La lettre juridique n°826 du 4 juin 2020

La lettre juridique - Édition n°826

Éditorial

[A la une] Réflexions sur la Justice d’après

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par Elise Arfi, Avocat à la Cour, Solicitor (England & Wales), Ancien Secrétaire de la Conférence, Docteur en droit

Le 04 Juin 2020

Interrogé sur le confinement, Michel Houellebecq a déclaré dans une interview récente que le monde d’après serait comme le monde d’avant, en pire.

Regardant tristement mon diplôme du CAPA encadré dans mon bureau, je me suis machinalement mise à penser que la justice/l’injustice - à force, on ne sait plus - d’après serait donc comme celle d’avant, en pire.

Me demandant aussitôt comment cela serait possible, j’ai rapidement souri à ma naïveté.

Tandis que l’édiction totalement folle de nouvelles normes se faisait quasi-quotidienne, qu’en chaque policier sommeillait désormais un juge, que les citoyens eux-mêmes s’improvisaient justiciers du port du masque, du gel, des gestes barrières divers et variés, le travail des avocats pénalistes se réduisait à peau de chagrin.

Le traitement d’une épidémie par la répression offrait pourtant de belles perspectives professionnelles.

Or, il n’a fait qu’éloigner encore un peu plus les avocats de leur palais.

Ce que nous étions nombreux à redouter s’est produit. La Justice fonctionne désormais sans avocat, et son indissociable binôme, le justiciable. Demain, elle fonctionnera sans jurés dans le cadre de la généralisation des cours criminelles. A la chancellerie, un rêve semble être devenu réalité. La Justice se bureaucratise en quelques jours, ciblant ce qui est perçu comme le maillon faible : l’humain.

A côté de cela, nous comprenons que les mesures de dématérialisation prônées pour simplifier et accélérer le travail des uns et des autres, sont en réalité des leurres. Nous découvrons que les magistrats n’ont pas accès au RPVA et ne peuvent donc pas travailler à distance dans les procédures civiles écrites. Au pénal, les décisions dont nous devons faire appel continuent à être acheminées par courrier recommandé. Les mesures de confort auront consisté à pouvoir faire appel par email. La chambre de l’instruction de Paris finira par accepter la transmission de mémoires par email mais, dès le 11 mai, supprimera cette possibilité. Les débats et audiences en visio-conférence se généraliseront, y compris dans des cas où l’extraction reste possible, comme l’ont démontré les comparutions immédiates.

On a applaudi les soignants qui se débattent au sein de la même problématique d’abattage et de manque de moyens, mais qui applaudirait les juges, les greffiers, les avocats ? L’image de la Justice est déplorable, tant du côté des justiciables, mis en causes, parties civiles, que de celui des observateurs. Les journalistes qui ont écrit sur la Justice en ces temps difficiles n’ont pas eu la plume tendre. Si l’on soigne comme l’on juge, l’heure est grave.  

Si les avocats n’avaient pas déjà craint la réduction de leurs champs d’intervention depuis des années, ils auraient pu admettre certaines mesures, les comprendre, les accompagner, contribuer à faciliter leur mise en œuvre, temporairement. Mais ce qui ne va pas, c’est le socle idéologique sur lequel elles reposent. Parce que, depuis trop longtemps, nous savons qu’à la première occasion, les dispositions les plus régressives seront mises en place et pérennisées sous des prétextes divers. Les mesures de l’état d’urgence lié aux attentats terroristes de la période 2015-2017 ont fini par se fondre dans le droit commun, allant toujours dans le sens d’une facilitation de la répression et d’une réduction des droits de la défense. A l’occasion de la crise sanitaire, de nouveau, la liberté sous toutes ses formes est présentée comme un danger pour la communauté. Si l’on explique à un justiciable que, sans avocat et sans audience, sa cause sera jugée plus rapidement, qu’il économisera des frais, il signera. La Justice y a beaucoup perdu, à moins qu’elle ne s’y soit perdue elle-même.  

La pire, mais aussi la plus emblématique des mesures prises durant le confinement est celle, prioritaire aux yeux de la Chancellerie, de supprimer les débats relatifs à la prolongation de la détention provisoire. Certains voient dans les arrêts de la Chambre criminelle du 26 mai 2020 le retour triomphant de l’Etat de droit, moi je trouve ces décisions assez tièdes. Si le risque d’erreur de procédure peut justifier n’importe quelle réglementation, a priori, comme a posteriori, pourvu que les individus restent en prison, pourquoi se casse-t-on encore la tête à organiser des débats de prolongation de détention dans « la Justice d’après » ? Pourquoi ne pas supprimer tout de suite les nullités dans le Code de procédure pénale ?

Entre le marteau et l’enclume, les avocats sont toujours la cible de critiques. Des communiqués sont pris par la Cour de cassation pour désavouer les propos d’une avocate sur un plateau télé ou dans une tribune. Les réseaux sociaux se déchaînent. Nous ne sommes que 70 000 avocats en France, mais le pouvoir en place entretient une véritable obsession à vouloir nous réformer.

J’ai peur aujourd’hui d’un statut d’avocat « fonctionnaire ». A d’autres époques, on a voulu casser les corporations, les jurandes. Aujourd’hui, on cherche à monter les avocats les uns contre les autres, à opposer les « petits » aux « gros » cabinets, à affaiblir l’Ordre. Le statut de la collaboration libérale est remis en question. Il se murmure que la Chancellerie chercherait à professionnaliser l’aide juridictionnelle pour, peut-être, demain,  réduire une frange de la profession à la mendicité et à l’obéissance.

Je plaidais en province aujourd’hui. La présidente avait un train à 20 heures. A 18 heures, après m’avoir exhortée à la brièveté et à la « pertinence » dans ma plaidoirie, elle a ajouté espérer que les dossiers qui suivaient étaient des dossiers « sans avocats ». Personne n’a relevé.

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Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Retour sur la constitution du délit de prise illégale d’intérêts

Réf. : Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390, F-P+B+I (N° Lexbase : A95153GI)

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N3284BYB

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par Marie-Christine Sordino, Professeur à l’Université de Montpellier, Directrice de l’Equipe de droit pénal (UMR Dynamiques du droit Univ. Montpellier /CNRS)

Le 03 Juin 2020

 

Mots-clés : prise illégale d’intérêts • constitution • intérêt quelconque • intérêt moral • intention

Résumé : commet un délit de prise illégale d’intérêts, le maire, qui, en connaissance de cause, intervient à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci, perpétrant ainsi, sciemment, un abus de fonction. La preuve de cet abus de fonction est suffisante afin de caractériser l’intention coupable du maire et, par voie de conséquence, permet d’établir le recel subséquent commis sciemment par le membre de la famille.

L’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 4 mars 2020 [1] offre une nouvelle illustration d’une condamnation d’un maire, du chef de prise illégale d’intérêts. Le nombre de poursuites et, partant, de condamnations sur ce fondement, s’avère relativement important à l’encontre des décideurs publics, en comparaison avec les autres infractions du Livre IV du Code pénal [2].

Les faits de l’espèce sont caractéristiques du type de situations pouvant, en pratique, exister, au plan local. Ainsi, au début de l’année 2015, le procureur de la République de Lyon est destinataire de plusieurs courriers dénonçant les agissements du maire d’une commune, Monsieur T., qui a nommé sa sœur, en qualité de directrice générale des services de la mairie. Une enquête permet d’établir qu’en septembre 2014, le maire a annoncé la nomination d’une dame I. au poste de directeur général des services, dans la lettre qu’il adresse au personnel de la commune.

Alors que les syndicats interviennent pour manifester leur désapprobation, le profil de poste correspondant à cette fonction se trouve diffusé auprès du centre de gestion de la fonction publique territoriale en vue d’un recrutement, en novembre 2014. Une présélection des dossiers de candidature a lieu, au terme de laquelle six dossiers sont retenus par le maire. Un jury de cinq personnes, dont le maire est membre, entend les six candidats au cours d’un entretien, Madame I. faisant partie desdits candidats et étant choisie au terme des auditions.

Monsieur T., investi d’un mandat électif public, est alors cité devant le tribunal correctionnel du chef de prise illégale d’intérêts sur le fondement de l’article 432-12 du Code pénal (N° Lexbase : L9471IYG). Il aurait ainsi pris un intérêt moral à la nomination de sa sœur en qualité de directeur général des services de la commune alors qu’il était chargé de surveiller les opérations de nomination. Non seulement il a participé activement à la sélection, à l’audition des candidats et au vote qui a suivi afin d’effectuer le choix, mais, de plus, il a personnellement signé les arrêtés de nomination. Madame I. est, quant à elle, citée pour avoir sciemment recelé les fonctions de directeur général des services et les salaires correspondants, puisqu’elle en connaissait la provenance délictueuse. Le tribunal correctionnel les déclare coupables des faits et condamne le maire à six mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité et sa sœur à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d’amende et interdiction d’exercer une fonction publique pendant dix-huit mois.

Tous deux interjettent appel. Le 11 avril 2019, la cour d’appel confirme leur culpabilité et les condamne, respectivement, à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis assortie d’une privation du droit d’éligibilité durant un an et à quatre mois d’emprisonnement avec sursis. Ils forment alors un pourvoi en cassation.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation écarte le moyen fondé sur la contestation de la preuve des délits de prise illégale d’intérêts et de recel. Pour elle, « l’abus de fonction ainsi caractérisé suffit à lui seul pour consommer le délit de prise illégale d’intérêts et l’intention coupable est constituée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit. Il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse ». Et le fait que Monsieur T. « se soit soumis aux règles de recrutement instaurées par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 [N° Lexbase : L7448AGX] et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986 [N° Lexbase : L2809G8K], est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction dès lors qu’il est, en toute connaissance de cause, intervenu à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci ». Cet arrêt donne l’occasion de revenir, d’une part, sur la nature de l’élément moral du délit de prise illégale d’intérêts (I) et, d’autre part, sur sa caractérisation (II).

I - La nature de l’élément moral du délit de prise illégale d’intérêts

L’objectif du délit, incriminé à l’article 432-12 du Code pénal est d'éviter toute tentation à l’agent public, car « le bien juridique protégé est à la fois, l'objectivité et la probité dans la gestion des affaires publiques » [3]. En sus d’un aspect répressif avéré, le délit de prise illégale d'intérêts « vise également à réprimer ceux qui s'exposent au soupçon de partialité » [4]. En ce sens, il poursuit donc également une finalité préventive des conflits d’intérêts. Édictée dans ce double but, répressif, mais également préventif, l’infraction de prise illégale d'intérêts interdit à une personne exerçant une fonction publique de prendre des intérêts dans des affaires soumises à sa surveillance ou à son contrôle. La notion de prise d'intérêts délibérément conservée constitue la véritable « âme de l'infraction » [5] et se trouve placée au cœur de la réflexion.

L’élément moral du délit occupe une place importante dans l’arrêt du 4 mars 2020, ce qui conduit à des précisions, d’abord, quant à l’élément moral envisagé en lui-même (A) et, ensuite lorsqu’il est envisagé au regard de l’élément matériel (B).

A - L’élément moral envisagé en lui-même

Au XIXème siècle, la doctrine s'est interrogée sur la nature de l'élément moral exigé pour le délit d'ingérence au sein de l’article 175, ancien, du Code pénal. Ainsi, certains auteurs soutenaient que le fonctionnaire devait être animé d'une intention frauduleuse et poussé à rechercher, par son activité coupable, un bénéfice illégitime [6], de sorte que cela constituait un dol spécial. Des décisions de jurisprudence allaient dans ce sens [7].

Au XXème siècle, un tournant est opéré. Désormais, pour la doctrine [8] et la jurisprudence, le délit repose sur le fait que le coupable a pris sciemment un intérêt dans une affaire soumise à sa surveillance, même s'il n'a pas voulu tirer profit de son immixtion [9]. L'article 175, ancien, du Code pénal n’incrimine pas que les abus avérés, mais il souhaite prévenir les abus, en édictant une interdiction. Le fait même de l'ingérence est punissable, indépendamment de ses suites possibles [10].

Cependant, l’un des effets malheureux de cette analyse est de transformer le délit d’ingérence en véritable délit matériel, puisque « l’immixtion prohibée est délictueuse par cela seul que le fonctionnaire contrevient volontairement aux prohibitions de l’article 175 et il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse » [11]. Un auteur a ainsi pu écrire que, « contrairement à la plupart des infractions pénales, le délit de prise illégale d'intérêts ne pose pas de difficultés dans son élément moral, s'agissant d'une infraction objective dont la réalisation ne nécessite aucune intention frauduleuse » [12].

Désormais, sous l’empire du Code pénal de 1992, le principe du caractère intentionnel des délits est posé par l’article 121-3 (N° Lexbase : L2053AMY). Ce principe ne peut être remis en cause que par des dispositions légales, ce qui a pour conséquence la condamnation de l’existence des anciens délits matériels. Le délit de prise illégale d’intérêts retrouve donc une réaffirmation heureuse de son caractère intentionnel. Le dol général consiste pour l’agent public à prendre, recevoir ou conserver délibérément un intérêt dans une opération soumise à sa surveillance. Cependant, en pratique, les juges réduisent le contenu de l’intention. Ainsi, dans l’affaire commentée, ils lient l’intention coupable du maire au fait qu’il ait accompli « sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit ».

B - L’élément moral envisagé au regard de l’élément matériel

En l’espèce, c’est la question de l’admission d’un intérêt moral qui est centrale dans le raisonnement de l’arrêt commenté, au titre de « l’intérêt quelconque ». En visant expressément un « intérêt quelconque », le législateur a souhaité appréhender l'intérêt le plus largement possible, en prenant en considération aussi bien un intérêt patrimonial qu'un intérêt extrapatrimonial [13]. Bien évidemment, cela vise au premier chef un « lien d’affaires » [14].

Le délit est également formel, en ce qu’il n’impose pas la réalisation d’un résultat pénal et il est constitué en dépit de la non réalisation de l’opération envisagée : il « ne suppose pas une contrepartie financière » et ne nécessite pas que « l'élu en ait retiré un quelconque profit » [15]. Dans deux arrêts des 13 mars et 5 avril 2018 [16], la Cour de cassation relève que l’intérêt « est défini comme étant quelconque et n'a pas à être d'un niveau suffisant ». Ce délit peut ainsi être constitué par la perception « d'avantages matériels quelconques et même un simple avantage affectif ou moral ». L’intérêt peut donc être moral, ce qui engendre une certaine difficulté dans son appréciation. À titre d'exemple, la jurisprudence considère que l'intérêt moral peut résulter d'un lien familial [17], amical ou d'affection [18] et même d'un lien de nature politique [19]. Dans l'arrêt du 5 avril 2018 précité, la Cour a affirmé que l'existence d'un lien d'amitié peut être constitutive de l'intérêt quelconque au sens de l'article 432-12 du Code pénal.

En l’espèce, la Cour de cassation s’appuie sur les constatations des juges du fond qui relèvent que « le lien familial unissant les deux prévenus, frère et sœur, constitue un intérêt moral et suffit à caractériser l’intérêt quelconque exigé par le texte ». Ce lien de parenté, de proximité, apparaît ici naturel et évident. Il va servir à la Chambre criminelle pour établir l’abus de fonction nécessaire pour la démonstration de l’infraction. La Cour de cassation affirme de manière constante que « le délit prévu par l'article 175 ancien, repris à l'article 432-12 du Code pénal, est caractérisé par la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect » [20]. En conséquence, la prise d'un seul intérêt moral est suffisante dans la caractérisation de l'infraction, faisant écrire à un auteur que cela produit « un amenuisement de la consistance de l'élément matériel » du délit [21]. L’arrêt commenté n’innove pas vraiment sur cet élément [22] et s’inscrit dans une tendance du droit pénal des affaires à faire dépendre la preuve de l’élément moral de la matérialité des faits et à créer une véritable présomption. Cette matérialité des faits est éclairée par la qualité du prévenu. En effet, en considération de sa position de décideur public, il apparaît certain que l’élu local qui fait recruter sa sœur en qualité de directeur général des services de sa commune, commet bien un abus de fonction, en toute connaissance de cause. L’abus de fonction se trouve ainsi présumé, induit de l’existence imparable du lien de parenté. Ainsi, la Cour de cassation avait, dans un arrêt antérieur, approuvé la condamnation d’un président d’université ayant fait recruter sa sœur en tant que professeur contractuel [23]. Dans l’affaire commentée, la condamnation de Madame I. pour recel de délit de prise illégale d’intérêts est la conséquence logique du raisonnement suivi pour appuyer la condamnation du maire. En effet, pour la Chambre criminelle, elle a sciemment bénéficié du produit du délit commis par son frère, dont « elle n’a pu ignorer l’existence » compte tenu de l’existence et de la nature de leur lien familial. Là encore, la nature particulière du lien familial sert à présumer le fait qu’elle ait agi en connaissance de cause.

II - La caractérisation du délit de prise illégale d’intérêts

Il convient de préciser les critères utilisés pour la caractérisation (A) et les conséquences de la caractérisation (B).

A - Les critères utilisés pour la caractérisation

Si un intérêt moral peut être suffisant au sens d’un intérêt quelconque, encore convient-il de démontrer son existence.

Deux critères peuvent être dégagés.

*Au regard de la jurisprudence, l'intérêt moral repose d’abord sur la preuve de l’existence de liens, c'est-à-dire de rapports unissant deux ou plusieurs personnes en vertu d'un acte ou d'un fait juridique. Les juges du fond utilisent un faisceau d’indices factuels qui repose, notamment, sur un aspect temporel (le nombre d’années de la relation), l’intensité de la relation, la proximité de la relation, la nature des liens. Tout va dépendre des éléments de la situation. En effet, la relation doit être forte et durable dans le temps pour constituer un intérêt, surtout lorsqu’il est indirect.

A titre d’illustrations, les deux arrêts des 13 mars et 5 avril 2018 précités sont intéressants. Dans l'arrêt du 5 avril 2018, les juges ont relevé que le maire a pris un intérêt, dans une opération dont il assurait l'administration, en contractant avec un cessionnaire qui était un ami de longue date après avoir été, pendant plusieurs années, un partenaire de golf. L’intérêt moral a été démontré. En revanche, dans l’arrêt du 13 mars 2018, l’intérêt moral n’a pas été caractérisé. Les juges relèvent l'absence de personnalisation d'un lien quelconque entre les protagonistes : les deux hommes, appartenant à la même famille politique, se sont retrouvés dans les mêmes lieux lors de manifestations officielles communales. Mais de tels éléments ne caractérisent pas, faute de proximité particulière entre eux, l'existence d'un intérêt personnel moral.

En l’espèce, l’existence et la nature du lien unissant le maire à sa sœur sont aisés à démontrer et les juges du fond, comme la Cour de cassation qui renvoie à leurs constatations, considèrent qu’il s’agit d’une évidence qui ne nécessite pas davantage de démonstration. Leur connivence transparaît de l’énoncé des faits. Le maire a communiqué sur la nomination de Madame I. dès septembre 2014 et elle-même a signé, sous la qualité de directrice générale des services, des lettres d’information datées de juillet et août 2014, révélant ainsi une décision prise, en accord avec son frère, antérieurement aux opérations de recrutement qui ont eu lieu après des réactions des syndicats. La connivence, voire la collusion entre les deux, résulte de la constatation objective de l’existence du lien familial pour la Cour de cassation.

