La lettre juridique n°838 du 1 octobre 2020

La lettre juridique - Édition n°838

Actes administratifs

[Jurisprudence] Les autorités administratives titulaires du pouvoir réglementaire peuvent faire le choix d’agir au moyen de lignes directrices

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 21 septembre 2020, n°428863, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A43223UM)

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par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz

Le 30 Septembre 2020

 


Mots clés : actes administratifs • droit souple • lignes directrices

Dans la présente affaire, le Conseil d'État apporte de nouvelles précisions inédites concernant le régime juridique des lignes directrices, et plus particulièrement sur les conditions dans lesquelles elles peuvent être édictées par les autorités administratives.


 

Il n’est pas ici inutile de rappeler, comme l’a précisé le Conseil d’État dans l’arrêt de Section « Ministre de l’Intérieur c/ Cortes Ortiz » du 4 février 2015 [1], que les lignes directrices – anciennement dénommées directives – ont pour objet de définir « des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d’intérêt général conduisant à y déroger et de l’appréciation particulière de chaque situation ». Si elles sont ainsi dénuées de caractère impératif, puisque les agents peuvent y déroger, les lignes directrices conditionnent néanmoins assez fortement les décisions qu’ils vont prendre. C’est pour cette raison qu’un auteur parle à propos de ces actes d’une « force mi-impérative mi-référentielle » [2] et que le Conseil d’État les classe dans une catégorie intermédiaire entre le droit souple et le droit dur [3].

Initialement, le régime juridique des actes alors dénommés directives avait été précisé par le Conseil d’État dans son arrêt de Section du 11 décembre 1970 « Crédit foncier de France c. Dlle Gaupillat et Dame Ader » [4] complété par l’arrêt de Section du 29 juin 1973, « Société Géa » [5]. L’essentiel des principes dégagés par ces arrêts ont été transposés par le Conseil d’État aux nouvelles lignes directrices à l’occasion de l’arrêt Jousselin du 19 septembre 2014 [6]. Il en résultait que ces actes ne pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, à moins qu’ils ne présentent un caractère impératif, c’est-à-dire lorsqu’ils ne laissent aucune marge de manœuvre à l’autorité compétente. Toutefois, les lignes directrices ne dispensent pas l’autorité compétente d’un examen minutieux des demandes dont elle est saisie, la situation personnelle de l’administré ou des motifs d’intérêt général permettant d’y déroger. Les lignes directrices sont opposables aux administrés et elles sont invocables par eux. Ainsi, l’administration peut fonder une décision individuelle sur une ligne directrice. De même, un administré peut fonder un recours contre une décision rejetant sa demande au motif que l’auteur de cette décision aurait dû se fonder sur les indications contenues dans la ligne directrice ou, au contraire, y déroger.

Rappelons aussi que dans la droite ligne des arrêts d’Assemblée du 21 mars 2016 « Société Fairvesta International GMBH et a.  et Société NC Numéricable » [7], la  jurisprudence récente a ouvert le recours pour excès de pouvoir contre les lignes directrices aux requérants « justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation lorsqu’elles sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s’adressent » [8]. De tels actes peuvent en effet faire grief, alors même qu’ils ne créent ni droits ni obligations.

Le récent arrêt de section « GISTI » du 12 juin 2020 [9] a voulu clarifier les règles applicables, unifiant les règles applicables aux circulaires, lignes directrices et autres actes de droit souple. Désormais, « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ». Les juges relèvent surtout « (qu’ont) notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ».

Ce n’est toutefois pas la recevabilité du recours pour excès de pouvoir qui est ici en cause, mais la qualification de lignes directrices et la détermination des autorités compétences pour les édicter.

En l’espèce, un professeur d’un établissement privé sous contrat avait demandé à connaître le montant de l’indemnité de départ volontaire auquel il pouvait prétendre en cas de démission pour reprendre une entreprise. Par une réponse écrite en date du 17 novembre 2014, le recteur lui avait indiqué ce montant en cas de démission durant l’année civile en cours. Mais au début de l’année suivante, le professeur avait demandé la réévaluation de montant, présenté sa démission acceptée par le recteur par un arrêté du 13 mars 2015 et il avait ensuite reçu le montant initialement proposé.

Il faut ici préciser que l’indemnité de départ volontaire, instituée par le décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 (N° Lexbase : L8743H39), peut être attribuée aux fonctionnaires qui quittent définitivement la fonction publique de l'Etat, notamment à la suite d'une démission régulièrement acceptée. L’article 3 du décret, dans sa version initiale, ouvrait cette indemnité aux agents dont la démission est motivée par la création ou la reprise d’une entreprise. Il est à noter que cet article a été récemment abrogé par le décret n° 2019-1596 du 31 décembre 2019 (N° Lexbase : L3775LUD) qui remplace l’indemnité de départ volontaire, dans cette hypothèse précise, par une indemnité de rupture conventionnelle. L’article 6 du décret précise quant à lui que « le montant de l’indemnité de départ volontaire ne peut excéder une somme équivalente à vingt-quatre fois un douzième de la rémunération brute annuelle perçue par l’agent au cours de l'année civile précédant celle du dépôt de sa demande de démission ». Dans sa version originelle applicable dans la présente affaire le même article précisait que « le montant de l’indemnité peut être modulé à raison de l'ancienneté de l'agent dans l'administration ».

Ce dispositif permet ainsi une certaine marge de manœuvre à l’administration. Le Conseil d’État a pu considérer, à l’occasion d’un arrêt du 21 septembre 2015 que « l’attribution d'une indemnité de départ volontaire n'a pas le caractère d'un avantage statutaire » et que le décret de 2008 « se borne à déterminer le plafond de cette indemnité et les possibilités d'en moduler le montant, sans fixer celui-ci (et) il revient ainsi à chaque ministre, dans l'exercice de ses prérogatives d'organisation des services placés sous son autorité, d'établir, dans le respect des règles générales fixées par ces mêmes dispositions, la réglementation applicable au versement de cette indemnité au sein de son administration ». Il s’agit là d’une application classique de la célèbre jurisprudence « Jamart » [10] qui reconnaît un pouvoir réglementaire aux chefs de service.

Ici, toutefois, le ministre n’est pas intervenu aux moyens de dispositions réglementaires impératives. Dans une logique de déconcentration, la circulaire du 19 mai 2009 du ministre de l’Education nationale indique en effet que « dans le respect du plafond fixé par le décret (…) les attributions individuelles d’indemnités volontaire de départ peuvent être fixées librement en tenant compte de l’ancienneté de service du demandeur ». Surtout, le ministre annonce vouloir « indiquer dans quelles fourchettes devront s’inscrire les montants de l’indemnité … » mais en précisant que les chefs de service conservent la « faculté » de d’en écarter « dans des cas exceptionnels ». La circulaire reproduit ensuite un tableau des fourchettes applicables tenant compte de l’ancienneté des agents. Elle précise enfin que lorsque l’indemnité est demandée au titre de la création ou de la reprise d’entreprise le chef de service fixera « généralement le montant de l’indemnité volontaire de départ dans la partie haute des fourchettes ». En l’espèce, le requérant s’était vu attribuer un taux d’indemnité de 30 % alors que le bas de la fourchette qui lui était applicable était de 50 %.

Cette possibilité de dérogation ouverte par la circulaire s’oppose à ce qu’un caractère impératif puisse lui être reconnu. En revanche - en dépit de la dénomination choisie – ce sont bien des lignes directrices qui ont été ici fixées par cet acte.

Une difficulté est toutefois ici posée puisqu’il est de jurisprudence constante que seules les autorités dépourvues de pouvoir réglementaire peuvent édicter des lignes directrices, lesquelles ont justement pour objet de constituer un substitut à l’absence de ce pouvoir.

C’est sur ce point que se situe l’intérêt majeur de la décision commentée, le Conseil d’État admettant pour la première fois que « l’autorité compétente peut, qu’elle dispose ou non en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l’action de l’administration, dans le but d’en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation ». Le recours aux lignes directrices permet ainsi d’assurer plus de souplesse à l’action administrative et elle autorise une modulation des décisions prises par les autorités déconcentrées en fonction des réalités concrètes auxquelles elles sont confrontées. On peut considérer que cette évolution est opportune et qu’elle correspond à une logique d’approfondissement de la déconcentration qui est de plus en plus présente dans les textes. On songe notamment ici à la loi n° 2019- 828 du 6 août 2019, de transformation de la fonction publique (N° Lexbase : L5882LRB), qui permet l’édiction de lignes directrices de gestion dans les trois versants de la fonction publique ou encore au décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 (N° Lexbase : L6512LW4), qui reconnaît au préfet un droit de dérogation aux normes nationales.

En d’autres termes, le recours aux lignes directrices ne peut plus être conçu comme un simple palliatif de l’absence de pouvoir réglementaire : il s’agit aujourd’hui d’un mode de plus en plus privilégié de gestion de l’action administrative ce dont prend acte le Conseil d’État.

C’est donc le régime juridique des lignes directrices qui a vocation à s’appliquer dans la présente affaire. Le Conseil d’État censure en conséquence le raisonnement de la cour administrative d’appel de Lyon qui s’était bornée à contrôler l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans la décision de fixation de l’indemnité. La circulaire du 19 mai 2019 étant qualifiée de lignes directrices, il convenait de contrôler s’il existait un motif d’intérêt général ou des circonstances particulières justifiant que le recteur se soit écarté des critères définis par elle.

Sur le fond, toutefois, la demande du requérant est rejetée. En effet, la décision du 17 novembre 2014, qui indiquait le montant indemnitaire auquel pouvait prétendre le requérant s'il démissionnait, précisait que ce montant n'était valable quand dans le seul cas d'une démission intervenant dans le courant de l'année civile. Or, la démission de l'intéressé n'a finalement été présentée que le 28 janvier 2015 et il y avait donc lieu de faire application, non pas de la circulaire du 19 mai 2009, comme l’a fait la cour administrative d’appel de Lyon, mais de la circulaire du 27 novembre 2014 qui avait été publiée entre temps. Or, cette circulaire a remplacé les fourchettes qui étaient applicables en cas d'ancienneté supérieure à dix ans par une unique fourchette comprise entre 25 % et 50 % du plafond prévu par le décret du 17 avril 2008, sans prévoir de règle particulière en cas de projet de création ou de reprise d'une entreprise. Par suite, en fixant le montant définitif de l'indemnité à 22 000 euros, c'est-à-dire à environ 30 % de ce plafond précité au regard de la rémunération qu'il avait perçue en 2014, l'administration n’a commis aucune erreur manifeste d'appréciation.

 

[1] CE n° 383267, 383268 (N° Lexbase : A8470NAX), Rec. p. 17, concl. B. Bourgeois-Machureau, AJDA, 2015, p. 443, chron. note J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, Dr. adm., 2015, doctr. 637, note G. Eveillard, JCP éd. A, 2015, 2196, note J. Martin.

[2] D. Costa, « Des directives aux lignes directrices : une variation en clairs-obscurs », AJDA, 2015, p. 806.

[3] Conseil d’Etat, rapport public 2012, Le droit souple, La documentation française 2013, p. 69.

[4] Rec. p. 750, concl. L. Bertrand, AJDA 1971, p. 196, chron. HTC ; RDP 1971, p. 1224, note M. Waline, D. 1971, p. 674, note D. Loschak, JCP éd. G, 1972, II, 17232, note M. Fromont.

[5] Rec. p. 453, AJDA, 1973, p. 587, chron. M. Franc et M. Boyon, RDP, 1974, p. 547, note M. Waline, D. 1974, p. 141, note J. Durupty

[6] CE n° 364385 (N° Lexbase : A8596MWB), Rec. p. 272, AJDA, 2014, p. 2262, concl. G. Dumortier, Dr. adm. 2014, 70, note J-B. Auby, JCP éd. A, 2014, act. 759, obs. F. Tesson et act. 821, Libres propos P. Cassia.

[7] V. respectivement CE n° 368082, 368083, 368084 (N° Lexbase : A4320Q8I), Rec. p. 77, concl. S. Von Coester et n° CE n° 390023 (N° Lexbase : A4296Q8M), Rec. p. 89, concl. V. Daumas. Ces arrêts ont été abondamment commentés : AJCA, 2016, p. 302, obs. S. Pelé, AJDA, 2016, p. 717, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, Dr. adm., 2016, 10, concl. S. Von Coester et concl. V. Daumas, Rev. sociétés, 2016, p. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt, RFDA, 2016, p. 506, concl. S. Von Coester, RTD civ., 2016, p. 571, note P.  Deumier, RTD com., 2016, p. 298, obs. N. Rontchevsky et p. 711, note M. Lombard.

[8] CE, 13 décembre 2017, n° 401799 (N° Lexbase : A1340W87), Dr. adm. 2018, 26, note J. Mouchette.

[9] CE n° 418142 (N° Lexbase : A55233NU).

[10] CE Sect, 7 février 1936, n° 43321 (N° Lexbase : A8004AY4), Rec. p. 172, S., 1937, III, p. 113, note J. Rivero.

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Assurances

[Brèves] Assurance de responsabilité : la globalisation des sinistres inapplicable à la responsabilité encourue par un professionnel pour manquements à ses obligations d’information et de conseil

Réf. : Cass. civ. 2, 24 septembre 2020, n° 18-12.593, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A86223UU)

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 30 Septembre 2020

► Les dispositions de l’article L. 124-1-1 (et non 124-1 comme mentionné dans l’arrêt) du Code des assurances (N° Lexbase : L6252DIE) consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d’information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l’existence d’une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique.

Les faits. Dans cette affaire, après avoir confié à une société un mandat de recherche d’offres d’investissements de défiscalisation (le courtier), un particulier avait, en 2008 et 2009, investi diverses sommes dans des opérations dites de « Girardin industriel » dans le secteur photovoltaïque ; en 2010, il avait également investi une certaine somme dans un produit de défiscalisation identique, conçu et proposé par le courtier ; ayant fait l’objet d’une rectification de sa situation fiscale pour ces différentes souscriptions, il avait assigné le courtier en responsabilité ; l’assureur de celui-ci était intervenu volontairement à l’instance.

Question soulevée. La question se posait de savoir si l’assureur pouvait solliciter, sur le fondement de l’article L. 124-1-1 du Code des assurances, la globalisation des sinistres, en faisant valoir que les manquements reprochés au courtier dans cette affaire avaient la même cause que ceux qui lui étaient reprochés à l’appui de réclamations formées par d’autres souscripteurs.

Pour rappel, l’article précité prévoit en effet que « constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique ».

La cour d’appel de Paris avait écarté la globalisation des sinistres ainsi sollicitée, considérant que les manquements aux obligations imputés au courtier seraient spécifiques à la présente affaire et n’avaient pas une même cause que ceux qui lui étaient reprochés à l’appui de réclamations formées par d’autres souscripteurs.

L’assureur requérant contestait cette analyse, soutenant que résulteraient d’une même cause technique et devraient dès lors être considérés comme un fait dommageable unique, les faits dommageables qui procèderaient d’un même vice de conception ou d’une même erreur d’analyse. Il reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si les différents manquements du courtier à l’obligation d’informer ses clients d’un risque fiscal tenant à l’absence de raccordement des panneaux photovoltaïques acquis avant le 31 décembre de l’année de réalisation de l’investissement ne procédaient pas d’un même vice de conception de la présentation des produits de défiscalisation et d’une même erreur d’analyse quant à l’étendue des risques fiscaux attachés à ces produits, et d’accueillir ainsi la sollicitation de la globalisation des sinistres.

