Réf. : CE référé, 18 mai 2020, n° 440442 et n° 440445 (N° Lexbase : A64093LX)
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Le 10 Juin 2020
Par une ordonnance de référé rendue le 18 mai 2020, le Conseil d’Etat a enjoint à l’Etat de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement. La Haute juridiction a estimé que le niveau de contrôle ainsi appliqué aux citoyens surpassait les bénéfices escomptés par une surveillance accrue visant à assurer le strict respect des désormais célèbres « gestes barrière ». A l’heure où un déconfinement progressif est déjà largement entamé et alors que le ministère de l’Intérieur attend la livraison prochaine de plusieurs centaines de drones et développe plusieurs instruments de la « police du futur » (capteurs sonores, police prédictive), Lexbase Hebdo – édition publique a rencontré Cyrille Dounot, Professeur à l’Université Clermont Auvergne pour faire le point sur cette problématique.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter la réglementation concernant l’usage des drones en France par les autorités ?
Cyrille Dounot : La règlementation des drones est assez complexe. Les drones sont, au sens du Code des transports, des « aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote » (C. trans., art. L. 6111-1 N° Lexbase : L7700LAG). Les règles relatives à leur circulation sont codifiées depuis la loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016, relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils (N° Lexbase : L7610LA4), au titre de l’aviation civile, aux articles L. 6214-1 (N° Lexbase : L7691LA4) à L. 6214-4 du même code, et les sanctions pénales en cas de non-respect des règles de circulation sont prévues aux articles L. 6232-2 (N° Lexbase : L6292IND) et L. 6232-3 (N° Lexbase : L6291INC). Le Code pénal contient en outre, aux articles 226-1 (N° Lexbase : L2092AMG) à 226-7, tout une série de dispositions visant à sanctionner l’atteinte à la vie privée qui serait opérée (ou tentée) par le moyen des drones, telles la captation, la fixation et la diffusion d’images non consentie, ou la violation de l’intimité cachée à la vue des tiers. Le Code de l’aviation civile instaure un régime de police spéciale en matière de circulation des drones, pour l’essentiel aux mains du ministre compétent (C. av. civ., art. L. 131-3 N° Lexbase : L3358DE4 et R. 131-4 N° Lexbase : L2931HZL). Le maire, au titre de ses pouvoirs de police, ne peut agir qu’à des titres restreints : règlementation sur le bruit ou maintien du bon ordre dans des événements sportifs ou culturels (CGCT, art. L. 2212-2 N° Lexbase : L0892I78), police de la voirie, sous réserve des compétences préfectorales.
Il faut aussi compter sur plusieurs textes de nature règlementaire qui viennent préciser ou compléter ces règles : l’arrêté du 17 décembre 2015, relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les drones (N° Lexbase : L9136KUW), l’arrêté du 27 octobre 2017, fixant la liste des zones interdites à la prise de vue aérienne (N° Lexbase : L2076LHD), le décret n° 2018-882 du 11 octobre 2018, relatif à l’enregistrement des aéronefs civils circulant sans personne à bord (N° Lexbase : L4841LMA), l’arrêté du 12 octobre 2018, relatif à la formation exigée des télépilotes qui utilisent des aéronefs civils circulant sans personne à bord à des fins de loisir (N° Lexbase : L6112LMC), le décret n° 2019-348 du 19 avril 2019, relatif à la notice d’information relative à l’usage des aéronefs circulant sans personne à bord (N° Lexbase : L0166LQ9), l’arrêté du 19 avril 2019, relatif au contenu de la notice d’information fournie avec les emballages des aéronefs civils circulant sans personne à bord et de leurs pièces détachées (N° Lexbase : L0191LQ7).
Les dernières précisions règlementaires, qui entreront en vigueur le 29 juin 2020, ont été apportées par le décret n° 2019-1114 du 30 octobre 2019, pris pour l'application de l'article L. 34-9-2 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L3313LTU), et l’arrêté du 27 décembre 2019, définissant les caractéristiques techniques des dispositifs de signalement électronique et lumineux des aéronefs circulant sans personne à bord (N° Lexbase : L2203LU7). Il s’agit d’intégrer aux drones de plus de 800 grammes un signalement électronique ou numérique ayant pour objectif de détecter leur vol et de permettre la lecture de leur numéro d’identifiant.
En ce qui concerne l’usage de drones par les autorités, il convient de distinguer entre trois acteurs. L’Etat, tout d’abord, disposant d’un régime juridique dérogatoire (article 10 de l’arrêté du 17 décembre 2015, relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les drones), concernant par exemple la circulation de nuit, l’altitude maximale d’évolution ; l’armée, ensuite, dont les drones sont soumis aux règles de la circulation aérienne militaire et du droit international (en cas d’utilisation lors d’OPEX) ; les collectivités locales et autres personnes publiques, enfin, soumises pour l’essentiel au régime commun. Pourtant, les exemples d’usages par les collectivités abondent, notamment en matière de maintenance des réseaux : inspection des lignes à très haute tension ou de l’état des chemins de fer, surveillance des départs de feu de forêt ou de l’isolation thermique des bâtiments, diagnostics géothermiques, etc. Pour autant, elles doivent se plier aux règles générales : conformité de fabrication et d’équipement du drone, déclaration préalable des opérations envisagées auprès de l’aviation civile, respect du droit des tiers. Ce dernier point est essentiel puisque la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peut, à l’issue d’un contrôle ou d’une plainte, infliger une sanction pécuniaire s’élevant jusqu’à vingt millions d’euros à une personne publique irrespectueuse des données personnelles.
Lexbase : Dans cette ordonnance, le Conseil d’Etat insiste fortement sur les notions de données à caractère personnel et le traitement de données à caractère personnel. Pouvez-vous nous rappeler leurs contours exacts ?
Cyrille Dounot : Le cadre de référence de la protection des données à caractère personnel est la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), instituant la CNIL. Elle est à compléter par le Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L0189K8I) (le fameux RGPD), et par la Directive (UE) 2016/680 du même jour, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L9729K7H).
Cette Directive définit les données à caractère personnel comme étant « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable » en précisant qu’est réputée être une « ‘personne physique identifiable’ une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » (article 3, point 1). De la même manière, ce texte définit amplement le traitement des données comme toute opération de collecte, d’enregistrement, d’organisation mais aussi de modification, de consultation ou d’utilisation desdites données (article 3, point 2). En sorte que toute manipulation d’une information personnelle tombe sous le coup de cette directive (sauf celle qui émane des institutions, organes et organismes de l’Union Européenne, article 2, point 3 b)).
En l’espèce, les drones utilisés, bien que volant à une hauteur de 80 à 100 mètres et filmant en utilisant un grand angle sans activation du zoom, sont aptes à prendre des images précises permettant l’identification des personnes. Ils sont ainsi susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter « que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables » (considérant n° 16). La simple absence de carte mémoire dans ces appareils, empêchant tout enregistrement des données, n’est pas de nature à les exclure du champ d’application de la Directive de 2016. La collecte des données par la captation d’images par drone, transmises « dans certains cas, au centre de commandement de la préfecture de police pour un visionnage en temps réel » conduisant à leur utilisation « pour la réalisation de missions de police administrative » (considérant n° 17) suffit à caractériser le traitement des données personnelles.
C’est ici que le droit interne précise ce que le droit européen encadre : tout traitement de données personnelles « mis en œuvre pour le compte de l’Etat » doit être préalablement autorisé (article 31, I, de la loi du 6 janvier 1978). De plus, cela ne peut intervenir (par voie d’arrêté ou de décret) qu’après avis motivé et publié de la CNIL.
Lexbase : Résulte-t-il de cette décision que toute captation d’images par drones soit désormais illicite ?
Cyrille Dounot : Non, aucunement. D’abord, c’est une décision rendue par le juge des référés, qui ordonne seulement les « mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » atteinte par l’action des pouvoirs publics (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT). En l’espèce, la requête se limitait à demander de « cesser d’utiliser le dispositif visant à capter des images par drones, les enregistrer, les transmettre et les exploiter aux fins de faire respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période d’état d’urgence sanitaire » (cons. 7). Dans cette affaire, l’action précipitée de la Préfecture de police de Paris sans intervention préalable d’un texte réglementaire autorisant et cadrant l’usage de données personnelles « caractérise une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée » (cons. 18).
Ensuite, le Conseil d’Etat indique tout simplement la marche à suivre pour permettre une captation d’images par drones qui soit licite : respecter l’article 31 de la loi « informatique et libertés ». Il s’agit de remédier à l’atteinte caractérisée au droit au respect à la vie privée « soit par l’intervention d’un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL, autorisant, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, applicables aux traitements relevant du champ d’application de la directive du 27 avril 2016, la création d’un traitement de données à caractère personnel, soit en dotant les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées » (considérant n° 19).
Pour qu’une telle captation soit licite, il suffira donc de l’encadrer correctement et d’en présenter les contours à la CNIL. L’article 5, point 1, c) du RGPD, énumérant les « principes relatifs au traitement des données à caractère personnel », souligne que ces données doivent être « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ». Ce « principe de minimisation » est toutefois suffisamment malléable pour permettre à l’Etat de continuer d’employer des moyens de « technopolice », dont la captation et l’enregistrement d’images. D’autant que la CNIL, admettant sans sourciller que « les données ne devraient être traitées que si la finalité du traitement ne peut être raisonnablement atteinte par d’autres moyens moins intrusifs », observe néanmoins un « silence coupable » sur ces questions de multiplication et normalisation de « surveillance algorithmique », selon un des requérants, La Quadrature du Net.
Lexbase : Cette décision vous paraît-elle justifiée ?
Cyrille Dounot : Oui, cette décision est tout à fait justifiée, bien qu’elle soit paradoxalement assez timorée. Comme le rappelle le juge des référés, les « mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent » (considérant n° 4), ce qui, en l’occurrence, n’était pas le cas. L’usage répété (deux à trois heures par jour) des drones par la Préfecture de police de Paris, et le nombre de personnes susceptibles de faire l’objet d’une telle mesure de surveillance, ont convaincu le juge de l’urgence de la situation. En conséquence de quoi, il « enjoint à l’Etat de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement » (article 2).
Le Conseil d’Etat a raison d’annuler l’ordonnance du 5 mai 2020 du tribunal administratif de Paris (TA Paris, 5 mai 2020, n° 2006861 N° Lexbase : A23533LQ), qui sous-estimait la protection des données à caractère personnel. Bien que la finalité poursuivie par le dispositif litigieux ne soit pas « de constater les infractions ou d’identifier leur auteur mais d’informer l’état-major de la préfecture de police » afin de décider des mesures à prendre contre « le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des règles de sécurité sanitaire » (considérant n° 11), sa dangerosité potentielle au regard des libertés publiques est dûment attestée. La non-anonymisation de ces données rend les individus potentiellement identifiables (même si, dans ce cas, les images n’ont pas servi à l’identification de particuliers), et constitue un « traitement de données à caractère personnel » devant être autorisé et encadré.
Cependant, comme nous venons de le voir, les juges du Palais-Royal n’opposent pas une fin de non-recevoir à l’usage des drones de surveillance, ce qui serait une affirmation de leur caractère liberticide en tant que tel. Ils estiment même au contraire que ce dispositif d’utilisation des drones était, « dans les circonstances actuelles, nécessaire pour la sécurité publique » et par là même « légitime » (considérant n° 13). Ils ne font que censurer un usage illicite et arbitraire. S’il faut certes se réjouir de l’ordonnance rendue le 18 mai 2020 (et aussi de celles, rendues le même jour, qui rappellent le caractère fondamental de la liberté de culte, contre l’interdiction générale et absolue des offices religieux décrétée par le Premier ministre, CE référé, 18 mai 2020, n° 440366 N° Lexbase : A73243LT, n° 440361 N° Lexbase : A73233LS, n° 440512 N° Lexbase : A73253LU et n° 440519 N° Lexbase : A73263LW), il faut redouter un futur encadrement de tels procédés. Car des deux options laissées à la puissance publique, se conformer au formalisme de l’Etat de droit ou doter les drones de dispositifs techniques de nature à rendre impossible l’identification des personnes filmées, nous pouvons subodorer que ce sera la première qui l’emportera, au détriment des libertés réelles des Français.
* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
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Réf. : Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions (N° Lexbase : L8351LW9), art. 11 ; décret n° 2020-551 du 12 mai 2020, relatif aux systèmes d'information mentionnés à l'article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions (N° Lexbase : L8483LW4)
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par Ludovic Pailler, Professeur agrégé de droit privé et sciences criminelles, Université Jean Moulin - Lyon 3, Centre de recherche sur le Droit international privé (EDIEC - EA4185)
Le 11 Juin 2020
Avant la mise en œuvre de l’application de traçage numérique controversée, dénommée StopCovid [1], la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions a permis, aux termes de son chapitre 2, la « création d’un système d’information aux seules fins de lutter contre l’épidémie de covid-19 ». Malgré la vocation de cet intitulé à rassurer, l’unique article 11 de ce chapitre a pour objet la mise en œuvre de traitements aux fins de tracer les contacts des personnes infectées. Il emporte ainsi une nouvelle atteinte aux droits et libertés qui s’ajoute à celles déjà nombreuses, et notamment technologiques [2], prescrites au nom de la lutte contre la pandémie. Plus particulièrement, l’article 11 place sur la sellette les droits au respect de la vie privée [3], au secret des informations médicales [4] et à la protection des données à caractère personnel [5]. L’ingérence dans ces droits est d’autant plus inquiétante que, comme l’a relevé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), est en cause « le partage [inédit] de données d’une très grande sensibilité susceptibles de concerner l’ensemble de la population » [6] sans le consentement des personnes concernées. Aucune autre épidémie que celle de covid-19 [7], ni aucune autre circonstance mis à part le terrorisme n’avait jusqu’alors suscité une telle surveillance.
Elle est le fruit d’un texte voté dans l’urgence. Déposé au Sénat le 2 mai 2020, et après avoir été débattu devant les deux assemblées, le texte définitif est adopté à l’issue d’une commission mixte paritaire le 9 mai 2020. Malgré le temps court des débats, le Parlement a apporté des modifications substantielles au projet de loi, notamment après consultation de la CNIL, qui ne sont pas toujours en faveur de la protection des droits et libertés [8]. Doivent néanmoins être portées au crédit des parlementaires, sans négliger les autres points commentés, la suppression par le Sénat de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour « préciser ou compléter […] l’organisation et les conditions de mise en œuvre des systèmes d’information » [9] et la distinction explicite entre le fondement de ces derniers et celui de l’application Stop Covid [10]. La loi a été promulguée le 11 mai 2020, après que le Conseil constitutionnel, saisi quarante-huit heures plus tôt, a constaté ce même jour sa conformité partielle, notamment eu égard aux atteintes portées par l’article 11 au droit au respect de la vie privée [11].
Pour minimiser les incidences d’une véritable surveillance sanitaire de la population, l’indigente étude d’impact sur le projet de loi évoque son caractère temporaire et circonstancié [12]. L’unique article 11 du chapitre 2 de la loi du 11 mai 2020 n’est pas codifié pour mieux symboliser qu’il participe d’un droit de l’urgence. Le caractère temporaire se rapporte au temps limité pour lequel, en principe, le système d’information pourra être mis en œuvre : « au plus, pour une durée de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire » [13]. C’est d’ailleurs le seul lien formel entre l’article 11 et l’état d’urgence sanitaire mis en place par la loi du 23 mars 2020 [14]. En effet, le texte commenté ne relève pas du régime juridique temporaire de l’état d’urgence sanitaire [15]. Il le complète sans être soustrait à aucune des règles protectrices des droits et libertés. Quoi qu’il en soit, ces éléments ne dissipent pas les craintes d’un effet cliquet [16], ou à tout le moins d’une accoutumance et d’une acceptation sociales du niveau d’ingérence atteint, ne serait-ce que pour les épidémies à venir.
Bien que le chapitre 2 de la loi du 11 mai 2020 en traite au singulier, ce sont deux traitements qui trouvent leur fondement dans son article 11. Envisagés par Jean Castex dès la fin avril 2020 dans le plan de préparation de la sortie du confinement [17], le Gouvernement les présente comme indispensables à la levée progressive des mesures de confinement et à la reprise progressive d’activité. Ils doivent permettre « de suivre précisément les phénomènes de contagion, en vue de les identifier précocement et de prendre les mesures appropriées de dépistage, et, le cas échéant, de mise à l’isolement ou en quarantaine » [18]. Dans une perspective plus générale, l’objectif est d’éviter les contaminations en cassant les chaînes de transmission et d’empêcher la saturation des capacités hospitalières. Pour ce faire, les personnes identifiées comme étant à risque seront incitées à respecter les consignes d’isolement, notamment par la délivrance d’un arrêt de travail, dans l’attente d’être testées.
Les informations relatives à l’identité des personnes infectées et de leurs contacts sont la clé de voûte de ce dispositif. Comme le permet l’article 11 de la loi du 11 mai 2020, l’un de ces systèmes est une création, l’autre une adaptation.
Le traçage des contacts (contact tracing) requiert un traitement visant à l’identification des personnes infectées. Aussi le service intégré de dépistage et de prévention (SIDEP) a-t-il été créé. Alimenté par les laboratoires d’analyses et autres structures autorisées à tester les patients, il permet la transmission des résultats du test au patient, aux médecins prescripteurs et traitants, aux organismes de prise en charge ainsi qu’au second système d’information.
Ce dernier a pour objet l’identification des personnes à risque de contamination parce qu’elles ont été en contact avec une personne infectée. Il procède d’une adaptation du traitement Ameli.pro afin que les enquêteurs puissent reconstituer et analyser les chaînes de transmission et foyer d’infection. La surveillance s’étend ainsi des personnes infectées par la covid-19 [19] à celles qui ont été en relation avec elles.
