Réf. : Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales (N° Lexbase : L7970LXH)
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par Marthe Bouchet, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Paris 2 Panthéon-Assas
Le 23 Septembre 2020
Mots-clés : violences conjugales • harcèlement • suicide forcé • violation du secret médical • atteinte à l’intimité de la vie privée • mandat criminel • peines alternatives à l’emprisonnement.
La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales (N° Lexbase : L7970LXH), comporte de nombreuses dispositions pénales. Les dispositions applicables aux infractions commises dans la sphère conjugale proposent des nouveautés – notamment l’incrimination du suicide forcé ou la levée du secret médical – finalement assez limitées dans leurs effets. Il en va en revanche différemment de certaines dispositions qui dépassent le cadre du couple – telle que la répression de la géolocalisation non consentie ou encore la conversion de peines alternatives en peines complémentaires à l’emprisonnement.
Le volet civil de la loi du 30 juillet 2020 a fait d'un commentaire d'Adeline Gouttenoire, paru dans la Revue Droit Privé Lexbase, n°836, du 17 septembre 2020 (N° Lexbase : N4539BYR).
173 personnes – 145 femmes et 27 hommes – ont été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon en 2019. 24 décès supplémentaires en 2018, soit une augmentation de 21 % en un an [1]. Cette « hausse effroyable » [2] fait froid dans le dos. La France se classe d’ailleurs parmi les États dans lesquels ce type de violences, au sein du couple, reste important [3]. Il est malheureusement à craindre que les chiffres ne baissent pas cette année, puisqu’on sait déjà que les violences conjugales ont augmenté pendant le confinement [4]. On comprend donc bien que la lutte contre les violences conjugales ait fait déjà l’objet de nombreuses lois [5], et soit revenue au cœur des débats au cours de l’année 2019, prenant une ampleur inédite au sein l’opinion publique.
Plus précisément, le Gouvernement a fait de la lutte contre les violences conjugales une « grande cause du quinquennat » et a organisé, de septembre à novembre 2019, le Grenelle des violences conjugales. Il a immédiatement reçu de très – trop ? – nombreuses tentatives de traductions juridiques : on pense à la volonté d’insérer le terme « féminicide » dans notre Code pénal, qui n’a finalement pas été retenue [6], à la circulaire de la garde des Sceaux adressée au parquet le 9 mai 2019 [7], au Livre Blanc déposé à l’Assemblée Nationale le 6 novembre 2019 [8], puis au dépôt de projets ou propositions de lois concurrents sur le sujet [9]. De cette multitude de volontés désordonnées, trahissant l’empressement à traiter un sujet au cœur du débat public et médiatique, est né un arsenal législatif composé de deux lois.
La première est la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille adoptée le 28 décembre 2019 [10]. Au plan civil, elle a renforcé l’ordonnance de protection et restreint la médiation familiale en cas de violences commises au sein de la famille. Au plan pénal, elle entendait notamment rendre effectif le bracelet anti-rapprochement et généraliser l’utilisation du Téléphone Grave Danger. On peine à savoir pour l’instant quelle sera l’efficacité des mesures adoptées. Un décret d’application de la loi du 27 mai 2020 [11] a déclenché la colère des praticiens [12], à tel point qu’il a fallu revoir les modalités de saisine du juge aux affaires familiales un mois plus tard [13], et le bracelet anti-rapprochement n’est toujours pas opérationnel [14].
La seconde loi est celle du 30 juillet 2020, objet de notre étude. On peut déjà s’interroger sur la pertinence d’une législation dispersée, élaborée en deux temps, alors qu’un texte unique, concentrant l’ensemble des dispositions, aurait sans doute été plus adapté. Mais ce second texte visait à reprendre certaines réflexions menées pendant le Grenelle des violences conjugales, qui n’avaient pas été traduites par la première loi [15].
Sur la forme, la procédure législative accélérée a été mise en œuvre. Mais les contraintes liées à l’épidémie de covid-19 ayant momentanément empêché l’adoption du texte, c’est finalement au cœur de l’été, juste avant les vacances parlementaires, que la loi a été votée.
Sur le fond, y avait-il encore à faire ? Y avait-il des mesures oubliées ? On serait tenté de croire que non à la lecture des deux premiers articles de la proposition de loi. Ils prévoyaient en effet le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation pour violences au sein de la famille, et ont finalement été supprimés, car une disposition similaire avait déjà été adoptée dans la loi du 28 décembre 2019. Mais la première impression est trompeuse, tant la loi du 30 juillet est riche, sur le plan civil, et plus encore sur le plan pénal qui nous occupera ici [16].
En matière civile, on se contentera de rappeler que la loi prévoit l’attribution de la jouissance du logement conjugal au conjoint qui n’est pas l’auteur de violence [17], et renforce l’interdiction de paraître dans le cadre de l’ordonnance de protection [18]. Elle décharge aussi le débiteur du versement de l’obligation alimentaire à l’égard de l’auteur des violences, qu’elles aient été commises contre le débiteur ou contre l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs [19]. Elle retient enfin une nouvelle hypothèse d’indignité successorale facultative afin que celui qui est condamné, pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt, puisse être exclu de la succession [20].
Les dispositions pénales viennent ensuite, et leur importance surprend. Le titre de la loi la dédie toute entière à « la protection des victimes de violences conjugales ». Or, à la lecture du texte, le périmètre défini par le titre n’est pas respecté. Les violences ne sont pas les seules infractions concernées, et de surcroît, le cadre de la vie conjugale est largement dépassé. L’article 132-80 du Code pénal (N° Lexbase : L6235LLI) retient certes une vision large de la sphère conjugale, visant le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu'ils ne cohabitent pas ou lorsque la relation a pris fin. Mais la loi du 30 juillet va plus loin. Si certaines de ses dispositions concernent exclusivement le couple, d’autres ont une vocation beaucoup plus large. Plus encore, les dispositions spécifiques aux violences conjugales paraissent restreintes, y compris la mesure phare de la loi, qui permet la levée du secret médical (I). A l’inverse, les dispositions qui dépassent le cadre du couple ont une toute autre ampleur (II).
I. Des dispositions spéciales limitées
Par souci de protection des victimes d’infractions commises au sein du couple, la loi accroit la répression en multipliant les circonstances aggravantes (A), et entend aussi faciliter sa mise en œuvre, en levant des obstacles aux poursuites (B).
A. Le renforcement des circonstances aggravantes
Depuis 2010, de plus en plus d’infractions contre les personnes, issues du livre II du Code pénal, sont plus sévèrement punies lorsqu’elles sont commises au sein du couple. La peine encourue est précisément augmentée lorsque les faits sont commis par « le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité » [21]. La loi du 30 juillet s’inscrit dans cette même dynamique, en prévoyant que la même circonstance aggravante s’appliquera aux appels téléphoniques malveillants [22], à l’usurpation d’identité [23] et à l’atteinte au secret des correspondances [24]. Le législateur marque sa particulière réprobation à l’égard des « cyberviolences », ou du « cybercontrôle », au sein du couple. Ces expressions désignent l’utilisation de (nouvelles) technologies pour surveiller son partenaire. Mais c’est une autre circonstance aggravante qui retient l’attention.
La loi prévoit en effet la création d’une nouvelle circonstance aggravante pour punir ce qu’on a appelé le « suicide forcé » [25]. Plus précisément, est aggravé le harcèlement prévu par l’article 222-33-2-1 du Code pénal (N° Lexbase : L8545LXR), défini comme « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » [26]. Selon le dernier alinéa du texte, ajouté par la loi du 30 juillet, « les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider ». On comprend la volonté de punir plus sévèrement un harcèlement si grave qu’il aurait pour conséquence de pousser la victime à mettre fin à ses jours. D’ailleurs, certaines études avancent que 13 % des suicides seraient en lien direct avec des violences conjugales [27]. Cependant, cette disposition appelle deux séries de remarques.
D’abord, cette circonstance aggravante présente une originalité en ce qu’elle tient au résultat du comportement de l’auteur. Elle ne tient pas aux circonstances entourant la commission des faits, à l’auteur ou à la victime, mais aux conséquences du harcèlement. Classiquement, le résultat est davantage intégré aux éléments constitutifs de l’infraction, de façon à dicter la qualification des faits. Il permet par exemple de distinguer infraction formelle et matérielle. La loi du 30 juillet 2020 propose une solution différente en tenant compte du résultat du comportement à titre de circonstance aggravante.
Ensuite, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le recoupement de cette circonstance aggravante avec d’autres qualifications, permettant déjà de saisir de tels faits [28]. Ce sont plus précisément la provocation au suicide et les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner qui pourraient trouver à s’appliquer.
La distinction entre le nouveau suicide forcé et la provocation au suicide se perçoit assez facilement. Les éléments matériels peuvent se recouper, mais les éléments moraux des deux infractions diffèrent. La provocation au suicide n’est en effet constituée que si l’auteur avait la volonté de pousser la victime à se suicider [29]. À l’inverse, dans le harcèlement aggravé, l’auteur des faits n’a pas l’intention de pousser la victime à mettre fin à ses jours.
La distinction entre suicide forcé et violences mortelles est bien plus délicate. L’élément matériel est identique, puisque les violences peuvent être uniquement morales [30], avoir causé un « choc émotif » à la victime [31]. L’élément moral ne diffère pas non plus, puisque dans les deux cas, l’auteur ne doit pas avoir eu la volonté de parvenir au résultat. Dès lors, il est tout à fait envisageable que le harcèlement qui a conduit le conjoint à mettre fin à ses jours soit constitutif de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner [32]. À la lecture des travaux parlementaires, c’est la difficulté de prouver le lien de causalité entre les actes de violence et la mort de la victime qui a conduit à écarter les violences mortelles [33]. Il faudrait en effet montrer que les violences morales sont bien la cause du décès de la victime, et que ce lien de causalité n’a pas été rompu par l’acte de suicide de la victime elle-même. Cependant, toute causalité n’est pas absente dans le harcèlement aggravé que le législateur a retenu. Il faudra ici prouver de la même façon la causalité entre les comportements harcelants et le suicide [34]. Ce n’est pas parce que l’on opte pour une circonstance aggravante que la nécessité de prouver le lien de causalité disparaît. Le champ d’application de cette nouvelle incrimination pourrait donc bien être très restreint. En outre, on notera que la peine encourue est moindre pour le suicide forcé, 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, que pour les violences mortelles commises au sein du couple, lesquelles sont un crime puni de 20 ans de réclusion criminelle.
La création de cette nouvelle circonstance aggravante ne s’imposait donc pas. Le rapport du Sénat invoque d’ailleurs au soutien de cette disposition la fonction « expressive » ou « socio-pédagogique » du droit pénal [35], montrant combien son impact pourrait être limité. Il en va de même de certains obstacles aux poursuites qui ont été levés.
B. La levée des obstacles aux poursuites
Le législateur a cherché à faciliter les poursuites en matière de violence conjugales.
Il s’attaque d’abord à l’obstacle probatoire. Est ainsi prévu que l’officier de police judiciaire informe la victime de violences conjugales de son droit de se voir communiquer le certificat de l’examen médical requis pas le procureur ou l’officier de police judiciaire [36]. Il s’agit ici de faciliter la preuve des violences subies. La disposition est heureuse, tant on sait que les difficultés probatoires sont grandes en cas de violences conjugales.
De la même façon, le législateur entend lever les obstacles aux poursuites lorsque des délits, on va au-delà des violences ici, sont commis au sein du couple. Il admet donc une nouvelle exception aux immunités familiales. Les immunités familiales, applicables à de nombreuses infractions d’atteintes aux biens [37], impliquent que les faits ne soient pas poursuivis lorsqu’ils ont été commis au préjudice d’un ascendant, d’un descendant, ou d’un conjoint [38]. L’objectif est de préserver l’honneur, la paix des familles et d’éviter les difficultés probatoires pour attribuer un droit de propriété au sein de la famille. Mais ces immunités familiales – dont on peine d’ailleurs à identifier la nature : fait justificatif ou obstacle aux poursuites ? – sont de moins en moins bien comprises, et de plus en plus limitées [39]. Au sein du couple plus particulièrement, le législateur a exclu du champ de ces immunités les infractions portant sur « les objets ou les documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d'identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d'un étranger, ou des moyens de paiements » [40]. La loi du 30 juillet ajoute à cette liste les moyens de « télécommunication ». On songe immédiatement à la soustraction du téléphone portable de la victime par le conjoint, qui pourra désormais être poursuivie et sanctionnée.
Par ailleurs, la loi du 30 juillet interdit le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. L’alternative aux poursuites, bien mal adaptée en cas de violences conjugales, se ferme définitivement. Auparavant, le recours à la médiation pénale était déjà strictement limité en cas de violences conjugales, au cas où la victime en faisait la demande expresse [41]. La référence à la volonté de la victime, souvent terrifiée par son conjoint, ne semblait cependant pas pertinente. La notion « d’emprise », mise en avant dans les réflexions du Grenelle, a achevé de convaincre les parlementaires de ne pas se référer à la volonté de la victime en cas de violences au sein du couple. L’interdiction pure et simple de la médiation pénale permet aussi de mettre en conformité notre droit avec la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [42]. Il n’y a donc pas eu de véritable opposition, ni de débat, dans les discussions parlementaires. Le seul regret que l’on peut avoir est que cette mesure n’ait pas été adoptée dès la première loi de décembre 2019, laquelle avait déjà interdit le recours à la médiation familiale dans une telle hypothèse. Une circulaire l’avait d’ailleurs anticipé [43], et la loi du 30 juillet ne fait qu’entériner la pratique.