*Au regard de la jurisprudence, il convient, ensuite, de démontrer que la personne intéressée a eu une implication particulière dans l’opération. Dans un arrêt du 13 janvier 2016, un prévenu est coupable de prise illégale d'intérêts, car, en sa qualité de collaborateur du cabinet du maire de la commune, il a participé à la préparation de la décision d'attribution du marché public litigieux à la société en rédigeant un rapport d'analyse des offres destiné à éclairer la commission d'appel d'offres et qu'il entretient une relation amicale et professionnelle de longue date avec le gérant de cette société [24].

En l’espèce, le maire a pris part personnellement à tous les actes et tous les stades de la procédure de recrutement et cet élément est repris par la Cour de cassation dans la solution qu’elle énonce. Alors qu’il avait le pouvoir de surveiller et d’administrer ces opérations de nomination, il a participé activement à la sélection des candidats, aux entretiens du jury de recrutement et au vote de ce dernier et, postérieurement, il a signé personnellement les arrêtés municipaux de nomination de sa sœur. Son implication personnelle est manifeste. Il importe peu qu’il ait respecté les règles légales de recrutement instaurées par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX) et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986 relatif aux positions de détachement, hors cadres, de disponibilité et de congé parental des fonctionnaires territoriaux (N° Lexbase : L2809G8K).

Il est intéressant de noter que les compétences professionnelles de Madame I. relativement à un poste de directeur général des services ne semblent pas être contestées. Le pourvoi fait état de ses compétences « indiscutées » afin d’occuper ce type de poste. Dès lors, le jury collégial, réuni à la fin de l’année 2014, a reconnu son aptitude en la retenant à l’issue de la présélection et de l’audition. Bien évidemment, le maire était présent. Mais, il est possible qu’elle ait été effectivement la meilleure candidate et la plus qualifiée pour occuper le poste de directeur général des services. C’est la raison pour laquelle le moyen propose que, pour établir un abus de fonction, encore conviendrait-il de démontrer des éléments particuliers, en sus du lien de parenté unissant le maire à sa sœur. La conséquence de l’analyse de l’abus de fonction tel que retenu par l’arrêt revient donc à préconiser une certaine automaticité de l’existence de l’intérêt moral dès que le lien de proximité est établi et que la personne a été impliquée dans le processus. La solution, quoique préventive (mais également répressive) des conflits d’intérêts de l’élu local, ne heurterait peut-être pas l’intérêt général de la commune si Madame I. était la meilleure candidate en vue d’exercer le poste important de directeur général des services.

C’est la raison pour laquelle les parlementaires ont tenté de modifier la lettre de l’article 432- 12 du Code pénal. Le 24 juin 2010, le Sénat a adopté, à l'unanimité, une proposition de loi du sénateur Bernard Saugey visant à clarifier le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts [25]. L'infraction ne sanctionnerait plus la prise d'un intérêt « quelconque » mais celle d'un « intérêt personnel distinct de l'intérêt général ». Il s'agit là d'une expression déjà employée par le juge administratif pour écarter l'application des dispositions de l'article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8666AA9), relatives à la notion de conseiller intéressé, en l'absence d'un intérêt personnel distinct, de celui des autres administrés et notamment en matière associative. Cette modification permettrait ainsi d'écarter expressément du champ des poursuites les situations où les élus concernés siégeant ès qualités de représentants de leur collectivité au sein des instances décisionnaires des organismes extérieurs tels qu'établissements publics ou associations parapubliques, n'y prennent pas un intérêt personnel distinct de l'intérêt général.  Une telle suggestion de modification, qui n’a pas débouché sur la refonte du texte, incite les juges à recentrer la répression sur les élus qui, en conscience, violent le devoir de probité véritablement et manquent d’impartialité, opposée à leur devoir de neutralité. C’est ainsi qu’un arrêt de la Cour de cassation en date du 29 juin 2011 a retenu l’idée soulevée par la proposition de loi, en relevant qu’« attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement constaté la prise d'un intérêt moral par la prévenue, nécessairement distinct de l'intérêt général, a justifié sa décision » [26]. Ainsi, la notion de « convergence » d’intérêts pourrait être circonscrite.

On le voit, la manière dont l’intérêt est apprécié est très importante, surtout lorsqu’il s’agit d’un intérêt de nature extrapatrimoniale. Le flou qui entoure la définition de l’intérêt produit par reflet des conséquences sur le risque pénal qui pèse sur les décideurs publics. Ce risque est fortement ressenti par les élus locaux. C’est ainsi qu’une question prioritaire de constitutionnalité a été formée afin de relever l’absence de conformité au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines de l'article 432-12 du Code pénal. Mais elle n’a pas été transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, au motif que la rédaction de la disposition est bien conforme aux principes de précision et de prévisibilité de la loi pénale dont elle permet de déterminer le champ d'application sans porter atteinte au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines [27].

B - Les conséquences de la caractérisation

La décision commentée tire les conséquences de la commission du délit de prise illégale d’intérêt et du recel de cette infraction sur le choix des peines applicables. La cour d’appel avait condamné respectivement les prévenus à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à un an d’inéligibilité pour l’un et à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour l’autre. Les juges considèrent que chacune de ces peines apparaît proportionnée à la nature et à la gravité des faits, ainsi qu’à la personnalité de leur auteur, jamais condamné.

Le pourvoi critique l’insuffisance de motivation et la Chambre criminelle va casser l’arrêt au visa des articles 132-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9834I3M) et des articles 485 (N° Lexbase : L9916IQC), 512 (N° Lexbase : L7519LP8) et 593 (N° Lexbase : L3977AZC) du Code de procédure pénale. Elle rappelle ainsi « qu’en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ». Elle reproche à la cour d’appel de ne pas mieux s’expliquer sur la gravité des faits, les éléments de personnalité des deux prévenus et leurs situations personnelles respectives. Sur cet élément, la Cour de cassation s’inscrit parfaitement dans le sillage des décisions qu’elle rend depuis l’impulsion initiée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (N° Lexbase : L0488I4T) et les précisions apportées par l’article 132-1 du Code pénal. C’est ainsi que toutes les peines, y compris les peines d’inéligibilité [28] et d’interdiction de gérer [29], très présentes en droit pénal des affaires, doivent être motivées au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale. En l’espèce, pour la Cour, les prévenus, jamais condamnés jusque-là, devaient bénéficier, comme tous les autres prévenus de délits « de droit commun », des exigences de motivation, de personnalisation et de proportionnalité dans le choix de la sanction. En quelque sorte, à une sévérité de principe de la déclaration de culpabilité fondée en grande partie sur la qualité d’élu, doit répondre une juste mesure dans la détermination de la peine.

 

[1] Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390, F-P+B+I (N° Lexbase : A95153GI) ; v. J. Perot, Caractérisation du délit de prise illégale d’intérêt : indifférence de l’intention frauduleuse et exigence de motivation de la peine, Lexbase Pénal, mars 2020, Brèves (N° Lexbase : N2599BYW).

[2] A. Bavitot, La probité publique en droit pénal, PUAM, 2019.

[3] A. Vitu, Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, Cujas, 1982, n° 378.

[4] Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, Pour une nouvelle déontologie, 26 janvier 2011, p. 30 ; J.-M. Brigant, Affaires, conflits d’intérêts, probité… Cachez cette prise illégale d’intérêts que je ne saurais voir, Dr. pén., 2012, étude 3.

[5] H. Matsopoulou, A. Lepage, Droit pénal spécial, PUF, 2015, n° 1041.

[6] V. not., J.-A. Roux, S. 1989, 2, p. 273.

[7] CA Rouen, 18 juillet 1896, S. 1898, 2, p. 272 ; CA Poitiers, 23 mai 1952, DP 1952, p. 501. Cass. crim., 23 juin 1904, Bull. crim., n° 272.

[8] F. Hélie et J. Brouchot, Pratique criminelle des cours et tribunaux, t. II, Droit pénal, édition techniques, 5ème édition, n° 213 ; R. Vouin, Précis de droit pénal spécial, Dalloz 1953, n° 410.

[9] Cass. crim., 21 décembre 1935, Gaz. Pal., 1936, 1, p. 138 ; Cass. crim., 23 décembre 1952, Bull. crim., n° 324 ; Cass. crim., 2 février 1988, n° 87-82.242 (N° Lexbase : A7221AAP) ; Cass. crim., 25 juin 1996, Dr. pén., 1996, comm. 263, obs. M. Véron.

[10] Cass. crim., 18 février 1987, RSC, 1988, p. 83, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire.

[11] Cass. crim., 16 décembre 1975, RSC, 1976, p. 713, obs. A. Vitu.

[12] E. Dupic, La prise illégale d'intérêts ou le mélange des genres, JCP G, 2009, 44.

[13] M. Segonds, Les apports de la jurisprudence au délit de prise illégale d'intérêts (C. pén., art. 432-12), Gaz. Pal., 21 avril 2012, p. 12.

[14] Cass. crim., 20 mars 2019, n° 17-81.975 (N° Lexbase : A8911Y4S), Dalloz Actualité, 12 avril 2019, obs. C. Fonteix ; M.-C. Sordino, Violations du devoir de probité autour de la défiscalisation du marché de la 3G en Nouvelle-Calédonie, AJ pénal, 2019, p. 386.

[15] Cass. crim., 16 décembre 1975, n° 75-91.045 (N° Lexbase : A3153AUC) ; Cass. crim., 21 février 2001, D., 2001, somm. p. 2353, obs. M. Segonds.

[16] Cass. crim., 13 mars 2018, n° 17-86.548, F-D (N° Lexbase : A2083XHM) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 17-81.912, FS-P+B (N° Lexbase : A4461XKG) ; J.-M. Brigant, Prise illégale d’intérêts : des relations sans intérêt (moral) ?, JCP A, n° 22, 4 juin 2018, 2170.

[17] Cass. crim., 21 septembre 2005, n° 04-85.056, F-P+F (N° Lexbase : A7175DKX) ; Cass. crim., 21 juin 2000, n° 99-86.871 (N° Lexbase : A4344CIQ).

[18] Cass. crim., 7 avril 2004, n° 03-82.062, F-D (N° Lexbase : A0666YNY) ; Cass. crim., 30 juin 2010, n° 09-84.040, F-D (N° Lexbase : A5031E8T); Cass. crim., 21 mars 2012, n° 11-83.813, F-D (N° Lexbase : A4077IK9).

[19] Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-87.498, F-P+B (N° Lexbase : A9860HUQ) ; Bulletin d'actualité Lamy Droit pénal des affaires novembre 2011, p. 1, comm. J.-M. Brigant.

[20] Cass. crim., 5 novembre 1998, n° 97-80.419 (N° Lexbase : A2497CGL) ; Cass. crim., 29 septembre 1999, n° 98-81.796 (N° Lexbase : A5592AWZ) ; Cass. crim., 22 octobre 2008, n° 08-82.068, F-P+F (N° Lexbase : A2497EB4).

[21] J.-P. Delmas Saint-Hilaire, L'amenuisement de la consistance de ses composantes tant matérielles que morales se poursuit, RSC, 2005. 560.

[22] V. déjà Cass. crim., 27 novembre 2002, n° 02-81581 (N° Lexbase : A4428A4R).

[23] Cass. crim., 17 décembre 2008, n° 08-82.318, F-P+F (N° Lexbase : A1636ECL).

[24] Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-88.382, F-D (N° Lexbase : A9499N39).

[25] Proposition de loi n° 268 (2008-2009) [en ligne] qui a été par la suite transmise à l'Assemblée nationale (texte n° 2682) [en ligne] ; V. également Rapport de la Commission de réflexion sur la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, 26 janvier 2011, spéc. p. 31 [en ligne].

[26] Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-87.498, F-P+B (N° Lexbase : A9860HUQ), Gaz. Pal., 25 août 2011, n° 237, p. 15, comm. J. Lasserre Capdeville.

[27] Cass. crim., 30 novembre 2011, n° 11- 90.093, F-P+B (N° Lexbase : A1949H4X).

[28] Cass. crim., 1er février 2017, n° 15-84.511, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A7003TAM).

[29] Cass. crim., 1er février 2017, n° 15-85199, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A7004TAN).

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Aide juridictionnelle

[Brèves] Dispositif exceptionnel d’avance sur l’aide juridictionnelle

Réf. : Décret n° 2020-653 du 29 mai 2020 portant diverses mesures liées à l'état d'urgence sanitaire en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat (N° Lexbase : L2357LXL)

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N3520BYZ

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par Marie Le Guerroué

Le 04 Juin 2020

► A été publié au Journal officiel du 31 mai 2020, le décret du 29 mai 2020 portant diverses mesures liées à l'état d'urgence sanitaire en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat (décret n° 2020-653 N° Lexbase : L2357LXL).
L’objet de ce nouveau texte est la mise en place de mesures d'urgence liées à l'état d'urgence sanitaire en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat.

Le décret prévoit un régime exceptionnel d'avance en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat qui s'entend comme une provision au sens de l'article 29 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE). Eu égard aux conséquences de l'état d'urgence sanitaire sur le fonctionnement quotidien de la Justice, le décret prévoit la possibilité de verser une avance exceptionnelle aux avocats justifiant d'une activité minimale à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat en 2018 et 2019. Ces avances exceptionnelles, dont le montant est calculé sur la base des sommes perçues par les avocats en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat au cours des deux précédents exercices, seront remboursées sur les rétributions perçues par les avocats bénéficiaires à compter du versement de l'avance et jusqu'au 31 décembre 2022. Le décret prévoit par ailleurs que le délai de conclusion pour 2020 des conventions locales relatives à l'aide juridique, fixé initialement au 30 avril 2020, soit décalé au 31 juillet 2020 (cf. l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E8635ETY).

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Assurances

[Jurisprudence] Confinement et couverture des pertes d’exploitation d’un restaurateur : la demande de provision est en partie acceptée

Réf. : T. com. Paris, 22 mai 2020, aff. n° 2020017022 (N° Lexbase : A02603ML)

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N3586BYH

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

Le 04 Juin 2020


Les observations de l'auteur sur cette décision sont également à écouter sous forme d'interview, disponible en podcast sur Lexradio.


Nul doute que la présente décision, rendue par le tribunal de commerce de Paris le 22 mai 2020, est la première d’une longue série de solutions qui seront rendues sur le thème de l’incidence du coronavirus sur le contrat d’assurance et plus particulièrement les assurances multirisques professionnelles. Il est important de relativiser son ampleur : il s’agit d’une ordonnance statuant sur une demande de provision au titre d’un contrat d’assurance en particulier. Il ne faut donc pas exagérer les conséquences que l’on peut tirer de la solution. Elle est tout de même l’occasion de faire un point sur l’incidence du coronavirus sur le contrat d’assurance et plus spécifiquement la question des pertes d’exploitation qui a donné lieu à des développements assez nombreux dans les médias. Nous verrons, au fil des décisions qui ne manqueront pas d’être rendues, la façon dont le débat va s’orienter. On peut déjà constater qu’il se situe aussi bien sur le terrain technique que sur le terrain théorique et conduit à ramener à des questionnements essentiels, en particulier, le fait de savoir ce qu’est l’assurabilité d’un risque. On retiendra tout de même de la solution rendue que la demande de provision est accordée du moins pour une partie d’entre elle. La juridiction décide, en effet, de limiter le calcul des pertes au 1er juin 2020, la période postérieure étant incertaine.

La solution est raisonnable, à l’heure où ces lignes sont écrites, le Gouvernement vient d’annoncer la réouverture au public des restaurants. En accédant, sur le principe, à la demande de l’assuré le juge considère, sur le fondement de l’article 872 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0848H48), qu’il n’y a pas de contestation sérieuse. Du point de vue de l’analyse du contrat d’assurance, c’est une indication importante. On voit en tout cas qu’il a refusé de se laisser influencer par les débats qui ont agité les différents acteurs dans la presse. La condition d’urgence, encore imposée par le texte, n’était pas difficile à caractériser tant la fermeture soudaine et totale des entreprises a eu, sur leur santé financière, des conséquences dramatiques. On rappellera à cet égard qu’un arrêté du 14 mars 2020 pris par le ministre de la Santé et des solidarités [1] a interdit l’accueil du public dans un certain nombre d’établissements dont font partie les restaurants et débits de boissons afin de ralentir la propagation du coronavirus. A la suite de demandes d’indemnisation, certains assureurs semblent avoir adopter une attitude de refus systématique lié à l’impossibilité, selon eux, d’assurer un tel risque.

On a pu voir les demandes d’indemnisation se focaliser sur deux fondements : les catastrophes naturelles et les pertes d’exploitation. L’exclusion de la première n’est pas, à la réflexion, si évidente que cela sur le principe. Si les dispositions des articles L. 125-1 et suivants du Code des assurances (N° Lexbase : L5579H9I) semblent avoir pour domaine des phénomènes climatiques, on remarquera qu’à la différence de la définition des calamités agricoles [2], le texte n’est pas aussi précis et vise « l’intensité anormale d’un agent naturel ». Cependant, il s’agit de réparer les dommages matériels directs, catégories dans laquelle n’entrent pas les pertes ressenties par les entreprises à la suite de la décision de fermeture au public. C’est la principale raison pour laquelle il convient d’écarter cette garantie. Un régime d’indemnisation propre aux catastrophes sanitaires est donc à créer. C’est une des propositions faites par les assureurs [3]. Elle ne satisfait évidemment pas les professionnels qui recherchent l’indemnisation de leurs pertes actuelles.

Reste donc la prise en charge des pertes d’exploitation au titre du contrat d’assurance conclu par le professionnel. C’est l’enjeu du présent litige : l’assuré sollicite le versement de provisions et la désignation d’un expert. En répondant aux arguments des parties, la juridiction écarte l’argument de l’impossibilité d’assurer en se concentrant sur la stricte application du contrat.

I - Une stricte application du contrat

La perspective est claire selon la juridiction : « nous avons à nous prononcer sur l’application d’un contrat d’assurance précis […] constituant la loi des parties ». Elle s’appuie sur cette affirmation pour écarter l’argument de l’inassurabilité invoqué par l’assureur. Il faut la prendre aussi pour ce qu’elle rappelle. En matière d’assurance facultative, on ne peut demander si le contrat conclu par un restaurateur comporte la couverture d’une épidémie. Il faut vérifier pour chaque contrat conclu qu’il couvre bien ce type de dommages dans ces circonstances.

De nombreux collègues ont rappelé qu’en la matière on peut trouver différentes situations [4]. La couverture des pertes d’exploitation peut être un dommage pris en charge comme conséquence d’un événement principal par ailleurs pris en charge par le contrat (incendie, dégâts de eaux…). Dans ce cas, la prise en charge des pertes d’exploitation consécutives à l’arrêté du 14 mars 2020 n’est pas possible.