Parce qu’ils impliquent qu’un grand nombre de données de santé soient partagées au-delà du cercle des professionnels de santé, le Gouvernement n’a pu mettre en œuvre le traçage par la seule voie règlementaire. En effet, les deux systèmes impliquent une dérogation d’ampleur au secret médical garanti par la loi à toute personne prise en charge par un professionnel ou un organisme de santé [20]. Seule une loi pouvait autoriser une telle « brèche » [21] dans le secret médical. Pour autant, le législateur n’a pas épuisé les questions soulevées par les deux systèmes d’informations. L’article 11 de la loi du 11 mai 2020 ne détermine pas les « caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d’un traitement ou d’une catégorie de traitement de données à caractère personnel », ce qui explique l’absence de consultation préalable de la CNIL [22]. Il dessine, de façon peu lisible, un cadre général, comportant quelques précisions bienvenues, que le Conseil constitutionnel a tout au plus corrigé par trois censures et trois réserves d’interprétation [23]. Ce dernier a estimé que l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée poursuit l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé sans être inadéquate et disproportionnée.
C’est par le décret d’application du 12 mai 2020 [24] que sont précisés les deux traitements que fonde l’article 11. Indispensable à l’analyse, il fit l’objet, dès avant la promulgation de la loi prorogeant l’état d’urgence d’un avis consultatif [25] de la CNIL dans lequel sont formulées quelques réserves et recommandations [26] partiellement suivies. Il manque à l’analyse l’étude d’impact relative à chacun des deux traitements et requis par l’article 35 du Règlement général sur la protection des données (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I « RGPD »). En cours de réalisation au moment où la CNIL a délibéré [27], rien n’impose sa publication bien qu’elle puisse utilement éclairer sur les risques qu’emportent les traitements envisagés.
Aucun des deux traitements n’a suscité une résistance particulière de la part des gardiens pertinents de nos droits et libertés. Les censures, réserves et recommandations portent sur des points de détail de sorte que le dispositif dans sa globalité n’est pas remis en cause. Pour l’essentiel, il s’est agi de précisions manquantes comme si l’abondance de détails et leur rigueur constituaient la garantie d’une protection effective des droits et libertés et non une technique de camouflage d’un bris sans précédent du secret sous le sceau d’une bienveillante protection de la santé publique. Ils sont en vérité le prix de la conformité aux règles de la protection des données, lesquelles ne s’opposent pas, en principe, à un dispositif de surveillance sanitaire tel que celui commenté. Mais cette conformité, bien qu’essentielle, ne cautionne pas le respect des droits et libertés fondamentaux. Aussi l’article 11 commenté comprend-il des mesures complémentaires destinées à rétablir l’équilibre global entre, d’une part, le secret des informations notamment médicales et, d’autre part, la protection de la santé. C’est par l’analyse de l’encadrement procédant des principes de protection des données à caractère personnel (I) et de ses compléments (II) qu’il sera possible de vérifier la prédiction, sur le terrain des droits et libertés fondamentaux, d’une victoire à la Pyrrhus contre la covid-19.
I. L’encadrement procédant des règles de protection des données à caractère personnel
Les dispositions de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 et du décret du 12 mai 2020 tendent à conformer les traitements Contact Covid et SIDEP avec les règles européennes et nationales relatives à la protection des personnes physiques contre les traitements de données à caractère personnel. Plus précisément, ils mettent en œuvre les principes qui s’appliquent à tout traitement [28] et constituent une grille de lecture commode du dispositif au travers des dispositions communes aux deux traitements (A) et de celles qui sont spécifiques à l’un ou à l’autre (B).
A. Dispositions communes
Les dispositions communes figurent aussi bien dans la loi 11 mai 2020 que dans le décret du lendemain. Elles concernent la licéité, la transparence, les finalités limitées, la minimisation des données, la durée de conservation limitée et l’intégrité.
Le principe de licéité du traitement de données à caractère personnel trouve sa traduction dans l’article 6 du RGPD qui énumère limitativement les bases légales d’un traitement. Parce que les traitements en cause portent notamment sur des données concernant la santé [29], l’article 9 du RGPD est applicable. Son paragraphe premier pose un principe d’interdiction du traitement de telles données quand son paragraphe second réserve des exceptions. Dans le prolongement du recours à la loi pour déroger au secret médical, le fondement des traitements ne pouvait être le consentement. L’utilité des traitements en aurait été considérablement réduite alors que les médecins et laboratoires de biologie médicale doivent transmettre obligatoirement des données individuelles à l’autorité sanitaire [30]. En outre, dans les circonstances d’un état d’urgence sanitaire, il est difficile de garantir l’intégrité du consentement. Le décret du 12 mai 2020 fonde les deux traitements sur leurs caractères « nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public » [31] et « nécessaire pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé » [32].
Le principe de transparence « exige que toute information et communication relatives au traitement de ces données à caractère personnel soient aisément accessibles, faciles à comprendre, et formulées en des termes clairs et simples » [33]. Il est d’autant plus important que le traitement des données intervient sans le consentement des personnes concernées, et sans même qu’elles aient été collectées auprès d’elles s’agissant des cas contact. Les articles 6 et 12 du décret du 12 mai 2020 prévoient une information suivant les exigences pertinentes des articles 13 et 14 du RGPD [34] ainsi que sa diffusion sur les sites internet du ministère de la Santé et de la Caisse nationale d’assurance maladie. Sont ainsi exclues les informations sans lien avec son fondement licite et celles relatives au transfert de données vers un pays tiers ou une organisation internationale et à une prise de décision automatisée parce que sans objet. Cependant, qu’il manque dans la loi une disposition expresse propre à constituer une garantie pour les personnes concernées est regrettable. Quant à l’information à donner, elle demeure introuvable sur le site internet du ministère des Solidarités et de la Santé [35]. Tout au plus une affichette a-t-elle été mise à disposition des professionnels de santé [36] qui elle-même renvoie à des précisions introuvables sur le site de l’assurance maladie.
La limitation des finalités fait l’objet d’une emphase singulière, porteuse d’un message politique en même temps que juridique. L’intitulé du chapitre commenté et la lettre de son article unique sont formels. Les systèmes d’information qu’ils autorisent sont prévus aux seules fins de lutter contre l’épidémie de covid-19. Les finalités détaillées plus avant doivent, en conséquence, s’interpréter strictement. Les traitements ne pourront être utilisés à d’autres fins, pour d’autres maladies.
L’article 11, II, précise les quatre finalités poursuivies par chacun des deux traitements [37]. Elles sont libellées avec précision pour se conformer aux prescriptions du RGPD. La première est « l’identification des personnes infectées » grâce aux examens de biologique, examen d’imagerie médicale ou éléments probants de diagnostic clinique dont les résultats sont renseignés par les médecins ou biologistes médicaux. La deuxième est « l’identification des personnes présentant un risque d’infection » au moyen des déclarations faites par les personnes infectées ou par la réalisation d’enquêtes sanitaires. La troisième finalité est « l’orientation des personnes infectées, et des personnes susceptibles de l’être » vers des prescriptions médicales d’isolement ainsi que leur suivi pendant et après ce dernier. La dernière finalité a une vocation générale, « la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, ainsi que la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation ». Pour ce faire, l’identification des personnes n’est pas requise [38]. Toutefois, au lieu de subordonner la poursuite de cette finalité à l’anonymisation des informations collectées, comme envisagé par la commission de l’Assemblée nationale [39], il fut décidé de reprendre les dispositions prévues pour le système national des données de santé [40], par ailleurs destinataire de ces données [41]. Mal leur en a pris puisque la liste de données identifiantes à supprimer (nom, prénom, numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physique et adresse) a été jugée insuffisante par le Conseil constitutionnel qui, par une réserve d’interprétation, y a ajouté les données de contact téléphonique et électronique de l’intéressé.
Enfin, la détermination législative des finalités est complétée négativement par l’exclusion du « développement ou […] déploiement d’une application informatique »[42] dite Stop Covid. Cette dernière repose sur un fondement juridique distinct, notamment parce qu’elle n’emporte aucune dérogation au secret médical [43].
La minimisation des données implique le seul traitement de celles qui sont « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités » poursuivies [44]. Elle est l’objet d’une unique disposition commune et essentielle parce qu’elle porte sur les données concernant la santé dont le traitement est en principe interdit[45], sauf à être permis et requérir une particulière vigilance [46]. L’article 11, I, alinéa 4, dispose que « les données à caractère personnel concernant la santé sont strictement limitées au statut virologique ou sérologique de la personne à l’égard [de la covid-19] ainsi qu’à des éléments probants de diagnostic clinique et d’imagerie médicale ». Des précisions sont apportées par le décret d’application. Il s’agit du caractère positif du test, de la date de prélèvement ou, pour les patients hospitalisés, de l’existence de symptômes associés à un scanner, de l’existence de symptôme et de la date de leur apparition [47]. Au-delà des données qui sont à la marge de la catégorie des données concernant la santé [48], il en est une qui révèle, à tout le moins indirectement, l’état de santé sans relever des catégories de l’article 11, I, alinéa 4 : l’information relative à la situation du patient au moment du dépistage dont le fait qu’il était hospitalisé [49]. La stricte limite posée par l’article commenté se trouve assouplie, quoi que cette donnée puisse être analysée comme strictement nécessaire à la réalisation des enquêtes sanitaires eu égard au risque de propagation du virus dans ces établissements [50].
En revanche, le décret ne distingue pas le sort des données relatives au statut virologique de celles relatives au statut sérologique. Si le traitement des premières, parce qu’il met en lumière la présence du virus chez un individu à un moment « t », apparaît adéquat, pertinent et nécessaire, celui des secondes est plus douteux. En effet, elles se rapportent à la présence d’anticorps qui témoignent d’une infection récente sans qu’elle puisse être identifiée comme actuelle ou être datée avec suffisamment de précision. La collecte des résultats de ce test est adéquate, pertinente et nécessaire au traitement SIDEP puisqu’elle permet de communiquer ces résultats au patient et aux médecins prescripteurs et traitant, ainsi que la surveillance épidémiologique et la recherche. En revanche, le résultat du test sérologique, qu’il soit négatif ou positif, ne présente pas ces qualités au regard du traitement Contact Covid dès lors que ce dernier a pour objet de reconstituer les chaînes de contamination.
Enfin, l’insistance judicieuse de la CNIL sur l’exclusion de toute zone commentaire ou blocs note qui sont le terreau fertile en violation du principe de minimisation des données doit être saluée. À la lecture du décret, la recommandation a été suivie.
S’agissant de la limitation de la conservation des données permettant l’identification des personnes concernées, l’article 11, I, alinéa 3, prévoit que « les données à caractère personnel collectées par ces systèmes d’information […] ne peuvent être conservées à l’issue d’une durée de trois mois après leur collecte ». La collecte des premières données constitue le point de départ du délai. Le trimestre, substitué à l’année envisagée initialement et critiquée par la CNIL [51], excède la somme des périodes de contagiosité et d’incubation de la personne infectée et de la personne à risque. Il n’en constitue pas moins une période raisonnable lorsque la personne concernée est un patient zéro au regard des difficultés potentielles, notamment si ce dernier refuse de fournir suffisamment d’information. Elle paraît correspondre à la durée d’un cycle d’enquête sanitaire. En revanche, cette durée de conservation cesse d’être strictement proportionnée aux finalités poursuivies lorsqu’une personne à risque de contamination est dépistée négative. Les données la concernant devraient être effacées immédiatement.
Que la suppression desdites données au terme d’un délai déterminé soit impérativement prévue par la loi est une garantie certaine, puisque sont notamment en cause des données concernant la santé. Mais elle est insuffisante. Le décret du 12 mai 2020 a apporté deux précisions utiles et particulièrement nécessaires. La première tient à la création d’un délai butoir à la conservation des données notamment pour le cas où elles auraient été recueillies moins de trois mois avant ce terme. Les données à caractère personnel « ne peuvent […] être conservées au-delà de la durée maximale pendant laquelle ces données peuvent être traitées et partagées »[52]. La seconde complète la loi s’agissant de l’enregistrement des données relatives aux opérations effectuées sur les deux systèmes d’information aux fins de permettre la traçabilité requise par le Conseil constitutionnel [53]. Ces données concernent les « opérations de mise à jour, de suppression et de consultation du traitement » et comportent « l’identification de l’utilisateur ainsi que les données de traçabilité, notamment la date, l’heure et la nature de l’intervention dans le traitement » [54]. Elles sont conservées « pendant une durée maximale de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire » [55]. La finalité de ce traitement, qui n’est pas précisée mais pourrait justifier une telle durée, est la sécurité et la confidentialité des systèmes d’information que sont Contact Covid et SIDEP. Est-ce que cela signifie que les données de traçabilité attachées aux fiches des personnes infectées et à risques pourront survivre à la suppression de ces dernières dans le délai de trois mois ? Le décret souffre sur ce point d’une imprécision. Sans doute s’agit-il d’une disposition qui a échappé à la CNIL car inscrite à la hâte après que le Conseil constitutionnel a insisté sur la traçabilité.
Le principe d’intégrité requiert une « sécurité appropriée des données à caractère personnel, y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d’origine accidentelle » [56].
Mais, à part les dispositions relatives à la traçabilité, les textes sont relativement muets sur les mesures techniques et organisationnelles de sécurité du traitement [57]. L’accès des autorités, organismes, services et personnes listées à l’article 11, III, est certes différencié [58]. Mais une déclaration du ministre de la Santé rapporté par la CNIL inquiète : « en raison des contraintes opérationnelles rencontrées […] il n’entend pas paramétrer le dispositif de façon à limiter davantage les accès aux seuls besoins de chaque type d’utilisateur ». La tâche est reportée sur les organismes concernés [59]. Quant à l’authentification, elle ne fait pas l’objet de dispositions spécifiques malgré l’exigence d’authentification forte rappelée par la CNIL [60]. Le décret opère simplement une série de renvois sans autre prescription [61].
La publication de l’évaluation des analyses d’impact constituerait sur ce point une avancée mais ne pourrait combler les défauts du texte. La délibération de la CNIL souligne l’attention qu’elle entend porter à ces questions, ce qu’elle sera notamment en mesure de faire dans son avis public et régulier sur la mise en œuvre des traitements [62].
Enfin, concernant l’hébergement des données, la CNIL a insisté sur l’utilisation de mesures de chiffrement à l’état de l’art. Elle fait ainsi écho aux débats soulevés par le regroupement de certaines données à caractère personnel, comprenant des données de santé, sur la plateforme des données de santé [63] créée en application de l’article L. 1462-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6064LRZ). En effet, cette plateforme est destinataire des données des traitements que fonde l’article 11 après qu’elles aient été pseudonymisées [64]. Or, que l’hébergeur de ces données soit Microsoft fait craindre qu’elles ne puissent être transférées à l’étranger [65] ou plus facilement exposé à un accès illicite.
Reste un principe qui n’a pas encore été abordé, celui de l’exactitude des données traitées. C’est qu’il n’est l’objet d’aucune disposition, si ce n’est par référence au droit de rectification [66], à la mise à jour des traitements [67] et à l’enregistrement sans délai, par les personnes autorisées, des données relatives aux personnes infectées et à risque de contamination [68].
La traduction des principes issus du RGPD est assurée en majeure partie par des dispositions communes, ce qui ne diminue pas l’importance des dispositions spécifiques à chacun des traitements.
B. Dispositions spécifiques
Elles relèvent pour l’essentiel du décret. Au-delà des dispositions de même teneur qui le composent, certaines dispositions sont propres au SIDEP (1°) et à Contact Covid (2°).
1°) SIDEP
Ce traitement intervient le premier dans la collecte d’information aux fins de lutter contre la covid-19. Il est mis en œuvre par la Direction générale de la santé. Comme le permet l’article 11, V, de la loi du 11 mai 2020, le décret d’application en confie la gestion à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, prise en qualité de sous-traitant. À cet égard, la CNIL a rappelé qu’une convention devait être conclue entre ces deux parties [69]. Elle devra notamment mettre en œuvre les exigences de nécessité dans l’accès aux données et de confidentialité (secret et traçabilité) sur lesquels le Conseil constitutionnel a insisté par une réserve d’interprétation [70].
En effet, ses finalités propres sont de « centraliser les résultats d’examens de dépistage du [sic] covid-19 […], de réaliser des enquêtes sanitaires en présence de cas groupés […] d’orienter, de suivre et d’accompagner les personnes concernées et de faciliter le suivi épidémiologique » [71].
Malgré la largesse de ces termes, les catégories de données collectées paraissent strictement limitées à celles nécessaires à son rôle préalable dans le traçage des contact d’une personne infectée : identification de la personne testée, situation du patient aux fins d’enquête sanitaire, coordonnées du patient ou, à défaut, d’une personne de confiance, identification et coordonnées des médecins (ce qui inclut, sans autre précision, celui qui prescrit l’examen, celui qui y procède et le médecin traitant), caractéristique techniques du prélèvement et résultat des analyses biologiques [72]. Le Gouvernement n’a pas suivi la CNIL l’invitant à préciser ce que visait la formule « hébergement collectif » au titre de la situation du patient mais a supprimé la catégorie trop vague relative à une « autre information technique » s’agissant des prélèvements. En outre, la CNIL a porté l’attention sur l’enregistrement du « compte rendu d’analyse » dont le contenu n’est pas arrêté et pourrait excéder les finalités du traitement. La liste des données a été complétée par le décret relatif au traitement de données dénommé « StopCovid » afin que le traitement SIDEP génère aléatoirement, en cas de test positif, « un QR-code ne comportant aucune information permettant d’identifier la personnes concernée » [73]. La personne concernée pourra le scanner au moyen de l’application afin d’informer les personnes avec lesquelles elle a été en contact du risque de contamination auxquelles elles ont été exposées.
L’article 10 du décret du 12 mai 2020 organise l’accès différencié à ce premier traitement en fonction des finalités poursuivies. Sans entrer dans le détail, quelques points peuvent être relevés. S’agissant de l’accès pour l’une des trois premières finalités du traitement, la précision du texte est variable quand, pour une protection optimale des personnes concernées, elle devrait être strictement définie. Si les médecins ne peuvent accéder qu’à des catégories bien identifiées de données, les agents spécialement habilités de divers organismes limitativement énumérés dont l’Agence nationale de santé publique peuvent consulter « les catégories de données mentionnées à l’article 9 nécessaires à la réalisation des investigations concernant les personnes évaluées comme contacts à risque de contamination, au suivi et à l’accompagnement des personnes et à la réalisation des enquêtes sanitaires »[74]. En revanche, les agents spécialement habilités des agences régionales de santé et de leurs sous-traitants, parce qu’ils mènent les enquêtes sanitaires, peuvent consulter la totalité des données enregistrée sur SIDEP.