Mais la mesure phare de la loi, du moins celle qui a été le plus relayée dans les médias, est celle qui prévoit à l’article 226-14 du Code pénal (N° Lexbase : L8549LXW), la levée du secret médical en cas de violences conjugales. La levée du secret médical est présentée comme un moyen de rompre le silence qui entoure trop souvent les violences commises au sein du couple. Permettre aux professionnels de signaler ces violences serait un moyen de mieux les combattre.
Pourtant, le secret médical fait partie intégrante du serment d’Hippocrate [44] et est essentiel en ce qu’il instaure une relation de confiance entre le médecin et le patient, indispensable à l’efficacité des soins prodigués. L’intérêt de celui qui se confie est en cause, et l’intérêt général l’est également. « Ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable. Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve car personne n'oserait plus s'adresser à eux si l'on pouvait craindre la divulgation du secret confié » [45]. Dès lors, la violation du secret médical est réprimée par l’article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG). La Cour de cassation a même affirmé que « l’obligation du secret professionnel s’impose aux médecins comme un devoir de leur état. Elle est générale et absolue et il n’appartient à personne de les en affranchir » [46]. Pourtant, le terme « absolu » n’est pas exact. Le secret médical connaît des limites qu’il ne faut pas négliger. Depuis longtemps, il est des cas dans lesquels le médecin a l’obligation de révéler certaines informations couvertes par le secret [47], et d’autres cas dans lesquels on l’autorise à le faire [48]. Cependant, dans les deux hypothèses, la loi pénale, marquée par une redoutable complexité [49], semble faire le choix de ne pas condamner le médecin, ni s’il se tait, ni s’il garde le silence ; c’est ce que l’on nomme « l’option de conscience » [50]. « Les professionnels peuvent choisir de se taire ou de parler, le législateur s’en remettant à leur seule conscience » [51].
La modification de l’article 226-14 du Code pénal s’inscrit dans cette même logique : la loi du 30 juillet autorise, et n’oblige pas, le professionnel de santé – on va au-delà du médecin à strictement parler [52] – à lever le secret professionnel en cas de violences conjugales. Il faut en outre qu’un ensemble de conditions cumulatives, assez exigeantes, soit réuni. D’abord, les violences doivent être commises au sein du couple, et tomber sous le coup de la circonstance aggravante prévue par l’article 132-80 du Code pénal (N° Lexbase : L6235LLI). Ensuite, les violences doivent mettre la vie de la victime en danger immédiat. Un danger passé, futur, ou à plus forte raison hypothétique, ne peut suffire à autoriser la levée du secret. Le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est prononcé en ce sens lors de sa session plénière du 13 décembre 2019, réservant la levée du secret médical aux cas d’urgence vitale immédiate [53]. Par ailleurs, la victime ne doit pas être en mesure de se protéger en raison d’une contrainte morale. Cette condition est plus complexe à appréhender. La notion de « contrainte morale », présente en matière d’infractions sexuelles, soulève des questions. On la définit traditionnellement comme une pression morale ou psychologique exercée sur la victime, mais le Code pénal ne donne des éléments de précision que lorsqu’un mineur est concerné [54]. Il faut de surcroît que « la contrainte morale résulte de l’emprise exercée par l’auteur des violences ». Or la notion d’emprise est une seconde notion floue, qui n’est cette fois pas du tout définie par le Code pénal. Enfin, le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime, et ce n’est qu’en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord (ce qui pourrait devoir être prouvé) qu’il peut prévenir le procureur, et à condition d’en avertir la victime.
A priori, toutes ces conditions évitent une atteinte trop importante au secret médical, et le point d’équilibre recherché serait ainsi trouvé. Cependant, cette disposition suscite deux types de critiques.
D’une part, cette disposition était-elle nécessaire ? Le médecin ne pouvait-il pas déjà lever le secret médical dans cette situation ? En effet, l’article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP) prévoit que n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte autorisé ou prescrit par la loi. Or l’article 223-6 du Code pénal (N° Lexbase : L6224LL4) sanctionne l’omission de porter secours et celle d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle. Autrement dit, cet article impose de porter secours à autrui, et excuse la violation du secret professionnel qui serait commise pour y parvenir [55]. Ce fait justificatif tiré de l’ordre de la loi peut fort bien s’appliquer en cas de violences conjugales. L’omission de porter secours punit précisément celui qui s’abstient d’aider une personne face à un péril grave, imminent et certain, ce qui correspond en tout point aux violences conjugales évoquées par le nouvel alinéa de l’article 226-14 du Code pénal. Dans cette hypothèse, « si le seul moyen efficace de protection consiste à transgresser le secret professionnel, l'obligation de porter secours prime » [56]. La modification apportée à l’article 226-14 du Code pénal relève donc davantage du symbole, et de la volonté de rassurer les professionnels de santé qui hésiteraient à dénoncer de tels faits, que de la nouveauté. Mais en ce cas, pourquoi ne pas mieux communiquer sur le droit existant, plutôt que d’ajouter une disposition sans réelle portée dans une matière déjà très complexe ?
D’autant qu’il ne faudrait pas que cette disposition ait un effet contre-productif [57]. Davantage conscientes du risque de signalement des violences dont elles sont l’objet, les victimes pourraient hésiter à se confier à leur médecin, voire à se soigner. De surcroît, la loi place sur un même plan les mineurs, les majeurs incapables et les victimes de violences conjugales, ce qui peut entraîner quelques réserves [58]. Enfin, en pratique, si la victime a refusé de donner son accord, la procédure risque de ne pas aller bien loin, mais d’avoir pour effet pervers d’alerter le conjoint.
On peut être déçu de ces dispositions, visant les faits commis au sein du couple, qui, sous couvert de nouveauté, ne modifient que très peu le droit existant. Il en va différemment des dispositions qui dépassent largement le cadre de la sphère conjugale, et qui modifient davantage notre droit pénal.
II. Des innovations de portée générale
Parmi les nombreuses dispositions de la loi ayant une portée plus générale, on retrouve une sévérité accrue en droit pénal de fond (A), et l’assouplissement de contraintes procédurales (B).
A. En droit pénal de fond
La loi prévoit la création de nouvelles incriminations aux articles 222-6-4 (N° Lexbase : L8541LXM), 222-26-1 (N° Lexbase : L8543LXP) et 222-30-2 (N° Lexbase : L8544LXQ) du Code pénal, construites sur le modèle du « mandat criminel ». L’article 222-26-1 dispose ainsi que « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un viol, y compris hors du territoire national, est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis, ni tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende ». La même incrimination est reproduite pour les tortures et actes de barbarie et les agressions sexuelles. Le mandat criminel permet d’éviter l’impunité de celui qui commandite l’accomplissement d’un crime ou d’un délit, sans que le mandataire passe à l’action. Dans de telles hypothèses en effet ni la tentative (faute de commencement d’exécution), ni la complicité (faute de fait principal punissable) ne peuvent être retenue. On entend ici saisir l’auteur intellectuel des faits. Il ne faut toutefois pas oublier que l’on remonte considérablement sur l’iter criminis. Le mandat criminel était jusqu’à présent réservé à l’assassinat et à l’empoisonnement [59], des crimes particulièrement graves, portant atteinte à la vie. On conçoit son extension au viol et plus encore aux tortures et actes de barbarie, qui sont des infractions présentant un degré de gravité élevé. En revanche, étendre le mandat criminel à un délit, l’agression sexuelle, dont le degré de gravité est moindre au regard de la classification tripartie des infractions – et pourquoi seulement ce délit-là ? – est plus discutable. Il est d’ailleurs probable que ces textes trouvent peu d’occasions de s’appliquer.
Sans créer une nouvelle incrimination, le législateur a par ailleurs souhaité étendre le champ d’application d’une infraction déjà existante : l’atteinte à l’intimité de la vie privée. L’atteinte à l’intimité de la vie privée est désormais constituée lorsque a été captée, enregistrée ou transmise, « par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci » [60]. Il s’agit de combattre l’espionnage, la surveillance, qui peut être mise en place par l’un des membres du couple au préjudice de l’autre. Mais l’infraction peut s’appliquer au-delà – imaginons par exemple un employeur souhaitant géolocaliser son employé. Cette disposition, qui permet de lutter contre de nouvelles formes d’atteinte à la vie privée, ne devrait pas rester lettre morte.
La loi du 30 juillet étend aussi le champ d’une infraction protégeant les mineurs : le fait de mettre à leur disposition des messages à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger [61]. Le texte précise dorénavant que le simple fait que le mineur ayant consulté le message ait certifié avoir plus de 18 ans sera insuffisant pour faire échec à la répression. Il renforce également les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour faire cesser l’infraction [62].
La seule disposition qui s’intéresse au sort de l’auteur des faits est relative aux peines qui peuvent être prononcées à son égard. Là encore, la loi du 30 juillet va bien au-delà de ce qu’on pouvait attendre, en modifiant sensiblement l’articulation entre peines complémentaires et peines alternatives à l’emprisonnement. Désormais, l’article 131-6 du Code pénal (N° Lexbase : L8530LX9) in fine prévoit que certaines peines alternatives – interdictions de détenir une arme, de paraître en certains lieux, de fréquenter certains condamnés et d’entrer en relation avec certaines personnes ; confiscation des armes ou de l’objet ayant permis la commission de l’infraction [63] – pourront dorénavant être prononcées en même temps que la peine d'emprisonnement. Autrement dit, ces peines alternatives deviennent des peines complémentaires. Et tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement, soit l’immense majorité des délits, sont concernés. Un autre choix, déjà préféré par ailleurs [64], aurait pu être fait : celui de réserver ce cumul à certaines infractions, ici celles à même de lutter contre les violences conjugales [65]. Mais cette disposition générale rompt la logique énoncée par l’article 131-9 du Code pénal (N° Lexbase : L8531LXA), qui voulait que les peines restrictives de droit ne soient pas prononcées cumulativement avec l’emprisonnement [67]. La disposition peut surprendre et le raisonnement qui la soutient encore davantage. En effet, les travaux préparatoires de la loi montrent que le législateur souhaitait que ces peines trouvent à s’appliquer dans le cas où la peine d’emprisonnement ne serait finalement pas exécutée [67]. Ce n’est donc pas un cumul de peines qui est recherché, mais bien qu’une peine vienne remplacer celle qui ne serait pas exécutée. Par conséquent, le recours à une peine complémentaire semble inadapté. Qui plus est, il ne faudrait pas contrarier le mouvement engagé vers une diminution des très courtes peines d’emprisonnement, leur effet néfaste ayant largement été dénoncé.
Plus classiquement, la loi augmente le quantum des peines encourues pour consultation de sites pédopornographiques : cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros sont désormais prévus, contre deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros auparavant [68]. Le changement n’est pas neutre. Il marque une plus forte réprobation à l’égard des faits commis, mais il permet aussi l’inscription de l’auteur des faits au sein d’un fichier judiciaire, ce qui relève de facilitations procédurales.
B. En procédure pénale
On retrouve dans la loi du 30 juillet une illustration du mouvement d’expansion du fichage en droit pénal. C’est bien pour permettre l’inscription au sein du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes, dit FIJAIS, que la peine encourue pour consultation de sites pédopornographiques a été rehaussée. En effet, l’article 706-53-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9749HES) impose un seuil de cinq ans d’emprisonnement pour que l’inscription au sein de ce fichier soit automatique, sauf décision spécialement motivée du procureur. Les personnes condamnées pour avoir consulté des sites pédopornographiques seront désormais enregistrées dans le fichier. La loi modifie par ailleurs l’article 706-53-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8555LX7), pour que l’inscription au sein du fichier soit de droit en cas de mise en examen du suspect, sauf décision du juge d’instruction. On accroit donc le champ du FIJAIS à la fois ratione materiae et ratione personae. Comme souvent, les facilités répressives permises par les fichiers l’emportent, même si leur encadrement n’est pas toujours extrêmement rigoureux ni cohérent [69].
Dans le même ordre d’idée, la loi assouplit l’article 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8552LXZ) qui prévoit les conditions dans lesquelles des armes peuvent être saisies lors d’une perquisition dans le cadre d’une enquête de flagrance. Le texte prévoit dorénavant que lorsque l’enquête porte sur des faits de violences, l’officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instructions du procureur de la République, procéder à la saisie des armes qui sont détenues par la personne suspectée ou dont celle-ci a la libre disposition, quel que soit le lieu où se trouvent ces armes. L’officier de police judiciaire peut ainsi se passer de l’autorisation du procureur, et saisir les armes indépendamment du lieu dans lequel elles se trouvent. L’innovation est moindre sur ce point, puisque l’article 56 autorisait déjà les officiers de police judicaire à procéder à une perquisition aux fins de saisie de biens « dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du code pénal ». Or cet article vise entre autres « les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement », ce qui inclut les armes.