Dans d’autres contrats, on trouve une prise en charge plus autonome des pertes d’exploitation et notamment à l’occasion d’une fermeture administrative de l’établissement. Dans ce cas, les pertes d’exploitation pourraient faire l’objet d’une prise en charge à moins que l’assureur n’ait stipulé une exclusion conventionnelle de garantie visant les épidémies ou les pandémies. Cette clause fonde le refus de l’assureur de prendre en charge les conséquences indiquées pour autant qu’elle figure dans un document opposable à l’assuré, qu’elle soit stipulée en caractères très apparents et qu’elle soit formelle et limité. La jurisprudence ayant précisé que la clause devant être interprétée ne peut être formelle et limitée. La présente chronique se fait souvent l’écho de l’application de ces conditions [5]. On peut s’attendre dans les semaines et les mois à venir que de tels contrats donnent lieu à des litiges car toutes ces conditions sont autant de bonnes raisons de discuter du bien-fondé du refus de l’assureur.

On peut, enfin, trouver une troisième situation qui semble correspondre à notre hypothèse considérant les éléments retenus dans l’ordonnance. Dans celle-ci, la couverture des pertes d’exploitation est prévue en cas de fermeture « par une autorité administrative compétente » et elle vise certaines circonstances : la fermeture doit être consécutive à une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication. Dans ces conditions, on comprend que la juridiction ait décidé que la demande de provision ne se heurtait pas à une contestation sérieuse. Il faut dire que les arguments invoqués par l’assureur paraissent assez faibles. Il a, d’abord, remis en cause le caractère autonome de la prise en charge des pertes d’exploitation, alors que les deux conditions de celles-ci paraissent claires. Il a, ensuite, discuté la notion d’autorité compétente pour faire valoir qu’elle ne saurait être un ministre mais bien plutôt un préfet. Si l’ordonnance constate qu’aucune clause n’exclut une décision du préfet, on peut aussi faire valoir qu’en l’absence de précision dans la clause, il suffit que l’autorité soit compétente, ce qui est le cas du ministre.

Enfin, l’assureur fait valoir un dernier argument. Selon lui, l’arrêté du 14 mars 2020 n’interdit que l’accès au public, il n’empêche pas la poursuite de l’activité par l’entreprise. La décision de fermeture de l’établissement est donc propre à l’assuré et ne résulte pas d’une décision administrative : il aurait pu se lancer dans la vente à emporter. L’argument n’a pas convaincu le tribunal. A la réflexion il n’est pas fondé. D’une part, on remarquera que le passage d’une activité d’accueil à une activité de livraison est un changement d’activité qui pourrait être considéré comme une aggravation du risque et nécessiter une information de l’assureur pouvant aboutir à la résiliation du contrat [6]. Autant dire qu’elle n’a pas le caractère de simplicité que semble lui prêter l’assureur. D’autre part, on peut se demander si un tel argument ne revient pas à imposer à l’assuré de limiter son préjudice en cas de sinistre. On sait qu’en l’absence de stipulation dans la police, une telle obligation n’existe pas dans notre droit [7]. Dans les litiges à venir, on verra cependant si la notion de fermeture administrative, qui conditionne l’obtention de la garantie, fait ou non l’objet d’un débat aboutissant à la nécessité de l’interpréter.

L’assureur pouvait-il invoquer d’autres arguments pour soutenir le caractère sérieux de la contestation ? Jouer sur la référence à l’épidémie en faisant valoir que la mesure concerne une pandémie ? Ce n’est pas certain dans la mesure où la différence entre les deux tient à l’ampleur géographique de la contamination. La pandémie existe lorsque plusieurs pays sont touchés par différents foyers infectieux. N’existait-il pas en l’espèce une clause d’exclusion qu’il puisse faire valoir ? Dans certains contrats couvrant des pertes d’exploitation dans des conditions identiques, on trouve une clause excluant la garantie si, à la date de décision de fermeture, au moins un autre établissement a fait l’objet, sur le même territoire départemental, d’une même mesure pour une cause identique. Une telle clause aurait vocation à s’appliquer ici pour autant que sa validité ne soit pas remise en cause. En effet, on pourrait discuter de sa clarté et de sa précision mais surtout de son caractère limité. En cas d’épidémie, normalement couverte, ne revient-elle pas purement et simplement à supprimer la garantie ?

Ces dernières considérations nous conduisent tout naturellement à aborder la question de la possibilité d’assurer les conséquences d’une épidémie telle que celle due par le covid 19.

II - Une impossibilité d’assurer ?

Dans la présente affaire l’assureur prétend que les conséquences financières de la pandémie sont inassurables [8]. La juridiction s’en tient à l’absence de texte d’ordre public posant cette inassurabilité pour rejeter l’argument. La remarque est une bonne base de réflexion car il existe des textes équivalents en droit des assurances. On songe en particulier à l’exclusion légale des phénomènes de violence telle qu’elle résulte de l’article L. 121-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0084AAD) : pertes et dommages occasionnés par la guerre étrangère, la guerre civile, les émeutes et mouvements populaires. Précisons tout de suite que l’exclusion n’est pas, dans ce cas, d’ordre public : elle autorise la convention contraire. Pourquoi ? Parce que ces circonstances ne sont pas, par leur nature, incompatibles avec la technique de l’assurance mais on présume que, par leur ampleur, l’assureur n’a pas voulu les prendre en charge. Il peut cependant les assumer s’il le souhaite et il utilisera les techniques habituelles de délimitation de la garantie pour maîtriser cette garantie. Il en va différemment de la faute intentionnelle ou de la nouvelle faute dolosive qui, en tuant l’aléa, sont impossibles à couvrir : l’exclusion est d’ordre public [9]. Les conséquences financières d’une pandémie sont d’une nature proche des phénomènes de violence : elles ne sont pas incompatibles avec la technique d’assurance mais l’ampleur de leurs conséquences rend difficile une prise en charge. La meilleure preuve de leur assurabilité est certainement… le fait qu’elles le sont puisque, comme nous venons de le voir, certains contrats les couvrent ! Au fond, ce constat un peu circulaire permet de rappeler que c’est l’assureur qui, en dehors de l’hypothèse d’assurance obligatoire ou d’extension légale de garantie, est juge de l’assurabilité. Nous avons présenté les différents cas de prise en charge ou de non-prise en charge du risque d’épidémie qui illustrent les choix faits.

La question qui se pose n’est plus, dès lors, celle de l’assurabilité du risque, mais plutôt celle de la prise en charge d’un risque assuré mal maîtrisé.

Mal maîtrisé, il l’est en ce sens qu’il se révèle par son ampleur, dépasser les prévisions de l’assureur. Dans cette hypothèse, les assureurs se tourneront peut-être vers le droit commun des contrats. Ils pourront difficilement faire valoir la force majeure [10] car ils ne se trouvent pas empêchés d’exécuter leurs obligations. Ils seront certainement tentés d’invoquer l’imprévision dans les cas où ils ont accordé leur garantie [11].

La gestion de l’imprévision telle qu’elle est définie et organisée par l’article 1195 du Code civil (N° Lexbase : L0909KZP) trouvera difficilement sa place dans le contrat d’assurance. Peut-on réellement admettre que l’assureur qui doit assumer un risque qui dépasse ses prévisions se trouve dans le cas d’ « un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat » rendant « l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque » ? Cela paraît difficile. En la matière, où la prise en charge d’un ou plusieurs risques est la substance même du contrat, une autre solution a été adoptée dans le cas où l’engagement de l’assureur, à la suite de la survenance du sinistre, paraît d’une ampleur considérable. Le législateur lui a, en effet, donné la possibilité de ne plus couvrir le risque qu’il estime trop coûteux après avoir assumé les sinistres qui l’ont conduit à ce constat : il s’agit de la résiliation après sinistre. Autrement dit, cela revient à considérer que, lorsque l’assureur a promis de couvrir un risque, il ne peut refuser de le prendre en charge que pour l’avenir. Pour ce qui concerne le cas qui nous occupe, nous avons vu que la couverture est loin d’être systématique, ce qui éloigne le spectre d’une catastrophe économique. Cette logique n’est d’ailleurs pas propre au domaine des assurances : le cocontractant qui voudrait se prévaloir des dispositions de l’article 1195 du Code civil a comme obligation première de continuer à exécuter ses obligations. Le droit des assurances et la théorie générale des contrats se retrouvent sur ce point. La perspective qui s’ouvre est donc bien différente de celle consistant à proposer, au mieux, une couverture des futures pandémies.

 

[1] Arrêté du 14 mars 2020, NOR : SSAZ2007749A (N° Lexbase : Z229179S), art. 1er : « Afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l'article GN1 de l'arrêté du 25 juin 1980 susvisé figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public … »

[2] C. rur., art. L. 361-5 : “variations anormales d’intensité d’un agent naturel climatique ». Une proposition de loi n° 2809 du 7 avril 2020 se propose justement d’y ajouter les « risques d’importance exceptionnelle dus à des évènements sanitaires, notamment des maladies infectieuses à transmission vectorielle ».

[3] FFA, communiqué de presse du 22 avril 2020.

[4] A. Pélissier, obs. sous Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-25.377 (N° Lexbase : A93433DE), RGDA, 2020, 117k3.

[5] Par exemple : Cass. civ. 2, 24 mai 2018, n° 17-16.431, F-D (N° Lexbase : A5466XP7), et nos obs. in chron., Lexbase, éd. priv., n° 747, 2018 (N° Lexbase : N4735BXN).

[6] C. assur., art. L. 113-2 (N° Lexbase : L9563LGB) et L. 113-4 (N° Lexbase : L0063AAL).

[7] B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, LGDJ, 3éme éd., 2018, n° 460 s. - J. Kullmann, Minimiser son dommage ?, mél. Lambert, Dalloz, 2002, p. 243 s. - S. Tisseyre, Le devoir de minimiser son dommage, l’hostilité du droit français est-elle toujours opportune ?, RCA, 2016, étude 1.

[8] L. Mayaux, Coronavirus et assurance, JCP éd. G, 2020, 195.

[9] Pour deux exemples récents : Cass. civ. 2, 20 mai 2020, deux arrêts, n° 19-14.306 (N° Lexbase : A83323L8), et n° 19-11.538 (N° Lexbase : A06493MY), F-P+B+I.

[10] C. civ., art. 1218 (N° Lexbase : L0930KZH).

[11] P.-G. Marly, LEDA, 2020, n° 112p9. - L. Mayaux, Imprévisibilité et assurance, d’un Code à l’autre, RGDA, 2017, 114e5.

newsid:473586

Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] L’appréciation des motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat par le juge disciplinaire

Réf. : Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-25.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A83303L4)

Lecture: 16 min

N3590BYM

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par Aurélie Cappello, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne Franche-Comté

Le 04 Juin 2020

Mots-clefs : Commentaire • Avocat • Affaire "Berton" • Commission d'office • Faute disciplinaire • Procès équitable 


 

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 2020 constitue un nouvel épisode de la célèbre affaire « Berton » qui anime le monde de la Justice depuis maintenant six ans [1].

En mai 2014, un individu comparaît en appel devant la cour d’assises de Saint-Omer du chef d’assassinat. Il est assisté de deux avocats célèbres, Maître Dupond-Moretti et Maître Berton. Le procès prend, néanmoins, une dimension particulière lorsque ces derniers décident de se retirer, avec l’accord de l’accusé, estimant que le procès ne peut être tenu conformément aux exigences du procès équitable, suite à divers propos tenus à leur encontre par l’avocat général et au rejet de plusieurs de leurs demandes, notamment de renvoi devant une autre cour d’assises. L’assistance de l’avocat étant obligatoire devant la cour d’assises [2], la présidente de la juridiction n’a d’autre solution que de désigner un avocat d’office. On rappellera que la désignation d’office de l’avocat s’impose lorsque l’accusé veut ou doit (comme ici) être assisté d’un avocat et qu’il n’en désigne pas un lui-même, et qu’elle est effectuée soit par le président de la juridiction lorsqu’elle intervient au moment de l’audience, soit par le Bâtonnier dans les autres cas [3]. La présidente de la juridiction choisit donc un avocat, en l’occurrence Maître Berton. Celui-ci fait alors valoir sa clause de conscience comme l’y autorise l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : « L’avocat régulièrement commis d’office par le Bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le Bâtonnier ou par le président » [4]. La présidente rejette les motifs invoqués par l’avocat et maintient la commission d’office. Maître Berton (et son client, d’ailleurs) manifeste son opposition en quittant la salle d’audience. Il ne s’y présente plus par la suite. L’affaire prend alors deux directions différentes, l’une au sujet de l’accusé, l’autre au sujet de l’avocat.

L’accusé, d’abord. Il est condamné par la cour d’assises le 22 mai 2014 à vingt-cinq ans de réclusion criminelle et forme un pourvoi contre cet arrêt. La Chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce le 24 juin 2015 et rejette ses arguments [5]. L’avocat, ensuite. En janvier 2017, le parquet général de Lille décide d’engager des poursuites disciplinaires contre lui [6]. Dans le cadre de cette procédure, il soulève une QPC mettant en cause l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). Celle-ci est transmise à la Cour de cassation puis renvoyée au Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 4 mai 2018, déclare la disposition conforme à la Constitution [7]. Le 5 juillet 2018, le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d’appel de Douai relaxe l’avocat considérant qu’aucune faute disciplinaire ne peut être relevée contre lui. Toutefois, la cour d’appel de Douai, le 21 novembre 2018 infirme la décision de première instance et prononce à l’encontre de Maître Berton la sanction disciplinaire de l’avertissement (la moins grave des sanctions prévues par l’article 184 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat) [8]. Maître Berton forme alors un pourvoi. La première chambre civile de la Cour de cassation se prononce le 20 mai 2020 et casse l’arrêt de la cour d’appel.

L’affaire suscite l’intérêt de tout le monde de la justice et surtout des avocats. Ils étaient d’ailleurs largement représentés devant le Conseil constitutionnel qui a entendu les observations, en intervention ou en tant que requérant, des Ordres des avocats aux barreaux de Lille, des Hauts-de-Seine, de Lyon et de Versailles, du Conseil National des Barreaux, du syndicat des avocats de France et de l’association Grand Barreau de France. Devant la première chambre civile, l’Ordre des avocats au barreau de Lille a d’ailleurs également formé un pourvoi qui a été joint à celui de Maître Berton en raison de leur connexité. Néanmoins, sur le fondement des articles 609 (N° Lexbase : L6766H7Q) et 611 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6768H7S) et aux motifs qu’il « résulte de ces textes que nul ne peut se pourvoir en cassation contre une décision à laquelle il n’a pas été partie, à moins qu’elle n’ait prononcé une condamnation contre lui » et que « l’Ordre des avocats n’est pas partie à l’instance » en matière disciplinaire, ce pourvoi a été jugé irrecevable. Cet intérêt pour l’affaire « Berton » ne devrait pas s’éteindre immédiatement puisqu’elle est désormais renvoyée devant la cour d’appel de Paris.

Mais cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation marque tout de même un tournant important. Alors que la décision du Conseil constitutionnel avait pu paraître décevante aux yeux de certains et n’avait finalement accordé qu’une compensation limitée à l’avocat en insistant seulement sur la possibilité de contester la décision du président de la cour d’assises (I), la Cour de cassation revient sur cette possibilité et fait en sorte de la rendre effective (II).

I - La possibilité de contester la décision du président de la juridiction, une compensation limitée

En vertu de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971, lorsqu’un avocat désigné ou commis d’office n’entend pas assurer son ministère, il doit faire approuver les raisons de son refus par la personne qui l’a désigné ou commis, soit le Bâtonnier, soit, comme dans l’affaire qui nous retient, le président de la juridiction. Ce dernier approuve ou rejette les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat. Dans le premier cas, il doit désigner un autre défenseur. Dans le second cas, l’avocat est tenu d’assurer son ministère et le fait de persister dans son refus et de ne pas se présenter à l’audience peut être constitutif d’une faute disciplinaire susceptible d’être sanctionnée [9].

Aucun recours direct n’est ouvert contre la décision du président de la juridiction. Toutefois, une contestation est tout de même envisageable, comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 mai 2018 et comme le rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt, en précisant que les décisions du Conseil s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles : « si le refus du président de la cour d’assises de faire droit aux motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office n’est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé à l’occasion d’un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l’avocat à l’occasion de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises ».

Dès lors, deux recours « indirects » contre la décision du président de la juridiction sont ouverts. Le premier est celui de l’accusé qui peut contester la régularité du rejet des motifs d’excuse ou d’empêchement par le magistrat dans le cadre de son procès, devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Ce recours a été mis en œuvre dans l’affaire qui nous retient et la Haute juridiction s’est prononcée le du 24 juin 2015 en rejetant le pourvoi [10]. Le second est celui de l’avocat qui peut faire de même devant les instances disciplinaires amenées à juger de l’existence d’une faute de sa part et de la nécessité de prononcer une sanction à son encontre. Des poursuites disciplinaires ont bien été exercées dans notre affaire et ce second recours « indirect » a donc aussi été mis en œuvre. Le conseil régional de discipline a considéré, le 5 juillet 2018, qu’aucune faute ne pouvait être reprochée à l’avocat notamment parce que son refus persistant constituait « un acte de défense ». La cour d’appel de Douai, le 21 novembre 2018 a infirmé cette décision et rejeté les motifs invoqués par l’avocat.

Ces deux recours « indirects » semblent être une bien maigre consolation lorsque l’on mesure les lacunes que présente la procédure de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971. D’abord, cette procédure est en contradiction avec l’indépendance de l’avocat puisqu’il est censé se soumettre à un ordre du juge et met à mal l’impartialité du magistrat qui à la fois désigne l’avocat de l’accusé, contre son avis et parfois même, comme ici, contre l’avis de l’accusé, et préside les débats qui conduiront à l’appréciation du bien-fondé de l’accusation. Ensuite, le second recours, celui de l’avocat, est subordonné à l’existence de poursuites disciplinaires. A défaut de telles poursuites, l’avocat n’aura donc pas la possibilité de remettre en cause l’appréciation portée par le président de la juridiction. En outre, la situation dans laquelle est placée l’avocat est particulièrement critiquable. Que peut-il ou doit-il faire en attendant l’exercice de ces recours ? Soit il refuse la mission qui lui est confiée, comme en l’espèce, et il s’expose à des poursuites dans le cadre desquelles il pourra enfin faire entendre ses motifs d’excuse ou d’empêchement, soit il accepte la mission qui lui est confiée. Mais, dans ce dernier cas, s’il est convaincu de ne pas pouvoir l’assurer correctement, l’effectivité des droits de la défense paraît douteuse. Ceci est encore plus vrai s’il adopte la conduite proposée par la cour d’appel de Douai elle-même : « rester présent dans la salle d’audience et observer, le cas échéant, le silence ». Enfin, l’avocat étant tenu au secret professionnel et ne pouvant « révéler aucun élément susceptible de nuire à la défense de l’accusé » [11], sa liberté de parole, face au juge, dans l’exposé des motifs d’excuse ou d’empêchement, est limitée. Ceci est aussi vrai lorsque, comme dans l’affaire qui nous retient, ces motifs tiennent à l’attitude même des membres de la juridiction et créé, de fait, « une défiance réciproque entre la juridiction et l’avocat » [12]. Pour remédier à cette difficulté, une partie de la doctrine et de nombreux avocats proposent de réformer les modalités de la commission d’office de l’avocat prévues à l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971. Deux options sont envisagées. La première consiste en ce que le Bâtonnier soit le seul à apprécier les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat, ce qui permettrait que le président de la juridiction ne soit plus juge de sa propre décision [13]. La seconde vise à imposer que le Bâtonnier soit saisi après le rejet des motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat par le président de la juridiction, « afin qu’il décide, après s’être entretenu de manière confidentielle avec l’avocat, soit de confirmer la commission ordonnée, soit de commettre un autre avocat » [14].