S’agissant de la quatrième finalité du traitement, le Gouvernement n’a pas totalement suivi la demande de la CNIL. La liste des données transmises à des organismes compétents en matière de santé publique aux fins de surveillance épidémiologique n’est pas détaillée mais simplement définie par référence aux finalités pour lesquelles la transmission a lieu.
Quant aux droits des personnes concernées par le traitement SIDEP, ils s’exercent auprès de la Direction générale de la santé. Les droits d’accès [75], de rectification [76] et de limitation [77] s’exercent pleinement tandis que le droit à la portabilité est exclu par la base légale du traitement. En revanche, le droit d’opposition est l’objet de limitations que justifie le motif d’intérêt public poursuivi parce qu’il pourrait réduire à néant l’intérêt du traitement. Ainsi est-il exclu [78] sauf en ce qui concerne la transmission de données pseudonymisées à la plateforme des données de santé et à la Caisse nationale de l’assurance maladie aux fins de « faciliter l’utilisation des données de santé pour les besoins de la gestion de l’urgence sanitaire et de l’amélioration des connaissances sur le virus » [79]. Le droit à l’effacement est également exclu par le RGPD [80] mais fait l’objet d’une réserve bien moins intelligible [81] que son pendant à l’égard du second traitement.
2°) Contact Covid
Le traitement Contact Covid est une adaptation d’ameli.pro dont est responsable la Caisse nationale de l’assurance maladie. Le décret lui assigne exactement les mêmes finalités que celles inscrites dans la loi du 11 mai 2020.
Pour ce faire, les données personnelles traitées sont collectées directement auprès du patient zéro (personne testée positive ou confirmée positive) ou des personnes à risque de contamination (ou cas contact en ce qu’il a eu un contact avec le parient zéro durant la période pendant laquelle ce dernier était susceptible d’être contagieux) [82]. S’y ajoutent celles collectées au moyen du traitement SIDEP, mais seulement pour les personnes « testées comme positives ou confirmées positives » [83], et, s’agissant des seules coordonnées du patient zéro ou des personnes à risque de contamination, celles provenant de traitement déjà mis en œuvre par les organismes des régimes obligatoires de base de l’assurance maladie. C’est dire, sur ce dernier point, que le traitement Contact Covid ne peut constituer l’instrument de mise en relation entre l’infection ou le risque d’infection par la covid-19 et des données relatives à l’état de santé qui auraient par exemple trait à des facteurs de morbidité accrue. En creux, il résulte de cette énumération des sources des données collectées que ne peuvent l’être des données autrement recueillies, notamment par la consultation des réseaux sociaux ou par interrogation d’une personne autre que le patient zéro ou la personne évaluée comme contact à risque de contamination. Sans la participation des personnes concernées, les enquêtes sont donc vouées à l’échec.
Les catégories de données collectées diffèrent partiellement selon que la personne concernée est le patient zéro, le contact à risque de contamination ou les professionnels de santé ou établissement de santé assurant l’enregistrement des données et le suivi. Leur nombre important se justifie par les nécessités de l’enquête sanitaire, de l’orientation et du suivi des personnes infectées et susceptibles de l’être, de la surveillance épidémiologique et de la recherche. Elles n’en sont pas moins intrusives en ce qu’elles portent non seulement sur l’identité et l’état de santé de la personne concernée mais encore sur les activités et relations sociales du patient zéro et des personnes à risque de contamination dans la dernière quatorzaine [84] et sur la date de leur dernière rencontre [85]. De cette liste, le Gouvernement a toutefois supprimé, sur invitation de la CNIL, la catégorie de données relatives au lien avec le patient zéro car sans rapport suffisant avec les finalités du traitement. Demeure toutefois une catégorie de données relatives à « une éventuelle cohabitation avec le patient zéro » [86] qui, étrangement, ne vaut que pour les personnes à risque de contamination. Elle n’excèderait pas les nécessités du traitement dès lors que l’évaluation du risque doit se faire « au regard des recommandations sanitaires du ministre chargé de la santé, prises après avis du Haut Conseil de santé publique et rendues publiques » [87] et que ce dernier vise le partage d’un même lieu de vie parmi les situations créant un risque [88]. En revanche, un doute persiste sur le caractère strictement adéquat, pertinent et nécessaire au regard des finalités du traitement [89] de certaines données. En quoi le fait pour la personne à risque de contamination de connaître le patient zéro, lorsque ce dernier a consenti à la révélation de son identité, participe-t-il de la poursuite des finalités du traitement ? Implique-t-elle une information limitée à une réponse positive ou négative ou revient-elle à décrire le lien entre ces deux personnes décrié par la CNIL [90] ? Même question à propos de la spécialité du « médecin à l’origine de l’inscription dans le traitement de données »[91] ainsi que de celle du professionnel de santé assurant l’enregistrement et le suivi [92].
Enfin, bien que le traitement ait pour base légale la poursuite d’une mission d’intérêt public importante dans le domaine de la santé publique [93], certaines données ne peuvent être traitées sans le consentement des personnes concernées. Il s’agit de la « déclaration d’un besoin d’accompagnement social et d’appui à l’isolement » [94].
L’accès et la consultation du traitement Contact Covid sont différenciés en fonction de leurs finalités et ne sont possibles, comme le prévoit l’article 11, III, de la loi du 11 mai 2020, que dans la limite des besoins des différents acteurs concernés. Suivant ces critères, les différentes catégories de personnes ou organismes énumérés peuvent enregistrer, consulter ou être destinataire d’une partie ou de la totalité des données traitées. Sont ainsi autorisés à enregistrer des données pertinentes, les agents des brigades sanitaires [95], tandis que les médecins libéraux peuvent enregistrer et consulter une partie seulement des données des patients zéros et personnes à risque de contamination qu’ils prennent en charge [96]. Il demeure que les destinataires sont relativement nombreux au regard des finalités du traitement, jusqu’aux pharmaciens et personnes placées sous leur autorité qui n’ont accès qu’à l’identité et aux coordonnées des personnes concernées afin de dispenser les masques automatiquement prescrits à la suite de leur enregistrement dans le traitement [97]. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a procédé à une censure utile du texte voté par le Parlement. Il en résulte que les organismes qui assurent l’accompagnement social des personnes concernées ne peuvent être destinataires des données qui font l’objet du traitement Contact Covid dès lors que cet accompagnement « ne relève […] pas directement de la lutte contre l’épidémie » [98]. Toutefois, alors que le décret prévoit le traitement de la catégorie de données relative au besoin d’accompagnement social et d’appui à l’isolement, il n’en régit pas l’accès.
Quant aux droits des personnes concernées, ils s’exercent auprès du directeur de l’organisme de rattachement des personnes concernées. Les droits d’accès, de rectification et de limitation s’exercent pleinement tandis que le droit à la portabilité est exclu par la base légale du traitement. En revanche, l’exercice du droit d’opposition est limité. Les patients zéro disposent du même droit d’opposition qu’à l’égard du traitement SIDEP dont les conséquences sont plus clairement énoncées puisque « s’il est fait droit à leur demande, leurs données sont alors effacées » [99]. Les personnes à risque de contamination peuvent s’opposer au traitement des données recueillies auprès du patient zéro et obtenir l’effacement des données les concernant « à moins que ne prévalent les intérêts impérieux de santé publique » [100], ce qui devrait être le cas dès lors que le risque qu’elles aient été contaminées est élevé, du moins dans l’attente des résultats d’un test virologique. Cette disposition constitue une exception. En conséquence, pour les autres catégories de données sur lesquelles porte le traitement Contact Covid [101], le droit d’opposition devrait s’exercer dans les conditions prévues par l’article 21 du RGPD, qu’il s’agisse de celles recueillies auprès de la personne à risque de contamination ou des coordonnées administratives provenant de traitement déjà mis en œuvre par les organismes gestionnaires des régimes obligatoires de base de l’assurance maladie. Ce texte permet cependant de ne pas faire droit à la personne concernée lorsque le responsable de traitement peut justifier de motifs légitimes et impérieux en ce sens. Tel sera le cas lorsque la poursuite des finalités devra l’emporter sur l’exercice individuel du droit d’opposition.
Dans son ensemble et malgré quelques défauts, l’encadrement des deux traitements de données au regard des principes du RGPD est satisfaisant. Avec l’aide du Conseil constitutionnel et de la CNIL, le dispositif est proche d’être conforme aux principes et règles du RGPD. Pour autant, la conformité à ce dernier ne suffit pas à établir qu’il n’emporte aucune violation des droits et libertés, elle y contribue seulement. Le législateur ne l’a pas ignoré puisqu’il a complété la mise en œuvre des règles du RGPD par des dispositions censées consolider la compatibilité de la surveillance instaurée avec les droits et libertés.
II. L’encadrement complémentaire de la protection des données à caractère personnel
Dans l’objectif d’assurer la proportionnalité de l’ingérence dans les droits et libertés, les dispositions complémentaires de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 étoffent la conciliation opérée entre la protection des intérêts des personnes concernées et la protection de la santé publique. Ces dispositions ont ainsi pour objet de maintenir un secret des informations (A) et de conférer un caractère temporaire à l’ingérence en cause (B).
A. Secret des informations
Les traitements Contact Covid et SIDEP, comme prescrit par les premiers mots de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020, dérogent au secret médical. Le secret des informations relatives au patient est réduit par l’objectif prégnant de protection de la santé publique. En outre, la liste des catégories de données collectées démontre une atteinte plus générale à la vie privée, notamment parce que les enquêtes doivent reconstituer les chaînes de contamination, c’est-à-dire reconstituer la chronologie des interactions sociales d’une personne. Pour autant, le secret de la vie privée n’est pas aboli.
Au moment de l’examen du projet par la CNIL, l’obligation pour les professionnels de santé de déroger au secret médical n’existait qu’à l’égard du traitement SIDEP [102]. Elle a été généralisée dans le projet de loi par l’Assemblée nationale [103]. Elle ne découle pas uniquement de l’article 11, VI, de la loi du 11 mai 2020. Ce dernier prévoit que la covid-19 fait l’objet de la transmission obligatoire par les médecins et les responsables des services et laboratoires de biologie médicale publics et privés, comme le prévoit l’article L. 3113-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4035IGK) [104] pour une série de maladie comme la peste [105] dont la liste est en principe établie par décret pris après avis du Haut Conseil de la santé publique. En effet, cette transmission obligatoire donne lieu à l’attribution d’un numéro d’anonymat [106] seul strictement compatible avec les fins de surveillance épidémiologique et de recherche. C’est dire que cette obligation de transmission n’excède pas le droit commun, mais en étend l’application à une nouvelle maladie.
La véritable dérogation d’ampleur au secret médical s’impose aux mêmes personnes en vertu de l’article 11, II, alinéa 1er, 1°, de la loi du 11 mai 2020. Ces professionnels de santé doivent ainsi contribuer « sans délai » [107] à l’efficacité des traitements destinés à lutter contre la covid-19 et inscrire dans les traitements SIDEP l’identification des personnes infectées [108].
La dérogation est d’autant plus inquiétante que le secret est amplement partagé [109] sans le consentement des intéressés puisque les seuls personnels médicaux ne peuvent réaliser l’ensemble des enquêtes requises [110]. Aussi l’article 11, III, in fine, dispose-t-il que « les personnes ayant accès [aux données des traitements Contact Covid et SIDEP] sont soumises au secret professionnel ». Ce dernier remplace le secret médical eu égard aux personnes concernées et à la qualité des détenteurs du secret. Pour symboliser l’importance de ce secret, l’article 11, III, in fine ajoute une sanction par référence à l’article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG). Toutefois, alors que ce dernier réprime « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire […] par profession », l’article 11, III, in fine incrimine « la révélation d’une information issue des données collectées » dans les traitements Contact Covid et SIDEP. Il s’agit certainement d’une lourdeur de plume et non d’une nouvelle incrimination dès lors que les informations issues des données collectées sont couvertes par le secret professionnel.
Quoi qu’il en soit, l’atteinte portée au secret est encore atténuée par le caractère exceptionnel des deux obligations de transmission et leur rapport direct avec les incertitudes entourant la lutte contre le virus. Elles prendront fin dès lors qu’ils ne seront plus strictement nécessaires à l’objectif de lutte contre la pandémie ou, au plus, six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire [111].
L’exception réside encore dans la disposition spécialement dédiée à la rémunération des médecins contribuant à la collecte des données. Elle est apparue nécessaire aux parlementaires après que le directeur général de l’assurance-maladie a annoncé que le médecin sera rémunéré par un forfait de 55 euros pour « une consultation [en lien avec la Covid-19] et la saisie dans l’outil informatiques des membres de la cellule familiale » et de quelques euros de plus pour l’« encourager […] à poursuivre l’enquête au-delà de la famille proche » [112]. En réaction, l’Assemblée nationale votait en commission l’interdiction d’une rémunération pour la collecte des données [113]. Un amendement du Gouvernement, adopté par l’Assemblée nationale, établit un moyen terme. Une rémunération peut être attribuée aux professionnels de santé conventionnés qui contribuent à la collecte sans qu’elle ne puisse être « liée au nombre et à la complétude des données recensées » [114]. La charge supplémentaire de travail est compensée forfaitairement sans que le médecin ne soit encouragé à un zèle particulier source de dérive. Cependant, il s’avère qu’outre la majoration « pour consultation initiale d’information du patient et de mise en place d’une stratégie thérapeutique » en cas de test positif, le médecin qui collecte des informations propres à identifier et contacter les personnes à risques de contamination peut facturer une consultation en sus [115]. La rémunération n’est pas fonction du nombre et de la complétude des données, mais demeure incitative.
Les personnes concernées conservent, et c’est essentiel, une certaine emprise sur leurs informations privées. Les professionnels de santé précités ont simplement la faculté d’inscrire dans les traitements Contact Covid et SIDEP toutes les catégories de données collectées auprès de leur patient [116] autres que celles dont l’inscription leur est obligatoire. Les patients zéros et personnes à risque de contamination ne sont pas contraintes de livrer les informations requises pour mener à bien l’enquête sanitaire en l’absence d’obligation législative ou règlementaire. Cette liberté se lit incidemment dans l’article 2, I, 1°, du décret du 12 mai 2020 qui, parmi les données objets du traitement, mentionne celles « recueillies auprès du patient zéro ou de la personne évaluée comme contact à risque de contamination, lorsque ces derniers les ont communiquées ». Toutefois, le consentement de ces personnes à révéler des informations sur l’identité de leur contact et leurs coordonnées est facilitée, dans une certaine mesure, par l’article 11, IV, de la loi du 11 mai 2020. Il associe à l’inscription d’une personne susceptible d’être à risque de contamination dans le traitement Contact Covid la prescription automatique d’un test et de masques en faveur de cette dernière [117], qui en aura été préalablement informée [118]. S’ajoute ainsi à la pression sociale, un autre facteur d’atteinte à l’intégrité du consentement. En revanche, aucune conséquence négative pour le patient zéro comme pour la personne à risque de contamination, tels qu’une prise de décision (isolement, refus de remboursement des test et masques) ou un profilage, n’est associée à son silence ou à ses déclarations, vraies ou fausses. Une disposition expresse relative à la liberté de contribuer au traitement et à l’absence de conséquence négative eut constitué une garantie supplémentaire.
Enfin, dans l’hypothèse où le patient zéro aura fourni des informations sur ses contacts, l’article 11, II, alinéa 2, dispose que son identité ne doit pas être communiquée aux personnes susceptibles d’être à risque de contamination. Le principe demeure le droit au respect de la vie privée (privacy by default). L’information ne peut être révélée que si le patient zéro y a expressément consenti, information enregistrée dans le traitement Contact Covid [119]. Cette règle protège non seulement la vie privée mais également contre la stigmatisation et l’exclusion ; elle n’en est pas moins source chez les personnes contactées d’une suspicion délétère qui constitue un moindre mal.
L’ampleur de l’atteinte portée au secret, eu égard à la nature et au nombre d’informations partagées et à la qualité de ceux qui peuvent les consulter, a conduit à donner un caractère exceptionnel aux traitement mis en œuvre. Ils ne peuvent exister en dehors des circonstances qui les ont rendus nécessaires.
B. Précarité des traitements
Parce que les traitements mis en œuvre sur le fondement de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 ne le sont qu’aux seules fins de lutter contre l’épidémie de covid 19, ce texte prévoit, en lien avec les règles de protection des données à caractère personnel [120], qu’ils ne peuvent exister que pour « la durée strictement nécessaire à cet objectif » [121]. Même si cette nécessité devait perdurer, la loi ajoute un délai buttoir. Le traitement ne peut être mis en œuvre au-delà d’une période de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence. L’intention du législateur est d’imposer une limite temporelle stricte à l’atteinte portée au secret et qui soit proportionnée à l’objectif poursuivi. Que cette limite soit prévue dans la loi et non par décret est un gage de protection des droits et libertés qui donne à voir la conscience de l’atteinte portée au secret. En outre, tout prolongement du traitement ne pourra se faire sans nouveau débat législatif durant lequel la nécessité pourra notamment être appréciée. D’ailleurs, pour le cas où l’épidémie perdurerait au-delà de cette période sans requérir le maintien de l’état d’urgence sanitaire lui-même subordonné à une nouvelle loi [122], la commission mixte paritaire a ajouté un dernier alinéa à l’article 11, I. Il rappelle une évidence mais tient sans doute à la volonté d’afficher clairement le caractère temporaire du traitement : la prorogation d’un délai que la loi a fixé ne pourra être autorisée que par une autre loi. Cette disposition pourrait encore être la manifestation en creux d’une intention de maintenir ces traitements hors du droit commun : il n’est question que de prorogation d’une dérogation exceptionnelle.
Sans qu’il soit besoin d’attendre le 10 janvier 2021, l’article commenté permet de mettre fin aux traitements s’il n’est plus nécessaire à l’objectif poursuivi, c’est-à-dire si l’avantage qu’ils procurent est moindre que leur coût pour les droits et libertés. À cette fin, deux modes de contrôle et d’évaluation périodiques des traitements mis en œuvre sont instaurés.