Enfin, la loi du 30 juillet a modifié l’article 113-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8529LX8) donnant compétence à la loi pénale française pour réprimer la complicité par fourniture d’instructions [70], d’un crime commis à l’étranger. Elle supprime précisément les exigences procédurales entourant la mise en œuvre de cette compétence. Si les faits de complicité ont été commis en France, il ne sera plus nécessaire de respecter le principe de double incrimination, ni de vérifier qu’une décision définitive a été rendue par la juridiction étrangère. La seule condition tient désormais à l’infraction commise, qui doit être un crime relevant du livre II du Code pénal.
L’empressement ayant présidé à son adoption, la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales n’a pas été suffisamment réfléchie. Parmi les dispositions circonscrites à la sphère conjugale, nombreuses sont celles qui risquent d’avoir bien peu d’effet. Il est assez significatif que le rapport du Sénat constate un « certain épuisement de la créativité du législateur dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales » [71]. De fait, les nouveautés les plus importantes ont une portée générale. On peut tout de même regretter que le sort de l’auteur de violences, déjà ignoré du Grenelle [72], soit de nouveau peu abordé par la loi.
[1] Chiffres tirés de l’étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple, rendue publique le 17 août 2020.
Sur la façon dont sont comptés les féminicides, v. Y. Bouchez et J. Bienvenu, Comment compter les féminicides ? Policiers, militants et journalistes appliquent leur propres règles, Le Monde, 16 janvier 2020 [en ligne].
[2] A.-C. Mailfert, Présidente de la Fondation des femmes, citée dans Le nombre de féminicides en augmentation en 2019, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, Le Monde, 17 août 2020.
[3] V. not. l’étude de l’Agence européenne des droits fondamentaux, Violences à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’UE, 5 mars 2014, spéc. p. 19 et s. : 22 % des femmes ayant eu des relations avec un homme indique avoir subi des violences physiques ou sexuelles. Le taux est de 26 % en France, donc au-dessus de cette moyenne européenne. L’Espagne, l’Autriche, la Croatie, la Pologne et la Slovénie présentent le taux le plus bas, soit13%, alors que le taux le plus élevé de 32 % est relevé au Danemark et en Lettonie.
[4] V. V. Avena-Robardet, Violences conjugales en période de confinement, AJ fam., juin 2020, n° 6, p. 333. On évoque une hausse de 30 % de ces violences.
[5] On recense une loi tous les 4 ans environ depuis 2006. V. loi n° 2006-399, du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (N° Lexbase : L9766HH8) ; loi n° 2010-769, du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (N° Lexbase : L7042IMR) ; loi n° 2014-873, du 4 août 2014, pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N) ; loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (N° Lexbase : L6141LLZ).
[6] V. Ph. Conte, Féminicide : le poids des mots – et des chiffres, Dr. pén., janvier 2020, rep. n° 1 ; F.-L. Coste, « Féminicide » ou le code pénal et la Tour de Babel, AJ pénal, 2020, p. 289.
[7] Circ. CRIM, 2019-11, du 9 mai 2019, relative à l'amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.
[8] Livre blanc de la Délégation aux droits des femmes sur la lutte contre les violences conjugales [en ligne].
[9] V. P. Januel, Violences conjugales : les députés dans l’impasse de la loi, Dalloz actualité, 17 janvier 2020 [en ligne].
[10] Loi n° 2019-1480 visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2114LUT). Pour une analyse du texte, v. A. Darsonville, Loi du 28 décembre 2019 : une approche pluri-disciplinaire dans la lutte contre les violences et au sein de la famille, AJ pénal, janvier 2020. p. 60 et Ph. Bonfils, Le renforcement de la lutte contre les violences au sein de la famille – commentaire de la loi du 28 décembre 2019, Dr. famille, 2020, étude 10. V. également H. Matsopoulou, Femmes. – Le bracelet anti-rapprochement au service de la lutte contre les violences faites aux femmes, JCP G, 2020, doctr. 279.
[11] Décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 portant application des articles 2 et 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2138LXH).
[12] Faisant état des difficultés, v. not. J.-M. Garry et A. Boyard, Décret du 27 mai 2020 visant à agir contre les violences au sein de la famille : un recul stupéfiant des droits des victimes, Dalloz actualités, 5 juin 2020 et M. Ouchy-Doutot, L'installation du Comité national de pilotage de l'ordonnance de protection : une meilleure vigilance pour une protection plus efficace ?, Procédures, août 2020, n° 8-9, alerte 10.
[13] Décret n° 2020-841, du 3 juillet 2020, modifiant les articles 1136-3 du Code de procédure civile et R. 93 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : Z791919W).
[14] Mme Schiappa a confirmé que les premiers bracelets devraient être opérationnels à partir du mois de septembre sur France Inter, le 30 août 2020.
[15] Proposition de loi n° 2478, déposée le 3 décembre 2019 à la présidence de l’Assemblée nationale [en ligne].
[16] La loi apporte également des modifications au Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, afin de protéger les étrangers victimes de violences conjugales ou familiales.
[17] C. civ., art. 515-11, 3° et 4° (N° Lexbase : L8563LXG).
[18] C. civ., art. 515-11 et 515-11-1 (N° Lexbase : L8564LXH).
[19] C. civ., art. 207 (N° Lexbase : L8537LXH).
[20] C. civ., art. 727, 2° bis (N° Lexbase : L8565LXI).
[21] On doit y ajouter l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, est applicable en vertu de l’article 132-80 du Code pénal (N° Lexbase : L6235LLI).
[22] C. pén., art. 222-16 (N° Lexbase : L8542LXN) : « Lorsqu'ils sont commis par le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ».
[23] C. pén., art. 226-4-1 (N° Lexbase : L8548LXU) : « Lorsqu'ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ».
[24] C. pén., 226-15 (N° Lexbase : L8550LXX) : « Lorsqu'ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 60 000 euros d'amende ».
[25] V. V. Wester-Ouisse, De l’incrimination du suicide d’un conjoint dit suicide forcé, JCP G, 2019, p. 1351.
[26] Cette version du harcèlement est issue de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
[27] Étude publiée en 2007 par Psytel, dans le cadre du programme Daphné, financé par la Commission européenne [en ligne].
[28] Les travaux préparatoires évoquent déjà la difficulté, v. également V. Wester-Ouisse, op. cit.
[29] C. pén., art. 223-13 (N° Lexbase : L9689IEL).
[30] C. pén., art. 222-14-3 (N° Lexbase : L7208IMW).
[31] Cass. crim., 18 mars 2008, n° 07-86.075, (N° Lexbase : A9804D7A) : « le délit de violences est constitué, même sans atteinte physique de la victime, par tout acte de nature à impressionner vivement celle-ci et à lui causer un choc émotif ».
[32] Certes, cette qualification a été écartée par la Chambre criminelle, dans un arrêt rendu le 21 juin 2016 (Cass. crim., 21 juin 2016, n° 15-84.666 N° Lexbase : A2444RU3). C’est cependant uniquement le manque de preuves qui a empêché la condamnation pour violences mortelles de l’époux violent en l’espèce.
[33] M. Mercier, Rapport n° 482 au nom de la commission des lois sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger les victimes de violences conjugales, enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juin 2020, p. 37 [en ligne].
[34] V. sur ce point la proposition de Madame Wester-Ouisse (op. cit.) qui, consciente de la difficulté, envisageait l’ajout d’un dernier alinéa selon lequel : « L'infraction est constituée dès lors que le harcèlement a joué un rôle causal dans le suicide ou la tentative de suicide, quand bien même d'autres causes seraient mises en évidence lors des investigations ».
[35] M. Mercier, op. cit., p. 37.
[36] C. proc. pén., art. 10-2, 10° (N° Lexbase : L8566LXK) « s'il s'agit de victimes de violences pour lesquelles un examen médical a été requis par un officier de police judiciaire ou un magistrat, de se voir remettre le certificat d'examen médical constatant leur état de santé » et C. proc. pén., art. 10-5-1 : « Lorsque l'examen médical d'une victime de violences a été requis par un officier de police judiciaire ou un magistrat, le certificat d'examen médical constatant son état de santé est remis à la victime selon des modalités précisées par voie réglementaire ».
[37] Elles sont applicables au vol, à l’escroquerie, à l’abus de confiance, au chantage, et au recel.
[38] C. pén., art. 311-12 (N° Lexbase : L8535LXE), pour le vol.
[39] V. A. Cerf-Hollender, L’évolution du champ des immunités familiales en matière pénale, LPA, 8 septembre 2017, p. 56.
[40] Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, art. 9 (N° Lexbase : L9766HH8).
[41] L’interdiction générale et absolue de la médiation pénale avait été écartée par les parlementaires, afin de le permettre dans le cas de violences isolées.
[42] Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, Istanbul, signée le 11 mai 2011 et ratifiée par la France le 4 juillet 2014. L’art. 48 al. 1er, de l’accord prévoit que « les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour interdire les modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation et la conciliation, en ce qui concerne toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention » [en ligne].
On notera d’ailleurs avec intérêt la position de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a récemment considéré que l’article 3 de la Convention fait obligation aux États de mettre en place un cadre juridique pour lutter contre les violences conjugales. CEDH, 11 février 2020, Req. 56867/15, Buturugà c/ Roumanie (N° Lexbase : A18023EH) : F. Sudre, Prendre en compte la violence conjugale sous toutes ses formes, JCP G, 2020, n° 9, p. 242.
[43] Circulaire du 28 janvier 2020 relative à la présentation des dispositions de droit civil et de droit pénal immédiatement applicables de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et instructions de politique pénale issues des travaux du Grenelle contre les violences conjugales.
[44] « Les choses que, dans l’exercice ou même hors de l’exercice de mon art, je pourrai voir ou entendre sur l’existence des hommes et qui ne doivent pas être divulguées au-dehors, je les tairai, estimant que ces choses-là ont droit au secret des Mystères »
[45] E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey 1959, comm. de l’article 378 du Code pénal.
[46] Cass. crim., 8 mai 1947, Bull. crim. n° 124, affaire Decraene.
[47] Dans le Code pénal, v. not. C. pén., art. 434-3 (N° Lexbase : L6209LLK): obligation d’informer les autorités judiciaires ou administratives de privations, de mauvais traitement ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne vulnérable. Hors du Code pénal, v. not. art. L. 3113-1 CSP qui oblige le médecin à déclarer certaines maladies.
[48] C. pén., 226-14 (N° Lexbase : L8549LXW) : « L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ». L’article ajoute que la violation du secret professionnel n’est pas applicable à celui qui informe de privations ou de sévices infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, ni à celui qui, avec l’accord de la victime, si elle n’est pas mineur ou incapable, révèle les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises.
[49] Pour une analyse détaillée des difficultés, v. A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, PUF, 2015, § 549 et s.
[50] V. not. B. Py, Secret professionnel, Rép. Pén. Dalloz, n° 154 ; A. Lepage, Droit pénal et conscience, Dr. pén., 1999, chron. 1 ; F. Alt-Maes, Un exemple de dépénalisation : la liberté de conscience accordée aux personnes tenues au secret professionnel, RSC, 1998. 301.
[51] Ph. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 6ème éd., 2019, § 360.
[52] Tous les professionnels de santé susceptible de constater les violences conjugales sont ainsi concernés : les infirmières, les sages-femmes, les dentistes...
[53] Violences conjugales et signalement, 18 décembre 2019, site internet du Conseil national de l’Ordre des médecins [en ligne].
[54] C. pén., art. 222-22-1 (N° Lexbase : L6218LLU).
[55] V. not. Cass. crim., 23 octobre 2013, n° 12-80.793 (N° Lexbase : A4715KNX) : note S. Detraz, Gaz. Pal., 9-11 février 2014, p. 476.
[56] B. Py, op. cit., n° 170 ; v. également Y. Mayaud, Des mauvais traitements sur mineurs de quinze ans et de leurs retombées, en termes de secours et de dénonciation, sur les professionnels de la santé et de l'assistance, RSC, 1998, p. 320.
[57] Ces craintes se sont largement fait entendre, v. not. la position du Conseil de l’ordre de sages-femmes, lettre ouverte aux députés, publiée le 22 janvier 2020 [en ligne] et les comptes rendus des débats parlementaires à l’Assemblée nationale, comme au Sénat.
[58] Plus fondamentalement, certains estiment qu’on infantilise la patiente, qui n’a pas le droit de choisir, comme si elle n’était pas en mesure de protéger.
[59] C. pén., art. 221-5-1 (N° Lexbase : L8540LXL).
[60] C. pén., art. 226-1 (N° Lexbase : L8546LXS).
[61] C. pén., art. 227-24 (N° Lexbase : L8534LXD).
[62] C. pén., art. 23 de la loi du 30 juillet 2020, objet de ce commentaire (N° Lexbase : L7970LXH).
[63] C. pén., art. 131-16, 6°, 7°, 10°, 12°, 13° et 14° (N° Lexbase : L7584LPL).
[64] C’était déjà le cas par ailleurs, pour certaines infractions, les peines alternatives pouvaient être prononcées à titre de peines complémentaires. V. par ex. pour le meurtre, les articles 221-8 (N° Lexbase : L7597LP3) et 221-9 (N° Lexbase : L2163AM3) du Code pénal qui envisagent déjà à titre de peine complémentaire l’interdiction de détenir une arme et l’interdiction de paraître en certains lieux.
[65] En ce sens, v. L. Mary, Présentation de la loi n° 2020-936 visant à protéger les victimes de violences conjugales, AJ fam., 2020, p. 384.