            La première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 20 mai 2020 ne revient pas sur ces critiques qui ont déjà fait l’objet d’un examen et d’un rejet par le Conseil constitutionnel. En revanche, elle s’attache à donner toute son effectivité au recours « indirect » de l’avocat dans le cadre des poursuites disciplinaires.

II - La possibilité de contester la décision du président de la juridiction, une compensation effective

Les deux recours « indirects » contre la décision du président de la juridiction de rejeter les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat, sont, sans aucun doute, une compensation limitée face à toutes les difficultés que soulève l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971. Mais la première chambre civile de la Cour de cassation s’attache ici à ne pas faire du second de ces recours, celui de l’avocat dans le cadre des poursuites disciplinaires, une coquille vide, en apportant deux précisions essentielles. 

D’abord, elle indique « qu’il incombe au juge, saisi de poursuites disciplinaires contre l’avocat qui n’a pas déféré à une commission d’office, de se prononcer sur la régularité de la décision du président de la cour d’assises rejetant les motifs d’excuse ou d’empêchement qu’il avait présentés pour refuser son ministère et, par suite, de porter une appréciation sur ces motifs ». Il ne s’agit pas, pour le juge disciplinaire, ici la cour d’appel, de contrôler seulement la régularité formelle de la décision du président de la cour d’assises ; il doit aussi contrôler le bien-fondé des motifs invoqués par l’avocat.

            Cette première précision est essentielle. En effet, si le président de la juridiction doit apprécier les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat, il n’a pas à motiver sa décision de rejet. Ainsi, l’avocat, comme l’accusé, ne sont pas informés des raisons qui justifient que la commission d’office soit maintenue. Dès lors, il est nécessaire que le juge disciplinaire procède à un examen sur le fond des motifs de renoncement de l’avocat. La solution inverse n’aurait aucun sens : quel serait l’intérêt de la décision du Conseil constitutionnel qui met en avant cette possibilité pour l’avocat de contester la décision du juge dans le cadre des poursuites disciplinaires ? Et quel serait l’intérêt de cette contestation de l’avocat si le juge disciplinaire ne contrôlait pas ses motifs d’excuse ou d’empêchement ? Ceci est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, le président de la juridiction reconnaît, lors de son audition dans le cadre de l’enquête disciplinaire, ne pas avoir réellement contrôlé les motifs de l’avocat… Dès lors, la cour d’appel ne pouvait affirmer, de manière générale, que « le refus de l’avocat de se soumettre à la commission d’office de la présidente d’une cour d’assises caractérise une faute disciplinaire lorsque les motifs d’excuse présentés par l’avocat n’ont pas été retenus par la présidente de la cour d’assises ». Elle devait examiner et apprécier les motifs invoqués par l’avocat pour décider si son refus de se soumettre à la désignation du juge constituait ou non une faute disciplinaire.

En outre, la Cour de cassation affirme que « pour apprécier le caractère fautif du refus de l’avocat de déférer à la commission d’office, (il incombe à la cour d’appel) de procéder elle-même à l’examen des motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués (par l’avocat) ». La cour d’appel ne peut, dès lors, se contenter de reprendre l’appréciation portée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans le cadre du recours « indirect » de l’accusé contre la décision du président de la juridiction. La première chambre civile de la Cour de cassation accueille donc l’argument du pourvoi selon lequel « le juge disciplinaire exerce […] un contrôle autonome, qui lui est propre, distinct de celui exercé dans le cadre du pourvoi formé par l’accusé ». Les deux recours « indirects » sont donc indépendants et distincts, les instances et juridictions disciplinaires devant apprécier elles-mêmes les motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat.

En l’espèce, la cour d’appel avait, d’abord, rappelé les arguments de l’avocat tenant, pour l’essentiel, à l’impartialité de la juridiction : « l’animosité de l’avocat général occupant le siège du ministère public, un calendrier de procédure établi sans consultation préalable des avocats de la défense et la volonté de la présidente de la cour d’assises d’éviter la présence des deux avocats choisis ». Elle avait, ensuite, retenu que ces arguments avaient déjà été rejetés par l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 juin 2015 et en avait conclu qu’il y avait lieu « de confirmer la décision de la présidente de la cour d’assises de ne pas retenir les motifs d’excuse présentés (par l’avocat) ». Elle s’était donc entièrement reposée sur l’appréciation portée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. On précisera, pour rappel, que la Chambre criminelle avait considéré, d’une part, que les éléments invoqués n’étaient pas de nature à remettre en cause l’impartialité du magistrat, et, d’autre part, que la continuité des débats, malgré l’absence de l’accusé et de son avocat, devait être assurée, puisque cette absence leur était imputable. Mais, quelle que soit l’appréciation portée par la Chambre criminelle, celle-ci ne peut être reprise par la cour d’appel dans le cadre des poursuites disciplinaires contre l’avocat, sans qu’il ne soit procédé à un examen au fond des motifs d’excuse ou d’empêchement qu’il invoque.

            On relèvera, pour conclure, que l’arrêt de la cour d’appel de Douai présentait une autre lacune : il ne mentionnait pas que la personne faisant l’objet des poursuites disciplinaires et son avocat avaient eu communication des conclusions écrites du ministère public, pour pouvoir y répondre. Pour toutes ces raisons, la dernière étant, à notre sens, secondaire compte tenu de la nature de l’affaire en cause, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Douai et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris. On attend désormais avec impatience que celle-ci se prononce et mette, peut-être, un point final à cette saga judiciaire.


[1] Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-25.136, FS-P+B+I.

[2] C. proc. pén., art. 317 (N° Lexbase : L3715AZM).

[4] Voir, également, l’article 6, alinéa 2, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat (N° Lexbase : L6025IGA) : « L’avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission ».

[5] Cass. crim., 24 juin 2015, n° 14-84.221, FS-P+B+I, (N° Lexbase : A6748NLI), Bull. Crim. n° 833 ; J-B. Perrier, Inefficacité stratégique de l’absence de l’avocat devant la cour d’assises, AJDP, 2016, n° 1, p. 38 ; C. Ribeyre, Remarques sur l’absence bien encombrante des avocats devant une cour d’assises, JCP G, 2015, n° 39, p. 1679 ; A-S. Chavent-Leclère, Les limites à la défense de rupture, Procédures, 2015, n° 8, p. 26.

[6] Voir le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).

[7] Cons. const., décision n° 2018-704 QPC, du 4 mai 2018 (N° Lexbase : A1936XMN), JORF n° 122 du 30 mai 2018, texte n° 108 ; M. Haas et A. Manon, Excuse constitutionnellement rejetée, Droit pénal, 2018, n° 6, p. 58 ; C. Ribeyre, Conformité à la Constitution de l’obligation faite à l’avocat commis d’office de faire approuver par le président de la cour d’assises ses motifs de refus ou d’empêchement, JCP G, 2018, n° 27, p. 1312 ; A. Cappello, L’appréciation des motifs d’excuse de l’avocat par le président de la cour d’assises jugée conforme à la Constitution, Lexbase Pénal, 2018, n° 6.

[8] CA Douai, 21 novembre 2018, n° 18/03942 (N° Lexbase : A9209YQ7) ; M. Boissavy, La conscience de l’avocat et les droits de la défense face à la commission d’office par le président d’une juridiction pénale, Lexbase Edition Professions, 2018, n° 276.

[9] Cass. civ. 1, 2 mars 1994, n° 92-15.363 (N° Lexbase : A2054CLN)

[10] Cass. crim., 24 juin 2015, n° 14-84.221, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6748NLI), préc..

[11] Cons. const., décision n° 2018-704 QPC, du 4 mai 2018 (N° Lexbase : A1936XMN), préc., considérant 8.

[12] M. Boissavy, La conscience de l’avocat et les droits de la défense face à la commission d’office par le président d’une juridiction pénale, préc..

[13] C’est la solution qui était mise en avant par les représentants des avocats devant le Conseil constitutionnel. Voir, également, A. Cappello, L’appréciation des motifs d’excuse de l’avocat par le président de la cour d’assises jugée conforme à la Constitution, préc..

[14] Voir, M. Boissavy, La conscience de l’avocat et les droits de la défense face à la commission d’office par le président d’une juridiction pénale, préc..

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Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Déclaration d'appel dans le cadre de litiges nés à l’occasion d’un contrat de travail d’un avocat : les actes de constitution et les pièces peuvent être valablement adressées par RPVA

Réf. : Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-11.450, F-P+B+I (N° Lexbase : A05343MQ)

Lecture: 4 min

N3529BYD

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par Marie Le Guerroué

Le 04 Juin 2020

► Pour les litiges nés à l’occasion d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail d’un avocat, relevant de la compétence du Bâtonnier et portés devant la cour d’appel, la déclaration d'appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d’appel par la voie électronique par le biais du RPVA.

Ainsi statue la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 19 mars 2020 (Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-11.450, F-P+B+I N° Lexbase : A05343MQ)

Faits. Un avocat salarié, avait saisi un Bâtonnier du différend l’opposant à une société d’avocats à la suite de son licenciement par cette dernière. Ce dernier ayant été débouté de l’intégralité de ses demandes par une ordonnance du 22 mai 2018, il avait relevé appel de cette décision par une première déclaration faite au greffe de la cour d’appel le 11 juin 2018, puis par la voie du réseau privé virtuel des avocats (le RPVA) le 12 juin 2018.

Moyen. L’avocat fait grief à l'arrêt rendu par la cour d’appel de Riom (CA Riom, 22 janvier 2019, n° 18/01208 N° Lexbase : A2264YUE) de dire que les deux déclarations d'appel qu’il avait formées étaient irrecevables alors que « l'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application des articles 152 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), de la déclaration d'appel formée contre la décision du Bâtonnier rendue dans le cadre d'un litige né à l'occasion du contrat de travail d'un avocat salarié, peut être effectué conformément aux dispositions du titre vingt et unième du livre premier du Code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel (N° Lexbase : L3316IKZ). Pour la formalisation, dans le cadre de la mise en œuvre de la communication électronique, de l'appel prévu par les articles 152 et 16 du décret du 27 novembre 1991, le destinataire de la déclaration d'appel est le greffe de la cour d'appel. Dès lors, en jugeant que les règles prévues par l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 avaient seules vocation à s'appliquer en l'espèce, à l'exclusion des dispositions de l'article 748-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0378IG4), la cour d'appel a violé les articles 16, 142 et 152 du décret du 27 novembre 1991, ensemble les articles 748-1, 748-3 (N° Lexbase : L1183LQU) et 748-6 (N° Lexbase : L1184LQW) du Code de procédure civile et l'article 1 de l'arrêté du garde des Sceaux du 1er 5 mai 2010.

Réponse de la Cour. La Cour rend sa décision au visa des articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), ensemble les articles 748-1, 748-3 et 357, 748-6 du Code de procédure civile et de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel. Elle en déduit qu’il résulte de la combinaison des quatre derniers de ces textes que, pour les litiges nés à l’occasion d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail d’un avocat, relevant de la compétence du Bâtonnier et portés devant la cour d’appel, la déclaration d'appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d’appel par la voie électronique par le biais du RPVA. Pour déclarer l’appel irrecevable, l’arrêt, après avoir relevé que la seconde déclaration d’appel de l’avocat avait été reçue par le RPVA, retient que la procédure particulière d’appel prévue pour les recours exercés à l’encontre des décisions du Bâtonnier par l’article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 a seule vocation à s’appliquer, s’agissant d’une instance ordinale et non prud’homale.

Cassation. Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a donc violé les textes susvisés et censure l'arrêt rendu le 22 janvier 2019 par la cour d'appel de Riom (cf. l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E9235ET9).

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Le plafonnement du déplafonnement est constitutionnel : de la « quadrature du cercle à la « patate chaude » !

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-837 QPC, du 7 mai 2020 (N° Lexbase : A27633LW)

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N3541BYS

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par Jean-Pierre Dumur, MRICS, Expert agréé par la Cour de cassation

Le 04 Juin 2020

Le 7 mai 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce, (N° Lexbase : L5035I3U) instituant « le plafonnement du déplafonnement » en application de l’article 11 de la loi « Pinel » du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D).

I - Le « plafonnement du déplafonnement : qu’est-ce que c’est ?

En matière de baux commerciaux, l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9) énonce comme principe, que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative : « Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1°) - les caractéristiques du local considéré,
2°) - la destination des lieux,
3° - les obligations respectives des parties,
4°) - les facteurs locaux de commercialité,
5°) - les prix couramment pratiqués dans le voisinage ».

Toutefois, le décret du 3 juillet 1972, modifiant le décret du 30 septembre 1953, a imposé une exception au principe : il s'agit de la règle dite « du plafonnement » visée par l’article L. 145-34 du Code de commerce.

Avant la mise en œuvre de la loi « Pinel » du 18 juin 2014, l’article L. 145-34 disposait : « A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié. En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif. Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans ».

Il résultait de la combinaison de ces deux articles que, sauf dans quelques cas particuliers (terrains, locaux monovalents, bureaux), le « plafonnement » du loyer s’appliquait de plein droit, sauf :
- aux baux conclus ou renouvelés pour une durée supérieure à neuf ans ;
- aux baux au cours desquels on avait constaté une modification notable d’un des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 (voir ci-dessus) ;
- aux baux initialement conclus ou renouvelés pour une durée contractuelle non supérieure à neuf ans mais dont la durée effective, par l'effet d'une tacite prolongation, avait  excédé douze ans.

C’est l’article 11 de la loi « Pinel » du 18 juin 2014 qui a institué, à effet du 1er septembre 2014, le « plafonnement du déplafonnement », en ajoutant un dernier alinéa à l’article L. 145-34 : « « en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du Code de commerce ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation du loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ».

Paradoxalement, le  « plafonnement du déplafonnement » s’applique aussi bien aux baux conclus ou renouvelés pour une durée supérieure à neuf ans, qu’aux baux au cours desquels on a constaté une modification notable d’un des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33, mais il ne s’applique pas aux baux initialement conclus pour une durée contractuelle non supérieure à neuf ans mais dont la durée effective, par l'effet d'une tacite prolongation, a excédé douze ans... certainement un oubli du législateur !

II - L’arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2020

C’est à propos de cette nouvelle disposition législative que la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, dans un arrêt du 6 février 2020 (Cass. civ. 3, 6 février 2020, n° 19-19.503, QPC, FS-P+B N° Lexbase : A92773DX).

Dans cette affaire, un propriétaire avait consenti un bail commercial à un preneur qui en avait sollicité le renouvellement. Le principe du renouvellement avait été accepté par le bailleur, mais les parties ne s’étaient pas entendues sur le montant du nouveau loyer.

Le preneur a alors assigné le bailleur devant le juge des loyers commerciaux, lequel a fixé le prix du bail renouvelé à la valeur locative, mais avec application de la règle du « lissage » institué par la loi « Pinel ».

Le bailleur ayant interjeté appel, la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 3 avril 2019, n° 17/21462 N° Lexbase : A0583Y84) a confirmé la décision de première instance, en indiquant que la loi « Pinel » était applicable au bail renouvelé.

C’est à l’occasion du pourvoi formé contre la décision de la cour d’appel, que le bailleur a posé par mémoires distincts deux questions prioritaires de constitutionnalité dont l’une, en deux branches, relative aux dispositions de l’article L. 145-34 du Code de commerce :

Première branche : « Les dispositions du premier alinéa de l'article L. 145-34 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, en ce que, appliquées aux contrats de bail commercial renouvelés postérieurement à leur entrée en vigueur, mais qui avaient initialement été conclus sous le régime antérieur, elles conduisent à une modification de l'indice servant de base au calcul du plafond du loyer en renouvellement, portent-elles à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, en méconnaissance des articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 et méconnaissent-elles le droit de propriété, tel qu'il est protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1359A99) »  

Seconde branche : « Les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 145-34 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, en ce qu'elles sont applicables aux contrats de bail commercial renouvelés postérieurement à leur entrée en vigueur, mais qui avaient initialement été conclus sous le régime antérieur, portent-elles à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, en méconnaissance des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 et méconnaissent-elles le droit de propriété, tel qu'il est protégé par les articles 2 et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ? » 

Concernant la première branche, la Cour de cassation a considéré que « la suppression de l'indice trimestriel du coût de la construction publié par l'INSEE, remplacé par d'autres indices qui sont en meilleure adéquation avec l'objet des baux, pour la mise en œuvre du mécanisme légal de fixation du prix du bail renouvelé en cas de plafonnement, lequel ne cause ni atteinte ni dénaturation du droit de propriété du bailleur, ne porte pas atteinte à ce droit ».

En revanche, concernant la seconde branche, la Cour de cassation a considéré que « la question posée sur la constitutionnalité du dernier alinéa de l'article L. 145-34 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, présente un caractère sérieux en ce que ces dispositions, qui prévoient que le déplafonnement du loyer, en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du Code de commerce ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente, sont susceptibles de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur ».

En conséquence, la Cour de cassation a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question portant sur la constitutionnalité du dernier alinéa de l'article L. 145-34 du Code de commerce au regard du droit de propriété.

III - La décision du Conseil constitutionnel du 7 mai 2020

On trouvera successivement ci-après :

  • les trois moyens présentés par les demandeurs au soutien de leur requête ;
  • la motivation du Conseil constitutionnel pour les en débouter ;
  • notre commentaire sur la décision rendue.

A - Premier moyen

En premier lieu, les demandeurs ont soutenu que les dispositions du nouveau texte issu de la loi « Pinel » portaient atteinte au droit de propriété du bailleur, sans être justifiées par un motif d’intérêt général.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel rappelle « qu’il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration de droits de l’Homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».

Et à cet égard, il considère que « l’atteinte au droit de propriété du bailleur est ici justifiée par un « objectif d’intérêt général » consistant à éviter que le loyer de renouvellement d’un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales ».

Notre commentaire. Nous n’avons pas de commentaire à formuler sur ce point, eu égard au fait qu’il s’agit en l’espèce d’une appréciation purement subjective sur le fait que les dispositions en objet résultent ou non d’une atteinte disproportionnée au droit de propriété, au regard de l’objectif poursuivi.

B - Deuxième moyen

En second lieu, les demandeurs ont soutenu que la limitation de l’augmentation du loyer de renouvellement pouvait avoir pour effet d’imposer un niveau de loyer fortement et durablement inférieur à la valeur locative du bien, entraînant ainsi une perte financière importante pour le bailleur.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel répond que « les dispositions contestées permettent au bailleur de bénéficier, chaque année, d’une augmentation de 10 % du loyer de l’année précédente jusqu’à ce qu’il atteigne, le cas échéant, la nouvelle valeur locative ».

