences sociales du politique, 1993, n° 22, pp. 104-118.
[22] B. Dumons et G. Pollet, Le retraité, une identité sociale nouvelle ?, Ethnologie française, 1994, XXIV, n° 4, pp. 790-799.
[23] L. Chauvel, Le destin des générations, Paris, PUF, 1998, p. 72.
[24] A. Masson, Des liens et des transferts entre générations, Paris, Éd. de l’EHESS, 2009.
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par Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille, l’EREDS/CRDP
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
Le vieillissement de l'Homme conduit à sa stigmatisation sociale lors de deux moments charnières de sa vie : lorsqu'il devient dans le monde de l'entreprise un « senior» et lorsqu'il devient « dépendant ». Le droit est sollicité de manière récurrente autour de ces temporalités particulières, la première dans une phase où il est encore un « actif » [1] ou tente de le rester, la seconde lorsqu'il ne l'est plus et où son autonomie physique et/ou psychique s'amenuise considérablement.
Ces deux phases mettent en saillance la vulnérabilité de l'Homme en raison de son âge, les sémantiques utilisées couramment pour le qualifier en sont l'illustration. Sont relevées celles de « seniors » pour les deux périodes [2] et celle de « baby-boomer » pour la seconde, terminologie devenue péjorative au fil du temps. L'illustre son utilisation, lors de la première phase du confinement liée à la covid-19 au premier semestre 2020, le virus s'est vu affublé sur certains réseaux sociaux d' « exterminateur de baby-boomers », plaisanterie de mauvais goût, diffusée au niveau mondial, alors que 90 % des 200 000 (premiers) morts avaient, à l’époque, plus de 70 ans [3].
Aux sollicitations actuelles du créateur de la norme sur la prise en charge de la dépendance et du financement pérenne des retraites alors que, selon le Conseil d'orientation des retraites, le système français accorde actuellement aux retraités un « niveau de vie moyen » « légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population » [4] [5], s'ajoute l'aggravation d'une fracture générationnelle générée par la pandémie entre des aînés, sacrifiés lors du premier déconfinement au nom de la relance économique, et les jeunes générations qui l'étaient lors du premier confinement et qui le sont encore en avril 2021 où l’épidémie n’est pas encore maîtrisée et où la liberté de déplacement est limitée.
Certains l'ont qualifiée en France, en juillet 2020, de « guerre silencieuse, presque insidieuse » [6], « le conflit latent avant la crise ». Il tend désormais à s'afficher au premier semestre 2021 sur les réseaux sociaux et dans les médias : le ressentiment tend à s'exprimer ; décomplexé [7]. Quid du « risque de délitement du lien intergénérationnel avec un risque de rupture si la crise dure » [8] ?
Le choix des qualifications de la personne vieillissante véhicule donc des représentations sociales induisant certaines valeurs transmises inéluctablement aux nouvelles générations. Pour certains, les seniors, dans le monde du travail, subissent « un traitement comparable à celui que notre société réserve aux plus anciens. La notion de ''maintien en emploi des seniors'', à la fois défensive et palliative est à cet égard révélatrice » [9].
Sont relevées dans des rapports récents des tentatives ponctuelles de changements sémantiques lors de ces deux temporalités de l'Homme vieillissant telle celle de travailleur « expérimenté » [10] ou de salariés en fin de carrière [11], pour l'un ou d' « aîné », pour l'autre. L'objectif de ce renouveau sémantique, révélateur des perceptions du corps social, est d'engendrer un changement culturel pour faire évoluer les représentations individuelles et collectives [12].
La phase de la dépendance devient la phase du « Grand âge » [13] et la perte d' « autonomie » tend à remplacer progressivement dans les rapports et les textes juridiques la sémantique « dépendance » associée au quatrième âge dépendant [14] [15]. Pour monsieur Dominique Libault, chargé de plusieurs missions sur cette thématique, l'utilisation du terme dépendance est connotée : elle retire à la personne de sa citoyenneté [16]. La stigmatisation affecte même la désignation des lieux de vie, en particulier les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD. Dominique Libault proposait, en mars 2019, dans son rapport « Concertation Grand âge et autonomie » de les rebaptiser « Maisons du grand âge » ou « Maisons médicalisées des seniors » [17]. Le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, en octobre 2019, dans sa lutte contre toute « appellation stigmatisante et discriminante à l'encontre des personnes âgées » [18], propose d'utiliser dorénavant la terminologie « résidence d'accompagnement de soin pour aînés » (RADA) [19].
Parallèlement, certaines parutions interpellent par leur maladresse sémantique et parfois par leur finalité. Par exemple, le « Livre blanc pour valoriser le rôle social et l'utilité des aînés », rédigé en 2020 par la fondation Korian [20], inquiète par son intitulé contre-productif par rapport à son objet positif qui est de : « changer le regard sur le grand âge et de faire entendre une voix différente sur la place des aînés dans notre société » [21]. Dans le même sens, c'est également le cas, dans une moindre mesure, de la proposition de loi d'Audrey Dufeu-Schubert pour lutter contre l'âgisme, déposée en mars 2021, devant l'Assemblée nationale qui propose de « valoriser...le rôle des citoyens âgés ».
Cette présentation interroge. Après sa phase « active », et « contributive » au titre du financement de la Sécurité sociale, en général, et du régime de répartition des retraites, en particulier, l'Homme retraité devrait justifier de son existence et donc du coût qu'il impose à la société. Quelles pourraient être les conséquences si cette utilité sociale n'était pas démontrée ou voulue par les intéressés ?
L'Homme vieillissant est donc stigmatisé voire discriminé, le rapport de Mme Dufeu-Schubert, rendu au Premier ministre en décembre 2019 [22], ose utiliser le terme « âgisme » [23] pour lutter contre ce phénomène et propose des outils à cette fin déclinés dans sa proposition de loi précitée.
Le vieillissement qui impacte l'Homme, à une époque de vieillissement global de la population française où le système de retraite est en cours de réforme aux fins d'assurer sa viabilité - même si la crise sanitaire a figé pour le moment tout processus parlementaire sur cette thématique - induit la crainte d'un coût : d’une part, pour l'entreprise (lié à l'ancienneté [24] ou au risque statistique de morbidité) mais aussi pour la collectivité si le travailleur « expérimenté » est exclu du marché du travail et, d’autre part, pour la personne âgée dépendante, sa famille en ligne directe au titre de l'obligation alimentaire - des enfants aux petits-enfants [25] - voire, à défaut, la société notamment par la mise en œuvre de l'aide sociale légale [26] qui peut être obtenue tant en établissement médico-social qu'à domicile. Certaines personnes âgées font preuve d’abnégation « en vue de préserver leur famille » [27] : elles renoncent à la solliciter car elle fait l'objet d'un recours sur succession [28]. C'est le cas d'ailleurs des deux tiers des résidents éligibles à l'aide à l'hébergement [29].
Le vieillissement de l'Homme est donc à l'épreuve des choix. La société, en général, et le législateur, en particulier, se polarisent de manière récurrente sur ces deux moments clés où l'Homme devient « fragile » et où ses droits et libertés sont mis à mal et la solidarité sociale mise à l'épreuve.
Lors de la première temporalité, l'Homme âgé « actif » demeure libre de choisir le moment de son départ à la retraite sous réserve des conditions légales. Il ne peut plus subir de clauses couperets ou « guillotines », insérées dans un contrat de travail ou une convention collective, fixant un « âge limite » entraînant la rupture de plein droit du contrat de travail, pratiques interdites par la loi n° 87-588, du 30 juillet 1987, portant diverses mesures d'ordre social (N° Lexbase : L2996AIS) [30] [31]. La loi n° 2010-1330, du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9) [32], dite « Woerth », lui accorde désormais la liberté de partir à la retraite en interdisant, sauf accord de sa part, toute rupture du contrat de travail par l'employeur entre ses 65 et 70 ans. Pour autant son maintien dans l'emploi s'avère délicat d'autant qu'il peut être victime de discrimination voire de harcèlement moral pour le contraindre à rompre le contrat de sa propre initiative. Or, l'objectif des pouvoirs publics est que le senior demeure en emploi.
La réforme dite « Woerth » reportant progressivement de 60 à 62 ans [33] l'âge légal de départ à la retraite, n'a donné lieu à aucune étude d'impact solide avant 2016 [34]. « Les entreprises n'ont pas pleinement répercuté le recul de l'âge sur la gestion de leurs effectifs, le chômage et l'inactivité jouant pour de nombreux travailleurs, le rôle de transition entre l'emploi et la retraite » [35]. Or, le maintien dans ces deux configurations a un impact inévitable pour la solidarité nationale. « Toutes les études de Pôle emploi mettent en lumière que le critère d'âge est discriminant pour le retour à l'emploi » [36] et, après 52 ans, est constatée une baisse brutale des perspectives de retour à l'emploi [37].
Depuis 1987 [38], l'emploi des seniors est devenu une préoccupation des pouvoirs publics, néanmoins, en 2019, la Cour des comptes relève que « les effets du recul des âges de départ à la retraite ont été concomitants à l'abandon de la quasi-totalité des dispositifs de la politique de l'emploi spécifiquement consacrés aux seniors », tel le contrat de génération, créé en 2013 [39] et supprimé en 2017 en raison de son insuccès [40]. Demeurent des dispositions ponctuelles pour leur maintien ou leur entrée dans l'emploi [41].
La solution offerte à la personne âgée susceptible d'être encore en emploi ne peut donc être la retraite mais le maintien en emploi d'autant que les mécanismes de départ anticipé sont réduits à peau de chagrin.
Lors de la seconde temporalité, la volonté politique de soutenir la solidarité familiale s'est déjà traduite par petites touches législatives par la construction d'un statut éclaté de l' « aidant » de la personne en perte d'autonomie en raison de son handicap ou de son âge avancé, frontière artificielle créée en droit du travail et en droit de la protection sociale. La première pierre du statut a été posée par la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (N° Lexbase : L8098HT4) [42] créant le congé de soutien familial remplacé, par la suite, par le congé de proche aidant par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, relative à l'adaptation de la société au vieillissement (N° Lexbase : L0847KWB) [43].
Ce statut s'étoffe régulièrement comme l'illustre l'adoption du principe d'une indemnisation limitée par la Sécurité sociale [44] du congé de proche aidant en 2019 [45]. Il est néanmoins brouillé en raison de l'absence de définition juridique stabilisée [46] (aidant familial [47], proche aidant [48], proche aidant d'une personne âgée [49]), de la dualité de cette catégorie, - fonction de la personne aidée, handicapée ou âgée en perte d'autonomie - dont les dispositions sont parfois convergentes notamment sur le congé de proche aidant ou divergentes, telle la majoration de la durée d'assurance vieillesse bénéficiant uniquement aux proches aidants de personnes handicapées [50]. Un alignement des droits des aidants ainsi qu'une amélioration de leur statut semble nécessaire car ils sont l'épine dorsale de la politique de maintien à domicile des personnes âgées dépendantes d'autant que le vieillissement de la population entraîne une augmentation mécanique de leur nombre [51].
Parallèlement, deux réformes initiées au premier semestre 2020, celle du système de retraite [52] ainsi que celle créant, d'une part, un nouveau « risque » ou une nouvelle « charge », les dispositions sont peu limpides [53] et, d'autre part, une nouvelle branche consacrée à l’autonomie [54], illustre la volonté politique de prendre en compte enfin à bras-le-corps ces préoccupations après de nombreux rapports et, plus largement, la prise de conscience de la société de mener à bien la modification du droit pour faire reculer la stigmatisation et le rejet au profit de l'inclusion dans une société plus humaine.
Alors que le décret du 1er octobre 2020 mettant en application l'indemnisation journalière par la Sécurité sociale du congé de proche aidant [55] distingue encore les aidants d'une personne « en situation de handicap ou de perte d'autonomie » (CSS, art. D. 168-15 N° Lexbase : L3747LYG), déclinaison du critère légal utilisé pour l'octroi du congé de proche aidant notamment dans le Code du travail, l'utilisation de la sémantique « autonomie » pour qualifier la nouvelle branche de la Sécurité sociale interroge car elle était utilisée jusqu'alors principalement pour les personnes âgées [56]. Les pouvoirs publics en 2020 impulsés par le rapport de Laurent Vachey [57], souhaitent sous ce vocable englober également la prise en charge des personnes handicapées. On relève un brouillement sémantique mais aussi conceptuel puisque la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW) [58] regroupe dans une branche de Sécurité sociale des prestations prenant en compte un besoin, s'appréciant in concreto [59], tel que le conçoit le droit de l'aide sociale, et non une charge au sens étroit de la Sécurité sociale [60].
Si l'accès au financement de la dépendance tend à se solutionner, l'accès aux soins pour les résidents d'EHPAD interroge, la crise sanitaire ayant mis en lumière les risques de rupture d'égalité. Quid par ailleurs de la place du numérique en santé [61] qui s'est développé y compris pour des consultations médicales de médecine palliative ? Quid des limites d'un examen et donc d'un diagnostic conduisant à une éventuelle prescription par écran interposé ? Le numérique en santé n'a-t-il pas ses limites ? La pression sanitaire actuelle liée à la Covid 19 a pu accélérer certaines mutations numériques qui interrogent néanmoins d'un point de vue éthique.
D'autres difficultés se manifestent en pratique dans les EHPAD sur l'utilisation parfois des outils d'expression de la volonté d'une personne qui ne peut plus s'exprimer. Le résident comme toute personne majeure a le droit de rédiger ses directives anticipées mais il a également, la liberté de ne pas y procéder ce qui induit le droit de ne pas subir de pressions pour les rédiger. De manière plus générale, l'articulation de la volonté de la personne en institution avec les instruments de protection juridique interpelle. La vaccination, proposée à ce public prioritaire, dès janvier 2021, a mis en lumière certaines incompréhensions et limites des règles de droit. Les dispositifs prévus à la fois dans les Codes civils, de la santé publique et de l'action sociale et des familles gagneraient peut-être à être rendus plus lisibles.
Le vieillissement est donc à l'épreuve des choix : de la société mais aussi de la personne vieillissante. La réflexion sur l'ensemble de cette thématique dont la temporalité est duale sera menée lors de ce colloque par des juristes et des philosophes.
Sera abordée dans la première partie, « Le vieillissement et la personne ''active'' » et, dans la seconde, « Le vieillissement et la personne ''dépendante'' ».
Je vous souhaite un bon colloque.
[1] Au sens du BIT, la population active comprend les personnes en emploi et les chômeurs : INSEE, définition de la « population active », publié le 13 octobre 2016 [en ligne].
[2] Par exs, France Stratégie, Les seniors, l'emploi et la retraite, rapport, octobre 2018 ; Conseil d'État, Avis sur un projet de loi organique et un projet de loi instituant un système universel de retraite, Assemblée générale des jeudi 16 et 23 janvier 2020, n°399528 ; n°399529, p. 6; A. Dufeu, Proposition de loi visant à réussir la transition démographique pour lutter contre l'âgisme, 8 mars 2021, Assemblée nationale, n°3958.
[3] T. Kovacs, Covid 19. Attention à ne pas stigmatiser davantage les personnes âgées !, Courrier international, 24 mai 2020.
[4] COR, Évolution et perspectives des retraites en France, rapport annuel, novembre 2020, p. 145.
[5] Qui est « parmi les plus élevés de l'OCDE » : Conseil d'État, op. cit., p. 6.
[6] B. Mathieu, Nouvelle guerre des âges : le Covid va aggraver la fracture générationnelle. Ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut à la crise du Covid 19. De quoi alimenter les inégalités entre générations, Libération, 13 juillet 2020.
[7] Une enquête d'Odoxa révèle que 56 % des Français craignent un conflit de générations entre les personnes âgées et la jeunesse : B. Jérome, Crise sanitaire : le risque d'un choc intergénérationnel, Le Monde, 16 février 2021.
[8] Ibid. cf. V. Schneider, « Génération fracassée », un coup de gueule contre les baby-boomers, Le Monde, 3 mars 2021.
[9] S. Bellon, O. Meriaux, J.-M. Soussan, Favoriser l'emploi des travailleurs expérimentés, rapport remis au Gouvernement le 14 janvier 2020, mission sur le maintien en emploi des seniors, p. 83.
[10] S. Bellon, O. Meriaux, J.-M. Soussan, op. cit.
[11] Cour des comptes, Les fins de carrière : un risque de précarité pour les seniors exclus du marché du travail, un coût croissant pour la solidarité, référé S2019-1878, 23 juillet 2019, prés. D. Migaud à M. Édouard Philippe, Premier ministre.
[12] Qui sont l'un des obstacles majeurs à l'emploi des seniors : S. Bellon, O. Meriaux, J.-M. Soussan, op. cit., p. 83.
[13] D. Libault, Concertation. Grand âge et autonomie, 28 mars 2019 (missionnée par le Premier ministre le 17 septembre 2018), ministère des Solidarités et de la Santé ; cf. également sur l'utilisation de cette terminologie : L. Vachez, avec la collaboration de F. Allot, N. Scotté, La branche autonomie : périmètre, gouvernance et financement, septembre 2020, p. 79.
[14] Ibid.
[15] Sur l'utilisation encore fréquente de la terminologie dépendance : Cour des comptes, Le maintien à domicile des personnes âgées en perte d'autonomie. Une organisation à améliorer, des aides à mieux cibler, rapport public, juillet 2016, p. 198.
[16] S'exprimant lors d'une conférence à l'Université de Lille le 23 février 2021 : CRDP, La création de la cinquième branche de la Sécurité sociale, 23 février 2021 [en ligne] ; cf. également en ce sens : CCNE, Avis n° 128, Enjeux éthiques du vieillissement Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits ’hébergement ? Quels leviers pour une société inclusive pour les personnes âgées ?, p. 11.
[17] D. Libault, op. cit., p. 17.
[18] Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, Le Conseil de l'âge, Annexes à l'avis du Conseil de l'âge sur la terminologie du Grand âge, avis adopté par consensus lors de la séance du 30 septembre 2019, p. 2.
[19] Ibid, p. 3.
[20] Fondation Korian pour le bien-vieillir, Oui les aînés sont utiles. Livre blanc pour valoriser le rôle social et l'utilité des aînés, 7 septembre 2020, p. 96. Elle est l'émanation d'un réseau européen notamment de maisons de retraite médicalisées.
[21]« en donnant la parole aux principaux intéressés - à travers la réalisation de baromètres réguliers conjointement avec l'institut IPSOS et le recueil de témoignages - et en privilégiant une approche européenne » : Fondation Korian pour le bien-vieillir, op. cit., p. 6.
[22] A. Dufeu-Schubert, Réussir la transition démographique et lutter contre l'âgisme, rapport réalisé à la demande de monsieur Édouard Philippe, Premier ministre, 12 décembre 2019, p. 60.
[23] L'OMS définit « l’âgisme » comme « le fait d’avoir des préjugés ou un comportement discriminatoire envers des personnes ou des groupes en raison de leur âge » : OMS, définition de « l’âgisme », 18 mars 2021 [en ligne].
[24] France Stratégie, op. cit., p. 57.
[25] Selon le département : D. Libault, op. cit., p. 32.
[26] CASF, art. L. 132-6 (N° Lexbase : L9007HWI).
[27] M. Iborra, et C. Fiat, Rapport d'information déposé par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), Assemblée nationale, n° 769, 14 mars 2018, p. 8.
[28] Ibid, p. 71.
[29] Drees, Le non-recours aux prestations sociales. Mise en perspectives et données disponibles, sous coord. L. Gonzalez et E. Nauze-Fichet, dossier de la Drees, n° 57, juin 2020, p. 29.
[30] Portant diverses mesures d'ordre social.
[31] Les frappant de nullité et de nul effet. La Chambre sociale de la Cour de cassation sur ce texte a autorisé l'employeur à s'en prévaloir néanmoins dès lors que le salarié remplissait les conditions pour bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein (Cass. soc., 1er février 1995, Droit social, 1995, 233 ; G. Couturier, Les clauses « couperet », encore..., Droit social, 1995, 231). Cette jurisprudence paradoxale a été condamnée par la suite par l'Assemblée plénière (Ass. plén., 6 novembre 1998, n° 97-41.931 N° Lexbase : A3095AGQ ; JCP. 1999. II. 10004, note Corrignan-Carsin).
[32] Portant réforme des retraites.
[33] CSS, art. L. 161-17-2 (N° Lexbase : L4506IRC).
[34] Cour des comptes, op. cit., p. 5.
[35] Ibid, p. 4.
[36] Ibid, p. 3.
[37] Ibid.
[38] Loi n° 87-588, du 30 juillet 1987, précitée (N° Lexbase : L2996AIS) ; loi n° 87-518, du 10 juillet 1987, modifiant le Code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée (N° Lexbase : L6433HEY).
[39] Loi n° 2013-185, du 1er mars 2013, portant création du contrat de génération (N° Lexbase : L2915IWU).
[40] Ordonnance n° 2017-1387, du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail (N° Lexbase : L7629LGN), art. 9 ; cf. France Stratégie, op. cit., p. 145.
[41] Exs : priorité dans l'ordre du licenciement collectif pour motif économique (C. trav., art. L.1233-5 N° Lexbase : L7297LHQ) ; valorisation dans l'effectif des bénéficiaires de l'obligation d'emploi dès lors qu'ils ont eu au moins 50 ans : C. trav., art. D. 5212-3
[42] Article 125.
[43] JO, 29 décembre 2015, p. 24268.
[44] Le Code du travail prévoit que la durée maximale de ce congé est d'un an pour toute la carrière et le Code de la Sécurité sociale prévoit que seules 66 indemnités journalières pourront être attribuées (CSS, art. L. 168-9, al. 4 N° Lexbase : L2664LWL).
[45] Par la loi n° 2019-1446, du 24 décembre 2019, de financement de la Sécurité sociale pour 2020 (N° Lexbase : L1993LUD). Cf. pour son décret d'application : le décret n° 2020-1208, du 1er octobre 2020, relatif à l'allocation journalière du proche aidant et l'allocation journalière de présence parentale (N° Lexbase : L3490LYW).
[46] D. Gillot, avec le concours de S. Baudry, Préserver nos aidants : une responsabilité nationale, rapport remis à la ministre des Solidarités et de la Santé, à la ministre du Travail et à la secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées auprès du Premier ministre, juin 2018, p. 6.
[47] CASF, art. L. 245-7 (N° Lexbase : L0799KWI) et L. 245-12 (N° Lexbase : L5178LWP).
[48] C. trav., art. L. 3142-16 (N° Lexbase : L5988LUC).
[49] CASF, art. L. 113-1-3 (N° Lexbase : L0235KWM).
[50] CSS, art. L. 351-4-2 (N° Lexbase : L2623IZ8).
[51] D. Gillot, op. cit., p. 17.
[52] Projet de loi instituant un système universel de retraite, Assemblée nationale, adopté en première lecture, 3 mars 2020, TA, n° 409.
[53] La loi n° 2020-992, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9121LX4) modifie en effet le Code de la Sécurité sociale et utilise alternativement sans rigueur conceptuelle les deux notions : l'article L. 111-1, alinéa 2, du Code (N° Lexbase : L9392LX7) évoque les « charges » « d'autonomie » et l'article L. 111-2-1 (N° Lexbase : L9411LXT), « le risque de perte d'autonomie ».
[54] Loi organique n° 2020-991, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9120LX3), (introduisant des mesures aux fins de permettre au Parlement de prendre en charge le pilotage financier de la nouvelle branche) ; loi n° 2020-992, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie.
[55] Cf. supra, note 45.
[56] Dans le même sens, l'allocation personnalisée d'autonomie est accordée à la personne âgée « qui se trouve dans l'incapacité d'assumer les conséquences du manque ou de la perte d'autonomie liés à son état physique ou mental » (CASF, art. L. 232-1 N° Lexbase : L5284DKW). Cf. sur l'utilisation ponctuelle de cette sémantique pour la personne handicapée : Y. Silué et B. Legros, Le vieillissement et les aidants non professionnels, infra, note 21.
[57] L. Vachey, op. cit., 79 p.
[58] JO, 15 décembre 2020, texte n° 1.
[59] R. Lafore, La structure institutionnelle de la nouvelle branche « Autonomie », RDSS, 2021, p. 24.
[60] Ibid.
[61] Cf. J.-P. Aquino et M. Bourquin, Les innovations numériques et technologiques dans les établissements et services pour personnes âgées, rapport commandé par la filière Silver Économie soutenue par le Gouvernement français, juillet 2019, p. 39.
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par Philippe Sanchez, Docteur en philosophie, Membre de l’ERER des Hauts-de-France, Conférencier et formateur en éthique (Cabinet Socrates)
Le 12 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
C’est un poncif d’affirmer que notre société est jeuniste, au sens où elle survalorise la jeunesse, et âgiste au sens où la vieillesse est volontiers décriée ou ayant une moindre visibilité médiatique. Mais les poncifs ne sont pas nécessairement faux, et il s’agit de creuser les implications philosophiques d’une telle affirmation. J’explorerai donc ces implications en m’attardant sur les deux axes qui structurent notre colloque « Le vieillissement à l’épreuve des choix » : le vieillissement dans les organisations et le vieillissement des personnes très âgées. Le cœur du problème que je veux traiter ici se trouve dans la question : qu’est-ce que vieillir ?
Le premier temps de mon propos se concentrera sur deux questions : quand nous sentons-nous vieillir dans nos organisations ? Et pourquoi l’âgisme s’y produit-il ? Le deuxième temps explorera trois voies de sagesse pour bien vieillir. Le troisième temps s’attachera à envisager le vieillissement dans le regard de l’aidant d’un patient Alzheimer, à travers la question : qu’est-ce que la maladie d’Alzheimer nous permet d’apprendre de l’expérience du vieillissement ?
I. Quand nous sentons-nous vieillir dans nos organisations ? Pourquoi l’âgisme s’y produit-il ?
Il arrive que le salarié senior se sente laissé de côté, exlocuté, voire soit licencié de son organisation, entreprise, association ou même fonction publique. Être exlocuté c’est être écarté de la conversation, mis à l’écart parce que plus audible ni crédible aux yeux des supérieurs hiérarchiques voire des collègues. Le senior en entreprise n’est pas défini clairement par un âge charnière qui serait le même pour tous. Un jour, à un âge variable, on se découvre avec amertume trop vieux, trop cher, plus dans la dynamique ou plus conforme à la culture d’entreprise.
Ce qui est prégnant chez tous ceux qui vivent l’expérience pénible de l’exclusion, de l’exlocution voire du licenciement pour défaut de jeunesse, est le manque de reconnaissance attendue par ceux qui travaillent, de la part de leurs supérieurs et de leurs pairs. Or, ainsi que le théorise le philosophe allemand contemporain Axel Honneth, la reconnaissance sociale est un bien premier qui concourt au premier chef à l’estime de soi. Pour Honneth, la reconnaissance est un droit relevant de la justice sociale.
Axel Honneth décrit ainsi la dynamique des rapports sociaux par lesquels nous cherchons à être reconnus par nos pareils : « les sujets se rencontrent dans l’horizon d’une attente réciproque d’être reconnus à la fois en tant que personnes morales et pour les prestations sociales qu’ils accomplissent [1]. » Or cette reconnaissance sociale passe essentiellement par le travail. Bien sûr, il est possible de trouver de la reconnaissance dans des sociétés telles que la franc-maçonnerie ou les associations auxquelles nous participons. Mais notre estime de soi se nourrit à la reconnaissance professionnelle, ce qui peut rendre le passage à la retraite difficile.
Honneth décrit ensuite les processus psychologiques qui conduisent les seniors ou toute personne mise à l’écart à faire l’expérience du mépris : « en effet, pour les personnes concernées [par une injustice], de tels cas se présentent toujours lorsque, contrairement à leur attente, une reconnaissance considérée comme méritée n’intervient pas [2] ». Honneth exprime ici un élément psychologique central pour comprendre le sentiment d’injustice lié à l’impression d’être trop vieux pour l’organisation qui nous emploie : la reconnaissance professionnelle est structurante de notre identité de femme ou d’homme. Notre savoir-faire, notre savoir-être, nos compétences et nos qualités professionnelles contribuent à nous définir à nos propres yeux et par le regard des autres.
Et Honneth avertit du risque de souffrance voire de pathologies, lié à notre sentiment de perte d’identité : « dans la mesure où l’expérience de la reconnaissance sociale est une condition dont dépend le développement de l’identité personnelle dans son ensemble, l’absence de cette reconnaissance, autrement dit le mépris, s’accompagne nécessairement du sentiment d’être menacé de perdre sa personnalité [3] ». Mais le mépris est une expérience complexe qui recouvre également la honte, la colère et l’indignation.
Ainsi, nous nous sentons vieillir dans nos organisations dans au moins deux cas de figure. Premièrement, lorsque nous avons à nous adapter à de nouvelles façons de travailler qui – sans adaptation à l’emploi ni formations suffisantes – nous disqualifient par rapport à des collègues formés. Par comparaison avec eux, nous perdons en compétence. Deuxièmement, lorsque nos attentes légitimes de reconnaissance ne sont pas satisfaites, voire sont ouvertement piétinées par des humiliations en tête-à-tête ou publiques de nos supérieurs hiérarchiques. Et il faut préciser que le salaire n’est ni la seule source de motivation ni le seul outil de la reconnaissance de la qualité du travail effectué.
Ces considérations nous amènent à cette question : pourquoi l’âgisme se produit-il dans nos organisations ? Dans son essai intitulé La vieillesse, Simone de Beauvoir propose une réponse lapidaire à cette question : « L’économie est basée sur le profit, c’est à lui pratiquement que toute la civilisation est subordonnée : on ne s’intéresse au matériel humain que dans la mesure où il rapporte. Ensuite on le jette.[4] ». Le senior en entreprise est considéré comme moins performant, moins adaptable ou moins docile, bref une entrave à la productivité et au profit, d’autant que ses revenus peuvent être plus élevés que ceux de collègues plus jeunes, moins chers.
La critique de Simone de Beauvoir est une critique marxiste classique à l’encontre du capitalisme. Et on serait bien hâtif de disqualifier cette critique, sous prétexte que « classique » serait assimilable à « daté » et donc à « impertinent ». La critique de Beauvoir apparaît tout à fait pertinente, bien qu’elle ait été formulée il y a plus de cinquante ans. Ce qui fait que les classiques ne sont pas voués à l’oubli, comme une multitude de livres qui n’ont pas marqué leur temps, c’est justement parce que leur pertinence résonne encore à nos oreilles contemporaines. Ceci dit, l’accusation que porte Beauvoir à la gestion du personnel capitaliste (quand aujourd’hui nous parlerions de « gestion des ressources humaines ») ne saurait s’appliquer à des organisations non lucratives telles que les associations à but non lucratif et les différentes fonctions publiques.
Pour comprendre le phénomène de l’âgisme dans ces organisations, le juriste et professeur au Collège de France Alain Supiot défend une thèse forte quant à l’imaginaire qui guide ceux qui gouvernent les hommes dans les organisations, qu’il rattache à l’évènement de la société de l’informatique. Dans La gouvernance par les nombres, Supiot explique : « Cet imaginaire cybernétique conduit à penser la normativité non plus en termes de législation, mais en termes de programmation. On n’attend plus des hommes qu’ils agissent librement dans le cadre des bornes que la loi leur fixe, mais qu’ils réagissent en temps réel aux multiples signaux qui leur parviennent pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés [5] ».
Pour Supiot, l’imaginaire de la conduite ou du gouvernement des hommes et femmes a été longtemps lié à l’imaginaire technologique qui a pris son essor avec la nouvelle science du XVIème et XVIIème siècle, incarnée entre autres par Copernic, Galilée, Kepler et Newton. Cette nouvelle science de la nature a permis l’essor de la technologie par l’invention de nouvelles machines. Une machine marquante dans la mesure du temps est l’horloge. Et ceux qui ont à conduire des hommes rêvent que l’organisation dont ils ont les rennes fonctionne comme une horloge. Le chef impulse le mouvement, et ça tourne avec régularité, sans heurt, avec précision et efficacité. On peut voir dans le travail à la chaîne, systématisé et théorisé par Frederick W. Taylor, un avatar marquant de l’imaginaire mécanique de la conduite des hommes et femmes, pendant plusieurs siècles. La législation, au niveau politique du gouvernement des hommes et femmes, était censée « régler la société » comme une horloge.
L’avènement de l’informatique change la donne. Et cette révolution informatique est étroitement liée à la révolution de la nouvelle physique de la première moitié du XXème siècle. Rappelons que le principe d’indétermination du physicien allemand Werner Heisenberg met en avant la thèse qu’on ne peut connaître à la fois la position et la quantité de mouvement d’une particule lumineuse que l’on analyse. Ce principe est aussi nommé « principe d’incertitude ». À partir d’une telle avancée scientifique, le modèle d’une nature complètement déterminée, qu’on peut comprendre en investiguant les phénomènes naturels pour en déceler les lois éternelles et immuables, devient obsolète. La nature n’est pas réglée comme une horloge [6]. La société ne peut pas être réglée comme une machine et le gouvernement des hommes et femmes pas plus. Désormais, le leader ou manager envoie des signaux ou attend que ses employés captent des signaux extérieurs, et y répondent avec promptitude et efficacité… parfois à toute heure du jour ou de la nuit.
L’avènement d’un nouveau modèle managérial – qui n’a pas encore complètement mis à bas le modèle mécaniste et taylorien – contribue à répandre l’âgisme dans toute forme d’organisation. Alors qu’il fallait effectuer des tâches, toujours les mêmes et en réfléchissant le moins possible, le travailleur contemporain doit désormais être hyperadaptable et hyperréactif. Et il peut y avoir chez certains managers le présupposé qu’il y a obsolescence du salarié au-delà d’un certain âge. Ce n’est plus la peine d’ « upgrader » l’ancienne version du salarié, qui rame et rame encore, par des formations professionnelles. Autant acheter dans une école de management la dernière version du salarié adaptable et hyperréactif fraichement formaté et exploitable. En plus, acheter la nouvelle version dispense de payer la maintenance de l’ancienne qui revient bien cher.
Par conséquent, un salarié peut se sentir vieillissant dans son organisation, à but lucratif ou non, quand il se sent « largué » face aux restructurations, aux nouvelles façons de travailler, au mode managérial décrit précédemment, lorsqu’il se sent en décalage avec des collègues plus jeunes et qu’on lui fait sentir ce hiatus. Qu’il soit conservé dans l’organisation ou congédié, il lui est nécessaire de recomposer son identité sans la reconnaissance qu’il attend de ses pairs, et plus encore de ses supérieurs hiérarchiques. Bien vieillir, en organisation et en général, suppose de trouver des voies de sagesse pour recomposer son identité et maintenir son estime de soi malgré le défaut de reconnaissance professionnelle et sociale. La prochaine partie de notre propos est consacrée à quelques voies de sagesse que propose la philosophie pour bien vieillir.
II. Quelles voies de sagesse peut proposer la philosophie pour bien vieillir ?
Lorsque notre vie prend une bifurcation, que nous subissons une avanie, que nous encaissons un coup de la vie, nous avons besoin de faire le deuil de quelque chose ou de quelqu’un pour restructurer au mieux notre identité, notre image globale de qui nous sommes. Pour bien vieillir et recomposer notre identité, nous avons besoin d’intégrer l’irréversibilité du temps. Ce qui est fait est fait, et même si nous ne sommes pas satisfaits de ce qui s’est passé, il est impossible d’aller rectifier le passé pour qu’il corresponde à nos aspirations et pour qu’il nous soit plus favorable.
Le film About time de Richard Curtis, sorti en 2013 (en français : Il était temps), joue à plein sur ce rêve fou de retourner dans le passé pour le modifier. Un père de 50 ans convoque son fils de 21 ans pour son anniversaire, et s’ensuit le dialogue suivant :
– J’ai un secret à te révéler.
– Je t’écoute Papa.
– Les hommes de la famille peuvent retourner dans le passé.
– Non ! C’est une blague ?!
– Pas du tout. Tu peux essayer. Il te suffit de t’enfermer dans le noir et de te projeter mentalement là où tu veux retourner.
Bien entendu, le jeune homme essaie et passe son temps, durant tout le film, à opérer des corrections dans son passé à son avantage, ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes quand il retourne dans le présent. En effet, vu qu’il a modifié des choses dans le passé, le présent n’a plus tout à fait la même configuration, ce qui est hautement perturbant.
De ce très beau film, nous pouvons tirer la conséquence philosophique de l’absolue nécessité pour bien vieillir d’accepter qu’on ne puisse pas changer le passé, et donc d’éviter de vivre avec des remords et des regrets. De nombreux philosophes, tels que les stoïciens grecs et latins de l’Antiquité ou encore Spinoza, ont insisté sur le fait que la voie du bonheur est dans l’acceptation de nos déterminations. Lutter mentalement ou d’une quelconque manière contre l’inévitable ne peut que nous conduire à la mélancolie et au désespoir. D’où l’importance de chercher à vivre dans le présent et sans nostalgie d’un passé rêvé ou à rectifier.
Pour avoir la force mentale de s’adonner à la sagesse, de se garder des remords et des regrets et d’envisager le présent avec sérénité, il est important d’avoir un corps silencieux, sans douleur excessive. Simone de Beauvoir ne s’y trompe pas quand elle écrit : « On ne parlera pas de vieillissement tant que les déficiences demeurent sporadiques et sont aisément palliées. Quand elles prennent de l’importance et qu’elles sont irrémédiables, alors le corps devient fragile et plus ou moins impotent : on peut dire sans équivoque qu’il décline. [7] »
Bien vieillir implique une résilience psychologique, notamment quand notre corps nous fait défaut. Pour bien vivre son vieillissement, il est nécessaire que notre corps nous laisse autant que possible en paix. Les douleurs chroniques, lancinantes ou atroces, disqualifient le travail mental que propose la philosophie pour accéder à la sagesse sauf pour des personnes hors du commun.
Souvenons-nous du grand chef d’orchestre autrichien Herbert von Karajan qui, à la fin de sa vie dans les années 80, était atteint d’une maladie du dos et perclus d’arthrite articulaire. Chaque mouvement, chaque geste était une souffrance. Pour ses derniers concerts, Karajan dirigeait assis, et il est peut-être le seul à l’avoir fait dans l’histoire de la musique classique [8]. Impossible de savoir quelle était la philosophie de vie du maestro. Mais nous pouvons lui supposer une très grande force mentale, que tous n’ont pas face au vieillissement qui endolorit le corps.