[66] C. pén., art. 131-9. La loi le modifie de façon à réduire le champ des peines restrictives de droit ne pouvant être prononcées cumulativement avec l’emprisonnement.
[67] M. Mercier, Rapport préc., p. 52. « La rapporteure de l’Assemblée nationale justifie cette possibilité par le fait que les interdictions prononcées seront d’application immédiate, alors que la peine de prison pourra n’être exécutée que tardivement, voire ne pas être exécutée, ce qui limite de fait la protection accordée à la victime ».
[68] C. pén., art. 227-23 (N° Lexbase : L8551LXY).
[69] M. Bouchet, La conservation des informations en procédure pénale, in Information, numérique et innovations, ouvrage collectif (dir. Th. Bonneau et A. Lepage), éd. Panthéon-Assas, à paraître.
[70] C. pén., art. 121-7, al. 2 (N° Lexbase : L5525AIH).
[71] M. Mercier, op. cit., p. 11.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 21 septembre 2020, n° 428683, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A43223UM)
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par Yann Le Foll
Le 23 Septembre 2020
► Face à un texte prévoyant l'attribution d'un avantage sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer, l'autorité compétente peut encadrer l'action de l'administration par des lignes directrices que la personne pouvant bénéficier de l’avantage est en droit d’invoquer (CE 3° et 8° ch.-r., 21 septembre 2020, n° 428683, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A43223UM, voir pour l’unification du régime juridique des éléments de droit souple, y compris les lignes directrices, CE, 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A55233NU).
Principe. Dans le cas où un texte prévoit l'attribution d'un avantage sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre ou de fixer le montant à leur attribuer individuellement, l'autorité compétente peut, qu'elle dispose ou non en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en oeuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation. Dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l'avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées.
Faits. Les circulaires des 19 mai 2009 puis du 27 novembre 2014, qui ont prévu que les montants d'indemnité de départ volontaire attribués individuellement s'inscrivent « généralement » dans des fourchettes prédéfinies en fonction du nombre d'années d'ancienneté, avec la faculté pour les recteurs d'académie de s'en écarter dans le cadre de leur « pouvoir d'appréciation », par lesquels le ministre chargé de l'Éducation nationale s'est borné à encadrer l'action de l'administration dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant des critères permettant de mettre en oeuvre le décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 (N° Lexbase : L8743H39), sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation, qui ont toutes deux été régulièrement publiées, constituent des lignes directrices.
Dès lors, les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association, qui sont des agents de droit public auxquels l'article L. 914-1 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L8114LRX) rend applicables les conditions de cessation d'activité et les mesures sociales dont bénéficient les maîtres titulaires de l'enseignement public et qui peuvent, ainsi, prétendre à l'attribution d'une indemnité de départ volontaire même s'ils n'ont pas droit pour autant à obtenir un montant déterminé, peuvent se prévaloir, devant le juge administratif, des fourchettes de taux prévues par celle de ces lignes directrices qui leur sont applicables.
Décision. Par suite, en se bornant à juger que le recteur de l'académie de Grenoble avait pu, sans erreur manifeste d'appréciation, fixer le montant de l'indemnité de départ volontaire à verser au requérant en appliquant un taux de 30 % au plafond prévu par l'article 6 du décret du 17 avril 2008, sans rechercher si ce taux s'inscrivait dans la fourchette de taux prévue, en fonction de l'ancienneté de service de l'agent, par la circulaire dont elle faisait application ou, à défaut, si un motif d'intérêt général ou des circonstances particulières tenant à la situation de l'intéressé permettaient de s'en écarter, la cour administrative d’appel (CAA Lyon, 7 janvier 2019, n° 18LY00373 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 49885705, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CAA Lyon, 5e, 07-01-2019, n\u00b0 18LY00373", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A8444YWN"}}) a commis une erreur de droit.
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Réf. : T. com. Paris, 17 septembre 2020, cinq jugements, aff. n° 2020022823 (N° Lexbase : A20793UK), aff. n° 2020022825 (N° Lexbase : A20803UL), aff. n° 2020022816 (N° Lexbase : A20813UM), aff. n° 2020022819 (N° Lexbase : A20823UN), aff. n° 2020022826 (N° Lexbase : A20833UP)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 23 Septembre 2020
► La clause d’'exclusion de garantie qui prévoit que la garantie perte d’exploitation n'est pas due lorsque « ( ... ) à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique » ne peut valablement être opposée par l'assureur en ce qu'elle n’est pas « limitée » et vide ainsi la garantie de sa substance en application de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH).
C’est en ce sens que s’est prononcé le tribunal de commerce de Paris dans cinq jugements rendus le 17 septembre 2020, dans le cadre de litiges opposant l’assureur AXA à cinq établissements de restauration parisiens.
- S’agissant des conditions requises de la garantie contractuelle « perte d'exploitation suite à fermeture administrative en conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'une épidémie ou d'une intoxication », celles-ci n’étaient pas discutées par l’assureur, et sont alors, sans difficulté, jugées remplies par le tribunal, qui relève que la décision de fermeture prise par le ministre des solidarités et de la Santé par arrêté du 14 mars 2020 relevait bien d'une autorité administrative compétente, clairement extérieure à l'assuré, et que le motif, à savoir la propagation du virus covid-19, correspondait bien à une épidémie.
- La discussion portait en revanche sur l’application de la clause d’exclusion de garantie prévue au contrat, que les assurés entendaient voir juger nulle, et en tout état de cause inopposable. Ils obtiennent gain de cause.
La dite clause prévoyait qu’étaient exclues : « Les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
Le tribunal relève, d’abord, que le contrat garantit les pertes d'exploitation en cas d'épidémie, ce qui, de par la définition même du terme dans son acceptation usuelle, à savoir selon le Larousse, un « développement et une propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine infectieuse, dans une population », laisse entendre que d'autres établissements seront nécessairement touchés.
L’assureur justifiait cette clause en arguant du fait qu'une épidémie peut être limitée à un seul établissement, faisant appel dans ses écritures, pour tenter d'en justifier, au Dictionnaire médical, à l'OMS ainsi qu'aux témoignages de plusieurs professeurs de médecine, démontrant de ce fait même son ambigüité ou à tout le moins qu'elle est sujette à interprétation. Il était encore fait référence dans cette même clause, à « un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité », et pour s'en justifier, le défendeur précisait dans ses écritures qu'il s'agissait d'insister clairement sur le fait qu'aucune autre fermeture pour une cause identique ne devait pouvoir être identifiée dans le département.
Mais le tribunal relève, ensuite, que cette police est un contrat d'adhésion dont l’assureur est le rédacteur et seul responsable de la formulation et des garanties offertes ; il a clairement choisi d'indemniser la perte d'exploitation suite à fermeture administrative dans le cas d'une épidémie dont il est très improbable par définition qu'elle ne puisse concerner qu'un seul établissement sur un même territoire ; la clause d'exclusion de garantie, qui ne distingue pas l'épidémie des autres cas sanitaires pour lesquels la garantie est offerte (maladie contagieuse, intoxication), rend la garantie inopérante dans ce cas, et vide ainsi de son contenu la garantie accordée.
Selon le tribunal, cette clause ne satisfait pas à la condition de limitation prévue à l'article L. 113-1 du Code des assurances, de sorte que l’assureur devra garantir l'assuré au titre de la perte d'exploitation.
Déjà en ce sens : cf. T. com. Tarascon, 24 août 2020, aff. n° 2020001786 (N° Lexbase : A16273S3). En sens contraire, jugeant applicable la clause d’exclusion de garantie : cf. T. com. Toulouse, 18 août 2020, aff. n° 2020J00294 (N° Lexbase : A15843SH). Et précédemment, s’agissant des ordonnances de référé rendues en mai et juin 2020 : - T. com. Paris, 22 mai 2020, aff. n° 2020017022 (N° Lexbase : A02603ML), et notre brève parue dans Lexbase, Droit privé, n° 825 (N° Lexbase : N3418BYA) ; cf. également, D. Krajeski, Confinement et couverture des pertes d’exploitation d’un restaurateur : la demande de provision est en partie acceptée, Lexbase, Droit privé, n° 826, juin 2020 (N° Lexbase : N3586BYH) ; cf. également, V. Morales et S. Fleury-Gazet, Comment obtenir l’indemnisation des pertes d’exploitation par son assureur, Lexbase, Droit privé, n° 828, 2020 (N° Lexbase : N3775BYH) ; - T. com. Lyon, 10 juin 2020, n° 2020R00303 (N° Lexbase : A15723NK), et les obs. de D. Krajeski, Lexbase, Droit privé, n° 829, juin 2020 (N° Lexbase : N3847BY7) ; -T. com. Annecy, 18 juin 2020, aff. n° 2020R00026 (N° Lexbase : A15523QK), et notre brève (N° Lexbase : N4132BYP). |
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Réf. : Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, deux arrêts, n° 19-12.752, (N° Lexbase : A15503QH) et n° 19-12.753 (N° Lexbase : A55883QZ), F-P+B+I.
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N4316BYI
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par Emmanuel Raskin, Avocat au Barreau de Paris – Associé Cabinet S.E.F.J., Vice- Président de la Commission Textes et Membre du Conseil National des Barreaux, Expert auprès du Conseil des Barreaux Européens, Vice-Président National de l’A.C.E..
Le 23 Septembre 2020
Mots- clefs : Jurisprudence • Commentaire • Acte d'avocat • Signification • Notification • Formalisme
Résumé : Il n’y a pas de signification ni de notification d’acte entre avocats opérante sans le strict respect du formalisme prévu par les articles 672 et 673 du Code de procédure civile. La cour d’appel qui se prononce sans débat au visa de conclusions comportant la mention imprimée selon laquelle elles avaient été notifiées à l’avocat constitué de l’autre partie, sans vérifier que ces conclusions avaient été notifiées à cet avocat dans les formes requises, viole les textes susvisés.
Au travers de deux décisions rendues le même jour, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle son exigence tenant au respect du formalisme requis en matière de notification des actes entre avocats. Dans ces deux affaires, la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 20 décembre 2018, n° 17/05299 N° Lexbase : A5692YTY) avait rendu un arrêt pour chacune d’elle confirmant une ordonnance rendue en première instance par le tribunal de l’exécution forcée immobilière de Strasbourg, laquelle ordonnait la vente forcée de plusieurs immeubles. L’enjeu était donc très important.
1. Chaque arrêt s’était prononcé sans débat au visa de conclusions de la banque créancière saisissante sur lesquelles avaient été apposées un tampon de l’Ordre des avocats faisant état de leur notification et revêtu de la signature de l’avocat de la banque. Un pourvoi fut alors formé contre ces deux décisions par les débiteurs saisis. Les moyens soutenus tenaient essentiellement à la violation de l’article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) et l’article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), en ce que la cour avait statué sans débat au visa de conclusions du créancier, sans même s’assurer que ces écritures avaient été communiquées aux débiteurs ni même correctement notifiées à l’avocat de ces derniers, qui n’avaient ainsi pas été mis en mesure d’y répondre, en violation du respect du principe du contradictoire.
2. La réponse, dans ces deux affaires, de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fut une cassation des arrêts rendus par la cour d’appel de Colmar. Au visa des articles 672 (N° Lexbase : L6855H7Z) et 673 du (N° Lexbase : L6856H73) Code de procédure civile et de l’article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation rappelle que selon le premier de ces textes, la signification des actes entre avocats est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire et que selon le deuxième, la notification directe des actes entre avocats s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé. En soulignant que les arrêts attaqués ont été prononcés sans débat au visa de conclusions du créancier comportant seulement la mention imprimée selon laquelle elles avaient été notifiées à l’avocat constitué du débiteur, la Cour de cassation censure au visa des textes précités.
3. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. La cour d’appel de Colmar a statué sans débat dans les deux affaires commentées, ce qui signifie sans audience, donc sans que les avocats des parties aient pu s’exprimer, ce qui est déjà singulier quand on connait l’importance que peut avoir l’audience dans des affaires aux enjeux aussi graves : il s’agit de la vente forcée de biens immobiliers. En l’espèce, les parties n’ont pas été entendues. On n’en connait pas la raison. Les avocats des parties ont-ils accepté de déposer leur dossier à la suggestion de la cour ? Les décisions commentées ne le précisent pas. Depuis le 1er janvier 2020, le règlement des litiges civils devant le tribunal judiciaire peut, avec l’accord des parties et à leur initiative, se dérouler sans audience.
4. L’audience est le moment qui permet d’humaniser et de conférer un caractère solennel à la procédure. Pourtant, en pratique, de nombreux dossiers sont déposés sans être plaidés. Cette pratique des dépôts de dossier par les avocats a, dans un premier temps, été officialisée par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3298HEU) afin de limiter la durée des audiences avant que le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile (N° Lexbase : L6740LPC) n’ait étendu le domaine de cette faculté qui peut désormais être exercée à tout moment de l’instance.