Notre commentaire. Sur ce point, le Conseil constitutionnel n’a manifestement pas apprécié à sa juste mesure l’ampleur des conséquences financières du « lissage Pinel » :

- sur le revenu du bailleur au cours du bail renouvelé ;

- sur la valeur vénale du bien loué.

Hypothèses de travail :

  • Durée du bail à renouveler : 12 ans depuis le 1er octobre 2002
  • Durée du bail renouvelé : 9 ans (C. com., art. L. 145-12  N° Lexbase : L2007KGG)
  • Date d’effet du renouvellement : 1er octobre 2014
  • Loyer contractuel du bail à renouveler : 50 000 €
  • Valeur locative au 1er octobre 2014 : 100 000 €
  • Evolution prévisionnelle indice ILC : + 2 % l’an, soit :
    ⇒ 1er octobre 2014 : 100,00
    ⇒ 1er octobre 2023 : 119,50
    ⇒ 1er octobre 2022 : 117,17
    ⇒ 1er octobre 2021 : 114,87
    ⇒ 1er octobre 2020 : 112,61
    ⇒ 1er octobre 2019 : 110,40
    ⇒ 1er octobre 2018 : 108,24
    ⇒ 1er octobre 2017 : 106,12
    ⇒ 1er octobre 2016 : 104,04
    ⇒ 1er octobre 2015 : 102,00

1°) Conséquences financières du « lissage Pinel sur le revenu du bailleur au cours du bail renouvelé :

♦ Application du « lissage Pinel » : revenu moyen du bailleur au cours du bail renouvelé :

  • 1er octobre 2014 : 50 000 + 5 000 = 55 000,00 €
  • 1er octobre 2015 : (55 000 + 5 500) + 2 % = 61 710,00 €
  • 1er octobre 2016 : (61 710 + 6 171) + 2 % = 69 239,00 €
  • 1er octobre 2017 : (69 239 + 6 924) + 2 % = 77 686,00 €
  • 1er octobre 2018 : (77 686 + 7 769) + 2 % = 87 164,00 €
  • 1er octobre 2019 : (87 164 + 8 716) + 2 % = 97 798,00 €
  • 1er octobre 2020 : (97 798 + 2 202) + 2 % = 102 000,00 €
  • 1er octobre 2021 : 102 000 + 2 % = 104 040,00 €
  • 1er octobre 2022 : 104 040 + 2 % = 106 121,00 €

Loyer total perçu par le bailleur sur la durée du bail = 760 758,00 €

Loyer moyen annuel perçu par le bailleur au cours du bail = 84 529,00 €.

♦ Non application du « lissage Pinel » : revenu moyen du bailleur au cours du bail renouvelé :

  • 1er octobre 2014 : = 100 000,00 €
  • 1er octobre 2015 : 100 000 + 2 % = 102 000,00 €
  • 1er octobre 2016 : 102 000 + 2 % = 104 040,00 €
  • 1er octobre 2017 : 104 040 + 2 % = 106 121,00 €
  • 1er octobre 2018 : 106 121 + 2 % = 108 243,00 €
  • 1er octobre 2019 : 108 243 + 2 % = 110 408,00 €
  • 1er octobre 2020 : 110 408 + 2 % = 112 616,00 €
  • 1er octobre 2021 : 112.616 + 2 % = 114 869,00 €
  • 1er octobre 2022 : 114.869 + 2 % = 117 166,00 €

Loyer total perçu par le bailleur sur la durée du bail = 975 463,00 €

Loyer moyen annuel perçu par le bailleur au cours du bail = 108 385,00 €.

Conséquence financière du « lissage Pinel sur le revenu du bailleur au cours du bail renouvelé : perte de revenu de 22 %.

2°) Conséquences financières du « lissage Pinel » sur la valeur vénale du bien loué 

La valeur vénale d’un bien loué par bail commercial s’apprécie essentiellement sur la base de son revenu locatif à date, étant donné que dans cette hypothèse, le bien en objet ne peut intéresser que le locataire en place ou un investisseur.

Si l’on prend le cas d’un bien situé dans un secteur géographique où le taux de rendement moyen exigé par les investisseurs se situe autour de 5 % l’an, acte en mains, on aboutit en termes de valeur vénale aux résultats suivants, selon qu’on applique ou non le « lissage Pinel ». 

♦ Application du « lissage Pinel »

  • Loyer annuel moyen sur 9 ans : = 84 529,00 €
  • Taux de rendement : = 5 %
  • Valeur vénale acte en mains : 84 529/0,05 = 1 690 580 €
  • Réfaction pour droits et frais de mutation = 7 %
  • Valeur vénale hors droits et frais de mutation : 1 690 580/1,07 = 1 579 981 €

♦ Non application du « lissage Pinel »

  • Loyer annuel moyen sur 9 ans : = 108 385,00 €
  • Taux de rendement : = 5 %
  • Valeur vénale acte en mains : 108 385/0,05 = 2 167 700,00 €
  • Réfaction pour droits et frais de mutation = 7 %
  • Valeur vénale hors droits et frais de mutation : 2 167 700/1,07 = 2 025 888 €

Conséquence financière du « lissage Pinel sur la valeur vénale du bien : perte de valeur de 22 %.

Eu égard à ce qui précède, deux questions simples se posent au regard l’article 2 de la Déclaration de droits de l’Homme et du citoyen de 1789 :

  • Le « lissage Pinel » est-il justifié « par des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général ?
  • N’en résulte-t-il pas des atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ?

C - Troisième moyen

En troisième lieu, les demandeurs ont soutenu que si les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce n’étaient pas d’ordre public, leur application aux baux en cours, conclus avant leur entrée en vigueur mais renouvelés postérieurement, conduisait à priver, en pratique, les bailleurs de la possibilité d’y déroger.

Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel considère que « les dispositions contestées n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas les appliquer, soit au moment de la conclusion du bail initial, soit au moment de son renouvellement ». Il estime en outre que « s’agissant des baux conclus avant la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et renouvelés après cette date, l’application de ce dispositif ne résulte pas des dispositions contestées, mais des conditions d’entrée en vigueur déterminées à l’article 21 de la loi du 18 juin 2014 ».

Notre commentaire. Sur ce point, l’avis du Conseil constitutionnel est dénué de fondement juridique pour ce qui concerne la situation des parties lors du renouvellement du bail.

S’il est exact, en effet, que les dispositions contestées ne sont pas d’ordre public et que, lors de la conclusion d’un nouveau bail, les parties peuvent y déroger conventionnellement, tel n’est pas le cas lors du renouvellement d’un bail conclu avant l’entrée en vigueur de la réforme mais renouvelé après cette date. Dans ce cas de figure, le bailleur ne dispose d’aucun moyen pour imposer à son locataire quelque dérogation que ce soit aux nouvelles dispositions, lesquelles s’appliquent de plein droit.

Quant à la conclusion du Conseil constitutionnel, aux termes de laquelle, « s’agissant des baux conclus avant la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et renouvelés après cette date, l’application de ce dispositif ne résulte pas des dispositions contestées, mais de leurs conditions d’entrée en vigueur déterminées à l’article 21 de la loi du 18 juin 2014 », elle relève du sophisme... à moins que le Conseil constitutionnel n’entende par cette considération engager les bailleurs à déposer un QPC contre l’article 21 de la loi « Pinel » !

Dans une publication parue en juin 2014 [1], nous avions qualifié le plafonnement du déplafonnement de quadrature du cercle et de « casse-tête chinois ; nous n’avons pas changé d’avis.

En effet, après bientôt six années d’application, aucune juridiction n’a souhaité prendre position sur les incohérences de ce dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce :

  • A ce jour, aucune jurisprudence n’est intervenue pour arrêter le mode de calcul du « lissage Pinel », alors que dans notre publication de juin 2014 nous avions relevé huit modes de calcul aussi pertinents les uns que les autres, compte tenu de l’imprécision de la loi à cet égard.
  • Bien plus, dans un avis sur saisine du 9 mars 2018, la Cour de cassation a « botté en touche », considérant qu’il n’entrait pas dans l’office du juge des loyers commerciaux, mais dans celui des parties, d’arrêter l’échéancier des loyers résultant de l’étalement de l’augmentation du loyer déplafonné limitée à 10 % l’an, tel que prévu par le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce (Cass. avis, 9 mars 2018, n° 15004 N° Lexbase : A6836XGB).

Aujourd’hui, manifestement, le Conseil constitutionnel fait de même, par une décision qui est loin de solutionner définitivement le problème de fond et qui laisse les praticiens du droit sur leur faim.

Il suffit pour s’en convaincre de méditer les termes d’un commentaire que nous avons relevé récemment relativement à cet arrêt : « Avec cette décision, les petites et moyennes entreprises sont ainsi garanties, en cas de hausse importante du loyer lors du renouvellement du bail, à ne pas devoir subir d’un coup cette variation. Une abrogation immédiate d’un tel dispositif aurait eu pour effet de compromettre la viabilité de nombreuses entreprises. Cette décision est donc à saluer, surtout dans le contexte actuel de la crise sanitaire qui met en péril de nombreux commerces » [2]. On n’est plus au Conseil constitutionnel, on est au Conseil économique social et environnemental !

Alors, la prochaine étape, la Cour européenne des droits de l’Homme ?

Pourquoi pas au visa de ce qui précède ?

 

[1] Nos obs., AJDI juin 2014, p. 405 à 407.

[2]  C. Masquelet, villagedelajustice.com, 19 mai 2020)

newsid:473541

Baux d'habitation

[Brèves] Location type « Airbnb » et « changement d’usage illicite » : nouvelles précisions concernant la notion de « local réputé à usage d’habitation »

Réf. : Cass. civ. 3, 28 mai 2020, n° 18-26.366, FS-P+B+I (N° Lexbase : A23043MB)

Lecture: 4 min

N3531BYG

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 04 Juin 2020

En vertu de l’article L. 631-7, alinéa 3, du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0141LNK), pour l'application de la présente section (laquelle a pour objet de soumettre, à autorisation préalable, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation, dans les communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne), « un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 » ;

► il en résulte que la preuve que le local a été affecté à un usage d’habitation postérieurement à cette date est inopérante.

Telle est la nouvelle précision apportée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, pour l’application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0141LNK).

En l’espèce, la Ville de Paris avait assigné en la forme des référés la propriétaire d’un appartement situé à Paris, en paiement d’une amende civile sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L2308LRW), pour avoir donné en location ce local de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage, en contravention avec les dispositions de l’article L. 631-7 du même code.

La Ville de Paris faisait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, soutenant « que le local doit être considéré comme étant à usage d’habitation, non seulement dans l’hypothèse où il était affecté à l’habitation le 1er janvier 1970, mais également dans l’hypothèse où, postérieurement à cette date, il a été affecté à l’usage d’habitation, sachant que dans cette hypothèse, il est considéré comme étant à usage d’habitation dès qu’il reçoit cette affectation ».

Le raisonnement n’est pas suivi par la Cour suprême. La Haute juridiction approuve, en effet, les juges d’appel parisiens qui, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, ont retenu, souverainement, que les éléments produits par la Ville de Paris ne permettaient pas d’établir que le local était à usage d’habitation au 1er janvier 1970 et, à bon droit, que la preuve d’un usage d’habitation lors de l’acquisition par l’intéressée de son appartement le 2 avril 1980 était inopérante.

Ils en avaient exactement déduit que la Ville de Paris ne pouvait se prévaloir d’un changement d’usage illicite au sens de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

Pour rappel, pour l’application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, ont récemment eu l’occasion de préciser que :

► il résulte des termes mêmes de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation qu'en l'absence d'autorisation de changement d'affectation ou de travaux postérieure, un local est réputé être à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cet usage était fondé en droit à cette date ;  en revanche, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'attacher pareilles conséquences au constat, au 1er janvier 1970, de l'affectation d'un local à un autre usage que l'habitation (CE 9° et 10° ch.-r., 5 avril 2019, n° 410039, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2924Y8S ; cf. notre brève, in Lexbase, éd. priv., n° 779, 2019 N° Lexbase : N0834BYK) ;

► l’affectation à l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 peut être établie par tout mode de preuve ; les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés ;

► et pour pouvoir se prévaloir d’un changement d’usage illicite, c’est à la commune qu’il incombe de rapporter la preuve d’une affectation des locaux à l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 ; étant précisé qu’est inopérante : 1°) la preuve d’un usage d’habitation postérieurement à cette date, 2°) ou encore l’incidence de travaux qui auraient été réalisés postérieurement à cette date et dont il ne serait pas soutenu qu’ils auraient fait l’objet d’une autorisation (Cass. civ. 3, 28 novembre 2019, deux arrêts, n° 18-23.769 N° Lexbase : A3535Z4P et n° 18-24.157 N° Lexbase : A3416Z4B, FS-P+B+I ; cf. notre brève, in Lexbase, éd. priv., n° 805, 2019 N° Lexbase : N1460BYQ).

newsid:473531

Collectivités territoriales

[Brèves] Modalités de mise en œuvre du rescrit administratif au profit des collectivités territoriales

Réf. : Décret n° 2020-634 du 25 mai 2020 (N° Lexbase : L2064LXQ)

Lecture: 2 min

N3487BYS

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par Yann Le Foll

Le 03 Juin 2020

Le décret n° 2020-634 du 25 mai 2020, portant application de l'article L. 1116-1 du Code général des collectivités territoriales relatif à la demande de prise de position formelle adressée au représentant de l'Etat (N° Lexbase : L2064LXQ), a été publié au Journal officiel du 27 mai 2020.

L'article L. 1116-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L4818LUY), créé par l'article 74 de la loi n° 2019-1461, relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (N° Lexbase : L4571LUT), permet aux collectivités, à leurs groupements, ainsi qu'à leurs établissements publics, d'adresser au préfet un projet d'acte assorti d'une demande de prise de position formelle sur une question de droit portant sur le projet d'acte et relative à la mise en œuvre d'une disposition législative ou réglementaire régissant l'exercice de leurs compétences, ou bien les prérogatives dévolues à leur exécutif, s'agissant par exemple des pouvoirs de police.

Le décret précise les modalités d'application de cette disposition législative. Il organise la formalisation des échanges entre l'autorité de saisine et le représentant de l'Etat compétent au titre du contrôle de légalité de l'acte concerné, en fixant les conditions de la saisine de ce dernier (signée par une personne compétente pour représenter l'auteur de la demande) et de la réponse portée à la connaissance du demandeur (par tout moyen permettant d'apporter la preuve de sa réception), en précisant le contenu de la demande et la procédure relative à la transmission de pièces complémentaires. Il fixe également un point de départ au délai de trois mois au terme duquel le silence gardé par le représentant de l'Etat vaut absence de prise de position formelle.

newsid:473487

Covid-19

[Pratique professionnelle] Déconfinement et obligation de sécurité : l’employeur face à ses responsabilités

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N3533BYI

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par Pauline Larroque-Daran, Avocat Associé, Marine Guille et Solène Hervouët, Avocats, Factorhy Avocats

Le 03 Juin 2020

Juridiquement, l’obligation de sécurité impose aux employeurs, non pas de garantir l’absence de toute exposition des salariés à un risque de contamination, mais de prendre toutes les mesures de sécurité sanitaire visant à éviter la réalisation de ce risque [1].

En pratique, l’obligation de sécurité impose à l’employeur :

  • d’évaluer le risque professionnel covid-19, et de le retranscrire dans le document unique d'évaluation des risques (DUER) ;
  • d’informer les salariés sur l'ensemble des nouvelles consignes de sécurité à respecter ;
  • de former les salariés aux règles de prévention.

En outre, eu égard à la nature du risque covid-19 et à l’ampleur des changements qu’il engendre, il est indispensable que les employeurs identifient également des solutions pour préserver la santé mentale de leurs collaborateurs qui peuvent être affectés par la soudaineté et la radicalité des mesures prises.

1 - Quels risques en cas de manquement à l’obligation de sécurité ?

Compte tenu du contexte particulièrement anxiogène, ainsi que de la célérité avec laquelle les entreprises ont été contraintes de s’adapter, la probabilité que des actions soient initiées, tant sur le plan civil que pénal, est particulièrement élevée.

Sur le plan pénal

A ce jour, plusieurs plaintes ont été déposées pour mise en danger de la vie d’autrui [2] à la fois par des syndicats -notamment à l’encontre des sociétés Amazon et Carrefour- mais également par des salariés d’une usine de l’équipementier automobile estimant que la poursuite d’une activité non essentielle à la nation les exposait à un danger immédiat de mort ou de blessures.

Bien que les plaintes pénales aient été classées sans suite, les demandes formulées parallèlement par les syndicats devant les juridictions civiles -enjoignant les employeurs à mettre à jour leur DUER ou renforcer les consignes sanitaires- ont pour la grande majorité abouti [3].

Sur le plan civil

Ces premières décisions nous permettent aisément d’imaginer que des salariés, à leur tour, saisissent les juridictions compétentes pour solliciter le versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi soutenant que les mesures prises étaient inadaptées ou insuffisantes pour les protéger.

Naturellement, le succès d’une telle action sera corrélé à la capacité du salarié à établir la réalité et l’étendue de son préjudice [4].

Il n’est également pas exclu que certains collaborateurs prennent acte de la rupture de leur contrat de travail estimant que les manquements de l’employeur -notamment son inertie- sont suffisamment graves.

Sur ce point, compte tenu de la nature du risque, nous estimons néanmoins que les actions en résiliation judiciaire seront peu nombreuses, compte tenu de leur faible chance de succès.

En effet, la rupture du contrat aux torts de l’employeur dans une telle hypothèse suppose que les manquements ayant justifiés la saisine aient perduré jusqu’à la date du jugement. Or, le déclin récemment constaté de l’épidémie permettra potentiellement aux employeurs d’assouplir les mesures de sécurité, rendant sans objet la demande du salarié.

Sur le plan de la faute inexcusable

Enfin, dans l’hypothèse où la contamination d’un salarié sur le lieu de travail serait couverte par la législation sur les risques professionnels, une action sur le fondement de la faute inexcusable de l’employeur pourrait être exercée.

En tout état cause, quel que soit le fondement pénal ou civil retenu par les salariés pour engager la responsabilité de leur employeur, les juges vont apprécier si l’obligation de sécurité de l’employeur vis-à-vis du collaborateur a ou non été respectée.

Aucune décision n’ayant encore été rendue, nous ignorons quel sera le degré de sévérité des tribunaux. Pour autant, il ne fait aucun doute qu’un plan concret de reprise respectueux des consignes sanitaires doit être déployé, et que des preuves de sa mise en œuvre doivent être conservées.

2 - Quelles mesures pour préserver la santé des salariés ?

Pour rappel, l’employeur est tenu de mettre à jour le DUER au moins une fois par an ou en cas d’aménagement important modifiant les conditions de santé et sécurité, ou d’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail [5].

Dans le cadre du covid-19, les entreprises doivent donc rapidement mettre à jour leur DUER afin de consigner les risques relatifs à la santé et à la sécurité de leur salarié dans le cadre de l’épidémie actuelle.

Les juges se montrent particulièrement intransigeants sur la présence d’un tel document : pour illustration, ils ont notamment ordonné à la société La Poste de procéder à une mise à jour immédiate de son DUER, en dépit de toutes les mesures de prévention pourtant déjà mises en place au sein de l’entreprise (et considérées comme suffisantes) [6].