Ainsi que l’expose le philosophe belge Jean-Michel Longneaux dans son lumineux livre Finitude, solitude, incertitude, dont le sous-titre est Philosophie du deuil, bien vieillir suppose de faire le deuil de ce que nous étions pour passer à autre chose. Il précise : « nous sommes amenés à vivre un deuil chaque fois que notre vie ne peut plus continuer comme avant, c’est-à-dire chaque fois qu’il nous faut par conséquent renoncer à cette vie d’avant, et cela de façon définitive, sans possibilité de retour en arrière. [9] »
Le vieillissement est intimement lié à notre expérience subjective du changement, du temps qui s’écoule, qui est nécessairement une expérience de la perte irréversible. Mais cette perte n’est pas forcément triste. Pour ma part, j’ai perdu ma jeunesse et avance tranquillement vers la cinquantaine. Si un génie de la lampe me proposait de revenir à mes 25 ans, je l’enverrais se faire voir dans sa lampe à huile. J’estime avoir gagné en maturité et être plus ancré désormais, et mon processus de vieillissement (sans douleur physique) m’a amené à être plus en phase avec moi-même que quand j’avais 25 ans. J’invite tous les lecteurs à mener pour eux-mêmes cette méditation philosophique : si un génie de la lampe me proposait de revenir à mes 25 ans, accepterais-je ou pas ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?
Pour bien vieillir et accepter cette détermination infrangible du temps qui passe et de nos actes qui sont irréversibles, trois prises de conscience existentielles apparaissent d’une grande utilité. Et pour ces trois voies de sagesse, Jean-Michel Longneaux est notre guide. La première réside dans l’acceptation de notre finitude et donc de notre absence définitive de toute-puissance sur nos vies. La seconde requiert de nous l’acceptation de notre solitude existentielle. La troisième consiste à nous rendre à l’évidence que notre vie comme notre monde, que nous souhaiterions prévisible pour agir sur elle, sans être totalement incertaine, est largement emprunte d’incertitude.
La finitude d’abord [10]. Notre culture nous invite à une maîtrise autonome de notre parcours de vie. Prendre sa vie en main pour en faire ce que nous voulons qu’elle soit, en comptant sur nos propres ressources : tel est le crédo qui nous est assené, sans que nous ayons conscience des affres de ce que la sociologie [11] et la philosophie nomment « l’individualisme ». Mais nous ne sommes pas tout-puissants. Nous devons faire face à des contingences. L’idée qu’ « avec de la bonne volonté », on peut dépasser les obstacles qui nous entravent est très largement chimérique. De même, nous devons affronter des nécessités telles que les conséquences – négatives et positives – du vieillissement, au sens général de l’écoulement de notre vie. Accepter notre finitude nous évite de nous heurter à un mur et d’en souffrir.
La solitude ensuite. Nous sommes des individus uns, distincts de tous les autres individus. Lorsque nous sommes nouveau-nés, nous avons l’illusion de ne faire qu’un avec notre mère. L’une des premières étapes de l’avancée en âge, qui est déjà une forme de vieillissement, est la prise de conscience – qui n’est pas confortable et peut être angoissante – que nous sommes un individu séparé de la mère, distinct d’elle et donc seul. Dans notre vie amoureuse, au moins dans les temps de la passion amoureuse, nous pouvons nous bercer de l’illusion que nous ne sommes qu’un avec notre moitié. Dans Le Banquet, Platon [12] nous alerte sur cette illusion.
En outre, dans nos discussions avec les autres, nous cherchons à avoir raison : nous voudrions parfois que l’autre pense comme nous, soit comme nous. Or, pour Longneaux, c’est là une marque flagrante de notre désir de fusion avec l’autre pour ne pas vivre et ressentir notre solitude existentielle [13]. Toute rupture avec une personne, avec un travail, avec une vie d’avant – quand elle est subie – nous renvoie à notre solitude. La sagesse consiste à l’accepter comme une donnée de toute existence, et donc de la nôtre. La sagesse nous invite à nous déprendre de nos illusions.
L’incertitude enfin. Nous avons besoin, pour nous guider dans la vie, de certitudes. En effet, les certitudes nous procurent un sentiment de sécurité essentiel pour vivre. Mais nos vies nous confrontent à l’incertain [14]. Notre bonne santé, par exemple, est incertaine. Dans Knock ou le triomphe de la médecine, Jules Romains écrit : « La santé est un état précaire qui ne laisse présager rien de bon. [15] » Notre société assurantielle a pour objectif de parer aux coups de la vie résultant de l’incertitude de celle-ci : les accidents de santé, le chômage, la vieillesse, la dépendance, etc.
L’État-providence s’est structuré autour de l’organisation de caisses d’assurance pour parer aux incertitudes de l’existence [16]. Accepter l’incertitude est aussi une voie de sagesse, qui nous permet de vivre mieux. Ceci ne signifie pas qu’il faut abolir les assurances et l’État-providence. Au contraire, les assurances publiques et privées doivent nous permettre de vivre l’incertitude avec plus de recul et de sérénité et non dans l’angoisse de l’accident de vie.
L’acceptation de notre finitude, de notre solitude existentielle et de l’incertitude qui plane sur nos vies et notre monde passe, lorsque nous nous heurtons à ces trois réalités, de faire le deuil de nos aspirations à la maîtrise, à la fusion avec autrui, à la certitude et à la prévisibilité qui en est la cause. Faire le deuil cause une recomposition de notre identité, pour devenir autre que ce que nous étions. Pour ce faire, la mémoire et la reconnaissance de soi comme ayant changé est indispensable. Le regard des autres qui nous précise, explicitement ou pas, que nous ne sommes plus le même et que nous avons changé, est nécessaire. Mais face à l’absence de mémoire du patient atteint d’Alzheimer, et face à l’absence de reconnaissance de l’aidant, cette recomposition de l’identité apparaît pour le moins problématique. L’aidant aussi peut souffrir de n’être pas reconnu. C’est ce double problème dont nous allons traiter dans la partie suivante.
III. Qu’est-ce que la maladie d’Alzheimer nous permet d’apprendre du vieillissement ?
Si nous voulons bien vieillir, lorsque notre corps ne nous encombre par de douleurs récurrentes difficiles à supporter, nous avons à recomposer notre identité au fil des saisons de la vie. Or, le propre de la maladie d’Alzheimer – comme toutes les pathologies qui mènent à la démence – est qu’elle s’attaque justement à l’identité même de la personne. La personne perd sa personnalité : elle devient tout autre. Il peut y avoir des survivances de l’ancienne personnalité du malade. Mais la maladie les grignote petit à petit.
Le philosophe Michel Malherbe, professeur émérite de philosophie de l’Université de Nantes, a vécu un drame intime : son épouse Annie Malherbe a contracté la maladie d’Alzheimer, et il l’a accompagné dans la maladie pendant plusieurs années. Il en témoigne dans deux livres : Alzheimer. La vie, la mort, la reconnaissance (qui nous servira de guide dans cette partie) et Alzheimer. De l’humanité des hommes [17]. Ce témoignage est riche et bouleversant, notamment quand il mentionne la fin de la vie commune lorsqu’à bout de possibilités et de forces, il se voit contraint de placer son épouse dans une unité spécialisée d’EHPAD [18].
Au tout début du premier de ces deux livres, Malherbe explique : « On ne laisse pas de me demander fort aimablement : “Est-ce qu’elle vous reconnaît ?”. Je réponds invariablement : “je lui suis certainement familier, mais je doute qu’elle sache encore le lien qui nous unit”. Mais moi, sachant le lien qui nous unit, j’ajoute : “La vraie question est autre, elle est : est-ce que, moi, je la reconnais ?”. [19] »
Pour structurer notre identité et la recomposer, il est nécessaire de s’identifier comme étant le même que par le passé, et qui pourtant a changé. Il est important aussi de reconnaître ceux qui nous sont proches comme ayant changé tout en restant les mêmes. Et c’est ce que Malherbe, face à son épouse Annie, ne parvient plus à faire. Il écrit : « L’autre, j’ai peine à la reconnaître, je ne la connais plus, tel est mon mal, tel est mon malheur. Et je soupçonne qu’elle-même ne se reconnaît plus, ne pouvant plus se connaître : tel est son mal et tel est son malheur. [20] »
Ce qui est sous-jacent au constat de Malherbe est bien connu des professionnels de la gérontologie dans la distinction entre sénescence et sénilité. Les deux vocables sont tirés du latin senex, qui signifie « le vieillard ». La sénescence consiste en le vieillissement normal du corps et de l’esprit d’un être humain ; tandis que la sénilité dénote le vieillissement pathologique du corps et de l’esprit d’un être humain. En vieillissant sans maladie particulière, Michel Malherbe vit une sénescence, tandis qu’atteinte de la maladie d’Alzheimer, Annie est frappée de sénilité. Celle-ci l’empêche de se connaître au présent et de se considérer comme la même ayant changé dans une continuité du passé au présent. Il est souvent dit que les patients Alzheimer conservent (selon les malades) une mémoire d’évènements anciens. Quand c’est bien le cas – et comme Annie prononce des paroles incompréhensibles et désordonnées, c’est impossible à savoir – ces personnes ne font pas le lien entre qui elles étaient par le passé et qui elles sont aujourd’hui.
Pour perpétuer notre identité, il est important que ceux qui nous connaissent depuis longtemps nous aident à percevoir les constantes et les mutations de notre identité, ce qui rend la pratique de la reconnaissance mutuelle particulièrement importante voire cruciale. Malherbe distingue clairement l’identification de la reconnaissance : « L’identification concerne le jeu des apparences, mais la reconnaissance concerne l’être même de la personne. Et les deux opérations ne coïncident pas. [21] ».
Quelqu’un qui ne vous a pas vu depuis dix ans devrait être capable de recouper l’image qu’il a de vous avec dix ans de moins, et l’image de la personne qu’il a présentement devant lui : ainsi il parviendra à vous identifier. Mais la reconnaissance appelle l’intimité. Pour reconnaître l’autre dans ses qualités et défauts, ses richesses d’être et ses manquements, il faut le connaître en profondeur et sur la durée. Telle est la reconnaissance de l’autre, qui aide quelqu’un – par le miroir qu’il lui tend – à se reconnaître lui-même dans ses continuités et ses variations.
Michel Malherbe a renoncé à tendre un miroir à Annie. Quand la maladie s’installe, le sentiment de la perte et du naufrage qui s’annonce peut être extrêmement douloureux pour le patient Alzheimer. Une fois advenue l’inconscience des troubles, qu’aucun éclair de lucidité ne vient plus entamer, le miroir que tend l’autre ne fait plus sens. Et pour Malherbe, il faut qu’il compte sur d’autres proches qu’Annie pour lui tendre un miroir qui lui permettra de se reconnaître vieillissant, dans ses continuités et ses variations de personnalité.
Le propre de la maladie d’Alzheimer, pour les patients dont l’évolution est lente, est qu’ils donnent l’impression d’un recommencement de la même journée chaque jour, en tout cas vu de l’aidant. Malherbe écrit à ce propos : « C’est comme si je devais perpétuellement refaire la même découverte : qu’Annie tire sur ses fils [de son écharpe], qu’elle lisse ses lèvres [avec son index], qu’elle dure… […] Mais cela n’a pas de sens ! Le temps, c’est le changement : comment rester le même si on ne change pas ? […] Oui, j’en suis conscient, je fais bien peu, mais à l’inéluctable “Comment va-t-elle ?”, il me faut répondre “Oh, vous savez, elle dure.” [22] »
C’est un des aspects de la sénilité, lorsque la chute est lente, de ne faire vivre aux personnes que le retour du même, une durée sans fin ni évènement qui casserait la routine, une répétition constante et dépourvue de sens. Pour faire une expérience positive voire joyeuse du vieillissement, il faut la conscience du changement – dans ce qu’il a de bon et aussi de mauvais pour soi – et le regard de l’autre qui nous fait prendre mieux conscience des changements.
La réciprocité est un point central de la réflexion de Malherbe. Il guette les moments où Annie lui évoque par un geste, ou une parole un peu plus signifiante que d’autres, leur passé commun. C’est une quête désespérée, où les petits riens qui laissent entrevoir une survivance de l’Annie de leur passé commun sont très rares. Malherbe explique que la réciprocité en morale est basée sur la capacité d’une personne à reconnaître l’autre comme son semblable. Mais Annie lui est devenue tellement dissemblable. La morale qui incite à respecter des personnes démentes est dépourvue de réciprocité : le respect n’est plus un objet de don et de contre-don, puisque le contre-don appelle l’identification de l’autre comme mon semblable, à qui je dois le respect que je souhaite recevoir de lui. Et donc le respect envers une personne si dissemblable à soi repose sur la fiction du « comme si l’autre était encore mon semblable » [23].
Quand la personnalité de l’autre aimé disparaît, cette fiction n’est pas facile à renouveler chaque jour. Malherbe explique que chaque jour il faut lutter pour se sentir semblable de celui qui s’éloigne et est rendu si différent par la maladie : « N’ayons qu’un seul mot d’ordre : œuvrons en faveur de cette proximité apaisée qui unit le semblable au semblable, œuvrons en faveur de cette familiarité heureuse qui faisait qu’après le dîner nous regardions ensemble la télé ou que nous causions à demi-mots en nous comprenant. [24] »
Nous constatons au terme de cette partie que la maladie d’Alzheimer nous permet de prendre conscience, tout au moins quand on est aidant, que le vieillissement sain, la sénescence, se produit par la capacité que nous avons de nous connaître et de repérer les constantes et les variations de notre personnalité. Cette reconnaissance ne va pas sans la reconnaissance de ceux qui nous connaissent bien, qui nous tendent un miroir, en particulier notre conjoint. La maladie d’Alzheimer prive le patient de la connaissance de soi et rompt la continuité que la mémoire établit entre le moi du passé et le moi d’aujourd’hui. La maladie d’Alzheimer prive les aidants de la reconnaissance de l’autre, qui aide à recomposer notre identité lorsque nous vieillissons.
Conclusion
À la question « Qu’est-ce que vieillir ? », qui peut aussi être formulée par « qu’est-ce qui nous donne l’impression de vieillir ? », nous avons mis au jour cinq réponses principales. Premièrement, dans un contexte professionnel, nous ressentons le sentiment pénible d’être vieillissant lorsque nous sommes exlocutés dans nos organisations, voire exclus, lorsque nous manquons de la nécessaire reconnaissance sociale indispensable à l’estime de soi. Deuxièmement, vieillir signifie ressentir notre corps qui nous fait défaut, ponctuellement ou chroniquement, et qui nous fait souffrir. Troisièmement, nous nous sentons vieillir quand nous faisons l’expérience consciente de l’irréversibilité du temps, de l’impossibilité de réformer des circonstances ou des actes de notre passé qui ne nous conviennent pas. Nos actes, une fois commis, sont incorrigibles. Nous pouvons tout au plus tenter des actions sur leurs conséquences. Bien vieillir – et c’est le quatrième point – nécessite d’abandonner notre phantasme de toute-puissance, notre désir de fusion avec l’autre, de courir après de chimériques certitudes, afin de nous réconcilier avec notre finitude, d’accepter notre solitude existentielle et l’incertitude de notre vie. Cinquièmement, mal vieillir consiste à ne plus pouvoir nous connaître nous-mêmes quand nous sommes frappés de sénilité. Et quand nous sommes l’aidant, cela revient à ne plus être reconnu par un proche, ce qui rend plus difficile la recomposition de notre identité.
Une ressource peut nous être utile pour bien vieillir et parvenir aux prises de conscience existentielles évoquées. Cet article sera donc clos sur une note d’humour. En 1930, la romancière britannique Agatha Christie (40 ans) épousait Max Mallowan (26 ans), qui était assyriologue, soit archéologue spécialiste de la Mésopotamie. Agatha Christie aurait déclaré à une assemblée de femmes venues l’entendre : « Mesdames, épousez un archéologue. C’est le seul homme qui vous regardera vieillir avec intérêt. »
[1] A. Honneth, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, Paris, La Découverte, 2006, p. 192.
[2] Idem, p. 192.
[3] Idem, p. 193.
[4] S. de Beauvoir, La vieillesse, Paris, Gallimard, 2020, p. 14.
[5] A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Paris, Fayard, 2020, pp. 44-45.
[6] Sur les implications philosophiques de la révolution physique du XXème siècle, voir J. Staune, Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique, Paris, Pluriel, 2017, pp. 49 sqq..
[7] S. de Beauvoir, La vieillesse, Paris, Gallimard, 2020, p. 21.
[8] A. Tubeuf, Dictionnaire amoureux de la musique, Paris, Plon, 2012, p. 285 sqq..
[9] J.-M. Longneaux, Finitude, solitude, incertitude. Philosophie du deuil, 2020, p. 12.
[10] J.-M. Longneaux, Finitude, solitude, incertitude. Philosophie du deuil, 2020, pp. 159 sqq..
[11] Sur la sociologie de l’individualisme, voir l’irremplaçable livre d’A. Ehrenberg, La société du malaise, Paris, Odile Jacob, 2014.
[12] Platon, Le Banquet, Paris, GF Flammarion, 2016.
[13] J.-M. Longneaux, Finitude, solitude, incertitude. Philosophie du deuil, 2020, pp. 201 sqq..
[14] Idem, pp. 249 sqq..
[15] J. Romains, Knock ou le triomphe de la médecine, Paris, Gallimard, 1993.
[16] F. Ewald, L’État providence, Paris, 1986, Grasset.
[17] M. Malherbe, Alzheimer. De l’humanité des hommes, Paris, 2019, J. Vrin.
[18] M. Malherbe, Alzheimer. La vie, la mort, la reconnaissance, Paris, 2015, J. Vrin, pp. 61-63.
[19] Idem, p. 9.
[20] Idem, p. 53.
[21] Idem, p. 184.
[22] Idem, p. 57.
[23] Idem, pp. 31 sqq..
[24] Idem, p. 54.
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par Bernard Bossu, Professeur agrégé des facultés de droit à l’université de Lille, Doyen honoraire, Directeur du LEREDS (CRDP)
Le 12 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
Ce thème du vieillissement en entreprise s’inscrit dans une perspective plus large qui est celle de ce colloque : le vieillissement à l’heure des choix. Et il est effectivement question de choix lorsque l’on s’intéresse à la question du travailleur vieillissant. Ce choix peut au demeurant être radical : rester ou partir. C’est la deuxième alternative, à savoir partir, qui a d’abord été retenue. Les politiques publiques ont pendant longtemps encouragé et financé l’exclusion des personnes âgées du marché du travail pour permettre aux plus jeunes d’accéder aux emplois.
À partir de la fin des années 60, face à la montée du chômage, les seniors ont été invités à sortir du marché du travail à l’aide de nombreux dispositifs de cessation anticipée d’activité [1]. Au début des années 2000, notamment en raison de la difficulté à continuer à financer les retraites, c’est au contraire le souci de maintenir la personne âgée dans l’entreprise qui s’est manifesté. La loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), dite loi « Fillon », illustre parfaitement ce changement de paradigme.
Cette volonté politique n’a pas nécessairement débouché sur les résultats attendus. Même si les études réalisées n’aboutissent pas toujours exactement au même constat, chacun s’accorde à penser que la problématique de l’emploi des seniors demeure délicate. Dans son avis du 25 avril 2018 sur l’emploi des seniors en entreprise, le Conseil économique, social et environnemental relève que « les seniors sont particulièrement concernés par les licenciements ou toute forme de rupture de contrat et il leur est alors très difficile de retrouver un emploi » [2]. Le constat est largement partagé par le Sénat qui, dans son rapport sur « l’emploi des seniors » en date du 26 septembre 2019, note qu’à la différence de nos voisins européens, le marché du travail français s’avère plus difficile pour les actifs seniors [3]. Par ailleurs, selon le baromètre du défenseur des droits de 2012, l’âge est le premier critère de discrimination ressentie par les salariés dans l’emploi.
Comment expliquer cet état des lieux ? Comme l’expliquent de nombreux auteurs, il existe en France un préjugé tenace sur l’inadaptabilité des travailleurs les plus âgés. Ils seraient moins productifs et ne réussiraient pas à s’adapter aux évolutions techniques et technologiques alors qu’ils percevraient un salaire élevé [4]. Par ailleurs, en raison de l’évolution de leur état de santé, ils seraient fragilisés face aux contraintes du travail. Comme le note l’ANI du 13 octobre 2005, relatif à l’emploi des seniors, « les représentations socioculturelles des seniors constituent un frein important à l’augmentation du taux d’emploi de cette catégorie de salariés » [5].
Ces quelques éléments, et la liste pourrait être sensiblement augmentée, montrent qu’il existe une représentation négative sur le travailleur âgé. Comment peut-on utiliser le droit pour remettre en cause cette image défavorable ? Deux chemins peuvent être empruntés pour favoriser l’emploi des seniors. C’est d’abord le principe de non-discrimination, c’est-à-dire la lutte contre les stéréotypiques, qui doit être mobilisé. Ensuite, il convient de développer des politiques permettant le maintien dans l’emploi du travailleur âgé.
I. Lutter contre les discriminations
Le droit européen et le droit interne prohibent les discriminations liées à l’âge. Mais cette interdiction n’est pas absolue : des différences de traitement peuvent être justifiées dès lors qu’elles subissent avec succès les tests de justification et de proportionnalité.
A. Les différences de traitement prohibées
L’interdiction des discriminations en raison de l’âge a été proclamée par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE) [6]. De façon générale, on relèvera que sont prohibées les discriminations directes mais aussi les discriminations indirectes.
S’agissant de la discrimination directe, elle suppose qu’une personne soit traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’âge.
La discrimination directe est susceptible de se manifester dès le stade de l’embauche, un employeur refusant de recruter un salarié en raison de son âge. Dans une délibération du 27 avril 2009, la Halde a rappelé ce principe dans une affaire où le candidat à l’embauche était âgé de 56 ans [7]. L’idée que les travailleurs de plus de 50 ans sont moins performants est assez largement répandue et les politiques de ressources humaines ont parfois une approche très stéréotypée des travailleurs âgés. Mais la preuve de la discrimination au stade de l’embauche est très difficile à établir. Souvent, il sera utile d’établir une comparaison entre des personnes placées dans une situation comparable. Mais à qui comparer celui qui se prétend victime d’une discrimination en raison de son âge ? Faut-il regarder la situation des personnes qui appartiennent à la même catégorie d’âge ou la situation des personnes plus jeunes ?
C’est principalement à l’occasion de la rupture du contrat de travail que la discrimination en raison de l’âge donne lieu à des actions en justice. Le contentieux peut d’abord trouver sa source dans les licenciements fondés sur l’insuffisance professionnelle, le salarié âgé étant perçu comme moins productif. Mais l’incompétence alléguée doit reposer sur des éléments précis, objectifs et vérifiables et non sur une appréciation purement subjective de l’employeur. En pratique, le juge va être amené à opérer des comparaisons notamment chiffrées avec les résultats des autres travailleurs dans l’entreprise.
Bien évidemment, l’étude du contentieux conduit à déplacer notre regard vers la question de la mise à la retraite. Dans l’hypothèse de la requalification d’une mise à la retraite intervenue sans respect des conditions légales, on songe notamment à l’impossibilité pour le salarié de bénéficier d’une pension de retraite à taux plein, le seul motif avancé par l’employeur sera l’âge du salarié. Or, un tel motif est a priori discriminatoire. Dans un arrêt de principe en date du 21 décembre 2006, la Cour de cassation décide qu’en vertu de la loi « aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou tout acte contraire à l’égard d’un salarié est nul ». En conséquence, dès lors que l’employeur n’invoquait comme cause de rupture que l’âge du salarié, lequel ne bénéficiait pas d’une retraite à taux plein, sa mise à la retraite constituait un licenciement nul [8].
S’agissant de la discrimination indirecte, elle est constituée lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge par rapport à d’autres personnes. Souvent, les données statistiques vont être un outil efficace pour prouver qu’une mesure est défavorable à une classe d’âge [9]. À titre d’illustration, on peut s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 avril 2009 [10]. En l’espèce, un salarié licencié soutenait que le plafonnement d’une indemnité conventionnelle de licenciement, à partir de douze ans d’ancienneté, constituait une discrimination indirecte en raison de l’âge. Selon lui, il existe un rapport entre l’âge et l’ancienneté qui fait que les salariés les plus anciens sont souvent les moins jeunes. La Cour de cassation rejette son argumentation au motif qu’il ne résultait pas des constatations de la cour d’appel que ce plafonnement avait pour effet de désavantager les salariés en fonction de leur âge. La haute juridiction invite donc à distinguer entre le critère de l’ancienneté et l’âge. L’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir d’individualisation, tenir compte de l’ancienneté. [11] La solution aurait pu être différente si le salarié avait démontré qu’en application de la convention collective d’entreprise, les plus anciens étaient aussi en proportion les plus âgés et subissaient de ce fait un désavantage [12].
B. Les différences de traitement autorisées
L’article 6, § 1, de la Directive n° 2000/78 (N° Lexbase : L3822AU4) ouvre aux États membres la faculté de justifier une mesure discriminatoire directement fondée sur l’âge. Aux termes de ce texte, les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées dans le cadre du droit national et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Les objectifs poursuivis doivent donc être légitimes mais aussi proportionnés au but poursuivi.
1) Le test de légitimité
Les motifs légitimes justifiant une différence de traitement fondée sur l’âge sont appréciés avec une grande souplesse par le juge. L’argumentation varie selon que la différence de traitement provient d’une disposition légale ou réglementaire, ou d’une pratique de gestion d’entreprise.
a. Les dispositions législatives et réglementaires
En raison des enjeux sociaux et financiers qui sous-tendent la plupart des dispositifs législatifs ou conventionnels, la CJUE valide fréquemment les justifications avancées par les États membres [13]. Est ainsi légitime, la réglementation qui vise à « réguler le marché national de l’emploi, notamment aux fins d’enrayer le chômage » [14]. De même, la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres [15]. Dans l’arrêt « Palacios de la Villa », la CJUE souligne encore qu’il incombe aux États membres de choisir entre des politiques tendant à « allonger la durée de la vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite plus précoce de ces derniers » [16].
Cette jurisprudence est partagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 26 novembre 2013 mettant en scène un salarié qui avait été mis à la retraite conformément aux dispositions légales en vigueur, la Cour de cassation a décidé que la loi met en œuvre, dans un objectif de politique sociale, le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre [17]. Cette solution peut être rapprochée d’une décision rendue par le 4 mai 2011 par le Conseil constitutionnel. Selon lui, « en fixant une règle générale selon laquelle, en principe, l’employeur peut mettre à la retraite tout salarié ayant atteint l’âge ouvrant droit au bénéfice d’une retraite à taux plein, le législateur n’a fait qu’exercer la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution pour mettre en œuvre le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre ». Le régime de mise à la retraite prévu par la loi est donc conforme au droit à l’emploi garanti par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 [18].
b. Les pratiques de gestion des entreprises
S’agissant des politiques de gestion des ressources humaines, toute référence à l’âge est en principe prohibée. C’est pourquoi l’employeur s’appuie fréquemment sur la fidélité, ou encore l’ancienneté ou l’expérience pour justifier une différence de traitement. On comprend notamment que l’ancienneté implique normalement une augmentation de l’expérience professionnelle et donc un salarié qui travaille de manière plus efficace [19]. Fort logiquement, si le salaire ne peut pas en principe être fonction de l’âge du salarié, il pourra néanmoins être en partie lié à l’expérience acquise par le travailleur.
L’entreprise peut aussi être tentée de justifier une mesure d’âge pour permettre l’accession à un emploi de ceux qui en sont privés. Ce motif peut être admis dès lors qu’il répond effectivement au souci de développer l’emploi. Ainsi, dans un arrêt en date du 17 mars 2015, le syndicat national des moniteurs du ski français avait organisé une réduction de l’activité des moniteurs âgés de 62 dans le but affiché de libérer des postes pour les plus jeunes. En réalité, l’objectif était de satisfaire la clientèle à la recherche de nouvelles techniques de glisse nécessitant une force physique adaptée. En conséquence, la Cour de cassation en déduit que la mesure n’était pas « objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime d’intérêt général, tenant notamment à la politique de l’emploi, au marché du travail ou à la formation professionnelle » [20].
C’est enfin parfois la protection de la santé qui est mise en avant par l’entreprise pour justifier une mesure d’âge, notamment la pénibilité des conditions de travail. Ce motif est admis par la Cour de cassation s’il est « étayé par des éléments précis et concrets tenant à la répercussion des travaux accomplis sur l’état de santé du salarié » [21]. En d’autres termes, la justification doit être appréciée in concreto et non d’une manière générale et abstraite.
2) Le test de proportionnalité
Poursuivre un objectif légitime n’est pas suffisant pour échapper au grief de discrimination : il faut encore que la mesure d’âge soit appropriée pour atteindre ledit objectif. En d’autres termes, si l’objectif ne peut être atteint par des moyens alternatifs à la limite d’âge, le test de proportionnalité est passé [22]. En pratique, la Cour de justice de l’Union européenne va vérifier, d’une part, que l’objectif n’aurait pas pu être atteint par d’autres moyens plus modérés et, d’autre part, que le dispositif est cohérent, c’est-à-dire adapté au résultat recherché [23]. La CJUE a ainsi statué sur une réglementation qui a fixé une limite d’âge (30 ans) pour accéder à un emploi de pompier. Cette limite d’âge répond à un objectif légitime : une condition physique optimale des agents est nécessaire pour assurer l’efficacité des interventions de protection des biens et des personnes. Le choix de l’âge de 30 ans passe aussi le test de proportionnalité car « un recrutement à un âge avancé aurait pour conséquence qu’un trop grand nombre de fonctionnaires ne pourraient être affectés aux tâches les plus exigeantes sur le plan physique » [24]. On notera que le dossier produit devant le juge contenait des données scientifiques résultant d’études menées dans le cadre de la médecine du travail et du sport, desquelles il ressortait que les capacités respiratoires, la musculature et l’endurance diminueraient avec l’âge [25].
Un contentieux important s’est également développé sur l’âge limite imposé aux pilotes de l’aviation pour voler. Le Code de l’aviation civile contient des dispositions qui imposent une limite d’âge aux pilotes. L’employeur doit alors proposer un reclassement dans un emploi au sol et, si le reclassement s’avère impossible ou si le salarié refuse ce dernier, la rupture du contrat est autorisée. Ces dispositions semblent répondre à un objectif légitime : la sécurité des vols, des équipages et des personnels explique la limite d’âge [26]. Mais encore faut-il que les moyens employés pour réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires. Le contrôle de proportionnalité doit conduire à écarter une mesure ou une disposition prenant en compte l’âge du salarié si d’autres moyens, moins désavantageux pour lui, peuvent être mis en œuvre [27]. Des tests médicaux réguliers peuvent sembler plus pertinents puisqu’ils permettent une évaluation individuelle de chaque pilote. Par ailleurs, il existe d’autres alternatives comme la possibilité, pour les pilotes âgés, de copiloter [28]. Ces différentes considérations vont conduire la Cour de cassation à décider le 11 mai 2010 qu’une cour d’appel ne peut se limiter à reconnaître le caractère légitime, en ce qu’il répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité, des dispositions fixant à 60 ans l’âge de cessation d’activité des pilotes d’avion, mais doit rechercher si la cessation des fonctions à cet âge est nécessaire à la réalisation de ces objectifs [29]. On notera que la Cour de cassation va encore affirmer le 3 juillet 2012 que la limitation à 60 ans du métier de pilote dans le transport aérien public n’est pas un moyen approprié et nécessaire dans le cadre d’une politique de l’emploi [30].
II. Maintenir l’emploi
Comment maintenir dans l’emploi les travailleurs âgés ? La question est complexe et notre propos ne vise certainement pas à l’exhaustivité. On relèvera simplement que deux pistes doivent être examinées. D’abord, parce que la personne âgée est souvent présentée comme incapable de s’adapter aux évolutions du monde du travail, il faut veiller à maintenir ses compétences par des formations adaptées mais aussi permettre son éventuel reclassement sur un autre poste. Ensuite, une attention toute particulière doit être accordée aux conditions de travail, l’âge entraînant nécessairement une dégradation de l’état de santé.
A. Former et reclasser
Dans un contexte d’évolution permanente des emplois et des compétences, il paraît essentiel de préparer l’adaptation ou la reconversion des salariés. Ces dernières décennies ont été marquées par des transformations particulièrement importantes des technologies et des formes d’organisation du travail et notamment le développement de pratiques de travail dites « flexibles » ou « innovantes ». Et les salariés doivent être en mesure de s’adapter rapidement à l’utilisation de matériels et de méthodes de travail radicalement nouveaux. Pour maintenir l’emploi, il est indispensable de veiller à l’employabilité des salariés. Chacun comprendra que si un travailleur à la chaîne est licencié à 50 ans sans jamais avoir reçu la moindre formation, il va nécessairement demeurer à la charge de la société jusqu’à l’âge de sa retraite. Le coût est non seulement énorme sur le plan humain mais aussi pour la société dans son ensemble. L’entreprise socialement responsable, c’est l’entreprise qui prend en charge son environnement. Sur le plan juridique, une démarche individuelle mais aussi collective est imposée à l’entreprise.
S’agissant de la démarche individuelle, la Cour de cassation va décider dans les années 90 que « l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois et de favoriser leur reclassement ». Deux mots imprègnent désormais le droit du licenciement économique : adapter et reclasser [31]. Si l’employeur prépare ses salariés aux emplois de demain, on pourra plus facilement assurer le reclassement de ces derniers.
L’obligation d’adaptation a été affirmée pour la première fois par la Cour de cassation le 25 février 1992 : « l’employeur tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois » [32]. La solution sera ensuite consacrée par loi, l’article L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9898LL8) affirmant aujourd’hui que « l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences ». Ces actions de formation sont mises en œuvre le cas échéant par un plan de développement des compétences (ancien plan de formation).
On retiendra de ce texte deux obligations distinctes. L’employeur doit tout d’abord adapter le salarié à son poste de travail afin qu’il possède les savoirs et les compétences nécessaires pour poursuivre son activité sur son poste de travail. Un salarié peut en conséquence contester son licenciement pour insuffisance professionnelle si l’employeur a manqué à son devoir d’adaptation. Il convient toutefois de ne pas se tromper sur la portée de cette première obligation. On ne demande pas à l’employeur d’assurer une formation initiale qui ferait défaut mais d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois en assurant des formations complémentaires [33]. Au-delà de l’obligation d’adaptation du salarié à son propre poste de travail, il faut aussi veiller à l’employabilité externe de l’intéressé, c’est-à-dire maintenir sa capacité professionnelle à occuper un emploi s’il se retrouve demain sur le marché du travail. Ainsi, viole l’article L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9898LL8), l’employeur qui en 16 ans d’exécution du contrat de travail, n’a pas fait bénéficier le salarié dans le cadre du plan de formation d’aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations [34]. Et comme cette obligation incombe à l’employeur, il ne saurait être reproché à un salarié de n’avoir émis aucune demande de formation au cours de son contrat de travail [35]. En revanche, si le salarié refuse, sans motif légitime, de suivre une action de formation décidée par l’employeur dans l’intérêt de l’entreprise, il peut être licencié pour faute [36].
On notera encore que l’employeur ne peut refuser une formation à un salarié au motif qu’il est trop âgé. Ainsi, lorsqu’une compagnie aérienne refuse un stage de qualification à un pilote de ligne de 60 ans, en raison de l’amortissement aléatoire de son coût, eu égard à l’incertitude concernant, d’une part, l’évolution de son aptitude médicale et, d’autre part, la date de son départ en retraite, la discrimination en raison de l’âge est constituée [37]. Ce cas n’est malheureusement pas isolé. La croyance que le salarié âgé n’a pas la possibilité de profiter avec efficacité des formations proposées est tenace [38].
Dans de prolongement de l’obligation d’adaptation, on trouve l’obligation de reclassement. L’employeur a l’obligation de renégocier le contrat de travail lorsque l’évolution de l’entreprise empêche de fournir le travail convenu. D’origine jurisprudentielle, l’obligation de reclassement a été consacrée par la loi. En vertu de l’article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7298LHR), le licenciement économique d’un salarié ne peut intervenir que si le reclassement est impossible. En résumé, c’est parce que l’employeur a respecté son obligation d’adaptation, qu’il pourra reclasser le moment venu ses salariés.
Sur un plan plus collectif, l’employeur peut décider de mettre en place un plan de développement des compétences qui comprend l’ensemble des formations organisées au bénéfice du personnel. Les actions prévues par ce plan peuvent être des actions d’adaptation au poste de travail ou des actions de développement des compétences destinées à faire acquérir au salarié une nouvelle qualification. On notera que le salarié peut aussi être à l’origine du développement de ses compétences, notamment grâce à la mobilisation de son compte personnel de formation.
Toujours sur le plan collectif, au titre des consultations récurrentes, l’article L. 2312-26 prévoit une consultation annuelle du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. Elle porte notamment sur l’évolution de l’emploi, les qualifications, les actions de formation, l’apprentissage, les actions de prévention en matière de santé et de sécurité et les conditions de travail.
Enfin, l’idée d’anticiper les difficultés avant qu’elles ne surviennent pour permettre notamment d’adapter les emplois et les compétences aux stratégies de l’entreprise s’est traduite dans la loi du 18 juillet 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) par l’obligation de négocier au moins tous les 3 ans dans les entreprises d’au moins 300 salariés sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Aujourd’hui, l’article L. 2242-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9907LLI) parle d’une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, d’abondement du compte personnel de formation, de validation des acquis de l’expérience et du bilan de compétence. S’agissant de contenu de cette négociation, l’article L. 2242-21 (N° Lexbase : L7336LH8) prévoit qu’elle peut notamment porter sur « l’emploi des salariés âgés et la transmission des savoirs et des compétences ». Dans le rapport du Sénat du 26 septembre 2019 sur l’emploi des seniors, il est proposé de rendre obligatoire la prise en compte de cette question [39]. Plus globalement, les auteurs du rapport considèrent qu’il est indispensable qu’à tous les niveaux, les partenaires s’emparent de la question du recrutement et du maintien dans l’emploi des seniors. L’ANI du 13 octobre 2005 relatif à la question de l’emploi des seniors s’est révélé décevant sans doute en raison de son caractère trop modeste. Il serait souhaitable d’afficher de nouvelles ambitions, en créant par exemple, comme pour l’égalité femmes/hommes, un index [40].
B. Surveiller les conditions de travail et l’état de santé
Ce n’est pas à l’homme à s’adapter au travail mais au travail à s’adapter à l’homme. Ce principe d’adaptation du travail à l’homme, qui est posée par l’article L. 4121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6801K9R), s’applique en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production. L’employeur doit, en vertu de son obligation de sécurité, prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés.
Plusieurs éléments permettent de comprendre pourquoi une telle démarche de prévention est imposée à l’employeur, notamment pour les seniors. On notera tout d’abord que de nombreuses études ont montré l’impact du travail sur l’usure prématurée de l’organisme. L’homme commence à vieillir entre 20 et 25 ans et les effets du vieillissement deviennent observables à partir de 40 ans [41]. Et le travail peut contribuer à accélérer ou amplifier le mécanisme du vieillissement. La remarque est importante car cela signifie que la question de l’amélioration des conditions de travail concerne tous les salariés, quel que soit leur âge. Ensuite, il apparaît que certaines contraintes sont en particulier pénalisantes pour le salarié âgé. La première contrainte est liée au temps : le rythme de travail est imposé par le collègue ou par le déplacement automatique de la pièce sur la chaîne de production. La seconde contrainte est physique, elle est liée au port de charges lourdes ou encore au maintien de postures douloureuses et pénibles. Enfin, la troisième contrainte est liée à l’organisation du travail : les horaires atypiques et le travail de nuit sont moins bien supportés par la personne âgée [42].