5. Nous n’évoquerons pas en détail ici les textes spécifiques pris en période d’état d’urgence sanitaire, lesquels ont permis purement et simplement la suppression des audiences sur décision du juge, en matière civile avec représentation obligatoire (ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, art. 8 N° Lexbase : L5722LWT). Sous l’empire du droit antérieur, donc applicable aux deux affaires commentées, l’ancien article 779, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9317LTA) prévoyait que le dépôt des dossiers pouvait être autorisé, à la demande des avocats, s’il apparaissait que l’affaire ne nécessitât pas de plaidoiries. Une date de limite de dépôt des dossiers au greffe était alors fixée.
6. La Cour de cassation, sensible à cette absence d’audience dans les deux affaires qu’elle a eu à traiter, s’est enquise de vérifier que les conclusions des créanciers avaient bien été portées à la connaissance des avocats des débiteurs selon les règles prévues en matière de notification d’actes entre avocats. Il en allait évidemment du respect du principe fondamental du contradictoire car sans la preuve de ce que ces écritures avaient été régularisées correctement, il n’était pas établi que les avocats des débiteurs eussent la possibilité d’y répondre, faute d’avoir été entendus à ce sujet en audience.
7. l ne suffit évidement pas que les conclusions des créanciers aient contenu une simple mention, qui plus est imprimée, selon laquelle ces écritures aveint bien été notifiées à l’avocat de la partie adverse. Les textes applicables sont clairs et sans équivoque : s’il s’agit d’une signification à avocat, celle-ci doit être constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire (C. proc. civ., art. 672) ; s’il s’agit d’une notification directe, elle doit s’opérer par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé (C. proc. civ., art. 673).
8. Si ces formalités ne sont pas prescrites à peine de nullité, il convient de rappeler qu’une nullité de forme est encourue en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (article 114 du code de procédure civile), ce qui est le cas des formalités requises par les articles 672 et 673 du Code de procédure civile : il en va de la vérification du respect du principe du contradictoire par l’assurance de ce que l’avocat adverse a bien été destinataire des écritures de son confrère. Le régime des nullités de forme des actes de procédure a d’ailleurs été appliqué aux formalités prévues par les articles 672 et 673 (cf., en ce sens, Cass. civ. 2, 13 mai 1987, n° 85-14028, publié au bulletin N° Lexbase : A7492AAQ Bull. civ. II, n° 110 ; Cass. civ. 2, 29 avril 2004, n° 02-14.970, F-P+B N° Lexbase : A0076DCS, Procédure, 2004, n° 125).
9. Sans aller si loin, la Cour de cassation casse les arrêts rendus par la cour d’appel de Colmar car cette dernière ne s’est en réalité pas enquise de la notification effective des conclusions des créanciers aux avocats des débiteurs, ce qui amenait de manière sous-jacente à traiter de la validité de cette notification. Nul doute que le grief requis par l’article 114, alinéa 2 (N° Lexbase : L1395H4G) eût été reconnu car le principe du contradictoire, faute de notification dans le respect des formes requises par les articles 672 et 673, aurait été violé.
10. Ces deux décisions viennent d’être rendues à la sortie de la période de crise sanitaire au cours de laquelle d’importantes dérogations ont été, par voie d’ordonnance ayant valeur législative, prises. La Cour de cassation est très attachée au respect du principe du contradictoire et il faut s’en féliciter. La forme est alors essentielle lorsqu’il s’agit de s’assurer que ce principe a été respecté par les parties et par le juge, ce dernier se devant de le faire respecter. Rappelons-nous de cette phrase du juriste allemand Ihering : « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » (Ihering, L’esprit du droit romain, 3ème éd., Paris, 1886-88).
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Réf. : CJUE, 22 septembre 2020, aff. C-724/18, Cali Apartments SCI (N° Lexbase : A43833UU)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 23 Septembre 2020
► La réglementation française soumettant à autorisation la location, de manière répétée, d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile est conforme au droit de l’Union européenne ; la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une telle réglementation.
Pour rappel, la Cour européenne avait été saisie à titre préjudiciel par la Cour de cassation à travers deux décisions du 15 novembre 2018 : Cass. civ. 3, 15 novembre 2018, deux arrêts, n° 17-26.156, FP-P+B+I (N° Lexbase : A1712YLY), et n° 17-26.158, FP-D (N° Lexbase : A7950YLZ), dans le cadre d’un litige opposant la Ville de Paris à deux propriétaires qui avaient proposé des studios à la location sur un site Internet, sans autorisation préalable des autorités locales et de manière répétée, lesquels studios avaient fait l’objet de locations de courte durée à l’usage d’une clientèle de passage. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris puis, par la suite, la cour d’appel de Paris avaient, sur le fondement du Code de la construction et de l’habitation français, condamné les deux propriétaires au paiement d’une amende et ordonné le retour des biens en cause à leur usage d’habitation.
La réglementation en cause prévoit notamment que, dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles de trois départements limitrophes de Paris, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation préalable et que le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un tel changement d’usage. Le code prévoit également que cette autorisation, délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. Toujours selon le code précité, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements.
La CJUE était ainsi amenée à se prononcer sur la compatibilité de cette réglementation avec la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur. Suivant les conclusions de l’avocat général présentées le 2 avril 2020, la Cour européenne se prononce en faveur de la Ville de Paris puisqu’elle valide le régime d’autorisation en cause.
Application de la Directive « Bolkenstein ». En premier lieu, les articles 1er et 2 de la Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), dite Directive « Services » ou encore Directive « Bolkenstein », doivent être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à une réglementation d’un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel.
Qualification de régime d’autorisation. En deuxième lieu, l’article 4 de la Directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de « régime d’autorisation », au sens du point 6 de cet article.
Régime d’autorisation justifié par une raison impérieuse d’intérêt général proportionnée à l’objectif poursuivi. En troisième lieu, l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la Directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à un régime d’autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.
Pouvoir des autorités locales de définir les conditions d’octroi des autorisations et de fixer une obligation de compensation. En quatrième lieu, l’article 10, paragraphe 2, de la Directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation, qui est fondée sur des critères tenant au fait de louer le local en cause « de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d’octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d’objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d’une obligation de compensation sous la forme d’une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d’octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.
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Réf. : Min. Travail, protocole, 31 août 2020
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par Ludovique Clavreul, Counsel, Département de Droit Social, Francis Lefebvre Avocats
Le 23 Septembre 2020
I. Le protocole reprend les mesures applicables lors du déconfinement
Le protocole reprend en grande partie les dispositions des précédents protocoles de déconfinement telles que :
II. Les nouvelles mesures concernent essentiellement le port du masque
Le protocole rend obligatoire le port systématique du masque au sein des entreprises dans les espaces clos et partagés depuis le 1er septembre 2020. En principe, tous les salariés travaillant dans des bureaux partagés ou des open space doivent donc porter le masque de façon systématique.
L’employeur a en conséquence l’obligation de fournir des masques grand public à l’ensemble de ses salariés. A cet égard, les pouvoirs publics recommandent depuis juillet dernier aux entreprises de prévoir un stock préventif de masques de 10 semaines. Le protocole précise que « les masques grand public, de préférence réutilisables, doivent couvrir à la fois le nez, la bouche et le menton doivent répondre aux spécifications de la norme AFNOR S76-001, ou pour les masques importés, aux spécifications d’organismes de normalisations similaires » et satisfaire aux tests garantissant sa performance. Les salariés à risque de forme grave de covid-19 retournant sur site doivent quant à eux porter des masques chirurgicaux.
On peut s’interroger sur la nature des masques pour savoir s’ils sont des équipements de protection individuels (EPI). La première version du protocole semblait assimiler les masques à des EPI, ce qui paraissait assez contestable dans la mesure notamment, où le masque ne protège pas celui qui le porte et où l’apposition du marquage CE n’est pas obligatoire. La deuxième version du protocole paraît revenir sur cette assimilation puisqu’il est désormais précisé que « les performances des EPI, et des masques dits « grand public », sont en effet étroitement dépendantes du respect de conditions d’utilisation idéales ».
Plusieurs exceptions au port systématique du masque sont prévues par le protocole « pour répondre aux spécificités de certaines activités ou secteurs professionnels » :
Le protocole a également ouvert la possibilité d’adaptations au principe du port permanent du masque pour les métiers qui, par nature même, sont incompatibles avec le port du masque (par exemple, pour des interventions orales ou des prises de parole publiques limitées dans le temps). Selon la ministre du Travail, Élisabeth Borne, il revient aux partenaires sociaux de branche de les identifier dans le cadre de la mise à jour des guides par métier.
Le port obligatoire du masque peut enfin connaitre des adaptations selon le niveau de circulation du virus dans le département de l’entreprise ou de l’établissement (zone verte, orange ou rouge), selon le classement publié par Santé Publique France en fonction du taux d’incidence. Cette possibilité implique, pour les entreprises ayant des établissements sur l’ensemble du territoire, d’adapter les règles de fonctionnement en fonction de leur localisation.
Ainsi, dans les bureaux partagés, un salarié à son poste de travail peut retirer temporairement son masque à certains moments dans la journée et continuer son activité si certaines conditions sont remplies. Il n’a cependant pas la possibilité de retirer le masque de manière permanente toute la journée :
Dans les zones « vertes » à faible circulation du virus, les conditions suivantes doivent être remplies :
Dans les zones « orange » à circulation modérée, s’ajoute une double condition :
Dans les zones « rouges » à circulation active du virus, s’ajoute aux précédentes conditions « une condition de densité de présence humaine dans les locaux concernés ». En effet, le port « intermittent » du masque n’est « possible que dans les locaux bénéficiant d’une ventilation mécanique et garantissant aux personnes un espace de 4m² » (par exemple, moins de 25 personnes pour un espace de 100m2).
La mise en œuvre de ces assouplissements peut s’avérer à tout le moins complexe, notamment en raison de l’obligation de fournir des visières.
III. Le télétravail reste recommandé
Le protocole sanitaire indique que le télétravail reste une pratique recommandée en ce qu’il participe à la « démarche de prévention du risque d’infection à la covid-19 et permet de limiter l’affluence dans les transports en commun ». Néanmoins, la mise en place du télétravail n’est pas obligatoire.
Le télétravail doit être favorisé, lorsque cela est possible, pour les travailleurs à risques de formes graves de covid-19, sur demande des intéressés et si besoin après échange entre le médecin traitant et le médecin du travail, dans le respect du secret médical. Il doit être également favorisé pour les travailleurs qui vivent au domicile d’une personne à risque grave.
Selon le Questions/Réponses, l’employeur n’a pas d’obligation d’accorder un ou plusieurs jours de télétravail au salarié qui le demande, « sauf recommandation expresse des autorités à raison du contexte sanitaire ou situation de vulnérabilité attestée médicalement ». Toutefois, si le poste est éligible au télétravail, l’employeur doit motiver son refus d’accorder le télétravail. Le ministère du Travail a précisé que ce refus peut, le cas échéant, et si une situation médicale est de nature à l’étayer, faire l’objet d’un signalement auprès du médecin du travail qui pourra intervenir au titre de son rôle de conseil en matière de santé et sécurité au travail, au regard de la situation médicale du salarié. De même, le salarié a la possibilité de signaler sa situation auprès des représentants du personnel.
Toutefois, cette position pourrait évoluer selon la variation des indicateurs sanitaires. A cet égard, le protocole précise que « en fonction des indicateurs sanitaires, les autorités sanitaires peuvent convenir, avec les partenaires sociaux, d'encourager les employeurs à recourir plus fortement au télétravail ».
IV. La gestion des salariés symptomatiques et des cas contacts
Selon le protocole, il revient, à l'entreprise, en lien avec le service de santé au travail, de rédiger préventivement une procédure adaptée de prise en charge sans délai des personnes symptomatiques (notamment fièvre et/ou toux, difficulté respiratoire, perte du goût et de l’odorat) afin de les isoler rapidement dans une pièce dédiée et aérée. Le protocole ajoute que l’entreprise doit fournir à ces salariés un masque chirurgical.
En l’absence de signe de gravité, l’employeur doit inviter le salarié concerné à rejoindre son domicile en utilisant si possible un autre mode de transport que les transports en commun et contacter leur médecin traitant en vue de réaliser un test.
L’employeur doit ensuite prendre contact avec le service de santé au travail et suivre ses consignes, y compris pour le nettoyage et la désinfection du poste de travail et le suivi des salariés ayant été en contact avec le cas.
Si le test effectué par le salarié symptomatique se révèle positif, les contacts rapprochés des salariés contaminés au covid-19 doivent être identifiés. Selon les critères retenus par Santé Publique France, au sein de l’entreprise, sont des « cas contact à risque » les salariés qui n’étaient pas protégés par une mesure efficace (masque, séparation physique comme une vitre ou hygiaphone), ceux qui ont eu un contact direct avec une personne contaminée au covid-19, en face à face, à moins d’1 mètre, quelle que soit la durée (ex. conversation, repas, flirt, accolades, embrassades), ceux qui ont prodigué ou reçu des actes d’hygiène ou de soins ou qui ont partagé un espace confiné (bureau ou salle de réunion, véhicule personnel…) pendant au moins 15 minutes avec un cas ou étant resté en face à face avec un cas durant plusieurs épisodes de toux ou d’éternuement. Toutes les autres situations de contact sont considérées comme des contacts à risque négligeable.
Ce contact tracing est réalisé par l’Assurance Maladie, en s’appuyant sur les matrices des contacts en entreprise réalisées par le référent covid et/ou le médecin du travail pour faciliter l’identification des contacts et leur qualification (« à risque » ou « à risque négligeable »).