Le premier prend la forme d’un « Comité de contrôle et de liaison covid-19 ». Institué sur recommandation du Conseil scientifique Covid-19 [123] par l’article 11, VIII, de la loi du 11 mai 2020, il est « chargé d’associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre la propagation de l’épidémie par suivi des contacts ainsi qu’au déploiement des [traitements] prévus à cet effet ». Pour ce faire, il est composé de deux députés et deux sénateurs [124], et de neuf autres membres issus d’organismes ayant à traiter de questions relatives à la santé, au numérique et à l’éthique [125]. Deux missions lui sont attribuées par la loi et doivent être réalisées par des audits réguliers, dont la fréquence n’est pas précisée. D’une part, le comité doit vérifier l’utilité effective des traitements mis en œuvre, « déterminer s’ils sont, ou pas [sic], de nature à faire une différence significative dans le traitement de l’épidémie » [126]. D’autre part, le comité doit s’assurer du « respect des garanties entourant le secret médical et la protection des données personnelles » [127]. Outre qu’il est dérogé audit secret, ce qui prive littéralement le comité de l’une de ses missions, cette instance ne comprend formellement aucun juriste en son sein. Tout au plus peut-on relever la présence d’un membre du Conseil national du numérique. En outre, cette seconde mission réduite à la protection des données double inutilement le second mode de contrôle.
Ce dernier prend la forme d’un contrôle parlementaire renforcé par une information « sans délai » des deux assemblées délibérantes sur les mesures mises en œuvre en application de l’article 11. Le Conseil constitutionnel en a réduit la prégnance en censurant, pour méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs et « compte tenu du nombre d’actes en cause et de la nature des données en jeu », la disposition qui prévoyait la communication d’une copie de tous les actes pris en application de l’article 11 et la possibilité pour chacune des assemblées de requérir toute information complémentaire [128]. Le Parlement demeure destinataire d’un rapport détaillé de l’application des mesures adoptées sur le fondement de l’article 11 tous les trois mois et jusqu’à la cessation des traitements. Cette fréquence doit permettre une première évaluation au terme d’un premier cycle d’enquêtes sanitaires. À ce rapport doit s’ajouter un avis public de la CNIL qui a déjà amorcé une campagne de contrôles [129]. Cette dernière est ainsi en mesure d’évaluer régulièrement que les traitements mis en œuvre demeurent nécessaires et proportionnés à la lutte contre l’épidémie de covid-19.
En conclusion, les traitements Contact Covid et SIDEP font l’objet d’un encadrement qui, au regard de la finalité poursuivi, leur permet, dans l’abstrait et malgré quelques défauts, d’emporter une ingérence nécessaire et proportionnée dans les droits et libertés des personnes concernées. Cela tient aux incertitudes des connaissances relatives au virus qui permettent uniquement d’estimer l’efficacité du dispositif et, ce faisant, sa nécessité et sa proportionnalité. Seule l’application concrète de ces dispositions permettra de confirmer ou d’infirmer ce constat. Et plus précisément, il est certain que le maintien de tels traitements alors qu’ils n’auraient pas une contribution significative à la lutte contre l’épidémie constituerait une violation des droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel [130].
[1] Décret n° 2020-650 du 29 mai 2020, relatif au traitement de données dénommé « StopCovid » (N° Lexbase : Z368819U).
[2] Elle s’ajoute à l’application Stop Covid et au recours local aux drones de surveillance (M.-Ch. de Montecler, Ô drone, suspends ton vol !, AJDA, 2020, p. 1031 ; O. Tambou, Que faire face au développement des drones ? Libres propos autour de l’ordonnance du Conseil d’État, Dalloz Actualité, 25 mai 2020).
[3] C. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3304ABY) ; CESDH, art. 8 (N° Lexbase : L4798AQR) ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 7 (N° Lexbase : L0230LGM).
[4] CSP, art. L. 1110-4 (N° Lexbase : L1611LII).
[5] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 8.
[6] CNIL, délibération n° 2020-056, 25 mai 2020 (N° Lexbase : X0427CKZ) ; v. également, B. Py, Secret professionnel, que n’avons-nous pas retenu de l’expérience du sida ?, Dalloz Actualité, 26 mai 2010.
[7] V., sous l’angle du secret médical, B. Py, loc. cit..
[8] V., par ex., l’article 11, I, alinéa. 6, de la loi du 11 mai 2020 discuté plus bas.
[9] Projet de loi prorogeant l’état d’urgence, art. 6, V.
[10] Loi n° 2020-546, art. 11, II, al. 3. Pourtant, ces deux modes de suivis des contacts sont complémentaires sur le plan de la lutte contre l’épidémie, l’application devant permettre de combler les angles morts du traçage par les brigades sanitaires (transport en commun par ex.).
[11] Cons. constit., décision n° 2020-800 DC, du 11 mai 2020 (N° Lexbase : A32573L9), cons. 60 et s..
[12] Étude d’impact du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, 2 mai 2020, p. 38.
[13] Loi n° 2020-546, art. 11, I, al. 1er.
[14] O. Beaud et C. Guérin-Bargues, L’état d’urgence sanitaire : était-il judicieux de créer un nouveau régime d‘exception ?, D., 2020, p. 891 ; P. Cassia, L’état d’urgence sanitaire : remède, placebo ou venin juridique ?, Blog Mediapart, 24 mars 2020 ; A. Levade, État d’urgence sanitaire : à nouveau péril, nouveau régime d’exception, JCP éd. G, 2020, 369 ; X. Dupré de Boulois, Éloge d’un état d’urgence sanitaire en « co-construction, JCP éd. G, 2020, 622.
[15] CSP, art. L. 3131-12 (N° Lexbase : L5643LWW) et s.
[16] Comp., à propos de l’application Stop Covid, CNDCH, avis sur le suivi numérique des personnes, 28 avril 2020, pts. 22 et s..
[17] Plan de préparation de sortie du confinement, J. Castex, 27 avril et 6 mai 2020.
[18] Étude d’impact précitée, p. 36.
[19] Sur le recours au féminin, « Le covid 19 ou La covid 19 », Académie française, 7 mai 2020, en ligne.
[20] Loi n° 2020-546, art. 11, I, al. 1er.
[21] B. Py, loc. cit..
[22] CE avis, 1er mai 2020, n° 400104 (N° Lexbase : A19403LG).
[23] Cons. constit., préc., cons. 67, 70, 73, 74, 77, 78 et 82.
[24] Décret n° 2020-551 du 12 mai 2020, relatif aux systèmes d’information mentionnés à l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
[25] Le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la loi prorogeant l’état d’urgence et complétant ses dispositions, a censuré la disposition prévoyant que l’avis préalable de la CNIL devait être conforme (Cons. constit., préc., cons. 77).
[26] Délib. précitée.
[27] O. Tambou, En attendant Stop Covid… Vive Contact Covid et SI-DEP : les nouveaux outils numériques accompagnant le déconfinement, blog du Coronavirus.
[28] RGPD, art. 5.
[29] Il s’agit des « données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d'une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l'état de santé de cette personne » (RGPD, art. 1, 15°).
[30] Loi n° 2020-546, art. 11, VI.
[31] RGPD, art. 6.1, e.
[32] RGPD, art. 9, 2, i.
[33] RGPD, cons. 39.
[34] Elle porte sur l’identité du responsable, les coordonnées du délégué à la protection des données, les finalités, la base juridique et les destinataires du traitement ainsi que la durée de conservation des données, les modalités d’exercice des droits de la personne concernée dont celui d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle et la source de l’obligation de fournir des données.
[35] À moins qu’il ne s’agisse de l’insuffisante page sur les « outils numériques » de lutte contre la Covid-19, [en ligne] (consultée le 6 juin 2020).
[36] Disponible sur www.ameli.fr (consulté le 6 juin 2020).
[37] Décret n° 2020-551, art. 1er, III, et 8, al. 2.
[38] RGPD, art. 89.1.
[39] Amendement n° CL371.
[40] Amendement n° 606 ; v. CSP, art. L. 1461-4 (N° Lexbase : L6061LRW).
[41] V. infra.
[42] Loi n° 2020-546 art. 11, II, al. 3.
[43] Décret n° 2020-650 du 29 mai 2020.
[44] RGPD, art. 51, c
[45] RGPD, art. 9.1.
[46] Cons. constit, préc., cons. 61.
[47] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 1°, e et f, et 2, II, 2°, e et f.
[48] Il s’agit de celles relatives à la qualité d’ancien cas contact (art. 2, II, 1°, m), à la « confirmation du niveau de risque à la suite de sa réévaluation » (art. 2, II, 2°, m) et aux « dates de prélèvement et les résultats des tests » (art. 2, II, 2°, q).
[49] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 1°, g, et 9, 2°.
[50] Contra C. Zorn, État d’urgence pour les données de santé (II) : sidep et contact covid, Dalloz Actualité, 26 mai 2020.
[51] Délib. préc..
[52] Décret n° 2020-551, art. 5, I, et 11, I.
[53] Cons. constit, préc., cons.73.
[54] Décret n° 2020-551, art. 5, II, et 11.
[55] Décret n° 2020-551, art. 5, II, al. 1er, et 11, II, al. 1er.
[56] RGPD, art.5.1, f ; v. également RGPD, art. 32.
[57] RGPD, art.32.
[58] Voir infra.
[59] Délibération de la CNIL préc..
[60] CSP, art. L. 1110-4-1 (N° Lexbase : L6017LRB).
[61] Décret n° 2020-551, art. 4, II.
[62] Loi n° 2020-546, art. 11, IX, al. 2.
[63] Arrêté du 23 mars 2020, prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (N° Lexbase : L5523LWH) ; arrêté du 21 avril 2020, complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (N° Lexbase : L7202LWN).
[64] Décret n° 2020-551, art. 6, VI, 3°, et 10, III, 3°.
[65] CNIL, délibération n° 2020-044 du 20 avril 2020 (N° Lexbase : X0156CKY).
[66] Loi n° 2020-546, art. 11, I, al. 5 et décret n°, art. 13, al. 3.
[67] Décret n° 2020-551, art. 5, II, et 11, II.
[68] Décret n° 2020-551, art. 4, I, et 10, I, al. 2.
[69] Délibération précitée.
[70] Cons. constit, préc., cons.74.
[71] Décret n° 2020-551, art. 8, al. 2.
[72] Décret n° 2020-551, art. 9.
[73] Décret n° 2020-650, art. 6.
[74] Décret n° 2020-551, art. 10, II, 3°.
[75] RGPD, art.15.
[76] RGPD, art.16.
[77] RGPD, art.18.
[78] RGPD, art. 21.
[79] Décret n° 2020-551, art. 10, III, 3°.
[80] RGPD, art.17.3, c.
[81] Il est renvoyé à l’article 17.1, c, qui vise l’exercice du droit d’opposition de l’article 21, lequel est en principe exclu. Pour sortir du cercle vicieux, il faudrait retenir que cet exercice du droit à l’effacement ne vise que les données transmises dans les conditions de l’article 10, III, 3°, du décret du 12 mai 2020 lorsque la personne concernée aura fait opposition conformément à l’article 13, alinéa 1er, de ce même texte.
[82] L’article 1, II, 1° et 2°, du décret du 12 mai 2020 pose la définition de ces deux catégories de personne.
[83] Cela ressort de la définition du « patient zéro » (art. 1, II, 1°), première des deux catégories principales de personnes concernées par le traitement.
[84] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 1°, k et l, et art. 2, II, 2°, k et l.
[85] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 2°, p.
[86] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 2°, o.
[87] Décret n° 2020-551, art. 1, II, 3°.
[88] HCSP, avis du 7 mai 2020, relatif à la conduite à tenir en cas de contact d’une personne ayant des antécédents évocateurs de Covid-19 avec une personne malade du Covid-19.
[89] RGPD, art. 6.1, c.
[90] Délibération précitée.
[91] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 1°.
[92] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 3°, b.
[93] RGPD, art. 6.1, e, et 9, 2, i.
[94] Décret n° 2020-551, art. 2, IV.
[95] Décret n° 2020-551, art. 3, I.
[96] Décret n° 2020-551, art. 2, II et III.
[97] Loi n° 2020-546, art. 11, IV.
[98] Cons. constit., préc., cons. 70.
[99] Décret n° 2020-551, art. 7, I, al. 2.
[100] Décret n° 2020-551, art. 7, I, al. 1er.
[101] Décret n° 2020-551, art. 2, I.
[102] Délibération précitée.
[103] Amendements n° 406 et 603.
[104] Loi n° 2020-546, art. 11, II, 1° et décret n° 2020-551, art. 10, I.
[105] CSP, art. D. 3113-6 (N° Lexbase : L2357LKI).
[106] CSP, art. R. 3113-2 (N° Lexbase : L2241LK9).
[107] Décret n° 2020-551, art. 4, I, et 10, I, al. 2.
[108] Loi n° 2020-546, art. 11, II, al. 1er. 1°.
[109] Voir art. 11, III, de la loi du 11 mai 2020 et supra.
[110] CE, avis préc., pt.19.
[111] Loi n° 2020-546, Art.11, I, al. 1er.
[112] S. Godelick, La porte d’entrée pour tester, tracer, isoler, ce sera le médecin, Les Échos, 4 mai 2020.
[113] Amendement n°CL207.
[114] Art.11, VII, de la loi du 11 mai 2020.
[115] Les médecins au cœur du circuit de « contact tracing » des patients du Covid-19, Ameli.fr, 14 mai 2020, [en ligne] (consulté le 6 juin 2020).
[116] Décret n° 2020-551, art. 3, II, et 10, I, al. 2.
[117] Comp., S. Bourgeois-Gironde et B. Deffains, Big data, Nudging et Contrat Social dans le « monde d’après », Le club des juristes, 28 mai 2020 ; plus largement, A. Alemando, G. Helleringer et A.-L. Sinoby, Brève introduction à l’analyse comportementale du droit, D., 2016, p. 911.
[118] Décret n° 2020-551, art. 6 et RGPD, art. 13.2, e.
[119] Décret n° 2020-551, art. 2, II, 1°, o.
[120] RGPD, art. 6.1, e, et 9.2, g.
[121] Loi n° 2020-546, art. 11, I, al. 1er.
[122] Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, art. 4 et loi n° 2020-546, art. 1er
[123] Comité scientifique Covid-19, avis n° 6, 20 avril 2020, « Sortie progressive de confinement. Prérequis et mesures phares ».
[124] Loi n° 2020-546, art. 11, VIII, al. 3.
[125] Décret n° 2020-572 du 15 mai 2020, relatif au Comité de contrôle et de liaison covid-19 (N° Lexbase : L9248LWG), art. 1, I.
[126] Loi n° 2020-546, art. 11, VIII, al. 2, 1°.
[127] Loi n° 2020-546, art. 11, VIII, al. 2, 2°.
[128] Cons. constit., préc., cons. 79 à 82.
[129] « SI-DEP, Contact Covid et StopCovid : la CNIL lance sa campagne de contrôles » (CNIL, communiqué du 4 juin 2020).
[130] Un premier bilan, à prendre avec précaution car publié dix jours après la mise en œuvre des traitements, fait état d’un « démarrage […] étonnamment calme » (E. Pineau et Ch. Kecketsweier, Coronavirus : après 10 jours de contact tracing, les enquêteurs de l’Assurance-maladie ne voient pas arriver de rebond, La Matinale du Monde, 23 mai 2020.
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Réf. : CJUE, 4 juin 2020, aff. C-828/18 (N° Lexbase : A81253MU)
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par Vincent Téchené
Le 10 Juin 2020
► Une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la Directive 86/653 (N° Lexbase : L9726AUR).
Telle est la précision apportée par la CJUE dans un arrêt du 4 juin 2020 (CJUE, 4 juin 2020, aff. C-828/18 N° Lexbase : A81253MU).
Les faits. La société DCA était liée depuis le mois de juillet 2003, par une convention non écrite, à Trendsetteuse, en vertu de laquelle celle-ci devait diffuser les produits de DCA dans sa salle d'exposition, en contrepartie d'une commission sur le prix de vente desdits produits. Cette convention stipulait en particulier que Trendsetteuse était chargée de conclure, au nom et pour le compte de DCA, des contrats de vente pour deux secteurs géographiques : elle mettait en relation DCA avec la clientèle, prenait des commandes des produits et suivait leurs expéditions et leurs livraisons. DCA a informé Trendsetteuse qu'elle mettait fin à leur relation contractuelle pour un secteur, estimant que les ventes des produits étaient insuffisantes. DCA a également précisé que, à défaut d'acceptation par Trendsetteuse de ce retrait, elle cesserait toute collaboration avec cette société. Trendsetteuse a mis DCA en demeure de lui payer des indemnités de rupture de contrat d'agence commerciale, demande que DCA a rejetée en invoquant le fait que Trendsetteuse n'avait pas la qualité d'agent commercial, au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5649AI3).
C’est dans ce contexte que le tribunal de commerce de Paris, nourrissant des doutes quant à la qualification de la convention, a renvoyé à la CJUE une question préjudicielle afin de savoir si une personne qui ne dispose pas du pouvoir de modifier les conditions de vente des articles qu'elle vend pour le compte d'une autre société, notamment de modifier les prix de ces articles, peut être considérée comme étant chargée de « négocier » des contrats, au sens de l'article 1er, paragraphe 2, de la Directive 86/653.
La décision. La CJUE rappelle que cet article définit, aux fins de celle-ci, l'agent commercial comme étant celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant. Dans la mesure où l’article 1er § 2 de la Directive n'opère aucun renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la signification de la notion de « négocier », celle-ci doit être considérée, aux fins de l'application de cette Directive, comme étant une notion autonome du droit de l'Union qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière.
La Cour relève notamment que l'accomplissement de ses tâches par l’agent commerciale peut être assuré au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, sans que l'agent commercial dispose de la faculté de modifier les prix desdites marchandises. Ainsi, la circonstance qu'un agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises dont il assure la vente pour le compte du commettant n'empêche pas l'accomplissement par l'agent commercial de ses tâches principales, telles que décrites dans la Directive. Par ailleurs, une interprétation de l'article 1er § 2 en ce sens que cette disposition exclurait de la qualification d'« agent commercial » les personnes qui ne disposent pas de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elles assurent la vente pour le compte du commettant irait à l'encontre des objectifs de la Directive. Une telle interprétation permettrait au commettant de se soustraire aux dispositions impératives de la Directive 86/653, en particulier à celle relative à l'indemnisation de l'agent commercial en cas de cessation du contrat, en réservant dans ce contrat tout droit de négocier les prix des marchandises.