À partir de là, le défi de l’entreprise est d’identifier les problèmes et d’apporter des réponses adaptées comme par exemple éviter les contraintes de travail les plus pénalisantes pour les salariés âgés ou ménager des alternances entre les postes. Et, au-delà du chef d’entreprise qui doit veiller à la santé et à la sécurité des salariés, trois acteurs vont aider à résoudre les difficultés liées aux conditions de travail.
D’abord, le comité social et économique et éventuellement sa commission santé, sécurité et conditions de travail. L’article L. 2312-5, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1435LKD) prévoit que la délégation du personnel au CSE « contribue à promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et réalise des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel ». Par ailleurs, la consultation annuelle du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi va porter notamment sur les actions de prévention en matière de santé et de sécurité et les conditions de travail.
Le deuxième acteur clé est évidemment le médecin du travail. Même si la loi ne prévoit pas de surveillance physique particulière pour le travailleur âgé [43], le médecin du travail doit veiller à la préservation de son état de santé ainsi qu’à l’existence de conditions de travail optimales dans l’entreprise. On notera d’ailleurs, qu’en vertu de l’article R. 4623-1, le médecin du travail participe à la prévention des risques professionnels et à la protection de la santé des travailleurs, notamment par « l’adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la santé physique et mentale, notamment en vue de préserver le maintien dans l’emploi des salariés ».
Enfin, à côté des institutions représentatives du personnel et du médecin du travail, la question des conditions de travail doit devenir un objet de négociation. Il appartient aux partenaires sociaux d’imaginer des actions concrètes permettant de lutter contre les stéréotypes en encourageant par exemple les politiques favorisant une approche intergénérationnelle. Il est encore essentiel de développer des dispositifs innovants qui visent à favoriser le maintien dans l’emploi des travailleurs âgés (alternance, reconversion…) [44]. Par ailleurs, les accords pour améliorer la qualité de vie au travail devraient permettre de lutter contre les risques physiques et psychiques et donc contribuer au maintien en bonne santé des seniors [45].
[1] Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, 26 septembre 2019, par M. Lubin et R.-P. Savary [en ligne].
[2] A. Cordesse, L’emploi des seniors, avis n° 2018-14 du 25 avril 2018 du Conseil économique, social et environnemental, p. 8 [en ligne].
[3] Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, 26 septembre 2019, op. cit.
[4] L. Behaghel, E. Caroli et M. Roger, Départ des travailleurs âgés, formation continue et changements technologiques et organisationnels, Travail et emploi, janvier - mars 2010, p. 7 [en ligne].
[5] Accord national interprofessionnel (ANI) du 13 octobre 2005, relatif à l’emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l’emploi, JO, 22 juillet 2006 [en ligne].
[6] C. trav., art. L. 1132-1 (N° Lexbase : L4889LXD).
[7] Halde, délibération n° 2009-199 du 27 avril 2009.
[8] Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE), JCP S 2007, 1244, note B. Bossu.
[9] F. Michéa, Le traitement judiciaire du critère discriminatoire de l’Âge, Droit social, 2010, p. 1060.
[10] Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.945, FS-P+B (N° Lexbase : A6457EGA), RDT, 2009, p. 519, note K. Berthou ; Cass. soc., 19 octobre 2010, n° 08-45.254, F-D (N° Lexbase : A4158GCY).
[11] F. Michéa, op. cit.
[12] P. Bailly et J.-P. Lhernould, Discrimination en raison de l’âge : sources européennes et mise en œuvre du droit interne, Dr.oit social, 2012, p. 223.
[13] F. Michéa, op. cit.
[14] CJUE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05, Félix Palacios de la Villa c/ Cortefiel Servicios SA (N° Lexbase : A7508DYQ), Rec. CJCE, I, p. 8531 ; JCP S, 2008, 1152, note J. Cavallini.
[15] CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09, Vasil Ivanov Georgiev c/ Technicheski universitet - Sofia, filial Plovdiv (N° Lexbase : A5488GI4), RJS, 2/2011, p. 99, note J.-Ph. Lhernould.
[16] CJUE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05, op. cit..
[17] Cass. soc., 26 novembre 2013, n° 12-24.690, FS-P+B (N° Lexbase : A4641KQX). JCP S, 2013, 1150, note B. Bossu.
[18] Cons. const., décision n° 2010-98 QPC du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1691GR3).
[19] J.-L. Putz, Discrimination au travail, éd. Promoculture, 2010, n° 371.
[20] Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-27.142, FS-P+B (N° Lexbase : A1907NED), JCP S, 2015, 1298, note B. Bossu.
[21] Cass. soc., 14 septembre 2017, n° 15-17.714, FS-P+B (N° Lexbase : A0779WSN), RJS, 11/17, n° 764, 1ère espèce, n° 764 ; Cass. soc., 14 septembre 2017, n° 16-12.303, FS-P+B (N° Lexbase : A0872WS4), RJS, 11/17, n° 764, 2ème espèce ; JCP S, 2017, 1380, note L. Cailloux-Meurice.
[22] P. Bailly et J.-Ph. Lhernould, op. cit.
[23] Y. Leroy, Âge du salarié, Rép. Trav. Dalloz, n° 5.
[24] CJUE, 12 janvier 2010, aff. C-229/08, Colin Wolf c/ Stadt Frankfurt am Main (N° Lexbase : A2385EQE), JCP S, 2010, 1080, note J. Cavallini ; RJS, 4/10, p. 257, note. J. -Ph. Lhernould.
[25] P. Bailly et J-Ph. Lhernould, n° 9.
[26] P. Bailly et J.-Ph. Lhernould, op. cit., n° 33 ; CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09, Reinhard Prigge c/ Deutsche Lufthansa AG (N° Lexbase : A7249HXR).
[27] P. Bailly et J.-Ph. Lhernould, op. cit., n° 34.
[28] Y. Leroy, Âge du salarié, op. cit., n° 66.
[29] Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-45.307, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT), RJS 2010, n° 582, 2ème espèce ; RDT, 2010, p. 587, note Mercat-Bruns ; LPA, 7 juin 2011, n° 112, p. 10, note Y. Leroy.
[30] Cass. soc., 3 juillet 2012, n° 11-13.795, FS-P+B (N° Lexbase : A4816IQG), Bull. civ. V, n° 205, RJS, 10/12, n° 851 ; Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-10.291, FS-P+B (N° Lexbase : A7507WST), RJS, 12/17, n° 843.
[31] B. Bossu, Loyauté et contrat de travail, in Droit et loyauté, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2015, p. 124.
[32] Cass. soc., 25 février 1992, D., 1992, p. 390, note M. Défossez.
[33] Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-13.876, FS-P+B (N° Lexbase : A2764MTK), RJS, 2014, n° 672.
[34] Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255, F-P+B (N° Lexbase : A3212KG3), RJS, 2013, n° 629 ; LPA, 11 juin 2014, n° 116, p. 21, note P. Etiennot.
[35] Cass. soc., 18 juin 2014, n° 13-14.916, FS-P+B (N° Lexbase : A5993MRE), RJS, 2014, n° 718.
[36] Cass. soc., 5 décembre 2007, JCP S, 2008, 1233, note A. Barège.
[37] Cass. soc., 18 février 2014, n° 13-10.294, FS-P+B (N° Lexbase : A7686MEE).
[38] P.-Y. Verkindt et M. Wacongne, Le travailleur vieillissant, Droit social, 1993, p. 932.
[39] Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, 26 septembre 2019, op. cit..
[40] Voir Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, op. cit., recommandation n° 2.
[41] G. Kreutz, G. Vallet, M. Gilles et J.-P. Meyer, Vieillissement, santé, travail : état des lieux et perspectives de prévention, INRS, Documents pour le médecin du travail, n° 97, 1er trimestre 2004, p. 69 [en ligne].
[42] G. Kreutz, G. Vallet, M. Gilles et J.-P. Meyer, op. cit..
[43] P.-Y. Verkindt et M. Wacongne, op. cit..
[44] A. Jolivet, B. Lamotte et C. Massit, Négocier sur l’emploi des seniors ? Analyse d’accords d’entreprise de 1999 à 2006, Travail et emploi, janvier - mars 2010, p. 33 [en ligne].
[45] A. Cordesse, op. cit., p. 20.
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par Yéfoungnigui Silué, Doctorant en droit privé à l'Université de Lille - L’EREDS/CRDP et Bérengère Legros, Maître de conférences en droit privé à l’université de Lille- L’EREDS/CRDP
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
« Vieillir ensemble, ce n’est pas ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années [1] ».
Les études sur le vieillissement de la population foisonnent depuis des décennies. Qu’elles soient internationales [2], régionales [3] ou nationales [4], ces études témoignent de l’intérêt, sans cesse croissant, que suscite le vieillissement de la population. Désormais au cœur des recherches démographiques, économiques, juridiques, sociales et sanitaires [5]…, le vieillissement irrigue par sa transversalité, les politiques publiques des organisations internationales et des États [6].
En France, le vieillissement de la population a connu une croissance remarquable. En effet, en 1945, le pays comptait 4,5 millions de personnes âgées de plus de 65 ans. Par ailleurs, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans est progressivement passé à 7,9 millions en 1990, 9,29 millions en 1998, 10,73 millions en 2010 et à 17,22 millions au 1er janvier 2018 [7].
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce vieillissement. Deux raisons essentielles seront exposées. La première est l’explosion démographique des années 1945. Elle entraîne sous ce 21ème siècle, l’arrivée de nombreuses générations de « baby boomer» dans le grand âge. La seconde raison est l’allongement constant de l’espérance de vie en raison des progrès de la médecine et d’un accès plus facile et massif aux soins de santé.
Ce vieillissement de la population, bien que salutaire dans son principe, pose toutefois et inéluctablement certaines difficultés de prise en charge des personnes âgées au nombre desquelles figurent le financement des régimes de retraites [8] , le financement des dépenses de santé liées au grand âge, la saturation des structures d’accueil et notamment l’accompagnement ou le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie grâce au recours aux aidants [9]. C’est ce dernier sujet qui sera l’objet de notre étude.
Selon le rapport de la Fondation OCIRP de 2017 [10], 11 millions d’aidants non professionnels accompagnent au quotidien un proche en situation de dépendance, en raison de son âge, d’une maladie ou d’un handicap. Ce nombre devrait augmenter au fil des années car, en 2030, un actif sur 4 sera un ‘‘aidant’’ selon l’Enquête Handicap-Santé 2008 de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) [11]. « En 2015, 3 millions de personnes âgées de 60 ans ou plus vivant à domicile déclarent être aidées régulièrement pour les activités de la vie quotidienne, en raison de leur âge ou d’un problème de santé [12]».
Le recours aux aidants non professionnels est primordial dans la politique actuelle. Il présente un avantage économique de l’ordre de 11 milliards d’euros par an [13].
« Le vieillissement » et « les aidants bénévoles » sont donc des thématiques en situation d’interactions. D’une part, le vieillissement de la population rend nécessaire le recours aux aidants. D’autre part, le recours aux aidants se présente comme une réponse dans la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie à domicile. Toutefois, le postulat [14] qui supposerait de considérer les aidants bénévoles comme une catégorie juridique achevée ou définitive mérite certaines réserves, de la prudence. Dès lors, se pose la question du statut de l'aidant non professionnel en droit de la protection sociale et en droit du travail. Ce statut est-il suffisamment pertinent face au défi de la prise en charge de la perte d’autonomie de la personne âgée demeurant à domicile ? Cette question est fondamentale car par sa politique d’aide aux personnes âgées, l’État français multiplie les réformes aux fins de reconnaître progressivement cette solidarité familiale en construisant, par petites touches, un statut à l'aidant d'une personne âgée « dépendante » ou en perte d'autonomie [15] (II.). Mais avant, et parce qu’elle n’a pas connu un parcours homogène et linéaire, une étude s’impose sur l’évolution de la notion d’aidant depuis sa genèse (I.).
I. De la genèse de la notion d’aidant non professionnel à une évolution duale
L’aidant comme champ d’étude n’a pas toujours été une chose certaine. Néanmoins, les définitions disparates issues de textes insérées dans différents codes témoignent de la volonté des pouvoirs publics d’en faire une catégorie juridique. Ainsi, la notion d’aidant, créée principalement autour de l'aidé en situation de handicap (A.), s’est progressivement étendue à la personne aidée âgée en perte d’autonomie (B.).
A. Une notion d’aidant créée principalement autour de la personne en situation de handicap
Le statut des aidants est en construction et ce, depuis bientôt deux décennies. Le terme « aidant familial » a fait son apparition pour la première fois en 2005, dans la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées [16]. Le dernier alinéa de l’article 79 dispose en effet que : « Il [le plan des métiers] tiendra compte des rôles des aidants familiaux, bénévoles associatifs et accompagnateurs ».
Ce texte, bien que citant le vocable, n’en donne pas pour autant une définition. Cependant, inséré par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 (N° Lexbase : L5228G7R) dont l'objet porte sur les droits des personnes handicapées, on peut affirmer que la naissance du terme « aidant familial » s’est faite en lien très étroit avec l’accompagnement de la personne handicapée.
Dès 2006, est relevé un élargissement du champ personnel de l’aidant non professionnel dans le paysage normatif. En effet, la loi du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 [17] insère dans le Code du travail [18] un congé de soutien familial aux fins d’accompagner expressis verbis les personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie d’une particulière gravité [19].
La perte d’autonomie d’une particulière gravité n’est pour autant pas davantage définie. Elle n'est pas non plus associée expressément aux personnes âgées. On peut néanmoins supputer qu'elle les englobe sans pour autant être exclusive d'autres profils d'aidés. La lecture d'une loi antérieure, la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001, relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie (N° Lexbase : L1777ATY), va en ce sens en introduisant la notion de « perte d'autonomie des personnes âgées » pouvant donner lieu à l’octroi de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) [20]. La notion de perte d'autonomie est d'ailleurs à partir de ce texte et jusqu'en 2020 le plus souvent associée à la notion de personne âgée dépendante [21].
Lors de la recodification du Code du travail en 2008, le législateur a donné une liste de 8 catégories [22] de personnes « présentant un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité » pour lesquelles ce congé peut être demandé par le salarié. Elles sont toujours dans la mouture actuelle [23]. Pour autant, la finalité de cette prise de congé est assez générale, c’est un congé de soutien. Le maintien à domicile apparaîtra expressément comme finalité dans la révision de ce congé par l’article 53-1, 2° de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement (N° Lexbase : L0847KWB) [24] [25].
Parallèlement, on relève qu'en 2008, un décret [26] insère dans le Code de l’action sociale et des familles [27] une définition de l’aidant familial. Il ressort en effet des dispositions de l’article R. 245-7 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L6606IPD) que l’aidant familial est indissociablement lié à une personne en situation de handicap. Il peut être : soit l’accompagnant d’une personne handicapée, soit l’accompagnant du parent d’un enfant handicapé.
Il résulte de cette évolution normative que la notion expresse d'aidant tend à se conceptualiser principalement autour de la personne aidée en situation de handicap.
Toutefois, le législateur a promu au fil des réformes ultérieures les deux types d'aidants en les qualifiant comme tels, la notion d’aidant devenant clairement duale sans être nécessairement convergente.
B. La dualité de la notion d’aidant : de l'aidant familial au proche aidant
C’est en 2015, à la faveur de la loi du 28 décembre 2015, que la notion d’aidant a connu une évolution significative autour d'une autre catégorie de personne : la personne âgée dépendante, c'est-à-dire en perte d'autonomie. Cette loi crée la notion de « proche aidant » associée à la personne âgée, en perte d'autonomie ou non d'ailleurs.
Tout d'abord, l’article 24 de ladite loi ajoute la notion de « personne âgée en perte d’autonomie » (CASF, art. L. 113-1-1 N° Lexbase : L0221KW4 et L. 113-1-2 N° Lexbase : L0222KW7) aux côtés de la catégorie « personne âgée de 65 ans » et « âgée de plus de 60 ans inaptes au travail » pouvant, si elle est privée de ressources suffisantes, bénéficier d'aide à domicile ou d'un accueil chez des particuliers ou dans un établissement (CASF, art. L. 113-1 N° Lexbase : L0673KWT).
La notion de perte d'autonomie est associée expressément par ce texte à la personne âgée. On relèvera que l'article L. 753-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0966LD7) introduit par l’article 38 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (N° Lexbase : L2496IZH) [28] - encore en vigueur - utilise encore la terminologie « personne âgée dépendante » à la charge d'une personne.
En outre, l’article 51 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 (N° Lexbase : L0847KWB) crée la notion de « proche aidant » qu’elle définit à l’article L. 113-1-3 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L0235KWM) : « Est considéré comme proche aidant d’une personne âgée son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, un parent ou un allié, définis comme aidants familiaux ou une personne résidant avec elle des liens étroits et stables, qui lui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ». On relève que la notion de proche aidant est associée expressément à la personne âgée, sans référence dans cette disposition à une perte d'autonomie, même si celle-ci se déduit du texte.
Ensuite, la terminologie « proche aidant » remplace également la sémantique « soutien familial ». Le congé de soutien familial est requalifié à partir de 2015 en congé de proche aidant. Le texte reprend le critère (général) alternatif antérieur de la personne à aider : une personne présentant un handicap ou une perte d'autonomie d'une particulière gravité. Mais désormais, la loi crée une 9e catégorie de personne susceptible d'être aidée « la personne âgée ou la personne handicapée avec laquelle il réside ou entretient des liens étroits et stables, à qui il vient en aide de manière régulière et fréquente à titre non professionnel pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ». La finalité est bien le maintien à domicile de la personne aidée même si l'aidant ne réside pas nécessairement avec elle.
Le statut des aidants s’est donc construit en l’absence d’un cadre conceptuel clairement défini donnant ainsi lieu à une pluralité de définitions associant ou non les deux types d'aidant, créant une faible lisibilité de ce statut pour les non-sachants. Dès lors, quel bilan peut-on dresser du statut de l'aidant de la personne âgée en perte d'autonomie ?
II. Le statut de l'aidant non professionnel de la personne âgée en perte d’autonomie
Le statut des aidants non professionnels est peu lisible et disparate. À cela, s’ajoute une pluralité de notions et une pluralité de droits rendant ledit statut complexe. C’est pourquoi nous nous intéresserons aux dispositions s'appliquant aux aidants d'une personne âgée en perte d’autonomie (A.), avant de nous s'interroger sur la nécessité d'une convergence de droits des différentes catégories d’aidants aux fins de créer un statut unique et lisible (B.).
A. Les différents dispositifs à la disposition d’un aidant d'une personne âgée en perte d'autonomie
Les droits de l’aidant sont disséminés dans différents codes comportant de nombreux renvois vers d'autres codes, rendant le statut complexe et peu lisible.
La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 (N° Lexbase : L0847KWB) a été la loi phare créant le statut de ce type d'aidant en élargissant son champ personnel variant en fonction des dispositions. Désormais, « les personnes âgées » ainsi que « leurs familles bénéficient d’un droit à une information sur les formes d'accompagnement et de prise en charge adaptée aux besoins et aux souhaits de la personne âgée en perte d'autonomie » (loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, art. 24 ; CASF, art. L. 113-1-2 N° Lexbase : L0222KW7). La loi crée également un droit au répit au profit du proche aidant assurant une présence ou une aide indispensable au soutien à domicile d'un bénéficiaire de l'APA (loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, art. 52 ; CASF, art. L. 232-3-2 N° Lexbase : L0236KWN).
Les aidants bénévoles peuvent également solliciter le congé de proche aidant modifié après 2008 à plusieurs reprises : tout d’abord, par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C) [29] mais aussi par la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, de financement de la Sécurité sociale pour 2020 (N° Lexbase : L1993LUD) [30]. Il est régi dorénavant aux articles L. 3142-16 et suivants du Code du travail.
Rappelons que la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a réparti les dispositions du Code du travail autour du triptyque : ordre public, négociation collective et, à défaut dispositions supplétives. Si la définition du proche aidant est imposée par la loi en tant que disposition d'ordre public, la négociation collective était appelée à s'emparer d'un certain nombre de modalités dont celle de la durée maximale de ce congé ou encore du nombre de renouvellements possibles (C. trav., art. L. 3142-19 N° Lexbase : L7101K9U et art. L. 3142-26 N° Lexbase : L3486LQ8) soit au niveau de la branche, soit au niveau de l'entreprise. À défaut d'accord, les dispositions supplétives prévoient que la durée maximale de ce congé est de trois mois, renouvelable et qu'il ne peut excéder un an sur toute la carrière du salarié (C. trav., art. L. 3142-27 N° Lexbase : L7093K9L), suivant ainsi les mêmes termes que la mouture de 2006 [31]. La condition d’ancienneté nécessaire pour en bénéficier : de deux ans prévus en 2006, réduite à un an en 2016, a été supprimée par la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 [32]. Ce congé bénéficie également aux agents du secteur public [33].
Pour inciter les partenaires sociaux à s'emparer du rôle qui leur a été confié en 2016, la loi n° 2019-485 du 22 mai 2019 [34] visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants (N° Lexbase : L3414LQI) modifie l'article L. 2241-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4955LRX) en y insérant l'obligation pour les branches de négocier « sur les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants ». Le texte ne précise pas ce qu'il entend par proche aidant. Néanmoins il se déduit de la structuration de la loi et, plus particulièrement, de son titre 1er intitulé « Favoriser le recours au congé de proche aidant », que cette notion correspond bien à celle de proche aidant précitée.
Le congé de proche aidant étant non rémunéré depuis sa genèse en 2006, l'article 68 de la loi du 24 décembre 2019 acte le principe de son indemnisation (CSS, art. L. 168-8 N° Lexbase : L1651LZ8) par la Sécurité sociale tant pour les salariés que pour les agents publics. Pour autant, même si cette indemnisation se superpose au congé de proche aidant, la superposition n'est que très partielle. Le législateur a choisi d’ailleurs de ne pas renvoyer à un décret d'application le nombre d'indemnités journalières qu'il limite à 66 pour l'ensemble de la carrière du salarié ou de l'agent public (CSS, art. L. 168-9).
D'autres avancées peuvent être relevées dans la construction du statut des aidants, elles sont communes aux deux catégories d'aidants :
Tout d'abord, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (N° Lexbase : L8436K9C) a prévu, en tant que dispositions supplétives, que « la présence au sein du foyer d'un enfant ou d'un adulte handicapé ou d'une personne âgée en perte d'autonomie » devait être prise en compte dans l'ordre des départs en congé (C. trav., art. L. 3141-16, b N° Lexbase : L8584LGZ). Ensuite, la loi insère dans le Code du travail la possibilité pour un salarié de donner anonymement des jours de repos aux salariés « aidants ». Ce type de don a été créé par la loi du 9 mai 2014 [35] au profit d'un salarié parent d'un enfant gravement malade [36]. Le dispositif a été dupliqué par le législateur en 2018 [37] « au profit du salarié qui vient en aide à une personne atteinte d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité ou présentant un handicap dès lors que la personne aidée est l'une de celles mentionnées aux 1° à 9° de l'article L. 3142-16 (N° Lexbase : L5988LUC) » (C. trav., art. L. 3142-25-1 N° Lexbase : L4239LIT), soit la liste des personnes pouvant être aidées au titre du congé de proche aidant.
Certains dispositifs récents du Code du travail, créés par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (N° Lexbase : L9567LLW) [38], s'éparpillent dans un jeu de renvois vers le Code de l'action sociale et des familles au profit des deux catégories d'aidants. Il s’agit notamment, du bénéfice de droits comptabilisés en euros inscrits sur le compte personnel de formation en raison de « l’aide apportée à une personne en situation de handicap ou une personne âgée en perte d’autonomie dans les conditions prévues à l’article L. 113-1 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L0673KWT) [39] » (loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, art. 2 ; C. trav., art. L. 5151-9 N° Lexbase : L9876LLD) et du recours du télétravail (loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, art. 68 ; C. trav., L. 1222-9, I, al. 4 N° Lexbase : L0292LMR).
Si certains dispositifs s'appliquent sans ambiguïté aux deux catégories d'aidants, quid d'une uniformisation du statut dans un souci de lisibilité quelle que soit la personne aidée ?
B. Vers la création d’un statut unifié des aidants
La notion d’aidant manque d’homogénéité, de clarté. Il existe en réalité une pluralité de définitions se rapportant peu ou prou au terme « aidant » avec des sémantiques différentes. Il y a un maquis notionnel [40] [41], une véritable de nébuleuse sémantique.
Cette pluralité de définitions peut prêter à confusion sur le statut des aidants non professionnels. Pis, une autre confusion d’ordre conceptuel s’ajoute à la confusion. En effet, il résulte de la lettre de l’article 51 précité de la loi de 2015 [42] qu’une personne définie comme aidant familial peut être considérée « comme proche aidant d’une personne âgée ». Cette disposition convoque deux notions - aidants familiaux et proche aidant - sensées se distinguer par leur champ d’application personnel. L’une se rapportant au handicap et l’autre se rapportant à la personne âgée. Or, définir finalement le proche aidant comme un aidant familial est de nature à bouleverser, voire remettre en cause toute la logique de qualification juridique opérée jusque-là. Ce constat met encore une fois en lumière que cette confusion résulte d’une absence de conceptualisation de la notion d’aidant.
Une faible lisibilité du statut en raison de la disparité des sources à laquelle s’ajoute un manque de conceptualisation de la notion d’aidant sont les symptômes principaux d’un régime juridique en construction encore à la recherche d’une architecture pensée. Cela pourrait constituer un frein dans la mise en œuvre des stratégies publiques de prise en charge à domicile des personnes en perte d’autonomie.
S'ajoute à cela une absence d'égalité des aidants à l'accès à certains droits :
Par exemple en droit du travail : l'article 8 de loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (N° Lexbase : L8436K9C) prévoit que « les aidants familiaux et les proches d'une personne handicapée » salariés bénéficient « d'un aménagement d'horaires individualisés propre à faciliter l'accompagnement de cette personne » (C. trav., art. L. 3121-49 N° Lexbase : L6864K94). Ce droit n'est pas accessible au proche aidant d'une personne âgée en perte d'autonomie.
D'autres exemples existent en droit de la Sécurité sociale. Si l'article 38 de la loi du 20 janvier 2014 (N° Lexbase : L2496IZH), insérant l’article L. 753-6 dans le Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0966LD7), prévoit que « les personnes [...] qui ont la charge d'un enfant, d'un adulte handicapé ou d'une personne âgée dépendante...sont affiliées obligatoirement à l'assurance vieillesse du régime général de la Sécurité sociale », créant ainsi une disposition commune aux aidants accueillant à domicile les deux types d'aidés, à l'inverse, d'autres concernent exclusivement l'aidant d'une personne en situation de handicap :
Tout d’abord, l'article 20 de la loi n° 2020-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites [43] insère la règle selon laquelle l'assuré social ayant interrompu son activité professionnelle en raison de sa qualité d'aidant familial, telle que définie à l’article L. 245-12 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L5178LWP), bénéficie d'une retraite à taux plein à l'âge de 65 ans « même s'il ne justifie pas de la durée requise d'assurance ou périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires » (CSS, art. L. 351-8 N° Lexbase : L2698IZX). Ensuite, l'article 38 de la loi du 20 janvier 2014 prévoit que « l'assuré social, assurant au foyer familial, la prise en charge permanente d'un adulte handicapé, [...] bénéficie d'une majoration de durée d'assurance d'un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres » (CSS, art. L. 351-4-2 N° Lexbase : L2623IZ8).
La divergence des droits des aidants des personnes handicapées ou âgées en perte d’autonomie devrait inspirer les pouvoirs publics sur la nécessité d’une unification des statuts. En 2018, Madame Dominique Gillot dans son rapport intitulé « Préserver nos aidants : une responsabilité nationale », s'interroge sur la réduction des disparités des régimes en matière de Sécurité sociale voire la création d’une retraite spécifique [44] pour ces deux catégories dans un souci d'égalité.
Elle présente un certain nombre de propositions notamment, la prise en compte dans le calcul de la retraite, des années travaillées hors période de proches aidants en raison de la diminution fréquente du temps de travail [45] ; l’octroi d’un congé de proche aidant d'un an par personne aidée [46] ; la garantie d’un droit opposable au télétravail pour les proches aidants [47].
Un statut unifié et arrivant à une certaine maturité s'avère d'autant plus nécessaire que le rôle de proche aidant a des incidences notables sur la santé de l’aidant [48]. En effet, « il n'est pas rare que l'aidant décède avant son aidé » [49].
Conclusion
Le recours aux aidants comme une réponse dans la prise en charge du vieillissement et notamment des personnes âgées en perte d’autonomie, mérite pour plus d’efficience, l’adoption d’un statut lisible et clairement défini.
L'unification des statuts des aidants semble être une solution qui serait en adéquation avec la création de la branche autonomie opérée en 2020 [50] qui rompt la séparation artificielle [51] entre les différentes catégories de personnes à aider en les regroupant sous la sémantique de personnes en perte d'autonomie.
On relèvera que l'Assemblée nationale, lors de l'adoption en première lecture, le 3 mars 2020, du projet de loi instituant un système universel de retraite, ajoute dans ses objectifs assignés par la Nation « 2° Un objectif de solidarité [...] par la prise en compte [...] de l’impact sur la carrière [...] de l’aide apportée en tant qu’aidant » (proj. CSS, art. L. 111-2-1-1). Le statut des aidants semble bien amené encore à évoluer.
[1] J. Salome et S. Galland, Si je m'écoutais… je m'entendrais, Éditions J'ai lu, Coll. J'ai lu Bien-être, octobre 2012, 384 p..
[2] OMS, Rapport mondial sur le vieillissement et la santé, 20 décembre 2016, p. 1 et s. [en ligne].
[3] Commission Européenne, Livre vert sur le vieillissement, SG.E.3 BERL 06/270 Commission européenne 1049 Bruxelles Belgique, 27 janvier 2021, 28 p. [en ligne].
[4] CNSA, Rapport de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie 2011, 17 avril 2012, 101 p. [en ligne].
[5] OMS, op. cit., p. 49 et s.
[6] D. Libault, Rapport de la concertation Grand âge et autonomie, 28 mars 2019, p. 14 [en ligne] ; Majella Simard, Le vieillissement de la population au Québec : une synthèse des connaissances, Rismouki, avril 2006, p. 14.
[8] Un projet de réforme des retraites était en discussion devant le Parlement en 2020 en France (Projet de loi instituant un système universel des retraites, TA n° 409, « Petite Loi », AN, 3 mars 2020). Le processus parlementaire a été suspendu en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19.
[9] Francis Kessler, Le risque de perte d’autonomie : quelle place pour les aidants ?, RDSS, 2021, p. 45.
[10] OCIRP, Les chiffres-clés sur les aidants en France, Baromètre 2017, Fondation April et BVA, p. 10 [en ligne].
[11] DREES, Enquête Handicap-Santé 2008 portant sur 5 000 aidants informels de proches ayant déclaré « avoir des difficultés dans les actes de la vie quotidienne » citée dans OCIRP, Les chiffres-clés sur les aidants en France, p. 1.
[12] DREES, L'aide et l'action sociales en France. Perte d'autonomie, handicap, protection de l'enfance et insertion, éd. 2020, p. 76.
[13] OCIRP, Les chiffres-clés sur les aidants en France, Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé de l’université Paris-Dauphine dans le cadre de l’étude Share, 2018, p. 11.
[14] J.-P. Lavoie, S. Clément, F. Dubuisson, F. Ducharme, A. Vezina, Statuts des aidants, OFQSS/CREDES/ OFQSS/MSSS, Santé, société et solidarité, 2006, vol. 5 (1), p. 57.
[15] Cf. supra, B. Legros, « Avant-propos » (N° Lexbase : N8073BYN) : les deux termes étant utilisés alternativement mais le premier tend à ne plus l’être car il est perçu comme péjoratif.
[16] Loi n° 2005-102, du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R).
[17] Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (N° Lexbase : L8098HT4),.
[18] Loi n° 73-4 du 2 janvier 1973, relative au Code du travail.
[19] C. trav., anc. art. L. 225-20 (N° Lexbase : L3223HWB) : « tout salarié justifiant d’une ancienneté minimale de deux ans dans l’entreprise, dont le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle il a conclu un pacs…présente un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité a le droit de bénéficier d’un congé de soutien familial non rémunéré ».
[20] Loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001, relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et l'allocation personnalisée d'autonomie (N° Lexbase : L1777ATY).
[21] Dans la définition du handicap, insérée par la loi du 11 février 2005 (loi n° 2005-102 du 11 février 2005 N° Lexbase : L5228G7R, art. 2 ; CASF, art. L. 114 N° Lexbase : L8905G8C), cette sémantique n'est pas utilisée. Néanmoins, le terme « autonomie » est utilisé ponctuellement dans cette loi en association avec les personnes handicapées. Tout d’abord, lorsqu’est défini l’aidant naturel pouvant être chargé de « favoriser » l’« autonomie » d’une personne handicapée moteur (CSP, art. L. 1111-6-1 N° Lexbase : L9880G8G). Ensuite, dans la dénomination d’une des composantes de la Maison départementale des personnes handicapées : la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (art.64).
[22] C. trav., anc. art. L. 3142-22 (N° Lexbase : L5557LRA).
[23] « 1° Son conjoint ; 2° Son concubin ; 3° Son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ; 4° Un ascendant ; 5° Un descendant ; 6° Un enfant dont il assume la charge au sens de l’article L. 512-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8759KUX) ; 7° Un collatéral jusqu'au quatrième degré ; 8° Un ascendant, un descendant ou un collatéral jusqu'au quatrième degré de son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ».
[24] JO, 29 décembre 2015, texte n° 1.
[25] Cf. infra, B.
[26] Décret n° 2008-450, du 8 mai 2008, relatif à l'accès des enfants à la prestation de compensation (N° Lexbase : L8887H3K)..
[27] Décret n° 2004-1136, du 21 octobre 2004, relatif au Code de l’action sociale et des familles (partie réglementaire) (N° Lexbase : L3768GU4).
[28] Loi n° 2014-40, du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraite (N° Lexbase : L2496IZH).
[29] JO, 9 août 2016, texte n° 3.
[30] Loi n° 2019-1446, du 24 décembre 2019, de financement de la Sécurité sociale de 2020 (N° Lexbase : L1993LUD).
[31] C. trav., art. anc. L. 3142-24 (N° Lexbase : L2752LT4).
[32] De financement de la Sécurité sociale pour 2020.
[33] Loi n° 2019-828 du 6 août 2019, de transformation de la fonction publique (N° Lexbase : L5882LRB), art. 40.
[34] JO, 23 mai 2019, texte n° 1.
[35] Loi n° 2014-459, du 9 mai 2014, permettant le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade (N° Lexbase : L1308I3T).
[36] C. trav., art. L. 1225-65-1 (N° Lexbase : L3459LXE).
[37] Loi n° 2018-84, du 13 février 2018, créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap (N° Lexbase : L3073LIN).
[38] JO, 6 septembre 2018, texte n° 1.
[39] « Toute personne âgée de soixante-cinq ans privée de ressources suffisantes peut bénéficier, soit d'une aide à domicile, soit d'un accueil chez des particuliers ou dans un établissement. Les personnes âgées de plus de soixante ans peuvent obtenir les mêmes avantages lorsqu'elles sont reconnues inaptes au travail ».
[40] A. Cappellari, L’émergence d’une définition juridique des aidants en droit français, in Anaëlle Cappellari (dir.), Les proches aidants saisis par le droit. Regards franco-suisses, 2018, PUAM, p. 63-69.
[41] Cf. sur la notion d’aidant naturel introduite dans le Code de la santé publique : cf. supra, note 21.
[42] Cf. supra, IB.
[44] D. Gillot, Préserver nos aidants : une responsabilité nationale, rapport, juin 2018, p. 25 [en ligne].
[45] Ibid..
[46] Ibid, p. 35.
[47] Ibid, p. 65.
[48] «Les personnes qui aident un proche dépendant s'exposent à des risques de problèmes de santé mentale accrus de 20% par rapport à des non-aidants » : OECD, Help wanted? Providing and Paying for Long-Term Care, 2011, p. 20.
[49] D. Gillot, op. cit., p. 26.
[50] Loi organique n° 2020-991, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9120LX3) ; loi n° 2020-992, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9121LX4) ; loi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW).
[51] B. Ferras, Cinquième « risque », cinquième « branche » ? Vers une politique rénovée de prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées ?, Regards Protection sociale, septembre 2020, n° 57, p. 206.
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par Sophie Rozez, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Paris Nanterre
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
Aborder la question du vieillissement et des départs anticipés du point de vue du droit social pose un double défi en raison du flou qui entoure ces deux notions.
Il est entendu que la vieillesse correspond à un état physiologique, susceptible d'évoluer vers la perte d'autonomie y compris économique. Le vieillissement évoque quant à lui un processus qui opère dès le commencement de la vie. Mais le vieillissement n’est pas défini en droit. La définition donnée dans le dictionnaire juridique de Cornu de la vieillesse « l’état d’une personne qui, ayant dépassé un certain âge, est présumé ne plus pouvoir travailler, et peut bénéficier, à ce titre, d’un régime de pension retraite et d’une aide éventuelle à défaut d’un minimum de ressources » [1]. L'auteur renvoie à une conception dans laquelle l'âge joue une fonction centripète en référence à la retraite du travailleur.
Qu’il s’agisse de protéger, ou d’exclure, l’âge est une référence constante en droit. En situant le temps écoulé depuis la naissance, il est un critère suffisamment objectif pour rendre compte du vieillissement d'une personne. L'âge délimite le champ d'application de la règle qu'il s'agisse de reconnaître des droits ou d'exclure...
Précisément, le droit social - entendu ici dans la coexistence du droit de la protection sociale et du droit du travail opère en se fondant des cycles de vie organisée par âges à partir des capacités productives. La perspective d’un déclin économique lié à l’inactivité a justifié, la mise en place des retraites par répartition. Aujourd’hui confronté à un chômage de masse affectant les plus jeunes et les plus âgés et un allongement de la durée de la vie, ce modèle est remis en cause aux deux bornes : par les difficultés que rencontrent les jeunes dans l’accès au marché du travail - le phénomène Tanguy - et dans la sortie précipitée des plus vieux dont l’espérance de vie augmente.
Ensuite, la notion de « départ anticipé » n'est pas une catégorie juridique clairement définie. Rapportée à son expression étymologique anticepare, « prendre les devants », elle évoque une sortie de l'activité professionnelle, avant même que les conditions d'ouverture de la retraite ne soient réunies. En effet, la retraite, qui signait auparavant la fin de la carrière professionnelle ne coïncide plus avec le moment auquel le travailleur quitte son emploi, brouillant ainsi les frontières entre activité et inactivité. De fait, le taux d’emploi des 60-64 ans est de 33,9 %, laissant la France loin derrière l’Allemagne (60 %), la Suède ou le Japon (70 %) [2].