Réponse de la Cour de cassation. Le débat est tranché par la Cour suprême qui, dans son arrêt du 25 septembre 2020 promis à la plus large publication, énonce, sous la forme d’un attendu de principe, la règle citée en introduction, procédant d’une application stricte et littérale du texte qui vise une « cause technique ». La Haute juridiction approuve alors les conseillers d’appel qui ont, à bon droit, écarté la globalisation des sinistres sollicitée, après avoir relevé que la responsabilité du courtier assuré était recherchée au titre de ses manquements dans l’exécution d’obligations dont il était spécifiquement débiteur à l’égard du particulier ici en cause.

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Avocats/Honoraires

[Brèves] Obligation d’information sur les honoraires pratiqués y compris en cas de dessaisissement

Réf. : Cass. civ. 1, 23 septembre 2020, n° 19-13.214, FS-P+B (N° Lexbase : A04713WD)

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par Marie Le Guerroué

Le 07 Octobre 2020

► L’avocat informe son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant ; Cette obligation implique que l’avocat avertisse son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et son inexécution l’expose au paiement de dommages-intérêts (Cass. civ. 1, 23 septembre 2020, n° 19-13.214, FS-P+B N° Lexbase : A04713WD).

Faits/Procédure. Un avocat avait été mandaté par son client afin de défendre ses intérêts devant un tribunal des affaires de sécurité sociale. Les parties avaient conclu une convention d’honoraires stipulant un honoraire forfaitaire pour la première instance et pour l’éventuelle procédure d’appel, ainsi qu’un honoraire de résultat. En cours d’instance, en l’absence d’acte ou de décision juridictionnelle irrévocable, le client avait dessaisi l’avocat et lui avait versé la somme conventionnellement prévue au titre de la première instance. Considérant que ce paiement n’était pas satisfactoire, l’avocat avait dressé une facture d’honoraires, qui avait été contestée. Une ordonnance avait taxé les honoraires de l’avocat. Soutenant que l’avocat avait manqué à son obligation d’information relative à la détermination de ses honoraires, le client l’avait assigné en responsabilité et indemnisation.

Position de la cour d’appel. Pour rejeter ses demandes, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Besançon retenait qu’il avait décidé, de façon unilatérale, de dessaisir l’avocat sans l’avoir prévenu préalablement et que, la convention d’honoraires étant devenue caduque, celui-ci était fondé à facturer ses honoraires en application de l’article 11.1 du Règlement intérieur national, de sorte qu’aucune faute ne pouvait être retenue à son égard.

Réponse de la Cour. Il résulte de l’article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L0866KZ4), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK), de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), modifié par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE) et de l’article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA), que l’avocat informe son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant. Cette obligation implique que l’avocat avertisse son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et son inexécution l’expose au paiement de dommages-intérêts. Pour la Cour, en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes précités.

Cassation. La Cour casse donc l’arrêt rendu par la cour d’appel de Besançon (V., l’Etude :  De l'obligation d'information de l'avocat sur les honoraires pratiqués..., in l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E37273RH).

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Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Notification de conclusions d’appel à un avocat en société : quel destinataire ?

Réf. : Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 19-15.814, F-P+B+I (N° Lexbase : A37853UQ)

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N4714BYA

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par Corinne Bléry, Professeur de droit privé à l’Université Polytechnique Hauts-de-France (Valenciennes) Faculté de droit et d’administration publique, Directrice du Master Justice, procès, procédure, Membre du conseil scientifique de Droit & Procédure

Le 01 Octobre 2020

Mots-clefs : jurisprudence • avocats • appel • postulation 

Résumé : Il résulte de l’application combinée des article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993, 8, III, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 690 du Code de procédure civile et de l’avis du 5 mai 2017 que la notification de conclusions, au siège de la société d’exercice libéral dont est membre l’avocat constitué en matière prud’homale, est régulière en l’absence de postulation.


 

La procédure d’appel [1] est toujours pourvoyeuse de jurisprudence. Témoin encore un arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, destiné à une large publication et publié sur le site de la Cour dans la rubrique « appel civil ». En fait, plus que la procédure d’appel elle-même, il se prononce sur la régularité de la notification de conclusions entre avocats, à l’occasion d’une procédure d’appel prud’homal, et alors que l’avocat destinataire est membre d’une société d’exercice libéral (SEL). Appel, postulation, mandat ad litem, notification… l’arrêt est l’occasion de démêler diverses règles qui viennent ici se télescoper. Il est également notable en ce que la Cour de cassation s’y comporte en troisième degré de juridiction, conformément à l’article L. 411-3, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L2546LBW).

C’est donc un litige prud’homal, avec ses développements devant une juridiction du second degré, qui est à l’origine de l’arrêt commenté. Il oppose un salarié à son ancien employeur. Le salarié est l’appelant, l’ex-employeur l’intimé.

Le salarié fait appel d’un jugement du conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence. L’employeur demande à un avocat, inscrit au barreau de Marseille, de se constituer pour lui ; ce qu’il fait, notifiant cette constitution à l’avocat de l’appelant [2]. Or l’avocat marseillais est membre d’une société d’exercice libéral, société inter-barreaux, dont le siège est établi à Lyon. L’appelant envoie ses conclusions par lettres recommandées adressées au greffe de la cour d’appel et à la société d’avocats, à l’adresse de son siège à Lyon.

Cet envoi est accompli dans les délais « Magendie » (des articles 908 N° Lexbase : L7239LET et 911 N° Lexbase : L7242LEX du Code de procédure civile) [3]. Pourtant, le conseiller de la mise en état prononce la caducité de la déclaration d’appel. La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme l’ordonnance du CME lui ayant été déférée. En suite de quoi, le salarié se pourvoit en cassation.

Répondant au pourvoi principal, pris en sa première branche, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse en partie l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et statue au fond : estimant que « les conclusions d’appelant ont été régulièrement notifiées dans le délai de l’article 908 du Code de procédure civile », elle exclut le prononcé sur ce fondement de la caducité de la déclaration d’appel.

Avant de s’attacher à la motivation de la Cour de cassation et au cœur du litige (II), « plantons le décor » dans lequel l’arrêt du 17 septembre a été rendu (I).

I. « Décor »

L’arrêt est pris en un certain état de la procédure qui convient d’être rappelé, tant en ce qu’en ce qui concerne la Cour de cassation juge du fond (A), qu’en ce qui a trait à l’appel prud’homal (B).

A. La Cour de cassation, juge du fond

 

Le législateur moderne a permis que la cassation soit sans renvoi. Pour ce qui est de la matière civile, l’article 627 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8428IRL) le permet « dans les cas et conditions de l’article L. 411‑3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L2546LBW) : l’alinéa 1er de ce texte prévoit ainsi que « la Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond » - par exemple, à la suite de l’abrogation du texte qui fondait la décision de condamnation civile cassée, ce qui revient à faire de la Cour de cassation un troisième degré de juridiction (d’autant qu’elle peut statuer sur les dépens - comme un juge du fond le ferait – et que l’arrêt emporte exécution forcée : COJ, L. 411‑3, al. 4 et 5).

En outre, depuis la loi « JXXI » n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : L1605LB3), la cassation sans renvoi en matière civile a été élargie [4] : la Cour de cassation « peut aussi, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » (al. 2). Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application de cette disposition (al. 6),… qui est très vague : il s’agit du décret n° 2017-396 du 24 mars 2017 (N° Lexbase : L3728LDG) [5]. Ce décret, non codifié, clarifie les règles applicables en cas de cassation sans renvoi et précise en particulier la procédure suivie lorsque la Cour de cassation envisage de statuer au fond après cassation, en application de l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire ; dans ce cas, le président de la formation ou le conseiller rapporteur indique les chefs du dispositif de la décision attaquée susceptibles d’être atteints par la cassation et peut demander aux parties de communiquer toute pièce utile à la décision.

Si, « pour l’instant, la Cour de cassation semble faire un usage modéré du pouvoir qui lui a été accordé par l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire, à l’occasion de la réforme du 18 novembre 2016 » [6], l’arrêt est intéressant en ce qu’il met en œuvre cette cassation sans renvoi particulière : « après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3816LDP), il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire et 627 du Code de procédure civile », la Cour précisant que « l’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond » : dans ce cadre, elle dit, notamment, n’y avoir lieu à renvoi, elle infirme l’ordonnance du conseiller de la mise en état, mais seulement en ce qu’elle a constaté la caducité de la déclaration d’appel et condamné l’appelant aux dépens d’appel  et dit n’y avoir lieu de prononcer la caducité de la déclaration d’appel de l’appelant en application des articles 908 et 911 du Code de procédure civile…

B. L’appel prud’homal

L’appel prud’homal obéit, depuis le 1er août 2016, aux règles de la procédure avec représentation obligatoire (v. C. trav., art. R. 1461-2 N° Lexbase : L2664K88)… par avocat (ROA), ou par défenseur syndical (v., C. trav., art. L. 1453-4 N° Lexbase : L7324LHQ). C’est la réforme « Macron », issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (N° Lexbase : L4876KEC), complétée par le décret du 12 mai 2016. Les décrets n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL) et le décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 (N° Lexbase : L8436K9C) ont quelques modifié les règles de l’appel, notamment prud’homal [7].

Si la représentation est obligatoire, il n’y a pas pour autant postulation… et territorialité de celle-ci. C’est ce qui ressort d’un avis rendu le 5 mai 2017 par la Cour de cassation [8]. La demande donnant lieu à l’avis avait été formulée le 8 février 2017 par le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles de la manière suivante : « les règles relatives à la territorialité de la postulation prévue aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 s’appliquent-elles aux cours d’appel statuant en matière prud’homale consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ? ». En réponse, la Cour de cassation a émis un avis négatif : « les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71- 1130 du 31 décembre 1971 modifiée ne s’appliquent pas devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ».

Il est acquis désormais qu’il n’y pas de territorialité juridique de la représentation pour les avocats [9]

qui sont en revanche « rattrapés » par une « territorialité dématérialisée technique » due aux limites du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), interconnecté au réseau privé virtuel de la Justice (RPVJ) : ces « tuyaux » ne fonctionnent actuellement qu’au sein d’une cour d’appel, donc un avocat extérieur ne peut se connecter [10]. Cette insuffisance technique est source de difficulté lorsque la communication par voie électronique (CPVE [11]) est obligatoire : l’article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9) impose en effet que les remises d’actes de procédure à et par la juridiction soient, en principe, effectuées par voie électronique, ceci sauf cause étrangère autorisant le retour au papier. Mettant fin à des divergences entre cours d’appel, la deuxième chambre civile a admis implicitement que cette territorialité technique est une cause étrangère permettant le retour au papier ; plusieurs autres arrêts ont ensuite confirmé cette position [12].

En revanche, entre avocats, la CPVE est facultative : les notifications peuvent être effectuées par actes du Palais ou par lettre recommandées avec demandes d’avis de réception (LRAR). Notre arrêt concernait un envoi de conclusions entre avocats, par voie papier, de l’avocat de l’appelant à celui de l’intimé. Ce n’était pas ce qui faisait difficulté. Le cœur du litige se situait ailleurs.

II. Cœur du litige

 

A. Questions

Notons tout d’abord que, en présence d’une notification irrégulière ou hors du délai de trois mois, la sanction encourue est la caducité : cela résulte des articles 908 et 911. Il s’agit d’une sanction automatique, « qui ne sanctionne pas une nullité de forme [et] n’exige nullement la démonstration d’un grief », ainsi que le rappelle la cour d’Aix.

En revanche, ce qui faisait difficulté et opposait les parties en présence, c’était la question de savoir si les conclusions avaient ou non été adressées au bon destinataire : si non, la notification était irrégulière - entachée de nullité de forme - et n’avait pas été effectuée dans le délai de trois mois ; si oui, elle avait bien été accomplie pendant ce délai et la caducité de la déclaration d’appel avait été prononcée à tort.

Pour la cour d’appel, la notification des conclusions d’appel était irrégulière car faite à la société d’avocat inter-barreaux, à l’adresse de son siège situé à Lyon, au sein de laquelle Maître Jean Martinez, avocat postulant pour l’intimé, était associé. Or, seul cet avocat, dont le cabinet se trouve à Marseille avait reçu mandat de représenter la l’intimé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence ». Curieusement la cour d’appel ajoutait « qu’a seul mandat de représentation devant la cour d’appel, emportant pouvoir et devoir d’accomplir au nom de son mandant les actes de procédure, l’avocat constitué devant cette cour, soit Maître Martinez, avocat au barreau de Marseille, dont le cabinet se trouve dans cette ville, de sorte que la notification faite à la société Chassany et Watrelot et associés est inopérante, peu important que l’avocat constitué soit membre de la même société d’exercice libéral, dès lors que la notification aurait dû être envoyée à l’adresse de cette société, à Marseille ». La motivation laisse un peu songeur, qui semble dire que c’est la société qui est destinataire mais… à son adresse marseillaise, qui est celle de l’avocat constitué. Elle suscite même la critique en raison de la contradiction interne qu’elle comporte et ce n’est guère surprenant que l’arrêt ait fait l’objet d’un pourvoi.

Justement, pour l’appelant/demandeur au pourvoi, « chaque avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral exerce les fonctions d’avocat au nom de la société de sorte que le mandat donné à un avocat associé d’une société d’exercice libéral d’avocats vaut pour la société et pour tous les avocats membres de celle-ci ». C’était la société et non l’avocat personne physique qui était mandataire ; les conclusions adressées au siège de la société n’étaient pas mal dirigées, de sorte que la cour d’appel « a méconnu la portée du mandat ad litem confié à un avocat membre d’une société d’exercice libérale » et « a violé l’article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 ».

Alors, quel destinataire pour les conclusions : la SEL ou l’avocat constitué ?

B. Réponse

La Cour de cassation commence par viser l’article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 et en rappeler la teneur : « 7. Selon ce texte, chaque avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral exerce les fonctions d’avocat au nom de la société ». Or, « (10) la cour d’appel ayant constaté que Maître Martinez agissait au nom de la société d’avocats dont il était membre, il s’en déduit que seule cette société avait été constituée par l’intimé ».

Cependant, la deuxième chambre civile pousse davantage le raisonnement en recourant à l’article 690 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6891H7D). Ce texte est relatif au lieu des notifications destinées à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial qu’elle applique aux sociétés d’avocats. De sa propre initiative, elle estime que « (11) en application de l’article 690 du Code de procédure civile, les notifications entre avocats sont régulièrement accomplies, à l’égard d’une société d’avocats, au siège de celle-ci ». Elle combine cette disposition avec les règles de postulation spécifiques à la profession : « Il n’est dérogé, s’il y a lieu, à cette règle [celle de l’article 690] que pour les affaires soumises à une postulation par avocat, hypothèse dans laquelle il résulte de l’article 8, III, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016, que les notifications sont, à peine de nullité pour vice de forme, adressées au lieu où est établi l’avocat membre de la société d’avocats par le ministère duquel celle-ci postule ». La cassation était inévitable puisque, on l’a dit [13], il n’y a pas de postulation en matière prud’homale : « (12). En statuant comme elle l’a fait, dans une affaire prud’homale qui n’était pas soumise aux règles de la postulation par avocat, la cour d’appel a violé le texte susvisé [14] ».

Rappelons que l’article 690 CPC pose une double règle [15] :

- le principe est celui d’une notification au lieu de l’établissement (CPC, art. 690, al. 1er. Le terme d’établissement n’est pas à confondre avec celui de siège social et une notification peut, en dehors du siège social, être valablement faite au domicile de fait de la personne morale [16] ou à l’une des agences [17] : la jurisprudence dite des gares principales est transposable ici [18].

- une solution de remplacement est prévue dans l’hypothèse où il n’y aurait pas de lieu d’établissement : « à défaut d’un tel lieu », la notification est faite à l’un des membres de la personne morale ou de l’établissement « habilité à recevoir l’acte » (CPC, art. 690, al. 2 N° Lexbase : L6891H7D).