Elle en conclut donc qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial.
Précisions. Cette solution va à l’encontre de la position de la Cour de cassation sur la question. En effet, selon la Haute juridiction, le pouvoir de négociation implique le pouvoir de modifier les tarifs du mandant (v. not., Cass. com., 15 janvier 2008, n° 06-14.698, FS-P+B N° Lexbase : A7597D3R ; Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727, F-D N° Lexbase : A3002ZGB). Certaines juridictions du fond faisaient toutefois de la résistance (CA Toulouse, 28 février 2018, n° 17/01857 N° Lexbase : A7248XE8 ; CA Paris, Pôle 5, 10ème ch., 3 février 2020, n° 16/19962 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 56464670, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CA Paris, 5, 10, 03-02-2020, n\u00b0 16/19962", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A20463D7"}}) ; la CJUE leur donne donc ici raison. La Cour de cassation devra donc modifier sa jurisprudence pour se conformer à la position de la CJUE.
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Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 3 juin 2020, n° 425395, 425399, 425425, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70183MU)
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par Yann Le Foll
Le 10 Juin 2020
► La lutte contre le chômage et l'approvisionnement durable de secteurs d'industrie en matières premières en provenance de sources européennes constituent une raison impérative d'intérêt public majeur de nature à justifier une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées.
Ainsi statue le Conseil d’Etat dans une décision rendue le 3 juin 2020 (CE 5° et 6° ch.-r., 3 juin 2020, n° 425395, 425399, 425425, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A70183MU).
Rappel. L'intérêt de nature à justifier, au sens du c) du I de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L7818K9G), la réalisation d'un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat doit être d'une importance telle qu'il puisse être mis en balance avec l'objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu'il y soit dérogé.
Ce n'est qu'en présence d'un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle (CE, 25 mai 2018, n° 413267 N° Lexbase : A4629XP7 ; CE, 24 juillet 2019, n° 414353 N° Lexbase : A7268ZKE).
Décision. L'exploitation de la carrière de Nau-Bouques devrait permettre la création de plus de quatre-vingts emplois directs dans un département dont le taux de chômage dépasse de près de 50 % la moyenne nationale. En outre, le projet de réouverture de la carrière de Nau Bouques s'inscrit dans le cadre des politiques économiques menées à l'échelle de l'Union européenne qui visent à favoriser l'approvisionnement durable de secteurs d'industrie en matières premières en provenance de sources européennes et il n'existe pas en Europe un autre gisement disponible de marbre blanc de qualité comparable et en quantité suffisante que celui de la carrière de Nau Bouques pour répondre à la demande industrielle et que ce projet contribue à l'existence d'une filière française de transformation du carbonate de calcium.
Eu égard à la nature du projet et aux intérêts économiques et sociaux qu'il présente, la cour administrative d’appel (CAA Marseille, 14 septembre 2018, n° 16MA02625 N° Lexbase : A8355X49) a donc commis une erreur de qualification juridique en estimant qu'il ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du I de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement.
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 20 mars 2020, n° 423664, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A42533KQ)
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par Rudi Fievet, Juriste droit fiscal / droit des affaires chez Auditis, membre du réseau Absoluce
Le 10 Juin 2020
Alors que la dépense fiscale que représente le régime fiscal de faveur du mécénat[1] vient d’être durement rabotée par les lois de finances pour 2019[2] puis celle pour 2020[3], un arrêt du Conseil d’Etat est l’occasion de rappeler certaines bases.
Une société avait consenti des dons à une association au cours des exercices 2010 et 2011. Cette association avait pour objet la promotion du sport automobile féminin et les dons finançaient l’activité des pilotes de sexe féminin. L’entreprise a subi une vérification de comptabilité et le service vérificateur a entendu remettre en cause l’application du régime fiscal du mécénat[4] dont s’était prévalu le contribuable. La position de l’administration étant inflexible, l’EURL a saisi le tribunal administratif aux fins de voir prononcée la décharge des rehaussements d’impôt sur les sociétés. Le juge de première instance a rejeté cette demande[5].
La société a interjeté appel par devant la cour administrative d’appel compétente, laquelle a fait droit aux requêtes du contribuable[6]. La Cour dit ainsi pour droit que l’apposition du nom de l’entreprise sur les véhicules de course et le camion semi-remorque tractant lesdits véhicules n’était pas de nature à remettre en cause le bénéfice des réductions d’impôt litigieuses, quelle que fût la valeur économique de l’exposition médiatique dont le contribuable aurait bénéficié à l’occasion des courses automobiles.
Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvut cependant en cassation le 28 août 2018, tandis que les 9ème et 10ème chambres réunies se prononcèrent le 20 mars 2020. La Cour administrative d’appel, juge le Conseil d’Etat, a commis une erreur de droit en jugeant ainsi, dès lors qu’il lui appartenait de rechercher si l’avantage publicitaire ainsi retiré par la société n’avait représenté pour cette dernière qu’une contrepartie très inférieure au montant des versements accordés.
En conséquence, s’il est admis que l’association du nom de l’entreprise versante aux opérations réalisées par l’organisme relève du mécénat si elle se limite à la mention du nom du donateur, quels que soient le support de la mention et la forme du nom, à l’exception de tout message publicitaire, cette association doit faire application de la disproportion marquée entre les sommes données et la valorisation de la prestation rendue par l’organisme[7]. A défaut, elle basculerait en dépense de parrainage, régime qui n’ouvre pas droit à une réduction d’impôt.
L’arrêt présentement commenté ne sera pas la dernière décision rendue dans ce contentieux fiscal, dès lors que le Conseil procède à l’annulation de l’arrêt des juges du fond et renvoie l’affaire à la Cour administrative d’appel de Lyon. Si l’espèce n’a pas suffi à motiver la haute juridiction administrative à user de son pouvoir d’évocation afin de régler elle-même l’affaire au fond, elle mérite quelques développements puisqu’elle revient aux bases du régime fiscal du mécénat, à savoir la qualification du don. Il sera à terme intéressant de consulter l’arrêt des juges du fond, afin de disposer éventuellement d’une méthodologie ou d’éléments pertinents retenus dans l’appréciation de la valeur économique de la contrepartie au don.
En premier lieu, examinons le cadre juridique des contreparties au don désormais applicable, à la lumière de cet arrêt (I). En second lieu, constatons que la stricte et sévère application de la doctrine administrative a cependant préservé, par son silence, un apport majeur quant à l’une des conditions d’application du régime fiscal du mécénat, à savoir l’absence de fonctionnement au profit d’un cercle restreint de personnes (II).
I - Le champ des contreparties mis à jour
L’administration fiscale admet dans sa doctrine, que l’organisme sans but lucratif éligible au régime de faveur du mécénat offre une contrepartie au don effectué, sous certaines réserves (A). La pratique, la jurisprudence et la rédaction actuelle de la doctrine acceptaient aisément l’association du nom du donateur à l’événement soutenu. Il conviendra désormais de disposer de la preuve de la valeur de cette « prestation » afin de se prémunir contre ce risque (B).
A - La contrepartie dans le régime fiscal du mécénat
Le mécénat est un soutien matériel ou financier apporté sans contrepartie directe ou indirecte de la part du bénéficiaire à une œuvre ou à une personne morale pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général[8].
Le régime fiscal du mécénat ouvre droit, pour les donateurs particulier ou entreprise, à une réduction d’impôt de 66 (ou 75) % pour les premiers, 60 % pour les seconds (et désormais 40 % au-delà d’un certain seuil, sauf pour certains bénéficiaires), dans des limites de revenus imposables ou de chiffres d’affaires qui leur sont propres.
Le fondement du mécénat est par conséquent le don, sous toutes formes. Il peut s’agir d’un versement en espèces ou en nature au profit d’une structure éligible, de l’abandon de produits ou de revenus, ou enfin de renonciation à recouvrer une créance, comme les abandons de frais des bénévoles. En outre, il sera ici fait silence de la possibilité de revendiquer ce régime à l’endroit des cotisations versées par les adhérents.
Quelle que soit la forme adoptée par le don, le bénéfice de la réduction d’impôt n’est accordé qu’à la condition que le versement procède d’une intention libérale, l’animus donandi. En d’autres termes, le don doit être consenti volontairement à titre gratuit, sans qu’il soit possible de mettre au jour toute contrepartie directe ou indirecte au profit du donateur.
L’administration, dans sa doctrine, fait preuve de bonté : elle accepte de distinguer les contreparties dites symboliques ou institutionnelles, des contreparties tangibles. Seules ces dernières sont de nature à remettre en cause la réduction d’impôt, toutes autres conditions par ailleurs satisfaites.
L’existence d’une contrepartie s’apprécie dès lors en fonction de la nature des avantages accordés au donateur.
Les contreparties institutionnelles ou symboliques - un titre honorifique par exemple, type membre bienfaiteur - ne constituent pas, pour l’administration fiscale, des contreparties réelles au versement. Par conséquent, leur attribution ne priverait aucunement les donateurs du bénéfice de la réduction d’impôt.
Il en va bien entendu différemment des contreparties réelles, c’est-à-dire qui prennent la forme soit de la remise d’un bien, soit de l’exécution d’une prestation de service.
Le principe est donc celui d’un don sans contrepartie, assortie d’une exception tenant dans le caractère symbolique de cette dernière. Il existe une exception à cette exception, qui permet en conséquence le maintien du bénéfice de la réduction d’impôt. Cette exception à l’exception s’applique lorsque deux conditions cumulatives sont satisfaites : lorsque la contrepartie, pourtant bien réelle, est de valeur modique (69 euros TTC[9]), et qu’il existe une disproportion marquée entre cette valeur et celle du versement opéré. Cette disproportion marquée suppose au moins un rapport de 1 à 4, ainsi qu’il ressort d’une part d’une position du Ministère de la Culture - jamais officiellement reprise par la Direction générale des Finances publiques - et des exemples communiqués par l’administration fiscale[10].
Depuis la loi de finances pour 2000[11], les associations éligibles au mécénat peuvent associer le nom de l’entreprise donatrice aux opérations qu’elles réalisent. Il est, dans ce cas, expressément stipulé par la doctrine de l’administration fiscale, que les sommes conservent la nature de dons.
Toutefois, cette faculté n’a pas vocation à admettre la fourniture de prestations publicitaires relevant du régime du parrainage[12].
L’arrêt du Conseil d’Etat exige dès lors, en confirmation de la doctrine administrative[13], de rechercher dans quelle mesure l’association du nom du donateur peut constituer une prestation publicitaire exclusive de la réduction d’impôt.
B - Le dur rappel du cadre de la tolérance relative à l’association du nom du mécène
Dans la pratique, deux situations se distinguaient assez aisément. Dans la première, le donateur obtenait seulement que son nom apparaisse au cours de l’événement, sans autre forme de présence. Il n’y avait là, selon l’analyse classique, aucun risque fiscal de remise en cause du mécénat, l’association étant communément admise par l’administration fiscale.
Dans la seconde en revanche, le donateur était plus gourmand et une analyse approfondie devait être menée, aboutissant souvent à caractériser un risque de basculement en parrainage en cas de contrôle. Il convenait alors soit de tempérer le donateur en lui expliquant qu’il risquait de perdre par collusion, sa réduction d’impôt, soit d’augmenter la valeur donnée sans augmenter celle des contreparties, afin de respecter la disproportion exigée.
L’arrêt commenté fait donc peser un risque fiscal manifeste sur la première situation, dès lors que la simple apposition du nom du donateur pourra exclure l’application du régime fiscal du mécénat, si dans les circonstances concrètes de l’espèce, la valorisation de cette « prestation » est telle qu’elle constitue une contrepartie tangible au versement.
La doctrine étant constante sur ce point, il sera intéressant de suivre les jurisprudences consécutives afin de déterminer s’il s’agit d’un arrêt d’espèce - l’apposition du nom par sa fréquence était constitutive d’une prestation publicitaire par exemple - ou s’il s’agit d’une consigne à l’attention des vérificateurs et juges du fond.
Le Conseil d’Etat rappelle ici que l’association du nom du donateur à l’événement, si elle est une pratique admise par tolérance par l’administration fiscale, n’est pas dispensée de cette analyse relative à la disproportion marquée entre le versement et la contrepartie - car elle constitue bien une contrepartie. Aucune règle ne justifie de déroger au principe général pour cette signature du don.
Une cour administrative d’appel ne peut en conséquence pas juger que cette apposition du nom de l’entreprise est indifférente, peu important l’exposition médiatique consécutive, sans rechercher si le cadre général des contreparties a bien été respecté. Et si ce cadre n’a pas été respecté, il appartient au juge du fond d’en tirer toutes les conséquences fiscales.
Pour l’association, admettre que le nom du donateur apparaisse de façon excessive fait également peser un risque d’image, car le tiers pourrait être confus : est-ce bien l’association qui est à l’origine de l’événement, ou est-ce l’entreprise ? a minima, est-ce un partenariat, un duo, alors que l’association a très généralement l’initiative du projet soutenu ? Le donateur phagocyterait alors l’événement au détriment de l’association, au lieu de le renforcer.
L’administration avait donné quelques exemples, et notamment deux dans le domaine du sport, afin d’aiguiller les organismes sans but lucratif dans leurs relations avec le mécène.
Ainsi, une association sportive locale, qui perçoit 100 000 euros annuels versés par une entreprise tout aussi locale, permet d’inscrire le nom de cette dernière sur un (seul) panneau du stade. En revanche, l’association sportive amateur qualifiée pour jouer contre un club professionnel, exposant la rencontre à une forte couverture médiatique, bénéficiant d’un versement de 250 000 euros de la part d’une société régionale, retiendra le régime du parrainage dès lors que plusieurs panneaux publicitaires seront installés dans l’axe des caméras de télévision.
En l’espèce, l’entreprise avait seulement apposé son nom sur les véhicules et sur le camion semi-remorque : point de message à vocation publicitaire tel qu’un slogan etc. Les décisions sont cependant silencieuses quant au montant qui a été versé par l’entreprise au cours des deux exercices vérifiés, ou encore sur le nombre exact de véhicules de course de l’écurie soutenue, ou enfin sur l’exposition médiatique dont a bénéficié l’événement sportif (presse locale, régionale, nationale, couverture télévisuelle ?).
L’entreprise ne s’était vraisemblablement pas posé la question de la disproportion de la contrepartie, retenant probablement l’analyse classique selon laquelle l’apposition du nom était devenue communément admise, en tout temps, dès lors qu’elle se contentait de mentionner le nom ou le logo de la société. C’est bien ce dévoiement qui est ici réprimé par le juge de l’impôt.
C’est désormais l’arrêt de la Cour administrative d’appel - éventuellement suivi par un arrêt du Conseil d’Etat statuant cette fois en dernier ressort - qui concentrera les attentions, car il pourrait receler de lourds apports sur la détermination de la valorisation de la contrepartie et, par suite, sur l’application ou non du régime fiscal de faveur du mécénat.
II - Après le rappel de principe, les applications pratiques
Maintenant que le Conseil d’Etat a rappelé le principe général de disproportion pour les contreparties, dont l’association du nom du donateur, c’est la question de la valorisation effective des « prestations » rendues par l’association qui devient centrale dans ce contentieux (A). Cela étant, l’arrêt est silencieux sur la notion de cercle restreint de personnes telle qu’appliquée par la Cour administrative d’appel et cela peut interpeller (B).
A - La recherche de la valorisation de la signature des dons
Le principe du réalisme qui gouverne le droit fiscal implique que les juges du fond vont examiner in concreto la disproportion ou l’absence de disproportion entre le versement effectué par l’entreprise et la contrepartie reçue, constituée de l’apposition du nom de la société sur les véhicules de course et le camion semi-remorque.
Ils vont ainsi devoir rechercher quel aurait été le prix librement négocié sur le marché, des « prestations » considérées, afin de trancher.
Ainsi qu’il a été précisé, les décisions sont silencieuses quant au montant qui a été versé par l’entreprise au cours des deux exercices vérifiés, ou encore sur le nombre exact de véhicules de course de l’écurie soutenue ou enfin sur l’exposition médiatique dont a bénéficié l’événement sportif (presse locale, régionale, nationale, couverture télévisuelle ?).
Or, il est évident que la valorisation à retenir sera fonction, a minima, de ces différents paramètres. Le montant des versements a pu varier d’exercice en exercice, et par suite, la disproportion marquée pourrait être retenue par les juges pour l’un des deux, mais pas pour l’autre, ce qui limiterait en conséquence la remise en question de la réduction d’impôt à une seule année.
Ensuite, le critère du nombre de véhicules siglé devrait être retenu car il implique une certaine répétition du logo dans l’esprit du spectateur – voire du téléspectateur ou du lecteur selon le mode de couverture médiatique, si couverture médiatique de l’événement sportif il y a. Cette « redondance » d’exposition a bien entendu une valeur économique et logoter un seul véhicule vaut nettement plus par hypothèse que décorer le mulet, qui pourrait ne jamais devoir être utilisé par le pilote lors de la course, mais nettement moins que de faire arborer le nom à une flotte complète de véhicules.
Il est à noter que l’entreprise a la main sur ces deux premiers critères. Le dirigeant décide du montant qu’il entend consacrer à l’œuvre soutenue et du fait de la conclusion de la convention de mécénat, précise clairement les éventuelles contreparties, symboliques ou réelles.
Enfin, un autre critère pourrait être la couverture médiatique elle-même de l’événement automobile. L’image du véhicule portant le nom de l’entreprise apparaissant en Une d’un quotidien national à grand tirage devrait avoir plus de valeur que quelques secondes de ce même véhicule à la télévision, à une allure et à une distance interdisant par ailleurs à l’audience de déchiffrer et par suite, de retenir le nom de l’entreprise mécène.