Les raisons de cette faiblesse sont multiples. Tout d'abord, le retrait d’activité des plus âgés a été pendant longtemps la solution apportée à la contraction du marché du travail. En réponse aux difficultés d'insertion professionnelle des plus jeunes, les politiques sociales conduites depuis la fin des années 70 jusqu’à récemment ont encouragé le développement des préretraites en réponse à la crise de l'emploi, notamment des plus jeunes. L'éviction des travailleurs les plus âgés, qui perçoivent les salaires les plus élevés, a également reçu un accueil chaleureux de la part des entreprises. Mais non seulement, ces politiques de l’emploi n’ont pas réussi à résorber le chômage des plus jeunes, elles ont également contribué à une déconsidération de l’emploi des plus âgés. Ce n’est que dans les quinze dernières années, que les politiques du vieillissement actif, impulsées par Bruxelles, ont été encouragées dans le sens d’un partage générationnel du travail. Mais les effets de cette réhabilitation des travailleurs les plus âgés paraissent encore insuffisants si l'on en juge la situation française.
Ensuite, l'abaissement de l'âge de la retraite à soixante ans issu de l'ordonnance du 26 mars 1982 a contribué à nourrir une conception âgiste de la retraite [3]. L'âge polarise le passage de l'activité à la retraite. Privés d’horizon professionnel, les plus âgés seraient moins enclin à se former, à s’adapter, les directions de ressources humaines étant peu disposées à investir cette catégorie de travailleurs [4]. À cela il faut ajouter que l’état de santé des travailleurs tributaires des conditions de travail, notamment de la pénibilité est un facteur discriminant pour une carrière longue [5]. Les risques psychosociaux liés à des politiques de ressources humaines parfois délétères conduisent les salariés eux-mêmes à voir dans leur départ de l’entreprise une aubaine.
Curieusement ce phénomène de cessation anticipée d’activité est facilité par le droit, alors même, que celui-ci s'efforce dans le même temps de reculer l'âge de départ à la retraite. Dans cette zone grise se profilent des catégories de personnes qui transitent de l'emploi vers la retraite, sans que leur statut soit clairement défini, au risque d'un appauvrissement économique et d'une déconsidération sociale. Comment dès lors adapter les dispositifs de protection sociale à une désynchronisation des temps d’activité et d’inactivité ?
Ce brouillage des frontières entre activité et retraite (I.) invite à un changer de paradigme, en esquissant un droit social de la longévité (II).
I. Activité et retraite : des frontières brouillées
Le recul de l'âge de la retraite (A) entre en tension avec la multiplication des dispositifs de cessation anticipée d'activité (B), source d'insécurité sociale.
A. Le recul de l'âge de la retraite en droit de la Sécurité sociale
Alors que le droit de la Sécurité sociale fixe les conditions préalables à la liquidation de la pension retraite, le droit du travail encadre la rupture du contrat de travail. Cette délimitation de leur domaine respectif a justifié l'adoption de règles d'articulation. Ainsi que la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987, portant diverses mesures d'ordre social (N° Lexbase : L2996AIS) a substitué au licenciement et à la démission la mise à la retraite à l'initiative de l'employeur ou le départ à la retraite par le salarié, accentuant la spécialisation du droit social.
De même, les dispositions relatives à la retraite font l’objet, depuis la recodification du Code du travail de deux sous-sections, l’une consacrée au départ à la retraite à l’initiative du salarié, l’autre à la mise à la retraite à l’initiative de l’employeur.
Pour obtenir une pension retraite à taux plein, l'article L. 161-17-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2586IZS) prévoit une double condition d’âge relevé à soixante-deux ans et de durée de cotisation dont la durée augmente progressivement selon les générations concernées [6]. En portant cette dernière à quarante-trois annuités pour les générations nées à partir de 1975, la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, dite loi « Touraine » (N° Lexbase : L2496IZH) ambitionnait de porter l’âge de la liquidation de la retraite aux alentours de soixante-quatre ans. C’est ce même âge encore l'âge de soixante-quatre ans qui est retenu par l’article 56 bis du projet de loi de 2020 portant réforme des retraites. Cet âge appelé « pivot » est présenté comme un point d’équilibre en deçà duquel la pension serait assortie d’une décote. Cette disposition revient à jouer sur le taux plein, sans que l’âge légal de départ à la retraite de soixante-deux ans ne soit formellement remis en cause. Ainsi envisager les départs à la retraite à l’initiative des salariés devrait être de plus en plus tardif compte tenu de l’allongement de la durée de cotisation. Il faut en effet tenir compte du fait d'une part que les plus jeunes entrent plus tardivement sur le marché du travail et d'autre part que les carrières des travailleurs, en particulier celle des femmes peuvent connaître des interruptions impactant le montant de leur pension. Ce recul de l’âge de la retraite, inscrit dans toutes les lois paramétriques de réforme des retraites depuis 1993, s’accompagne d’une incitation financière. La poursuite de l’activité professionnelle au-delà de cette période minimale de cotisation génère une majoration du montant de la pension. À l’inverse, une décote s’applique si le salarié ne remplit pas cette durée minimale de cotisation.
Malgré tout, actuellement l’âge moyen de départ à dépasser soixante-trois ans [7].
À contre-courant, de ces efforts du législateur tendant à relever l’âge d’entrée dans la retraite, de nombreux dispositifs légaux consacrent dans le même temps des départs anticipés.
B. Consécration de dispositifs légaux de départ anticipés
Non seulement, le Code de la Sécurité sociale prévoit des dispositifs de retraites anticipées, mais les mesures de préretraites fleurissent dans les entreprises.
La loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9) a instauré pour les travailleurs exposés à l’amiante [8], qui ne sont pas atteints d’une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un dispositif de préretraite leur permettant de quitter leur emploi dès l'âge de cinquante ans. Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée jusqu'à ce que le bénéficiaire remplisse les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein [9]. La rupture du contrat de travail est assez singulière puisqu'elle est assimilée à une démission assortie d'une indemnité de cessation d'activité dont le montant est équivalent à celui de l'indemnité de licenciement. Par la suite, la réforme du 21 août 2003 a créé une retraite anticipée « carrière longue » au profit des assurés ayant travaillé avant l’âge de vingt ans. Ces derniers peuvent liquider leur pension de retraite à taux plein s'ils justifient d’une durée d’assurance suffisante [10]. Peuvent également liquider leur pension jusqu’à deux ans avant l’âge de départ à la retraite, les salariés exposés à des facteurs de risque liés à des contraintes physiques, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail [11]. Une autre dérogation est prévue pour les personnes atteintes d’une incapacité permanente d’au moins 50 % ou reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou accident du travail et qui justifie d’un nombre minimal de trimestres de cotisations [12].
On observera que ces dispositifs prévus par le Code de la Sécurité sociale s’adressent à des travailleurs qui ont leur part de cotisations ou dont l’état de santé, l'exposition à certains risques impactent leur espérance de vie [13]. À côté de ces dispositifs légaux de cessation anticipés d'activité, fondés sur l'équité, il faut tenir compte de la pratique des relations collectives de travail.
Face à un travailleur âgé, l'employeur dispose de différents moyens pour rompre le contrat de travail. En toute hypothèse, l'âge de soixante-dix ans sonne le glas pour le salarié, l'employeur pouvant librement le mettre à la retraite [14]. Mais, il faut aller au japon ou en Corée pour observer des départs à la retraite aussi tardifs [15]. Avant cet âge honorable l'employeur ne peut, conformément à l'article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3091INS), que proposer, la mise à la retraite dès lors que le salarié peut bénéficier d'une retraite à taux plein [16], soixante-sept ans au plus tard et soixante-deux ans au plus tôt [17].
La mise à la retraite du salarié relève d'un régime hybride combinant les dispositions du Code de la Sécurité sociale pour les conditions d'ouverture et celles du Code du travail en ce qui concerne la rupture du contrat de travail. Le respect d'un certain formalisme a été imposé par la jurisprudence laquelle exige une notification écrite de la mise à la retraite, sous peine d’une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse [18]. Néanmoins l’employeur est dispensé de toute justification, contrairement à ce qui se passe en matière de licenciement. De sorte que les dispositions du Code de la Sécurité sociale constituent un bouclier contre la démonstration d’une discrimination fondée sur l’âge. Si une mesure liée à l’âge peut donner lieu à discrimination - sauf à être objectivement et raisonnablement justifiée et à poursuivre un objectif légitime - tel n’est pas le cas, lorsque la mise à la retraite remplit les conditions légales. Elle constitue une dérogation à l’interdiction faite à l’employeur de prendre en considération l’âge du salarié. C'est en ce sens que s'est prononcé le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 4 février 2011. Selon lui, l'article L. 1237-5 du Code du travail qui relève de la compétence du législateur en matière de politique d’emploi est fondé sur des « critères objectifs et rationnels » [19].
La mise à la retraite peut encore être happée par le régime du licenciement collectif économique. Specialia generalibus derogant. Ainsi, lorsque le licenciement donne lieu à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la mise à la retraite des salariés est alors considérée comme une mesure visant à limiter le nombre des licenciements, ce qui fait des plus âgés une population cible en cas de compression des effectifs. Le droit de la Sécurité sociale est ici soluble dans le droit du licenciement. Telle Pénélope qui détricote la nuit, ce qu’elle réalise, le jour, les dispositions spécifiques au droit du licenciement économique condamnent les efforts de ce même législateur à allonger la durée d’activité.
Le plus remarquable des dispositifs offrant la possibilité d’un départ anticipé réside la préretraite. Différentes formes ont été encouragées par les politiques sociales à partir des années soixante-dix. Ces préretraites, qui permettaient aux salariés de quitter leur emploi dès l’âge de soixante ans - l’âge de départ légal était alors de soixante-cinq ans - ont servi de rampe de lancement à l’ordonnance de 1982 qui a fixé l'âge légal de la retraite à soixante ans. Par la suite, les différents dispositifs de préretraite ont poursuivi le mouvement en abaissant l’âge d’adhésion à cinquante-cinq ans, parfois moins. Sous-tendue par une logique de partage intergénérationnel du travail, il s'agissait de libérer le marché du travail afin de favoriser l'embauche des jeunes [20] . Abrogées en 2012, elles continuent d'imprégner les cultures d'entreprise.
Aujourd’hui mises en place, par voie d’accord collectif ou sur décision unilatérale de l’employeur, à l'occasion notamment d'un plan de sauvegarde de l'emploi, associées à un plan de départ volontaire, les préretraites d'entreprise reposent sur l'adhésion du salarié dont le contrat de travail est soit rompu, soit suspendu jusqu'à la liquidation de la retraite. Ce caractère volontaire les fait également échapper au principe de non-discrimination fondée sur l'âge [21]. Elles donnent lieu à une indemnisation financée par l'entreprise.
On le voit la conjugaison des dispositifs légaux et de préretraite d'entreprise tend à raccourcir la durée d'activité des travailleurs vieillissants. Ils constituent, pour ces dernières des passerelles vers la retraite. Cette situation est soutenue par un régime d’indemnisation du chômage relativement favorable les salariés âgés de plus de 57 ans échappant à la dégressivité des allocations [22]. De plus, le demandeur d’emploi, ayant épuisé ses droits à indemnisation peut bénéficier du versement de l’allocation de solidarité spécifique [23] ou éventuellement du revenu de solidarité active [24]. Mais ces périodes de transition ne manqueront pas d'avoir des répercussions sur le montant de la pension. Bien que comptabilisé en tant que période d’assurance, le niveau des revenus de remplacement perçus joue défavorablement le montant de la pension retraite. Elles exposent les travailleurs dont la durée de cotisation est insuffisante – en particulier aux femmes - à des situations de pauvreté, notamment lorsque l’exclusion de l’activité est précoce.
Les politiques sociales en direction des personnes âgées ont été construites à partir d’un découpage des âges de la vie axées sur la capacité productive des personnes qui montre ses limites. La notion de longévité pourrait ouvrir d'autres perspectives.
II. Pour un droit social de la longévité
En écho avec son étymologie longus aevum, « le grand âge », la longévité met l'accent sur la continuité des parcours de vie en ouvrant la voie d'une citoyenneté sociale.
A. Une protection sociale de la continuité
Assurer une meilleure transition entre activité et inactivité est une piste à privilégier. Elle repose sur une meilleure information des assurés sociaux.
1) Promouvoir la retraite progressive
Crée par la loi n° 88-16 du 5 janvier 1988, relative à la Sécurité sociale, la retraite progressive assure une transition entre l’activité professionnelle et la retraite [25]. Elle permet de liquider une pension retraite dès soixante ans en justifiant de cent cinquante trimestres de cotisation tout en poursuivant une activité professionnelle à temps partiel. En tant que période travaillée, elle donne lieu au versement des cotisations retraite et permet ainsi d’optimiser le montant de la pension retraite. Elle permet également d’écarter le coefficient de solidarité applicable aux pensions de retraite complémentaires AGIRC-ARRCO qui sanctionne les salaires les plus élevés [26] [27].
Pourtant, la retraite progressive ne représente que 2 % de l’ensemble des attributions de droit direct [28]. Méconnaissance du dispositif, frilosité des employeurs à la mettre en oeuvre en raison de la réorganisation du temps de travail expliquent sa désaffection. À cela s'ajoute la complexité de mise en œuvre du dispositif entretenu par la Cour de cassation. La Chambre sociale a jugé dans deux arrêts du 3 novembre 2016 [29] que la retraite progressive ne pouvait bénéficier aux salariés en convention de forfait-jours. L’article L. 3123-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6834K9Y) auquel renvoie l’article L. 351-15 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8417LTW) envisage une activité à temps partiel inférieure à la dure légale ou conventionnelle exprimée en heures et non en jours. En retenant l’incompatibilité entre convention de forfait jour et temps partiel la deuxième chambre civile s'est en quelque sorte conformée à la jurisprudence consacrant le régime dérogatoire des conventions de forfait-jour [30]. Mais cette conception travailliste est un coup de frein supplémentaire au déploiement de la retraite progressive des salariés cadres. Cette solution vient toutefois d'être invalidée par le Conseil constitutionnel, récemment saisi d’une QPC portant sur la conformité à la Constitution de l’interprétation jurisprudentielle donnée à la combinaison des dispositions de l’article L 351-15 du Code de la Sécurité sociale et de l’article L. 3123-1 du Code du travail [31]. Il est reproché à cette jurisprudence d’introduire une rupture d’égalité devant la loi ainsi qu'une discrimination indirecte, les femmes étant majoritairement plus nombreuses à conclure des conventions de forfait d’une part et à opter pour des retraites progressives d’autre part. Le Conseil constitutionnel a considéré que bien que ces salariés sont dans une situation différente le législateur a cependant entendu faire bénéficier aux travailleurs exerçant une activité réduite d’une portion de leur retraite afin d’organiser la cessation progressive de leur activité. Les sages ont ainsi frappé d’inconstitutionnalité les dispositions de l’article L. 3123-1 du Code du travail, redonnant aux dispositions de l’art. L 351-15 du Code de la Sécurité sociale toute leur plénitude. La solution retenue consacre ainsi les préconisations du rapport « Delevoye » [32].
2) Information
La loi n° 2003-775 du 21 août 2013, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) a consacré un droit pour toute personne à être informée sur sa future retraite. En pratique, les assurés bénéficient d'un relevé individuel de situation téléchargeable en ligne retraçant l'ensemble des droits obtenus dans les différents régimes de retraite et présentant une estimation de la pension retraite. Les assurés âgés de quarante-cinq ans et plus, bénéficient également de la possibilité d'obtenir un entretien personnalisé [33]. Aux termes de l'article L. 161-17 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0396I7S), cet entretien porte « sur les droits constitués dans les régimes de retraite obligatoires, sur les perspectives d'évolution de ces droits, compte tenu des choix et des aléas de carrière éventuels, sur les possibilités de cumuler un emploi et une retraite, tels que des périodes d'étude ou de formation, de chômage, de travail pénible, d'emploi à temps partiel, de maladie, d'accident du travail ou de maladie professionnelle ou de congé maternité, ainsi que sur les dispositifs leur permettant d'améliorer le montant futur de leur pension de retraite ». Mal connu, celui-ci est associé à 11 % des retraites liquides. De plus, on peut regretter que l'énumération n’inclue pas explicitement le dispositif de retraite progressive.
B. Vers une citoyenneté sociale
S’interrogeant sur la question « qu’est-ce qu’être protégé ? », le sociologue Robert Castel exprimait que la protection sociale est la condition sine qua non pour « faire société » avec ses semblables. Historiquement fondée sur une conception professionnelle, la protection sociale est aujourd'hui confrontée à une crise identitaire. Doit-elle cibler principalement des populations rencontrant des difficultés particulières, telles que les personnes âgées, en se concentrant sur les plus démunies économiquement ou doit-elle s’inscrire dans une logique universaliste ? Cette dernière conception, d’inspiration béveridgienne, apporte une couverture sociale généralisée à l’ensemble de la société, ouvrant la voie d’une citoyenneté sociale [34].
En effet, se déploient depuis une trentaine d’années des dispositifs d'assistance venus colmater des brèches, en assurant des minimas vitaux aux plus démunis [35]. En revanche ceux en ont la possibilité sont invités à compléter leur revenu de replacement en recourant à des assurances privées, comme en témoigne l’ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019, portant réforme de l'épargne retraite [36]. Cette « stratégie de la soustraction » selon l’expression de Robert Castel est directement liée à la fragilisation financière des comptes sociaux mais également à un changement conceptuel à l'oeuvre en droit de la protection sociale. On observe ainsi un glissement d’une protection fondée sur la démocratie sociale, de nature collective vers une conception plus individualisée dans laquelle l’aide sociale tente de combler les situations de fragilités économique et sociale essentiellement imputables à l'exclusion du travail ou à des formes d’emploi précaire.
Seule une réforme systémique pourrait permettre de concilier protection et différenciation des parcours individuels. Elle suppose également de combattre les stéréotypes affectant les plus âgés. La notion de longévité apparaît comme le cadre structurant d’une telle voie. Elle permet de se recentrer sur l’individu envisagé dans son parcours de vie en l'émancipant de sa capacité productive.
[1] Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2000.
[2] Dares, Les seniors et le marché du travail, Les tableaux de bords trimestriels, 26 janvier 2021 [en ligne].
[3] V. Réforme des retraites : la préservation des droits acquis soumise au vote des députés, Les Echos, 25 février 2020 [en ligne].
[4] A.-M. Guillemard, D. Vichien, La gestion de l’emploi selon les âges, Rapport du Haut Conseil de la population et de la famille, janvier 2007, p. 14 . V. M. Lubi, R.-P. Savary, Rapport d’information sur l’emploi des seniors, Commission des affaires sociales, Sénat, 26 septembre 2019, pp. 38-39.
[5] L’état de santé des plus de cinquante ans devrait justifier la cessation d’activité pour plus de 10 % d’entre eux V. Enquête, santé et vie professionnelle après 50 ans, Dares, 18 décembre 2005 [en ligne]. V. également, J.-L. Pommer, M.-C. Bardouillet, M. Gilles, A.-F. Molinié, Ce salarié devrait cesser de travailler : une approche de l’usure professionnelle des 50 ans et plus, in Retraite et Société, 2006/5 (n° 49), pp. 39-59.
[6] CSS, art. L. 161-17-2 (N° Lexbase : L4506IRC) et art. D. 161-2-1-9 (N° Lexbase : L5621IRM).
[7] Il s’agit de l’âge moyen de départ hors retraite anticipé. Statistiques de la CNAV, 2020 [en ligne].
[8] La liste des établissements ou des métiers concernés est fixé par l'arrêté ministériel du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
[9] loi n° 98-1194, du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9), art. 41 ; décret n° 99-247, du 29 mars 1999, relatif à l'allocation de cessation anticipe d'activité des travailleurs de l'amiante (
[10] Ainsi, un assuré né en 1958 peut partir dès l’âge de cinquante-sept ans et quatre mois s’il a cotisé 175 trimestres et commencé son activité avant seize ans.
[11] V. C. trav., art. L. 4163-7 (N° Lexbase : L4494LKN) et s..
[12] V. CSS, art. L. 351-1-3 (N° Lexbase : L2696IZU), D. 351-1-5 (N° Lexbase : L4531I7X) et s. Lorsque le taux d’incapacité atteint 80 % l’assuré peut également demander un examen de sa situation et valider 30 % de la durée d’assurance requise (CSS, art. L. 351-1-4 N° Lexbase : L8046LG4 ; Circ. CNAV n° 2018/24 du 23 octobre 2018
[13] V. également pour le préjudice d'anxiété : Ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442 (
[14] C. trav., art. L. 1237-4 (N° Lexbase : L1394H9I).
[15] OCDE, Vieillissement et politiques de l’emploi - Statistiques sur l'âge effectif moyen de la retraite [en ligne].
[16] V. CSS, art. L. 351-8, 1° (
[17] L’article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3091INS) prévoit cependant des dérogations.
[18] Cass. soc., 9 mars 1999, Bull. civ. V, n° 109.
[19] Cons. const., décision n° 2010-98 QPC, du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1691GR3), SSL, n° 1479/2011, p. 6.
[20] G. Esping-Anderson, Why deregulate Lalour Markets ?, Oxford University Press, 2010.
[21] Cass. soc., 20 avril 2017, n° 15-28.304, FS-P+B (N° Lexbase : A3152WAY), G. Loiseau, Le mystère de l'arrêt n° 15-28.304, SSL, 1768, 9 mai 2017.
[22] Décret n° 2021-346, du 30 mars 2021, portant diverses mesures relatives au régime d'assurance chômage (N° Lexbase : L8885L3H).
[23] C. trav., art. R. 5423-2 (N° Lexbase : L0417IAP) à R. 5423-8 (N° Lexbase : L0398IAY).
[24] S. Beck, J. Brednler, G.Salmon, J. Vidalenc, Quitter le chômage, un retour à l’emploi plus difficile pour les seniors, INSEE premier, n° 1661, 25 juillet 2017 [en ligne] ; C. Daniel, L. Eslous, A. Karvar, Retour à l’emploi des seniors, Rapport d’évaluation, Inspection générale des affaires sociales (IGAS), juin 2013 [en ligne].
[25] CSS, art. L. 351-15 (N° Lexbase : L8417LTW).
[26] Accord national interprofessionnel AGIRC ARRCO-AGFF relatif aux retraites complémentaires visant à faire face article 12-1-1 du 30 octobre 2015 [en ligne].
[27] Sont exemptées du malus, les retraités handicapés justifiant d'un taux d'incapacité permanente partielle d'au moins 50 %, les retraités inaptes justifiant d'un taux d'incapacité d'au moins 50 %., les mères ayant élevé au moins trois enfants. les anciens déportés ou internés et les anciens prisonniers de guerre ou combattants, les retraités ayant secouru leur enfant handicapé, aidants familiaux ayant interrompu leur activité professionnelle, les retraités concernés par le dispositif « amiante ».
[29] Cass. civ. 2, 3 novembre 2016, n° 15-26.275 et n° 15-26.276, F-D (N° Lexbase : A9022SEU).
[30] Cass. civ. 2, 28 mai 2015, n° 14-15.695, F-D (N° Lexbase : A8344NIU) ; Cass. civ. 2, 3 novembre 2016, n° 15-26.276, F-P+B (N° Lexbase : A9194SEA).
[31] Cons. const., décision n° 2020-885 QPC, du 26 février 2021 (N° Lexbase : A21584IR).
[33] CSS, art. L. 161-17 (N° Lexbase : L0396I7S).
[34] R. Castel, Qu’est-ce qu’être protégé ? La dimension socio-anthropologique de la protection sociale, in A.-M. Guillemard, Où va la protection sociale ?, PUF, Le Lien social, 2008, p. 101,
[35] Création du RMI en 1989, du RSA en 2009.
[36] Ordonnance n° 2019-766, du 24 juillet 2019, portant réforme de l'épargne retraite (N° Lexbase : L3019LRA).
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par Bastien Urbain, Docteur en droit privé, Consultant chez Ère conseils retraites
Le 16 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
À la fin de l’année 2019, la France comptait 16,7 millions de retraités de droit direct [1]. Autrement dit, près du quart de la population française est actuellement en retraite [2].
Face au vieillissement démographique, les modalités de prise en charge du risque vieillesse doivent évoluer. Contrairement à ce qu’avait annoncé Emmanuel Macron dans le cadre de la campagne présidentielle de 2017 [3], l’un des enjeux principaux des réformes à venir reste financier. Il s’agit plus exactement de s’assurer que le système de retraite soit en capacité de supporter une augmentation régulière des dépenses [4], et ce malgré une réduction tout aussi constante des recettes sociales [5].
Pour garantir l’équilibre financier du système de retraite, les pouvoirs publics ont la possibilité de puiser au sein d’une large palette de solutions dites « paramétriques » [6]. Ils peuvent ainsi décider d’augmenter la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une pension à taux plein, modifier les modalités de calcul du salaire de référence, changer le taux de remplacement, réaménager les règles d’indexation des pensions, diversifier les sources de financement, etc. Parmi tous ces leviers, il en est un qui est examiné avec beaucoup d’attention et sur lequel se concentrent généralement les débats : l’âge de départ à la retraite.
Déterminer le moment à partir duquel les assurés sociaux doivent pouvoir demander la liquidation de leurs droits à pension est un exercice particulièrement délicat. L’arbitrage a non seulement une dimension technique et financière, mais il a en outre une forte portée politique et idéologique. Deux visions schématiques s’opposent en la matière. D’aucuns estiment, en effet, que l’allongement de l’espérance de vie rend nécessaire un report de l’âge de départ à la retraite. D’autres considèrent, au contraire, qu’il faut avancer cet âge afin de « libérer » des emplois pour la jeune génération et de permettre aux assurés de profiter au maximum d’une retraite en bonne santé.
Avant d’entrer dans le fond du débat, il est important de connaître la latitude dont disposent réellement les gestionnaires du système de retraite. En d’autres termes, ont-ils encore la possibilité de maintenir l’âge légal de départ à la retraite à son niveau actuel (soixante-deux ans), voire de l’avancer ? Sont-ils contraints par la conjoncture démographique et économique ? Au-delà de cette vision macroéconomique, quelle liberté de choix reste-t-il à l’individu ?
Pour pouvoir répondre à ces questions, il convient dans un premier temps de se détacher de l’argument selon lequel le report de l’âge de départ à la retraite serait une obligation. Comme le rappelle régulièrement le Conseil d’orientation des retraites, « il n’y a pas, en matière d’âge de la retraite, une fatalité, une nécessité, qui, pour des raisons économiques ou même physiologiques, imposerait un âge de la retraite » [7]. Il s’agit d’un choix politique, que des évènements extérieurs peuvent certes influencer, mais qui ne s’impose en aucun cas.
En France, le législateur défend depuis plus de trente ans l’idée selon laquelle l’allongement de la durée d’activité et le report de la date effective de départ à la retraite seraient indispensables à l’équilibre financier - et donc à la pérennité - du système de retraite (I). Pour éviter d’avoir à assumer une décision aussi impopulaire, il tente néanmoins de limiter les mesures coercitives et préfère développer des dispositifs incitatifs (II).
I. La volonté politique de retarder les départs à la retraite
Depuis le début des années 1990, le législateur s’appuie sur les projections démographiques et économiques du pays pour justifier le durcissement des conditions d’assurance et d’ouverture des droits à pension (A). La modification de l’âge légal de départ à la retraite constitue cependant une ligne rouge qu’il se garde autant que possible de franchir (B).
A. La mise en avant des justifications financières
La situation financière du système de retraite fait l’objet d’une surveillance renforcée depuis le milieu des années 1980. Entre 1986 et 2000, pas moins de huit commissions [8] – réunissant parlementaires, partenaires sociaux et experts en tout genre – ont en effet été créées dans le but d’analyser les perspectives d’avenir du système de retraite et de proposer des pistes de réformes. Par la suite, le travail de recherche et de réflexion s’est en quelque sorte institutionnalisé. Il est aujourd’hui assuré pour l’essentiel par des instances financières généralistes [9] et par des organismes spécialisés sur la question des retraites [10]. Si les rapports divergent sur l’ampleur des difficultés à venir, ils s’accordent en revanche sur un point : les évolutions démographiques et économiques du pays rendent indispensable l’adaptation régulière des modalités de prise en charge du risque vieillesse.
Depuis la réforme « Balladur » de 1993 [11], les conditions d’assurance ont été durcies au sein de l’ensemble des régimes. Les efforts demandés aux assurés ont contribué à améliorer la situation financière du système de retraite, de sorte que la branche vieillesse du régime général - qui avait enregistré un solde déficitaire pendant onze années consécutives - est redevenue excédentaire entre 2016 et 2018 [12]. Ces bons résultats financiers ont toutefois été de courte durée. Après avoir renoué avec le déficit en 2019 [13], l’Assurance vieillesse doit aujourd’hui faire face aux conséquences de la crise sanitaire. La pandémie de Covid-19 a, en effet, engendré une surmortalité chez les personnes âgées (et donc une baisse des dépenses), mais elle a dans le même temps généré un ralentissement économique, et donc une perte importante de recettes sociales. Il en résulte un déficit pour la branche vieillesse du régime général estimé à 7,8 milliards d'euros pour la seule année 2020 [14]. Dans ces conditions, tout porte à croire que la future réforme des retraites ne se fera pas à droits constants et qu’un nouveau durcissement des conditions d’assurance est à prévoir.
Juridiquement, le législateur dispose d’une grande liberté dans le choix des techniques à mettre en œuvre pour garantir l’équilibre des comptes sociaux. Autrement dit, il n’existe aucune règle qui pourrait le contraindre à privilégier une solution paramétrique à une autre. Dans la pratique, les arbitrages sont opérés en fonction de considérations essentiellement politiques [15]. À titre d’exemple, les pouvoirs publics évitent généralement de mettre davantage à contribution les retraités de peur de s’aliéner une part non négligeable de l’électorat [16]. De la même manière, la solution consistant à augmenter les prélèvements sur les revenus d’activité est très critiquée au motif qu’elle accroîtrait le « coût » du travail et qu’elle porterait in fine atteinte à l’activité économique et à l’emploi. Dès lors, le report de l’âge effectif de départ à la retraite peut apparaître comme un moindre mal.
B. Les réticences à modifier l’âge légal de départ à la retraite
Pour contraindre les Français à travailler plus longtemps et à différer leur départ à la retraite, la solution la plus simple consiste à modifier l’âge légal de départ à la retraite. Une mesure aussi impopulaire est cependant difficile à assumer politiquement.
Pendant près d’un siècle, cet âge est ainsi resté stable. La première grande loi d’assurance vieillesse – la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910 [17] – autorisait les assurés sociaux à liquider leurs droits à pension à partir de soixante-cinq ans. Cette disposition était cependant perçue comme une injustice à une époque où l’espérance de vie à la naissance avoisinait les 45 ans [18]. Pour mettre un terme à ce que la CGT qualifiait de « retraite pour les morts » [19], la loi de finances rectificative du 27 février 1912 a abaissé l’âge légal de la retraite à soixante ans. Par la suite, cet âge est resté inchangé, et ce malgré l’allongement de l’espérance de vie [20]. Il faudra attendre la réforme des retraites de 2010 [21] pour qu’il soit repoussé à soixante-deux ans.
La stabilité de l’âge légal de départ à la retraite traduit le flou qui entoure la politique de prise en charge du risque vieillesse. Pour comprendre ce que cela signifie, il convient de garder à l’esprit que la retraite a été historiquement associée à une incapacité de travail liée à l’âge. En d’autres termes, le droit à la retraite a été conçu comme un droit ouvert aux personnes trop âgées pour travailler. Avec le temps, la retraite s’est détachée de cette vision pour être de plus en plus perçue comme un droit au repos devant être ouvert avant que l’âge n’altère de façon trop importante l’état de santé des individus. Dès lors, si le législateur associait toujours la retraite à une incapacité de travail liée à l’âge, il devrait considérer que l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé justifie un report beaucoup plus important de l’âge légal de départ à la retraite. À l’inverse, s’il défendait un droit au repos, il devrait cesser d’augmenter la durée d’assurance et encourager les départs à la retraite précoces. En fixant l’âge de départ à la retraite à soixante-deux ans, le législateur donne l’impression de se satisfaire de cet « entre-deux », mais surtout de refuser de trancher entre ces deux conceptions.
En réalité, son choix semble pourtant se porter sur la première option. Les évolutions récentes du système de retraite tendent en effet à démontrer que le report de l’âge effectif de départ à la retraite constitue une de ses priorités. Pour ce faire, il a longtemps privilégié une solution plus discrète et progressive que le report de l’âge légal, à savoir l’allongement de la durée d’assurance. Entre 1993 et aujourd’hui, le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une pension à taux plein est ainsi passé de 150 à 172. Autrement dit, il faut travailler cinq ans et demi de plus qu’il y a trente ans pour toucher une retraite à taux plein. En parallèle, les mesures incitatives ne cessent de se multiplier et donnent aux assurés un relatif pouvoir de décision sur leur date de départ à la retraite.
II. Les incitations à retarder les départs à la retraite
En matière de retraite, les incitations à reporter sa date de départ à la retraite sont nombreuses (A). La réforme des retraites initiée avant la crise sanitaire s’inscrivait dans cette approche, au travers notamment de la notion d’âge d’équilibre (B).
A. Le développement d’une démarche incitative
Les débats relatifs à l’âge de départ à la retraite occultent généralement le souhait des assurés sociaux. Il est pourtant important de savoir ce que ces derniers feraient s’ils étaient totalement libres de choisir leur date de départ à la retraite. Une enquête menée en 2015 sur ce sujet [22] révèle que l’âge « idéal » de départ à la retraite avoisine soixante ans dans le secteur privé et soixante-et-un ans dans le secteur public. L’étude précise, en outre, que l’état de la règlementation influence la réponse des sondés. Cela signifie que les individus partiraient plus tôt en retraite s’ils le pouvaient, mais qu’ils acceptent néanmoins de fournir des efforts supplémentaires lorsque la règlementation les y encourage.
Pour être efficace, une politique incitative doit être claire et stable. Or, cela n’a pas toujours été le cas en France. Dans les années 1980, le législateur a en effet développé des dispositifs de préretraite. L’idée était de permettre aux seniors de partir en retraite au plus vite afin que les jeunes générations puissent accéder plus facilement à l’emploi. L’assurance vieillesse était alors devenue une composante des politiques de l’emploi. Cette stratégie de lutte contre le chômage s’étant révélée inefficace, une approche complètement opposée a été initiée. Les mesures qui pouvaient inciter les assurés à partir en retraite d’une façon jugée trop précoce ont été progressivement remplacées par des incitations à travailler plus longtemps. Pour ce faire, plusieurs dispositifs ont été imaginés. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute le système de la décote/surcote. Mise en place dans le régime général à l’occasion de la réforme des retraites de 2003 [23], la surcote permet aux assurés sociaux d’obtenir une majoration de pension pour chaque trimestre validé au-delà de l’âge légal et au-delà de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une pension à taux plein. À l’inverse, la décote vise à réduire le taux de remplacement des assurés qui liquident leur pension sans valider la durée d’assurance requise.
La logique d’un tel système est claire. Il s’agit de laisser aux individus la possibilité de liquider leurs droits à la retraite au plus tôt. S’ils font ce choix alors qu’ils ne valident pas le nombre de trimestres nécessaires à l’obtention du taux plein, ils acceptent de toucher une pension minorée. A contrario, ils peuvent faire le choix de travailler plus longtemps et de percevoir en contrepartie une pension majorée.
Cette logique du bonus/malus a été reproduite et amplifiée dans le régime de retraite complémentaire des salariés du secteur privé. L’accord national interprofessionnel du 30 octobre 2015 a en effet créé un coefficient dit de « solidarité » [24]. Désormais, les assurés qui liquident leur pension Agirc-Arrco à la date d’obtention du taux plein se voient appliquer un malus de 10 %, et ce pendant trois ans [25]. Pour éviter ce malus, ils doivent différer leur départ à la retraite de quatre trimestres calendaires. S’ils patientent quatre trimestres supplémentaires (soit huit trimestres au total après la date d’obtention du taux plein), ils perçoivent une majoration temporaire, cette fois pendant un an.
La combinaison de mesures contraignantes et d’incitations à différer la liquidation des droits à pension semble efficace. En 2019, l’âge moyen de départ à la retraite (hors départs anticipés) était ainsi de 63,5 ans [26], c’est-à-dire qu’il était supérieur à l’âge légal, mais également à l’âge « idéal » de départ à la retraite. Dans le cadre de la réforme des retraites amorcée avant la crise sanitaire, le Gouvernement avait envisagé de poursuivre cette démarche incitative, au travers notamment de la mise en place d’un âge d’équilibre.
B. L’âge d’équilibre : nouvelle incitation à différer les départs à la retraite
Le 3 mars 2020, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi instituant un système universel de retraite. Le texte ne modifie pas l’âge légal de départ à la retraite – celui-ci reste fixé à soixante-deux ans – mais instaure ce qui peut être qualifié d’âge d’équilibre, d’âge pivot, ou encore d’âge de taux plein. Dans le rapport « Delevoye », l’ancien Haut-commissaire à la réforme des retraites explique que ce nouvel âge « est celui qui permet d’équilibrer le financement des retraites, d’assurer la solidité du système et de garantir, à titre individuel, une retraite satisfaisante » [27]. Si cet âge n’a pas eu le temps d’être fixé [28], les travaux préparatoires à la réforme des retraites proposaient de prendre comme référence l’âge moyen de départ à la retraite à taux plein projeté en 2025, soit soixante-quatre ans [29].
Dans un système par points où la notion de trimestres a vocation à disparaître, le taux de remplacement serait ainsi déterminé en fonction de la date de départ à la retraite. Dans la pratique, les assurés conserveraient la possibilité de liquider leurs droits à pension à partir de soixante-deux ans, mais à taux réduit. Une fois atteint l’âge d’équilibre (soixante-quatre ans), le taux plein s’appliquerait. En cas de départ au-delà de cet âge, les pensions seraient majorées [30].
En elle-même, la logique de l’âge d’équilibre ne présente pas d’originalité. Elle était en vigueur dans le régime général jusqu’au début des années 1980 et s’apparente aux dispositifs de surcote/décote et de bonus/malus évoqués précédemment. Le dispositif soulève toutefois trois interrogations, au regard notamment de la philosophie du projet de loi débattu l’année dernière au Parlement. Premièrement, le gouvernement a placé sa réforme des retraites sous le signe de la simplification [31]. Or, la coexistence d’un âge légal, d’un âge d’équilibre et d’un âge effectif de départ à la retraite est-elle de nature à simplifier et à améliorer la compréhension du système ? Deuxièmement, la réforme devait mettre en place une organisation « universelle » en harmonisant progressivement les conditions d’assurance et les modalités d’ouverture des droits à pension. Or, en défendant un système « fondé sur la liberté de choix » - lequel garantit par définition des dates de départ à la retraite différenciées - l’exécutif n’adresse-t-il pas un message contradictoire ? Enfin, il est possible de s’interroger sur la portée réelle de cette liberté de choix. En d’autres termes, peut-on considérer que les assurés aux revenus les plus modestes auront réellement la possibilité de partir en retraite à soixante-deux ans si le montant de pension promis à cette date est dérisoire ? Notons pour terminer que tous les assurés n’ont pas la capacité de différer leur départ en retraite [32].