A défaut d’être accompli au lieu défini par l’article 690, la notification est nulle pour vice de forme : ce qui suppose la démonstration d’un grief.

Ici, c’était l’alinéa 1er qui était applicable. A cet égard, la jurisprudence est assez tolérante. Par exemple, elle a jugé qu’une assignation destinée à une personne morale et délivrée, non pas à son siège social mais au domicile de ses associés et gérants, est valable, dans la mesure où ceux-ci en avaient eu immédiatement connaissance et que la société n’établissait pas de grief relatif à ce mode de délivrance [19]. Dans notre affaire, c’était plutôt l’inverse : la notification avait eu lieu au siège social/lieu d’établissement de la société d’avocats.

Et le souci venait de ce que l’article 690 ne se suffit pas à lui-même pour régler la difficulté : il faut recourir aux dispositions relatives à la profession d’avocats et, spécialement à celles de la postulation.

C’est donc par l’application combinée de l’article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993, de l’article 8, III, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, du l’article 690 du Code de procédure civile et de l’avis du 5 mai 2017 que la réponse est donnée : la notification de conclusions, au siège de la société d’exercice libéral dont est membre l’avocat constitué en matière prud’homale, est régulière en l’absence de postulation. Cette notification n’encourait pas de nullité pour vice de forme (quel aurait d’ailleurs été le grief ?) et la caducité de la déclaration d’appel n’aurait pas dû être prononcée… d’où l’infirmation de l’ordonnance du CME par la Cour de cassation.

Ajoutons pour finir que, pour complexe que soit la situation ayant donné lieu à l’arrêt, elle est susceptible de se produire également en matière commerciale désormais. Il semble en effet que l’extension du principe de représentation obligatoire par avocat devant le tribunal de commerce [20] se soit accompagnée d’une extension corrélative du domaine de l’avis du 5 mai 2017 : il n’y aurait pas de postulation - et donc de sa territorialité - devant la juridiction consulaire [21].

Décidément la procédure n’en finit pas d’offrir des cas, tant aux praticiens qu’aux universitaires…

 

[1] Sur l’appel, v., J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4ème éd. 2018, D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, Dalloz Référence, 3èmeéd., 2018/2019, Ph. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès en appel, LexisNexis, 2020, C. Lhermitte, Procédures d’appel 2020/2021, Delmas, 1ère éd., 2019,…

[2] L’arrêt ne précise pas si cette notification a été effectuée par voie papier ou par voie électronique (mais cela importe peu).

[3] Selon l’article 908, « à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe » et selon l’article 911, alinéa 1er, « sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour […] ».

[4] Alors que « en matière pénale, elle peut, en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée » (al. 3).

[5] C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz, 34ème éd., 2018, no 1398. J. Héron, Droit judiciaire privé, 7ème éd., 2019, par T. Le Bars et K. Sahli, n° 853.

[6] J. Héron, Droit judiciaire privé, 7ème éd., 2019, par T. Le Bars et K. Sahli, n° 853.

[7] C. Bléry, in Guinchard S. (dir.), Droit et pratique de la procédure civile 2016-2017, Droit interne et européen, 9ème éd., Dalloz Action, n° 161.81.

[8] Avis, 5 mai 2017, n° 17-70005, P, D. actu., 10 mai 2017, C. Bléry. V. aussi un autre avis (Avis, 5 mai 2017, n° 17006 N° Lexbase : A9752WBS), rendu le même jour en termes identiques. 

[9] Et même les défenseurs syndicaux, depuis que le Conseil d’État a annulé certaines dispositions de l’article D. 1453-2-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4136LHN) (issu du décret n° 2016-975 du 18 juillet 2016 N° Lexbase : L3694K9P) limitant le champ de compétence géographique des défenseurs syndicaux (CE, 1° et 6° ch.-r., 17 novembre 2017, n° 403535, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7229WZR).

[10] V., D. actu., 10 mai 2017 préc. et, déjà, D. actu., 6 févr. 2017, C. Bléry.

[11] De manière générale, sur la CPVE, v., C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, Droit interne et européen, S. Guinchard (dir.), Dalloz Action, 9ème éd., 2016/2017, n° 161.221 s. ; Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris, sept. 2012 [actu. nov. 2018] ; C. Bléry et J.-P. Teboul, Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2018, p. 7 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4ème éd. 2018, n° 485 s.. De manière plus particulière sur la CPVE en appel aujourd’hui, v., C. Bléry, « Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la CPVE en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception... », D. actu., 2 juin 2020.

[12] Parmis ces arrêts, v., Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, n° 17-18.698, F-D (N° Lexbase : A7131X3I), NP ; Gaz. Pal., 27 nov. 2018, p. 73, obs. C. Bléry ; Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, n° 17-18.728, F-D (N° Lexbase : A7195X3U), NP ; Gaz. Pal., 27 nov. 2018, p. 75, obs. V. Orif ; Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-31.800, F-P+B (N° Lexbase : A8522ZBA) ; Gaz. Pal., 5 nov. 2019, p. 62, obs. C. Bléry.

[13] V. I. B.

[14] Sans doute l’article 690 ; un pluriel aurait été plus logique à notre sens.

[15] C. Bléry, in Guinchard S. (dir.), Droit et pratique de la procédure civile 2016-2017, Droit interne et européen, 9ème éd., Dalloz Action, n° 161.113.

[16] Cass. com., 31 juillet 1952, D., 1953. 54.

[17] Cass. civ. 2, 27 novembre 1985, n° 84-13740, publié au bulletin (N° Lexbase : A0693AH7) ; D., 1987. 184, note Groutel ; Gaz. Pal., 1986. Somm. 413, obs. Croze et Morel ; Cass. civ. 2, 21 février 1990, n° 88-17230, publié au bulletin (N° Lexbase : A3839AHN), RTD civ., 1990, 555, obs. R. Perrot ;  Cass. civ. 3, 16 mai 1990, n° 88-18.931 (N° Lexbase : A7864AGD), P., RTD civ., 1990. 555, obs. R. Perrot.

[18] J. Héron, Droit judiciaire privé, 7ème éd., 2019, par T. Le Bars et K. Sahli, n° 181, en note.

[19] Cass. civ. 3, 24 octobre 2007, n° 06-19.379, FS-P+B (N° Lexbase : A8536DYS) ; Procédures, 2007. Comm. 272, note R. Perrot ; Cass. civ. 2, 12 mai 2016, n° 15-15.969, F-D (N° Lexbase : A0862RPM) ; Dr. et proc., 2016, 110, note S. Dorol.

[20] Devant le tribunal de commerce, la représentation est obligatoire par avocat pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020 – la constitution emportant élection de domicile (CPC, art. 853, al. 2 N° Lexbase : L9348LTE). L’article 853, issu du décret du 11 décembre 2019, érige cette ROA en principe (al. 1er), mais prévoit des exceptions (al. 3) : cela ne concerne pas les demandes inférieures ou égales à 10 000 euros, les litiges relatifs à la tenue du registre du commerce et des sociétés (RCS) et cela ne concerne pas davantage les procédures du livre VI. Notons encore, que l’article 874 CPC (N° Lexbase : L9174LTX) prévoit à présent que les parties n’ont pas à constituer avocat en matière de gage des stocks et de gage sans dépossession dans les cas de saisine du président sur requête : une telle requête est susceptible d’être présentée à l’occasion d’une procédure du livre VI. Adde A. Bolze, « Réforme de la procédure civile : extension de la représentation obligatoire par un avocat et procédure sans audience », D. actu., 19 déc. 2019.

[21] En ce sens, S. Amrani-Mekki, Nouvelles réformes de procédure civile. - Vous dit simplification ?, JCP G, 2020, doct. 75, n° 13 ; Contra, A. Bolze, art. préc. et S. Hazoug, Réforme de la procédure civile 2020 - Extension de la représentation par avocat, Lexbase Privée, n° 810, janvier 2020 (N° Lexbase : N1954BYZ) : « il est, enfin, à noter que l’extension de représentation par avocat emporte corrélativement celle de la postulation ».

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[Brèves] Interdiction aux avocats en cabinets « groupés » d'ouvrir un site internet commun : la résolution du conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Nantes annulée

Réf. : CA Rennes, 18 septembre 2020, n° 20/00380 (N° Lexbase : A28643UM)

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par Marie Le Guerroué

Le 01 Octobre 2020

► L’interdiction a priori, aux avocats non associés au sein d'une structure de moyens ou d'exercice de maintenir ou d'ouvrir un site internet commun qui ne résulte pas du RIN et porte atteinte à la liberté d'expression des avocats, est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, l'Ordre ayant la possibilité, dans le cadre de son pouvoir de contrôle a posteriori des sites Internet professionnels de faire respecter par les avocats qui y contreviendraient, les dispositions de l'article 10.2 du RIN, le Bâtonnier pouvant, le cas échéant, agir par la voie disciplinaire (CA Rennes, 18 septembre 2020, n° 20/00380 (N° Lexbase : A28643UM).

 

Faits et procédure. En octobre 2019, le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Nantes a, adopté la résolution suivante : «Le Conseil de l'Ordre constate que les règles du R.I.N. relatives à la communication des avocats ne permettent pas d'autoriser les avocats qui n'ont pas de lien autre qu'un exercice en un lieu commun (cabinet dit «groupés») à communiquer de manière unifiée et, par conséquence, ouvrir ou maintenir un site Internet commun pour présenter leurs activités en qualité d'avocats. Les dispositions seront insérées au projet de règlement intérieur à son article 3. 11 ‘communication de l'avocat’ ».
Le Conseil de l'Ordre autorise les avocats du barreau de Nantes qui sont associés en SCM ou en GIE ou toute autre structure à solliciter l'homologation d'un site Internet commun pour présenter leurs activités en qualité d'avocats à condition de respecter, outre les règles du Code de la consommation et de l'article 10 du RIN, notamment les précautions rédactionnelles prédéfinies. Le conseil de l'Ordre leur rappelle que sont considérées comme structure d'exercice les associations, les AARPI, et toutes sociétés d'exercice (SCP, SEM, SARL, SAS"). Ces structures sont autorisées à solliciter l'homologation d'un site Internet devant respecter les règles du Code de la consommation et de l'article 10 du RIN'». Un recours a été formé contre ces délibérations.

 

  • Sur la communication des avocats exerçant en un lieu commun (cabinets dits groupés).


Les avocats qu'ils exercent seuls, en structure de moyens ou d'exercice, bénéficient de la liberté d'expression telle qu'elle est reconnue par les textes fondamentaux. Cette liberté inclut les communications professionnelles, notamment par le truchement de sites Internet, lesquelles doivent avoir lieu, s'agissant des professions réglementées, dans le respect des règles propres qui les régissent. Suivant les dispositions de l'article 24 de la directive services 2006/123/CE du 12 décembre 2006, celles-ci doivent être « non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées ».

La cour rappelle les disposition des articles 10.2 et 10.5 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8)
La prohibition de toute mention susceptible de créer dans l'esprit du public l'apparence d'une structure d'exercice inexistante, prévue par l'article 10.2, est notamment justifiée par la réglementation protectrice des consommateurs à laquelle les avocats sont soumis et qui prohibe les pratiques déloyales ou trompeuses.
Pour ne pas autoriser « et donc interdire » aux avocats non associés au sein d'une structure de moyens ou d'exercice de maintenir ou d'ouvrir un site internet commun pour présenter leurs activités, le conseil de l'Ordre considère, en premier lieu, qu'un tel site donnerait «immanquablement une information manifestement trompeuse aux consommateurs consultant leur site» puisque ceux-ci auraient nécessairement «le sentiment d'être en face d'un cabinet d'avocats structuré composé de plusieurs avocats».

Une présentation pas forcément trompeuse. La cour souligne que, quant bien même l'objectif poursuivi par le conseil de l'Ordre est légitime et louable, une telle analyse ne peut être suivie. En effet, l'interdiction ainsi édictée repose sur le postulat, en l'occurrence contestable, que le site commun adoptera obligatoirement une présentation trompeuse et de nature à induire en erreur le consommateur sur la structure face à laquelle il se trouve. Or, tel ne sera pas nécessairement le cas, pour peu que les avocats concernés exposent en toute clarté, dans leur site, leur situation.

Avocat et cabinet d'avocat sont des termes génériques. En second lieu, la cour ajoute que la circonstance tirée du fait que l'article 10.5 du RIN énonce que le nom du domaine doit comporter le nom de l'avocat ou la dénomination du cabinet en totalité ou en abrégé ne peut fonder l'interdiction édictée, les termes d'avocat et de cabinet devant être compris comme des termes génériques susceptibles d'être employés au singulier comme au pluriel et n'excluant aucunement un site commun à plusieurs avocats mêmes non unis par des liens juridiques. Enfin, les dispositions de l'article 10.6.3 du RIN, également invoquées par l'Ordre, relatives à la dénomination du cabinet ou de la structure sont étrangères à la problématique soumise à la cour et ne peuvent justifier la restriction qui a été posée à la liberté d'expression.
Interdiction disproportionnée. Dès lors, cette interdiction a priori, qui ne résulte pas du RIN (lequel énonce seulement un certain nombre de principes essentiels que les avocats doivent respecter) et porte atteinte à la liberté d'expression des avocats, est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, l'Ordre (nécessairement informé de l'ouverture ou de la modification substantielle de tout site professionnel en application des dispositions de l'article 10.5 du RIN) ayant la possibilité, dans le cadre de son pouvoir de contrôle a posteriori des sites Internet professionnels de faire respecter par les avocats qui y contreviendraient, les dispositions de l'article 10.2 du RIN, le Bâtonnier pouvant, le cas échéant, agir par la voie disciplinaire. C'est, dès lors, à bon droit que les requérants sollicitent l'annulation du premier paragraphe de la délibération contestée (concernant la communication des avocats exerçant sur le même site en cabinets dits «groupés»).
 

  • Sur la communication des avocats exerçant en structure de moyens (SCM, GIE...)


La cour souligne que les caractéristiques énoncées dans la délibération litigieuse rappellent, d'une part, l'interdiction posée par l'article 10.2 relative à la structure d'exercice inexistante et la règle posée par l'article 10.5 quant à la dénomination du site, d'autre part, l'évidence tenant à la pluralité de cabinets, la mutualisation d'une page d'accueil et d'un formulaire de contact, le renvoi au site propre de chacun (avocat ou structure d'exercice) pour tout ce qui est des présentations, activités et services de l'avocat ou de la structure d'exercice, enfin la possibilité d'adopter une charte graphique commune. Ces différents points ne portent nullement atteinte à la liberté d'expression des avocats concernés mais respectent, au contraire, l'esprit de la structure (de moyens) au sein de laquelle ceux-ci ont librement décidé de limiter leur union. La discussion sémantique sur la page Internet que les sites de ces structures sont autorisés à comporter est dépourvue d'intérêt dès lors que l'objectif est clairement de dissocier la page commune du site de la structure de moyens, des sites propres des avocats ou structures d'exercice de chacun des associés. La cour estime qu’il n’y a pas lieu d'annuler la seconde partie de la délibération litigieuse (V., L’Etude : Les cabinets groupés, in La profession d’avocat N° Lexbase : E41263RA).

 

►A paraître, dans le prochain numéro de la revue Lexbase Avocats, le commentaire de Gaëlle Deharo sur cette décision

 

newsid:474678

Baux d'habitation

[Brèves] Locations de type « Airbnb » et dispositif d’autorisation de changement d'usage : de nouvelles précisions de la Cour de cassation !