Les contacts évalués « à risque » sont placés en isolement par l’Assurance Maladie pendant une période désormais fixée à 7 jours à partir de la date du dernier contact avec le cas confirmé. Le 7ème jour, le salarié « cas contact » doit réaliser un test. Il reste à l’isolement le temps de recevoir le résultat. S’il est négatif, il peut reprendre son activité dans l’entreprise.
Le protocole ne traite pas des salariés qui ont été en contact en dehors des locaux de l’entreprise avec un cas non identifié comme « cas contact » par l’Assurance Maladie. En l’état, rien n’oblige à les placer à l’isolement et il est donc possible de leur demander de télétravailler ou travailler, le cas échéant avec des mesures barrières et de distanciation renforcée. A cet égard, il est intéressant de relever qu’à l’occasion du point hebdomadaire sur la situation sanitaire du jeudi 17 septembre, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, a indiqué que « les cas contacts des cas contacts ne sont pas des cas contacts ». A ce titre, ils ne devraient pas bénéficier du régime ci-dessus exposé.
V. La mise en œuvre du protocole : une déclinaison par entreprise et par site
Le protocole n’est pas un acte juridique : ce n’est ni une loi, un décret, ni un arrêté. En effet, comme les questions-réponses diffusés par le ministère et les fiches métiers, ce document relève de ce qu’on appelle le droit souple (soft law). Selon un arrêt récent du Conseil d’Etat (CE Sect., 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A55233NU, lire L’élargissement du champ des actes de droit souple pouvant donner lieu à recours contentieux - Questions à Thomas Hochmann, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne, Lexbase Public, 2020, n° 833 N° Lexbase : N4162BYS), les actes de droit souple peuvent avoir une valeur juridique (i) s’ils ont une portée générale, (ii) émanent d’autorité publique et (iii) sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnes. Toutefois, ce régime juridique n’étant pas pleinement défini à ce stade, il existe un doute sur la valeur normative du protocole.
La solution la plus sure pour les entreprises, qui ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY), est donc de considérer le protocole comme une recommandation et de définir leurs propres règles de sécurité en concertation avec les représentants du personnel et le médecin du travail, après avoir procédé à l’évaluation et à l’analyse des risques.
Cela se traduira par la prise de mesures complémentaires à celles déjà déployées pour prendre en compte les ajouts du nouveau protocole.
S’agissant de l’obligation du port du masque, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, elle devra être inscrite dans le règlement intérieur en application de l’article L. 1321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1837H9W). En pratique, l’obligation du port du masque peut être mise en œuvre par diffusion aux salariés d’une note de service (valant adjonction au règlement intérieur), qui est également transmise à l’inspection du travail et au secrétaire du CSE (C. trav., art. L. 1321-5 N° Lexbase : L8678LGI).
Dans les entreprises de moins de 50 salariés ne disposant pas de règlement intérieur, l’employeur doit, sans délai, rédiger, afficher et porter à la connaissance des salariés une note de service déclinant dans son entreprise le protocole sanitaire et détaillant les obligations du salarié et notamment l’obligation du port du masque avec les éventuelles dérogations.
Quelle que soit la taille de l’entreprise, elle devra être vigilante à reprendre les mesures du protocole nationale en les adaptant à sa situation et à s’assurer qu’elles sont bien comprises et respectées par les salariés.
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Réf. : Projet de décret modifiant l’article 19 du Code de déontologie médicale
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par Laïla Bedja
Le 23 Septembre 2020
► Le Gouvernement a déposé, le 10 septembre 2020, un projet de décret modifiant l’article 19 du Code de déontologie médicale. Désormais, la « libre communication et de publicité » succèdera bientôt à « l’interdiction générale et absolue de publicité » pour les médecins.
L’article R. 4127-19 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8257GTY) dispose que « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce.
Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale. » et pose dont le principe d’interdiction générale et absolue de publicité. »
Ce principe d’interdiction générale et absolue de la publicité des médecins (et d’autres professions médicales et paramédicales) posé par le droit national a été jugé contraire à l’article 56 du TFUE (N° Lexbase : L2705IPU) en ce qu’il restreint la libre prestation de services en violation de la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 sur le commerce électronique (CJUE, 4 mai 2018, aff. C-339/15 N° Lexbase : A9958WBG ; CJUE, 23 octobre 2018, aff. C-296/18 N° Lexbase : A7307YSG : en l’espèce pour les chirurgiens-dentistes). Le Conseil d’État avait donc pris acte de ces décisions dans un arrêt du 6 novembre 2019 (CE, 6 novembre 2019, n° 416948, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A8852ZTZ).
Le dépôt de ce projet de décret est donc une nouvelle étape vers la mise en conformité avec le droit de l’Union et la possibilité d’une libre communication des médecins.
Le second alinéa de l’article R. 4127-19 est donc abrogé et le projet du nouvel article R. 4127-19-1 prévoit que : « I. – Le médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice.
« Cette communication respecte les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques définies par la présente section. Elle est loyale et honnête, ne fait pas appel à des témoignages de tiers, ne repose pas sur des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements et n’incite pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne porte pas atteinte à la dignité de la profession et n’induit pas le public en erreur.
« II. – Le médecin peut également, par tout moyen, y compris sur un site internet, communiquer au public ou à des professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique. Il formule ces informations avec prudence et mesure, en respectant les obligations déontologiques, et se garde de présenter comme des données acquises des hypothèses non encore confirmées.
« III. – Les communications mentionnées au présent article tiennent compte des recommandations émises par le conseil national de l’Ordre. »
Pour en savoir plus : v. C. Lantero, ÉTUDE : La responsabilité ordinale, Interdiction de la publicité et de la pratique commerciale, in Droit médical, Lexbase (N° Lexbase : E13123RZ) |
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Réf. : CAA Douai, 17 septembre 2020, n° 18DA02030 (N° Lexbase : A38783U8)
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par Adélaïde Léon
Le 23 Septembre 2020
► La décision du directeur d’un centre pénitentiaire d’instaurer des fouilles intégrales de personnes détenues lorsqu’elles viennent de recevoir un membre de leur famille, sans organiser la possibilité d'en exonérer, au terme d’une appréciation particulière portée par l’autorité compétente, certains détenus au vu des critères, notamment liés à leur personnalité, à leur comportement en détention, ainsi qu’à la fréquence de leur fréquentation des parloirs, prévus par les dispositions de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : Z14011RG) méconnait l’interdiction, posée par cet article, d’instaurer un régime de fouille systématique.
Rappel des faits. La section française de l’Observatoire International des Prisons (ci-après « OIP ») a demandé au tribunal administratif d’annuler pour excès de pouvoir la décision définissant le régime des fouilles corporelles pratiquées à l’issue de parloirs au sein du centre pénitentiaire de Maubeuge. L’OIP estimait que cette pratique était révélée par les fouilles pratiquées sur trois détenus de cet établissement. Invité par le tribunal à produire la décision attaquée, l’OIP a saisi le directeur du centre pénitentiaire d’une demande de communication des notes de service relatives auxdites fouilles ou de tout document ayant le même objet. Il n’a pas été donné suite à cette mesure.
En l’absence d’éléments permettant de démontrer l’existence de la décision attaquée, le ministre de la Justice a conclu à l’irrecevabilité de la demande présentée par l’OIP.
Parallèlement, l’OIP avait adressé à plusieurs détenus du même centre pénitentiaire un questionnaire sur lesdites fouilles. Ces courriers ont été interceptés par le chef d’établissement au motif qu’ils étaient susceptibles d’amener des détenus à s’opposer aux mesures de sécurité et de contrôle.
Le tribunal administratif (TA Lille, 2 juillet 2015, n° 1304184
En cause d’appel. La section française de ce dernier a interjeté appel de ce jugement produisant, à l’appui de sa requête, une note du chef d’établissement mentionnant de nouvelles modalités de contrôles mises en place à l’issue des parloirs.
Considérant que l’OIP n’établissait toutefois pas l’existence de la décision susceptible de recours pour excès de pouvoir, la cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 4 juillet 2017, n° 15DA01459
La section française de l’OIP a formé un pourvoi contre la décision de cette dernière.
Décision du Conseil d’État. La Haute juridiction (CE 9° et 10° ch.-r., 3 octobre 2018, n° 413989, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6588X8I) a estimé qu’eu égard aux éléments produits par l’OIP et aux diligences que l’association avaient entreprises pour se procurer la décision, la cour administrative avait méconnu son office et commis une erreur de droit. Il lui appartenait en l’espèce de faire usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l’administration pénitentiaire de produire ladite note ou, à défaut de l’existence d’une telle note, tous éléments de nature à révéler la réalité de cette pratique notamment le registre de consignation des fouilles.
Le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour et lui a renvoyé le jugement de l’affaire.
À la suite du renvoi, la cour a diligenté auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, une mesure d’instruction tendant à obtenir communication de la note ou de tout élément établissant la réalité du régime contesté. Le ministre a répondu en produisant une note de service du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge définissant le régime de fouilles des personnes détenues dans cet établissement.
Décision de la CAA de renvoi. La cour d’appel juge que l’OIP était fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif ainsi que l’annulation de dispositions de la note de service établissant les pratiques contestées.
La juridiction d’appel souligne qu’il appartient à l’auteur d’une requête, conformément à l’article R. 412-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1656LKK), de produire, sauf impossibilité justifiée, la décision attaquée ou tout document apportant la preuve des diligences accomplies pour en obtenir communication. Elle souligne également qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction en particulier en exigeant la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
La cour administrative d’appel constate qu’en l’espèce, l’OIP avait accompli les diligences nécessaires pour se procurer la décision fixant le régime dénoncé. L’administration a, par son silence, fait obstacle à la possibilité pour l’association de satisfaire à l’exigence de production de la décision qu’elle entendait attaquer.
La cour affirme donc qu’il appartenait au tribunal de requérir de l’administration pénitentiaire qu’elle produise la note attaquée ou tout élément de nature à révéler le régime de fouilles contesté. Faute pour le tribunal d’avoir ainsi agi, l’OIP était fondé à demander l’annulation du jugement.
S’agissant plus spécifiquement de la note litigieuse. La cour administrative d’appel de renvoi, rappelant les dispositions de l’article 57 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, souligne que les mesures de fouilles ne peuvent revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs spécifiquement prévus par ces dispositions. Elle précise également qu’en vertu de cet article les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection électronique.
À la lumière de ces dispositions, la cour administrative d’appel constate que les dispositions de la note contestée méconnaissent les principes de la loi pénitentiaire précités puisqu’elles instaurent un régime de fouilles intégrales systématiques, à la sortie des parloirs, des personnes détenues lorsqu’elles viennent de recevoir la victime d’un membre de leur famille. Aucune appréciation particulière, portée par l’autorité compétente, ne permettait par ailleurs d’en exonérer l’intéressé au regard des critères prévus par l’article 57 de la loi pénitentiaire.
La cour administrative d’appel déduit de ces constatations que la section française de l’OIP était fondée à demander l’annulation de la décision contestée.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2020-854 QPC du 31 juillet 2020 (N° Lexbase : A89613RC)
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par Laurine Dominici, Doctorante contractuelle chargée de mission d’enseignement - Université d’Aix-Marseille - Centre d’Études fiscales et financières EA 891
Le 23 Septembre 2020
Le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision du 31 juillet 2020, qu’il n’y a pas de lien entre le régime fiscal du cessionnaire et sa capacité à respecter son engagement de transformer en logement les locaux cédés. Dès lors, le Conseil a prononcé une non-conformité totale des dispositions contestées.
En l’espèce, le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 juin 2020 par le Conseil d’État (CE 8° et 3° ch.-r., 9 juin 2020, n° 439457, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A15593N3), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Beraha. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-854 QPC. Cette dernière est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article 210 F du Code général des impôts (N° Lexbase : L6214LUP), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 [1].
Dans le cadre de la décision étudiée, le Conseil constitutionnel devait s’interroger sur la question de savoir si les dispositions du I de l’article 210 F du CGI, dans leur rédaction résultant de la loi de finances rectificative pour 2013, du fait qu’elles excluent du dispositif de faveur qu’elles instituent les plus-values dégagées lors d’une cession réalisée au profit d’une société soumise au régime de l’article 239 ter du CGI ([LXB=]), portent atteinte aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques ? Autrement dit, il est ici question d’examiner la constitutionnalité des dispositions du I de l’article 210 F du CGI dans la mesure où ces dernières excluent du dispositif de faveur qu’elles instituent les plus-values dégagées lors d’une cession réalisée au profit d’une société civile de construction-vente (régie par l’article 239 ter du CGI).
Par une décision du 31 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’égalité devant les charges publiques. Ce dernier a donc, déclaré contraires à la Constitution les mots « soumise à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun » figurant au a du paragraphe I de l’article 210 F du CGI, dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2013.
Les dispositions contestées, objet de la présente QPC, octroient un avantage fiscal sous conditions, et notamment l’une d’elles tenant à la personne du cessionnaire (I). En excluant certaines sociétés du dispositif de faveur, le Conseil constitutionnel a en conséquence, déclaré non-conformes à la Constitution les dispositions en causes (II).