En conclusion, il convient de garder à l’esprit que la retraite est avant tout un choix de société. Les réformes, si elles sont parfois rendues nécessaires par des éléments extérieurs – en particulier par la conjoncture démographique ou économique –, peuvent prendre des formes très variées. D’un point de vue juridique, il n’existe aucune règle qui forcerait les pouvoirs publics à légiférer dans un sens précis. Ces derniers conservent la marge de manœuvre suffisante pour décider de mettre en place une réforme structurelle ou paramétrique et, dans ce dernier cas, pour choisir les leviers à activer. Ces choix ne sont cependant pas toujours évidents à assumer, en particulier lorsqu’ils concernent un sujet aussi sensible que l’âge de départ à la retraite. Par conséquent, le législateur a tendance à se retrancher derrière une certaine fatalité pour justifier le durcissement des conditions d’assurance et s’arrange, au travers de dispositifs incitatifs, pour transférer aux assurés la responsabilité de différer ou non leur départ à la retraite. Une telle démarche ne peut toutefois être acceptable que dans la mesure où les assurés disposent d’une parfaite connaissance du système de retraite et qu’ils ont conscience des conséquences, notamment financières, de leurs décisions. Le droit à l’information retraite constitue dès lors une clé essentielle dans l’accompagnement d’une politique incitative, et mériterait en cela d’être renforcé afin d’offrir aux assurés la meilleure visibilité possible quant à leurs choix de fin de carrière.
[1] Drees, Les retraités et les retraites, 2021, p. 18.
[2] La France comptait 67,4 millions d’habitants au 1er janvier 2021 (Insee Première, Bilan démographique 2020, janvier 2021, p. 1).
[3] « Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. » (EM ! Le programme d’Emmanuel Macron : les retraites, disponible sur « www.en-marche.fr »).
[4] Liée à l’augmentation du nombre de retraités et donc à l’augmentation du nombre de pensions à verser.
[5] Liée à la réduction du nombre d’actifs-cotisants, ou encore aux politiques de réduction et d’exonération de cotisations.
[6] Les réformes paramétriques sont à distinguer des réformes systémiques, lesquelles remettent en cause l’organisation générale du système de retraite et ses principes directeurs.
[7] Conseil d’orientation des retraites, Les âges de départ à la retraite en France : évolutions et déterminants, actes du colloque du 2 décembre 2015, p. 7.
[8] Parmi les travaux les plus importants, citons par exemple : L. Tabah (dir.), La solidarité entre générations face au vieillissement démographique et R. Ruellan (dir.), L’avenir des systèmes de retraite, in Commissariat général du Plan, Vieillir solidaires, Paris : La Documentation française, 1986, 238 p. ; P. Schopflin (dir.), Évaluation et sauvegarde de l’assurance vieillesse, Paris : La Documentation française, 1987, 187 p. ; R. Teulade (dir.), Rapport de la commission protection sociale, Paris : La Documentation française, 1989, 352 p. ; Commissariat général du Plan, M. Rocard (préf.), Livre blanc sur les retraites. Garantir dans l’équité les retraites de demain, Paris : La Documentation française, 1991, 237 p. ; Commissariat général du Plan, R. Briet (dir.), Perspectives à long terme des retraites, Paris : La Documentation française, 1995, 243 p. ; Commissariat général du Plan, J.-M. Charpin (dir.), L’avenir de nos retraites, Paris : La Documentation française, 1999, 263 p. ; R. Teulade, L’avenir des systèmes de retraite, Paris : Direction des Journaux Officiels, 2000, 67 p. ; D. Taddei, Retraites choisies et progressives, Paris : La Documentation française, 2000, 267 p.
[9] Comme la Cour des comptes, la Commission des comptes de la Sécurité sociale, ou encore le Haut Conseil du financement de la protection sociale.
[10] En particulier le Conseil d’orientation des retraites et le Comité de suivi des retraites.
[11] Loi n° 93-936, du 22 juillet 1993, relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale (N° Lexbase : L8411INT).
[12] Direction de la Sécurité sociale, Les chiffres clés de la Sécurité sociale, 2020, p. 21.
[13] Ibidem.
[14] Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 - Annexe 4 : Recettes, dépenses et solde des régimes par catégorie et par branche, p. 29.
[15] « La matière est technique, mais l’on sait que derrière les questions techniques se posent des choix politiques, car les retraites ne relèvent pas seulement de modes de financement mais d’un véritable choix de société. » (R. Hadas-Lebel, in P. Mehaignerie (rapp.), rapport d’information sur la réforme des retraites, déposé par la commission des Affaires sociales et enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2010, p. 171).
[16] Pour rappel, la loi n° 2017-1836, du 30 décembre 2017, de financement de la Sécurité sociale pour 2018 (N° Lexbase : L7951LHX) prévoyait une hausse du taux de la CSG assise sur les pensions de retraite. Face à la contestation des retraités, le président de la République a toutefois jugé préférable de renoncer partiellement à cette mesure en annulant l’augmentation de la CSG pour les retraités touchant une pension mensuelle inférieure à 2 000 euros.
[17] Loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, JORF du 6 avril 1910, p. 2998-3003.
[18] INED, France 2004 : l’espérance de vie franchit le seuil de 80 ans, Population et sociétés n° 410, mars 2005, p. 1.
[19] « On a souvent dit : la retraite pour les morts. C’est exact, si l’âge de la retraite reste fixé à 65 ans. Je ne crois pas cependant qu’il y ait des statistiques sur les hommes qui ont dépassé ou atteint l’âge de 65 ans. » (CGT, 17e Congrès national corporatif et 4e Conférence des bourses du travail, tenus à Toulouse du 3 au 10 octobre 1910 (compte rendu des travaux), Paris : Maison des fédérations, 1911, p. 288).
[20] Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance n° 82-270, du 26 mars 1982, relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles, les assurés avaient la possibilité de liquider leurs droits à pension dès 60 ans. Cependant, le taux de remplacement qui leur était appliqué était très faible (25 %). Ce n’est qu’à partir de 65 ans que le taux plein (50 %) s’appliquait. Contrairement à ce que son intitulé peut laisser penser, l’ordonnance du 26 mars 1982 n’a donc pas abaissé l’âge légal de départ à la retraite, mais a permis d’accorder des pensions à taux plein dès 60 ans (J.-P. Chauchard, Sur un malentendu tenace : la retraite à 60 ans, Droit social, mars 2011, n° 3, p. 244-249).
[21] Loi n° 2010-1330, du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9).
[22] Enquête menée conjointement par la Cnav, le Secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites, la Drees et la Direction de la Sécurité sociale. Les résultats de l’enquête ont été présentés à l’occasion d’un colloque organisé par le Conseil d’orientation des retraites en 2015 (Conseil d’orientation des retraites, Les âges de départ à la retraite en France : évolutions et déterminants, actes du colloque du 2 décembre 2015, p. 72-82).
[23] Loi n° 2003-775, du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM).
[24] Accord national interprofessionnel relatif aux retraites complémentaires Agirc-Arrco-Agff, 30 octobre 2015, art. 12.
[25] Ou jusqu’aux 67 ans de l’assuré, la solution la plus avantageuse étant retenue.
[26] Cnav - Statistiques, recherches et prospective de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, Âge de départ à la retraite [en ligne].
[27] J.-P. Delevoye, Pour un système universel de retraite – Préconisations de Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, juillet 2019, p. 47.
[28] Cette décision devait être prise par décret 3 mois maximum après l’adoption définitive de la loi (projet de loi instituant un système universel de retraite, art. 57).
[29] J.-P. Delevoye, Pour un système universel de retraite – Préconisations de Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, juillet 2019, p. 47.
[30] Le dispositif est explicité à l’article 10 du projet de loi instituant un système universel de retraite.
[31] Le sous-titre du rapport « Delevoye » mentionne la volonté du gouvernement d’agir « Pour une retraite plus simple, plus juste, pour tous ».
[32] Les personnes souffrant d’un handicap et celles confrontées à des conditions de travail pénibles ne sont pas forcément en capacité de travailler plus longtemps et de différer leur départ à la retraite.
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par Stéphane Zygart, Docteur en philosophie à l'Université de Lille, Membre de l'ERER des Hauts-de-France, UMR STL 8163
Le 12 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
On peut considérer que les notions d’autonomie et de dépendance ont bien des défauts, notamment de schématisme et d’excès. Nous ne sommes par exemple jamais autonomes sans conditions, ce qui implique que nous ne soyons jamais complètement autonomes. Mais nous ne sommes jamais totalement dépendants non plus il y a toujours une part de nous-mêmes par laquelle nous vivons, en dernière instance corporelle, à laquelle nul secours et nulle médecine ne peuvent se substituer. En un mot, le couple de l’autonomie et de la dépendance effacerait et raterait l’interdépendance qui caractérise la réalité de nos existences.
Le caractère abstrait, dualiste et trop tranchant de ce couple pourrait justifier de leur préférer d’autres concepts, plus concrets, plus aptes à décrire finement ce que sont les choses. Celui de vulnérabilité, désormais d’un usage courant, en serait un exemple.
On voudrait cependant montrer ici que le schématisme de l’autonomie et de la dépendance est précisément ce qui en fait la pertinence et l’utilité, à la façon dont la forme artificielle et épurée des outils leur donne leur efficacité, supérieure à celle que peuvent avoir nos mains et nos doigts, pourtant plus souples et sensibles. C’est l’abstraction des notions qui nous permet d’agir à partir d’elles avec sensibilité, et pas directement notre sensibilité. Ce sont les possibilités d’analyse et de décision rendues possibles par l’usage de l’idée d’autonomie qui explique sa pertinence malgré la part de fiction qu’elle comporte.
On procédera en deux temps, d’abord en examinant les usages de ce couple de notions dans nos nomenclatures médico-légales ayant trait au handicap, à l’enfance et à la vieillesse, afin de mettre en valeur quelques points clés et quelques nœuds de ces usages. Puis on formulera quelques principes et problèmes généraux posés par ces usages à partir du cas des vieillards [1], afin de défendre la valeur et l’utilité de la notion d’autonomie, à condition d’aller jusqu’au bout de ce qu’impliquent les usages que nous en faisons. Si nous nous inquiétons de l’autonomie à cause de la sécurité vitale des personnes, c’est parce que nous savons aussi que l’autonomie est la capacité de créer des liens, la capacité de mobiliser et de modifier selon les urgences, les besoins mais aussi les désirs, les multiples liens d’interdépendance qui nous lient aux autres. La dualité de l’autonomie et de la dépendance n’est pour cette raison pas une ignorance de l’interdépendance, mais le moyen d’en réfléchir les conditions – quotidiennes – et la valeur – qui réside dans la possibilité des changements et des ruptures.
I. L’autonomie et la dépendance dans nos nomenclatures médico-légales
Les analyses qui vont suivre s’appuieront sur trois grilles, et ce qu’elles permettent comme recoupements et comparaisons
Ces trois grilles sont à la fois des grilles techniques d’expertise, élaborées à partir de nos savoirs et de nos valeurs ; des textes juridiques, visant à établir des droits et à les défendre ; et des outils qui rendent possible la coordination de nos interventions médicales et sociales. Elles nous permettent de la sorte d’accéder à ce que sont globalement, pour nous, l’autonomie et la dépendance, parce qu’elles expriment autant qu’il est possible l’unité de nos perspectives scientifiques, légales et pragmatiques sur certaines personnes ou catégories de personnes.
Que peut-on en dire ou en tirer de révélateur ? On peut y relever quelques points remarquables, voire étranges, en en retenant six ici.
1. Tout d’abord, à s’en tenir au titre de ces différentes grilles médico-légales, l’autonomie n’est mise en avant que pour les vieillards. En matière de handicap, on mène une « évaluation des déficiences et incapacités », autrement dit on calcule des besoins, on cherche à compenser des pathologies individuelles et des inaptitudes fonctionnelles considérées dans leur singularité et dans leur pluralité. En matière de vieillissement, l’interrogation porte sur l’« autonomie gérontologique ». On cherche à cerner ce qui reste globalement d’autonomie. Cette différence de dénomination suivant les grilles et « cas » indique le caractère unificateur des notions d’autonomie et de dépendance, que l’on fait intervenir dans un but de synthèse.
2. Deuxièmement, cette fonction de synthèse de l’autonomie et de la dépendance s’explique par la gravité des situations et des diagnostics pour lesquels ces notions sont mobilisées. Autrement dit, ce n’est pas par souci dialectique que nous pensons sans cesse ensemble, en vis-à-vis, l’autonomie et la dépendance. C’est bien plutôt parce que l’autonomie, comme capacité globale, apparaît sous la forme d’un souci face à de multiples incapacités que l’on peut confondre, elles aussi, simultanément et symétriquement, dans une dépendance globale. Les deux notions apparaissent l’une avec l’autre dans leur généralité en tant qu’elles sont antagonistes, et tandis qu’une valeur supérieure est donnée à l’autonomie.
On trouve de multiples occurrences de ce phénomène dans la définition des taux du guide barème d’évaluation des déficiences et des incapacités des personnes handicapées. En matière de handicap lié à des troubles viscéraux, l’autonomie apparaît comme critère pour les taux supérieurs à 50 %. On considère que pour les taux entre 50 % et 79 %, l’autonomie est conservée pour les actes de la vie quotidienne tandis que, au-delà de 79 %, il y a entrave majeure à la vie quotidienne de la personne avec une atteinte à l’autonomie individuelle.
Ainsi, l’autonomie comme critère apparaît avec les handicaps importants et majeurs et non pas légers, tout en étant un repère immédiat et permanent lorsqu’il s’agit d’évaluer l’état des vieillards.
3. De là le troisième point, indiqué par le point de bascule qu’est l’autonomie au quotidien, dont la possession ou l’absence fait passer d’une catégorie de handicap à l’autre (50-79 %, plus de 79 %). Quelles que soient les nomenclatures considérées, handicapés adultes, enfants handicapés ou vieillards, nos critères pour juger des atteintes de l’autonomie suivent toujours le même ordre [5]. Ils sont d’abord sociaux, puis quotidiens, et enfin vitaux, par une dégradation continue où ces trois aspects de l’autonomie forment autant de seuils.
Par exemple, pour délimiter les handicaps les plus atténués, dont les taux sont fixés entre 0 % et 50 %, on considère le maintien de la vie sociale, scolaire, professionnelle, ordinaire, avant que ne soit touchée l’autonomie individuelle au quotidien qui correspond aux taux de 80 % ou plus, tandis que le taux de 100 % est réservé au coma, où les personnes sont jugées incapables de faire quoi que ce soit pour se maintenir en vie. Ce type de scansion concerne aussi les handicaps physiques ou mentaux, où la même logique est suivie. Au sujet des déficiences intellectuelles, les critères de jugement sont les suivants, suivant une échelle de gravité croissante : difficultés de déplacements locaux, à faire ses courses, à faire la cuisine, à s’habiller, à faire sa toilette. La hiérarchisation des critères va bien du social (déplacement hors de chez soi) au vital (assurer son hygiène) en passant par les actes où social et vital se mêlent à un niveau de plus en plus quotidien (courses et capacité à s’habiller).
D’une façon plus schématique, mais aussi beaucoup plus essentielle, on peut dire que la perte d’autonomie correspond à nos yeux, systématiquement, à une réduction de nos rapports possibles à l’espace et au temps, réduction qui va jusqu’à limiter nos actes possibles à l’action sur notre propre corps, nous empêchant d’accéder à l’environnement, ce qui met notre vie en danger à brève échéance. C’est là la véritable raison du taux de 100 %, quelque peu intrigant, donné aux comateux. Ils ne sont plus que capables de vivre. Ce n’est certes pas une incapacité totale, mais une capacité ; celle-ci s’exerce cependant sans que les comateux puissent encore agir sur quoi que ce soit, y compris sur leur propre corps. Et c’est de la même façon que la gravité des handicaps psychiques est définie par cette réduction des rapports possibles à l’espace et au temps. On juge les personnes de plus en plus handicapées psychiquement suivant qu’elles ne manifestent pas, dans l’ordre : d’intérêt pour l’environnement, de curiosité, de perception du danger, de perception du temps en général, de l’espace en général, et enfin de conscience de soi, terme où la capacité à se maintenir en vie est réduite à l’automatisme des processus vitaux.
4. On peut alors souligner une quatrième caractéristique de nos usages des notions d’autonomie et de dépendance, qui indique que l’on aurait tort d’y voir une abstraction oublieuse de la réalité de l’existence humaine – oublieuse de ce que cette existence implique de conditions et de rapports constants avec d’autres que nous qui nous permettent de vivre, et pas seulement de force personnelle.
Nous définissons en effet précisément dans nos nomenclatures médico-légales la perte d’autonomie comme perte des rapports possibles d’abord aux autres en société, puis au temps et à l’espace au risque de sa vie. C’est dire que la dépendance, qui réduit petit à petit le périmètre spatio-temporel des actions possibles des personnes, appelle comme réponse non un retour ou la promotion d’une autonomie solitaire, mais au contraire un rétablissement des rapports d’interdépendance par l’intermédiaire de secours. La dépendance appelle l’aide, c’est-à-dire l’interdépendance. La personne dépendante n’est ainsi jamais seule et l’on peut affirmer, sans paradoxe, que l’on est toujours dépendant à plusieurs, et que la dépendance est toujours commune. Elle produit une suite de liens qui nous sont devenus familiers sous une multitude de formes, étudiés par exemple dans les travaux sur la valorisation des métiers du soin via le care, ou sur la nécessité d’aider les aidants.
Les demandes d’aide à l’éducation spéciale illustrent très clairement ce point, dans la façon dont nous codons ces demandes dans nos nomenclatures médico-légales. Les aides sont accordées aux parents en fonction du temps supplémentaire que leur demande un enfant handicapé par rapport à un enfant normal ou dit tel. Et ce temps est jugé par des critères symétriques à ceux par lesquels nous évaluons les handicaps, et dans un ordre similaire qui va toujours graduellement du social au vital, suivant que le temps supplémentaire à accorder à l’enfant handicapé ne laisse pas de temps pour le travail, implique la nécessité d’une surveillance, la nécessité d’un temps de soin, la nécessité d’une surveillance permanente alors, juge-t-on utile de préciser, qu’un enfant handicapé ne dort pas autant qu’un nourrisson.
Ainsi, quelle que soit leur sécheresse apparente, nos nomenclatures n’impliquent pas que la dépendance doive être pensée et combattue à partir des seuls individus considérés comme dépendants et qu’il faudrait rendre à nouveau individuellement autonomes. La dépendance n’apparaît que sur fond de la modification des interdépendances ; il n’y a jamais de dépendance individuelle, il n’y a que des interdépendances collectives.
5. Suivant cette perspective, on ne peut qu’être frappé, cinquièmement, par le mélange de systématicité et de pragmatisme, par l'empirisme qui traverse nos grilles d’évaluation de l’autonomie et de la dépendance. Si abstraction il y a, elle ne tient pas à la rigidité des modèles et des repères.
Un seul exemple de cette souplesse peut suffire. Dans le guide barème d’évaluation des handicaps, les catégories canoniques qui définissent ceux-ci – le triptyque pathologie, incapacité, handicap qui correspond aux strates anatomophysiologiques, fonctionnelles et sociales constituantes des invalidités – n’est utilisé que pour les handicaps physiques. Pour les autres types de handicaps, tout est immédiatement mêlé. Il est en effet délicat, pour ne pas dire impossible, de séparer cliniquement dans les handicaps mentaux ou psychiques l’individu de ses relations, les fonctions et leurs conditions, les pensées individuelles et le monde, comme on le fait avec les handicaps physiques où le corps offre un repère simple, au moins en apparence, pour effectuer ces distinctions.
D’autres critères sont certes constants, comme la différenciation des adultes et des enfants. Mais cela va nous amener au sixième et dernier point à relever dans ces classifications, et à cibler enfin, plus particulièrement, les nomenclatures appliquées aux vieillards dits dépendants.
6. Au sujet de ces distinctions d’âge, on peut passer rapidement sur la différence entre adultes et enfants, qui concerne les handicaps. Les enfants sont par définition dépendants, et sortent de l’enfance en parcourant en sens inverse le chemin qui va du social au vital par lequel nous définissons la dépendance. Au départ totalement dépendants (0-18 mois), on juge qu’ils conquièrent ensuite les premières autonomies individuelles (18 mois-3 ans), puis une autonomie sociale (7-12 ans), par laquelle leur autonomie devient personnelle, c’est-à-dire achevée. La différence entre les enfants considérés comme handicapés et ceux considérés comme normaux se fait alors par le temps éducatif supplémentaire que certains enfants requièrent, conformément à la logique repérée au point 3.
Qu’en est-il des vieillards ? On peut relever principalement deux choses, à partir de la grille AGGIR.
D’abord, les critères d’évaluation de la dépendance qu’on leur applique sont ceux par lesquels on évalue la déficience mentale et psychique soit, dans un ordre de gravité croissante : les mouvements à l’extérieur et locaux (transferts), l’alimentation, l’habillage, la toilette, la perception de l’espace et du temps, la cohérence mentale. Ces catégories empruntent aux cas de handicap les plus graves, en particulier à ceux des enfants, sans considérer à aucun moment les incapacités les plus légères.
En d’autres termes, la dépendance des vieillards est conçue comme un handicap grave, vital, où les activités sociales et relationnelles sont implicitement perdues. La convergence de la nomenclature AGGIR avec une autre grille d’évaluation des actions à mener en EPHAD, dénommée PATHOS, est sur ce point remarquable [6]. Cette seconde grille ne concerne que les pathologies médicales, corporelles des personnes âgées, réduites à cette dimension non sans paradoxe puisque les EPHAD ne sont officiellement pas des établissements à fonction médicale.
Cette médicalisation individualisante des vieillards se retrouve en un autre endroit de la grille AGGIR. Deux séries de critères sont en effet distinguées pour déterminer leur dépendance, d’une part les critères dits « discriminants », corporels et mentaux, d’autre part, les critères dits « illustratifs », qui sont par ordre d’importance : la gestion du budget, la cuisine, le ménage, l’usage des transports, les achats, les loisirs.
La place des loisirs, relégués à la dernière place, est emblématique des différences que nous faisons entre les cas de dépendance, et tout particulièrement de notre point de vue sur les vieillards. Le jeu est en effet un critère prioritaire pour déterminer la gravité des handicaps intellectuels, il vient avant l’évaluation des capacités d’apprentissage pour les handicaps psychiques à tout âge, alors que la capacité à avoir des loisirs ne semble guère compter pour les vieillards.
Que peut-on généraliser et formaliser à partir de tout cela ?
II. Perspectives générales sur nos conceptions de l’autonomie et la dépendance à partir du cas des vieillards
D’abord, bien loin d’être rigides et abstraits, nos usages des notions de dépendance et d’autonomie semblent souples et même naturels. Il y a en effet une évidence naturaliste dans notre recours aux repères que sont le temps, l’espace, le corps, la vie et l’interdépendance, tout comme il y a une adaptation réaliste à la variété des cas suivant les pathologies et les âges.
Ce réalisme et ce naturalisme sont suspendus à des représentations collectives qu’on serait tenté de dire de « bon sens », du moins en première approche. Les enfants deviennent autonomes par l’âge et par l’éducation, et les adultes cessent de l’être par la vieillesse. De même, c’est la quotidienneté qui définit le noyau de l’autonomie et de la dépendance, et au travers de la quotidienneté, la vie.
Mais derrière le bon sens se trouve un problème complexe, qui n’est, sur ces bases, sans doute pas celui que l’on attend en matière d’autonomie. D’une part, cette notion est souvent, si ce n’est toujours, critiquée pour son oubli de l’interdépendance. L’examen de nos grilles médico-légales montre que nous y réfléchissons, en réalité, à cause de cela : l’autonomie nous sert de repère pour élaborer nos interventions face à la dépendance, c’est-à-dire l’interdépendance. D’autre part, les difficultés que nous cherchons à résoudre à partir de là ne concernent pas la liberté, mais la vie : c’est la vie et la sécurité vitale qui donne son horizon à notre souci de l’autonomie. De là, enfin, la critique ne doit pas tant porter sur l’abstraction de l’autonomie, mais plutôt sur les implicites sociopolitiques qui sous-tendent le pragmatisme de nos grilles et de nos évaluations. Pourquoi effaçons-nous le social dans le cas des vieillards ? Pourquoi accédons-nous spécifiquement à la dépendance des vieillards au travers de valeurs vitales, médicales et sanitaires, bien que l’essentiel des établissements qui leur sont destinés n’ait officiellement pas ce type de vocation ?
Ce dernier problème et ses jalons peuvent aisément, sans doute, s’expliquer par les cadres et les valeurs sociopolitiques qui sont les nôtres. Nous plaçons très haut la valeur de la vie humaine et sa préservation ainsi que la liberté individuelle, d’où le privilège accordé à la capacité à vivre seul dont l’idée d’autonomie est devenue l’expression canonique.
Comment toutefois, à partir de là, retrouver la fécondité de la notion d’autonomie pour penser l’interdépendance ? Les usages de cette idée dans des cadres médico-légaux ou médico-sociaux révèlent que le souci que nous avons de l’autonomie correspond aussi à une problématisation spécifique de l’interdépendance, de ses conditions (suivant les types de handicaps et les âges), de ses effets (extension et entrelacement des dépendances entre soignants et soignés) et de ses formes (sociales, quotidiennes ou vitales).
Considérer l’autonomie empêche ainsi de concevoir l’idée d’interdépendance comme de quelque chose d’évident, de simple ou de constant. L’autonomie ne doit pas être caricaturée comme un individualisme des capacités vitales, ce pourquoi l’interdépendance ne doit pas être tenue pour une solution aux difficultés posées par les handicaps et par le vieillissement.
Le « nomos » que l’on a dans l’autonomie, ce n’est pas seulement la capacité pure à se donner sa propre loi idée que l’autonomie kantienne a imposée. Le « nomos », la loi en grec, c’est aussi la coutume, et ce qui lie. En ce sens, si la dépendance révèle la nécessité des liens et d’autrui, il est faux de croire que la visée de l’autonomie serait une négation abstraite de cette nécessité des liens, nécessité que la dépendance fait pourtant percevoir et comprendre. La notion d’autonomie permet tout au contraire de souligner deux choses. D’abord, que l’existence des personnes correspond à un ensemble d’habitudes concrètes, sédimentées et particulières avec lesquelles les personnes se confondent. Puis que l’autonomie fait contrepoint à la dépendance non parce qu’elle nie l’interdépendance, mais parce qu’elle indique que les personnes peuvent être, au moins en partie, les points de départ des liens qu’elles entretiennent, qu’elles choisissent et qu’elles peuvent donc rompre.
Être autonome, ce n’est donc pas pouvoir être sans lien, absolument seul ou autosuffisant ; ce n’est pas non plus être porteur d’une singularité ou d’une puissance subjective purement arbitraire. C’est pouvoir, à partir du déroulement de sa biographie et de ses histoires propres, essayer, abandonner, réagencer les rapports que nous entretenons avec les autres et avec le monde, dans la mesure où ces rapports sont multiples, de telle sorte qu’aucune de nos relations particulières ne nous soit indispensable. De la même façon que les rapports de l’autonomie au temps et à l’espace dans nos classifications médico-légales indiquent que celle-ci ne devrait pas être uniquement conçue en termes de fonctions et de performance, mais aussi à partir des durées, des efforts, de la fatigue, des surprises et des risques qui caractérisent les possibilités de vivre des personnes, l’autonomie comme capacité à agir sur les liens appelle à faire attention à la pluralité de ces liens et au maintien de cette pluralité.
Au-delà de la valeur du maintien de la vie à tout prix et de l’idée que la liberté doit être conçue en dehors de toute dépendance, nos usages précis et pragmatiques de la notion d’autonomie indiquent que celle-ci pourrait nous permettre de mieux concevoir la liberté des vieillards : par les liens de cette liberté, de ses temporalités et de ses espaces propres avec la multiplicité de celles et ceux qui ne sont pas, pas encore, ou pas tout à fait vieux.
[1] On utilisera ce terme et non pas celui de personnes âgées en tant que la vieillesse est un âge particulier de la vie auquel aucune valeur péjorative ou méliorative ne doit être accordée a priori, alors que tout un chacun peut être qualifié de personne âgée.
[2] Définie cf. annexes 1-1 à 4-10 du Code de l'action sociale et des familles, suivant l'article 5 du décret n° 2017-882, du 9 mai 2017, portant diverses mesures relatives aux aides et concours financiers versés par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, au financement et aux procédures d'autorisation des services d'aide et d'accompagnement à domicile et au conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie (N° Lexbase : L2625LEX).
[3] Décret n° 2008-110, du 6 février 2008, relatif au guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées et modifiant l’article R. 146-28 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L7995H3I), art. 1.
[4] Décret n° 2007-1574, du 6 novembre 2007, modifiant l'annexe 2-4 du Code de l'action sociale et des familles établissant le guide-barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées (N° Lexbase : L2204H3Z), annexes 1 et 2.
[5] Sauf indication contraire, les analyses qui suivent sont basées sur Le guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées précité.
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par Jean-Philippe Tricoit, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille, Membre du CRDP-L’EREDS
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
Se juxtaposant aux quatre branches de Sécurité sociale déjà existantes (Famille, Maladie, Accident du travail et maladie professionnelle [ATMP], et Vieillesse), la création de la branche « autonomie » constitue une véritable révolution au sein du droit de la Sécurité sociale en ce qu'elle brise nombre de frontières jusqu'alors maintenues pour la cohérence du système français. À ce jour, la question n’est plus de savoir s'il faut une cinquième branche pour un cinquième risque, mais quelle cinquième branche pour quel cinquième risque ? S’il fallait relater la création de cette cinquième branche, cela serait l'histoire d'une arlésienne à trois points de vue.
D’abord, depuis quatre décennies, se rédige un nombre incalculable de rapports sur la dépendance et, désormais, sur l’autonomie. On pourrait d’ailleurs écrire une histoire des rapports qui ont succédé aux rapports [1]. Du premier d'entre eux [2], le rapport « Arreckx » [3], élaboré en 1979, au rapport « Libault » [4] établi en 2019, la question est devenue un chemin de croix où la notion même de dépendance a progressivement cédé la place à celle moins sulfureuse d'autonomie. Ce faisant, les réponses à la problématique de la dépendance/autonomie ont eu l'occasion de mûrir et surtout de vieillir.
Puis, l’histoire de la création de la cinquième branche de Sécurité sociale est aussi une histoire de promesses politiques évanescentes. De même que les rapports ont succédé aux rapports, les promesses politiques ont succédé aux promesses politiques. Tandis qu’en 2007, le président Nicolas Sarkozy déclarait qu’il voulait « une cinquième branche de Sécurité sociale pour consacrer suffisamment de moyens à la perte d'autonomie », le président François Hollande, en 2012, n'hésitait pas à proclamer qu’il « engagerai[t] une réforme de la dépendance permettant d'accompagner la perte d'autonomie ». Les paroles s’envolant durant les mandats présidentiels, le président Emmanuel Macron relève, en 2018, que « nous devons avoir un débat national indispensable pour répondre aux nouveaux risques de la dépendance » [5].
Enfin, l’histoire de la branche autonomie est une histoire de tentatives de légiférer. À partir de 1994 [6] est expérimentée une prestation destinée aux personnes âgées dites dépendantes, suivie en 1997 [7] avec l'adoption d’un dispositif provisoire de prestations spécifiques, lui-même remplacé en 2001 [8] par l'allocation personnalisée d'autonomie. Par la suite, est mise en place une prestation de compensation du handicap par la loi du 11 février 2005 [9]. À cette accumulation de prestations au champ d’application mouvant s’est ajoutée l’instauration de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) par la loi de juin 2004 [10] et institutionnalisée par la loi du 11 février 2005 [11].
On restait dans l’attente d’une législation officialisant la gestion du risque autonomie par une branche spéciale rattachée à la Sécurité sociale. C'est chose faite avec l'adoption de deux lois en date du 7 août 2020, l’une ordinaire [12] et l'autre organique [13] qui modifient à la fois le Code de la Sécurité sociale et le Code de l'aide sociale et des familles, l’ensemble étant complété par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2021 [14]. En vérité, les espoirs sont déçus : la branche autonomie n'est pas une véritable cinquième branche de Sécurité sociale. En réalité, elle est la première branche de son genre : une branche d’aide sociale. Pour s'en convaincre, il convient, en premier lieu, de voir en quoi la branche autonomie est une branche de cette nouvelle catégorie et, en second lieu, il convient de voir en quoi elle est une branche en perpétuelle construction.
I. Une branche d'aide sociale
Pour se rendre compte du caractère spécial de la branche autonomie qui en fait une branche d’aide sociale, il convient d'envisager successivement le contenant et le contenu, ce qui revient à répondre à deux questions successives. Premièrement, qu'est-ce qu'une branche ? La réponse à cette question nous permet de vérifier si la branche autonomie est une vraie branche au sens du droit de la Sécurité sociale. Deuxièmement, qu’est-ce que l'autonomie ? La réponse à cette deuxième question permet de déterminer si la branche autonomie est une vraie branche de Sécurité sociale. Il en résulte que, d'une part, la branche autonomie est une vraie branche au sens du droit de la Sécurité sociale et qu’au contraire, d'autre part, elle est une fausse branche de Sécurité sociale.
A. Une vraie branche au sens du droit de la Sécurité sociale
Sans entrer dans les détails, une branche, de manière très basique, est une structure comptable et financière dont la mission première est de gérer des fonds qui sont affectés à un domaine [15]. En outre, une branche est caractérisée par une certaine cohérence et par une certaine unité [16]. En somme, une branche assure la gestion d'un domaine d'intervention relativement unifiée au travers de la notion de risques et de charges plus ou moins identifiés [17].
À cet égard, chacune des quatre premières branches de Sécurité sociale dispose de cette relativité même si des différences de fonctionnement peuvent se manifester sans remettre en cause cette unité. C'est le cas pour la branche maladie qui comporte différents régimes et assure la couverture de différents risques. C'est encore le cas pour la branche famille qui compense des charges. C'est enfin le cas pour ce qui concerne la branche AT/MP dont le fonctionnement est dévolu aux caisses primaires d'assurance maladie [18].
En l’occurrence, la branche autonomie ne semble pas montrer de grandes originalités au regard des autres branches : elle structure financièrement un domaine donné. Cela ressort expressément des textes à la fois du 5° de l'article L. 200-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9396LXB) et de l'article L. 14-10-1 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L1714LZI). De ce point de vue, elle est une branche comme les autres qui pourrait être considérée comme la cinquième branche de la Sécurité sociale. Toutefois, si le contenant est présent, il n'en va pas de même pour le contenu. C'est précisément l'analyse de ce contenu qui lui retire la qualité de branche de Sécurité sociale.
B. Une fausse branche de Sécurité sociale
À l’analyse, différents aspects de la branche autonomie sèment le doute et mettent en exergue que la branche autonomie ne constitue aucunement une branche de Sécurité sociale. Cela se manifeste d'abord vis-à-vis des prestations dont les caractéristiques ne correspondent pas à des prestations de Sécurité sociale classique et, ensuite, vis-à-vis du champ d'application personnelle de la branche autonomie, c'est-à-dire les bénéficiaires de cette branche.
Sur les prestations, tout d'abord, on rappellera que les prestations de Sécurité sociale réunissent deux grandes caractéristiques. Premièrement, elles visent soit l'indemnisation d'un risque par le service d'un revenu de remplacement, soit la compensation des charges trop lourdes à assurer pour l’assuré. Tel est le cas en ce qui concerne la branche famille. Deuxièmement, ces prestations sont aussi des prestations objectives en ce sens qu'elles sont servies in abstracto, c'est-à-dire de manière générale et impersonnelle au vu de la réunion des conditions d’ouverture pour les droits [19].
En comparaison, les prestations de la branche autonomie ne présentent pas de telles caractéristiques et sont d'un autre type. Effectivement, elles empruntent une partie des caractéristiques des prestations de Sécurité sociale tout en s’en distinguant. Deux constats soutiennent cette approche. Premièrement, les prestations d'autonomie ne peuvent recevoir la qualification de prestations d'indemnisation d'un risque qui supposent, par nature, la présence d’un aléa [20]. Or, il n'y a pas d'aléa dans la perte d'autonomie dans la mesure où l'âge fera son œuvre inévitablement. En revanche, le recours à la notion de « charge » semble plus approprié dans la mesure où la perte d'autonomie expose les personnes concernées à des frais dépassant largement leur budget. La prestation d'autonomie ayant pour but de rendre solvables ces personnes, la compensation est bien présente [21].
Deuxièmement, toutefois, la prestation autonomie n’est en rien une prestation objective au sens de la Sécurité sociale car elle suppose, à l'inverse, une appréciation in concreto [22]. En cela, elle répond non pas à une situation objective et générale mais à une situation subjective et personnelle rencontrée par la personne concernée. Elle ne se rapporte pas à une charge mais à un besoin [23]. Il n’est plus question de la Sécurité sociale mais de l'aide sociale. Dès lors, les prestations d’autonomie entrent dans la logique de l'aide sociale [24].
Sur le champ d'application personnelle, ensuite, celui-ci est mouvant et hétérogène comme les notions sur lesquelles s'appuie la branche autonomie. À cet égard, un glissement sémantique, révélateur, s’est opéré. Progressivement, la notion de dépendance a été remplacée par celle d'autonomie [25]. Or, comme cela est souvent le cas, les mots ont un sens. Cette transformation de la terminologie n'est pas innocente et n'est pas sans conséquence. Entrent en jeu plusieurs raisons explicitant cette évolution.
Premièrement, les raisons en sont psychologiques : le terme « autonomie » a été jugé moins stigmatisant que celui de « dépendance ». De même, le terme « autonomie » suscite moins de crainte pour les bénéficiaires de la branche et est perçu comme plus positif [26]. Tout ceci peut se comprendre. Toutefois, entre en ligne de compte une autre raison plus dérangeante du point de vue du champ d’application ratione personae. En effet, deuxièmement, un autre motif de changement terminologique tient à l'étendue de la branche autonomie. Les personnes dépendantes ne sont pas les personnes en perte d'autonomie. La branche autonomie s'adresse à deux ensembles « disjoints et dissemblables [27] » pour assurer une unité artificielle. Ainsi, d'un côté, il y a les dispositifs de compensation pour les personnes handicapées et, d'un autre côté, il y a la prise en charge de la dépendance des personnes âgées [28]. À terme, on assistera très certainement à une homogénéisation du traitement entre personnes handicapées et personnes âgées dépendantes et corrélativement des prestations qui y correspondent.