Réf. : Cass. civ. 3, 24 septembre 2020, n° 18-22.142, FS-P+B+I (N° Lexbase : A72003U9)

Lecture: 8 min

N4709BY3

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 30 Septembre 2020

► La location de chambres d'hôtes (soumise à déclaration en mairie en application de l’article L. 324-4 du Code de tourisme N° Lexbase : L5442IEB, et non au régime d’autorisation de changement d’usage en application de l'article L. 631-7 du CCH N° Lexbase : L0141LNK) ne saurait être assimilée à la location d'un logement autonome et indépendant de celui de l'habitant et n'en constituant pas une annexe ;

► l’action tendant à réclamer le prononcé de l’amende en cas de défaut d’autorisation du changement d’usage appartient à la commune, représentée par son maire, et ce dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : L1605LB3), d'application immédiate aux instances en cours.

Dans cette affaire, les 7 et 15 juin 2016, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris avait assigné en référé le locataire d'une maison située en fond de cour d'un immeuble, ainsi que d'un appartement situé dans l'immeuble, en paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2308LRW), pour avoir loué l'appartement de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, en contravention avec les dispositions de l'article L. 631-7 du même code.

Par un arrêt rendu le 4 juillet 2018, la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 4 juillet 2018, n° 17/02869 N° Lexbase : A0429XWS) a déclaré la Ville de Paris recevable en son intervention volontaire, et confirmé la condamnation du locataire au paiement d'une amende civile de 25 000 euros. Le locataire s’est alors pourvu en cassation. Il n’obtiendra pas gain de cause devant la Cour de cassation qui, par l’arrêt rendu le 24 septembre 2020, apporte de nouvelles précisions dans le cadre du contentieux opposant la ville de Paris aux nombreux contrevenants au régime d’autorisation de changement d’usage en application de l'article L. 631-7 du CCH.

  • Régime de location de chambres d’hôtes/régime de location d’un logement autonome et indépendant

C’est sur ce point que réside le premier apport de l’arrêt. Le requérant se prévalait notamment de l’application des dispositions de l'article L. 324-3 du Code du tourisme (N° Lexbase : L3367HNZ), instituant le régime des chambres d’hôtes. L’enjeu résidait, dans un tel cas, dans l’absence de nécessité de solliciter, préalablement à l'exercice de la sous-location, une autorisation de changement d'usage.

Il n’obtiendra pas gain de cause. Comme le rappelle la Cour suprême, l'article L. 324-3 du Code du tourisme définit les chambres d'hôtes comme « des chambres meublées situées chez l'habitant en vue d'accueillir des touristes, à titre onéreux, pour une ou plusieurs nuitées, assorties de prestations. ». Elle en déduit, alors, que la location de chambres d'hôtes ne saurait être assimilée à la location d'un logement autonome et indépendant de celui de l'habitant et n'en constituant pas une annexe.

Or tel était précisément le cas en l’espèce, la cour d’appel ayant relevé que le requérant habitait la maison du fond de cour de l'immeuble et non l'appartement du troisième étage qu'il laissait en son intégralité à l'usage des sous-locataires.  Les juges d’appel en avaient alors déduit, à bon droit, que le régime des chambres d'hôtes n'était pas applicable et que la location de cet appartement était soumise aux dispositions de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation.

  • Titularité de l’action tendant à réclamer le prononcé de l’amende en cas de défaut d’autorisation du changement d’usage : ministère public, commune, ou maire ?

L’autre apport de l’arrêt concerne le changement de titularité de l’action (prévue à l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation) tendant à réclamer le prononcé de l’amende en cas d’infraction aux dispositions de l'article L. 631-7, changement issu de la loi du 20 novembre 2016 ; il résulte de cette loi que l’action n’appartient plus, désormais, au ministère public, mais au maire de la commune.

- En premier lieu, le requérant faisait valoir que la loi nouvelle qui modifie la titularité d'une action en justice était sans effet sur celles qui sont en cours, et n’était donc pas applicable ; il faisait alors grief à l'arrêt de s’être prononcé en l'absence du ministère public lors de l'audience, alors que celui-ci était titulaire de l'action à la date à laquelle elle avait été introduite, et ainsi partie principale.

Mais la Haute juridiction écarte l’argument, après avoir rappelé alors que les dispositions de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : L1605LB3), en ce qu'elles confèrent qualité au maire de la commune pour saisir le président du tribunal de grande instance en cas de violation des règles sur le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation, revêtent le caractère d'une loi de procédure et sont, à ce titre, d'application immédiate aux instances en cours (Cass. civ. 3, 16 mai 2019, n° 17-24.474, FS-P+B+I N° Lexbase : A4716ZBB).

Selon la Haute juridiction, elles le sont donc également en ce qu'elles prévoient que le président du tribunal de grande instance statue sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure.

Il en résulte, d'une part, que le ministère public, devenu partie jointe à compter de l'entrée en vigueur de ces dispositions, n'était pas tenu, conformément à l'article 431 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133INB), d'assister à l'audience qui s'est tenue en appel le 30 avril 2018, d'autre part, que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la ville de Paris avait qualité à agir.

- En second lieu, le requérant faisait grief à l’arrêt d’avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la ville de Paris, alors que les dispositions précitées visent le maire comme étant le titulaire de l’action, et que sortait dès lors des limites du litige le juge qui, saisi de l'intervention volontaire d'une commune, la regardait comme celle de son maire.

Là encore l’argument est écarté par la Cour de cassation qui, après avoir relevé que l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 18 novembre 2016, ne précisait pas à quel titre le maire, qui peut agir en tant qu'organe exécutif du conseil municipal ou au titre de ses pouvoirs propres, était ainsi désigné, retient que, compte tenu de leur imprécision, ces dispositions doivent être interprétées à la lumière de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (N° Lexbase : L8700LM8) qui a remplacé « maire de la commune » par « commune » et a supprimé de ce texte la référence au maire. Il en résulte que l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable au litige, doit être interprété comme conférant qualité pour agir à la commune représentée par son maire.

Aussi, la cour d'appel ayant constaté que la ville de Paris, représentée par son maire, était intervenue volontairement, il en résultait que l'intervention volontaire de la ville de Paris, prise en la personne de son maire, était recevable.

  • Conformité au droit communautaire du dispositif d'autorisation de changement d'usage

A noter, en tout dernier lieu, que le requérant avait soulevé l’absence de conformité au droit communautaire du dispositif prévu par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation, instituant un régime d’autorisation de changement d’usage dans le cadre de la location d'un local meublé. Sur ce point, la Cour de cassation surseoit à statuer jusqu’au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne, alors même que cette dernière a tout juste rendu sa décision le 22 septembre dernier, et déclaré le dispositif conforme à la législation européenne (cf. CJUE, 22 septembre 2020, aff. C-724/18, Cali Apartments SCI N° Lexbase : A43833UU, et notre brève N° Lexbase : N4620BYR).

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Données personnelles

[Jurisprudence] Invalidation du Privacy Shield par la CJUE et les grands défis de « Schrems II »

Réf. : CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18 (N° Lexbase : A26443RD)

Lecture: 21 min

N4708BYZ

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par Julie Martinez, Avocate au Barreau de Paris

Le 30 Septembre 2020

 


Mots-clés : Règlement général sur la protection des données • traitement transfrontalier • Privacy Shield Safe Harbor • contrat • niveau de protection adéquat • transferts de données • clauses contractuelles types

Par un arrêt rendu le 16 juillet 2020, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) invalide le Privacy Shield, un accord conclu entre la Commission européenne et les États-Unis qui permettait aux organisations américaines certifiées de transférer les données à caractère personnel de ressortissants de l'Union européenne vers les États-Unis. 


 

Par un arrêt rendu le 16 juillet 2020, la CJUE invalide le Privacy Shield [1], un accord conclu entre la Commission européenne et les États-Unis qui permettait aux organisations américaines certifiées de transférer les données à caractère personnel de ressortissants de l'Union européenne vers les États-Unis. Le Privacy Shield connait ainsi le même sort que son prédécesseur, le fameux Safe Harbor [2]. Si les conclusions de l'arrêt « Schrems II » ne sont pas inattendues, l'invalidation de deux décisions de la Commission européenne sur l'adéquation des transferts de données aux États-Unis (dans les affaires « Schrems I » et « Schrems II ») dans un délai de cinq ans, interroge les propos de l'ancien commissaire européen à la protection des données. Peter Hustinx déclarait en effet en 2014 que les règles de l'Union européenne en matière de transferts de données « se fondent sur un degré de pragmatisme raisonnable afin de permettre une interaction avec le reste du monde ». [3] Certes, et comme le rappelle la CJUE, cette invalidation n'est pas susceptible de créer un vide juridique dans la mesure où il existe d'autres mécanismes pour transférer des données vers des pays tiers, à l'instar des clauses contractuelles types. Cette annulation soulève cependant de nombreuses questions pratiques dans le cadre de transferts globaux.

Cet article a pour objet d’analyser l'arrêt de la CJUE, désormais connu sous le nom de « Schrems II », en trois parties. La première vise à fournir un bref rappel des développements ayant conduit à l'invalidation du Privacy Shield. La deuxième revient sur les principaux apports de cet arrêt récent avant d'explorer, dans une troisième partie, les grands défis soulevés par celui-ci.

1. Du Safe Harbor au Privacy Shield

L'analyse de l'arrêt « Schrems II » appelle un bref rappel historique sur les sources de l'arrêt « Schrems I » et de l'invalidation du fameux Safe Harbor.

En vertu de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L0230LGM), tout citoyen de l'Union a droit à la protection des données à caractère personnel le concernant. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base de son consentement ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. [4] Avant l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) [5], la Directive de 1995 [6] précisait déjà ce droit en prévoyant, entre autres mesures, des garanties adéquates pour protéger les transferts de données personnelles des citoyens de l'Union européenne vers un État tiers. Cette exigence est aujourd'hui précisée par le RGPD, dont les articles 44 à 49 listent une série de garanties appropriées. Les décisions d'adéquation et les clauses contractuelles types adoptées par la Commission européenne – également objets de l’arrêt « Schrems II » – font partie de ces garanties au titre du RGPD. Concernant plus précisément les transferts de données à caractère personnel de ressortissants européens vers les États-Unis, le Safe Harbor –  conclu le 26 juillet 2000 entre le gouvernement américain et l'Union européenne – visait à assurer le « niveau de protection adéquate » susmentionné. S'il est vrai que le Safe Harbor avait subi dès son entrée en vigueur de nombreuses critiques, les révélations d’Edward Snowden, dévoilant au grand public une série de documents confidentiels relatifs à une surveillance de masse exercée par le gouvernement américain, ont remis en question son existence même.

C'est en 2013 que Maximilian Schrems, jeune activiste autrichien, se saisit de la question de la validité du Safe Harbor et la conteste dans un litige l'opposant à Facebook. Maximilian Schrems demandait en substance à la Commission irlandaise de protection des données d'interdire à Facebook le transfert de ses données à caractère personnel vers les États-Unis, en faisant valoir que le droit et les pratiques en vigueur dans ce pays ne garantissaient pas une protection suffisante contre les activités de surveillance qui y étaient pratiquées par les autorités publiques. Cette plainte ayant été rejetée, l'affaire fut portée devant la Haute cour irlandaise qui renvoya, à son tour, l'affaire devant la CJUE. Après avoir examiné l'adéquation des principes du Safe Harbour à la lumière des révélations d'Edouard Snowden, la CJUE invalida le Safe Harbor en 2015 dans le retentissant arrêt « Schrems I ». [7] Malgré cette invalidation, il convient de préciser que les responsables du traitement américains pouvaient toujours se reposer sur les clauses contractuelles types de la Commission européenne pour leurs transferts de données, ce que fit par exemple Facebook à la suite de la décision « Schrems I ». Or, l'activiste Maximilian Schrems reprochait également aux clauses contractuelles types leur manquement au droit européen au regard des écoutes et actes de surveillance massifs des autorités américaines.

À la suite de l'invalidation du Safe Harbor, la Commission européenne et le gouvernement américain se sont à nouveau réunis afin d'élaborer en quelques mois un cadre alternatif visant à offrir un niveau adéquat de protection des transferts de données vers les États-Unis. C'est donc à la hâte qu’a été conclu le très controversé Privacy Shield visant à maintenir au plus vite les accords commerciaux tout en se conformant aux exigences de la CJUE. [8]

En 2015, Maximilian Schrems contesta une nouvelle fois les transferts de données à caractère personnel de ressortissants européens par Facebook vers les États-Unis, en l'occurrence sur le fondement des clauses contractuelles types, au motif qu'elles ne protégeaient pas suffisamment les droits des personnes concernées basées dans l'Union européenne. L'affaire est renvoyée devant la Haute cour irlandaise qui saisit à nouveau la CJUE en 2018 de plusieurs questions préjudicielles. Les questions soumises à la CJUE portaient sur (i) l'interprétation et la validité de la décision de la Commission européenne relative aux clauses contractuelles types [9] pour le transfert de données personnelles vers des sous-traitants établis dans des pays tiers, telle que modifiée le 16 décembre 2016 ; et sur (ii) l'interprétation et la validité de la décision d'exécution 2016/1250 de la Commission européenne du 12 juillet 2016, relative à l'adéquation de la protection assurée par le Privacy Shield

2. Apports de « Schrems II » : invalidation du Privacy Shield et validité des clauses contractuelles types sous certaines réserves

Sur le sujet des clauses contractuelles types, la CJUE n’a pas identifié d’éléments de nature à affecter la validité de la décision 2010/87/UE de la Commission européenne relative aux clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des sous-traitants établis dans des pays tiers. La Cour émet cependant des réserves suivant sa logique – renforcée depuis l'entrée en vigueur du RGPD – de responsabilisation des entités en charge du traitement de données.

Ces réserves sont de plusieurs ordres. D'une part, la CJUE note que dans les cas où les clauses contractuelles types constituent la base du transfert de données dans un pays tiers, le niveau de protection des données d'un citoyen de l'Union européenne dans ce pays tiers doit être substantiellement équivalent au niveau de protection garanti par le RGPD. D'autre part, la CJUE précise que l’évaluation du niveau de protection assuré lors d’un tel transfert doit notamment prendre en considération tant (i) les stipulations contractuelles convenues entre le responsable du traitement (ou son sous-traitant établis dans l’Union) et le destinataire du transfert établi dans le pays tiers concerné, que (ii) les éléments pertinents du système juridique du pays tiers, en ce qui concerne un éventuel accès des autorités publiques de ce pays aux données à caractère personnel ainsi transférées. Cette dernière considération vise à garantir que le critère d'équivalence substantielle susmentionné soit correctement respecté. Pour déterminer l'équivalence substantielle, les garanties appropriées, les droits opposables et les voies de droit effectives du pays tiers doivent être pris en considération. [10]

Par ailleurs, la CJUE affirme que c'est au responsable du traitement ou au sous-traitant qu'il incombe de prévoir, dans le cadre des clauses contractuelles types, des garanties appropriées. Lorsque le caractère adéquat du niveau de protection des données dans un pays tiers n'est pas assuré, c'est au responsable du traitement ou, le cas échéant, à son sous-traitant, qu'il revient de prendre des mesures supplémentaires pour compenser l’insuffisance de la protection des données dans le pays tiers par des garanties appropriées en faveur de la personne concernée. Dès lors, il appartient au préalable à ce responsable du traitement ou à son sous-traitant de vérifier, au cas par cas et, le cas échéant, en collaboration avec le destinataire du transfert, si le droit du pays tiers de destination assure une protection appropriée, au regard du droit de l’Union, des données à caractère personnel transférées sur le fondement de clauses contractuelles types de protection des données, en fournissant, au besoin, des garanties supplémentaires à celles offertes par ces clauses. La nature et le contenu de ces garanties supplémentaires font l'objet d'une analyse à la fin de ce commentaire.