I - L’octroi d’un avantage fiscal sous conditions
Le législateur, en instaurant cet avantage fiscal, a comme objectif de développer l’offre de logement (A). Or, le champ d’application de l’avantage fiscal créé par ce dernier se voit être remis en question, en raison des conditions nécessaires pour pouvoir en bénéficier, et notamment celle tenant à la personne du cessionnaire (B).
A - Une fiscalité incitative : le développement de l’offre de logement
La loi n°2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 [2] a inséré un article 210 F au sein du Code général des impôts. Ce dernier permet de soumettre à un taux réduit à 19% au lieu de 33,33 % d’impôt sur les sociétés (IS) les plus-values nettes dégagées lors de la cession d’un local à usage de bureaux ou à usage commercial.
Au travers des dispositions de l’article 210 F du CGI, le législateur avait comme objectif, de développer l’offre de logement en facilitant la transformation en locaux à usage d’habitation de locaux initialement destinés à des usages différents [3]. Cette disposition en accordant un avantage fiscal au cédant, entre dans le champ de la « fiscalité incitative ». Ce type de fiscalité peut se définir comme des mesures fiscales ayant pour vocation d’orienter le comportement des contribuables, aussi bien particuliers qu’entreprises, dans un sens déterminé. L’objectif premier n’est donc pas ici celui du rendement. La mesure peut être aussi bien positive que négative. Si cette dernière est négative on parlera dans ce cas de « fiscalité désincitative » ou « dissuasive ». Le but étant alors de décourager certains comportements [4].
Ajoutons que cet article est venu remplacer l’article 210 E du CGI dont le but était de favoriser le développement de sociétés foncières [5]. Le législateur a estimé que cet objectif avait été atteint, c’est donc pour cette raison qu’il y a eu en 2011 une évolution de ce dispositif incitatif [6].
Originellement, ce dispositif de faveur devait être d’une durée limitée, or le législateur l’a régulièrement prolongé. Il est de ce fait relativement délicat de comprendre ce dispositif si l’on ne revient pas sur l’origine de cet article [7]. Dans le cadre de la décision commentée, il s’agit de la version issue de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013. L’objectif recherché par le législateur demeure le même, c’est-à-dire favoriser la création de logements. Ce point est d’ailleurs rappelé dans le considérant 6 de la décision étudiée qui dispose qu’ « en instituant un taux réduit d’imposition des plus-values de cession de locaux professionnels en vue de leur transformation en locaux à usage d’habitation, le législateur a entendu favoriser la création de logements ».
Bien que le législateur ait fait évoluer ce mécanisme d’incitation fiscale dans le but d’augmenter l’offre de logement, il n’en demeure pas moins que le champ d’application de l’avantage fiscal pose de nombreuses questions, et notamment en raison des conditions requises pour pouvoir y prétendre.
B - Le champ d’application de l’avantage fiscal en question
Pour se prévaloir de l’avantage fiscal prévu par l’article 210 F du CGI, il est nécessaire de répondre aux trois conditions mentionnées dans la présente disposition. Si les trois sont remplies, le cédant peut bénéficier d’un taux réduit d’impôt sur les sociétés sur les plus-values réalisées lors de la cession d’un local à usage de bureaux ou à usage commercial. La première condition est relative aux locaux cédés, ces derniers doivent être à usage de bureaux ou à usage commercial. La deuxième est relative à la qualité du cessionnaire des locaux, c’est cette condition qui va nous intéresser dans le cadre de ce commentaire de décision. La dernière condition est l’engagement, par le cessionnaire, de transformer la destination des locaux, c’est-à-dire que la société cessionnaire doit s’engager à transformer le local acquis en local à usage d’habitation.
Comme il a déjà été rappelé dans ce commentaire, le Conseil constitutionnel devait étudier la conformité à la Constitution du paragraphe I de l’article 210 F du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi de finances rectificative pour 2013. Ce point est fondamental, d’où la nécessité d’y revenir régulièrement. Le point de départ du litige , tel que mentionné au considérant 5 de l’arrêt du Conseil d’État du 9 juin 2020 précité est né : « de ce que l’Administration a remis en cause, chez la société Beraha, qui est soumise à l’impôt sur les sociétés, le bénéfice du taux réduit prévu au IV de l’article 219 du CGI pour l’imposition de la plus-value que cette société a dégagée lors de la cession, le 30 juin 2015, de locaux à usage de bureaux, au motif que la société cessionnaire, qui s’était engagée à les transformer en locaux à usage d’habitation, ne relevait d’aucune des catégories mentionnées aux a, b et c du I de l’article 210 F du même Code. Notamment, elle n’avait pas le caractère d’une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun, dès lors qu’il s’agissait d’une société civile de construction-vente régie par l’article 239 ter du CGI ». Certainement, le législateur a manifesté sa volonté d’élargir le champ d’application de ce dispositif incitatif en prenant en compte, parmi les sociétés cessionnaires, des personnes morales soumises à l’IS. Pour autant, il n’en demeure pas moins que cette extension présente aussi des limites. En effet, dans ce litige on s’intéresse notamment aux sociétés civiles de construction-vente (CGI, art. 239 ter) dans la mesure où ces dernières sont exclues du régime de l’IS : elles n’y sont pas soumises de plein droit et ne peuvent pas non plus opter en sa faveur [8]. Ainsi, la deuxième condition relative à la qualité du cessionnaire se trouve être au cœur du litige. En effet, cette condition exclue du champ de l’avantage fiscal, comme cela est exprimé dans le considérant 2 de la décision étudiée : « les plus-values de cessions réalisées au profit de personnes morales non soumises à l’IS, telles que, en particulier, les sociétés civiles de construction-vente, alors même que leur objet est de construire des immeubles en vue de la vente ». Ainsi donc, les dispositions en causes font dépendre du régime fiscal du cessionnaire le bénéfice, par le cédant, de ce taux réduit d’imposition (considérant 7).
Par conséquent, en excluant d’autres personnes morales tout autant susceptibles de transformer les locaux cédés en locaux à usage d’habitation, et en particulier les sociétés civiles de construction-vente, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions faisant l’objet de la présente QPC n’étaient pas conformes à la Constitution.
II - Non-conformité des dispositions excluant du dispositif de faveur certaines sociétés
Les dispositions contestées ont été déclarées non-conformes à la Constitution dans la mesure où le dispositif de faveur prévu par ces dernières, ne répond pas à un critère objectif et rationnel (A). En conséquence, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions en causes méconnaissaient le principe d’égalité devant les charges publiques (B).
A - Un dispositif de faveur ne répondant pas à un critère objectif et rationnel
Il a été mentionné plus haut, dans le présent commentaire, qu’en instaurant cet avantage fiscal, le législateur a pour but de favoriser la création de logements. Il semblerait donc légitime de penser que lorsque la société cessionnaire est une société civile de construction-vente, le cédant puisse bénéficier du taux réduit d’imposition. En effet, les sociétés civiles de construction-vente constituent une sous-catégorie particulière des sociétés civiles immobilières. Ainsi, conformément à l’article 239 ter du CGI, il s’agit de sociétés civiles « qui ont pour objet la construction d’immeubles en vue de la vente » [9]. Or, les dispositions contestées, dans leur rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2013, exclue ce type de sociétés. On ne peut donc pas comprendre le choix du législateur compte tenu du fait que l’objet des sociétés civiles de construction-vente est de construire des immeubles en vue de la vente. Les requérants ont donc soulevé et ce à juste titre, que la condition fondée sur le régime fiscal du cessionnaire est sans rapport avec la capacité de ce dernier à réaliser les travaux de transformation des locaux (considérant 2). Pour justifier l’exclusion dans le champ de la mesure des sociétés civiles de construction-vente : « on ne peut affirmer que la contribution des SCCV à la construction de logements serait marginale » [10], il est par conséquent encore plus délicat de concevoir le raisonnement du législateur.
Dans la décision commentée, au considérant 5, le Conseil constitutionnel a énoncé le cadre d’application de l’avantage fiscal, ensuite il a rappelé le but poursuivi par le législateur au travers de l’instauration de ces dispositions (considérant 6). Pour vérifier la constitutionnalité du dispositif, le Conseil s’est posé la question de savoir si le critère retenu par le législateur était objectif et rationnel au regard du but recherché (favoriser la création de logements). Il a donc pu relever que le bénéfice du taux réduit d’imposition de la plus-value réalisée par le cédant était dépendant du régime fiscal du cessionnaire. Or ce n’est pas seulement une question du régime fiscal de la société cessionnaire, car en effet, rien ne peut garantir le respect de son engagement. Par conséquent, le Conseil a jugé dans le considérant 8 : « qu’en réservant l’application de l’avantage fiscal aux plus-values de cessions réalisées au profit d’une personne morale ‘’soumise à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ‘’, excluant ainsi d’autres personnes morales tout autant susceptibles de transformer les locaux cédés en locaux à usage d’habitation, en particuliers les SCCV, le législateur ne s’est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but de création de logements qu’il s’est proposé ». Il n’y avait donc aucun motif pouvant justifier l’exclusion des sociétés civiles de construction-vente.
En excluant les SCCV, le Conseil constitutionnel en a conclu que les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’égalité devant les charges publiques et a donc prononcé leur inconstitutionnalité.
B - Des dispositions méconnaissant le principe d’égalité devant les charges publiques
En l’espèce, la société requérante estimait que le législateur avait retenu un critère ni objectif ni rationnel et institué une différence de traitement injustifiée entre les cédants, selon que le cessionnaire des locaux était ou non assujetti à l’IS. Ainsi, de telles dispositions méconnaitraient les principes d’égalité devant les charges publiques prévu par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ([LXB=L1360A9A), et devant la loi prévue par l’article 6 de la même déclaration. Dès lors que le Conseil constitutionnel apprécie la conformité , au regard des articles 6 et 13 de la DDHC, d’une loi établissant un avantage fiscal en faveur d’un secteur économique ou de certains contribuables, ce dernier estime que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que, pour des motifs d’intérêt général, le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement d’activités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés » [11], sous réserve qu’il n’en résulte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques [12].
Il est intéressant de soulever que dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité des dispositions contestées uniquement au regard du principe d’égalité devant les charges publiques (considérant 4). Nous pouvons constater ceci dans le considérant 9 de la décision où le Conseil estime, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant la loi pour déclarer les dispositions non-conformes à la Constitution. Une remarque du Conseil constitutionnel aurait été non seulement nécessaire mais aussi appréciable pour ce qui concerne la différence de traitement entre les cédants. Notons d’ailleurs que la QPC a été soulevée par un cédant et non par un cessionnaire. C’est un point déjà important d’admettre que le critère retenu n’est ni objectif ni rationnel ; mais alors pourquoi ne pas mentionner également que la différence de traitement entre les cédants n’est pas en rapport avec l’objet de la loi établie par le législateur ? L’article 6 de la DDHC n’a même pas été cité dans la décision, ce qui peut être assez regrettable dans la mesure où le Conseil aurait eu matière à développer cet élément.
A propos de l’examen par le Conseil des dispositions contestées au regard de l’article 13 de la DDHC, des développements supplémentaires auraient été opportuns. Nous pouvons quand même saluer la décision prise par le Conseil constitutionnel en déclarant les dispositions non-conformes à la Constitution.
En ce qui concerne les effets dans le temps de la décision, le Conseil rappelle au considérant 11 de la décision commentée, que les dispositions déclarées contraires à la Constitution ne sont plus en vigueur. Il a ajouté au considérant suivant que : « la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de la présente décision ».
Nous devions impérativement insister sur la rédaction des dispositions contestées non seulement car elles ne sont plus en vigueur mais surtout parce qu’il y a eu une évolution dans la législation fiscale. Au départ, comme il a été mentionné plus haut, ce dispositif incitatif avait vocation à être temporaire ; pour autant il a sans cesse été prolongé. En effet, l’article 25 de la loi de finances pour 2018 [13] a étendu le champ d’application de l’article 210 F du CGI aux cessions réalisées au profit de sociétés civiles de construction-vente bénéficiant du régime fiscal prévu à l’article 239 ter du CGI. L’extension du dispositif à cette catégorie de cessionnaires a pu être appliqué aux cessions réalisées à compter du 1er janvier 2018. Cette inclusion récente dans le champ des cessionnaires était plus que nécessaire pour rendre le dispositif cohérent. Si le législateur souhaitait favoriser le développement de l’offre de logement, ces sociétés auraient dû entrer dans le champ d’application du dispositif dès le départ.
[1] Loi n° 2013-1279, du 29 décembre 2013, de finances rectificative pour 2013 (N° Lexbase : L7404IYU).
[2] Loi n° 2011-1978, du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 (N° Lexbase : L4994IRE).
[3] « Exclusion du taux réduit d’IS des plus-values de cession de locaux à une société civile de construction-vente : renvoi d’une QPC », RDF, 2020, n° 27, comm. 295.
[5] Commentaire de la décision n° 2020-854 QPC du 31 juillet 2020, p. 3
[6] Voir le rapport n°4006 (Assemblée nationale-XIIIème législature) de M. le député Gilles Carrez, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2011, pp. 221-224.
[7] Voir en ce sens le dossier documentaire relatif à la décision n°2020-854 QPC sur le site du Conseil constitutionnel.
[8] Commentaire de la décision n° 2020-854 QPC du 31 juillet 2020, pp. 4-5.