En conséquence, la branche autonomie n’est pas une branche de Sécurité sociale au sens traditionnel du terme, mais une branche d’aide sociale qui plus est en perpétuelle construction.
II. Une branche en perpétuelle construction
L'architecture de la branche autonomie recouvre à la fois un versant institutionnel - afférent aux institutions qui assurent le fonctionnement de cette branche -, ainsi qu’un versant financier - c’est-à-dire le système de financement ayant pour but de mener une politique d’autonomie digne de ce nom. Quel que soit le point de vue, institutionnel ou financier, loin d'être achevée, la branche autonomie est en recherche d'une vraie structure institutionnelle et d'un véritable système de financement.
A. Une branche en recherche d’institutions
La construction des institutions de la branche autonomie est comparable à un iceberg. Seule la partie émergée nous est connue alors que, s'agissant de la partie émergée, celle-ci demeure un grand mystère.
Tout d'abord, s’agissant de la partie émergée, la branche autonomie s’appuie sur une entité qui compte déjà une ancienneté de plus de quinze ans : la CNSA. Si, au moment de sa création en 2004 [29], le législateur lui avait attribué un rôle de simple fonds de financement, le législateur lui attribue pleinement la qualité d'établissement public en 2005 [30].
Les missions de la CNSA reposent sur l'article L. 14-10-1 du Code de l'action sociale et des familles. Issue de la loi du 11 février 2005 [31] cette disposition a été modifiée à de multiples reprises, de nouvelles attributions s’y ajoutant ou étant simplement redéfinies. Cette disposition a ainsi fait supporter à la CNSA jusqu'à dix-sept missions différentes [32]. In fine, la LFSS pour 2021 [33] a conforté son existence, renforcé sa position et remodelé ses missions en sept axes thématiques [34].
À l'analyse, la CNSA constitue une « caisse nationale » au sens traditionnel du terme [35]. En ce sens, il lui a été confié des attributions en matière de financement : dotée d’un budget de 31 milliards d’euros, elle procède ainsi à la répartition des financements entre les différents opérateurs qu'il s'agisse des prestations au profit du bénéficiaire ou du financement des établissements et services médico-sociaux (foyers d’accueil médicalisé ; maisons d’accueil spécialisées ; ESAT ; etc.). Elle a également une fonction de pilotage de la branche. Ce faisant, cette mission de gestion financière de la branche place la CNSA au même rang que les autres caisses nationales [36].
Toutefois, si d'apparence la CNSA est tout à fait similaire aux autres caisses, elle montre certaines différences notables qui sont en rupture avec les traditions de la Sécurité sociale. Certes, le statut de la CNSA est identique à celle des autres caisses : c'est un établissement public national à caractère administratif et son organisation l’est tout autant puisqu'elle est constituée d'un conseil et d'un directeur [37].
Pourtant, la composition du conseil de la CNSA déborde de la composition traditionnelle rencontrée chez les autres caisses. En ce sens, cette composition ne correspond pas à la représentation socioprofessionnelle habituelle et comprend uniquement de représentants des employeurs et des représentants des salariés sur le modèle du paritarisme [38]. La CNSA comprend, en outre, les représentants des associations des structures qui la concernent ainsi que des représentants des collectivités territoriales et de l'État [39].
Par ailleurs, c'est surtout en ce qui concerne le maillage territorial où l’on entre dans l'inconnu et que l'on découvre la partie émergée de l'iceberg. Cette organisation territoriale de la branche autonomie ne repose pas encore sur des fondements solides. En vérité, cette organisation dépend des prestations en cause, des publics auxquels elles s'adressent et des acteurs de terrain déjà existant avec leurs compétences respectives [40].
Les évolutions à venir vont tourner à la révolution [41] en fonction des réponses apportées aux questions suivantes [42] : des caisses locales dédiées spécialement à l'autonomie seront-elles créées ? Au contraire, cette mission va-t-elle se cumuler avec celles des caisses de Sécurité sociale existantes ? Comment assurer la coordination avec les acteurs de l’aide sociale que sont les départements et l'État ? C'est sur cet aspect que le caractère hybride de la branche autonomie manifeste ses limites par son incohérence : comment faire entrer dans le giron institutionnel de la Sécurité sociale un champ de compétences attribué aux acteurs de l'aide sociale que sont notamment les départements [43] ? Nul ne peut le prédire. On se trouve dans l’expectative.
B. Une branche en recherche d’un système de financement
Le moins qu'on puisse soutenir est que le financement de la politique de l'autonomie s'inscrit dans le temps et commandent l'effort de tous. Cet effort requiert la mise en œuvre des forces imaginantes afin de créer un nouveau modèle de financement.
Qu'en est-il de l'existant ? Là encore, la construction est en train d'être pensée au jour le jour et a lieu par paliers successifs. À cet égard, l’écriture de l'histoire des rapports portant sur l'autonomie est loin d’être achevée. En ce sens, les transformations les plus récentes sont assises sur la base d’un premier rapport. Ainsi, les dispositions de la loi ordinaire du 7 août 2020 [44] ont confié le soin au Gouvernement de remettre un rapport sur les modalités de mise en œuvre de la nouvelle branche, notamment en ce qui concerne l'architecture financière. Ce rapport, rédigé sous la direction de M. Laurent Vachey, a été rendu public le 14 septembre 2020 [45]. Sans surprise, ce rapport allie les mesures de transfert aux mesures d'économie, en passant par des financements privés et le recours aux prélèvements obligatoires. Reprenant certaines de ces recommandations, la LFSS pour 2021 [46] contribue à la construction du système de financement propre à la branche autonomie, notamment par la majoration de la fraction de la CSG affectée à la CNSA et en instaurant deux contributions supplémentaires [47] (Contribution de solidarité pour l’autonomie et contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie).
Par ailleurs, l'article 33 de la LFSS pour 2021 a prévu que le conseil de la CNSA devait rendre un rapport sur la construction d'un système de financement de la politique du soutien à l’autonomie. Rendu public le 22 mars 2021, ce rapport contient diverses recommandations pour la pérennité de la branche autonomie [48].
Qu’en sera-t-il alors du futur ? Du rapport cité précédemment, il est recommandé d’envisager deux blocs de financement [49].
Le premier bloc proviendrait de la Nation avec l'instauration d'une contribution sociale généralisée autonomie [50]. L’assiette en serait large et reposerait sur l'ensemble des revenus d'activité, des revenus de remplacement, du patrimoine, des placements et des jeux [51]. En résumé, tous nous sommes susceptibles d'être privés d'autonomie, tous contribueront en qualité de citoyen.
Le second bloc serait individualisé avec la mise en place d'une contribution individuelle pour la vie quotidienne. Cette contribution correspondrait « au gîte et au couvert » et s'appliquerait à toutes les personnes en EHPAD [52]. En résumé, tous nous sommes susceptibles d'être privés d'autant, tous contribueront en qualité de personne dépendante.
Les plus pessimistes seront accablés par le caractère inachevé de la branche autonomie et ils n’ont pas tort : seul l’horizon 2030 est en ligne de mire. Cela étant, comme le relève la CNSA dans son avis du 22 mars 2021, le financement des politiques de soutien à l'autonomie est une « utopie atteignable [53] ».
[1] B. Le Bihan, C. Martin, Quatre décennies de rapports et de propositions pour dessiner le chemin vers une cinquième branche du système français de protection sociale, RDSS, 2021/1, p. 5.
[2] Encore que la paternité pourrait remonter à un rapport « Laroque » datant de 1962. Pour une liste, B. Le Bihan, C. Martin, préc..
[3] M. Arreckx, L'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes, Rapport Assemblée nationale, 14 juin 1979, p. 181.
[4] D. Libault, Rapport de la concertation Grand âge et autonomie, mars 2019, p. 225.
[5] Cités par M. Borgetto, Le risque de perte d'autonomie en question(s), RDSS, 2021/1, p. 3.
[6] Loi n° 94-637, du 25 juillet 1994, relative à la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5722DLI), art. 38.
[7] Loi n° 97-60, du 24 janvier 1997, tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance ([LXB=4702GUP]).
[8] Loi n° 2001-647, du 20 juillet 2001, relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie (N° Lexbase : L1777ATY).
[9] Loi n° 2005-102, du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R).
[10] Loi n° 2004-626, du 30 juin 2004, relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (N° Lexbase : L5185DZ3).
[11] Loi n° 2005-102, du 11 février 2005, préc..
[12] Loi n° 2020-992, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9121LX4).
[13] Loi organique n° 2020-991, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9120LX3).
[14] Loi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW).
[15] R. Lafore, La structure institutionnelle de la nouvelle branche « Autonomie », RDSS, 2021/1, p. 24.
[16] Ibid..
[17] À ce sujet, M. Badel, L'autonomie comme charge et comme risque : fusion ou confusion ?, RDSS, 2021/1, pp. 15-23.
[18] R. Lafore, préc..
[19] M. Borgetto, préc. ; R. Lafore, préc..
[20] Ibid..
[21] M. Badel, préc..
[22] M. Borgetto, préc. ; R. Lafore, préc..
[23] M. Badel, préc..
[24] R. Lafore, préc..
[25] M. Badel, préc..
[26] B. Le Bihan, C. Martin, préc..
[27] R. Lafore, préc..
[28] Ibid..
[29] Loi n° 2004-626, du 30 juin 2004, préc..
[30] Loi n° 2005-102, du 11 février 2005, préc..
[31] Ibid..
[32] R. Lafore, préc..
[33] Loi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, préc..
[34] R. Lafore, préc..
[35] Ibid..
[36] R. Lafore, préc..
[37] Ibid..
[38] B. Le Bihan, C. Martin, préc..
[39] Ibid..
[40] R. Lafore, préc..
[41] R. Lafore, préc..
[42] Ibid..
[43] Ibid..
[44] Loi n° 2020-992, du 7 août 2020, préc..
[45] L. Vachey, dir., La branche autonomie : périmètre, gouvernance et financement, septembre 2020, p. 360.
[46] Loi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, préc..
[47] CSS, art. L. 137-40 (N° Lexbase : L1764LZD) et s..
[48] Conseil CNSA, Avis, Le financement des politiques de soutien à l’autonomie, 22 mars 2021, p. 149.
[49] Id., p. 79.
[50] Ibid..
[51] Id., pp. 80 et s..
[52] Ibid..
[53] Cf. supra.
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par Margaux Taccoen, Doctorante en philosophie pratique sur le numérique en santé, chargée de mission à l’Espace de réflexion éthique régional des Hauts de France et Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille, l’EREDS/CRDP
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
Sujet de réflexion clivant, le numérique effraie autant qu’il fascine, éclaire les pratiques autant qu’il les desserre, isole les corps humains au profit de relations virtuelles démultipliées. Les nouvelles technologies sont fécondes et produisent de nouveaux besoins, en même temps qu’elles génèrent de nouvelles utopies ou résistances. La technologie est par essence un sujet qui fait débat et son cadre d’analyse est en perpétuel mouvement.
Depuis la Révolution industrielle, jusqu’à ce que l’on nomme aujourd’hui la Révolution numérique, de l’encre, du papier et des Big data ont traduit ces réflexions. Le développement du numérique a été constant ces dernières années, avec « 7 personnes sur 10 en France se connectant à Internet quotidiennement ou presque, tandis que cela représentait moins de la moitié en 2009 » [1]. Le « progrès » se révèle proche aujourd’hui de l’ « innovation » [2], comme le souligne François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne. Ce progrès technique a centré la question technologique à la question sociale dans le rapport entre l’homme et la machine. De nombreux auteurs ont recensé ce développement au regard d’un système technicien [3], de sa contre-productivité [4], du rapport aux innovations techniques [5], d’une technophobie [6] intrinsèque à ce développement, pour ne citer qu’eux. François Jarrige invite alors à un mouvement technocritique [7], dont la difficulté à fixer des limites et à renoncer au développement, s’impose dans les croyances irrationnelles, les fantasmes technologiques et leur immersion totale.
Alors quel sens ce développement numérique induit dans la prise en charge des personnes âgées ? À travers un choix lexical élargi et au regard des pratiques de soins, comment se construit ou tente de se construire la relation de soin dans une relation médiatisée par des dispositifs numériques à destination des personnes âgées ?
L’usage de la novlangue [8], au sens de Georges Orwell contribue à embellir le numérique et son action dans le domaine de la santé, sous la forme de e-santé ou de santé numérique, aux définitions polysémiques. Or le choix des mots constitue des enjeux stratégiques et de compréhensions que nous tenterons de relever.
Dans un premier temps sur la catégorisation des personnes âgées et la définition de la vieillesse. Nous reviendrons sur le discours politique lié aux réflexions autour du grand âge ainsi que du développement technologique. Et, afin de compléter un lexique déjà riche, nous nous interrogerons plus particulièrement sur le néologisme d'« e-care », interrogeant le soin à l’ère du numérique. Afin de s’attacher à définir ce néologisme, nous tâcherons de revenir succinctement sur la notion de care mais dans une vision élargie et par effet miroir à l’idée de « prendre soin » et de la relation de soin.
I. Être vieux dans un monde moderne
Avant de revenir sur l'e-care, l’objet de cette contribution est de considérer le développement numérique au regard des personnes âgées. En 2018, la consultation nationale Grand âge et Autonomie, a mis en lumière qu’il y aura 4,8 millions de personnes de 85 ans et plus en 2050, soit une multiplication de 3,2 depuis 2017 [9]. Le vieillissement de la population est un fait, voire même une injonction politique et économique de premier ordre. Il semble néanmoins que le choix statistique de 75 ans ou 85 ans ne soit pas toujours représentatif. Faisant à la fois référence à la longévité, à l’état de santé ou à une catégorie sociale dont les enjeux démographiques, politiques et sociétaux animent les débats, la vieillesse est polysémique. Poser un regard singulier sur les situations vécues est pourtant nécessaire. Être vieux [10] n’a de sens qu’à travers l’évolution des représentations de chacun, de la linguistique et d’une vision de ce que le « vieillir » induit. On pourrait aujourd’hui déterminer qu’il s’agit d’une notion relative, catégorisée dès 60 ans (CASF, art. R. 232-1 N° Lexbase : L5534G74) pour l’attribution de l’allocation personnalisée d'autonomie. Mais le rapport à l’âge peut être un élément de définition en évolution constante. Des auteurs analysant la sémantique autour de la vieillesse et des « vieux » rapportent que dans le Dictionnaire François de Pierre Richelet de 1680, la vieillesse débutait à 40 ans et la décrépitude à 70 ans. En 1983, le Dictionnaire des personnes âgées, de la retraite et du vieillissement distinguait « les jeunes vieux entre 60 et 75 ans voire 80 ans, et les vieux plus âgés » [11]. La catégorisation par l’âge étant compris entre 60 et 80 ans et plus, cette définition polarise finalement deux catégories de personnes âgées, entre les paradoxalement « jeunes personnes âgées » [12], pour reprendre les propos de Chirac jeunes âgés et les doublement vieux. Enfin, s’opère une « distinction entre vieillesse physique et vieillesse morale, cette dernière ouvrant la porte à la sagesse, l’expérience, l’autorité, quand la première résonne le plus souvent en termes de décrépitude. » [13] Alors tentons de percevoir deux formes de distinctions à la vieillesse. Le premier registre s’appuie sur des critères économiques et sociaux, de statut et de style de vie permettant de conserver des attraits actifs, comme les « jeunes retraités », qui inclut également les risques d’isolement, de précarité, de solitude. Le second registre, biologique quant à lui fait entrevoir les risques de perte d’autonomie, de dépendance, de vulnérabilité de l’apparition de handicap physique et/ou cognitif et plus récemment vulgarisés par l’épidémie de la Covid-19, de comorbidités liées à la vieillesse. En ce sens, la perte d’autonomie concernait 1,3 million de personnes en 2017, ce sera le cas pour 2,2 millions en 2050 [14].
Or, ces deux registres sont impactés par l’usage du numérique et des technologies, pouvant révéler d’autres difficultés. Le manque d’équipements faute de moyens, des compétences difficilement acquises, des difficultés d’usage liées à divers handicaps (moteur, cognitif, intellectuel, etc.), un sentiment d’isolement ou de peur face à ces outils et une volonté de ne pas les utiliser font partie des raisons non exhaustives de non-recours aux outils numériques dans la santé. Ces situations sont regroupées sous l’expression de fracture numérique, autre enjeu politique et sociétal important, que nous ne développerons pas ici. Nous nous concentrerons davantage sur le sens de l’utilisation des outils numériques par cette « catégorie » de personnes ainsi que de leurs compétences usuelles.
II. Enjeux politiques ou poly-TIC [15] ?
Le discours politique de ces dernières années, a produit un changement sur la forme par le langage et ainsi a contribué à un profond changement sur le fond, dans l’organisation. À l’image des dernières réformes hospitalières orientées vers une « démarche d’excellence », les patients sont traduits en « stocks » et le parcours de soins en « flux » [16]. De plus, le développement des outils technologiques, longtemps connus sous le nom global de TIC, amorcé dès les années 1990 avec l’apparition d’Internet au grand public, s’est généralisé dans les foyers, les écoles, les entreprises, les administrations. Dès lors, le monde médical n’y a pas échappé, offrant alors une nouvelle analyse sémantique par transposition de préfixes techniques aux pratiques médicales existantes ; télésoin, télémédecine, e-santé, téléconsultation, etc.. Cela a également été révélateur de craintes affirmées sur l’immersion du numérique dans la santé, comme le risque de déshumanisation, de délitement du lien social, de potentielles difficultés d’utilisations, de considération moindre du facteur humain. Cependant, les ingérences techniques traduites dans le droit intégrant la télémédecine et le télésoin [17] dont le besoin de réformer le système de santé et plus globalement le soin ont profondément transformé l’hôpital et le champ médical et lexical.
Le « virage numérique » [18], terme utilisé dans la stratégie nationale Ma santé 2022 portée par Agnès Buzyn, vise à accroître l’utilisation du numérique dans le système de santé, afin de moderniser ce dernier et tenter de répondre aux défaillances observées (manque de professionnels, déserts médicaux, hausses des dépenses de santé, etc.). Cette stratégie mise en route en 2019 s’est notamment appuyée sur l’accélération de la téléconsultation et l’utilisation multipliée d’outils numériques pour convenir aux conditions liées au confinement. En 2019, « 49 % des interrogés déclarent avoir utilisé un nouvel outil numérique, 70 % d’entre eux ont pris un rendez-vous médical en ligne, 27 % ont réalisé une téléconsultation » [19]. Or, il apparaît que « 53 % des 75 ans ou plus n’ont pas accès à Internet. » [20]
De la même façon, les débats liés au grand âge ne sont pas nouveaux, mais sont réactualisés. Déjà en 2010, les enjeux politiques de la vieillesse appartenaient au projet politique de Martine Aubry, alors première secrétaire du parti socialiste. La question du soin apporté était au cœur des débats publics et la notion de « care » constitue un « projet de société ». Or, comme l’écrit Marc-Olivier Padis, directeur de la rédaction d’Esprit de 2013 à 2016 et écrivain, « on se sait pas encore comment financer la dépendance du grand âge demain. Le grand débat annoncé sur ce qu’on appelle le « cinquième risque » est reporté à la fin des années 2010. » [21] La réforme est en cours depuis le premier semestre 2020 [22], un risque perte d'autonomie a été créé ainsi qu'une nouvelle branche de Sécurité sociale mais son financement n'est pas encore pérenne et est encore en construction [23], il serait peut-être une « utopie atteignable » [24]. De la même façon, la notion de « care », mise en avant dans le projet de Martine Aubry, est traduite par « une société de l’attention aux autres », une « société du respect », une « société du vivre-ensemble », une « société décente », une « économie du bien-être » [25].
La notion de « care » étant réactualisée par « la société du soin mutuel » de Martine Aubry, la construction d’une politique du grand âge et d’une politique de santé numérique se heurte toujours à des dysfonctionnements latents, de délitement démocratique, du niveau des actions étatiques à envisager, de leur financement et de la confusion des différents acteurs en jeu (État, collectivités, institutions et entreprises publiques et privées, professionnels, proches, etc.). Proposant alors d’ « utiliser un langage visant à fabriquer l’adhésion » [26], le numérique a pris place dans les décisions politiques en matière de santé, dont l’opérationnalité tente d'être pensée en débats publics et rapports citoyens. L’idée même de co-construction de ce que l’on nomme aujourd’hui la e-santé émerge dans une stratégie institutionnelle favorisant l’appropriation des différents acteurs qui n’avaient pas pour coutume de s’entremêler. Ces derniers incluent non seulement les soignants et les patients évidemment, mais également les politiques, comme agents de l’État, les institutions hospitalières, médico-sociales ou étatiques et enfin les entreprises privées ou publiques en charge de favoriser l’innovation dans un système de prise en charge déjà ancien. C’est dans cette vision que les politiques de santé numérique visent à se construire, comme le démontrent les dernières Assises Citoyennes du Numérique en Santé en novembre 2020 [27].
Il apparaît que ces différents points sont de véritables enjeux que l’évolution technicienne de la santé croisés aux engagements politiques du vieillissement, traversés également par des réflexions philosophique, éthique et humaniste souhaitant conserver la place essentielle du sujet au cœur de ce système. La modification des pratiques par le biais du numérique incite à s’interroger sur l’évolution que peut prendre le soin, c’est ce qu’invite à penser l'« e-care ».
III. Le mythe d’e-care, analogie d’Icare au XXIème siècle
Afin de s’attacher à définir le néologisme d'e-care, il est question de mettre en perspective deux grandes interrogations. La première revient à interroger la notion de care numérique tandis que la seconde vise à envisager son développement dans les relations. Éloignons-nous alors de la séparation cure/care que nous n’aborderons pas ici et engageons-nous dans une réflexion épistémologique et la construction d’une pensée. Le mythe d’Icare a de nombreuses fois été revisité à travers les siècles. Invitons-nous, alors, une nouvelle fois à envisager ce mythe fondateur au cœur de notre société. Dédale, le père d’Icare, est inventeur d’outils (tels le fil à plomb, la glue), constructeur (vache en bois) et architecte (du labyrinthe). Il est à ce titre considéré dans la Mythologie comme le premier inventeur du monde pour les ailes qu’il a construites comme outil exutoire au labyrinthe dans lequel il est piégé avec son fils. Malgré les mises en garde de son père quant aux risques que comportent l’utilisation des ailes, la démesure d’Icare est une analogie aux dérives du progrès technique. Tandis que Dédale parvient à s’échapper du labyrinthe, Icare dont la tentation à repousser la fonction initiale des ailes, cause sa perte. Le postulat de départ est que l’innovation, le progrès, la technique ont toujours existé et continueront d’exister, leurs bénéfices et leurs dérives également. Poser ce cadre invite, à l’image du mythe d’Icare, à réorganiser cette réalité, vers une délimitation des sphères et des activités techniques dans le soin. Jusqu’où peut-on voler sans s’y bruler les ailes ?
De nombreux parallèles existent entre soin et care, comme notions à la fois opposées ou interdépendantes. Comme le souligne Pascale Molinier, psychologue et professeur de psychologie sociale à la Sorbonne, auteur de plusieurs ouvrages notamment sur l’éthique du care, le care ou souci de l’autre repose sur un enjeu démocratique s’inscrivant dans une dimension permanente du rapport à autrui et de l’éthique du soin. Qu’il s’agisse d’un care domestique ou professionnel, sa définition s’articule autour d’une dimension affective et/ou d’un cadre professionnel, dont la relation asymétrique soignant-soigné ou aidant-aidé est contextualisée par un rapport de vulnérabilité ou de dépendance [28]. Pourtant, « la vulnérabilité n’est pas un accident mais fait partie de la conception de chacun » [29], comme marquage essentiel à l’existence. Au même titre que l’autonomie n’est pas un acquis, sa perte est envisagée comme un « risque ». Repenser alors une éthique du care face au développement numérique permet de réintégrer le sens même de la relation humaine et de la nature du lien au regard du développement numérique dans la santé. Être dans le soin n’est pas une condition immuable mais est au contraire traversée par des caractéristiques humaines, influençant directement les compétences techniques et relationnelles. Induite par des variations subjectives (manque de professionnels, soignés difficiles, aidants épuisés, etc.), l’utilisation d’outils technologiques est envisagée comme palliatif aux difficultés à répondre aux besoins. Une forme de relation médiatisée par le biais du numérique, engage les débats sur les mutations de la nature du soin apporté. C’est dans cette logique que le néologisme e-care prend son origine.
De ce discours ontologique émerge ainsi l’idée de revisiter un mythe classique comme passerelle symbolique à la relation de soin numérique. Il n’est alors pas question d’envisager l'e-care comme une stratégie de modélisation et de gouvernance du progrès, mais davantage d’interroger cette conception au regard d’une « technique de la relation » et à la façon dont nous souhaitons la construire. L'e-care réinterroge la fatalité d’Icare par une vision empirique du développement de la technique dans notre société. Dédale dont l’invention avait pour finalité de les libérer, n’a pu préserver son fils des risques. Il en est de même avec les outils technologiques, dont les dérives varient selon les comportements humains. Malgré un guide de bonne pratique, une téléconsultation peut favoriser l’émergence de nouveaux risques, comme l’utilisation excessive de praticiens dans un souci de gain de temps et financier. La technique ne peut être neutre, « les machines sont conçues par les hommes, elles reproduisent leurs biais cognitifs et émotionnels » [30]. Cependant, « elle est un assemblable de matières, de rapports sociaux » [31]. Cela engage à se questionner sur la nature du soin que l’on souhaite apporter au regard des outils technologiques proposés et la façon dont les usages vont se réaliser. Au regard des craintes exprimées (déshumanisation, délitement du lien social, perte de la relation, etc.) et une littérature conséquente sur le développement technologique, envisageons de construire une éthique du soin numérique.
****
Au regard de ces conceptualisations, la nature du soin apporté aux personnes âgées par l’utilisation d’outils numériques est à interroger. Pour Jean-Philippe Pierron, outre la qualité de soins plus qu’évidente afin d’assurer une qualité des parcours de vie des personnes en situation de vulnérabilité, il est avant tout question de favoriser un cadre de vie, de relation et de soin n’impliquant pas nécessairement que du soin technique. Il apparaît en effet que la vieillesse n’induit pas uniquement une prise en charge par le cure. À titre d’exemple, l’aide au repas ou aux courses à domicile, ou au sein des EHPAD, ne relève pas d’une prise en charge sanitaire. Or, l’utilisation des outils reposant sur les hypothèses qu’ils permettent de réduire les dépenses de santé, combler le manque de professionnels et favoriser l’autonomie ne semble pas être justifiée. Déjà en 1947, Georges Bernanos écrivait « ainsi le progrès n’est plus dans l’homme il est dans la technique, dans le perfectionnement des méthodes capables de permettre une utilisation chaque jour plus efficace du matériel humain » [32]. Pourtant visionnaire, cette quête à l’efficacité s’est poursuivie et la première infiltration du numérique dans la santé s’est avérée altérer le soin, dont les décisions politiques à visée économique ont, dans un premier temps, modifié la pratique basée sur des facteurs humains. « Beaucoup de membres du corps soignant passent désormais plus de temps devant leur clavier qu’à proximité des patients. » [33]
Malgré les mises en garde et au regard de ces diverses constructions politiques et sociétales, évoquant davantage des questionnements que de véritables solutions, il semble alors essentiel de faire émerger le concept d'e-care, définissant par analogie, les frontières de ce qui pourrait être un soin par le biais du numérique et de la technologie.
[1] A. Baëhr, Analyses Hauts de France, 800 000 habitants en situation d’illectronisme, décembre 2020, Insee Analyses Hauts-de-France, n° 118, p. 1.
[2] F. Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, 2016, La découverte, p. 12.
[3] J. Ellul, Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977.
[4] I. Illich, La Convivialité (1973), in Œuvres complètes (2009), Seuil, vol. 1.
[5] M. Akrich, M. Callon, B. Latour, À quoi tient le succès des innovations ? 1 : L’art de l’intéressement ; 2 : Le choix des portes-parole, Annales des Mines, 1988, Gérer & Comprendre p. 4-17 ; 14-29.
[6] G. Bronner, Ce qu’Internet fait à la diffusion des croyances, Revue européenne des sciences sociales, 2011, vol. 49, n° 1, pp. 35-60.
[7] F. Jarrige, op. cit., p. 12.
[8] Novlangue ou néoparler (« Newspeak ») définissant un nouveau langage utilisé dans le roman Orwell (G), 1984, Gallimard, (1950), Editions Folio 2020, p. 25.
[9] Ministère des Solidarités et de la Santé, Grand âge et autonomie : Les chiffres clés, 11 octobre 2018 [en ligne].
[10] J. Trincaz, B. Puijalon, C. Humbert, Dire la vieillesse et les vieux, Gérontologie et société, octobre 2011, 34/n°138, n° 3, p. 120.
[11] J. Trincaz, B. Puijalon, C. Humbert, art. préc., p. 120.
[12] J. Chirac, Déclaration au Comité des Retraités et Personnes Âgées (CNRPA), mars 1998, in J. Trincaz, B. Puijalon, C. Humbert, art. préc., p. 1.
[13] J. Trincaz, B. Puijalon, C. Humbert, art. préc., p. 116.
[14] Grand âge et autonomie : Les chiffres clés, 2018, préc..
[15] (TIC) Technologie de l’information et de la communication.
[16] S. Velut, L’hôpital, une nouvelle industrie. Le langage comme symptôme, Tracts Gallimard, janvier 2020, n° 12, p. 17.
[17] Télémédecine : CSP, art. L. 6316-1 (N° Lexbase : L6174LR4) ; télésoin : CSP, art. L. 6316-2 (N° Lexbase : L6175LR7).
[18] Ministère des Solidarités et de la Santé, Feuille de route « Accélérer le virage numérique », dossier d’information, 25 avril 2019 [en ligne] (consulté le 4 mai 2021).
[19] Ibid..
[20] X. Besnard, P. Glénat, Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base, octobre 2019, Insee Première, n° 1780, p. 1.
[21] M.-O Padis, La polémique du care. Un débat qui mérite mieux que des caricatures, Revue Esprit, 2010.
[22] Loi organique n° 2020-991, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9120LX3) ; loi n° 2020-992, du 7 août 2020, relative à la dette sociale et à l'autonomie (N° Lexbase : L9121LX4) ; loi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW).
[23] B. Fragonard, Le risque de perte d'autonomie : les problèmes de financement, RDSS, 2021, p. 33.
[24] CNSA, Le financement des politiques de soutien à l'autonomie, (art. 33, LFSS pour 2021) « Une utopie atteignable », mars 2021, p. 149.
[25] M. Aubry, « Le care », c’est une société d’émancipation, Le Monde Magazine, juin 2010.
[26] S. Velut, art. préc., p. 17.
[27] Agence du Numérique en Santé, Assises Citoyennes du Numérique en Santé, 19 novembre 2020, webinaires consultables [en ligne] (consulté le 4 mai 2021).
[28] P. Molinier, S. Laugier, P. Peperman, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 243.
[29] P. Ricoeur, Autonomie et vulnérabilité, in La philosophie dans la Cité : Hommage à Hélène Ackermans, 2019, p. 41.
[30] C. Fleury, Le soin est un humanisme, Tracts Gallimard, mai 2019, n° 6, p. 33.
[31] F. Jarrige, op. cit., p. 14.
[32] G. Bernanos, La France contre les robots, révolution industrielle et technologique, Éditions AOJB, février 2019, p. 11.
[33] S. Velut, op. cit, p. 23.
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par Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler, Maîtres de conférences à l’Université Paris Nanterre
Le 08 Janvier 2024
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
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« Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » [1].
Si le serment d’Hippocrate ne vise pas spécifiquement le sujet âgé, il fait une place particulière à la figure vulnérable, affaiblie, soulignant ainsi que cette singularité du sujet de soins doit être prise en compte. Elle doit l’être assurément dans la relation patient/soignant, qui constitue le versant individuel de l’accès aux soins. Mais elle doit l’être aussi, et au premier chef du reste, s’agissant du versant plus collectif de cette question, entendu comme l’organisation d’un système de santé permettant à chacun de bénéficier de soins de qualité, adaptés à son état de santé, sur l’ensemble du territoire [2]. Or, que l’on se place au niveau collectif ou individuel, ce qui frappe quand on s’intéresse au patient âgé fragile, c’est la difficulté à penser des dispositifs dont l’adaptation est rendue nécessaire par les spécificités de ce patient, sans tomber dans l’écueil de l’exclusion.
C’est cette ligne de crête - que le législateur et les acteurs du soin parcourent avec plus ou moins d’habileté - que l’on se propose d’esquisser pour montrer que le défi à relever, s’agissant du patient âgé dépendant, c’est de ne renoncer ni à la qualité des soins en les adaptant (I.) ni à l’essence de la relation de soins (II.).
I. Adapter l’organisation des soins sans renoncer à leur qualité
Usager du système de santé comme un autre, le vieux devrait bénéficier des soins les plus appropriés et des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue. Pourtant, sa fragilité peut conduire à une remise en cause de ces principes (A.). En outre, cette fragilité peut impliquer une prise en compte de spécificités médicales liées à l’âge avec la difficulté d’adapter la prise en charge sans exclure (B.).
A. Le vieux, titulaire fragile des mêmes droits
Les textes juridiques ne distinguent pas en fonction du grand âge et les vieux se voient appliquer les mêmes règles garantissant un droit à la protection de la santé, lequel implique un droit de chacun d'accéder à des soins adaptés et de qualité (CSP, art. L. 1110-1 N° Lexbase : L4554DLA et L. 1110-5 N° Lexbase : L4249KYZ). Néanmoins, la crise sanitaire du Covid a fait émerger la tentation de conférer au critère de l’âge un rôle - de fait discriminant - dans la décision médicale. Au-delà de ce contexte exceptionnel, de manière plus permanente, force est de constater que le lieu de vie de plus de 40 % des personnes âgées dépendantes - l’EHPAD [3] - dégrade très nettement l’accès aux soins.
Une égalité d’accès affirmée, mais fragile en pratique. Le préambule de la Constitution de 1946 précise que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé ». À travers la figure du vieux travailleur, le sujet âgé apparaît donc aux yeux du constituant comme une personne dont la santé doit être recherchée, une personne vulnérable à cet égard. Cette disposition est interprétée comme fondant le service public constitutionnel de la santé, lequel - comme tout service public - est régi par le principe d’égalité. L’article L. 1110-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4554DLA) le confirme en consacrant « le droit fondamental à la protection de la santé [...] au bénéfice de toute personne ». Et l’article L. 1110-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7043LN8) d'insister sur l’égal accès à la prévention et aux soins, sans discrimination en renvoyant au Code pénal (C. pén., art. 225-1 N° Lexbase : L5205IZS) qui vise, entre autres motifs discriminatoires, l’âge et la perte d’autonomie. Les textes affirment donc clairement l’égalité d’accès aux soins y compris pour les vieux, y compris lorsqu’ils sont dépendants.
On observe par ailleurs que certaines dispositions du Code de la santé publique invitent à la nécessaire prise en compte de la personne âgée dans l’offre de soins susceptible de la concerner plus spécifiquement [4]. Cette insistance révèle sans doute en partie la crainte de possibles entraves à l’accès aux soins pour cette population, en même temps qu'elle répond au fait que les personnes âgées paraissent moins susceptibles que d’autres d’exiger les droits dont elles sont pourtant titulaires [5] ; il faut dès lors y lire une volonté de réaffirmer l’égalité d’accès [6].
Pourtant, à l’occasion de la crise sanitaire, l’âge a pu être envisagé comme un critère d’exclusion de certains soins, dans un contexte de pénurie des ressources par rapport aux besoins. Nos voisins transalpins ont visé des âges seuils dans leurs documents officiels (85 ans en Suisse et 80 ans en Italie [7]) pour l’accès ou non aux services de réanimation des patients atteint du Covid. Si la France n’a pas été jusque-là et s’en est même défendue, l’éventualité d’un tri fondé sur l'âge a suscité une crainte tant chez les professionnels de santé qu’au sein de la population dans son ensemble. Et l’étude rétrospective des documents de bonne pratique, produits à cette période, montre que le critère de l'âge a joué un rôle inédit [8]. Ces tensions apparues dans une situation, il est vrai exceptionnelle, témoignent de la tentation de réaliser des arbitrages au détriment des vieux. Nul besoin d’ailleurs de se référer à de telles circonstances pour se rendre compte que, dans des hypothèses plus courantes, certaines personnes âgées dépendantes ont un accès restreint aux soins. On pense naturellement aux résidents d’EHPAD.
Une fragilité accrue pour les résidents d’EHPAD. On constate en effet que le lieu de vie de la personne âgée a un impact sur sa prise en charge médicale. De manière quelque peu paradoxale, lorsqu’elle est vue comme dépendante et, de ce fait, est empêchée de vivre seule, son entrée en institution, au lieu de faciliter son accès aux soins, semble l’entraver. Sans noircir le tableau à l’excès, on peut tout de même relever que les EHPAD sont sous-dotés et ce, y compris en professionnels de santé [9]. Ces établissements sont finalement peu médicalisés par rapport à une population en grand besoin [10]. Si un médecin coordonnateur - dont les pouvoirs sont assez limités [11] - est attaché à l’EHPAD, le résident relève toujours en principe de son médecin traitant. L’apparente continuité avec sa prise en charge antérieure est le plus souvent remise en cause [12] pour des raisons d’éloignement géographique ou de difficulté à se déplacer pour les résidents. À cela s’ajoute le fait que le médecin peut refuser de consulter en dehors de son cabinet. La même personne âgée dépendante vivant toujours à son domicile semble avoir un accès plus facile au médecin de ville. Et, dans l‘éventualité où sa situation semblerait exiger une prise en charge par un service d’urgences, ses proches pourraient toujours l’y conduire. À l’inverse, les EHPAD se voient opposer une organisation qui, en pratique, limite l’accès aux urgences des plus de 90 ans [13]. Une telle différence d’accès selon le lieu de vie de la personne âgée dépendante questionne [14].
Cela étant, l’accès à l’hôpital n’est pas nécessairement la panacée pour ce patient. Le rapport « Libault » notamment a souligné les effets délétères de l’hospitalisation sur le sujet âgé [15]. C’est pourquoi il envisageait, au titre des propositions, la mise en place d'un parcours de soins spécifique aux personnes âgées évitant en particulier un passage aux urgences. De telles adaptations sont sans doute le moyen d’une égalité effective d'accès aux soins pour les personnes âgées dépendantes.
B. Le vieux, bénéficiaire de soins adaptés ?
La tendance de fond des évolutions du système de santé (notamment le passage à la tarification à l’acte [16]) est peu favorable aux patients vulnérables, dont les plus âgés, ce qui rend d’autant plus nécessaires une réflexion et une organisation tenant compte des besoins de ces patients, sans négliger toutefois le risque d’exclusion inhérent à une organisation idoine.