Pour finir, la CJUE précise qu'à défaut, pour le responsable du traitement ou son sous-traitant établis dans l’Union européenne, de pouvoir prendre des mesures supplémentaires suffisantes pour garantir une telle protection, ceux-ci ou, à titre subsidiaire, l’autorité de contrôle compétente, sont tenus de suspendre ou de mettre fin au transfert de données à caractère personnel vers le pays tiers concerné.

En ce qui concerne la seconde question relative à l'adéquation de la protection assurée par le Privacy Shield des données UE - États-Unis, la CJUE décide d’invalider la décision d'exécution de la Commission du 12 juillet 2016.

Afin de pouvoir constater que le Privacy Shield assure bien un niveau de protection substantiellement équivalent à celui garanti au sein de l’Union européenne par le RGPD, la CJUE examine si les programmes de surveillance américains sont mis en œuvre dans le respect de telles exigences, sous réserve, bien entendu, du critère de proportionnalité. En effet, bien que les États-Unis se soient engagés à ce que les organisations « auto-certifiées Privacy Shield » assurent un niveau de protection adéquat, le Privacy Shield prévoit lui-même une limitation de cette protection. Le point I.5 de son annexe II [11], dispose en effet que l’adhésion à ses principes peut être limitée par, notamment, « les exigences relatives à la sécurité nationale, [à] l’intérêt public et [au] respect de la législation ». Reprenant son argumentation exprimée dans l'arrêt « Schrems I », la CJUE rappelle ainsi qu'eu égard à son caractère général, la dérogation figurant au point I.5 de l’annexe II du Privacy Shield rend possible, sur le fondement d’exigences relatives à la sécurité nationale et à l’intérêt public ou sur la législation interne des États-Unis, une ingérence dans les droits fondamentaux des personnes dont les données à caractère personnel sont ou pourraient être transférées depuis l’Union vers les États-Unis. [12]

Les ingérences des autorités américaines portant nécessairement atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne relatifs respectivement au droit au respect de sa vie privée et au droit à la protection des données à caractère personnel la concernant [13], la CJUE apprécie si les limitations de ces droits sont bien proportionnées, nécessaires et prévues par la loi, en tenant compte des droits effectifs et opposables dont bénéficient les personnes concernées. À l’issue de ce triple contrôle, la CJUE estime que les limitations à la protection des données à caractère personnel découlant des lois américaines ne satisfont pas à l'exigence d'un niveau de protection substantiellement équivalent [14]. Pour arriver à cette conclusion, la CJUE estime tout d'abord que l’article 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) ne fait ressortir d’aucune manière l’existence de limitations à l’habilitation qu’il comporte pour la mise en œuvre de programmes de surveillance aux fins du renseignement extérieur, pas plus que l’existence de garanties pour des personnes non-américaines potentiellement visées par ces programmes dont les droits ne sont pas opposables aux autorités américaines. [15] Par ailleurs, s’agissant des programmes de surveillance américains fondés sur l’E.O. 12333, la CJUE estime que ce décret ne confère pas non plus aux étrangers ciblés de droits opposables aux autorités américaines. [16] Dès lors, ni l’article 702 du FISA, ni l’E.O. 12333, lus en combinaison avec la PPD-28 (qui permet de procéder à une collecte « en vrac » d’un volume relativement important d’informations ou de données issues du renseignement), ne correspondent aux exigences minimales attachées, en droit de l’Union, au principe de proportionnalité, si bien que la CJUE affirme qu'il n’est pas permis de considérer que les programmes de surveillance fondés sur ces dispositions soient limités au strict nécessaire. Pour l’ensemble de ces raisons, la CJUE juge que les textes américains contreviennent tant à l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux qu'à son article 47.

Tirant les conséquences de cette constatation, la CJUE juge que l'article 1er du Privacy Shield est incompatible avec les exigences d'adéquation posées à l'article 45 du RGPD lu à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et qu’il est de ce fait invalide. L’article 1er de la décision « Privacy Shield » étant indissociable des articles 2 à 6 ainsi que des annexes de celle-ci, son invalidité a pour effet d’affecter la validité de cette décision dans son ensemble : le Privacy Shield est par conséquent invalidé dans son ensemble.

Si la CJUE prend le soin de préciser dans son arrêt que l’annulation d’une décision d’adéquation telle que la décision « Privacy Shield » n’est pas susceptible de créer un vide juridique dans la mesure où il existe d'autres mécanismes juridiques pour transférer des données vers des pays tiers, à l'instar des clauses contractuelles types, cette annulation soulève de nombreuses questions pratiques, auxquelles les organisations sont confrontées pour la seconde fois en cinq ans.

3. Les grands défis post-Schrems II  

En théorie, la CJUE reste fidèle à ses positions. Comme le fait très justement remarquer le professeur Christopher Kuner, « les conclusions de l'arrêt "Schrems II" ne sont pas inattendues ». [17] En effet, la jurisprudence adoptée par la CJUE au cours des dernières années affiche une position très forte en faveur de la protection des données, quelles qu'en soient les conséquences pratiques : outre l'arrêt « Schrems I », on peut penser à l'arrêt « Digital Rights Ireland » [18] de 2014, les arrêts « Tele2 Sverige contre Tom Watson et autres » [19] de 2016… Dans ce contexte, « Schrems II » représente « une continuation de l'approche de la Cour en matière de réglementation des transferts internationaux de données plutôt qu'un changement radical de cette approche » [20]. L'arrêt « Schrems II » s'inscrit ainsi dans une continuité constitutionnelle forte de protection des transferts de données personnelles européennes, y compris contre l'accès des gouvernements de pays tiers à ces données.

À certains égards, « Schrems II » va même bien au-delà de « Schrems I ». Il complète en effet le régime théorique de protection des transferts de données d'une manière qui permettrait d'éviter un nouveau contournement des normes du RGPD et insiste sur la responsabilisation des acteurs en charge de ces transferts. Au-delà d'une simple invalidation, la CJUE insiste avant tout sur le fait que toutes les parties prenantes doivent veiller à ce que les mêmes normes de protection des données à caractère personnel européennes s'appliquent aux transferts effectués par d'autres moyens juridiques, à commencer par les clauses contractuelles types. [21] En effet, « Schrems II » rappelle aux organisations que les clauses contractuelles types sont soumises aux mêmes normes de protection que les autres moyens de transferts. Les clauses contractuelles types ne peuvent pas se suffire à elles-mêmes, les responsables du traitement des données, sous le contrôle des autorités de protection des données, doivent assurer leur efficacité dans les faits.

Aussi cohérent et protecteur que cet arrêt soit en théorie, il soulève en pratique certaines incertitudes. Il a également de nombreuses conséquences pour les organisations, requérant une nouvelle fois de ces dernières une flexibilité relevant parfois du grand écart.

D'une part, le calendrier est incertain pour les presque 5 400 organisations qui ne peuvent plus, à ce jour, se fonder sur le Privacy Shield pour transférer des données personnelles de l'Union européenne vers les États-Unis. Si lors de l'arrêt « Schrems I », certaines Autorités de Protection des Données européennes avaient prévu une période salvatrice de transition, il n'est pas certain qu'un tel « délai de grâce » puisse être accordé en vertu du nouveau RGPD et sous l'empire de cet arrêt. Au paragraphe 202, la CJUE considère en effet qu'il n'est pas nécessaire de maintenir les effets du Privacy Shield aux fins d’éviter la création d’un vide juridique car, en tout état de cause, les dérogations prévues à l'article 49 du RGPD peuvent être utilisées pour les transferts de données nécessaires vers les États-Unis. Par ailleurs, le Comité européen de la protection des données (CEPD) n'a pas mentionné une telle possibilité dans ses premières communications sur « Schrems II ». En conséquence, à moins que le CEPD ou, localement, les Autorités de Protection des Données ne prennent position sur un délai de grâce, presque 5 400 entreprises doivent très rapidement recourir à d'autres garanties pour leurs transferts de données vers les États-Unis. Pour finir, cette seconde invalidation d'une décision d'adéquation de la Commission en moins de cinq ans a une signification juridique et politique importante qui semble exclure la répétition d’une stratégie de « solution rapide » telle que celle déployée après l'invalidation du Safe Harbor. Il est désormais attendu de la Commission européenne qu'elle traite de façon structurelle les principales questions soulevées par la CJUE afin de conclure un accord UE-États-Unis de longue durée, offrant une base juridique valable et une sécurité juridique pour les années à venir. Cela n'est pas sans difficultés puisque les autorités américaines ont déjà fait savoir qu'il n'est ni « souhaitable ni possible » d'envisager une refonte des pouvoirs de surveillance à court terme [22].

D'autre part, cet arrêt soulève de nombreuses incertitudes juridiques relatives aux autres décisions d'adéquation. Les apports de cet arrêt vont en effet très certainement compliquer l'adoption d'une décision d'adéquation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni post-Brexit au regard des pouvoirs de surveillance élevés dont dispose le gouvernement britannique. La Commission européenne a également adopté des décisions d'adéquation avec Israël, le Canada, l'Argentine, le Japon ou bien encore la Nouvelle-Zélande. Les révisions périodiques de la Commission européennes ou d’éventuels recours devant la CJUE pourraient remettre en cause ces décisions d'adéquation, en particulier avec Israël – pays connu pour exercer également une surveillance extensive à des fins de sécurité nationale.

Pour finir, l'arrêt soulève de nombreuses incertitudes pratiques relatives au recours aux clauses contractuelles types pour les organisations signataires. Se pose en effet la question de savoir si les organisations ayant recours aux clauses contractuelles types peuvent toujours passer par ces dernières pour transférer leurs données vers les États-Unis. Ce mécanisme semble ébranlé par les conclusions de la CJUE dans l'arrêt « Schrems II ». Toutefois, sa validité pourrait être maintenue si l'on s'attarde sur le concept des garanties supplémentaires mis en avant par la CJUE. La CJUE évoque en effet la possibilité pour l'exportateur des données, même dans l'hypothèse où la législation du pays de l'importateur n'offrirait pas un niveau de protection « adéquat » et « équivalent », de transférer tout de même des données vers ce pays s’il fournit des garanties supplémentaires [23] ou des mesures supplémentaires [24] à celles offertes par ces clauses. Qu'elles soient techniques (protocoles de cryptage puissants par exemple) ou juridiques, cette référence aux garanties supplémentaires peut laisser perplexe en l'absence de plus amples informations fournies par la CJUE. Le CEPD lui-même analyse actuellement l'arrêt de la CJUE afin de déterminer le type de mesures complémentaires qui pourraient être fournies en sus des clauses contractuelles types, qu'il s'agisse de mesures juridiques, techniques ou organisationnelles, pour transférer des données vers des pays tiers où les clauses contractuelles types (ou les Règles d'Entreprise Contraignantes - ou BCR) ne fourniront pas à elles seules le niveau de garanties suffisant.

À ce jour, seule l'Autorité de protection des données du Bade-Wurtemberg [25] s'est prononcée sur le sujet en proposant la modification des clauses contractuelles types actuelles. L'Autorité du Bade-Wurtemberg propose ainsi par exemple d'ajouter une obligation pour l'importateur de données de contester toute demande d'accès par des autorités publiques [aux données transférées] devant un tribunal et de ne pas fournir les données à l'autorité en question jusqu'à ce qu'un jugement final ordonnant la divulgation ait été rendu. L'Autorité de Bade-Wurtemberg ne précise pas si ces changements seront soumis à une validation préalable par l'Autorité.

Ainsi, tout en conservant les clauses contractuelles types, la CJUE a entendu rendre les responsables du traitement des données plus responsables de leurs actions lorsque la législation du pays d'importation permet l'accès à des données allant au-delà des normes permises dans l'Union européenne. Si ces exigences ne sont pas nouvelles, elles requièrent des organisations – afin d'amender ou non leurs clauses contractuelles types – qu'elles développent une expertise du droit des pays tiers d'une manière qui dépasse probablement les capacités de nombre d'entre elles.

4. Conclusion

Au-delà de la retentissante invalidation du Privacy Shield, l'arrêt « Schrems II » est également riche en interrogations concernant les clauses contractuelles types. En effet, si les conclusions de l'arrêt « Schrems II » ne sont pas inattendues et constituent un jalon supplémentaire dans la réglementation européenne sur les transferts de données, elles soulèvent également un certain nombre de questions importantes pour les organisations concernées, pour lesquelles l'évaluation au cas par cas des lois des pays étrangers sera vraisemblablement une opération particulièrement difficile. Au-delà des considérations diplomatiques, politiques et économiques, cette « privatisation » des évaluations d'adéquation sera sans aucun doute périlleuse pour les organisations concernées, a fortiori après que la Commission européenne elle-même, avec son expertise et ses ressources, ait été forcée à deux reprises de revoir sa copie.


[1] Décision d'exécution (UE) 2016/1250 de la Commission européenne, 12 juillet 2016, conformément à la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à l'adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis (N° Lexbase : L5534K9T).

[2] Décision 2000/520/CE, 26 juillet 2000 [en ligne].

[3] Le droit de l’Union européenne sur la protection des données : la révision de la directive 95/46/CE et la proposition de règlement général sur la protection des données, Peter Hustinx, 31 mai 2014.

[4] Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 8.

[5] Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la Directive 95/46/CE (N° Lexbase : L0189K8I) (Règlement général sur la protection des données).

[6] Directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L8240AUQ).

[7] CJUE, 6 octobre 2015, aff. C-362/14 (N° Lexbase : A7248NSA).

[8] C. Crichton, Transfert de données vers les USA: l'arrêt Schrems II, Dalloz actualité, 22 juillet 2020.

[9] Décision 2010/87/UE de la Commission européenne du 5 février 2010, modifiée par la décision d'exécution UE 2016/2297 de la Commission européenne du16 décembre 2016 (N° Lexbase : L8226LBB).

[10] Note 1, § 104 -105.

[11] intitulée « Principes du cadre “bouclier de protection des données [Union européenne] - États-Unis” ».

[12] Note 1, § 165.

[13] Note 1, § 169 - 171.

[14] Note 1, § 184

[15] Note 1, § 178 - 181

[16] Note 1, § 182

[17]  Ch. Kuner,The Schrems II judgment of the Court of Justice and the future of data transfer regulation, European Law Blog, 17 juillet 2020 [en ligne].

[18] CJUE, 8 avril 2014, aff. C-293/12 (N° Lexbase : A7603MIG).

[19] CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-203/15 (N° Lexbase : A7089SXT).

[20] Ch Kuner, préc. note 17.

[21] After Schrems II: Uncertainties on the legal basis for data transfers and constitutional implications for Europe, de Theodore Christakis, 21 juillet 2020.

[22] V. Manancourt, EU’s rejection of US surveillance also tests its commitment to privacy, Politico, 19 juillet 2020 [en ligne].

[23] Note 1, § 134.

[24] Note 1, § 135.

[25] Orientierungshilfe: Was jetzt in Sachen internationaler Datentransfer?, Autorité de Protection des Données du Bade-Wurtemberg, 25 août 2020.

newsid:474708

Famille et personnes

[Brèves] Dispositif électronique mobile anti-rapprochement : publication du décret de mise en œuvre

Réf. : Décret n° 2020-1161, du 23 septembre 2020, relatif à la mise en œuvre d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement (N° Lexbase : L2677LYS)

Lecture: 8 min

N4644BYN

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par Anne-Lise Lonné-Clément et Adélaïde Léon

Le 01 Octobre 2020

Publié au journal officiel du 24 septembre 2020, le décret n° 2020-1161, du 23 septembre 2020, relatif à la mise en œuvre d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement (N° Lexbase : L2677LYS), vient modifier le Code de procédure pénale et le Code de procédure civile afin de préciser les conditions du prononcé de l’interdiction de s’approcher de la victime et du placement sous bracelet anti-rapprochement et crée un traitement de données à caractère personnel dédié.