On peut également se demander si le nom de l’entreprise elle-même, sa notoriété propre, pourrait influer sur la valorisation. En d’autres termes, l’exposition médiatique par l’événement sportif associatif aura-t-elle davantage de valeur pour une petite société, dont ce serait l’une des rares heures de gloire, que pour un grand groupe coté dont le nom apparaît régulièrement sur de nombreux supports et au cours de nombreuses manifestations annuelles ?
Il appartiendra aux juges du fond de recourir à tous les indices et à tous les critères qui seront pertinents pour leur appréciation souveraine. Pour le juriste, il sera intéressant de suivre ce courant jurisprudentiel afin de découvrir, par exemple, des critères exclus de l’analyse. L’administration fiscale devrait par ailleurs apporter sa pierre à l’édifice en proposant ses propres critères que le juge pourrait faire siens ou rejeter voire compléter.
En tout état de cause, la convention de mécénat apparaît plus que jamais incontournable et le chef d’entreprise devra s’enquérir de la couverture médiatique sollicitée par l’organisateur - qui contacte généralement la presse afin que quelques journalistes se fassent l’écho de l’événement - pour estimer de manière suffisante la valorisation qui pourrait être retenue en cas de contrôle par les services fiscaux.
Ce travail probatoire en amont devrait se révéler préférable à une recherche de preuves entre le contrôle et le contentieux. Fixer un prix, une valeur à l’époque des faits pourra s’effectuer par tous moyens - demande de devis etc. - alors qu’adresser une telle demande mais en demandant au service commercial de se placer à une date antérieure risque fortement d’aboutir à un refus pur et simple.
Toutefois, le mieux demeure l’ennemi du bien, et il conviendra à notre sens de réserver ce travail aux situations à risque, telles que celle de l’espèce. En revanche, en cas de disproportion manifeste, il nous semble que le coût global de la démarche sera excessif par rapport au risque.
En d’autres termes, si par exemple, par comparaison avec d’autres mécènes du même événement, la disproportion marquée apparaît indubitablement, il nous semble que ce travail de preuve pourra être remis à plus tard.
Le Conseil d’Etat a par conséquent rétabli les principes régissant les contreparties, et a laissé le juge du fond libre de valider ou d’infirmer les critères de son appréciation. Nul doute que la haute juridiction administrative exercera son contrôle de cassation sur lesdits critères et leur correcte application. En tout état de cause, la réponse à la question qui lui était posée engendre une nouvelle série d’interrogations, pour lesquelles on ne peut que conjecturer à l’heure actuelle.
Il en va de même pour un autre pan de l’arrêt de la Cour administrative d’appel, passé sous silence dans l’arrêt rendu par les juges du Palais-Royal, à savoir la notion de cercle restreint de personnes.
B - La confirmation implicite de la correcte application de la notion de cercle restreint de personnes
Pour être éligible au régime fiscal du mécénat, une association doit être d’intérêt général, c’est-à-dire présenter une gestion désintéressée, déployer une activité non lucrative significativement prépondérante et ne pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes.
Ce dernier critère, réformé le 26 juillet 2016 dans la doctrine administrative[14], était effectivement devenu problématique, l’administration n’hésitant pas à exiger, de manière utopique, à l’endroit des associations humanitaires, qu’elles œuvrent pour des populations du monde entier pour être éligible au mécénat. Si à notre connaissance aucune décision de justice n’a été rendue sur la période d’application de cette nouvelle instruction, plusieurs espèces ont d’ores et déjà démontré que le juge administratif tenait compte de la libéralisation de ce critère.
Ce dernier précise que ne sont pas d’intérêt général les associations qui poursuivent les intérêts particuliers d’une ou plusieurs personnes clairement individualisables. Pour déterminer si l’organisme sans but lucratif fonctionne au profit d’un tel cercle restreint, c’est la méthode du faisceau d’indices qui doit être mobilisée. L’idée est d’appréhender concrètement la mission que s’est fixée l’organisme et d’identifier le public bénéficiaire réel de ses actions, sans considération d’ailleurs du nombre de bénéficiaires réels.
En outre, la doctrine inclue plusieurs exemples, dont celui des associations sportives, pour lesquelles il est indiqué qu’une telle association ne peut pas être considérée comme fonctionnant au profit d’un cercle restreint de personnes sous réserve que toute personne qui souhaite y adhérer puisse le faire dès lors que la pratique d’un sport concourt, de manière indissociable, à la promotion de ce sport.
L’arrêt censuré de la cour administrative d’appel faisait partie de ces décisions favorables aux associations. Il avait ainsi expressément précisé que l’association, qui a un caractère sportif, ne peut être regardée comme s’adressant à un cercle restreint de bénéficiaires aux seuls motifs qu’elle s’adresse exclusivement aux femmes et qu’elle concerne un sport déterminé, alors même que le fonctionnement de l’association, sur la période vérifiée, n’avait profité qu’à trois personnes et l’administration estimait que d’autres critères d’adhésion que d’être de sexe féminin expliquaient cet état de fait.
Cette décision applique par suite la mise à jour de la doctrine administrative en ce qu’elle ne considère pas le nombre, très réduit en l’espèce, de bénéficiaires réels des actions de l’association sportive, et en ce qu’elle réfute la caractérisation d’un cercle restreint de personnes à raison d’un état, ici le sexe féminin.
L’arrêt commenté ne mentionne aucunement ce point de droit. Soit le ministre n’a pas soulevé cet angle dans son pourvoi, soit le Conseil d’Etat a pratiqué l’économie de moyens, se concentrant sur celui - ou l’un de ceux - à même de justifier la cassation. Surtout, le contentieux vise les conséquences fiscales du contrôle de l’entreprise : l’analyse du cercle restreint de personnes n’a été effectuée qu’incidemment.
Le silence du Conseil d’Etat interpelle car les associations sont dans l’expectative s’agissant de la réception par l’administration fiscale et surtout par le juge de l’impôt de cette nouvelle doctrine, dont la réception semble avoir commencé chez les juges administratifs. Quand bien même le Conseil n’aurait pas pu, en termes de procédure, statuer sur ce point, n’aurait-il pas été judicieux de recourir à un orbiter dictum afin de valider ou d’infirmer la position de la Cour administrative d’appel sur ce point ?
On peut en conséquence regretter d’une part que le Conseil d’Etat ne guide pas davantage le juge de l’impôt fond s’agissant de la valorisation des contreparties, ce qui solde moins de questions que cela n’en pose, et d’autre part, qu’il se taise sur un sujet épineux des associations en manque de financement, ce qui implique d’attendre l’écoulement du stock de litiges antérieurs avant que l’interprétation du juge du fond ne sécurise les situations. A ce dernier en tout cas, il ne reste qu’à dire : « En voiture Simone ! ».
[1] CGI, art. 200 (N° Lexbase : L7519LWE) et 238 bis (N° Lexbase : L0419LP9).
[2] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 art. 148 et 149 (N° Lexbase : L6297LNK).
[3] Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, de finances pour 2020, art. 134 (N° Lexbase : L5870LUX).
[4] CGI, art. 238 bis.
[5] TA de Lyon, 17 novembre 2016, n° 1409282.
[6] CAA de Lyon, 28 juin 2018, n° 17LY00187 (N° Lexbase : A2503XYD).
[7] BOI-BIC-RICI-20-30-10-20-20190807 § 160 (N° Lexbase : X7987ALE).
[8] BOI-BIC-RICI-20-30-10-20-20190807 § 120.
[9] CGI, art. 23 N (N° Lexbase : L6113K8W) et 28-00 A (N° Lexbase : L6112K8U), annexe 4
[10] BOI-IR-RICI-250-20-20120912 § 90 (N° Lexbase : X6395ALG).
[11] Loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999, art. 17 (N° Lexbase : L1726IRD).
[12] BOI-BIC-RICI-20-30-10-20-20190807 § 140.
[13] BOI-BIC-RICI-20-30-10-20-20190807 § 160.
[14] BOI-IR-RICI-250-10-10-20170510 § 130 et suivants (N° Lexbase : X0129ASL).
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 3 juin 2020, n° 423068, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70163MS)
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par Marie-Claire Sgarra
Le 14 Juin 2020
► Sont seuls autorisés à imputer sur leur revenu global les déficits fonciers provenant de dépenses de restauration d'immeubles situés dans un secteur sauvegardé, les propriétaires de ces immeubles qui, agissant dans le cadre d'un groupement, constitué ou non sous la forme d'une association syndicale, ont satisfait à l'obligation d'assumer collectivement la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser ce qui implique l'engagement de ces travaux, leur financement et leur contrôle (CE 9° et 10° ch.-r., 3 juin 2020, n° 423068, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70163MS).
En l’espèce les requérants ont acquis un appartement dans un immeuble situé à l'intérieur d'un secteur sauvegardé de la ville de Chartres. Ils ont imputé sur leur revenu global de l'année 2010 l'intégralité du déficit foncier correspondant à leur quote-part du coût des travaux réalisés sur cet immeuble. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause cette déduction. La cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et prononcé la décharge des impositions mise à la charge du couple (CAA de Paris, 12 juin 2018, n° 17PA01084 N° Lexbase : A0379XRH).
Depuis 1962, la loi Malraux vise à aider les propriétaires à protéger le patrimoine culturel privé, en proposant une réduction d’impôts sur les travaux engagés pour la restauration d’immeubles anciens.
En application de l’article 156 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9160LNL), les propriétaires d’immeubles peuvent imputer sur leur revenu global, sans limitation de montant, le déficit foncier provenant de dépenses de restauration d'immeubles situés dans un secteur sauvegardé, à l’exclusion des intérêts d’emprunt. Sont concernés les propriétaires de ces immeubles qui, agissant dans le cadre d'un groupement, constitué ou non sous la forme d'une association syndicale, ont satisfait à l'obligation d'assumer collectivement la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser, ce qui implique l'engagement de ces travaux, leur financement et leur contrôle.
Condition remplie par le Conseil d’Etat qui juge que les requérants devaient être regardés comme ayant assumé collectivement la maîtrise d'ouvrage de l'opération de restauration immobilière, alors même que le permis de construire délivré n’a été transféré à l’association chargée d'assurer, dans le cadre d'un groupement, une opération de restauration que le 18 mai 2010. Par suite, les requérants doivent être regardés comme ayant eu, en leur qualité de propriétaires agissant dans le cadre d'un groupement assurant la maîtrise d'ouvrage de l'opération, l'initiative des travaux au sens des dispositions de l'article 156 du Code général des impôts précité, alors même qu'ils n'étaient devenus propriétaires au sein de l'immeuble que postérieurement au lancement du programme par l’association mais à une date où les travaux étaient toujours en cours et où leur appartement n'avait pas été restauré.
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 5 juin 2020, n° 423066, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A06623NT)
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par Marie-Claire Sgarra
Le 14 Juin 2020
►La seule circonstance qu'un bien demeurant effectivement proposé à la location soit mis en vente n'est pas de nature à priver le contribuable du bénéfice du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties pour vacance ou inexploitation (CE 9° et 10° ch.-r., 5 juin 2020, n° 423066, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A06623NT).
En l’espèce, le requérant, propriétaire d’une maison d’habitation a été assujetti à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2014 et 2015. Il demande l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen qui a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Pour rappel, aux termes de l’article 1389 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9892HLX), les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d’une maison normalement destinée à la location, à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel la vacance a pris fin. Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance :
- soit indépendante de la volonté du contribuable,
- ait une durée de trois mois au moins,
- qu’elle affecte soit la totalité de l’immeuble, soit une partie susceptible de location séparée.
Ici, le requérant a acquis une maison d’habitation donnée en location. Etant avise du départ de ses locataires, il a confié un mandat de recherche de nouveaux locataires à une agence immobilière. Ce mandat a été renouvelé avec réduction du loyer demandé. Aucun locataire n’a été trouvé et la situation du requérant est devenue délicate, il s’est donc résolu à proposer son bien à la vente et a mandaté une agence immobilière.
Le tribunal administratif a jugé qu’aucun dégrèvement ne pouvait être accordé au motif qu’en raison d’un mandat de vente signé, le bien n’était plus exclusivement destiné à la location. A tort selon le Conseil d’Etat qui juge qu’il appartenait au tribunal administratif de rechercher si, alors même que la maison avait été mise en vente, le requérant avait effectivement poursuivi ses démarches pour trouver de nouveaux locataires ainsi qu’il le soutenait dans ses écritures.
Le tribunal a par ailleurs jugé qu’aucun dégrèvement ne pouvait être accordé au titre de l’ensemble des années en litige alors qu’en application des dispositions de l’article 1389 du Code général des impôts précité, la taxe est dégrevée du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel la vacance a pris fin. Le requérant pouvait donc prétendre au bénéfice de ces disposiitons pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2014.
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Réf. : CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 2 juin 2020, n° 18/05421 (N° Lexbase : A67303M9)
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N3631BY7
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par Charlotte Moronval
Le 25 Juin 2020
► Les agissements répétés auxquels un salarié est confronté au point d’être victime d’un bore-out caractérisent un harcèlement moral ; en l’occurrence le salarié avait été confronté à une pratique de mise à l’écart à son égard caractérisée par le fait d’avoir été maintenu pendant les dernières années de sa relation de travail sans se voir confier de réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles.
Telle est la solution retenue par la cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 2 juin 2020 (CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 2 juin 2020, n° 18/05421 N° Lexbase : A67303M9).
Dans les faits. Un salarié, responsable des services généraux, est placé en arrêt de travail pour maladie pendant 6 mois. Son employeur procède finalement à son licenciement pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif.
Le salarié conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes qui décide de condamner la société pour licenciement nul et harcèlement moral. C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Paris vient à connaître du litige.
La motivation du salarié. Le salarié se plaint d’un harcèlement moral et invoque principalement les faits suivants :
Rappel : les salariés qui ne trouvent pas d’intérêt dans leur travail, ou qui n’ont pas assez de tâches à effectuer, peuvent souffrir de bore-out, encore appelé « syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui ». |
La position de la cour d’appel. La cour d’appel de Paris suit l’argumentation du salarié, à l’appui des motifs suivants :
La cour d’appel a retenu de ces éléments que le salarié établissait la matérialité de faits précis et concordants à l’appui d’un harcèlement répété et que, pris dans leur ensemble, ces faits permettaient de présumer un harcèlement moral que l’employeur ne parvenait pas à contester (pour des illustrations jurisprudentielles en matière de harcèlement moral, cf. l'Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9482YUQ)
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 juin 2020, n° 19-12.727, F-P+B+I (N° Lexbase : A05863NZ)
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N3637BYD
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 10 Juin 2020
► L’arrêt qui confirme purement et simplement un jugement exécutoire ne prive pas celui-ci de son caractère de titre exécutoire ;
► La cour d’appel qui relève que le titre visé lors d’une saisie-attribution, restait le jugement qui avait été déclaré non avenu par le juge de l’exécution, n’est pas tenue de répondre au moyen tiré de la nullité de la saisie ;
► Est valide l’acte de signification d’un l’huissier de justice indiquant qu’il a vérifié que le lieu de signification constituait le domicile du destinataire, par la constatation de deux indices, la présence du nom sur la boîte aux lettres, ainsi que la confirmation par l’un des voisins, dont l’identité est précisée dans l’acte de signification ;
► Est insuffisant pour justifier l’annulation de l’acte d’une saisie-attribution, ayant été pratiquée deux années après l'envoi par le débiteur, en lettre recommandée indiquant son changement d’adresse, compte tenu que sa situation ait pu évoluer durant ce laps de temps.
Telles sont les précisions apportées par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 4 juin 2020 (Cass. civ. 2, 4 juin 2020, n° 19-12.727, F-P+B+I N° Lexbase : A05863NZ).
Faits et procédure. En première instance, le tribunal de grande instance a rendu un jugement réputé contradictoire ayant condamné un débiteur à verser une somme d’argent à son créancier. La cour d’appel a confirmé la décision ; le créancier a fait diligenter une mesure d’exécution, qui a été contestée par le débiteur devant le juge de l’exécution. Ce dernier a rendu une décision réputée contradictoire déclarant le jugement initial non avenu et a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée. Le créancier a interjeté appel de ce jugement, et la cour d’appel a infirmé le jugement et énoncé qu’il n’y avait lieu à invalider la saisie-attribution.
Le pourvoi. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 24 janvier 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA. Aix-en-provence. n° 17/09540. 1-9 ch, 24 janvier 2019 N° Lexbase : A0141YUR), d’avoir infirmé le jugement du juge de l’exécution, en ce qu’il avait déclaré non-avenu le jugement de première instance, et ordonné la mainlevée de la saisie-attribution, et également en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses présentions, et que les juges d’appel ont indiqué qu’il n’y avait lieu à invalider la saisie-attribution.
Dans un premier moyen, le demandeur au pourvoi, invoque la violation des articles 480 (N° Lexbase : L2318LUE), 501 (N° Lexbase : L6618H7A) et 561 (N° Lexbase : L7232LEL) du Code de procédure civile et R. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2207ITW), compte tenu que les juges d’appel n’ont pas examiné le moyen soulevé par l’intimé portant sur la nullité de la saisie pratiquée, énonçant que «le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs». A titre subsidiaire, il invoque le caractère du titre exécutoire en vertu duquel la saisie a été pratiquée, compte tenu du fait que dans le cas d’espèce, le jugement a été muni de l’exécution provisoire qu’après l’arrêt confirmatif, et que la saisie avait été exercée entre le prononcé du jugement et celui de l’arrêt d’appel. Dès lors, pour le demandeur, le jugement n’avait plus autorité de la chose jugée et ne pouvait donc plus servir de fondement à la saisie.
La Cour suprême balaye ces arguments, en énonçant la solution précitée.
Dans un second moyen, le demandeur au pourvoi, invoque la violation des articles 654 (N° Lexbase : L6820H7Q) et 655 (N° Lexbase : L6822H7S) du Code de procédure civile, compte tenu du fait que la cour d’appel a estimé que la signification par procès-verbal de remise à l’étude était valide, précisant que l’huissier avait justifié d’une impossibilité de signifier l’acte à personne ou à domicile, alors que le demandeur avait adressé une lettre recommandée avec demande d’avis de réception deux ans auparavant. Les juges d’appel ont également relevé pour considérer comme valide la signification, que les diligences accomplies par l’huissier étaient «suffisantes», ce dernier ayant constaté le nom du destinataire sur la boîte aux lettres, et obtenu une confirmation de l’adresse par un voisin.