Une évolution du système de santé peu favorable aux vieux. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut évoquer quelques évolutions du système de santé qui paraissent peu favorables aux patients âgés. Le système de santé est traversé, en particulier à l’hôpital, par un souhait de rationalisation de l’offre, ce qui se traduit concrètement par sa raréfaction. Les mouvements des personnels soignants en témoignent. La logique à l'œuvre conduit à imposer un temps plus contraint (plus de consultations) et plus rentable (tarification à l’acte). Or, un tel rapport au temps est totalement inadapté à des patients âgés et rend leur prise en charge nécessairement malfaisante. Le développement de l’ambulatoire pour une personne âgée dépendante, ou à tout le moins fragilisée, peut apparaître également préjudiciable. Enfin, le déploiement du numérique dans le champ médical, sans être dépourvu de vertus, y compris pour le patient âgé (accès aux soins sans déplacement, suivi facilité, meilleure coordination…), est avant tout un facteur d’exclusion (maîtrise des outils, substitution à la relation, à telle enseigne que le Comité consultatif national d’éthique avait évoqué la nécessité d’une « garantie humaine en santé » [17]. Un tel système, qui tend à une standardisation de la santé, laisse peu de place à l'individualisation des pratiques, ce qui est particulièrement problématique pour le sujet âgé.
Mais depuis quelques années, on assiste à une prise de conscience de la nécessité d’adapter les soins au grand âge, ce qui s’est traduit, en 2017, par la création du Diplôme d’études spécialisées en gériatrie pour les internes [18]. Au-delà de cette spécialité, il apparaît indispensable de développer la formation de l’ensemble des professionnels de santé aux aspects gériatriques. En effet, comme le disent les gériatres, « le patient âgé est fourbe », en ce sens qu’il déjoue ce qui a été appris : souvent son métabolisme n’a pas les réactions connues et donc attendues. C’est la raison pour laquelle, au titre des évolutions favorables, il faut relever la création d’une filière gériatrique de prise en charge. L’idée est à la fois de proposer des soins adaptés aux besoins du patient et d’éviter le passage aux urgences dont on sait les effets néfastes sur les sujets très âgés. À cet égard, le Code de la santé publique (CSP, art. L. 1112-4 N° Lexbase : L6806IG8) organise une prise en charge spécifique des urgences médicales pour le patient âgé du fait de sa polypathologie et de son risque de dépendance. L’idée est de mettre en place une filière spécifique afin qu’il ne passe pas par le service des urgences, mais soit orienté vers un service hospitalier ad hoc, c’est-à-dire le service gériatrique et, à défaut, vers le service spécialisé dans le traitement de sa pathologie aiguë. Sont en priorité dirigés vers cette filière, les patients au-delà de 75 ans, âge à partir duquel la fragilité au sens gériatrique double [19].
Les préconisations du rapport « Libault » confirment cette orientation de bon aloi : éviter les passages aux urgences et même à l'hôpital, qui favorisent le syndrome de glissement. Une telle vision se heurte cependant à l’approche très hospitalo-centrée de notre système de santé, encore apparue à l’occasion de la crise sanitaire.
La crise de la Covid-19 a illustré le risque d’exclusion. Les premières recommandations de bonne pratique, émises par les ARS et diverses sociétés savantes [20], portant sur la prise en charge des résidents des EHPAD atteints de Covid, ont préconisé, autant que possible, le maintien des malades dans les établissements médico sociaux dès lors qu’ils ne souffraient a priori pas d’une forme grave de la maladie. S’agissant des résidents atteints d’une forme aiguë, ces mêmes textes ont imposé une organisation centralisée et rigide qui a limité l’accès de ces résidents à l’hôpital de manière significative. En effet, cet accès était subordonné à la décision du SAMU quand celui-ci était sollicité par le médecin coordonnateur de l’établissement [21]. Dans le même temps, était organisée à la hâte une prise en charge de la fin de vie des résidents au sein des EHPAD, par l’assouplissement de protocoles d’hospitalisation à domicile [22] et de délivrance de médicaments destinés à soulager les souffrances (Doliprane en perfusion, Rivotril), en principe réservés à l‘hôpital, mais devenus indispensables pour répondre à la dyspnée. Si, par principe, on peut voir d’un œil favorable l’accompagnement d’une personne en fin de vie dans son lieu de vie habituel, en l’espèce, les situations ont été bien peu satisfaisantes. Les prises en charge ont paru largement improvisées, dans la crainte, malheureusement parfois justifiée, d’une pénurie de produits adaptés pour limiter les souffrances, alors que les résidents étaient isolés de leurs proches interdits de visite [23]. On ne peut exclure, en outre, que ces soins palliatifs se soient parfois substitués à des traitements actifs dispensés à l’hôpital qui auraient pu se révéler favorables au patient. Une telle organisation dans la gestion de la crise interroge sur le respect des droits fondamentaux des résidents, en particulier le droit à la protection de la santé, le droit à l’autonomie personnelle et, plus largement, le droit à la dignité. Si on compare le traitement réservé à ces patients à celui des non-résidents, on peut suspecter une discrimination.
L’idéal d’égalité d’accès - en termes d’universalité des droits fondamentaux - se révèle ainsi très complexe, car cette égalité ne peut se réduire à une identité parfaite des solutions retenues. Et si cet idéal conduit à proposer quelques adaptations aux patients visés, celles-ci aboutissent pour le moment à une filière de soins dégradée pour un certain nombre de personnes âgées dépendantes. En outre, en situation de crise, le risque de discriminations est élevé. On retrouve cette difficulté d’adapter sans exclure dans la relation individuelle de soins.
II. Préserver les principes de la relation de soins
Réfléchir au patient âgé permet de revenir aux fondamentaux de la relation médicale. Plus que le consentement et la question de la responsabilité médicale, ce que l’on recherche, avec les règles du colloque singulier, c’est une participation et un assentiment aux soins proposés. Dès lors, l’information ne saurait se réduire, pour ce patient en particulier, à la délivrance d’un contenu technique (A.) pas plus que l’on ne peut se satisfaire - à titre de consentement - d’une simple adhésion (B.).
A. Informer pour dialoguer
L’information. Pour le patient âgé, la finalité essentielle du devoir d’information n’est pas tant d’être placé sur un pied d’égalité avec le médecin, pour donner un consentement pleinement éclairé, que de pouvoir s’exprimer et de voir sa volonté prise en considération. Si l’obligation légale d’information du professionnel de santé est très étendue, il est nécessaire de garder à l’esprit le principe de bienfaisance qui s’impose à lui. Il en ressort, comme le montre la philosophe Marta Spranzi [24], que plus que la transparence - qui suppose de fournir toutes les informations - c’est la pertinence - laquelle suppose une sélection des informations utiles - qui doit être recherchée au moment de l’échange avec le patient.
L’écoute. Au demeurant, les gériatres soulignent à quel point, malgré les difficultés de communication avec un patient âgé, ce devoir d’information est primordial pour lui donner la parole. Il en est en effet souvent privé, soit parce qu’il est très entouré et que ses proches parlent à sa place, soit, à l’inverse, parce qu’il est isolé et qu’il a perdu l’habitude de s’exprimer et de faire valoir son point de vue. Il conviendrait pourtant de faire de l’écoute de ce patient un acte de soin reconnu [25], et ce pour être au plus près du respect de ses volontés [26].
Cela est le préalable à la recherche de la volonté.
B. Rechercher la volonté
De même que l’information ne doit pas être réduite à son aspect technique, le consentement ne doit pas être entendu comme la recherche d’une simple adhésion à l’acte médical. La personne âgée - en particulier dépendante - est susceptible de souffrir, si ce n’est de troubles cognitifs permanents, au moins de périodes de confusion post-traumatique (après une chute ou une hospitalisation par exemple). En conséquence, pour elle, il faut s’intéresser à ce que l’on recherche et à la manière dont on le recherche. Un détour par l’approche philosophique - qui distingue autonomie résiduelle, autonomie précédente et autonomie authenticité - peut nous aider à penser cette question. Du reste, cette approche n'est pas totalement inconnue du droit.
Approche philosophique. L’autonomie résiduelle consiste à tenir compte de la moindre expression de volonté présente, y compris pour un patient dont les facultés sont altérées. Celle-ci exprime encore quelque chose. Il faut donc savoir l’écouter et l’interpréter. À côté de celle-ci, la recherche de l’autonomie précédente est envisageable. Même si cette recherche recèle une part de fiction, elle consiste à se fonder sur des souhaits exprimés antérieurement, en lieu et place d’une volonté actuelle rendue impossible. Une autre voie prétend s’appuyer sur le parcours de vie de la personne âgée afin de rechercher ce que les philosophes nomment l’autonomie authenticité. Dans ce cadre, le témoignage des proches joue un rôle important pour faire le récit de cette vie [27].
Approche juridique. Or, le législateur réceptionne ces trois approches. S’agissant de la volonté résiduelle - notion particulièrement importante pour le sujet âgé fragile -, la position du droit s’avère complexe : certes, dans un système de santé qui – encore plus depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA) - repose essentiellement sur la volonté du patient, le législateur tente de garantir une place à la volonté fût-elle altérée, et même pour un majeur protégé - dès lors que l’état de la personne lui permet de décider. Les choses sont toutefois complexes avec l’existence de zones grises, en particulier pour le patient atteint de troubles cognitifs pour lequel on peut se demander si le législateur ne le considère pas comme hors d’état d’exprimer sa volonté. Pour lui précisément d’autres volontés sont recherchées : les volontés précédente et authentique. Le législateur procède depuis 2016 à une hiérarchie claire entre elles deux. Il privilégie - pour un patient hors d’état de s’exprimer et en fin de vie - les directives anticipées qui ont désormais une force contraignante. En leur absence, c’est le témoignage de la personne de confiance, puis, celui des proches qui est sollicité, ce qui fait écho à l’autonomie authenticité. Ainsi le risque, pour le vieux souffrant d’une altération de ses facultés cognitives, est d’être considéré comme hors d’état d’exprimer sa volonté, avec, pour conséquence, une mise à l’écart de sa volonté résiduelle au profit de sa volonté précédente, voire de sa volonté authentique, lesquelles peuvent être différentes de sa volonté actuelle [28]. On pointe ici une difficulté supplémentaire pour le sujet âgé : celle de l’accès à la volonté en matière médicale.
On perçoit bien la complexité de l’accès à la volonté des personnes arrivées au terme de la vie. Il est dès lors logique que le législateur tente - même imparfaitement - d’organiser cet accès. Ce qui semble primordial est cependant de ne jamais passer à côté d’un échange encore possible avec le patient âgé - qui exige temps et écoute - et de ne pas le rendre prisonnier de choix antérieurs et de son passé. Cette complexité est d’ailleurs encore accrue dans des situations de refus de soins conduisant de manière certaine à la mort. La difficulté habituelle du soignant d’admettre un refus de soin qui peut lui sembler déraisonnable sur le plan médical est alors renforcée par celle de prendre en compte une volonté qu’il peut craindre irrationnelle.
Conclusion
Quand on étudie la situation des personnes âgées fragiles sous l’angle de l’accès aux soins, leur sort paraît peu enviable. Pourtant, l’étude offre une occasion de se réjouir, car les pistes d'amélioration évoquées (soins adaptés aux différents âges de la vie, temps d’échange dans le colloque singulier…) sont susceptibles de profiter à tout usager du système de santé. Finalement, en interrogeant l'accès aux soins dans sa double dimension - organisation du système de santé et relation de soin - le patient âgé vulnérable invite à retrouver le sens des principes essentiels qui le fondent. Ainsi les vieux apparaissent comme une chance pour l’ensemble des patients.
[1] Extrait du serment d’Hippocrate, dans sa version révisée en 2012, dans laquelle le terme « affaiblies » a été ajouté.
[2] Aujourd’hui, l’accès aux soins repose sur deux déterminants principaux : la disponibilité de l’offre et son accessibilité financière. Les pouvoirs publics en avaient d’ailleurs pleinement conscience au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, en même temps qu’était consacré dans la Constitution de 1946 le droit à la protection de la santé, était mise en place la Sécurité sociale, avec sa branche assurance maladie. Ces dispositifs n’ont toutefois pas permis de résoudre les inégalités en fonction des ressources des personnes, notamment en raison des restes à charge, qu’ils soient dus aux franchises médicales, aux tickets modérateurs ou à l’essor du secteur 2, autant d’éléments conduisant à accroître l’importance de la part relevant de l’assurance santé privée. Si ce dernier aspect est au cœur de l’actualité de la dépendance, il fera l’objet d’une autre contribution (J.-P. Tricoit, Le cinquième risque dépendance, in ce colloque N° Lexbase : N8138BY3), la présente (dont la forme orale a été conservée) se limitant, pour sa part, s’agissant de l’aspect collectif de l’accès aux soins, au volet tenant à la disponibilité de l’offre.
[3] Les établissements publics et privés accueillent près de 750 000 personnes âgées dépendantes sur le territoire national (note du Conseil scientifique du 30 mars 2020, Les Ehpad, une réponse urgente, efficace et humaine, spéc. p. 2).
[4] L’article R. 3224-5, III, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3377LG8) précise ainsi que le projet territorial de santé mentale doit répondre aux problématiques des populations à risques spécifiques que sont les personnes âgées notamment. Quant à l’article L. 1112-4 de ce même code (N° Lexbase : L6806IG8), il dispose que les établissements de santé et médico sociaux doivent mettre en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent et à assurer les soins palliatifs exigés par leur état, le dernier alinéa du texte prenant soin d’insister sur le fait que « les obligations prévues pour [c]es établissements […] s’appliquent notamment lorsqu’ils accueillent des mineurs, des majeurs protégés par la loi ou des personnes âgées ».
[5] Pour y veiller, l’article L. 311-5 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L4912LWT) prévoit la désignation d’une personne qualifiée susceptible d’aider le résident à faire valoir ses droits.
[6] Elle constitue certainement aussi la trace d’une prise de conscience des besoins possiblement spécifiques de cette population, v. infra.
[7] SIAARTI, Recommandations du 6 mars 2020 d’éthique clinique pour l’admission aux traitements intensifs et leur suspension dans des conditions exceptionnelles d’équilibres entre les exigences et les ressources disponibles ; Académie suisse des sciences médicales, Société suisse de médecine intensive, Pandémie Covid-19 : Triage des traitements de soins intensifs en cas de pénurie des ressources, 24 mars 2020.
[8] V. C. Bourdaire-Mignot, T. Gründler, L’âge comme critère d’exclusion de l’accès aux soins ?
Les pleins et les déliés des recommandations éthiques au temps du Covid, Retraite et société, Inclusion ou exclusion des personnes âgées ? Les dynamiques à l’œuvre en droit et dans d’autres disciplines, à paraître.
[9] V. en ce sens le rapport « Libault », Concertation grand âge et autonomie, mars 2019, spéc. p. 40.
[10] Selon le rapport d’information du Sénat, n° 341, EHPAD : quels remèdes ?, 7 mars 2018, spéc. p. 36, le personnel médical ne constitue que 2 % du personnel qui s’occupe des résidents. Et un rapport plus récent, revenant sur la crise Covid souligne la nécessité de renforcer la médicalisation des EHPAD (Rapport final, Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques, mars 2021, spéc. proposition 28, p. 163).
[11] Les pouvoirs de prescription du médecin coordonnateur, initialement limités aux cas d’urgence, risques vitaux et risques exceptionnels et collectifs, ont été légèrement étendus en 2019 à toute prescription médicamenteuse lorsque le médecin traitant n’est pas en mesure d’assurer une consultation dans l’établissement, conseil téléphonique ou téléprescription (v. CASF, art. D. 312-158 N° Lexbase : L0086LRM issu du décret n° 2019-714 du 5 juillet 2019, portant réforme du métier de médecin coordonnateur en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes N° Lexbase : Z301858P, art. 2).
[12] Le rapport de la Mission indépendante nationale, remis en mars 2021, et revenant sur la gestion de la crise a d’ailleurs évoqué le « rôle quasi-exclusif et partiellement fictif du médecin traitant » au sein des EHPAD et appelé à la clarification du rôle du médecin coordonnateur ainsi qu‘au renforcement de ses effectifs (Rapport final de la Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques, mars 2021, proposition 27, p. 163).
[13] V. sur ce point C. Manaouil, Réflexions sur le tri des patients en période de crise sanitaire, Dalloz Actualités, 30 avril 2020.
[14] Il convient toutefois de ne pas s’arrêter au seul accès à l’établissement hospitalier, mais de se soucier de l’accès effectif aux soins. Il y aurait en effet peu d’intérêt à conduire aux urgences un résident qui, faute de prise en charge, viendrait à mourir dans un couloir.
[15] Rapport « Libault », Concertation grand âge et autonomie, op. cit..
[16] La tarification à l’acte est un mode de financement des établissements de santé, issu du plan hôpital 2007. Cette réforme a consisté à substituer à la dotation globale des établissements une dotation déterminée exclusivement par les actes facturables effectivement réalisés. Ceci conduit à valoriser les actes techniques qui ne sont pas ceux dont le patient âgé a le plus besoin.
[17] CCNE, Contribution à la révision de la loi de bioéthique, avis n° 129, septembre 2018, spéc. p. 102 et s..
[18] Au préalable, seul le diplôme d'études spécialisées complémentaires existait. Cette récente spécialité est toutefois encore peu attractive (en ce sens, v. le rapport « Libault » (op. cit.) selon lequel « seuls 129 des 379 postes de praticiens hospitaliers mis au concours en gériatrie en 2017 ont été pourvus », p. 40).
[19] D. Dreuil et D. Boury, Fragilité gériatrique. Enjeux épistémologiques, cliniques et éthiques, in M.-J. Thiel (dir.), L’automne de la vie. Enjeux éthiques du vieillissement, Strasbourg, France, Presses universitaires de Strasbourg, coll. Chemins de l’éthique, p. 40.
[20] Parmi les textes publiés lors de la première vague de la crise Covid, on peut relever les recommandations suivantes : Haut Conseil de la Santé Publique, Avis provisoire du 14 mars 2020 ; Haut Conseil de la santé publique, Avis relatif à la prévention et à la prise en charge des patients à risque de formes graves de Covid-19 ainsi qu’à la priorisation des tests diagnostiques », 31 mars 2020, 25 p ; ministère des Solidarités et de la Santé, Guide méthodologique de préparation à phase épidémique, 16 mars 2020, p. 54 ; le communiqué du publié le 6 avril 2020. ministère des Solidarités et de la Santé, Consignes et recommandations concernant l’appui des établissements de santé aux établissements hébergeant les personnes âgées dépendantes, 31 mars 2021, p. 9 ; ministère des Solidarités et de la Santé, fiche ARS, Stratégie de prise en charge des personnes âgées en établissements et à domicile dans le cadre de la gestion de l’épidémie de Covid-19, 30 mars 2020, p. 9 ; ministère des Solidarités et de la Santé, ARS, Lignes directrices pour la prise en charge en ville des patients symptomatiques en phase épidémique de Covid-19, 20 mars 2020, p. 56 ; Conseil scientifique, Les EHPAD. Une réponse urgente, efficace et humaine, 30 mars 2020, p. 6 ; Conseil national de l’ordre des médecins, Décisions médicales dans un contexte de crise sanitaire et d'exception, communiqué publié le 6 avril 2020, p. 4 ; ARS Ile de France, Décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19, 19 mars 2020, p. 8 ; ministère des Solidarités et de la Santé, DGCS Covid-19, Employeurs et directeurs d’établissements ou services accueillant des personnes âgées ou handicapées. Informations sur la conduite à tenir envers les professionnels et publics (familles et personnes accueillies) en phase épidémique de coronavirus Covid-19, 20 mars 2020, p. 9 ; résumé RPMO Éthique réanimation Covid-19, 16 mars 2020, p. 4 ; recommandation professionnelle multidisciplinaire opérationnelle (RPMO), Aspects éthiques et stratégiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins critiques (SC) en contexte de pandémie Covid-19, Pistes d’orientation provisoires, 24 mars 2020.
[21] Fiche ARS, 30 mars 2020, p. 6. Le rapport final de la Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques relève une forme d’autocensure des EHPAD et de non-recours à la filière hospitalière (rapport précité, mars 2021, p. 99).
[22] Arrêté du 1er avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020, prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire (N° Lexbase : L6237LWW).
[23] En juillet 2021, l’effectivité du droit de visite n’était toujours pas garantie. V. Covid-19. Les Ehpad veulent « revivre la vie d’avant », Ouest France, 2 juillet 2021.
[24] M. Spranzi, Décision partagée et information : de la transparence à la pertinence, Décisions médicales en fin de vie et information au patient et aux proches, APHP, 8 avril 2019, Hôpital Georges Pompidou, Paris.
[25] Comme l'a relevé le rapport « Libault » (précité) « Écouter pour entendre, dialoguer avec la personne présentant des troubles cognitifs en particulier, n’est actuellement pas reconnu comme un acte alors qu’écouter est un acte soignant majeur » (p. 167). L’écoute fait partie des obligations déontologiques du médecin, qui doit, au terme de l’article R. 4127-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8701GTG), y consacrer du temps, pour tout patient sans distinction.
[26] L’information est l’occasion d’un échange. Elle doit toujours être adaptée au patient. Sur un point précis le Code de la santé publique (CSP, art. R. 5121-149 N° Lexbase : L0057I4U) a par exemple prévu que l’information figurant dans les notices de médicaments tienne compte « de la situation particulière des […] personnes âgées » en raison du risque accru, chez ces patients, d’interactions médicamenteuses.
[27] M. Spranzi, Respect de l’autonomie et liberté : quelle place pour la « liberté d’indifférence », Eric Favereau et V. Fourner (coord.), Le principe d’autonomie en éthique clinique dix ans plus tard, Centre d’éthique clinique, 2016, p. 23.
[28] C. Bourdaire-Mignot, C. Etchegaray, T. Gründler, O. Lesieur, Accéder à la volonté des personnes âgées en fin de vie. Regards croisés sur les directives anticipées, Journal de médecine légale, 2021, n° 1, vol. 64, p. 65-76.
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par Célia Blondel, Doctorante en droit privé à l'Université de Lille, l’EREDS/CRDP et Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille, l’EREDS/CRDP
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
L’expression de la volonté d'une personne intégrant en raison de son état de santé ou de sa dépendance le secteur sanitaire ou médico-social, tel un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics.
Le créateur de la norme, depuis la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé [1], dite loi « Kouchner », jusqu'à la loi du 2 février 2016 [2], dite « Claeys Leonetti », tend à protéger le patient en lui permettant de faire connaître sa volonté voire même de tenter de l’imposer, même s'il n'est plus en mesure de l'exprimer.
À cette fin, différents outils ont été créés pour permettre à un individu de faire connaître sa volonté dans le cas où il n’en serait plus en mesure de la formuler : les directives anticipées et la personne de confiance. Ces outils sont les porteurs « potentiels » [3] de la volonté de la personne.
La loi dite « Kouchner » a introduit la possibilité de désigner une personne de confiance. Son rôle a été renforcé par la loi du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie dite « Leonetti » [4] ainsi que par la loi du 2 février 2016. Depuis cette dernière mouture, la personne de confiance « rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage » [5].
Parallèlement la loi de 2005 a créé le mécanisme des « directives anticipées » dont le régime juridique a été modifié par la loi de 2016. À l'origine, leur durée était limitée à trois ans. Leur valeur juridique n'était pas précisée mais il résultait de l'analyse des textes, en particulier de l'article R. 4127-37 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6349K9Z), qu'elles étaient prises en compte dans le processus décisionnel d'une décision de limitation ou d'un arrêt de traitement, tout comme d'ailleurs l'avis de la personne de confiance. Elles n'avaient pour autant pas de poids prépondérant par rapport à l'ensemble des éléments médicaux ou non médicaux. La loi de 2016 leur a ôté toute limitation de durée et les a rendues opposables en principe aux médecins sous réserve de trois exceptions : « en cas d’urgence vitale », « si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » [6]. Elles ont peu de succès : en mai 2019, seuls 13 % des Français en avaient rédigées [7]. Ce faible taux peut s'expliquer parce que certaines personnes peuvent ne pas avoir connaissance de leur existence mais aussi parce que d'autres, à l'inverse, peuvent souhaiter ne pas en rédiger et figer ainsi leur volonté à un instant T, préférant laisser la décision aux mains des médecins et/ou confier leur volonté à leurs proches dont la personne de confiance. Elles sont également peu utilisées chez la population âgée entrant en EHPAD : soit par choix, soit parce que le résident n'est plus en mesure de faire connaître sa volonté.
L'utilisation des outils, porteurs « potentiels » de la volonté, interpelle parfois, en particulier l'exigence de la rédaction de directives anticipées (DA) pour l'entrée dans certains EHPAD.
Par ailleurs, la crise de la Covid-19, en particulier lors du premier confinement au premier semestre 2020, ayant conduit à la limitation des visites, a pu exclure des proches lors des processus de décision médicale et provoquer l'isolement des personnes âgées. De manière plus générale, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a pu mettre en saillance certains dysfonctionnements, qui préexistaient et ont pu être exacerbées.
Intéressons-nous, tout d'abord, à l'expression de la volonté de la personne au travers de ses directives anticipées (I), avant d'aborder l'expression de cette volonté portée par ses proches (II).
I. L’expression de la volonté au travers de directives anticipées
Le régime juridique des directives anticipées est inséré dans le Code de la santé publique à l'article L. 1111-11 (N° Lexbase : L4870LWB). Les directives anticipées permettent à une personne de faire connaître ses propres choix sur d'éventuelles décisions médicales relatives à sa fin de vie et de facto de ne pas subir des choix qui seraient laissés à l’appréciation d’autres personnes.
Nous allons ainsi nous intéresser, tout d’abord, aux conditions de rédaction des directives anticipées et à leur contenu puis, ensuite, nous questionner sur leur utilisation dans certains EHPAD.
A. Rédaction et contenu
1) Rédaction
Les directives anticipées peuvent être rédigées par toute personne majeure [8]. Elles sont désormais valables sans limite de temps tout en étant révisables ou révocables à tout moment [9]. Leur rédaction n'est pas conditionnée à une affection.
Il n’est pas chose aisée, et peut être effrayant, de formuler dans des directives anticipées ce que l’on souhaite ou non pour sa fin de vie notamment lorsque l’on est en bonne santé. Cette réflexion étant néanmoins importante, pour faciliter la rédaction des directives anticipées, la Haute Autorité de Santé (HAS), en application de la loi, a donc créé deux modèles de formulaire, selon que la personne « se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle les rédige. » [10] Le formalisme est néanmoins ouvert, leur rédaction peut être faite sur papier libre que la personne doit dater et signer [11] [12].
Une fois les directives anticipées rédigées, il est important que la personne les fasse connaître auprès de son entourage (personne de confiance, famille, proches, médecin traitant) pour qu'elles puissent être utilisées le moment venu. Il faut qu'elle leur précise leur lieu de conservation pour qu'elles soient facilement accessibles [13] voire qu'elle les lui confient [14].
La personne peut également les déposer dans son dossier médical partagé [15] [16], dans le dossier médical de l'établissement [17]. Des copies peuvent également être faites pour pouvoir les donner à plusieurs personnes [18].
2) Contenu
Leur contenu est à l’heure actuelle généralement peu connu ou mal compris par beaucoup de Français. D’ailleurs, seulement 13 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé des directives anticipées [19]. « La rédaction des directives anticipées est plus souvent le cas des personnes de plus de 75 ans ou plus (21 % contre 17 % en 2018) » [20]. Bon nombre de personnes interrogées répondent que les directives anticipées doivent contenir ce que l’on ne veut pas pour sa fin de vie. Or cette connaissance est réductrice, elle est partielle de leur contenu potentiel.
L'article L. 1111-11 précise que les directives anticipées « expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitements ou d’actes médicaux » [21]. C'est le Sénat qui a insisté pour que soit insérée aux côtés de la limitation, de l’arrêt ou du refus, la volonté de poursuivre les traitements [22]. Les directives anticipées « ne sont donc pas limitées à une hostilité à l’égard des traitements ; leur champ d’application est plus étendu » [23].
Par ailleurs, la HAS élargit leur champ matériel lorsqu’elle précise qu'une liberté est donnée à la personne qui rédige ses directives anticipées puisque celle-ci peut également décider d’évoquer ses valeurs, ses convictions, ses préférences et ses attentes [24].
B. Du droit de rédiger des directives anticipées à l'obligation « institutionnelle » le faire ?
Les directives anticipées constituent un dispositif en faveur de la personne. Leur rédaction est un droit lui permettant d’exprimer sa volonté et de la faire respecter.
Cependant, il a pu être remarqué des retours inquiétants sur la temporalité de leur rédaction qui ne sont pas conformes à l'esprit de la loi. En effet, en pratique on passe parfois du droit de les rédiger au devoir de le faire. La liberté de les rédiger devient de fait une obligation « institutionnelle », soit à l'entrée dans l'institution, soit au début du séjour.
Ces remontées de terrain ont pu être révélées, notamment par le biais de rencontres avec des soignants travaillant en EHPAD dans le Pas-de-Calais (ainsi qu’à Lille). Ces pratiques ont été également relevées par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) lors d’ateliers sur la fin de vie. Le Centre national met en lumière que le dispositif des directives anticipées est présenté dans 75 % des cas de façon systématique aux résidents d’un EHPAD [25].
« Dans de nombreuses soirées, comme à Marseille par exemple, des participants se sont inquiétés de possibles dérives du dispositif : ils ont témoigné que certains EHPAD imposaient comme condition d’accueil chez eux qu’un formulaire dit de ‘’directives anticipées’’ soit rempli, y compris par les familles lorsque la personne âgée présente des troubles cognitifs trop importants pour le remplir elle-même. Il semble que ce soit un usage qui devienne assez répandu. À Villeneuve-sur-Lot, une infirmière dans la salle a elle aussi alerté sur ce procédé, arguant que la personne âgée a déjà à faire le deuil de son autonomie et de son domicile et que cela peut être extrêmement violent pour elle qu’on lui demande en même temps "de remplir le welcome package des directives anticipées et pourquoi pas des pompes funèbres ! Le temps est un élément important, il ne faut pas que tout cela devienne automatique et banalisé’’ », a-t-elle poursuivi [26].
Il a été porté à notre connaissance, notamment dans le cadre d’ateliers sur la fin de vie lors de la Première journée régionale CSPHF (Coordination Soins Palliatifs Hauts-de-France) (14 novembre 2019) [27], que dans certains EHPAD, lors de l’entrée d’un nouveau résident, un soignant est « désigné » pour accompagner cette personne dans la rédaction de ses directives anticipées, parfois même dans un temps défini.
Ainsi, la liberté donnée aux individus devient, dans certains EHPAD, une condition d’entrée voire de maintien dans l’établissement et l’outil que sont les directives anticipées est détourné de sa genèse. Ce choix et cette réflexion qui doivent être de prime abord personnels sont alors imposés et encadrés par une personne tierce qui ne devrait normalement pas intervenir dans cette rédaction.
Quid de la finalité de cette obligation « institutionnelle » ? Serait-ce pour une pure question de responsabilité lors d'une décision médicale ? Les directives anticipées ne doivent en aucun cas être rédigées pour protéger l’institution. Par ailleurs, cette obligation qui s’est institutionnalisée a un impact sur les soignants. Les uns se trouvant dans un conflit éthique face à leur hiérarchie et les autres, considérant cette pratique à force d’être mise en œuvre comme « normale » et donc banale.
Par ailleurs, on s’interroge. Une personne entrant dans une telle institution, et à qui l’on imposerait de rédiger des directives anticipées, est-elle encore en capacité de le faire en raison de son âge avancé et de la « fréquence des troubles cognitifs dans cette population » [28] ? Le Centre relève que « Beaucoup de résidents ont de tels troubles cognitifs qu’il leur est impossible d’écrire des directives anticipées. Seulement 5 % des résidents en rédigent » [29]. En effet, au moment où la demande est faite au résident de les rédiger très souvent sa parole est déjà « éparpillée » [30]. La possibilité légale de rédiger des directives anticipées lorsque la personne est sous tutelle [31] à cet égard interpelle également.
Quid de la pertinence de directives anticipées rédigées par le patient dans ces conditions ?
Au-delà des directives anticipées, notamment lorsqu'elles n'ont pas été rédigées, l’expression de la volonté d’un individu va également pouvoir être connue au travers de ses proches.
II. L’expression de la volonté au travers des proches
L'expression de la personne résidant en EHPAD peut être exprimée également par ses proches.
A. Désignation et rôle de la personne de confiance
Les textes distinguent deux types de personnes de confiance. L'une insérée dans le Code de la santé publique, l'autre dans le Code de l’action sociale et des familles.
1) Personne de confiance et Code de la santé publique
Tout d’abord, la personne de confiance est définie à l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4868LW9). Elle a un rôle dans le champ sanitaire en raison de son positionnement dans ce code particulier.
a. Désignation
Elle peut être désignée par toute personne majeure et « peut être un parent, un proche ou le médecin traitant » [32]. La liberté de choix est totale. Il n’est d’ailleurs pas précisé si elle doit être majeure.
Cette désignation doit impérativement se faire par le biais d’un écrit : soit sur papier libre, soit en utilisant un formulaire mis à la disposition de la HAS. Il doit être daté, signé et être cosigné par la personne désignée [33]. L'accord de cette dernière est donc indispensable, ce rôle ne doit pas être accepté avec légèreté [34]. Le formalisme permet une prise de conscience. La personne choisie peut refuser de l’endosser. Cette désignation est révisable et révocable à tout moment [35]. La temporalité de la désignation est laissée au choix de la personne et elle n’implique pas qu’elle soit malade.
Le résident en EHPAD peut avoir désigné la personne de confiance avant son entrée en EHPAD.
La loi prévoit que « lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé… il est proposé au patient » d’en désigner une. Cette désignation étant « valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le patient en dispose autrement » [36]. Auquel cas, la désignation n’a donc pas de durée.
b. Missions
Hormis témoigner de l’expression de la volonté de la personne, le Code de la santé publique prévoit également que « si le patient le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions » [37], c’est-à-dire ses décisions médicales. Tout comme pour les directives anticipées, il est important d’informer sa famille, ses proches de cette désignation et du lieu où est gardé le document. Il est également utile que les professionnels soient au courant de celle-ci. Il est ainsi recommandé d’intégrer ce document dans le dossier médical de son médecin traitant. Le rôle de la personne de confiance est pluriel, variant selon que la personne qui l’a désignée peut encore exprimer sa volonté ou non.
Lorsque le résident de l’EHPAD n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté, la HAS ajoute, en dehors de toute référence légale ou réglementaire, que la personne de confiance a une « mission de référent auprès de l’équipe médicale » [38]. Ce terme de « référent » est toutefois vague et son sens n’est pas explicité.
La loi du 2 février 2016, inspirée par la jurisprudence « Vincent Lambert », a pointé les difficultés en cas de conflit familial et institué, en l'absence de directives anticipées, une hiérarchie dans les personnes consultées aux fins de connaître la volonté du patient : « la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches » [39].
La personne de confiance, si elle est désignée, devient le « porte-parole » [40] de la personne. Elle n'exprime pas ses souhaits mais ceux de la personne qui l'a désignée. Elle témoigne seulement ; elle n'a pas de rôle décisionnel.
Lors d’une entrée en EHPAD, le Code de l'action sociale et des familles prévoit également la désignation d’une personne de confiance dont les missions paraissent en partie différentes de celles prévues dans le Code de la santé publique.
2) Personne de confiance et Code de l’action sociale et des familles
L’article 27 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement [41] semble créer une seconde catégorie de personne de confiance.
En effet, l’alinéa premier de l’article L. 311-5-1 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L0224KW9) dispose que « Lors de toute prise en charge dans un établissement ou un service social ou médico-social, il est proposé à la personne majeure de désigner, si elle ne l’a pas déjà fait, une personne de confiance dans les conditions définies au premier alinéa de l'article L.1111-6 du Code de la santé publique » [42] (première phrase).
Cette temporalité d’entrée dans un EHPAD peut être plus opportune pour désigner une personne de confiance [43], qui ne doit cependant pas être conditionnée à cette rédaction.
Il semble résulter de la lettre de cette première phrase que c’est la même personne de confiance que celle prévue dans le Code de la santé publique. Pour autant, la seconde phrase de l’alinéa premier met un doute. Elle énonce que « Lors de cette désignation, la personne accueillie peut indiquer expressément, dans le respect des conditions prévues au même article L. 1111-6 (N° Lexbase : L4868LW9), que cette personne de confiance exerce également les missions de la personne de confiance mentionnée audit article L. 1111-6, selon les modalités précisées par le même code » (3ème phrase de l’alinéa 1er).
Il résulte de l’interprétation de l’alinéa premier que même si la personne de confiance désignée lors de l’entrée en EHPAD l’est dans les mêmes conditions que celles prévues dans le Code de la santé publique, ses missions peuvent différer de celles prévues par le texte du Code de la santé publique.
Les alinéas 2 et 3 envisagent deux types de missions : tout d’abord, « la personne de confiance est consultée au cas où la personne intéressée rencontre des difficultés dans la connaissance et la compréhension de ses droits » (alinéa 2). Ensuite, « si la personne le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions » (alinéa 3).
Il semble que la seconde mission est d’ordre médical et doit être couplée avec la troisième phrase de l’alinéa 1er, la personne de confiance ayant alors les mêmes missions que dans le Code de la santé publique. La première mission paraît par opposition ne pas avoir de rapport avec le champ sanitaire. Le tout manque indéniablement de clarté. On s’interroge. S’il y a deux catégories de personnes de confiance, ne doit-il pas y avoir deux formulaires ? Le résident pourrait avoir deux personnes de confiance, l’une gérant les droits et libertés du quotidien, la seconde, le côté sanitaire.
Ce flou juridique pose question, plus particulièrement en pleine crise sanitaire où certains résidents ne peuvent pas être transférés aux urgences. Un éclaircissement de la part du législateur semble ici nécessaire.
Le rôle de la personne de confiance a été évoqué pour le consentement à la vaccination contre la Covid-19 [44] en EHPAD. Le CCNE a rappelé que si la personne n’est pas en mesure de s’exprimer alors le choix sanitaire serait opéré « au terme d’un processus délibératif à partir de l’avis exprimé par la personne de confiance » [45]. Il est important ici de souligner la grande ambiguïté de l'utilisation de la terminologie « avis ». Il n'y a en effet pas de synonymie entre l'avis de la personne de confiance et le témoignage de l’expression de la volonté du patient.
Lors de la crise sanitaire et, en particulier, du premier confinement, l'accès aux EHPAD n'était plus libre à la suite de la mise en place des mesures de sécurités sanitaires, que ce soit pour la personne de confiance, la famille ou les proches du résident. Comment, alors, la personne de confiance a-t-elle pu continuer à assister le résident, à être son porte-parole du point de vue sanitaire ou d’un point de vue non sanitaire ? Comment, de manière générale, a-t-elle pu tout simplement continuer à jouer son rôle ?