I. Dispositif électronique mobile anti-rapprochement ordonné dans le cadre du contrôle judiciaire, à l’étape du jugement ou lors de la procédure d’application des peines

Décision d’interdiction de rapprochement et de placement sous bracelet anti-rapprochement :

  • Auteur et modalités de la décision (C. proc. pén., art. R. 24-14) : le décret n° 2020-1161 crée, à la suite de l’article R. 24-13 du Code de procédure pénale, au sein de la sous-section 1 relative au contrôle judiciaire, un nouveau paragraphe 5 relatif au placement sous bracelet anti-rapprochement. Ces dispositions précisent les conditions dans lesquelles le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention (JLD) peuvent, sur le fondement de l’article 138-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3004LUS), prendre, par ordonnance motivée, la décision d’assortir le contrôle judiciaire d’une interdiction de se rapprocher de la victime et du port d’un bracelet anti-rapprochement.

Ces mesures peuvent également être ordonnées à l’étape du prononcé de la peine, par la juridiction de jugement ou la juridiction d’application des peines, dans le cadre d'un sursis probatoire, d'une semi-liberté, d'un placement à l'extérieur, d'une détention à domicile sous surveillance électronique, d'un fractionnement ou d'une suspension de peines, d'un suivi socio-judiciaire, d'une libération conditionnelle, d'une surveillance judiciaire ou d'un placement sous surveillance électronique mobile (C. proc. pén., art. R. 60-1). Dans cette hypothèse, les dispositions des articles R. 24-16 à R. 24-23 ci-dessous exposées sont applicables à l’exception des article R. 24-19 et R. 24-22.

  • Nécessité de la décision (C. proc. pén., art. R. 24-15) : le décret précise également que le juge d’instruction et le JLD ne peuvent faire application des dispositions de l’article 138-3 du Code de procédure pénale, qu’à la condition que les interdictions des 3° (interdiction de se rendre dans certains lieux ou ne se rendre que dans certains lieux) et 9° (interdiction d’entrer en relation avec certaines personnes) de l’article 138 du même code (N° Lexbase : L8553LX3) n’apparaissent pas suffisantes pour prévenir le renouvellement de l’infraction. Dans ce cas, l’interdiction de rapprochement et le port du bracelet ne peuvent être ordonnées que si sont également prononcées ces interdictions précitées.

Le même principe s’applique, s’agissant des interdictions des 9° et 13° de l’article 132-45 du Code pénal (N° Lexbase : L7640LPN), lorsque l’interdiction de rapprochement et le port du bracelet sont prononcés par la juridiction de jugement ou la juridiction d’application des peines (C. proc. pén., art. R. 60-1).

Dispositif de surveillance électronique et compatibilité avec la santé de l’intéressé (C. proc. pén., art. R. 24-16, R. 24-17 et R. 24-24) : le texte prévoit par ailleurs les modalités techniques du dispositif anti-rapprochement ainsi que la possibilité pour le magistrat de désigner un médecin afin de vérifier la compatibilité du bracelet avec la santé de la personne.

Portée de la mesure d’interdiction de rapprochement (C. proc. pén., art. R. 24-18, R. 24-19 et R. 24-22) : le décret précise par ailleurs les limites de distance (de 1 à 10 km) et de temps (inférieur ou égal à six mois renouvelable sous conditions) de l’interdiction de rapprochement ainsi que les éléments que le juge doit prendre en compte pour les fixer. Les distances initialement fixées peuvent faire l’objet d’une révision sur demande du mis en examen ou de la victime. Il peut également être demandé qu’il soit mis fin à l’obligation du port du bracelet.

Information du porteur du bracelet (C. proc. pén., art. R. 24-20 et R. 24-21) : sont également exposées les informations devant être portées à la connaissance de la personne placée sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rapprocher de la victime et port d’un bracelet anti-rapprochement. Il s’agit des conditions de la pose du bracelet, les conséquences de la méconnaissance des distances de pré-alerte et d’alerte ou de l’obligation pour l’intéressé de garantir le fonctionnement du bracelet ainsi les conditions de contrôle.

Dispositif anti-rapprochement et assignation à résidence sous surveillance électronique (C. proc. pén., art. R. 24-24) : lorsqu’il est fait application de l’article 138-3 du Code de procédure pénale dans le cadre d'une assignation à résidence sous surveillance électronique ou d'une assignation à résidence sous surveillance électronique mobile, le décret prévoit que les dispositions relatives au placement sous bracelet anti-rapprochement sont applicables.

Traitement de données à caractère personnel relatif au dispositif électronique mobile anti-rapprochement (C. proc. pén., R. 61-43 à R. 61-53) : enfin, le décret n° 2020-1151 autorise le ministre de la Justice à mettre en œuvre le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé anti-rapprochement. Le texte prévoit par ailleurs les finalités de ce traitement, les données à caractère personnel pouvant être enregistrées, la durée de leur conservation, les personnes habilitées à y accéder, les modalités de collecte, de modification, de consultation, communication et d’effacement de ces données ainsi que les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique (N° Lexbase : L8794AGS) applicables au traitement. Le texte précise enfin les conditions d’habilitation des personnes chargées du contrôle à distance du dispositif mobile électronique anti-rapprochement.

II. Dispositif électronique mobile anti-rapprochement ordonné par le JAF dans le cadre d’une ordonnance de protection 

Demande (CPC, art. 1136-16) : lorsque le port d'un dispositif mobile anti-rapprochement prévu à l'article 515-11-1 du Code civil (N° Lexbase : L8564LXHest demandé par l'une ou l'autre des parties, il est joint au soutien de la demande tout élément relatif à la situation familiale, matérielle et sociale des deux parties, afin de permettre au juge de déterminer les distances d'alerte et de pré-alerte. 

Consentement des parties/obligation d’information/délai de réflexion (CPC, art. 1136-16, et art. 1136-19) : avant de consentir au port d'un dispositif mobile anti-rapprochement, les parties reçoivent du juge aux affaires familiales un certain nombre d’informations obligatoires. Lorsque le juge ordonne le port d'un dispositif mobile anti-rapprochement, il s'assure que les parties, et en particulier la partie défenderesse, ont disposé d'un délai de réflexion suffisant pour pouvoir donner un consentement libre et éclairé. 

Décision du JAF (CPC, art. 1136-17 et 1136-18) : la décision qui ordonne le port d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement fixe la durée de la mesure (six mois maximum), ses conditions de mise en œuvre, en particulier les distances de pré-alerte et d'alerte séparant les deux parties (précisément définies). Le juge aux affaire familiales peut préciser dans sa décision que le porteur du bracelet est autorisé à être présent à des heures et dans des lieux qu'il détermine, y compris si ces lieux venaient à être intégrés du fait des déplacements de la personne ou de la victime dans une zone d'alerte ou de pré-alerte. 

Modification/mainlevée (CPC, art. 1136-20 et art. 1136-21) : en cas de difficultés dans l'exécution de la mesure de port du dispositif électronique mobile anti-rapprochement, le juge aux affaires familiales peut être saisi à tout moment dans les conditions de l'article 515-12 du Code civil (N° Lexbase : L9319I3K), par l'une ou l'autre des parties ou par le procureur de la République, afin que soient modifiées en tout ou partie les mesures énoncées dans l'ordonnance de protection (notamment révision des distances d'alerte et de pré-alertefin de l'interdiction de rapprochement et du port du bracelet, mainlevée du dispositif). 

À noter qu’à défaut pour le juge aux affaires familiales d'avoir statué dans un délai de dix jours sur la demande de modification de l'ordonnance de protection portant sur la mainlevée du dispositif électronique mobile anti-rapprochement mentionné à l'article 515-11-1 du Code civil, celle-ci est acquise de plein droit. 

Incidence du prononcé d’un dispositif équivalent dans le cadre d'une procédure pénale (CPC, art. 1136-23) : lorsqu'une interdiction de rapprochement assortie de l'obligation de porter un bracelet électronique anti-rapprochement prononcée dans le cadre d'une procédure pénale est mise en œuvre (cf. supra), la mainlevée de la mesure prononcée en application de l'article 515-11-1 du Code civil est acquise de plein droit. 

Traitement automatisé de données à caractère personnel (CPC, art. 1136-22) : le traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « Bracelet anti-rapprochement », est régi par les articles R. 61-43 à R. 61-51 du Code de procédure pénale (cf. supra).

 

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Fiscal général

[Brèves] Les mesures fiscales du projet de loi de finances pour 2021

Réf. : MINEFI, Dossier de presse, 28 septembre 2020

Lecture: 4 min

N4665BYG

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par Marie-Claire Sgarra

Le 02 Octobre 2020

Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, et Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des Comptes publics, ont présenté le projet de loi de finances 2021 (PLF 2021), le 28 septembre, à Bercy.

Notons que le texte a été élaboré dans le contexte particulier de la crise sanitaire liée au covid-19. L’année 2021 sera ainsi marquée par la mise en œuvre du plan de relance, qui a pour objectif le retour de la croissance économique et l’atténuation les conséquences économiques et sociales de la crise.

Voici la liste des principales mesures fiscales.

Fiscalité environnementale :

  • transformation totale du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) en prime, dite « MaPrimeRénov’ », distribuée par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et lancée en janvier 2020 ;
  • création d’un crédit d’impôt spécifique en faveur de l’installation de bornes de recharge de véhicules électriques sur les places de stationnement résidentiel ;
  • fixation du barème 2021 et 2022 du malus CO2 à l’immatriculation, qui intègre notamment un renforcement progressif des incitations environnementales ;
  • rationalisation des régimes de taxation des impôts dus à raison de l’utilisation des véhicules à moteur que sont la taxe spéciale sur certains véhicules routiers (TSVR) et la taxe sur les véhicules de société (TVS). La gestion de la TSVR, dite « taxe à l’essieu », sera transférée de l’administration des douanes et droits indirects à la direction générale des finances publiques en 2021.
  • augmentation des taux cibles de la taxe incitative relative à l’incorporation des biocarburants ;
  • alignement progressif des trois tarifs de TICPE pour les essences traditionnelles sur une période de deux ans, de façon à supprimer le tarif réduit dont bénéficie l’E10.

 

Fiscalité locale :

  • pour la CVAE : réduction de moitié pour toutes les entreprises redevables de cet impôt, ce qui correspond à la suppression de la part affectée aux régions : - 7,2 milliards d’euros ;
  • en ce qui concerne la TFPB et la CFE : modernisation des paramètres de la méthode comptable d’évaluation servant au calcul des impôts fonciers de la plupart des établissements industriels pour environ 32 000 entreprises exploitant 86 000 établissements : - 1,75 milliards d’euros de TFPB et -1,5 milliards d’euros de CFE ;
  • baisse du taux de plafonnement de la CET en fonction de la valeur ajoutée, qui sera ramené de 3 % à 2 %, pour garantir que toutes les entreprises, y compris celles qui sont éligibles à ce dispositif de plafonnement, bénéficient de la baisse de la CVAE et de la CFE ;
  • mise en place d’une mesure permettant de prolonger de trois ans l’exonération de CFE en cas de création ou d’extension d’établissements, sur délibération des collectivités locales.

 

Fiscalité des entreprises :

  • mesure temporaire de neutralisation des conséquences fiscales des réévaluations libres d’actifs des entreprises. Ce mécanisme permettra d’étaler l’imposition résultant de telles opérations sur une durée de cinq ans ou de quinze ans selon la nature du bien ;
  • rétablissement temporaire du dispositif d’étalement de la plus-value réalisée lors d’une opération de cession-bail d’immeuble par une entreprise ;
  • mesure de suppression progressive de la majoration de 25 % appliquée à certains revenus des professionnels non adhérents d’un organisme de gestion agréé (OGA) ou assimilé ;
  • suppression de l’enregistrement obligatoire de certains actes de sociétés à très faible enjeu budgétaire, et rend possible le dépôt des actes de sociétés au greffe du tribunal avant l’exécution de la formalité d’enregistrement au service des impôts, même lorsque celle-ci reste obligatoire.

 

TVA :

  • instauration d’un régime de groupe de TVA, grâce auquel les personnes indépendantes du point de vue juridique, mais étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation pourront être considérées comme un seul assujetti pour les besoins de la taxe ;
  • report de l'entrée en vigueur des règles modifiant le régime de TVA du commerce électronique.

 

Autres mesures :

  • poursuite de la suppression de taxe à faible rendement ;
  • mesure d’harmonisation des procédures de recouvrement forcé des créances publiques qui concernera les créances fiscales.

 

Consulter le dossier de presse.

newsid:474665

Procédure civile

[Jurisprudence] Aux délices des procéduriers : obligations de demander formellement l’infirmation dans le dispositif des conclusions d’appel et d’avoir l’autorisation du juge pour faire une mesure conservatoire à un domicile

Réf. : Cass. Civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I (N° Lexbase : A88313TA)

Lecture: 25 min

N4668BYK

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par Charles Simon, Avocat au barreau de Paris, Membre des associations AAPPE et Droit & Procédure

Le 01 Octobre 2020

 


Mots-clés : appel • procédure d’appel • mentions obligatoires • infirmation • dispositif • voies d’exécution • saisies conservatoires • meubles • lieu servant à l’habitation

La Cour de cassation pose deux solutions nouvelles et qui n’étaient pas évidentes à la lecture des textes : l’appelant doit expressément demander l’infirmation du jugement dont appel dans le dispositif de ses conclusions, à défaut, la cour doit confirmer le premier jugement ; une saisie conservatoire de meubles dans un lieu servant à l’habitation doit toujours être préalablement autorisée par le juge, même lorsque le pseudo-créancier dispose d’un quasi-titre l’en dispensant normalement.


La Cour de cassation a rendu le 17 septembre 2020 un arrêt de principe, publié au bulletin et sur son site internet, posant deux solutions nouvelles.

La première doit être connue de toutes personnes engagées dans un contentieux devant les tribunaux, en particulier des professionnels que sont les avocats : les conclusions d’appel doivent expressément contenir dans leur dispositif une demande d’infirmation de la décision de première instance. À défaut, la cour d’appel ne peut que confirmer la première décision.

La seconde intéresse un public sans doute plus restreint, c’est-à-dire les huissiers et les avocats qui pratiquent les voies d’exécution : une saisie conservatoire réalisée au domicile du pseudo-débiteur doit être autorisée par le juge, même lorsque le pseudo-créancier dispose d’un quasi-titre lui permettant normalement de se passer d’une telle autorisation. L’ajout des préfixes « pseudo » et « quasi » signale que nous sommes ici en matière conservatoire, avant un titre exécutoire, alors que les qualités de créancier et de débiteur ne sont pas encore judiciairement fixées et que le titre fondant la mesure conservatoire n’est pas un titre exécutoire.

Ni la première, ni la seconde des solutions posées par la Cour de cassation n’étaient évidentes à la lecture des textes. La première est même choquante, outre qu’elle fragilise encore le droit d’appel, déjà bien malmené depuis la réforme Magendie de 2009.

Après un rappel des faits (I.), nous étudierons la première solution (II.), puis la seconde (III.).

I. Rappel des faits

Une personne a été condamnée par les tribunaux turcs à payer certaines sommes à une autre. Son créancier a pratiqué à son encontre différentes mesures conservatoires en France (saisies conservatoires de créances ; de droits d’associés et de valeurs mobilières et de meubles corporels, cette dernière saisie à son domicile). Ces saisies conservatoires ont manifestement été pratiquées sans autorisation du juge de l’exécution. Elles ont été contestées.