Solution de la Cour. Confortant la position adoptée par la cour d’appel, la Cour de cassation rejette le pourvoi, répondant en conséquence à la question de savoir si la notification d'un changement d'adresse du débiteur à son créancier fait obstacle à la signification à son ancienne adresse connue.
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Réf. : Cass. crim., 4 juin 2020, n° 20-81.736, P+B+I (N° Lexbase : A81683MH)
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N3603BY4
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par Adélaïde Léon
Le 17 Juin 2020
► Il se déduit des articles 148 (N° Lexbase : L4989K8B), 148-4 (N° Lexbase : L3515AZ9) et 148-7 (N° Lexbase : L3518AZC) du Code de procédure pénale que le délai de vingt jours prévu par l’article 148, dernier alinéa, ne peut être considéré comme ayant été dépassé lorsque c’est en raison de mentions incomplètes quant à la juridiction destinataire que la demande de mise en liberté formée et signée par la personne mise en examen a été adressée au greffier de la juridiction saisie du dossier ;
En raison de l’effet dévolutif de l’appel formé contre l’ordonnance de rejet du JLD, il revient à la chambre de l’instruction d’examiner le bien-fondé de la détention provisoire et de statuer sur la nécessité ou non du maintien de cette mesure ; cette dernière ne peut donc fonder sa décision de mise en liberté sur le constat du dépassement du délai de vingt jours, faute pour elle d’avoir été saisie, dans les formes exigées par l’article 148-7, d’une demande directe de mise en liberté (Cass. crim., 4 juin 2020, n° 20-81.736, P+B+I N° Lexbase : A81683MH).
Résumé des faits. Un homme a été mis en examen le 18 septembre 2019, notamment des chefs de transport, détention, offre ou cession, acquisition sans autorisation administrative d’une substance ou plante classée comme stupéfiant, participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation d’un ou plusieurs délits punis de dix ans d’emprisonnement, puis placé en détention provisoire.
Le 28 janvier 2020, une demande de mise en liberté contenant un courrier manuscrit du mis en examen a été formalisée par le greffe de l’établissement pénitentiaire. Ce courrier désignait le juge d’instruction saisi du dossier comme destinataire de la demande. Il visait spécifiquement l’article 148-4 du Code de procédure pénale, précisait que le mis en examen n’avait toujours pas été entendu par le juge et sollicitait la comparution du mis en examen devant la chambre de l’instruction.
La demande a été transmise le jour même au greffe du juge d’instruction. Le magistrat instructeur a ensuite saisi le juge des libertés et de la détention lequel a rejeté la demande de mise en liberté par ordonnance du 3 février 2020.
Le 12 février 2020, le mis en examen a formé appel de cette ordonnance. Dans un mémoire déposé devant la chambre de l’instruction son avocat a soutenu que la demande de mise en liberté avait été transmise par erreur au juge d’instruction qui n’était pas compétent pour la traiter. Par voie de conséquence la demande avait été réceptionnée tardivement au greffe de la chambre laquelle ne s’était pas prononcée dans le délai légal de vingt jours prescrit par les articles 148 et 148-4 du Code de procédure pénale.
En cause d’appel. La chambre de l’instruction a ordonné la mise en liberté du mis en examen et son placement sous contrôle judiciaire. Elle concluait dans un premier temps que la demande avait été transmise par erreur au magistrat instructeur saisi du dossier lorsque le mis en examen entendait saisir la chambre de l’instruction. Les actes du juge d’instruction et du JLD, lesquels n’avaient pas été régulièrement saisis, étaient donc dénués d’existence légale.
Elle affirmait par ailleurs que la chambre de l’instruction était réputée avoir été saisie le 28 janvier 2020. Faute pour cette dernière d’avoir pu se prononcer dans le délai légal de vingt jours requis par les dispositions des articles 148 et 148-4, en cas de saisine fondée sur l’article 148-4, le mis en examen devait être remis en liberté.
Le procureur général près la cour d’appel de Paris a formé un pourvoi contre la décision de la chambre de l’instruction considérant que le requérant, en adressant sa demande au magistrat instructeur, avait valablement saisi ce dernier de sa demande et que la chambre de l’instruction chargée d’examiner l’appel de l’ordonnance du JLD aurait dû se borner à statuer sur la recevabilité et le bien-fondé de ce recours.
Décision. La Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction.
S’agissant de la saisine de la demande de mise en liberté, la Cour constate que celle-ci a été adressée au juge d’instruction en charge du dossier et a ainsi régulièrement saisi ce magistrat. De ce fait, la juridiction d’appel ne pouvait considérer la chambre de l’instruction saisie et fonder sa décision de mise en liberté sur le défaut de respect du délai de vingt jours imparti à cette juridiction pour se prononcer.
Premier enseignement de cette décision, la mention dans le courrier de l’article 148-4 du Code de procédure pénale relatif à la saisine directe de la chambre de l’instruction et de la demande de comparution devant cette même juridiction n’ont pas d’influence sur la régularité de la saisine du juge d’instruction. Ce n’est donc pas le texte visé ni le corps de la demande mais le magistrat rendu destinataire de la demande qui détermine le régime de la saisine.
S’agissant du caractère dévolutif de l’appel formé contre l’ordonnance de rejet rendue par le juge des libertés, lui-même régulièrement saisi par le juge d’instruction, la Cour de cassation précise que la chambre de l’instruction aurait dû se borner à examiner le bien-fondé de la détention provisoire au regard des dispositions de l’article 144 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9485IEZ). En se prononçant sur la valeur juridique des décisions du magistrat instructeur et du juge des libertés et de la détention, la chambre de l’instruction a outrepassé les limites de sa saisine.
Contexte. Dans une précédente décision, la Cour avait rendu une décision similaire s’agissant d’un formulaire de demande de mise en liberté cochant à la fois, l’adresse du juge d’instruction, dont il précisait le nom et le lieu d’exercice, et celle de la chambre de l’instruction sans autre précision de lieu. La Haute juridiction avait alors jugé que la demande portant l’indication de deux juridictions mais ne faisant figurer que l’adresse de l’une d’elles contenait des mentions ambiguës et avait été valablement adressée à la juridiction nommément visée (Cass. crim., 8 août 2018, n° 18-83.518, N° Lexbase : A9486XZD). Dans cette même affaire, la demande portait la mention « 148-4 » laquelle n’avait donc d’ores et déjà pas suffit à la Cour pour considérer que la chambre de l’instruction devait être réputée saisie.
Pour aller plus loin : N. Catelan, ETUDE : Les mesures de contrainte au cours de l’instruction : contrôle judiciaire, assignation à résidence et détention provisoire, Les demandes de mise en liberté, in, Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E4788Z99) |
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Réf. : Cass. crim., 1er avril 2020, n° 19-80.069, F-P+B+I (N° Lexbase : A90233KE)
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N3377BYQ
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par Mathieu Martinelle, Maître de conférences à l’Université de Lorraine, Institut François Gény
Le 10 Juin 2020
Mots-clés : action civile • appel • partie civile • réparation • faute civile • compétence
Saisie du seul appel de la partie civile formé à l’encontre d’un jugement ayant constaté l’extinction de l’action publique et débouté l’intéressée de ses demandes, la cour d’appel n’est compétente pour se prononcer sur le droit à réparation de la partie civile que si elle a préalablement constaté que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré l’action publique éteinte.
Contexte de l’arrêt : Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL) ; Cass. crim., 11 mars 2014, n° 12-88.131, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9407MGI) ; Cass. crim., 1er juin 2016, n° 15-80.721, FS-P+B (N° Lexbase : A8715RR9) ; Cass. crim., 14 novembre 2017, n° 17-80.934, FS-P+B (N° Lexbase : A7168WZI) ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-80.079, F-D (N° Lexbase : A7160WLR) ; Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-85.804, F-D (N° Lexbase : A5786W3P) ; Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+D (N° Lexbase : A4477XKZ) ; Cass. crim., 26 juin 2018, n° 17-83.721, F-D (N° Lexbase : A5783XUQ) ; Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-80.195, F-P+B (N° Lexbase : A8951YY8) ; Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-81.225, F-D (N° Lexbase : A8926Y4D) ; Cass. crim., 26 septembre 2019, n° 18-83.497, F-D (N° Lexbase : A0393ZQM) ; Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 17-86.086, F-D (N° Lexbase : A6479ZSR) ; Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-82.581, F-D (N° Lexbase : A47213A4) ; Cass. crim., 25 février 2020, n° 18-85.418, F-D (N° Lexbase : A77993GX).
Subtilité, habilité, voire schizophrénie, tels sont les caractères dont doivent être empreints les juges d’appel, lorsqu’ils sont saisis par la seule partie civile à la suite d’un jugement ayant constaté l’extinction de l’action publique et ayant, de ce fait, débouté l’intéressée de ses demandes en réparation [1]. Cette originalité est confirmée par la Chambre criminelle à l’occasion d’un arrêt du 1er avril 2020 [2], suivant ainsi une tendance jurisprudentielle connue [3] et laissant parfois perplexe [4].
En l’espèce, nonobstant une condamnation pour d’autres chefs, c’est par un jugement du 23 février 2016 que le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe du prévenu du chef d’escroquerie commis au préjudice de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (CRPN). Ces premiers juges justifiaient leur décision au regard de l’extinction de l’action publique du fait de l’autorité de la chose jugée. Alors que le tribunal déboutait, de ce fait, la CRPN de sa demande en réparation, celle-ci a contesté ce jugement, portant ainsi l’action civile à hauteur d’appel. Par un arrêt du 26 septembre 2018, la cour d’appel a rappelé que, concernant l’action publique, celle-ci était définitivement éteinte dès lors que ni le ministère public ni le prévenu n’avait interjeté appel sur ce point. Concernant l’action civile toutefois, la cour d’appel a réformé la première décision en condamnant le prévenu à payer à la partie civile la coquette somme de 6 545 673,40 euros à titre de dommages et intérêts. Précisant, à toutes fins utiles, que ladite action civile n’était pas atteinte par la prescription du fait des poursuites pénales antérieurement exercées, la juridiction répressive concluait qu’elle demeurait compétente pour en connaître et que la partie civile tenait des dispositions de l’article 497, 3°, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3893AZ9), le droit d’obtenir réparation dès lors que les faits poursuivis étaient susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur. La facilité dont s’est ainsi prévalue la cour d’appel n’a cependant pas résisté à la sanction de la Cour de cassation. Par l’arrêt commenté du 1er avril 2020, la Chambre criminelle casse la décision d’appel au visa de l’article 3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1111H4W) au motif que, préalablement à cette décision portant exclusivement sur l’action civile, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur l’extinction de l’action publique du fait de l’autorité de la chose jugée retenue par les juges du tribunal correctionnel.
Par cette décision, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l’action civile en réparation du dommage né d’une infraction qu’accessoirement à l’action publique. À défaut de cette action principale, le juge civil demeure le juge naturel de la réparation. Certes, assurant un certain pragmatisme, les juridictions répressives d’appel demeurent compétentes aux fins d’allouer une indemnisation à la partie civile lorsque celle-ci interjette appel, seule, à l’encontre d’une décision de relaxe. Dans ce cas, l’assiette du litige est précisément déterminée puisque, selon le revirement opéré en 2014 [5], « le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ». La notion de « faute civile démontrée » dont la réparation est susceptible d’être accordée par les juridictions répressives d’appel nonobstant l’absence d’action publique est, depuis, régulièrement précisée par la Cour de cassation. À l’analyse de cette jurisprudence, il apparaît que celle-ci impose une véritable caractérisation civile d’une infraction. En effet, pour qu’ils puissent accorder une indemnisation à la partie civile à la suite d’un jugement de relaxe, les juges d’appel doivent procéder à la recherche de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction chef des poursuites, tant matériels qu’intentionnels [6].
En ce sens, la Cour de cassation confirme, à l’occasion de la décision commentée, que les juges d’appel doivent, préalablement à leur décision portant sur le droit à réparation de la partie civile à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, relever que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré l’action publique éteinte. Ces diligences relatives à la caractérisation d’une infraction demeurent néanmoins à des fins purement civiles. La cour d’appel n’étant pas saisie de l’action publique, la caractérisation pénale d’une infraction n’est pas de sa compétence.
La Cour de cassation invite ainsi à procéder par une habile jonglerie afin que les foudres de la Cour européenne des droits de l’Homme soient évitées, espérant que le fard de la « faute civile démontrée » suffise à maquiller l’atteinte, un peu plus forte encore dorénavant [7], au principe de présomption d’innocence [8].
[1] Pour rappel, en principe, dès lors que le tribunal correctionnel prononce la relaxe du prévenu, il ne peut entrer en voie de condamnation au titre de l’action civile (Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.348, F-D N° Lexbase : A4762ZNP). Par exception, l’article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU) prévoit qu’en cas de relaxe et en présence de faits non-intentionnels, le tribunal demeure compétent pour se prononcer sur l’action civile et pour accorder, le cas échéant, une réparation au titre des dommages résultant des faits objet de la poursuite.
[2] Cass. crim., 1er avril 2020, n° 19-80.069, F-P+B+I (N° Lexbase : A90233KE).
[3] Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL) ; Adde. : Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-80.079, F-D (N° Lexbase : A7160WLR) ; Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-85.804, F-D (N° Lexbase : A5786W3P) ; Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+B (N° Lexbase : A4477XKZ) ; Cass. crim., 26 juin 2018, n° 17-83.721, F-D (N° Lexbase : A5783XUQ) ; Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-80.195, F-P+B (N° Lexbase : A8951YY8) ; Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-81.225, F-D (N° Lexbase : A8926Y4D) ; Cass. crim., 26 septembre 2019, n° 18-83.497, F-D (N° Lexbase : A0393ZQM).
[4] V. Wester-Ouisse, Le sort de la victime en cas de relaxe : quelle faute civile ?, D., 2016, p. 2018.
[5] Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL) ; Cass. crim., 11 mars 2014, n° 12-88.131, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9407MGI). Pour la position antérieure : Cass. crim., 18 décembre 2012, n° 12-81.268, F-D (N° Lexbase : A6334I7Q).
[6] Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-80.079, F-D (N° Lexbase : A7160WLR) ; Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-85.804, F-D (N° Lexbase : A5786W3P) ; Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+B (N° Lexbase : A4477XKZ) ; Cass. crim., 26 juin 2018, n° 17-83.721, F-D (N° Lexbase : A5783XUQ) ; Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-80.195, F-P+B (N° Lexbase : A8951YY8) ; Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-81.225, F-D (N° Lexbase : A8926Y4D).
[7] Dans le même sens, la Cour de cassation a affirmé que le juge d’appel n’a pas à s’expliquer sur l’existence d’une faute séparable des fonctions de dirigeant social pour caractériser la « faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » : Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+B (N° Lexbase : N3610BXY). Adde. : S. Detraz, Responsabilité civile des dirigeants sociaux devant la juridiction pénale même en cas de faute détachable, Lexbase Pénal, mai 2018 (N° Lexbase : N3905BXW).
[8] CEDH, 12 avril 2012, Req. 18851/07, Lagardère c/ France (N° Lexbase : A4128IIQ).
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par Manon Rouanne, Rédactrice en droit des contrats et droit de la responsabilité civile
Le 10 Juin 2020
Le 17 mai 2019, se tenait à la Faculté de droit de Metz, un colloque proposé par l’institut François Gény de l’Université de Lorraine, intitulé « Intensification de la fonction normative de la responsabilité civile, Acte II de la réforme du livre III du Code civil », qui était organisé par Nathalie Fournier de Crouy, Maître de Conférences à l’Université de Lorraine.
La revue Lexbase Hebdo - édition Droit privé, vous propose de retrouver la majeure partie des interventions qui ont eu lieu lors de cet événément.
Introduction
Intensification de la fonction normative de la responsabilité civile, Acte II de la réforme du livre III du Code civil : propos introductifs (N° Lexbase : N3605BY8)
par Nathalie Fournier de Crouy, Maître de Conférences à l’Université de Lorraine (N° Lexbase : N3605BY8)
I - La fonction normative dans la définition du comportement
Le comportement de l’homo non economicus (N° Lexbase : N3625BYW)
Par Zoé Jacquemin, Maître de conférences à l'Université Paris 13
Le comportement de la victime (N° Lexbase : N3685BY7)
Par Guillaume Maire, Maître de conférences à l'Université de Lorraine
Le comportement de l’assuré (N° Lexbase : N3613BYH)
Par Rodolphe Bigot, Maître de conférences à l'Université de Picardie
II - La fonction normative dans la sanction du comportement
A - La fonction normative de la responsabilité civile dans la sanction compensatoire
Le préjudice écologique et la fonction normative de la responsabilité civile (N° Lexbase : N3636BYC)
Par Blandine Rolland, Professeur à l'Université de Mulhouse
La fonction normative de la réparation du préjudice : l’exemple du préjudice économique pur (N° Lexbase : N3628BYZ)
Par Mathilde Cayot, Maître de conférences à l'Université Paul Valéry
B - La fonction normative de la responsabilité civile dans la sanction extra-compensatoire
La fonction normative de l’amende civile (N° Lexbase : N3611BYE)
Par Nathalie Fournier de Crouy, Maître de Conférences à l’Université de Lorraine
La fonction normative de la cessation de l’illicite (N° Lexbase : N3667BYH)
Par Henri Conte, Docteur en droit
Conclusion
Propos conclusifs - Quelle place pour la fonction normative de la responsabilité civile ? (N° Lexbase : N3632BY8)
Par Philippe Chauviré, Professeur à l'Université de Lorraine
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Réf. : Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 18-26.512, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A22903MR)
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par Morane Keim-Bagot, Professeur à l’Université de Bourgogne, CID EA 7531
Le 10 Juin 2020
I - D’où l’on vient…
En un temps que les pôles sociaux des tribunaux judiciaires ou leurs prédécesseurs, les tribunaux des affaires de Sécurité sociale ne pouvaient pas connaître, l’Assemblée plénière avait posé le principe selon lequel les caisses avaient seules qualité pour accorder une telle remise [1]. Cette solution rendue alors au visa de l’article 68 du Code de la Sécurité sociale ([LXB=]) devait être réaffirmée par un arrêt des chambre réunies, le 21 mai 1965 [2]. Lorsque le texte fut renuméroté, la solution devait être rappelée de façon immuable d’abord par la Chambre sociale [3], puis par la deuxième chambre civile dès lors que le contentieux de la Sécurité sociale lui a été transféré [4]. Le dernier exemple en date, n’est d’ailleurs pas si lointain, remontant au 29 novembre 2018 [5].