Collaboration étroite avec les élus

L’employeur, lorsqu’il procède à la mise à jour du DUER, doit associer les instances représentatives du personnel en amont de la modification, plus précisément dès le stade de l’évaluation des risques [7].

Cette exigence n’est pas nouvelle mais résulte d’une circulaire DRT n° 6 du 18 avril 2002, laquelle précisait déjà au sujet du DUER que « la prévention de la santé et de la sécurité au travail doit être menée en liaison avec les instances représentatives du personnel, de façon à favoriser le dialogue social, en constituant un facteur permanent de progrès au sein de l'entreprise » [8].

Ce principe a notamment fait l’objet d’une application récente par les tribunaux, les employeurs se voyant contraints de renouveler la procédure de mise à jour du DUER lorsque le CSE n’avait pas été associé à la procédure d’évaluation des risques [9]

En outre, pour les entreprises de plus de 50 salariés, la collaboration avec les élus dans le cadre de la mise à jour du DUER se matérialise également par une consultation de l’instance sur le fondement d’un « d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » [10].

Pour les entreprises de moins de 50 salariés, une simple information de la mise à jour du DUER parait suffisante pour acter de l’association du CSE.

Evaluation des risques

Deux étapes doivent être menées :

  • Etape 1 : analyser les risques liés au coronavirus

Cette étape revient à lister les risques susceptibles d’impacter la santé et la sécurité des salariés dans le cadre du covid-19, en lien avec le fonctionnement spécifique de l’entreprise et non pas seulement de manière générale en faisant simplement référence aux gestes barrières [11].

Il s’agit notamment des risques liés à la transmission du virus, aux réorganisations de l’entreprise engendrées afin d’éviter la contamination, les risques psychosociaux, les risques liés au télétravail, et les risques d’ordre biologique lorsque les salariés sont soumis à des contacts prolongés avec des personnes potentiellement atteintes (entreprises d’aide à la personne…) [12].

  • Etape 2 : faire correspondre les risques identifiés avec chaque poste de travail

Chaque mission effectuée par un salarié dans le cadre de son poste de travail peut générer un risque pour sa santé et sa sécurité dans le cadre du virus covid-19 -qui va au-delà de la seule promiscuité avec ses collègues de travail [13]- qu’il convient de consigner dans le DUER.

Pour faire preuve de plus de détail dans la description du risque, un barème d’exposition au risque, avec des indices plus ou moins élevés en fonction du degré d’exposition, peut être envisagé.

Identification des mesures

La seule mise à jour de la DUER n’apparaît pas suffisante au regard de l’obligation de sécurité de l’employeur, ce dernier doit ensuite assurer la mise en place d’actions adéquates pour limiter au mieux la réalisation de ces risques.

Plusieurs catégories de mesures doivent être prises :

  • des mesures organisationnelles et techniques pour combattre le risque de contagiosité ;

Ces mesures sont notamment en partie consignées dans le protocole national de déconfinement publié par le Gouvernement le 9 mai 2020 et dans les documents rédigés en fonction de l’activité de l’entreprise : organisation des locaux pour respecter le périmètre de distanciation sociale, vérification des conduits d’aération, élaboration de protocole de nettoyage, fourniture d’EPI, etc. [14].

  • des mesures d’information et de formation ;

La bonne application des consignes sanitaires suppose une information récurrente et précise des collaborateurs sur la nouvelle discipline de l’entreprise. A ce titre, des campagnes d’informations doivent être déployées tant par affichage, que par l’envoi de courriels.

Toutefois, la seule information des collaborateurs n’apparaît pas suffisante, l’employeur devant également former les salariés aux nouvelles règles de prévention.

Cette obligation de formation de l’employeur a été rappelée très récemment par les juges ayant reproché à l’Usine Automobile Renault, située à Sandouville, sur le fondement de l’article L. 4141-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1486H9W), de ne pas avoir, en sus de la formation théorique par la fourniture d’un guide, mis en œuvre une formation pratique [15].

  • des mesures pour préserver la santé mentale ;

Les mesures organisationnelles, visant à limiter le risque de contamination, engendrent un changement brutal des conditions de travail des collaborateurs pouvant être génératrices de stress pour les salariés.

Il est ainsi indispensable de prendre en compte ces potentielles répercussions sur la santé mentale des travailleurs lors de l’édiction des mesures au sein de la DUER [16].

A ce titre, certaines entreprises ont ouvert des « lignes verte » dédiées à l’écoute des salariés, afin de leur prodiguer éventuellement des conseils pour gérer au mieux cette situation inédite. Cette permanence téléphonique pourrait être mise en place en concertation avec les services de santé au travail afin d’identifier ensemble d’éventuels interlocuteurs compétents.

Par ailleurs, le télétravail étant devenu la norme [17] et se pérennisant, des mesures pour lutter contre l’isolement des collaborateurs pourraient figurer au sein de la DUER pour encadrer cette modalité particulière d’exécution du contrat.

A titre d’illustration, vous pourriez prévoir :

  • les modalités de régulation de la charge de travail du salarié ;
  • les plages horaires durant lesquelles l'employeur peut contacter le salarié en télétravail ;
  • des mesures pour limiter l’isolement (organisation de réunions d’équipe en visioconférence régulière pour maintenir le lien social par exemple).

Publication du DUER

Une fois mise à jour :

  • le DUER doit être tenu à la disposition des salariés, du médecin du travail, de l’inspection du travail [18] ;
  • les salariés doivent être informés des modalités d’accès pratique à ce document par la publication le plus souvent d’un avis affiché sur le panneau d’affichage au sein de l’entreprise [19], précisant notamment l’identité de la personne à contacter en cas d’interrogation.

Compte tenu de la situation, et du fait que certains salariés ne se déplacent plus dans les locaux, une campagne d’information par mailing pourrait être envisagée dans un souci d’informer les salariés de leurs nouvelles obligations.

3 - Quel suivi de la bonne application de ces mesures ?

L’obligation de sécurité de l’employeur ne se limitant pas à l’élaboration de règles concrètes de lutte contre l’épidémie, il doit, par ailleurs, s’assurer du bon respect par les collaborateurs des consignes édictées.

Dans l’exercice de ses fonctions, il appartient à chaque salarié de « prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail » [20].

Cette obligation pesant sur les salariés devrait en principe les contraindre à appliquer consciencieusement les consignes sanitaires.

Il n’est toutefois pas exclu que certains collaborateurs adoptent un comportement laxiste -voire contestataire- et ne respectent pas les consignes sanitaires.

Or, la méconnaissance par le salarié de son obligation de vigilance peut faire l'objet d'une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement [21].

Dans ces conditions, appréciation faite de la récurrence et de la gravité du manquement, il est recommandé aux employeurs de prendre des mesures, voire de se placer sur le terrain disciplinaire, dès lors que l’absence de réaction constituerait un manquement à son obligation de sécurité.

Concrètement, il conviendrait :

  • dans un premier temps, de rappeler les consignes au salarié qui aurait manqué à ses obligations en lui transmettant, à titre de rappel informatif, les consignes de sécurité ;
  • dans un second temps, si les manquements persistent, de prendre une sanction à son encontre, pouvant aller jusqu’au licenciement si la nature du manquement le justifie.

Par ailleurs, compte tenu de la situation, et de l’impossibilité pour un employeur de s’assurer du bon respect des consignes par ses collaborateurs, il pourrait être opportun d’envisager l’élaboration de délégations de pouvoirs auprès de personnes compétentes afin qu’elles s’assurent à leur tour du bon respect des mesures d’hygiène et sécurité en délimitant pour chacune des périmètres distincts d’intervention.


[1] Cass. soc., 22 octobre 2015, n° 14-20.173, FP-P+B (N° Lexbase : A5324NUQ).

[2] C. pén., art. 223-1 (N° Lexbase : L3399IQX).

[3] TJ Nanterre, 14 avril 2020, n° 20/00503, Union syndicale Solidaire c/ SAS Amazon France Logistique (N° Lexbase : A79303KW), B. Fieschi, Le risque de la poursuite d’activité dans un contexte d’état d’urgence sanitaire, Lexbase Social, 2020, n° 822 (N° Lexbase : N3136BYS) ; CA Versailles, 14ème chambre, 24 avril 2020, n° 20/01993, SAS Amazon France logistique c/ Union syndicale Solidaire (N° Lexbase : A99883K7) ; TJ Lille, ordonnance du 24 avril 2020, n° 20/00395, Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des service c/ SAS Carrefour hypermarchés (N° Lexbase : A32283L7) ; TJ Paris, ordonnance du 9 avril 2020, n° 20/52223, Fédération SUD des activités postales et des télécommunications c/ La Poste (N° Lexbase : A32273L4).

[4] Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6796RIK).

[5] C. trav., art. R. 4121-2 (N° Lexbase : L9061IPB) ; Document de Questions/Réponses de la DGT, 28 février 2020.

[6] TJ Paris, ordonnance du 9 avril 2020, n° 20/52223, Fédération SUD des activités postales et des télécommunications c/ SA La Poste (N° Lexbase : A32273L4).

[7] CA Paris, 24 avril 2020, n° 20/01993 (N° Lexbase : A99883K7) ; TJ Le Havre, 7 mai 2020, n° 20/00143 (N° Lexbase : A32313LA) ; TJ Lyon, 11 mai 2020, n° 20/00593 Union syndicale solidaire Rhone c/ SAS Le Coursier de Lyon (N° Lexbase : A63163LI).

[8] Circulaire DRT n° 6, 18 avril 2002.

[9] TJ Nanterre, 14 avril 2020, n° 20/00503, Union syndicale Solidaire c/ SAS Amazon France Logistique (N° Lexbase : A79303KW) ; CA Versailles, 14ème chambre, 24 avril 2020, n° 20/01993, SAS Amazon France logistique c/ Union syndicale Solidaire (N° Lexbase : A99883K7) ; TJ Lille, ordonnance du 24 avril 2020, n° 20/00395, Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des service c/ SAS Carrefour hypermarchés (N° Lexbase : A32283L7).

[10] C. trav., art. L. 2312-8 (N° Lexbase : L8460LGG).

[11] CA Paris, 24 avril 2020, n° 20/01993 (N° Lexbase : A99883K7) ; TJ Havre, ordonnance 7 mai 2020, n° 20/00143, Syndicat CGT des travailleurs de Renault Sandouville c/ SAS Renault (N° Lexbase : A32313LA).

[12] TJ Nanterre, 14 avril 2020, n° 20/00503, Union syndicale Solidaire c/ SAS Amazon France Logistique (N° Lexbase : A79303KW) ; CA Versailles, 14ème chambre, 24 avril 2020, n° 20/01993, SAS Amazon France logistique c./ Union syndicale Solidaire (N° Lexbase : A99883K7) ; TJ Lille, ordonnance du 24 avril 2020, n° 20/00395, Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des service c/ SAS Carrefour hypermarchés (N° Lexbase : A32283L7) ; TJ du Havre, ordonnance du 7 mai 2020, n° 20/00143, Syndicat CGT des travailleurs de Renault Sandouville c/ SAS Renault (N° Lexbase : A32313LA).

[13] TJ du Havre, ordonnance du 7 mai 2020, n° 20/00143, Syndicat CGT des travailleurs de Renault Sandouville c/ SAS Renault (N° Lexbase : A32313LA).

[14] Protocole national de déconfinement, 9 mai 2020 ; Fiche technique métier, site du ministère du Travail.

[15] TJ du Havre, ordonnance du 7 mai 2020, n° 20/00143, Syndicat CGT des travailleurs de Renault Sandouville c/ SAS Renault (N° Lexbase : A32313LA).

[16] TJ Nanterre, 14 avril 2020, n° 20/00503, Union syndicale Solidaire c/ SAS Amazon France Logistique (N° Lexbase : A79303KW) ; CA Versailles, 14ème chambre, 24 avril 2020, n° 20/01993, SAS Amazon France logistique c/ Union syndicale Solidaire (N° Lexbase : A99883K7) ; TJ du Havre, ordonnance du 7 mai 2020, n° 20/00143, Syndicat CGT des travailleurs de Renault Sandouville c/ SAS Renault (N° Lexbase : A32313LA).

[17] C. trav., art. L. 1222-11 (N° Lexbase : L8103LG9).

[18] C. trav., art. R. 4121-4 (N° Lexbase : L8494LKS).

[19] C. trav., art. R. 4121-4, préc..

[20] C. trav., art. L. 4122-1 (N° Lexbase : L1458H9U).

[21] Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0693AYC).

newsid:473533

Covid-19

[Brèves] Création d'une application mobile de suivi de contacts dénommée « StopCovid »

Réf. : Décret n° 2020-650 du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid » (N° Lexbase : Z368819U) ; arrêté du 30 mai 2020 définissant les critères de distance et de durée du contact au regard du risque de contamination par le virus du covid-19 pour le fonctionnement du traitement de données dénommé « StopCovid » (N° Lexbase : L2405LXD)

Lecture: 5 min

N3506BYI

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

Le 25 Janvier 2021

► Un décret, publié au Journal officiel du 30 mai 2020, crée un traitement de données à caractère personnel, nécessaire au fonctionnement de l'application mobile de suivi de contacts dénommée « StopCovid », qui permet à ses utilisateurs d'être informés lorsqu'ils ont été à proximité d'au moins un autre utilisateur diagnostiqué ou dépisté positif au virus du covid-19, grâce à la conservation de l'historique de proximité des pseudonymes émis via la technologie Bluetooth (décret n° 2020-650 du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid » (N° Lexbase : Z368819U) ;

Ce décret est complété par un arrêté, publié au Journal officiel du 31 mai 2020 (arrêté du 30 mai 2020 définissant les critères de distance et de durée du contact au regard du risque de contamination par le virus du covid-19 pour le fonctionnement du traitement de données dénommé « StopCovid » N° Lexbase : L2405LXD).

Création du traitement. Le traitement de données à caractère personnel dénommé « StopCovid », qui repose sur une application mobile et un serveur central, est mis en œuvre dans le cadre d'une mission d'intérêt public conformément au e du paragraphe 1 de l'article 6 du « RGPD » (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I), et pour les motifs d'intérêt public mentionnés au i du paragraphe 2 de l'article 9 de ce même Règlement.

Ce traitement a pour finalités :

  • d'informer les personnes utilisatrices de l'application qu'il existe un risque qu'elles aient été contaminées par le covid-19 en raison du fait qu'elles se sont trouvées à proximité d'un autre utilisateur de cette application ayant été diagnostiqué positif à cette pathologie ;
  • de sensibiliser les personnes utilisatrices de l'application, notamment celles identifiées comme contacts à risque de contamination, sur les symptômes de ce virus, les gestes barrières et la conduite à adopter pour lutter contre sa propagation ;
  • de recommander aux contacts à risque de contamination de s'orienter vers les acteurs de santé compétents aux fins que ceux-ci les prennent en charge et leur prescrivent, le cas échéant, un examen de dépistage ;
  • d'adapter, le cas échéant, la définition des paramètres de l'application permettant d'identifier les contacts à risque de contamination grâce à l'utilisation de données statistiques anonymes au niveau national.

L'application « StopCovid » est installée librement et gratuitement par les utilisateurs. En cas de diagnostic clinique positif au covid-19 ou de résultat positif à un examen de dépistage à ce virus, les utilisateurs de l'application sont libres de notifier ou non ce résultat dans l'application et de transmettre au serveur l'historique de proximité. L'application peut être désinstallée à tout moment.

Données traitées. L’article 2 détaille les données traitées pour la mise en œuvre du traitement :

  • une clé d'authentification partagée entre l'application et le serveur central ;
  • un identifiant unique associé à chaque application téléchargée par un utilisateur ;
  • les codes pays, générés par le serveur central ;
  • des pseudonymes aléatoires et temporaires, qui sont transmis chaque jour par le serveur central à l'application lorsqu'elle se connecte à ce dernier ;
  • l'historique de proximité d'un utilisateur, constitué des pseudonymes aléatoires et temporaires émis via la technologie « Bluetooth » par les applications installées sur des téléphones mobiles d'autres utilisateurs qui se trouvent, pendant une durée déterminée, à une distance de son téléphone mobile telle qu'il existe un risque suffisamment significatif qu'un utilisateur qui serait positif au covid-19 contamine l'autre. L'arrêté du 30 mai 2020 précise que les critères de distance et de durée du contact permettant de considérer que deux téléphones mobiles se trouvent à une proximité suffisante l'un de l'autre sont un contact à moins d'un mètre pendant au moins 15 minutes entre les utilisateurs de l'application « StopCovid » ;
  • l'historique de proximité des contacts à risque de contamination par le covid-19 ;
  • les périodes d'exposition des utilisateurs à des personnes diagnostiquées ou dépistées positives au covid-19 ;
  • les données renseignées dans l'application par les personnes diagnostiquées ou dépistées positives au covid-19 qui décident d'envoyer au serveur l'historique de proximité de leurs contacts à risque ;
  • le statut « contacts à risque de contamination » de l'identifiant de l'application, qui est retenu dès lors qu'un utilisateur de l'application a été à proximité d'un autre utilisateur, ultérieurement dépisté ou diagnostiqué positif au covid-19 ;
  • la date des dernières interrogations du serveur central.

Durée du traitement. L’article 3 précise que le traitement est mis en œuvre pour une durée ne pouvant excéder six mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5506LWT), soit le 10 janvier 2021.

Droits des utilisateurs. Conformément au « RGPD », l’article 4 prévoit que les droits d'accès, de rectification ainsi que le droit à la limitation ne peuvent s'exercer auprès du responsable de traitement.
Les personnes concernées sont informées des principales caractéristiques du traitement et de leurs droits au moment de l'installation de l'application. Elles sont en outre prévenues qu'en cas de partage de leur historique de proximité sur le serveur central, les personnes identifiées comme leurs contacts à risque de contamination seront informées qu'elles auront été à proximité d'au moins un autre utilisateur diagnostiqué ou dépisté positif au covid-19 au cours des quinze derniers jours et informées de la possibilité limitée d'identification indirecte, susceptible d'en résulter lorsque ces personnes ont eu un très faible nombre de contacts pendant cette période. Des mentions d'informations sont également publiées sur le site internet « www.stopcovid.gouv.fr ».

Entrée en vigueur. Le texte est entré en vigueur le 31 mai 2020.

 

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Domaine public

[Conclusions] L’occupant irrégulier du domaine public à l’encontre duquel une astreinte a été prononcée peut-il utilement se prévaloir de ses difficultés financières ? Conclusions du rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 27 mai 2020, n° 432977, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A56473M4)

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par Romain Victor, Maître des requêtes, rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 03 Juin 2020

1.- Le port de plaisance de l’Ilon, relié par un chenal à l’une des boucles de la Seine, appartient au domaine public fluvial artificiel de la commune de Saint-Martin-la-Garenne, située dans le département des Yvelines, au cœur du Vexin français. C’est le long d’une berge non aménagée du bassin, à laquelle elle est reliée par une passerelle en mauvais état, que stationne sans droit ni titre, depuis plusieurs années maintenant, une péniche de 38 mètres, propriété de M. et Mme Barnabon.