Dans un premier temps, le juge de l’exécution a rejeté intégralement la contestation, puis la cour d’appel l’a accueillie partiellement, sur la seule validité de la saisie conservatoire de meuble pratiquée au domicile du pseudo-débiteur qu’elle a annulée (CA Paris, pôle 4 chambre 8, 6 septembre 2018, n° 18/02624 N° Lexbase : A4517X3P).

La cour d’appel a également tranché un argument du pseudo-créancier, de pure procédure. Le pseudo-créancier, intimé en appel, prétendait que la cour d’appel ne pouvait pas se prononcer sur l’appel du pseudo-débiteur car celui-ci n’avait pas expressément demandé l’infirmation de la décision dont appel dans ses premières conclusions d’appelant. La Cour suprême a répondu que les demandes du pseudo-débiteur tendaient à l’annulation des saisies et qu’elles s'analysaient donc nécessairement comme des critiques du jugement auxquelles la cour d’appel devait répondre.

Le pseudo-créancier a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel, en particulier en ce qu’il l’avait débouté de son argument de procédure et en ce qu’il avait annulé sa saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur.

Bien que ce ne soit pas précisé dans l’arrêt de la Cour de cassation qui nous préoccupe, on ajoutera que, au vu de la configuration des faits, on imagine que le pseudo-créancier a engagé une instance en exéquatur des jugements turcs en parallèle de ses saisies conservatoires, soit antérieurement à elles soit dans le délai d’un mois de la première. En effet et pour rappel, si la personne qui se prétend créancier n’a pas déjà engagé une procédure en vue d’obtenir un titre exécutoire au moment de la saisie conservatoire qu’elle pratique, elle doit le faire dans un délai d’un mois (CPCEx, art. L. 511-4 N° Lexbase : L5916IRK et art. R. 511-7 N° Lexbase : L2542ITC)

Une autre décision dans la même affaire confirme que le pseudo-créancier a bien engagé une procédure en exéquatur des jugements turcs. A priori, en l’état, il a été débouté de sa demande (TGI Paris, 1ère Chambre 1ère Section 1ère sous-Section, 27 mars 2019, n° 17/11704 N° Lexbase : A13183WQ). À ce jour, il ne dispose donc toujours pas de titre exécutoire en France.

C’est ainsi dans cette configuration que les faits se présentaient devant la Cour de cassation.

II. Les conclusions de l’appelant doivent demander expressément l’infirmation de la première décision dans leur dispositif

La solution selon laquelle les conclusions de l’appelant doivent demander expressément l’infirmation de la première décision est essentielle à connaître tant les effets d’un non-respect paraissent dévastateurs pour l’appelant (A.). Heureusement, la Cour de cassation a modulé dans le temps l’entrée en vigueur de cette obligation, afin de sauver les procédures en cours dans lesquelles les conclusions ne seraient pas conformes (B.). Une fois que cette règle s’appliquera pleinement, il n’est cependant pas sûr qu’elle soit si aisée que cela à mettre en œuvre (C.). Plus généralement, on peut s’interroger sur sa conventionalité alors que sa justification semble reposer sur le fait que les juges d’appel seraient idiots (D.).

A. Le principe : la cour d’appel doit confirmer le premier jugement lorsque les conclusions de l’appelant ne comportent pas de demande d’infirmation dans leur dispositif

L’attendu de principe qu'énonce la Cour de cassation doit être connu :

« il résulte des articles 542 (N° Lexbase : L7230LEI) et 954 (N° Lexbase : L7253LED) du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. »

Pour rappel, l’article 542 du Code de procédure civile concerne l’objet de l’appel et prévoit que :

« l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

L’article 954 du même code concerne quant à lui le contenu des conclusions d’appel et prévoit, à ses alinéas 3 et 5, que :

« la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

« La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. »

La Cour de cassation a donc tiré de la combinaison de ces deux articles la règle selon laquelle les conclusions d’appel doivent expressément mentionner dans leur dispositif que l’appelant demande l’infirmation de la première décision dont appel.

Il s’agit d’une pure règle de forme. On pourrait donc penser que, en tant que telle, sa sanction soit bénigne ou, à tout le moins, que la personne qui soulève sa violation doive faire la preuve d’un grief, impossible ici à rapporter tant il est évident pour tous qu’une personne qui fait appel d’un jugement devant la cour d’appel entend le voir infirmer.

Mais c’est sans compter sur l’évolution de la procédure d’appel qui, depuis la réforme dite « Magendie » issue du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW), multiplie les pièges procéduraux sur des questions de forme. Les sanctions sont automatiques, dans l’espoir de vider, à peu de frais, le rôle des cours d’appel et de décourager les justiciables de contester les décisions de première instance. À cet égard, il est effarant que la lettre de mission du ministère de la justice demandant à l’inspection générale de la justice de dresser le bilan des réformes de la procédure d’appel commence ainsi :

« évaluer si les objectifs d’amélioration de la qualité et la célérité de la justice, recherchés depuis la réforme de 2009, ont été atteints, s’agissant de la volonté d’une part de réduire les stocks… » (Ministère de la justice, IGS, Bilan des réformes de la procédure d’appel en matière civile, commerciale et sociale et perspectives, juillet 2019, p. 13).

La sanction de ce formalisme qu’on qualifiera de punitif est donc ici que la cour d’appel se trouve liée par l’absence de demande d’infirmation du jugement dans le dispositif des conclusions d’appel et doit ainsi le confirmer.

On précisera un point : cette solution et ses conséquences particulièrement drastiques concernent l’appelant principal, bien sûr, mais aussi l’appelant incident, c’est-à-dire l’intimé principal. C’est le cas du défendeur à l’appel qui demande, par voie reconventionnelle, l’infirmation de tout ou partie du premier jugement et qui doit donc, là aussi, le mentionner expressément dans le dispositif de ses conclusions.

B. L’application du principe pour le passé : la Cour de cassation sauve les procédures déjà engagées

La solution paraît particulièrement injuste, en particulier vu de ses conséquences dramatiques pour l’appelant. Elle n’avait rien d’évident au regard des textes et encore moins du simple bon sens. Par faveur, la Cour de cassation a donc décidé de moduler son application dans le temps.

Pour rappel, cette possibilité de moduler dans le temps les effets d’une règle jurisprudentielle nouvelle a été notamment affirmée par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 21 décembre 2006 (Ass. plén., 21 décembre 2006, n 00-20.493, P+B+R +I N° Lexbase : A0788DTD). La Cour de cassation a précisé la raison sous-tendant cette exception au principe d’effet rétroactif de la jurisprudence dans son rapport 2014 :

  • « en matière civile, c’est lorsque le revirement pourrait avoir une incidence sur l’accès à un juge que la Cour de cassation décide la modulation exceptionnelle des effets dans le temps de la décision de revirement »[1].

En l’espèce, la Cour de cassation a ainsi jugé que :

  • « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL) et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable. »

Il s’agit donc ici de préserver l’accès au juge d’appel face à une interprétation jurisprudentielle inattendue des règles de droit. En conséquence, la Cour de cassation a sauvé l’arrêt d’appel qui se trouve légalement justifié plutôt que cassé, comme il aurait dû l’être si la Cour de cassation avait appliqué immédiatement la règle nouvelle. 

Ce sauvetage temporaire s’étend à toutes les procédures d’appel introduites avant le 17 septembre 2020. Un appelant qui aurait donc oublié de préciser, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, qu’il demandait l’infirmation de la décision de première instance n’est donc, a priori, pas à risque. Les appelants dont la déclaration d’appel est postérieure au 17 septembre 2020 doivent quant à eux d’urgence réviser leurs pratiques, si bien sûr ils ne demandaient pas déjà expressément l’infirmation du jugement dont appel dans le dispositif de leurs conclusions.

C. L’application du principe pour le futur : casse-tête en perspective

Il n’est cependant pas certain que les conséquences les plus graves de cette nouvelle solution ne puissent être contrées pour les déclarations d’appel formées à compter du 17 septembre 2020.

En effet, quelle est donc la sanction de l’absence de demande formelle d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant ? Devant la cour d’appel, l’intimé invoquait l’irrecevabilité de l’appel et n’a pas été suivi. Il soulevait le même moyen dans son pourvoi et la Cour de cassation ne l’a pas plus suivi. L’absence de demande expresse d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant a donc bien uniquement pour conséquence que la cour d’appel ne peut que confirmer le premier jugement. Ainsi, il ne s’agit pas d’une des sanctions classiques des vices de forme : nullité ; irrecevabilité ou caducité.

Or, il est possible de déposer plusieurs jeux de conclusions devant la cour d’appel qui n’est saisie que des dernières (CPC, art. 954 alinéa 4). Certes, l’article 910-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9354LTM) indique que, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’appelant notamment doit présenter dès ses premières conclusions l’ensemble de ses prétentions sur le fond mais :

  • tout d’abord, il est possible d’ajouter dans des conclusions ultérieures des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (CPC, art.  910-4). En conséquence, si l’absence de la demande d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant est soulevée par l’intimé, l’appelant devrait pouvoir y répliquer en ajoutant cette demande dans son dispositif ;
  • ensuite, la demande d’infirmation est nécessairement contenue dans la discussion des premières conclusions de l’appelant qui critique le jugement dont appel. En conséquence, le fait de reprendre formellement cette demande dans le dispositif de conclusions ultérieures ne devraient pas en faire une prétention nouvelle.

La difficulté liée à l’exigence nouvelle de mentionner expressément la demande d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant nous paraît donc contournable. Pour autant que l’appelant pense bien à régulariser la difficulté dans ses dernières conclusions d’appelant.

Se posent en outre deux problèmes procéduraux.

Le premier est spécifique à la procédure d’appel avec représentation obligatoire « ordinaire », c’est-à-dire hors procédure à brefs délais des articles 905 (N° Lexbase : L2324LUM) à 905-2 (N° Lexbase : L7036LEC) du Code de procédure civile. Qui peut connaître de la difficulté, le conseiller de la mise en état ou la cour ? Ne s’agissant ni d’une caducité ni d’une irrecevabilité de l’appel ni encore d’une irrecevabilité des conclusions, ce devrait être la Cour (CPC, art. 914 N° Lexbase : L7247LE7). Mais c’est alors un véritable gaspillage, le dossier suivant le parcours habituel, avec ses délais et ses frais, tout cela pour aboutir à une confirmation automatique du premier jugement.

Le second problème est général : on sait que la caducité de l’appel principal rend irrecevable l’appel incident (Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8860NHM). Mais ici l’appel principal n’est ni irrecevable ni caduc, c’est comme si ses effets étaient paralysés, tout en maintenant la procédure d’appel. L’intimé peut donc former sur lui un appel incident auquel l’appelant pourra répondre en tant qu’intimé incident. On marche alors sur la tête !

Nul doute donc que cette solution nouvelle, issue des réformes successives de la procédure d’appel, ne se transforme en véritable nid à contentieux, allant à l’encontre de l’objectif poursuivi par la Chancellerie, à savoir précisément diminuer le contentieux. Bien au contraire, tout porte à croire que cette solution nouvelle créera un contentieux totalement artificiel sur des points de forme sans aucun intérêt, encombrant les cours d’appel et exaspérant les appelants.

D. Prospective : un principe à la conventionalité incertaine

Il n’est cependant pas certain que cette solution nouvelle résiste à un test de conventionalité. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle régulièrement que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) garantissant le droit à un procès équitable n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs droits et obligations de caractère civil.

Pour apprécier les restrictions à l’accès aux juridictions supérieures découlant d’un taux d’appel, la Cour européenne a déjà pu par le passé s’interroger sur l’existence de restrictions relevant d’un « formalisme excessif ». Ce formalisme excessif « peut résulter d’une interprétation particulièrement rigoureuse d’une règle procédurale, qui empêche l’examen au fond de l’action d’un requérant et constitue un élément de nature à emporter violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux » (voir, récemment, CEDH, 5 avril 2018, Req.40160/12, Zubac c/ Croatie, N° Lexbase : A4684XKP, §80 ; 85 et 96 à 99).

Jusqu’à présent, la Cour de cassation a toujours validé la conventionalité du formalisme punitif que les réformes successives de la procédure d’appel ont développé depuis 2009 :

  • caducité de la déclaration d’appel à défaut de dépôt des conclusions de l’appelant dans les délais impartis par la loi, dès lors que cette sanction n’est pas disproportionnée au but poursuivi qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel (Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n°13-28.017, F-P+B N° Lexbase : A8173NPE ; Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-22.013, F-P+B, N° Lexbase : A1504MSI) ;
  • absence d’effet d’évolutif de la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugements critiqués, l’obligation de les mentionner poursuivant le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel (Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I [LXB=A89403C4).

La solution nouvelle pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La seule justification possible à la règle voulant que l’appelant doive expressément mentionner dans le dispositif de ses conclusions qu’il entend voir infirmer le jugement dont appel semble en effet être que les juges d’appel sont des idiots.

Or, tout montre le contraire, à commencer par l’arrêt d’appel dans le cas d’espèce. Dans celui-ci, la cour d’appel a jugé que :

  • des demandes tendant à voir dire autre chose que ce que le premier juge avait jugé s’analysaient nécessairement comme des critiques du jugement ayant rejeté les demandes de l’appelant ;
  • la déclaration d’appel mentionnait expressément que celui-ci tendait à la réformation ou à l’annulation du jugement attaqué et précisait les chefs de jugement critiqués.

D’autres cours d’appel ont eu l’occasion de dire strictement la même chose (CA Colmar, 8 octobre 2010, 09/02674 N° Lexbase : A0751TD8 ; CA Aix-en-Provence, 3 juin 2016, 14/20853 N° Lexbase : A8461RRS ; CA Paris, Pôle 5 Chambre 4, 4 décembre 2019, 18/05708 N° Lexbase : A8804Z4T).

La règle nouvelle est donc de l’ordre du formalisme creux qui nous semble ne pas pouvoir passer le test de conventionalité, dès lors qu’il a pour conséquence de priver effectivement l’appelant de son droit d’appel, sans justification sérieuse.

III. Une saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur doit toujours être autorisée par le juge

La seconde solution posée par l’arrêt du 17 septembre 2020 a des conséquences moins dramatiques mais méritent également d’être connue des praticiens de l’exécution, huissiers et avocats. Elle protège le domicile du pseudo-débiteur, en phase conservatoire, contre une intrusion non préalablement autorisée par le juge (A). Cela doit amener à revoir certaines pratiques de créanciers disposant d’un titre exécutoire et procédant tout de même à une saisie conservatoire de meubles, afin de prendre de court un débiteur soupçonné de vouloir organiser son insolvabilité (B).

A. La protection du domicile du pseudo-débiteur contre une intrusion du pseudo-créancier non-autorisée par le juge

Pour comprendre comment la Cour de cassation en est arrivée à poser la solution selon laquelle toute saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur doit être autorisée par un juge, il faut revenir au principe, à ses exceptions et aux faits de l’espèce.

Le principe est que toute mesure conservatoire doit être préalablement autorisée par un juge qui est soit le juge de l’exécution soit le Président du Tribunal de commerce (CPCEx, art. L. 511-1 N° Lexbase : L5913IRG).

Par exception, une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le pseudo-créancier se prévaut notamment d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire (CPCEx, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH) et art. R. 511-1 alinéa 2).

Or, en l’espèce, le pseudo-créancier disposait de jugements étrangers. Ceux-ci sont régulièrement analysés par la jurisprudence comme des décisions de justice qui n’ont pas encore force exécutoire, dans l’attente de leur reconnaissance éventuelle à l’issue d’une procédure d’exéquatur (CA Versailles, 4 novembre 2010, 10/04141, N° Lexbase : A8075GDG ; CA Poitiers, 30 mars 2012, 10/03946, N° Lexbase : A9421IGZ ; Cass. civ. 2, 4 septembre 2014, n° 13-14.060 N° Lexbase : A0526MWE, visant l’ancien article 68 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, codifiée depuis lors N° Lexbase : C14517BD). C’est d’ailleurs le raisonnement que la cour d’appel a explicitement adopté en l’espèce (CA Paris, Pôle 4 Chambre 8, 6 septembre 2018, 18/02624 N° Lexbase : A4517X3P).