B. L’expression de la volonté au travers de la famille et des proches
Lorsqu’une personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté et qu'elle n’a pas rédigé de directives anticipées ni désigné une personne de confiance, l’équipe soignante cherchera à connaître quelle aurait été sa volonté auprès de sa famille et de ses proches. Il n’y a dans ce cas aucune hiérarchie légale entre la famille et les proches du résident, leur parole ayant alors un poids identique.
Avec la Covid-19, la même problématique que pour la personne de confiance a été mise en relief. Les proches des résidents n’ayant plus la même liberté pour aller les voir. Avec les restrictions d’accès, les familles étaient ainsi parfois totalement exclues de la vie des résidents. Elles ont eu la sensation que leur rôle était remis en question. Cela a notamment débuté avec le confinement général au début de la crise sanitaire en particulier par l’interdiction de visites dans les EHPAD justifiée, « par la nécessité de protéger les anciens » [46]. « Les mesures drastiques prises à l’égard des personnes âgées dans les établissements médico-sociaux ont conduit à un véritable enfermement et isolement qui traduit un traitement indigne de ces personnes » [47].
*****
La crise sanitaire actuelle a mis en relief que les « outils » d'expression de la volonté de la personne résident en EHPAD ont pu être utilisés d'une manière parfois peu satisfaisante tant sur le plan juridique qu'éthique. Parallèlement, hors crise sanitaire, il semble nécessaire que les praticiens soient vigilants pour que l'exercice de ces outils demeurent un droit et ne transforme pas, de fait, en devoir.
[1] Loi n° 2002-303, du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA).
[2] Loi n° 2016-87, du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (N° Lexbase : L4191KYU).
[3] B. Legros, Euthanasie, arrêt de traitement, soins palliatifs et sédation. L'encadrement par le droit de la prise en charge médicale de la fin de vie, LEH, 2011, p. 160.
[4] Loi n° 2005-370, du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie (N° Lexbase : L2540G8L).
[5] CSP, art. L. 1111-6, al. 1er (N° Lexbase : L4868LW9).
[6] CSP, art. R. 4127-37-1 (N° Lexbase : L6270K94).
[7] CNSPFV, Les directives anticipées en mai 2019 : situation générale et dans les EHPAD en particulier, 10 mai 2019, p. 12.
[8] CSP, art. L. 1111-11 (N° Lexbase : L4870LWB).
[9] Ibid..
[10] CSP, art. L. 1111-11.
[11] HAS, Les directives anticipées concernant les situations de fin de vie, Guide pour le grand public, octobre 2016, p. 5.
[12] « lorsque l'auteur de ces directives, bien qu'en état d'exprimer sa volonté, est dans l'impossibilité d'écrire et de signer lui-même le document, il peut demander à deux témoins, dont la personne de confiance lorsqu'elle est désignée en application de l’article L. 1111-6, d'attester que le document qu'il n'a pu rédiger lui-même est l'expression de sa volonté libre et éclairée. Ces témoins indiquent leur nom et qualité et leur attestation est jointe aux directives anticipées. » : CSP, art. R. 1111-17 (N° Lexbase : L7264L4S).
[13] HAS, op. cit., p. 7.
[14] HAS, op. cit., p. 7.
[15] CSP, art. R. 1111-30 (N° Lexbase : L1812LRK).
[16] HAS, op. cit., p. 7.
[17] Ibid..
[18] Ibid..
[19] CNSPFV, op. cit., p. 4.
[20] Ibid..
[21] CSP, art. L. 1111-11.
[22] B. Legros, La réforme du régime juridique des directives anticipées en droit français, RGDM, n° 58, mars 2016, p. 204.
[23] Ibid..
[24] HAS, op. cit., p. 5.
[25] CNSPFV, op. cit., p. 20.
[26] CNSPFV, Dossier de presse, EHPAD : Les directives anticipées, partage d’expériences, 20 mai 2019, p. 4.
[27] Première journée régionale CSPHF, Les soins palliatifs… vers le futur, organisé à Lille Grand Palais le jeudi 14 novembre 2019.
[28] Fin de vie Soins palliatifs Centre National, Un an de politique active en faveur des directives anticipées, Les cahiers du CNSPFV, janvier 2018, p. 20.
[29] CNSPFV, Dossier de presse, op. cit., p. 4.
[30] Fin de vie Soins palliatifs Centre National, op. cit., p. 20.
[31] Avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille. « Le tuteur ne peut ni l'assister ni la représenter à cette occasion » (CSP, art. L. 1111-11, fine).
[32] CSP, art. L. 1111-6 (N° Lexbase : L4868LW9).
[33] CSP, art. L. 1111-6.
[34] L’écrit doit également préciser les coordonnées de la personne désignée : HAS, La personne de confiance, avril 2016, p. 3.
[35] CSP, art. L. 1111-6.
[36] CSP, art. L. 1111-6, al. 3.
[37] CSP, art. L. 1111-6.
[38] HAS, op. cit., p. 1.
[39] CSP, art. R. 4127-37-1, III (N° Lexbase : L6270K94).
[40] HAS, op. cit., p. 1.
[41] Loi n° 2015-1776, du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement (N° Lexbase : L0847KWB).
[42] CASF, art. L. 311-5-1 (N° Lexbase : L0224KW9).
[43] HAS, op. cit., p. 3.
[44] CCNE, Enjeux éthiques d’une politique vaccinale contre le SARS-COV-2, 18 décembre 2020, p. 7.
[45] Ibid..
[46] C. Bourdaire-Mignot, T. Gründler, Covid-19 ou la malédiction d’être vieux, RGDM, n° 77, décembre 2020, p. 268.
[47] Ibid, p. 270.
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par Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de droit privé à l’Université de Brest, Responsable de l’axe « Vulnérabilité » du Lab-LEX (EA 7480)
Le 22 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
L’intitulé de cette étude nous porte, dans ce colloque consacré au vieillissement à l’épreuve des choix, à nous arrêter sur trois mots ou locutions : la volonté, la protection juridique et le temps des choix.
La volonté, en premier lieu, émane d’une personne physique. En droit, la personne ou sujet de droit est volonté ; elle est alors la destinataire de règles de droit qui, selon les textes, la traite en obligée ou en sujet de prérogative. La volonté de la personne est manifestée en vue de produire des effets de droit : elle se coule dans un acte juridique, parfois unilatéral, plus souvent bilatéral, ce qui suppose alors un échange de consentements. Ainsi déclarée, la volonté est orientée vers l’action ou l’abstention. La volonté est une énergie que le droit canalise et reçoit : la volonté en tension est l’intention sans laquelle de nombreux rouages juridiques ne pourraient fonctionner. Pour vouloir sur la scène juridique, il faut être conscient, lucide, être animé d’une intention qui épouse une voie de droit et apte à s'exprimer. « L’accroissement constant de la durée de la vie humaine et l’augmentation des maladies du grand âge » [1] mettent à l’épreuve la volonté de la personne de grand âge avec le souci renouvelé du législateur de préserver la dignité humaine. À cette fin, l’entrée en EHPAD est désormais soumise à la conclusion d’un contrat d’accueil, ce qui suppose chez la personne très âgée, plus ou moins fragilisée, une aptitude à vouloir. Pour valoriser la personne, fût-elle âgée et dépendante, la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, relative à l'adaptation de la société au vieillissement (N° Lexbase : L0847KWB) a introduit des mécanismes du droit de la consommation dans le Code de l’action sociale et des familles : délai de réflexion, droit de rétractation [2]. Elle a aussi avancé le moment de la désignation acceptée de la personne de confiance dans le but d’accompagner l’intéressé dans ce processus contractuel angoissant. La volonté du sujet de droit n’est pas toute puissance ; elle se brise sur les remparts de l’ordre public dont le versant sanitaire a produit, en période de pandémie, des effets liberticides [3].
La protection juridique, en deuxième lieu, désigne l’action d’aider, d’assister, de défendre, de secourir, de prémunir, de sauvegarder. Protéger : le verbe exprime une force qui soutient, un écran qui s’élève face au danger. La protection juridique est polymorphe et ambivalente. Protéger, ce n'est plus infantiliser ; c’est plutôt reconnaître la faiblesse, traiter la fragilité, composer avec la vulnérabilité par l’assistance ou la représentation, et sauvegarder l'autonomie par l’information et le soutien à la décision. Par son domaine, la vulnérabilité [4] des personnes physiques déborde largement les sujets des mesures de protection juridique des majeurs, régies par le titre XI du Livre I du Code civil.
Le temps des choix, en dernier lieu, nous invite à croiser la volonté et la protection juridique. La personne de grand âge, même vulnérable et affaiblie, reste une personne, un centre de volonté. Peut-elle décider, faire des choix, adhérer ou, à l’inverse, rejeter, exclure ? La question se déplace alors de l’objet du vouloir vers sa mise en œuvre. La personne de grand âge décide-t-elle seule ? N’est-elle pas privée de prendre certaines décisions ? Le moins possible dira-t-on, telle est la philosophie de la protection juridique des majeurs exprimée à l’article 415 du Code civil (N° Lexbase : L8397HWW). Aussi étudiera-t-on les marges de manœuvre de la volonté, d’abord tendue vers la protection juridique (I), puis manifestée au cours d’une mesure de protection (II).
I. La volonté tendue vers la protection juridique des majeurs
La réforme du droit des majeurs protégés a placé le majeur protégé au cœur du dispositif. La qualité d’usager d’un service public le réclamait [5]. La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH) a offert à la personne à protéger la faculté d’anticiper sur son besoin de protection juridique à venir aux fins de l’organiser. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même ! La volonté peut ainsi s’exprimer sur de nombreux plans. Sitôt la variété des instruments passée en revue (A), l’analyse éprouvera le degré d’un questionnement éthique et efficace (B).
A. La variété des instruments
La variété des instruments est une réalité qui s’est installée dans le paysage juridique français. Excluons la personne de confiance [6] et les directives anticipées [7] qui sont des institutions ciblées sur la protection de la personne [8]. Or, la protection juridique des personnes est une institution globale qui a vocation à embrasser la protection de la personne et des biens, même si la volonté du sujet ou le juge des tutelles des majeurs peut réduire le champ de la protection [9]. En droit civil, une distinction s’impose entre l’acte unilatéral et le contrat. Ce choix est important. L’acte unilatéral offre une liberté ; même si la volonté demeure encadrée par la loi, elle n’a pas à rechercher le consentement d’un contractant pour accéder et s’imposer sur la scène juridique.
L’acte unilatéral est le format de la désignation anticipée du futur curateur ou du futur tuteur. La loi et le règlement dotent cette manifestation de volonté d’une force obligatoire, pourvu qu’elle soit écrite de la main de l’intéressé dans un document daté et signé [10]. Cette désignation anticipée s’impose au juge, sauf si la personne désignée n’est plus en état ou en situation d’exercer la charge de protection juridique le moment venu dans l'intérêt du majeur protégé [11]. En droit suisse, la formation du mandat d’inaptitude future est segmentée dans le temps : lorsqu’il est lucide, le mandant rédige seul une offre de procuration qui sera acceptée par le mandataire en situation d’agir, selon l’ordre des désignations fixées par le mandant [12]. Ici aussi, l’acte unilatéral doit, pour être efficace et opposable aux tiers, satisfaire à des conditions de forme.
Le contrat peut avoir pour objet la protection juridique. Tel est, en droit français, l’objet du mandat de droit commun offert au mandant depuis 1804 pour pallier l’empêchement causé par la maladie ou l’éloignement et ainsi organiser la continuité de la gestion de ses affaires. À cet effet, le mandant confère à un mandataire le pouvoir de le représenter [13]. En général, ce pouvoir de représentation est limité aux actes d’administration, c’est-à-dire aux actes patrimoniaux d’exploitation du patrimoine qui sont dépourvus de risque anormal [14]. Aussi le mandat doit-il préciser, à titre spécial, chaque acte de disposition que le mandataire peut aussi passer au nom du mandant [15]. Le mandat général est pratiqué par les banques. Le mandat universel, ajoutant au pouvoir général de passer des actes d’administration des pouvoirs spéciaux de conclure des actes de disposition est parfois organisé par les notaires. Par contraste, le mandat de protection future [16] introduit par la loi du 5 mars 2007 est universel. Il couvre les actes d’administration et les actes de disposition. Conclu en la forme notariée, le mandat confère au mandataire un pouvoir de représentation plus large que celui d’un tuteur, l’autorisation du juge des tutelles étant limitée à la conclusion d’un acte à titre gratuit [17], d’un acte de disposition du logement [18] et de modification des comptes bancaires [19]. L’option entre la forme notariée et la forme sous signature privée n’influence pas seulement l’étendue des pouvoirs du mandataire ; elle oriente le choix d’un mandataire contrôleur qui vérifiera la conformité des actes à l’intérêt du mandant et désignera, en cas de besoin, le juge. Il est de bonne pratique que le notaire [20] invite le mandant à désigner un mandataire contrôleur à côté du mandataire exécutif.
B. Le degré du questionnement
La loi du 5 mars 2007 a ouvert à la volonté un horizon lointain, la faculté d’organiser sa propre protection juridique. Le questionnement ne doit pas s’arrêter au choix des personnes. L’intéressé trouvera dans sa famille ou dans l’entourage de ses amis des personnes qu’il peut instituer mandataires à la protection future, futur curateur ou tuteur. La confiance est un absolu qui doit être canalisé. Le rédacteur d’acte doit se former au questionnement ou inviter des professionnels [21] à nourrir la discussion qui guidera les choix du donneur d’ordre. Par ailleurs, l’institution des acteurs de la protection doit comprendre des organes exécutifs et des organes de contrôle. Il faut identifier les sachants et envisager le recours à un comptable, expert-comptable ou avocat fiscaliste pour ne pas exposer à la faute un conjoint bienveillant mais inexpérimenté [22] qui devra, somme toute, rendre compte.
La perspective du vieillissement n'oblige pas seulement à déterminer les acteurs de la protection. Les choix doivent se porter ensuite sur le lieu de vie, l’inventaire des biens personnels qu’on souhaite conserver avec soi, quel que soit son lieu de vie, l’inventaire des biens de famille qu’on souhaite ne pas voir disperser aux quatre vents. C’est ici que le notaire doit savoir articuler un mandat de protection future avec une donation avec réserve d’usufruit, un testament ou une donation-partage. La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités (N° Lexbase : L0807HK4) a introduit des instruments performants : le mandat à effet posthume [23] et les libéralités transgénérationnelles [24]. Pour autant, il faut souvent faire simple pour obtenir l’adhésion de l’intéressé ; il faut aussi l’inviter à se projeter à différentes étapes de sa vie : le temps où elle ne pourra plus vivre à domicile puis le temps où elle ne sera plus. La question des directives anticipées ne s’arrête pas à la sphère médicale ; son domaine naturel est la sphère patrimoniale [25]. Ces directives guideront les protecteurs dans l’exercice de leur mission le jour venu où leurs auteurs auront perdu l’esprit.
II. La volonté au sein de la protection juridique des majeurs
Suivons le curseur du temps et recherchons l’influence de la volonté sur l’ouverture de la mesure (A) et sa prise en considération au cours de la mesure (B).
A. La volonté à l’ouverture de la mesure de la mesure de protection juridique
La loi du 5 mars 2007 a accordé à l’adulte affaibli la faculté de saisir le juge des tutelles pour ouvrir une mesure de protection juridique [26]. Cette innovation est l’une des conséquences de la suppression de la saisine d’office. La personne protégée intègre le cercle des personnes pouvant interjeter des recours et saisir le juge pendant l’exécution des mesures de protection juridique [27]. La loi du 5 mars 2007 a donc offert à la personne à protéger la qualité pour saisir le juge des tutelles d’une demande en protection pour elle-même. Elle seule peut, avec le requérant, interjeter appel d’une décision de mainlevée [28]. L’aptitude à vouloir doit être recherchée par le médecin inscrit, comme la parole du majeur à protéger doit être écoutée par le juge. La loi l’oblige même à prendre en considération « les sentiments » [29] du majeur à protéger ou protégé dans le choix du protecteur.
La volonté n’est pas seulement saisie par ses fruits : des intentions personnelles et patrimoniales ; elle est saisie à ses racines par l’aptitude à discerner un intérêt et à l’exprimer. L’ouverture de la mesure est subordonnée à l’altération des facultés mentales médicalement constatée ; elle l’est aussi à l’altération des facultés corporelles dans le cas seulement où la personne est privée de la faculté de s’exprimer [30]. En revanche, la mesure n’est pas subordonnée à l’adhésion du sujet de la mesure. On a cru, un temps, que le refus de se soumettre à l’examen du médecin inscrit sur la liste du procureur de la République empêchait cet auxiliaire de Justice de donner au requérant la pièce essentielle de la procédure [31]. Puis, grâce à une jurisprudence de résistance [32], la Cour de cassation a assoupli sa position et autorisé le médecin inscrit à rédiger le certificat médical circonstancié à partir de l’avis du médecin traitant ou de pièces médicales que celui-ci lui aurait fournies [33].
B. La volonté au cours de la mesure de protection juridique
L’autonomie laissée à la personne protégée dans la gestion de ses biens varie suivant la nature de la mesure et la gravité de la décision. L’autonomie est plus grande dans un régime d’assistance [34] que dans un régime de représentation [35]. L’autonomie se rétracte sur les actes usuels qui sont assez réduits lorsqu’on réside en EHPAD, lieu de vie et non pas nécessairement lieu de santé. La personne en charge de la mesure doit rechercher l’avis exprimé par la personne ou être fidèle à ses volontés manifestées par le passé qui s’accordent encore avec son intérêt actuel. Mais, dès que la personne n’est plus lucide, son insanité l’empêche, au risque de braver la nullité, de contracter [36] et de tester [37].
L’autonomie laissée à la personne protégée dans le gouvernement de sa personne ne varie qu’en fonction de sa lucidité et de son aptitude à prendre des décisions personnelles. La loi du 5 mars 2007 a déconnecté la mesure et les pouvoirs de la personne en charge de la mesure. Néanmoins, le juge peut anticiper sur l’impossibilité d’exprimer une volonté lucide et accorder au protecteur (curateur, tuteur, personne habilitée dans l’habilitation familiale) un pouvoir d’assistance ou de représentation. L'ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020, relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d'accompagnement social ou médico-social à l'égard des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique (N° Lexbase : L4705LW8) a réécrit les textes du Code de la santé publique pour obliger les professionnels du soin et de l’action sociale à se contenter de la volonté manifestée par la personne protégée lorsque celle-ci est lucide. Seule la personne ayant reçu du juge un pouvoir de représentation, au sens de l’article 459, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L7284LPH), a le pouvoir, en cas de besoin, d’autoriser un acte médical ou une décision personnelle [38]. Même en ce cas, le protecteur doit « tenir compte de l’avis exprimé par la personne protégée ». Où l’on voit que la démarche attendue d’une personne de confiance depuis la réécriture de sa mission par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (N° Lexbase : L4191KYU) influence la déontologie des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Mais la cacophonie provoquée par la campagne de vaccination des résidents d’EHPAD a révélé l’ignorance des professionnels de cette législation humaniste [39] en cherchant à se réfugier derrière l’autorité tutélaire ou familiale alors qu’ils avaient le devoir de reconstituer la volonté du sujet de droit au regard de ses usages et préférences exprimées. La crainte d’exposer leur responsabilité fait trop souvent perdre aux professionnels le sens de l’éthique.
[1] Ph. Malaurie, Le grand âge, Petites affiches, octobre 2008, n° 207, p. 3 ; Défrénois, 2009, art. 38887, p. 220.
[2] CASF, art. L. 311-4-1, II (N° Lexbase : L4863LWZ). Adde, not. M. Rebourg, Admission en établissement et contrat de séjour : un droit perfectible, Gérontologie et société, n° 150, vol. 38/2016, p. 173 à 187.
[3] Sur l’absence de « texte qui aurait servi de base à une restriction nationale de la liberté de circulation des personnes résidant en EHPAD », v. Défendeur des droits, Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD, Rapport 2021, p. 36. Adde, p. 4 : 28 % des résidents bénéficient d’une mesure de protection juridique.
[4] V. not. Th. Revet, D. Noguéro, S. Amrani-Mekki et alii, La vulnérabilité (Journées québécoises 2018), Bruylant, coll. Travaux ass. H. Capitant, t. LXVIII, 2020 ; L. Fin-Langer, G. Raoul-Cormeil et alii, La vulnérabilité (Actes du colloque de Caen, 30 novembre 2018), P. U. Caen, 2020 ; F.-X. Roux-Demare, Approche juridique d’un concept polymorphe, in Les cahiers de la Justice, 2019/4, p. 619.
[5] V. en ce sens : V. Meurville-Bossuat, L’action administrative dans la protection des majeurs vulnérables : renfort de la solidarité nationale ou police des personnes ?, in S. Gakis et al. (dir.), La faiblesse en droit, éd. Mare et Martin, 2020, p. 181.
[6] CSP, art. L. 1111-6 (N° Lexbase : L4868LW9).
[7] CSP, art. L. 1111-11 (N° Lexbase : L4870LWB).
[8] V. not. M. Grosset, Étude sur les directives anticipées et la personne de confiance : le rôle du tiers dans l’expression de la volonté du sujet empêché, D., 2019, chron., p. 1947.
[9] C. civ., art. 425, al. 2 (N° Lexbase : L8407HWB).
[10] CPC, art. 1255 (N° Lexbase : L3976ICA).
[11] C. civ., art. 448, al. 1er (N° Lexbase : L8431HW8).
[12] C. civ. suisse, art. 363. Adde, Cass. civ. 1, 27 janvier 2021, n° 19-15.059, FS-P+I (N° Lexbase : A65034D9) : JCP G, 2021, 350, G. Raoul-Cormeil et A. Gosselin-Gorand.
[13] C. civ., art. 1984 (N° Lexbase : L2207ABD).
[14] Décret n° 2008-1484, du 22 décembre 2008, relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du Code civil (N° Lexbase : L4112ICB), art. 1.
[15] C. civ., art. 1988 (N° Lexbase : L2211ABI) et 1955 (N° Lexbase : L1035ABX).
[16] C. civ., art. 477 (N° Lexbase : L1723KMR) à 494 (N° Lexbase : L8481HWZ). Adde, Ph. Potentier, Le mandat de protection future entre écriture et pratique, Defrénois, 8 mars 2018, p. 22.
[17] C. civ., art. 490, al. 2 (N° Lexbase : L8476HWT).
[18] C. civ., art. 426 (N° Lexbase : L9479I79).
[19] C. civ., art. 427 (N° Lexbase : L9286LPM).
[20] C. civ., art. 486 (N° Lexbase : L7362LPD) et 491 (N° Lexbase : L8477HWU).
[21] Mandataires judiciaires à la protection des majeurs ; professionnels de santé expérimentés (coordonnateurs de soins en EHPAD ; unité mobile de soins palliatifs ; médecins inscrits sur la liste du procureur de la République).
[22] Cass. civ. 1, 17 avril 2019, n° 18-14.250, F-P+B (N° Lexbase : A6065Y9I) : Dr. famille, 2019, 134, note I. Maria ; JCP G, 2019, 593, note G. Raoul-Cormeil ; RTD civ., 2019, p. 555, obs. A.-M. Leroyer.
[23] C. civ., art. 812 (N° Lexbase : L9905HN8) à 814-1 (N° Lexbase : L9928HNZ).
[24] Sur les libéralités graduelles et résiduelles : C. civ., art. 1048 (N° Lexbase : L0208HPE) à 1061 (N° Lexbase : L0221HPU).
[25] Sur la philosophie de l’anticipation et les directives anticipées patrimoniales, v. G. Raoul-Cormeil, Ph. Goubet et D. Vilmain, Dossier expert : anticipation, vulnérabilité et patrimoine, in Solution Notaire Hebdo, n° 13 du 15 avril 2021, p. 15 à 24.
[26] C. civ., art. 430 (N° Lexbase : L8412HWH) et 494-1 (N° Lexbase : L7355LP4).
[27] CPC, art. 1239, al. 2 (N° Lexbase : L3108LWZ).
[28] C. civ., art. 425, al. 1er (N° Lexbase : L8407HWB) et 431 (N° Lexbase : L7285LPI). Adde, CPC, art. 1219.
[29] C. civ., art. 449, al. 3 (N° Lexbase : L1867IEU). Adde, par ex. : CA Douai, 30 janvier 2015, n° 14/03738 (N° Lexbase : A8895NAP) ; Dr. famille, 2015, 60, note I. Maria.
[30] Cass. civ. 1, 24 mai 2018, n° 17-18.859, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5458XPT) ; D., 2018, p. 1371, note N. Peterka ; JCP G, 2018, 826, note D. Noguéro.
[31] Cass. civ. 1, 29 juin 2011, n° 10-21.879, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6473HUB) ; AJ fam., 2011, p. 431, Th. Verheyde ; D., 2011, Pan., p. 2501, obs. J.-M. Plazy.
[32] CA Douai, 11 janvier 2013, n° 12/05941 ; RTD civ., 2013, p. 348, obs. J. Hauser ; AJ fam., 2013, p. 136, obs. G. Raoul-Cormeil ; Dr. famille, 2013, 45, note I. Maria.
[33] Cass. civ. 1, 20 avril 2017, n° 16-17.672, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0470WAN) ; AJ fam., 2017, p. 356, obs. V. Moutourcy et G. Raoul-Cormeil ; D., 2017, p. 1455, note N. Peterka ; JCP G, 2017, 525, note D. Noguéro ; RTD civ., 2017, p. 612, obs. J. Hauser.
[34] C. civ., art. 467, al. 1er (curatelle ; N° Lexbase : L8453HWY) ; C. civ., art. 494-1 (habilitation familiale par assistance ; N° Lexbase : L7355LP4).
[35] C. civ., art. 473 (tutelle ; N° Lexbase : L8459HW9) ; C. civ., art. 494-1 (habilitation familiale par représentation ; N° Lexbase : L7355LP4). Adde, C. civ., art. 472 (curatelle renforcée, où la représentation est de mise pour percevoir les revenus et payer les dettes ; N° Lexbase : L8458HW8).
[36] C. civ., art. 414-1 (N° Lexbase : L8394HWS).
[37] C. civ., art. 901 (N° Lexbase : L0049HPI). Adde, G. Raoul-Cormeil, La personne âgée et le risque d’insanité, RDSS 2018/5, p. 790.
[38] CSP, art. L. 1111-2, al. 7 (N° Lexbase : L4848LWH) et art. L. 1111-4, al. 8 (N° Lexbase : L4849LWI). Sur lesquels, v. L. Mauger-Vielpeau, La protection de la personne du majeur protégé mal ordonnée, Dr. famille, 2020, 107 ; G. Raoul-Cormeil, La recodification du droit de la santé du majeur protégé : le pour et le contre, RGDM, 2020, n° 75, p. 101 ; L. Gatti, Le nouveau régime des décisions de santé des majeurs protégés, op. cit., p. 115, avec tableau.
[39] L. Gatti et G. Raoul-Cormeil, Covid-19 : le consentement à l’acte vaccinal des majeurs vulnérables ou l’éprouvante réception du régime des décisions de santé des majeurs protégés, RGDM, n° 78, mars 2021, p. 73 à 91.
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par Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé à l'Université de Lille, l’EREDS/CRDP
Le 12 Juillet 2021
Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
À une époque pas si lointaine, les aînés inspiraient à tous le respect, ils étaient le symbole de la sagesse.
L'époque semble révolue dans une société de l'immédiat et d'un certain jeunisme même si les représentations collectives tendent à être combattues par une partie de la société.
La vieillesse que tout le monde redoute tend à être associée à un certain « nauvrage » [1] que la crise sanitaire de la Covid-19 a accentué. La lutte contre l'âgisme est devenue une préoccupation mondiale mise en lumière, en mars 2021, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dans son rapport mondial sur l'âgisme.
Selon l'organisation internationale, l'âgisme « coûterait des dizaines de milliards de dollars chaque année » [2], notamment « en faisant partir les gens trop tôt à la retraite sur un critère d'âge trop rigide et en se privant de leur savoir-faire » [3]. Il touche toutes les générations, « les vieilles personnes ont été perçues de manière uniforme, comme fragiles et vulnérables ; les plus jeunes, comme invincibles, imprudents et irresponsables. Les stéréotypes (notre façon de penser), les préjugés (notre façon de ressentir) et la discrimination (notre façon d'agir) basés sur l'âge ne sont pas nouveaux. La Covid-19 a amplifié ces attitudes néfastes » [4].
La crise sanitaire actuelle a fragilisé les liens sociaux intergénérationnels ou, du moins, a mis en saillance une fracture affectant une partie de la population, jeune et âgée [5], se défiant réciproquement, alors que ces deux catégories sont victimes d'âgisme. L'ouverture du Conseil économique, social et environnemental, le 24 mars 2021, aux jeunes et aux aînés (ainsi qu'aux aidants), met en lumière, au moins symboliquement par les pouvoirs publics, une volonté de réconciliation [6].
Le comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 128, du 15 février 2018, donc bien avant la crise sanitaire, énonce que : « dans une démocratie contrainte par sa dette publique, par les déficits chroniques de ses systèmes d’assurances sociales, un choix essentiel peut s’imposer, même s’il risque d’être impopulaire, entre le financement de prouesses techno-scientifiques et la garantie d’une égalité d’accès pour tous à la santé... Mieux vaudrait pour notre société qu’elle ait le courage de se poser ces questions maintenant, faute de quoi nous pourrions nous trouver rapidement face à l’émergence et au développement d’une perversion de la relation, à double sens : chez les « bien-portants », un risque d’ostracisme envers les personnes qui certes sont malades mais qui, corrélativement, coûtent et chez les personnes malades ou vulnérabilisées par l’altération de leur santé, un risque de sentiment de culpabilité, d’indignité ». La Haute instance éthique, ajoute qu'il y aurait lieu « dès l’école, dès l’éducation des enfants, de penser cette nécessaire culture de la solidarité. Penser l’aide aux plus vulnérables comme un devoir démocratique est nécessaire » [7] [8]. L'OMS préconise également dans son rapport sur l'âgisme la mise en œuvre « d'interventions éducatives » mais aussi le développement des contacts intergénérationnels [9].
Pour la députée Audrey Dufeu-Schubert, « il faut rééquilibrer le regard porté sur le vieillissement » et arrêter « de présenter la vieillesse comme une rupture, comme une incapacité ou un coût financier » [10]. La mise en œuvre de la loi « Grand âge » annoncée [11] y contribuera... peut-être. Elle ajoute que « nous ferions une erreur à ne pas reconnaître les aînés. Ils sont le reflet de notre propre humanité» [12].
J'ajouterai pour conclure ce colloque que nos enfants nous traiteront de la même manière que nous aurons traité nos aînés.
[1] En particulier lorsqu'elle est associée à la perte d'autonomie : Rapport Petits Frères des Pauvres, Isolement des personnes âgées : les impacts de la crise sanitaire, mars 2021, p. 5 [en ligne].
[3] Ibid.
[4] OMS, op. cit., IX.
[5] Rapport Petits Frères des Pauvres, op. cit., p. 5. Cf. B. Legros, Avant-propos, Lexbase Social, juillet 2021, n° 872 (N° Lexbase : N8073BYN).
[6] Décret n° 2021-309, du 24 mars 2021, fixant la répartition et les conditions de désignation des membres du conseil économique, social et environnemental (N° Lexbase : L7978L3U). Évolution inspirée par le rapport : J.-D. Combrexelle, A. De Belenet, P. Bernasconi and al., Pour un nouveau CESE, rapport au Premier ministre du comité prévu à l'article 7 de la loi organique du 15 janvier 2021, p. 12-13 [en ligne].
[7] CCNE, avis n° 128, Enjeux éthiques du vieillissement Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d'hébergement ? Quels leviers pour une société inclusive pour les personnes âgées ?, 15 février 2018, p. 30-31 [en ligne].
[8] A. Dufeu-Schubert, Réussir la transition démographique et lutter contre l'âgisme, rapport réalisé à la demande de monsieur Édouard Philippe, Premier ministre, 12 décembre 2019, p. 45 [en ligne].
[9] OMS, Rapport mondial sur l'âgisme, résumé d'orientation, mars 2021, p. 3.
[10] Conférence de presse à l'Assemblée nationale, le 2 mars 2021 de Madame Audrey Dufeu, présentant sa proposition de loi visant à réussir la transition démographique pour lutter contre l’âgisme [en ligne] : source Ouest France, AFP (2 mars 2021).
[11] L. Watremez, Brigitte Bourguignon assure que la réforme relative au Grand âge est sur les rails, Hospimédia, 25 mars 2021 [en ligne].
[12] A. Dufeu-Schubert, op. cit., p. 59.
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par Cecile Langaney, Doctorante à l'Université Paris Nanterre
Le 06 Juillet 2021
Temps de travail | |
temps de pause • charge de la preuve | |
🔎 Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-15.264, F-D (N° Lexbase : A21024YI) (Cassation partielle - CA Toulouse, 15 février 2019, n° 17/00505 N° Lexbase : A7819YYA) | La présence d’un accord collectif prévoyant que la pause est réputée prise pendant la vacation ne dispense pas l’employeur de démontrer que le salarié a effectivement bénéficié d’un temps de pause d’une durée minimale de vingt minutes dès que le temps de travail a atteint six heures. Doit être cassé l’arrêt qui, pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect du temps de pause, retient qu’il lui appartient de démontrer qu’il s’est trouvé dans une impossibilité matérielle de bénéficier effectivement des temps de pause. |
Convention collective | |
horaires de travail • convention collective • avenant au contrat de travail • modification du contrat de travail | |
🔎 Cass. soc., 30 juin 2021, n° 20-15.456, n° 20-15.458, n° 20-15.459, n° 20-15.460, n° 20-15.467 (jonction), FS-D (N° Lexbase : A20984YD) (Rejet - CA Versailles, 26 février 2020, n° 17/02044 N° Lexbase : A45043GW) | La cour d'appel qui a constaté que l'accord sur le travail en « horaire décalé » avait prévu que les salariés retenus seraient choisis parmi les volontaires et qu'un avenant à leur contrat de travail pour la durée de cet aménagement spécifique serait établi, et relevé que les avenants conclus par les salariés ne prévoyaient pas, contrairement aux termes de l’accord, la durée de cet aménagement et mentionnaient qu’ils prendraient fin à la date fixée par la hiérarchie en fonction des besoins du service, a pu en déduire que les horaires décalés présentaient un caractère contractuel et que le terme mentionné n’était pas opposable aux salariés, de sorte que la modification des horaires de travail des salariés constituait une modification de leur contrat de travail qu'ils étaient en droit de refuser. |
Contrat de travail | |
passage d’un horaire décalé et l’horaire collectif • élément essentiel du contrat de travail •modification du contrat de travail • avenants | |
🔎 Cass. soc., 30 juin 2021, n° 20-15.466, FS-D (N° Lexbase : A21644YS) (Cassation partielle - CA Versailles, 26 février 2020, n° 17/02042 N° Lexbase : A45863GX) | La cour d’appel qui, pour dire que l’employeur avait imposé au salarié une modification de son contrat de travail, retient que l’intention des parties avait été d'ériger l'horaire convenu lors de la conclusion du contrat en un élément essentiel de celui-ci, viole les articles L.1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B) et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L0857KZR), dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dès lors que le maintien du salarié en horaires décalés procédait d’avenants successifs, ce dont elle aurait dû déduire l'existence d'un accord des parties sur le caractère temporaire de cet aménagement. |
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Réf. : Décret n° 2021-865, du 30 juin 2021, modifiant le décret n° 2020-1789 du 30 décembre 2020 instituant une aide financière à titre exceptionnel à destination des jeunes diplômés en recherche d'emploi anciennement boursiers de l'enseignement supérieur (N° Lexbase : L0400L7X)
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N8209BYP
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par Laïla Bedja
Le 05 Juillet 2021
► Un décret du 30 juin 2021, publié au Journal officiel du 1er juillet 2021, prolonge jusqu’au 31 décembre 2021, le délai de dépôt des demandes de l’aide financière à titre exceptionnel à destination des jeunes diplômés inscrits comme demandeurs d'emploi ayant terminé leurs études supérieures et anciennement boursiers de l'enseignement supérieur.
Pour rappel cette aide financière a été instituée par le décret n° 2020-1789 du 30 décembre 2020 (N° Lexbase : L6155LZY, voir notre brève N° Lexbase : N5926BY7). Cette aide concerne les jeunes inscrits comme demandeurs d'emploi ayant achevé leurs études supérieures et anciennement boursiers de l'enseignement supérieur. Cette aide est attribuée aux personnes :
Le montant de l’aide est fixé :
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Réf. : T. confl., 14 juin 2021, n° 4212, Département du Calvados c/ M. Alexandre P. (N° Lexbase : A14144WB)
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N8223BY9
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par Laïla Bedja
Le 06 Juillet 2021
► Il résulte des articles L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8576LH4), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017, de finances rectificative pour 2017 (N° Lexbase : Z341217S) et L. 281 du livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8564LHN), que l’ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales est de la compétence du juge de l’exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances est de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond ; la contestation de la mise en demeure valant commandement de payer un indu de revenu de solidarité active (RSA), ainsi que, par voie de conséquence de décharge de l’obligation de payer la somme réclamée, ressort au contentieux du recouvrement avec compétence du juge de l’exécution pour en connaître.
Les faits et procédure. Un allocataire s’est notifié un indu de RSA. Le payeur départemental a poursuivi le recouvrement de cette créance en adressant à ce dernier une mise en demeure de payer valant commandement de payer la somme en cause. Celui-ci a saisi le tribunal administratif de Caen d’une demande d’annulation de cette mise en demeure et de décharge de l’obligation de payer, en contestant le bien-fondé de l’indu.
Le Conseil d’État a, par décision du 24 février 2021, renvoyé au Tribunal, le soin de décider sur la question de compétence (CE 1° et 4° ch.-r., 24 février 2021, n° 431711 N° Lexbase : A22054II).
Compétence du juge judiciaire. Énonçant la solution précitée, le Tribunal des conflits dit le juge judiciaire compétent.
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Réf. : Décret n° 2021-914, du 8 juillet 2021, relatif aux dispositions propres à la prise en charge du patient à l'occasion de soins de santé délivrés dans un autre État membre de l'Union européenne (N° Lexbase : L1368L7S)
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N8308BYD
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par Laïla Bedja
Le 12 Juillet 2021
► Un décret du 8 juillet 2021, publié au Journal officiel du 10 juillet 2021, pose les modalités de prise en charge du patient à l’occasion de soins de santé délivrés dans un autre État membre de l’Union européenne.
Il définit les conditions qui permettent l'échange de données de santé à caractère personnel, à partir du dossier médical partagé (DMP), entre la France et certains États membres de l'Union européenne dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la Santé, dans le cadre de la prise en charge d'un patient titulaire d'un DMP présent sur le territoire d'un de ces États membres.
Il précise le cas d'usage mis en œuvre, qui consiste en l'échange transfrontalier d'un résumé du dossier du patient, correspondant au volet de synthèse médicale contenu dans le dossier médical partagé français, avec les professionnels de santé installés dans un des États membres signataires d'un accord multilatéral encadrant ces échanges de données.
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