Après avoir vainement proposé aux époux de déplacer l’embarcation jusqu’à un ponton permettant le stationnement sécurisé des bateaux de grande dimension et de régulariser leur situation en signant un contrat d’occupation temporaire du domaine public, la commune a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU). Par une ordonnance du 8 octobre 2018 [1], frappée d’un pourvoi dont votre 8ème chambre a refusé l’admission le 15 mars 2019, celui-ci a considéré, vu « l’amarrage (…) de fortune » de la péniche et la dangerosité du stationnement et de l’accès au bateau, qu’il était utile et urgent d’enjoindre aux époux de l’évacuer sans délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Ayant constaté l’inexécution de cette injonction, le juge des référés a procédé, à la demande de la commune, par une ordonnance du 5 juillet 2019, à la liquidation provisoire de l’astreinte à hauteur de 22 700 euros, pour la période de 227 jours comprise entre la notification de sa précédente ordonnance et la date à laquelle il a statué, tout en rejetant la demande de la commune tendant à ce qu’il relève le taux de l’astreinte à la somme de 200 euros.

C’est contre les dispositions de l’ordonnance leur faisant grief que M. et Mme X se sont pourvus en cassation dans le délai spécial de quinze jours [2].

2.- Le point de droit ayant justifié l’admission de leur pourvoi consiste à déterminer si, devant le juge de l’exécution, l’occupant irrégulier du domaine public à l’encontre duquel une astreinte a été prononcée peut utilement se prévaloir de ses difficultés financières.

Cette question n’est pas explicitement tranchée par votre jurisprudence.

Elle se pose ici car les requérants avaient invoqué, dans leur unique mémoire produit devant le juge des référés, les « graves difficultés financières » qu’ils rencontraient pour justifier qu’ils n’avaient pu acquitter les frais nécessaires au remorquage de leur péniche, qui n’est pas motorisée, tout en observant que la liquidation de l’astreinte n’aurait d’autre conséquence que d’aggraver leurs difficultés « sans agir sur le stationnement du bateau ». Or si le juge des référés a mentionné cette argumentation dans les visas de son ordonnance, il n’en a rien dit dans les motifs, puisqu’il s’est limité à rappeler le dispositif de son ordonnance prononçant l’astreinte et à constater que les époux n’avaient pas déféré à l’injonction d’évacuer leur bateau, ce dont il a déduit que, « dans ces conditions », il y avait lieu à liquidation. Les requérants soutiennent devant vous qu’en s’abstenant de prendre en considération la situation de gêne qu’ils invoquaient, le juge des référés aurait entaché son ordonnance d’irrégularité.

Comme toute mesure comminatoire, le propre d’une astreinte est de faire peur, dans le but, comme le rappellent nombre de vos décisions [3], et comme le dit le Conseil constitutionnel [4], de contraindre la personne qui s’y refuse à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice et de la déterminer à respecter l’autorité de la chose jugée. Si, au stade du prononcé de l’astreinte, la situation financière du débiteur a vocation à être prise en compte, c’est seulement pour fixer un taux suffisamment lourd pour l’inciter à exécuter, sans lui offrir l’option qui consisterait à assumer le risque financier d’une inexécution. Mais qu’en est-il au stade de la liquidation de l’astreinte, laquelle a pour objet, selon une formulation que l’on trouve sous votre plume, « de tirer les conséquences du refus ou du retard mis à exécuter ces obligations » (CE 6° et 1° ch-r., 24 mai 2017, n° 403569 N° Lexbase : A0877WE9, Tables, pp. 735-752) ?

2.1.- Il importe tout d’abord de préciser le cadre juridique dans lequel il convient de raisonner. Ce cadre n’est pas, à notre avis, celui qui résulte des dispositions du chapitre premier du titre I du livre IX du code de justice administrative. Par deux décisions Voies navigables de France des 5 février 2014 (CE 8° et 3° s-s-r., n° 364561 N° Lexbase : A9270MDP, Rec. p. 19) et 15 octobre 2014 (CE 8° et 3° s-s-r., n° 338746, 338747, 338751, 338753, 338754 N° Lexbase : A6647MYT, T. pp. 655-656-811-825), vous avez souligné que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux astreintes que les juridictions administratives peuvent prononcer à l’encontre d’une personne morale de droit public ou d’un organisme privé chargé de la gestion d’un service public, ce dont vous avez déduit qu’elles ne sauraient s’appliquer lorsque le juge administratif, saisi par l’administration en vue de mettre fin à l’occupation irrégulière d’une dépendance du domaine public, après avoir qualifié cette occupation irrégulière de contravention de grande voirie, fait application du principe général [5] selon lequel les juridictions administratives ont la faculté de prononcer une astreinte à l’encontre de personnes privées en vue de l’exécution de leurs décisions. Jusqu’à aujourd’hui, vous n’avez expressément posé cette règle que pour les occupations qualifiées de contravention de grande voirie : voyez vos arrêts « VNF » précités et, depuis lors, une décision « Torcheux » (CE 8° et 3° s-s-r., 6 mai 2015, n° 377487 N° Lexbase : A5838NHP, Tables, pp. 670-675-825). Il nous semble cependant qu’il faut l’étendre à toutes les hypothèses d’occupation irrégulière du domaine public par une personne autre qu’une personne publique ou une personne privée chargée de la gestion d’un service public. Vous pourriez ainsi juger que lorsqu’il assortit sa décision d’une astreinte, le juge du fond ou le juge des référés « mesures utiles » ordonnant une expulsion d’un occupant sans titre n’applique pas le livre XI du Code de justice administrative mais fait application du principe général précité.

Quoi qu’il en soit, les règles applicables sous l’empire de ces deux régimes sont en large part communes, ce qui s’explique par le fait que la série des articles L. 911-1 (N° Lexbase : L7384LP8) et suivants du Code de justice administrative a en partie codifié la jurisprudence préexistante dégagée sans texte.

D’abord, les concepts restent les mêmes : on distingue l’astreinte provisoire, qui constitue l’astreinte de droit commun, que le juge de l’exécution peut moduler voire supprimer, de l’astreinte définitive dont le montant, comme son nom l’indique, ne peut plus être modifié, à moins que le débiteur invoque, ainsi que le prévoit l’article L. 911-7 (N° Lexbase : L3335AL4), un cas fortuit ou la force majeure. On retrouve aussi l’opposition entre liquidation définitive, laquelle intervient lorsque la chose jugée a été exécutée, cette exécution étant par construction une exécution tardive, et liquidation provisoire, laquelle intervient lorsque la chose jugée n’a toujours pas été exécutée [6].

Les règles de compétence sont également les mêmes : il revient toujours à la juridiction qui a prononcé l’astreinte en dernier lieu de procéder à sa liquidation [7], nonobstant l’exercice des voies de recours [8]. Les opérations de liquidation se rattachent, dites-vous, à la même instance contentieuse que celle qui a été ouverte par la demande d’astreinte dont elles constituent le prolongement procédural (CE 8° et 3° s-s-r., 21 mai 2003, n°s 252872, 253384 N° Lexbase : A1744B9H, Tables, p. 934).

L’office du juge - qui est un juge de plein contentieux - ne varie pas davantage : il est circonscrit à l’exécution de la décision juridictionnelle assortie de l’injonction. Ainsi, il est tenu par l’autorité de la chose jugée par cette décision (v. la décision « Torcheux » précitée et CE 8° ch., 24 avr. 2019, n° 421546 N° Lexbase : A7417Y9L) et ne peut connaître d’une contestation soulevant un litige distinct (par exemple, CE 7° et 2° ch-r., 3 mars 2017, n°s 390368, 390369 N° Lexbase : A0083TSU).

Les règles de forme et de procédure aussi sont identiques. La décision du juge de l’astreinte revêt un caractère juridictionnel. Outre qu’il lui appartient de respecter le caractère contradictoire de la procédure [9], il doit motiver sa décision, conformément à la règle posée par l’article L. 9 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2616ALH). Votre décision « Commune du Castellet » rappelle qu’il appartient « en particulier » au juge d’énoncer les motifs qui le conduisent soit à ne pas faire droit aux moyens dont il est saisi en vue d’une modulation de l’astreinte, soit à procéder d’office à une telle modulation (CE 10° et 9° s-s-r., 6 octobre 2010, n° 307683 N° Lexbase : A3495GB3, Rec. p. 368, concl. J. Boucher).

Enfin, les pouvoirs du juge de l’exécution ne diffèrent pas. Rien ne s’oppose à ce que, après une première liquidation provisoire, il rehausse le montant d’une astreinte, lorsqu’il est confronté au mauvais vouloir persistant du débiteur [10]. Le juge peut aussi modérer ou supprimer, y compris pour le passé, même en cas d’inexécution, le montant d’une astreinte provisoire prononcée à l’encontre de l’occupant irrégulier du domaine public (cf. la décision « VNF » du 15 octobre 2014). Votre décision « Société Dauphin Adshel » (CE 2° et 7° s-s-r., 15 mars 2004, n° 259803 N° Lexbase : A6151DBG, Tables, pp. 829-840-853) rappelle sur ce point que le juge se livre à une appréciation souveraine des faits de la cause en refusant de faire usage, à la demande du défendeur, de ce pouvoir.

La principale différence que nous apercevons entre les deux régimes tient au jeu des dispositions de l’article L. 911-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3336AL7) qui autorisent la juridiction à décider qu’un part de l’astreinte ne sera pas versée au requérant mais affectée au budget de l’Etat. Cette faculté n’existe pas lorsqu’est en cause une astreinte prononcée au profit d’une personne publique (autre que l’Etat) contre l’occupant sans droit ni titre de son domaine public, comme l’a précisé votre décision « VNF » du 5 février 2014. Et il en va évidemment de même pour les dispositions des articles L. 911-9 (N° Lexbase : L3337AL8) et L. 911-10 (N° Lexbase : L3338AL9) Code de justice administrative qui intéressent le recouvrement des sommes dues par une personne publique et la sanction par la Cour de discipline budgétaire et financière des personnes responsables de l’inexécution.

2.2.- Ayant dressé ce tableau, il nous paraît incontournable d’admettre l’opérance du moyen soulevé par l’occupant irrégulier du domaine public tiré de ce qu’il rencontrerait des difficultés financières. Nous envisageons au moins deux hypothèses.

D’une part, de telles difficultés peuvent être prises en considération au stade de la liquidation définitive de l’astreinte. Le juge de l’astreinte étant avant tout le juge de la bonne et complète exécution de sa décision, et l’astreinte n’étant qu’un moyen au service de l’exécution, il semble assez naturel qu’il tienne compte, lorsque le but a été atteint et que sa décision a été exécutée, de la situation financière du débiteur, pour éviter de mettre à sa charge une somme qu’il ne serait pas en mesure d’acquitter. Votre pratique est orientée en ce sens. On peut voir une décision « Deck » du 21 décembre 2018 par laquelle votre huitième chambre, après avoir constaté que l’intéressé, technicien supérieur forestier, avait enfin quitté la maison forestière dont il avait été expulsé à la suite d’une décision de mutation d’office prise par l’Office national de Forêts, a dit n’y avoir lieu de condamner l’intéressé au paiement d’une somme aux fins de liquidation définitive de l’astreinte « eu égard à sa situation personnelle et financière ». Cette pratique est, à notre avis, propre à garantir le droit au respect des biens garanti par stipulations de l’article 1er du protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9), invocables à propos des opérations de liquidation d’une astreinte (cf. la décision « Torcheux » précitée) : le gestionnaire domanial restant en droit de réclamer une indemnité au titre de la période d’occupation irrégulière dès lors que l’astreinte est indépendante des dommages-intérêts, la privation de propriété qui résulte de la liquidation définitive d’une astreinte ne saurait méconnaître l’exigence de proportionnalité inhérente à ces stipulations.

D’autre part, l’invocation des difficultés financières du débiteur est également opérante au stade de la liquidation provisoire, lorsque ces difficultés sont présentées comme la cause déterminante de l’impossibilité d’exécuter la décision de justice. Si l’exécution a un coût (ce qui arrive lorsqu’il s’agit de remettre en l’état le domaine public occupé) et si le débiteur allègue qu’il s’est trouvé empêché d’engager les dépenses nécessaires, le juge de l’exécution ne peut se dispenser de prendre position sur cette argumentation pour décider s’il y a lieu de liquider ou au contraire de supprimer l’astreinte, sous réserve que soit en cause une astreinte provisoire. Nous avons rappelé que l’astreinte définitive ne peut être modifiée qu’en cas de force majeure ou de cas fortuit, ces deux notions étant empruntées au droit civil. La loi du 16 juillet 1980, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public (loi n° 80-539 N° Lexbase : L3531HD7) [11], les a en effet reprises, en ce qui concerne le Conseil d’Etat, de la loi du 5 juillet 1972, instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile (loi n° 72-626 N° Lexbase : L1056ITB) [12]. Et la loi du 8 février 1995 (loi n° 95-125 N° Lexbase : L1139ATD) [13] a étendu ces dispositions à toutes les astreintes prononcées par les juridictions administratives. Aujourd’hui, les notions de cas fortuit et de force majeure sont tenues pour équivalentes par la doctrine civiliste [14] et ont d’ailleurs été remplacées, dans la procédure civile, par la notion de cause étrangère [15]. Elles impliquent que soient réunis les trois caractères habituels d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité. Or, les difficultés financières du débiteur seront rarement considérées comme cochant cumulativement ces trois cases. Les tribunaux judiciaires considèrent, par exemple, que la mise en liquidation du débiteur ne constitue pas, en soi, un obstacle constitutif d’une cause étrangère (Cass. com., 2 octobre 2001, n° 00-10.337 N° Lexbase : A1316AWN).

Il reste que les difficultés financières peuvent légitimement être prises en compte au stade de la liquidation provisoire lorsqu’est en cause une astreinte provisoire, étant observé, si l’on regarde encore du côté de l’ordre judiciaire, que l’article L. 131-4 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5818IRW) invite le juge civil à liquider le montant de l’astreinte provisoire « en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter ». Si la Cour de cassation laisse l’existence et l’importance de ces difficultés à l’appréciation souveraine des juridictions du fond, elle veille à ce que celles-ci motivent leurs décisions au regard du comportement du débiteur et des difficultés rencontrées (Cass. civ. 2, 20 décembre 2001, n° 98-23.102, FS-P+B N° Lexbase : A7115AXS, Bull. civ. II, 2001, n° 200 ; Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 09-71.415, F-D N° Lexbase : A9077GGB, sans se contenter de viser ou reproduire les termes de la loi, Cass. civ. 2, 20 décembre 2001, n° 00-14.579 N° Lexbase : A6895AXN, de se référer aux « circonstances de la cause », Cass. civ. 2, 20 janvier 2005, n° 02-20.987, FS-D N° Lexbase : A0744DGN, ou de dire que la liquidation est « justifiée », Cass. civ. 3, 7 novembre 2006, n° 06-11.288, FS-D N° Lexbase : A8035DU7).

Si vous nous suivez, vous pourrez donc constater qu’en liquidant provisoirement l’astreinte provisoire qu’il avait prononcée contre les requérants, sans prendre position sur l’argumentation de ces derniers, défendeurs à l’action en liquidation, tirée de ce que leur situation financière les avait placés dans l’impossibilité de faire remorquer leur péniche, donc d’exécuter l’injonction de l’évacuer du port de l’Ilon, le juge des référés a entaché son ordonnance d’irrégularité. Vous pourrez alors accueillir le pourvoi.

3.- Après cassation, vous pourrez régler l’affaire au titre de la procédure engagée devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles.

Il ne résulte pas de l’instruction qu’à ce jour, M. et Mme X se soient conformés à l’injonction d’évacuer le port de l’Ilon. Les intéressés n’ont produit aucune pièce montrant qu’ils auraient entrepris, postérieurement à l’ordonnance du 14 novembre 2018, quelque démarche que ce soit en ce sens. L’attestation produite selon laquelle une demande de stationnement serait à l’étude auprès de VNF n’est appuyée d’aucun justificatif sérieux. S’agissant de leurs difficultés financières, les intéressés ont précisé, dans un mémoire du 7 mai, que leur revenu global était de 33 177 euros en 2018, qu’ils sont locataires de leur résidence principale mais propriétaires, outre de la péniche, d’une maison dans les Yvelines, financée par un emprunt qui sera soldé dans quatre ans. Eu égard aux frais de convoyage de la péniche (un devis au dossier montre qu’ils sont de l’ordre de 2 500 euros), la situation financière des époux ne les plaçait pas dans l’impossibilité manifeste d’exécuter l’injonction. Enfin, compte tenu de l’autorité de la chose jugée par l’ordonnance prononçant l’injonction, ils ne peuvent utilement se prévaloir que celle-ci ne serait pas utile ou urgente et il n’est nullement établi que la commune aurait renoncé à poursuivre leur expulsion.

Il vous appartient toutefois de vous interroger, d’office, sur la question de savoir si la liquidation de l’astreinte ne se heurte pas à un ultime obstacle tenant à ce que le juge des référés n’aurait pas fixé une date d’effet de l’astreinte. A l’article 1er de l’ordonnance du 14 novembre 2018, il a « enjoint à M. et Mme [X] d’évacuer leur bateau « Molan » du port de plaisance de l’Ilon sans délai et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ». Or vous avez jugé, par une décision « Huet » (CE 8° et 3° s-s-r., 3 juin 2009, n° 313198 N° Lexbase : A7231EHB, T. p. 907), aux conclusions contraires de Nathalie Escaut, que lorsque la formation de jugement qui prononce une astreinte s’abstient, en méconnaissance de l’article R. 921-6 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7273KHT), d’en fixer dans sa décision la date d’effet, celle-ci ne peut être liquidée faute de point de départ. Dans cette affaire « Huet », qui portait sur une occupation irrégulière d’un port de plaisance maritime, le juge des référés avait « enjoint à l’intéressé, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de procéder à ses frais à l’enlèvement de son navire ». Bien que le dispositif de l’ordonnance attaquée ne comportait pas les mots « sans délai », votre décision l’a interprété comme enjoignant à M. Huet de procéder « sans délai » à l’enlèvement de son bateau sans préciser la date d’effet de l’astreinte.

Une application mécanique et rigoureuse de ce précédent conduirait à faire tomber l’astreinte, sans que cette irrégularité puisse être réparée pour l’avenir par votre décision. Il ne resterait plus alors à la commune qu’à revenir devant le juge des référés, ou à celui-ci à se saisir d’office de l’inexécution de son ordonnance d’expulsion. Pareille solution, outre qu’elle produit un effet d’aubaine difficilement justifiable pour les occupants sans droit ni titre du domaine public, nous paraît à la réflexion critiquable.

Nous passons sur le fait que la décision « Huet » s’appuie sur un texte (l’article R. 921-6 du Code de justice administrative) dont vous avez depuis lors dit qu’il n’était pas applicable aux expulsions domaniales - pas davantage d’ailleurs que l’article L. 911-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7382LP4) qui prévoit que la juridiction qui prononce une astreinte en « fixe la date d’effet » -.