[9] Commentaire de la décision n° 2020-854 QPC du 31 juillet 2020, p. 5.
[10] CE 8° et 3° ch.-r., 9 juin 2020, n° 439457 précité.
[11] Cons. const., décision n° 2011-121 QPC, du 29 avril 2011, cons.3 (N° Lexbase : A2797HPB).
[12] Cons. const. décision n° 2018-777 DC, du 28 décembre 2018, cons.25 (N° Lexbase : A8393YRB).
[13] Loi n° 2017-1837, du 30 décembre 2017, de finances pour 2018 (N° Lexbase : L7952LHY).
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Réf. : CA Versailles, 4 juin 2020, n° 17/04940 (N° Lexbase : A89513MH)
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par Charlotte Moronval
Le 23 Septembre 2020
► La décision de l’employeur de recourir à un entretien préalable de licenciement à distance, via une téléconférence, au regard des circonstances de l’espèce, ne constitue pas une irrégularité de procédure dès lors que les droits de la salariée ont été respectés et que celle-ci a été en mesure de se défendre utilement.
Dans les faits. Une salariée exerce ses fonctions en tant qu’expatriée à Dubaï. Après un entretien préalable réalisé par téléconférence, la salariée s'est vu notifier son licenciement, qu’elle conteste.
La motivation du salarié. Devant la cour d’appel, la salariée rappelle que son entretien préalable s'est tenu par téléphone, la personne qui l'assistait se trouvant en France avec la personne qui représentait l'employeur. Elle soutient qu'elle n'a pas été en mesure de se défendre utilement lors de l'entretien, compte tenu de cette organisation et du refus de sa demande de report.
A savoir : la Cour de cassation a eu l’occasion de juger qu’un entretien téléphonique ne saurait remplacer l’entretien préalable prévu par le Code du travail (Cass. soc., 14 novembre 1991, n° 90-44.195 N° Lexbase : A3758AAG).
La position de la cour d’appel. La cour d’appel ne suit pas l’argumentation de la salariée. En effet, même s'il est de principe que l'entretien se tienne en présence physique des parties, les circonstances de l'espèce, le statut d'expatriée de la salariée et sa localisation à Dubaï, expliquent la décision de l'employeur de recourir à un entretien à distance via une téléconférence. Ces modalités ne constituent pas une irrégularité de procédure dès lors que les droits de la salariée ont été respectés et que celle-ci a été en mesure de se défendre utilement. Tel a été le cas en l'espèce, ainsi que cela résulte du compte rendu rédigé par le salarié ayant assisté la salariée. Celui-ci indique en effet :
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Réf. : Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 19-17.360, F-P+B+I (N° Lexbase : A88363TG)
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 23 Septembre 2020
► Le délai de recours d’une notification d’un jugement intervenue à la suite d’une première notification irrégulière, ne court que si la dernière notification comporte la mention expresse qu’elle se substitue à la précédente.
Faits et procédure. Dans cette affaire, une convention de rupture conventionnelle a été signée entre un salarié et son employeur, cette dernière a été déclarée irrégulière par le conseil de prud’hommes. Une première notification du jugement, en date du 4 octobre 2016 a été adressée par le greffe aux parties, mais cette dernière comportait une erreur relative aux modalités de représentation devant la cour d’appel. Le salarié a interjeté appel le 3 novembre 2016 de cette décision via le RPVA. Le 4 novembre 2016, le salarié a reçu une seconde notification mentionnant que, devant la cour d’appel la représentation était obligatoire. Le conseiller de la mise en état de la cour d’appel a déclaré irrecevable son appel, par ordonnance du 9 novembre 2016. Le 3 avril 2017, le salarié a formé un nouvel appel, et un calendrier de procédure a été fixé. L’incident tendant à déclarer cet appel irrecevable a été déclaré lui-même irrecevable par ordonnance du 23 janvier 2019.
Le pourvoi. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 3 avril 2019, par la cour d’appel de Versailles, d'avoir déclaré son appel irrecevable.
Dans un premier temps, le demandeur invoque par fausse application la violation des articles 651 (N° Lexbase : L6814H7I), 680 (N° Lexbase : L1240IZX) et 693 (N° Lexbase : L4841IS4) du Code de procédure civile. L’intéressé énonce qu’une première notification comportant des mentions erronées sur les modalités d’exercice du recours n’est pas de nature à faire courir le délai d’appel, et ce même si l’erreur ne porte pas sur les modalités d’exercice du recours. Le demandeur précise qu’il existe une exception, dans le cas où la seconde notification comporte la mention que la précédente notification était erronée et qu’elle se substitue à cette dernière ou la rectifie. En l’espèce, les juges d’appel avaient retenu le contraire, énonçant que compte tenu des mentions erronées de la première notification, il n’était pas nécessaire que la seconde notification indique être rectificative pour que le délai de recours puisse courir.
Dans un second temps, le demandeur au pourvoi invoque la violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), du fait qu’il n’a pas été constaté par les juges d’appel que la seconde notification indiquait qu’elle rectifiait la précédente, et qu’en conséquence, il n’avait pas été en mesure d’exercer utilement son droit de recours, compte tenu du fait qu’il n’avait pas été en mesure de connaître les modalités d’appel lui permettant d’exercer ce dernier, et donc d’avoir accès au juge d’appel.
Réponse de la Cour. Après avoir énoncé la solution précitée, la Cour suprême relève que dans le cas d’espèce, les juges d’appel pour déclarer l’appel irrecevable comme tardif, ont retenu qu’il était indiqué sur la première notification l’adresse du greffe de la cour d’appel de Versailles au verso de l’acte, sous la mention « appel », sans aucune mention sur les modalités d’exercice du recours. Les Hauts magistrats relèvent que la notification contenait les modalités de la procédure orale applicable avant le 1er août 2016. Ils relèvent également que sur la seconde notification, il était indiqué les modalités de la procédure écrite, et que cette dernière était donc nécessairement rectificative, et ce même en l’absence d’une mention expresse qu’elle succédait à la précédente.
Solution. La Cour suprême, aux visas des articles 651 et 680 du Code de procédure civile, et l’article 6, § 1, de la CESDH, casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.
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Réf. : CJUE, 8 septembre 2020, aff. C-265/19 (N° Lexbase : A98263SQ)
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N4586BYI
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par Vincent Téchené
Le 23 Septembre 2020
► Dans le cadre de l’utilisation de phonogrammes dans l’Union, la Directive n° 2006/115 (N° Lexbase : L8983HTU) s’oppose à ce qu’un État membre exclue des artistes ayant droit à une rémunération équitable et unique les artistes ressortissants des États tiers à l’EEE.
Faits et procédure. Une entreprise de gestion collective des droits d’artistes interprètes ou exécutants(RAPP) et une entreprise de gestion collective des droits de producteurs de phonogrammes (PPI) ont conclu un contrat qui stipule les modalités selon lesquelles les droits exigibles, en Irlande, pour la diffusion en public, dans les bars et autres lieux accessibles au public, ou pour la radiodiffusion de musique enregistrée doivent, après avoir été payés par les utilisateurs à PPI, être partagés avec les artistes interprètes ou exécutants et, à cette fin, être partiellement reversés par PPI à RAAP. Les parties sont en désaccord sur la portée de ce contrat concernant les droits payés à PPI en rapport avec de la musique interprétée ou exécutée par un artiste qui n’est ni ressortissant, ni résident d’un État membre de l’Espace économique européen (EEE). À cet égard, RAAP estime que tous les droits exigibles doivent être partagés sans prendre en considération la nationalité et le lieu de résidence de l’artiste. Si la position de RAAP était suivie, les artistes interprètes ou exécutants des États tiers seraient rémunérés en Irlande en toute hypothèse, alors que, selon PPI, se fondant à cet égard sur le droit irlandais, tel ne saurait être le cas dès lors que les artistes interprètes ou exécutants irlandais ne reçoivent pas de rémunération équitable dans des États tiers.
Décision. Saisie de question préjudicielles, la CJUE a donc indiqué, dans son arrêt du 8 septembre 2020, que, dans le cadre de l’utilisation de phonogrammes dans l’Union, la Directive n° 2006/115 1 s’oppose à ce qu’un État membre exclue des artistes ayant droit à une rémunération équitable et unique les artistes ressortissants des États tiers à l’EEE.
À cet égard, la Cour constate que la Directive n’établit aucune condition selon laquelle l’artiste interprète ou exécutant ou le producteur du phonogramme devrait avoir la nationalité d’un État membre de l’EEE ou une autre condition de rattachement à ce territoire, telle que le domicile, le lieu de résidence ou le lieu de réalisation du travail créateur ou artistique. Au contraire, selon la Cour, il résulte du contexte et des objectifs de la Directive n° 2006/115 ainsi que de la primauté des accords internationaux conclus par l’Union que ladite Directive doit être interprétée, dans la mesure du possible, d’une manière conforme au Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TIEP). La Cour souligne à cet égard que cet accord international, qui fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, oblige, en principe, l’Union et ses États membres à accorder le droit à une rémunération équitable et unique également aux ressortissants d’autres parties contractantes au TIEP.
En outre, la Cour explique que les réserves notifiées par des États tiers en vertu du TIEP ne limitent pas en tant que telles le droit de ces artistes des États tiers à une rémunération équitable et unique dans l’Union. Bien que de telles limitations puissent être introduites par le législateur de l’Union, pourvu qu’elles soient conformes au droit de la propriété intellectuelle protégé par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive n° 2006/115 ne contient pas une telle limitation et s’oppose dès lors à ce qu’un État membre limite le droit à une rémunération équitable et unique à l’égard des artistes interprètes ou exécutants et producteurs ressortissants d’États tiers.
Par ailleurs, la Cour souligne que la Directive s’oppose également à ce que seul le producteur du phonogramme concerné perçoive une rémunération, sans la partager avec l’artiste interprète ou exécutant qui a contribué à ce phonogramme.
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Réf. : Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 19-17.721, F-P+B+I (N° Lexbase : A88403TL)
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N4603BY7
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 23 Septembre 2020
► La Cour suprême vient de rappeler les conséquences de l’exécution d’une décision exécutoire par provision ; sous réserve des dispositions de l’article L. 311-4 du Code des procédures civiles d’exécution l’exécution (N° Lexbase : L5868IRR), l’article L. 111-10 (N° Lexbase : L5798IR8) du même code énonce que l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à titre provisoire ; elle n’a lieu qu’aux risques de celui qui la poursuit, à charge pour lui, si le titre est ultérieurement modifié, d’en réparer les conséquences dommageables et de rétablir ainsi le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent ; le débiteur ne doit pas rapporter la preuve d’une faute du poursuivant.
Faits et procédure. Dans cette affaire, par un jugement assorti de l’exécution provisoire un défendeur a été condamné à verser une certaine somme au demandeur. Le défendeur a interjeté appel de la décision, et un arrêt a été rendu confirmant la décision de première instance.
Cependant, avant que la cour ne statue dans ce sens, le créancier avait fait diligenter une saisie du véhicule de son débiteur. Ce dernier avait engagé un recours devant le juge de l’exécution, en vue d’obtenir la mainlevée de la mesure d’exécution forcée, au motif que ledit véhicule était insaisissable, dès lors qu’il était nécessaire à son activité professionnelle. Sa demande avait été rejetée par jugement du juge de l’exécution, et un appel avait été interjeté contre ce dernier. La décision a été infirmée par la cour d’appel, qui a ordonné la mainlevée de la saisie.
Le véhicule ayant entre-temps été vendu aux enchères publiques, le débiteur a saisi un tribunal aux fins d'indemnisation de divers préjudices. Au visa de l’article 12, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I), l’arrêt ayant accueilli partiellement ses demandes a été cassé en toutes ses dispositions, étant donné que la cour d’appel faute d’avoir précisé le fondement juridique dans sa décision, n’avait pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle.
Le pourvoi. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 13 novembre 2018, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 2, 12 mai 2016, pourvoi n°15-18.052 N° Lexbase : A0774RPD), la méconnaissance du sens et de la portée de l’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution, avec l’article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1018KZQ), en infirmant le jugement en toutes ses dispositions au fond, et en statuant à nouveau sur le fait qu’il ne rapportait pas la preuve d’une faute de son adversaire, et également en rejetant l’ensemble de ses demandes de paiement. L’intéressé invoque que l’exécution forcée d’une décision assortie de l’exécution provisoire n’a lieu qu’aux risques et périls de celui qui la poursuit, à charge pour ce dernier d’en réparer les conséquences dommageables, en cas d’infirmation de la décision exécutée. Il précise qu’il n’est pas nécessaire dans ce cas, qu’une faute soit relevée à l’encontre du poursuivant.
Réponse de la Cour. Le moyen est accueilli par la Cour suprême qui après avoir rappelé la solution précitée, relève que la cour d’appel a violé l’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d'exécution, aux motifs que les juges d’appel avaient fondé leur décision sur le fait que la preuve ne serait pas rapportée sur une faute commise par le créancier en poursuivant l’exécution provisoire d’une décision de justice, et que ce dernier avait poursuivi l’exécution jusqu’à son terme, à ses risques.
Solution. La Cour suprême casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.
Pour aller plus loin : v. ETUDE : Le titre exécutoire à titre provisoire et l'exécution aux risques du créancier, in Voies d’exécution, Lexbase (N° Lexbase : E8171E87) |
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