La lettre de l’article L. 256-4 (N° Lexbase : L8914LHM) et avant lui, de l’article 68, se référant à la possible réduction des « créances des caisses nées de l’application de la législation de Sécurité sociale », par « décision motivée de la caisse » ; les juges en avaient déduit que cette faculté n’était offerte qu’aux caisses et à leurs instances de recours amiable. Le juge ne bénéficiait pas de cette faculté.
Alors qu’il était formellement compétent pour connaître du litige, il n’avait étrangement pas le pouvoir de le trancher [6], la question n’entrait pas dans le champ de son office. Hors le cercle des spécialistes de procédure, la distinction entre pouvoir et compétence du juge n’est pas de celles qui se laissent facilement saisir. Le pouvoir de juger renvoie au pouvoir propre du juge de trancher les litiges, alors que la compétence le place dans une situation de concurrence avec les autres juges. Le pouvoir de juger implique de se demander si un pouvoir propre a été accordé à la juridiction « considérée en elle-même » par le législateur ; la compétence s’il lui appartient de connaître du litige de préférence à une autre juridiction [7]. En cela, la question du pouvoir du juge devrait se poser avant même celle de sa compétence. L’absence du premier devrait déboucher sur une fin de non-recevoir, sans que l’on ait à se prononcer sur la compétence.
Curieuse solution alors qui revenait à admettre la compétence du tribunal et la recevabilité de la saisine mais pas le pouvoir du juge de trancher le litige. Si une telle dichotomie entre compétence et pouvoir peut être observée, notamment devant le juge des référés qui, bien que compétent, ne peut trancher le litige au fond, elle ne se justifiait guère devant le juge de la Sécurité sociale.
De plus, la motivation tirée de la lettre, d’abord de l’article L. 68 puis L. 256-4 peinait à emporter la conviction. Certes, les textes visent la possibilité pour la caisse de procéder à une remise gracieuse. Toutefois cette faculté offerte à la caisse donne lieu à une décision notifiée à l’assurée, décision qui peut être dès lors contestée. Pourtant, cette solution devait être généralisée aux indus de toutes les prestations, notamment celles versés par les caisses d’allocations familiales [8].
Critiquable, la solution ne manquait toutefois pas de s’appliquer invariablement. Tout au plus les auteurs relevaient-ils deux entorses possibles à la règle. D’abord la Cour de cassation semblait affirmer que le juge pouvait réduire la dette si l’indu résultait de la force majeure [9]. Ensuite, sans qu’il s’agisse réellement d’une exception, il avait été admis que si l’indu résultait d’une erreur ou d’une faute de la caisse, l’allocataire ou l’assuré disposait de la faculté de demander réparation du préjudice qui lui avait été occasionné. Or, cette réparation pouvait consister dans l’annulation ou la réduction de sa dette [10].
II - Où l’on va…
L’arrêt du 28 mai 2020 est fait de surprises. La Cour de cassation opère, en effet, un revirement de jurisprudence au moyen d’un arrêt de rejet ce qui est déjà, en soi, source d’étonnement. Elle prend par ailleurs le contrepied d’une solution pourtant bien ancrée, sans que rien, au sein de l’arrêt, promis à la plus large publicité [11], ne permette de comprendre ce basculement. Ce, alors même que l’arrêt procède d’une motivation enrichie, ce qui aurait permis aux juges d’éclairer davantage le lecteur perplexe.
De quoi s’agissait-il dans les faits ? La caisse primaire d’assurance maladie de Loire-Atlantique réclamait à une assurée le remboursement de deux indus de pension d’invalidité, le 5 septembre 2014 puis le 9 juillet 2015. L’assurée saisissait la commission de recours amiable de la caisse d’une demande de remise gracieuse de dette, étant précisé qu’elle ne contestait pas le caractère d’indu. La demande ayant été rejetée, elle contestait la décision litigieuse devant le tribunal des affaires de la Sécurité sociale (TASS) de Nantes.
Le TASS, dans sa décision du 8 novembre 2018 accordait à l’assurée la remise gracieuse de la totalité des indus de pension d’invalidité litigieuse. En l’occurrence le juge de la Sécurité sociale avait retenu que l’assurée, bénéficiaire de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) depuis 2016, ne percevrait plus, à compter de janvier 2019, qu’une pension de retraite s’élevant à 550 euros par mois. Du fait de cette situation de précarité il y avait lieu d’admettre la remise totale des indus sans que l’on en connaisse leur montant. Tout au plus, peut-on déduire de ce que la décision a été rendue en dernier ressort, que les sommes en jeu étaient inférieures à 4 000 euros.
Cette solution parfaitement justifiée en équité, ne l’était pas alors, en droit, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui refusait cette faculté au juge, refus qu’elle réaffirmait d’ailleurs dans un arrêt contemporain de la décision du TASS de Nantes [12].
Rien, à la lecture de l’arrêt du 28 mai ne permet de comprendre les fondements de ce revirement spectaculaire. La deuxième chambre civile se contente d’affirmer, comme sous le sceau de l’évidence, qu’il « entre dans l’office du juge judiciaire de se prononcer sur le bien-fondé de la décision administrative d’un organisme de Sécurité sociale déterminant l’étendue de la créance qu’il détient sur l’un de ses assurés, résultant de l’application de la législation de Sécurité sociale », avec la même assurance que lorsque, visant le même texte, elle adoptait la solution exactement inverse.
L’on aurait tort de chercher une explication dans la mention de ce que l’article L. 256-4 du Code de la Sécurité sociale s’applique dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 (N° Lexbase : L7951LHX). La modification opérée par la loi du 30 décembre 2017 ajoute au texte l’exclusion de la possibilité de remise totale ou partielle de la dette par la caisse, lorsque l’assuré s’est rendu coupable de manœuvre(s) frauduleuse(s) ou de fausse déclaration [13]. Elle n’ouvre pas la voie à l’élargissement de l’office du juge.
Son fondement doit, en réalité, être trouvé dans la recomposition des juridictions sociales [14] qui a fait basculer la part de contentieux jadis administratif de la protection sociale devant le juge judiciaire ; en y important, par là même, ses solutions.
Jusqu’à la réforme, une partie non négligeable du contentieux de la protection sociale, notamment celui de l’aide sociale- relevait de la compétence du juge administratif [15]. Or, le Conseil d’Etat, dans un avis du 23 mai 2011, concernant le revenu de solidarité active (RSA) estimait qu’il « appartient au tribunal administratif saisi d’une demande dirigée contre une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise ou de réduction d’indu, non seulement d’apprécier la légalité de cette décision, mais aussi de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant, si, au regard des circonstances de fait existant à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise ou une réduction supplémentaire. Pour l’examen de ces deux conditions, le juge est ainsi conduit à substituer sa propre appréciation à celle de l’Administration » [16]. Dès lors que le législateur n’avait pas entendu limiter le pouvoir du juge et l’empêcher de connaître pleinement du contentieux qui lui avait été confié, le Conseil d’Etat retenait une solution différente de celle bien établie de la Cour de cassation.
Or, si le contentieux du RSA demeure de la compétence du juge administratif, ce n’est pas le cas d’autres prestations d’aide sociale dont les litiges relèvent dorénavant du juge judiciaire [17].
Il en est ainsi notamment de la prestation de compensation du handicap (PCH) [18]. Et, c’est précisément par la PCH que le débat devait s’inviter, à nouveau, devant le juge judiciaire à l’occasion d’une demande d’avis. Le TGI d’Amiens avait été saisi du litige opposant le bénéficiaire d’une PCH au département de la Somme ; litige concernant une demande gracieuse de remise d’indu. Or, il n’existe pas de texte prévoyant une telle possibilité pour cette prestation. Il interrogeait la Cour de cassation pour avis le 26 août 2019, formulant sa demande d’avis de la façon suivante : « les tribunaux de grande instance spécialement désignés au titre de l’article L. 211-16, 3°, du Code de l’organisation judiciaire ([LXB=L7729LPX]) peuvent-ils réduire ou remettre une créance émise par un conseil départemental en cas de précarité ou de bonne foi du bénéficiaire de la prestation de compensation mentionnée à l’article L. 245-2 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L7792LPB) ? ».
Principalement, il s’agissait pour la Cour de cassation, de déterminer si ce contentieux, qui relevait du contentieux administratif, avant la réforme par la fusion des juridictions sociales revenait dorénavant au pôle social du tribunal civil de droit commun. L’avis rendu par la deuxième chambre civile, le 28 novembre 2019 [19], ne se contente toutefois pas d’affirmer la compétence de l’ordre judiciaire, il se penche également sur le pouvoir du juge qui a à en connaître.
Considérant que le recouvrement de l’indu en matière de PCH se fait comme en matière de contributions directes [20], la deuxième chambre civile développait un raisonnement fondé sur l’article L. 247 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9075LNG). Ce dernier prévoit, en effet, que l’administration peut accorder des remises totales ou partielles en matière d’impôts directs régulièrement établis. La remise gracieuse est alors possible, sans être réservée à l’organisme.
Relevant la nature administrative de la décision de l’organisme, la note explicative publiée avec l’avis sur le site de la Cour de cassation précisait ainsi d’ores et déjà que, dans le cadre de sa compétence pour connaître du contentieux de ces remises, l’étendue de l’office du juge en la matière, ne lui permettrait pas de s’en tenir à un contrôle formel de la décision de l’organisme s’étant prononcée sur la demande gracieuse. Il lui reviendrait dorénavant de « s’interroger sur le bien-fondé de celle-ci et de la réformer s’il y a lieu ».
L’arrêt du 28 mai 2020 reprend également le terme de « décision de nature administrative » de l’organisme de Sécurité sociale. Il ne faut pas s’y tromper pourtant. Si la décision dépend effectivement du service administratif de la caisse primaire, ou de la commission de recours amiable qui est une émanation de son conseil d’administration, elle n’a pas pour autant une nature administrative [21]. Sauf à considérer que la décision procédant du pouvoir discrétionnaire de la caisse, sa nature muterait…
C’est ainsi que, par une remarquable acrobatie juridique, l’affirmation de la compétence ratione materiae du juge judiciaire emportait avec elle une modification de son office en la matière, sans que l’on comprenne bien ce qui avait pu changer, si ce n’est un alignement des solutions entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
Dès lors, le juge du pôle social du désormais tribunal judiciaire spécialement désigné connaîtra de ce contentieux pour toutes les créances de tous les organismes qui servent des prestations de protection sociale. Le raisonnement retenu dans l’arrêt du 28 mai 2020 devrait pouvoir être dupliqué à toutes les demandes de remise gracieuse de créances d’indu des caisses, quelle que soit la prestation qui en est à l’origine.
Du mystère qui persiste à entourer la solution, une certitude, néanmoins, se dégage : celle d’une avancée considérable pour les assurés et allocataires les plus précaires qui ont enfin accès au juge en matière de remise de dette de Sécurité sociale.
[1] Ass. plén., 23 janvier 1964, n° 62-12.715 (N° Lexbase : A1939ABG), Bull. ass. plén., n° 4.
[2] Cass. ch. réunies, 21 mai 1965, n° 63-11.203 (N° Lexbase : A4049CIS), Bull. ch. réun., n° 6.
[3] Cass. soc., 19 mars 1992, n° 89-21056, publié au bulletin (N° Lexbase : A4915ABN), Bull. civ. V, n° 203, p. 125
[4] Cass. civ. 2, 10 mai 2012, n° 11-11.278, F-P+B (N° Lexbase : A1310IL4), JCP S, 2012, 1469, note G. Vachet ; Ch. Willmann, Abandon, réduction ou aménagement des créances des organismes de Sécurité sociale : compétence de la Caisse et non du juge, Lexbase Social, 2012, n° 486 (N° Lexbase : N2045BTW).
[5] Cass. civ. 2, 29 novembre 2018, n° 17-20.278, F-P+B (N° Lexbase : A9266YNI), JCP éd. S, 2018, 1419, obs. T. Tauran.
[6] Sur la distinction entre compétence et pouvoir du juge, v. Ph. Théry, Pouvoir juridictionnel et compétence, étude de DIP, Th. Paris 2, 1981 ; S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, Dalloz, coll. « Précis », 33ème éd., 2016, n° 1424 et s.
[7] L. Mayer, note sous Cass. com., 21 février 2012, n° 11-13.276, FS-P+B (N° Lexbase : A3160IDE), Gaz. Pal., 26 mai 2012.
[8] CSS, art. L. 553-2, al. 5 (N° Lexbase : L2728LWX) : par dérogation aux dispositions des alinéas précédents, la créance de l'organisme peut être réduite ou remise en cas de précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausses déclarations.
[9] Cass. soc., 11 juillet 2002, n° 01-20.646, inédit (N° Lexbase : A1778AZU) ; Dr. ouvr., 2003, p. 71 : « qu’en statuant ainsi alors que l’organisme social avait seul qualité pour accorder une réduction ou une remise de sa créance, et pour accorder des délais aux allocataires pour se libérer de leur dette, hors le cas de force majeure non constaté en l’espèce ».
[10] Cass. soc., 20 février 1997, n° 94-21.614, inédit (N° Lexbase : A4722CX8) ; contra, Cass. soc., 31 octobre 1991, n° 89-20.720 (N° Lexbase : A4906ABC), Bull. civ. V, n° 463.
[11] FS-P+B+R+I.
[12] Cass. civ. 2, 29 novembre 2018, n° 17-20.278, F-P+B, précit..
[13] L’article L. 256-4 dispose, dans sa version actuelle : « A l’exception des cotisations et majorations de retard, les créances des caisses nées de l’application de la législation de sécurité sociale, notamment dans des cas mentionnés aux articles L. 244-8 (N° Lexbase : A22903MR), L. 374-1 (N° Lexbase : L9140IDU) ; L. 376-1 (N° Lexbase : L8870LHY) à L. 376-3, L. 452-2 (N° Lexbase : L7113IUY), L. 452-5 (N° Lexbase : L6647IGB), L. 454-1 (N° Lexbase : L8869LHX) et L. 811-6 (N° Lexbase : L7747C4P), peuvent être réduites en cas de précarité de la situation du débiteur par décision motivée par la caisse, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausses déclarations ».
[14] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIème siècle (N° Lexbase : L1605LB3) ; A. Bouilloux, La réforme des contentieux sociaux par la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, JCP éd. S, 2017, 1077 ; P.-Y. Verkindt, Le renouveau du contentieux de la protection sociale, JCP éd. S, 2019, 1159.
[15] M. Borgetto, Les juridictions sociales en question(s), Regards, 2015/1, p. 19 ; J.-M. Belorgey, Aide sociale - Quels contentieux et quels juges ? ; ibid., p. 97.
[16] CE, 1° et 6° s-s-r., 23 mai 2011, n° 344970, n° 345827 (N° Lexbase : A5853HSL), S. Retterer, Dr. admin., octobre 2011, n° 10, comm. 82, .
[17] CSS, art. L. 142-1 (N° Lexbase : L7777LPQ) ; C. act. soc. fam., art. L. 134-3 (N° Lexbase : L7795LPE) ; C. Bléry, La compétence du juge judiciaire en matière de Sécurité sociale et d’action sociale, Lexbase Social, 2017, n° 697 (N° Lexbase : N7339BWQ).
[18] C. act. soc. fam., art. L. 245-2 (N° Lexbase : L7792LPB).
[19] Cass. avis, 28 novembre 2019, n° 19-70.019, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1440Z7H), JCP éd. G, 2019, act. 1322, nos obs..
[20] C. act. soc. fam., art. R. 245-72 (N° Lexbase : L7834HEU).
[21] T. confl., 2 mai 1977, Confédération nationale du crédit mutuel, n° 02054 (N° Lexbase : A8051BDK), Recueil. 668.
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 3 juin 2020, n° 427781, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70223MZ)
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par Yann Le Foll
Le 19 Juin 2020
► L'administration peut subordonner la délivrance d'un permis de construire à la création d'une servitude de passage.
Ainsi statue le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 3 juin 2020 (CE 9° et 10° ch.-r., 3 juin 2020, n° 427781, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A70223MZ).
Rappel. L'administration ne peut assortir une autorisation d'urbanisme de prescriptions qu'à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet, aient pour effet d'assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect.
Faits. Une société a sollicité un permis de construire un ensemble immobilier sur un terrain ne disposant d'aucun accès à une voie ouverte à la circulation publique, un tel accès devant être créé sur des parcelles appartenant à des tiers. Le maire de la commune a accordé le permis sollicité sous condition de la production, par le bénéficiaire, de l'acte authentique de servitude de passage au plus tard au dépôt de la déclaration d'ouverture de chantier.
Principe. Un permis de construire peut légalement être assorti d'une telle réserve, qui est de nature à pallier l'absence de titre créant une servitude de passage à la date de l'arrêté attaqué, dès lors que la création d'une servitude de passage entraîne seulement une modification portant sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d'un nouveau projet.
Décision. Dès lors, en jugeant que cette réserve ne saurait pallier l'absence de titre créant une servitude de passage à la date de l'arrêté attaqué alors que la création d'une servitude de passage entraîne seulement une modification portant sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d'un nouveau projet, le tribunal administratif a entaché son arrêt d'erreur de droit (cf. l'Ouvrage « Droit de l'urbanisme » N° Lexbase : E4574E7K]).
Sursis à statuer en vue d'une régularisation. Le vice tiré de ce que l'étude d'impact prescrite par l'article L. 122-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L5478LT3), jointe au dossier de demande de permis de construire, n'a pas été mise à la disposition du public avant la délivrance de ce dernier ne met en cause qu'une formalité préalable à la délivrance du permis de construire. Ce vice est susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L0034LNL) (cf. l'Ouvrage « Droit de l'urbanisme » N° Lexbase : E4931E7R).
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