C’est ainsi que le pseudo-créancier a pu pratiquer des saisies conservatoires, en particulier une saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur, sans autorisation préalable du juge de l’exécution.

On précisera que l’auteur des présentes lignes est en désaccord avec la jurisprudence selon laquelle un jugement étranger non encore revêtu de l’exéquatur vaudrait décision de justice n’ayant pas encore force exécutoire au sens du Code des procédures civiles d’exécution. En effet, sauf pour les jugements en provenance d’autres États-membres de l’Union européenne qui bénéficient d’une reconnaissance automatique en France, sans exequatur, en vertu du droit de l’Union [2]. Il n’y a pas de présomption de régularité des jugements étrangers «non-exequaturés» [3] En conséquence, ces jugements étrangers ne peuvent valoir comme un jugement français qui, même non-exécutoire, a autorité de la chose jugée dès son prononcé (CPC, art. 480 N° Lexbase : L2318LUE). Mais l’auteur des présentes lignes a bien conscience d’être en minorité sur ce point qui n’a, à sa connaissance, jamais été plaidé.

Quoi qu’il en soit, le pseudo-débiteur a contesté le fait qu’une saisie conservatoire puisse avoir lieu à son domicile sans autorisation préalable du juge et la Cour de cassation lui a donné raison sur ce point. En effet, si rien dans les textes du Code des procédures civiles d’exécution n’impose une telle autorisation préalable, la Cour de cassation a tiré cette obligation du droit à valeur constitutionnelle au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. En conséquence, une mesure conservatoire pratiquée sans autorisation préalable comme en l’espèce doit être annulée. On notera que cette solution avait déjà été posée il y a plus de onze ans par la cour d’appel de Paris, au visa du seul principe de l’inviolabilité du domicile et sans référence à l’article 8 de la Convention (CA Paris, 8ème Chambre Section B, 12 mars 2009, 08/13940, N° Lexbase : A8374EDI).

La solution énoncée, ce contrôle de proportionnalité au regard d’un droit « supérieur » laisse sur sa faim tant il paraît subjectif. En effet, en pratique, en quoi l’autorisation préalable du juge assurera-t-elle au pseudo-débiteur une meilleure protection de son droit au respect de la vie privée et de l’inviolabilité de son domicile (dont la violation peut, précisément, être autorisée par le juge) ? Pour rappel, le juge qui autorise une mesure conservatoire a les mains largement liées. Il doit uniquement vérifier que deux conditions cumulatives sont réunies pour autoriser la mesure (CPCEx, art. L. 511-1) :

  • l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe. Ce sera, en pratique, toujours le cas en présence d’un quasi-titre comme ici ;
  • une menace sur le recouvrement. Cette seconde condition donne une certaine marge de manœuvre au juge, notamment si d’autres saisies conservatoires peuvent être entreprises avant une saisie de meubles au domicile du pseudo-débiteur. Ainsi d’une saisie de comptes bancaires. Mais la pratique montre qu’il n’est pas rare que les juges autorisent des saisies conservatoires « tapis de bombes », portant sur l’intégralité du patrimoine connu du pseudo-débiteur, meubles compris, lorsque les créances sont importantes.

Malgré ces réserves, la solution paraît bonne, c’est bien uniquement sa justification qui nous semble pêcher. Nous nous permettrons de citer à ce sujet un huissier qui a écrit sur l’arrêt d’appel dans cette affaire[4]. Permettre à un pseudo-créancier de s’introduire sans autorisation dans le domicile du pseudo-débiteur pour pratiquer une saisie conservatoire de meubles est « contraire à la philosophie du Code des procédures civiles d’exécution. À quel titre le législateur aurait-il conférer davantage de pouvoirs au créancier conservatoire qu’au bénéficiaire d’un titre exécutoire ? En effet, ce dernier est contraint de respecter un délai minimal de huit jours avant d’entrer dans un local servant à l’habitation… L’esprit des mesures conservatoires n’est nullement un « super créancier » aux pouvoirs exorbitants ».

Cette position qui limite les pouvoirs de l’huissier en l’absence d’autorisation du juge était aussi défendue par la doctrine la plus autorisée. Elle émane en effet de personnes à l’origine de la réforme de 1991 qui a posé le droit actuel des voies d’exécution : Roger Perrot et Philippe Théry[5].

De ce point de vue, la solution d’espèce nous paraît donc pleinement justifiée.

B. La nécessaire mise à jour des pratiques de certains praticiens des voies d’exécution lorsqu’ils détiennent un titre exécutoire

Ce commentaire effleure cependant une autre pratique bien connue des praticiens des voies d’exécution, même si elle n’était pas en cause ici : la saisie conservatoire de meubles pratiquée par le créancier titulaire d’un titre exécutoire.

À première vue, il s’agit d’une pratique étonnante : étant titulaire d’un titre exécutoire, le créancier peut procéder immédiatement à une saisie-vente des meubles. Mais, pour cela et comme dit ci-dessus, il doit d’abord signifier un commandement aux fins de saisie laissant huit jours au débiteur pour payer sa dette (CPCEx, art. L. 221-1 N° Lexbase : L5851IR7 et R. 221-10 N° Lexbase : L2255ITP)… Ou cacher ses meubles de valeur !

Mieux vaut donc utiliser son titre exécutoire comme « quasi-titre », ce que permet expressément l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution, pour pratiquer une saisie conservatoire de meubles qui ne nécessite pas de commandement préalable et donc prend de court le débiteur. Puis le créancier convertira cette saisie conservatoire en saisie-vente (CPCEx, art. R. 522-7 (N° Lexbase : L2554ITR).

La nouvelle solution ne devrait rien changer à cette pratique lorsque la saisie conservatoire est pratiquée dans un local qui ne sert pas à l’habitation. Dans le cas où la saisie conservatoire a lieu au domicile du débiteur, le créancier devra désormais obtenir une autorisation préalable du juge. L’existence d’une créance paraissant fondée en son principe ne fera pas de difficulté en présence d’un titre exécutoire. Le créancier devra en revanche s’expliquer sur le risque sur le recouvrement. Ce sera sans doute l’occasion pour les juges de découvrir l’étendue de ce que les praticiens de l’exécution ont imaginé à partir des instruments qu’on leur a fournis.

 

[1] Cour de cassation, rapport annuel 2014, Livre 3, Partie 2, Titre 1. Chapitre 2. La Cour de cassation, gardienne de l’application de la jurisprudence dans le temps, La documentation française, 2015

[2] Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles 1 bis (N° Lexbase : L9189IUU) concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, article 36 1

[3] Cour de cassation, Étude 2017, Partie 1, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §1, A., 3. Les conditions de la régularité internationale du jugement étranger, La documentation française, 2017

[4] S. Dorol, commentaire s. CA Paris, 6 septembre 2018, 18/02624 in Droit et Procédure 2019, n° 4, p. 79 et s.

[5] R.Perrot, Ph. Théry, Droit des procédures civiles d’exécution, Dalloz, 3e éd., 2013, 1143

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Rupture du contrat de travail

[Brèves] A l'employeur de prouver la remise au salarié d'un exemplaire de la convention de rupture conventionnelle

Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2020, n° 18-25.770, FS-P+B (N° Lexbase : A06863WC)

Lecture: 2 min

N4703BYT

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par Charlotte Moronval

Le 30 Septembre 2020

► La remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention, dans les conditions prévues par l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9), et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle ;

► En cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve.

Faits et procédure. Un salarié et son employeur signent une convention de rupture conventionnelle. La cour d’appel (CA Reims, 14 novembre 2018, n° 17/02100 N° Lexbase : A0927YMB) annule cette convention de rupture du contrat de travail. L’employeur forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. La cour d’appel, qui a constaté qu’aucune mention de la remise d’un exemplaire de la convention n’avait été portée sur le formulaire, et qui a retenu que l’employeur n’apportait aucun élément de preuve tendant à démontrer l’existence de cette remise, en a exactement déduit que la convention de rupture était nulle.

A retenir. Chaque partie doit conserver un exemplaire signé du formulaire Cerfa de rupture conventionnelle, qui est établie en 3 exemplaires : un pour le salarié, un pour l'employeur et un pour la Direccte. Il est nécessaire pour l’employeur de s’assurer la preuve que chaque signataire a été destinataire de son exemplaire, sous peine de nullité de la rupture conventionnelle.

Une confirmation de jurisprudence. V. déjà Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 18-14.414, FS-P+B (N° Lexbase : A2978ZI7), lire S. Tournaux, Précisions relatives à l’écrit constatant la rupture conventionnelle, Lexbase Social, 2019, n° 792 (N° Lexbase : N0046BYD).

V. également v. ETUDE : Les conditions de validité de la rupture conventionnelle, La condition de forme : une procédure strictement encadrée, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E3359ZHU).

→ Cet arrêt sera commenté par Jean-Philippe Tricoit, maître de conférences à l’Université de Lille, dans la prochaine revue Lexbase Social, n° 839.

newsid:474703

[Brèves] Bénéfice de subrogation : faute du créancier qui ne s’est pas opposé à l’absorption de la société dont les titres étaient nantis

Réf. : Cass. com., 23 septembre 2020, n° 19-13.378, F-P+B (N° Lexbase : A06553W8)

Lecture: 3 min

N4688BYB

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par Vincent Téchené

Le 30 Septembre 2020

► Constitue le fait fautif exclusivement imputable au créancier à l’origine de la perte d’un droit préférentiel, le fait pour la banque créancière, bénéficiaire d’un cautionnement et d’un nantissement de parts sociales, de ne pas avoir mis en œuvre le droit d’opposition au projet de fusion-absorption, de la société dont les titres étaient nantis par la débitrice principale, que lui confère l’article L. 236-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L6364AIK).

Faits et procédure. Une banque a consenti à une société (la débitrice) un prêt destiné à l’acquisition des parts d’une autre société (la cible), garanti par un cautionnement et le nantissement des titres acquis. Suivant une opération de fusion-absorption du 30 juin 2010, la débitrice a absorbé la société cible. La débitrice ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a déclaré sa créance, qui a été admise à titre chirographaire, au motif que l’assiette du nantissement avait disparu à la suite de l’absorption.

La banque a alors assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l’article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP). L’arrêt d’appel (CA Rennes, 8 janvier 2019, n° 16/03073 N° Lexbase : A5756YSY) ayant rejeté ses demandes contre la caution, la banque a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle énonce que, après avoir relevé que l’absorption de société dont les titres étaient nantis par la débitrice avait eu pour effet de réduire à néant le nantissement inscrit par la banque sur les parts sociales, la cour d’appel retient que la banque aurait pu protéger ses intérêts en mettant en œuvre le droit d’opposition au projet de fusion-absorption que lui conférait l’article L. 236-14 du code de commerce. Ainsi, si elle avait été plus vigilante, la banque aurait pu demander soit le remboursement immédiat du solde de sa créance, soit la constitution de nouvelles garanties destinées à remplacer celle dont elle disposait jusqu’alors.

Par conséquent, ayant ainsi fait ressortir que la caution établissait le fait fautif exclusivement imputable au créancier, quels qu'aient pu être les résultats de sa démarche, à l’origine de la perte d’un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance, puis constaté que la banque ne justifiait ni de l’incapacité de la société absorbante, au moment de la fusion-absorption, à solder le prêt litigieux, ni de l’impossibilité de cette société de constituer d’autres garanties, de sorte qu’elle ne démontrait pas l’absence de préjudice engendré pour la caution par sa carence, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision.

Pour aller plus loin, v. ÉTUDE : L'extinction du cautionnement en raison d'une faute du créancier : le bénéfice de subrogation, Les fautes du créancier déchargeant la caution, in Droit des sûretés (N° Lexbase : E7585E9S).

 

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Vente d'immeubles

[Brèves] Prescription de l’action en garantie contre les vices cachés : possible indemnisation sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour réticence dolosive

Réf. : Cass. civ. 3, 23 septembre 2020, n° 19-18.104, FS-P+B+I (N° Lexbase : A51063UN)

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par Manon Rouanne

Le 30 Septembre 2020

► Lorsqu’à la suite de la vente d’un bien immobilier, des désordres affectant ce bien ont été révélés lors de travaux de rénovation, l’acquéreur est fondé à exercer, à l’encontre du vendeur, pour obtenir réparation du préjudice en résultant, non une action en garantie contre les vices cachés prescrite en l’espèce, mais une action en responsabilité délictuelle pour réticence dolosive ; la première action n’étant pas exclusive de la deuxième.

Faits. Dans cette affaire, après avoir acheté un bien immobilier, l’acheteur a, à l’occasion de la réalisation de travaux de rénovation, découvert des désordres affectant son bien. Le délai de prescription de deux ans commençant à courir à compter de la découverte du vice de l’action en garantie contre les vices cachés étant écoulé, l’acquéreur a, pour obtenir réparation du préjudice résultant du coût des travaux nécessaires pour remédier à ses désordres er du préjudice de jouissance, engagé, à l’encontre du vendeur, une action en responsabilité délictuelle pour faute consistant en une réticence dolosive.

La cour d’appel a rejeté l’engagement de la responsabilité du vendeur sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9) en jugeant que, dès lors que l’action en garantie contre les vices cachés constituait l’unique fondement susceptible d’être invoqué pour obtenir réparation des désordres affectant le bien en cause et, qu’en raison du lien contractuel liant les parties, la responsabilité du vendeur ne pouvait être recherché sur le fondement délictuel, l’acheteur ne peut mettre en jeu le régime de responsabilité du fait personnel pour pallier l’impossibilité d’être indemnisé sur le fondement de l’action en garantie contre les vices cachés prescrite en l’occurrence.

Alléguant que l’action en garantie contre les vices cachés n’est pas exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur la réticence dolosive, l’acheteur a contesté la position adoptée par les juges du fond devant la Cour de cassation.

Décision. Alors que la Cour de cassation a déjà admis le caractère autonome de l’action indemnitaire par rapport à l’action en garantie contre les vices cachés (sur la recevabilité de l’action en responsabilité non subordonnée à l’exercice de l’action en garantie contre les vices cachés, v. Cass. com., 19 juin 2012, n° 11-13.176, FS-P+B N° Lexbase : A5033IP4) ainsi que le caractère complémentaire de celle-ci (sur la possibilité d’exercer, en plus de la garantie contre les vices cachés, une action en responsabilité, v. Cass. civ. 1, 16 juillet 1998, n° 96-12.871 N° Lexbase : A6751C8K), elle va plus loin, en affirmant, dans cet arrêt, la possibilité d’obtenir réparation du préjudice résultant d’un vice caché sur le fondement de l’action en responsabilité pour faute lorsque l’action en garantie contre les vices cachés n’est pas recevable car prescrite.

En effet, faisant sien l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi, la Haute juridiction casse l’arrêt rendu en appel en rappelant, sur le fondement des articles 1240 et 1641 du Code civil (N° Lexbase : L1743AB8), que l’action en garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue n’est pas exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ou la réticence dolosive commis avant ou lors de la conclusion du contrat. Aussi, si l’action en garantie contre les vices cachés ne peut être exercée car étant prescrite, l’acheteur peut demander réparation en recherchant la responsabilité du vendeur sur un fondement délictuel bien qu’il soit lié avec ce dernier par un contrat de vente.

 

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