Notre idée n’est pas d’exonérer le juge de l’obligation de fixer le point de départ de l’astreinte. Ce que nous proposons, c’est de donner son plein effet à la règle cardinale selon laquelle l’expulsion du domaine public doit toujours être prononcée sans délai (CE Sect., 3 octobre 1958, n° 37051, Rec. p. 468 ; CE 1° et 4° s-s-r., 21 mars 1984, n° 24944 N° Lexbase : A4886ALK, Tables, p. 616, concl. Dondoux, CJEG, 1984, p. 274 ; CE 5° et 3° s-s-r., 13 février 1991, n° 78404 N° Lexbase : A9837AQE, Rec. p. 55, concl. B. Stirn). Vous considéreriez alors que, lorsqu’elle assortit une injonction de libérer le domaine public « sans délai », l’astreinte court, dans le silence de la décision juridictionnelle, à compter de la notification de cette décision.

Vous avez certes permis au juge, « s’il l’estime opportun », de repousser la date d’effet de l’astreinte (CE 8° et 9° s-s-r., 10 décembre 1999, n° 179628 N° Lexbase : A4954AXR, Tables p. 780 ; CE 8° et 3° s-s-r., 6 avril 2001, n° 230000 N° Lexbase : A3612ATX, Rec. p. 180). Le fichage de ce dernier arrêt retient que « le juge des référés a le pouvoir de condamner l’occupant sans titre à libérer le domaine public, en fixant le taux d’une astreinte applicable à compter de l’expiration d’un délai suivant la notification de sa décision ». Cette souplesse se justifie notamment lorsque l’injonction ne peut matériellement être exécutée instantanément : nous pensons par exemple à la remise dans son état primitif du domaine public maritime sur lequel une construction ou un aménagement non autorisé a été édifié. Toutefois, vous n’en avez jamais fait une règle. Outre que l’obligation d’évacuer le domaine peut souvent être exécutée sur-le-champ, lorsqu’il suffit que l’occupant quitte les lieux en emportant ses effets personnels ou en déplaçant un véhicule, un délai de résipiscence n’est pas non plus opportun lorsque l’occupation irrégulière dure depuis un certain temps et que l’occupant a déjà été mis en demeure de partir. Par ailleurs, les pouvoirs reconnus au juge de l’astreinte permettent de surmonter la gêne que l’on pourrait éprouver à l’idée de faire courir l’astreinte dès la notification de l’injonction : non seulement il dispose de la faculté de modérer ou supprimer l’astreinte, mais il peut même dire n’y avoir lieu à liquidation lorsque le retard mis pour exécuter n’est pas significatif et ne peut être regardé comme une inexécution.

Enfin, nous croyons que le justiciable saisit parfaitement, quand on lui enjoint d’évacuer sans délai le domaine public sous astreinte de x euros par jour de retard, que le compteur de l’astreinte commence à courir tout de suite.

En conclusion, nous vous proposons de considérer qu’en ordonnant l’évacuation « sans délai » du bateau « Molan » du port de l’Ilon, le juge des référés a bien fixé, par sa décision du 14 novembre 2018, une date d’effet, qui doit être regardée comme la date de notification de cette décision, intervenue le 21 novembre 2018, le point de départ de l’astreinte étant donc le 22 novembre à 00h00.

Le cours des astreintes qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 étant, en application des dispositions combinées articles 1er et 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 [16], suspendu pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, il y a lieu, compte tenu de la date à laquelle votre décision sera lue, de liquider provisoirement l’astreinte pour la période du 21 novembre 2018 au 11 mars 2020, soit une durée totale de 476 jours, à multiplier par le taux journalier de 100 euros, soit la somme de 47 600 euros. Ce montant est supérieur au montant demandé par la commune (41 600 euros au titre de la période du 21 novembre 2018 au 10 janvier 2020), mais rien ne s’y oppose car en matière d’occupation irrégulière du domaine, contrairement à ce que vous aviez pu juger sur le terrain de l’article L. 911-3 du Code de justice administrative [17], le juge n’est pas tenu par la demande de l’administration (CE 8° et 3° s-s-r., 25 septembre 2013, n° 354677 N° Lexbase : A9649KLX, Tables, pp. 591-592-785-801) car il peut agir d’office [18].

Enfin, il ne nous paraît pas nécessaire de relever pour l’avenir le montant de l’astreinte.

Par ces motifs nous concluons à l’annulation de l’article 1er de l’ordonnance, à ce que l’astreinte prononcée par le juge des référés soit liquidée à la somme de 47 600 euros pour la période du 21 novembre 2018 au 11 mars 2020, à ce que M. et Mme X versent la somme de 1000 euros à la commune au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4), au rejet des conclusions présentées par les intéressés au titre des mêmes dispositions et au rejet du surplus des demandes de la commune.

 

[1] Rendue après cassation pour irrégularité d’une première ordonnance du 3 novembre 2017.

[2] Ici applicable puisque les voies de recours ouvertes contre les ordonnances prononçant la liquidation de l’astreinte sont identiques à celles ouvertes contre les ordonnances prononçant l’astreinte (CE 8° et 3° s-s-r., 21 mai 2003, n°s 252872, 253384 N° Lexbase : A1744B9H, T. p. 934)

[3] Par ex. : CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342714 (N° Lexbase : A3097IPE), Rec. p. 245.

[4] V. Cons. const., décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015 (N° Lexbase : A7734NCG), cons. n° 6, à propos de l’article L. 911-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3336AL7).

[5] V. Ass., 10 mai 1974, Barre et Honnet, Rec. p. 277 et CE 8° et 3° s-s-r., 25 septembre 2013, n° 354677 (N° Lexbase : A9649KLX), T. pp. 591-592-785-801.

[6] Encore serait-il plus approprié de parler de liquidation « intermédiaire » car la décision du juge procédant à une liquidation provisoire devient elle-même définitive et ne peut être remise en cause à l’occasion de la décision procédant à la liquidation définitive de l’astreinte ou en prononçant une nouvelle (CE 3° et 8° s-s-r., 23 octobre 2009, n° 310379 N° Lexbase : A2533EMR, Tables, p. 907).

[7] V. en dernier lieu : CE 7° et 2° ch.-r., 27 mars 2020, n° 434228 (N° Lexbase : A42623K3), à mentionner aux Tables

[8] V. sur la compétence du tribunal administratif pour liquider l’astreinte dans le cas d’un jugement frappé d’appel : CE, avis, 3° et 5° s-s-r., 30 avril 1997, n° 185322 (N° Lexbase : A9667ADE), Tables, p. 1022.

[9] V. CE 3° et 8° s-s-r., 11 janvier 2006, n° 262621 (N° Lexbase : A5282DML), Tables p. 1031 ; CE 8° et 3° ch-r., 24 février 2017, n° 401656 (N° Lexbase : A2382TPW), Tables p. 753 ; CE 8° et 3° s-s-r., 27 mai 2015, n°s 385235, 386045 (N° Lexbase : A7530NIQ).

[10] V. CE 4° et 1° s-s-r., 22 novembre 1999, n°s 141236, 190092 (N° Lexbase : A0233APC), Tables p. 968 ; CE 10° et 7° s-s-r., 22 mars 1999, n° 145048 (N° Lexbase : A0716AEA), Tables p. 968 ; CE 2° et 7° ch-r., 1er avril 2019, n° 405532 (N° Lexbase : A1415XQH), à mentionner aux Tables.

[11] Art. 4.

[12] Art. 8.

[13] Art. 62 ayant complété le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel par un chapitre consacré à l’exécution du jugement et comprenant un article L. 8-4 renvoyant aux articles 3 à 5 de la loi du 16 juillet 1980.

[14] F. Gréau, Répertoire de droit civil - Force majeure - n° 5, Dalloz.

[15] Cf. art. 36 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L9124AGZ), aux termes duquel : « L’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère ».

[16] Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (N° Lexbase : L5730LW7).

[17] CE 1° et 6° s-s-r., 19 mai 2006, n°s 280702, 287514 (N° Lexbase : A6541DPX), Tables, pp. 706-1031-1051, concl. Stahl. Les conclusions relevaient notamment l’absence de pouvoir prononcer une astreinte d’office, ce qui n’est plus vrai depuis 2019.

[18] Ce que permettent également les dispositions de l’article L. 911-3 du Code de justice administrative, telles qu’elles ont été modifiées par l’article 40 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC).

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Energie

[Brèves] Autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité : la participation du public est obligatoire

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 (N° Lexbase : A22923MT)

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N3508BYL

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par Yann Le Foll

Le 03 Juin 2020

► La décision autorisant l’exploitation d’une installation de production d’électricité constitue une décision publique ayant une incidence sur l’environnement, au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement, dont l’élaboration nécessite donc la participation du public ;

toutefois, la méconnaissance par le législateur de ce principe (entre le 9 mai 2011 et le 31 août 2013) ne saurait aboutir à la remise en cause des projets ayant été réalisés en méconnaissance de cette obligation, en raison des conséquences « manifestement excessives » que celle-ci impliquerait.

Telle est la solution d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 mai 2020 (Cons. const., décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 N° Lexbase : A22923MT).

Disposition contestée. Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 311-5 du Code de l’énergie (N° Lexbase : L3389KGM), dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011, portant Codification de la partie législative du code de l’énergie (N° Lexbase : L0593IQZ).

Or, la décision autorisant, sur le fondement de cet article L. 311-5, l’exploitation d’une installation de production d’électricité constitue une décision publique ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement (N° Lexbase : L8859IUN), selon lequel « « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

Position des Sages : non-conformité de date à date. Avant l’ordonnance du 5 août 2013, relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement, aucune disposition n’assurait la mise en œuvre de ce principe à l’élaboration des décisions publiques prévues à l’article L. 311-5 du Code de l’énergie. En revanche, l’ordonnance du 5 août 2013 a inséré dans le Code de l’environnement l’article L. 120-1-1 (N° Lexbase : L6285IX3), applicable à compter du 1er septembre 2013 aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement qui n’appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu une participation du public.

Cet article impose la mise à disposition du public par voie électronique du projet de décision ou, lorsque la décision est prise sur demande, du dossier de demande. Il permet ensuite au public de déposer ses observations, par voie électronique, dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la mise à disposition.

Le Conseil constitutionnel relève que si l’article L. 120-1-1 a été introduit par voie d’ordonnance, celle-ci ne pouvait plus, conformément au dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), être modifiée que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif, à compter de l’expiration du délai de l’habilitation fixé au 1er septembre 2013.  A compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions législatives. Ainsi, les conditions et les limites de la procédure de participation du public prévue à l’article L. 120-1-1 sont « définies par la loi » au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Il en résulte la solution précitée (pour une précédente décision employant déjà ce type de censure de date à date, voir Cons. const., décision n° 2016-595 QPC du 18 novembre 2016 N° Lexbase : A3267SHH, concernant les conditions d'exercice de l'activité d'élimination des déchets et lire {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 40624325, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Chronique] QPC : \u00e9volutions proc\u00e9durales r\u00e9centes - Octobre \u00e0 D\u00e9cembre 2016", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N8060BWG"}}).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le Conseil constitutionnel et les discriminations par ricochet : confirmations jurisprudentielles

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020 (N° Lexbase : A56883KU)

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N3502BYD

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par Bastien Lignereux, Maître des requêtes au Conseil d’Etat

Le 03 Juin 2020

Par une décision du 3 avril dernier, le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, jugé conforme au principe d’égalité une discrimination à rebours dite « chimiquement pure » résultant de l’interprétation jurisprudentielle d’une loi fiscale à la lumière du droit de l’Union européenne. Plus qu’un revirement de jurisprudence, cette décision marque en réalité la confirmation d’un infléchissement de la solution « Metro Holding » engagé depuis 2017.

I - Les modalités spécifiques du contrôle des discriminations par ricochet au regard du principe d’égalité

A - La confirmation d’un infléchissement…

Par sa retentissante décision « Société Metro Holding France SA » du 3 février 2016[1], le Conseil constitutionnel a admis de contrôler au regard du principe d’égalité un régime fiscal résultant de dispositions législatives qui, pour garantir leur compatibilité avec les Directives européennes adoptées en matière de fiscalité directe, ont été rendues inapplicables aux situations mettant en cause deux Etats membres différents de l’Union (situations transnationales européennes). En l’espèce, il a censuré les dispositions relatives au régime « mère-fille » qui excluaient de son champ les titres sans droits de vote, en jugeant injustifiée la différence de traitement entre les situations purement internes, frappées par cette exclusion, et les situations transnationales européennes, pour lesquelles la Directive « mère-fille » faisait, en application d’une jurisprudence constante, obstacle à son application.

Cette décision, confirmée par deux censures ultérieures concernant notamment la célèbre « contribution de 3 % »[2], a pu laisser croire que toute discrimination « à rebours » s’exposait à une censure pour méconnaissance du principe d’égalité. Il en ressort en effet que la différence de situation purement géographique entre situations internes et situations transnationales ne saurait par elle-même justifier une différence de traitement fiscal. L’existence d’une différence de situation est toujours déterminée au regard de l’objet des dispositions législatives en cause ; or il est a priori peu probable qu’une différence induite par l’interprétation jurisprudentielle de la loi à la lumière d’exigences européennes qui n’avaient pas été initialement prises en compte par le législateur soit en rapport direct avec l’objectif qu’il a entendu poursuivre.

La jurisprudence rendue depuis lors a toutefois précisé et, à vrai dire, recentré, la portée de cette solution. D’une part, par sa décision « Epoux V. » du 9 mars 2017, le Conseil a considéré, s’agissant en l’espèce d’une différence de traitement entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d'un Etat membre de l’UE et celles relevant de la sécurité sociale d'un État tiers, que l’objectif poursuivi par les dispositions législatives contestées avait évolué au contact du droit de l’UE, en jugeant qu’elles « ont pour objet d'assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l'Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d'un régime de sécurité sociale d'un autre Etat membre de l'Union »[3]. Ce que des commentaires aux cahiers ultérieurs ont qualifié de « mutation européenne de l’objet de la loi » conduit alors à juger qu’au regard de cet objet, il existe - par hypothèse - une différence de situation entre les deux catégories de contribuables traitées différemment.

D’autre part, parce qu’une telle évolution de l’objet de la loi au contact des exigences européennes conduirait à justifier mécaniquement la discrimination par ricochet contestée s’il s’arrêtait là dans son raisonnement, le Conseil exerce ensuite un contrôle de l’absence de dénaturation de l’objet initial de la loi : dans sa décision « Life Sciences Holdings » du 13 avril 2018, il s’est ainsi assuré que, compte tenu de l’objectif initialement poursuivi par le législateur, il ne résultait pas de la modification de la portée des dispositions examinées une différence de traitement « sans rapport avec » l'objet de la loi[4]. La décision « Calogero G. » du 15 novembre 2019 a confirmé ces modalités spécifiques de contrôle en vérifiant qu’il ne résultait pas des exigences européennes « une dénaturation de l'objet initial de la loi »[5].

Dans ce contexte, la décision du 3 avril 2020 commentée vient confirmer ces évolutions, en déployant la méthode de contrôle déjà appliquée dans le précédent « Calogero G. ». Le Conseil constitutionnel constate d’abord que les dispositions législatives relatives à l’imposition des plus-values mobilières des particuliers, telles qu’interprétées par le Conseil d’Etat à la lumière du droit de l’UE, traitent différemment les plus-values résultant de certaines opérations d’échange de titres placées en report d’imposition selon que l’opération a été réalisée avec une société établie dans un autre Etat de l’UE, auquel cas la Directive « fusions » impose[6], quelle que soit la date de l’échange, de leur octroyer le bénéfice des abattements pour durée de détention applicables à la date de la cession ultérieure des titres reçus en échange, ou dans un cadre national (ainsi qu’en dehors de l’UE), auquel cas elles n'en bénéficient que si elles ont été placées en report d'imposition à compter de la création de ces abattements le 1er janvier 2013, et à raison de la durée écoulée jusqu’à l’événement faisant naître le report. Il juge ensuite, d’une part, qu’il ne résulte pas de ces exigences européennes une dénaturation de l'objet initial de la loi : en effet, il relève que les régimes de report d'imposition en cause visent à garantir « une certaine neutralité fiscale » aux opérations d’échange, en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l'impôt, et estime dès lors que le respect du droit de l’UE impose seulement de « renforcer » la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres. D’autre part, il juge qu’au regard de l'objet de la loi, « telle que désormais interprétée », il existe une différence de situation, tenant au cadre, européen ou non, de l'opération d'échange de titres, justifiant la différence de traitement fiscal contestée.

L’intérêt de cette décision, comme le relève son commentaire aux cahiers, est de confirmer que l’infléchissement jurisprudentiel décrit ci-dessus ne se limite pas aux cas où la différence de traitement oppose l’UE aux pays tiers, mais vaut aussi dans l’hypothèse de discriminations à rebours dites « chimiquement pures », où les situations internes sont moins bien traitées que les situations européennes transnationales. En effet, les précédents « Epoux V. et Life Sciences Holdings » portaient tous deux sur le premier cas. Quant à la décision « Calogero G. », si l’exigence d’un agrément pour l’application du régime fiscal de faveur applicable aux titres attribués dans le cadre d’un apport partiel d’actif, rendue inapplicable aux opérations transnationales européennes par une jurisprudence constante du Conseil d’Etat tirant les conséquences de la Directive « fusions », continuait de s’appliquer à la fois aux opérations internes et aux opérations avec les pays tiers, seules étaient toutefois contestées devant le Conseil constitutionnel les dispositions législatives relatives aux opérations autres qu’internes[7].

B - …mais pas un abandon

Si la décision commentée confirme un resserrement de la portée de la solution « Metro Holding », elle ne conduit pas pour autant à l’abandonner purement et simplement[8]. Il reste en effet que le Conseil constitutionnel accepte de contrôler les discriminations « par ricochet » qui résultent de l’interprétation ultérieure de la loi par les juridictions assurant le respect du droit de l’UE. Il demeure exact que la différence géographique entre situations internes et situations transnationales ne saurait, par elle-même, justifier n’importe quelle différence de traitement fiscal. Cela étant, ce n’est que lorsque la différence de traitement « révélée » par la jurisprudence s’avère totalement orthogonale à l’objectif initialement poursuivi par le législateur qu’elle est jugée contraire au principe d’égalité. Comme l’indique le commentaire aux cahiers, il s’agit de « s’assurer qu’il n’y a pas une incompatibilité radicale entre ce qu’a entendu faire, initialement, le législateur français et ce qu’est devenue la loi une fois que le droit européen l’a faite évoluer ».

En cela, la jurisprudence constitutionnelle se montre respectueuse du champ d’application territorial des règles du droit de l’UE en matière de fiscalité directe. En effet, censurer systématiquement toute différence de traitement entre situations internes et situations transnationales européennes reviendrait à contraindre le législateur, sauf motif d’intérêt général, à étendre aux premières des règles européennes qui pourtant, à la lettre des Directives en cause, ne sont applicables qu’aux situations transnationales. Cela conduirait à ignorer la distinction posée par les traités entre fiscalité indirecte, pour laquelle l’article 113 du TFUE permet au Conseil d’adopter des Directives d’harmonisation, et la fiscalité directe qui, faute d’un fondement spécifique, ne peut donner lieu qu’à des Directives adoptées sur le fondement de l’article 115 de ce traité en vue du rapprochement des législations qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché intérieur. Ainsi, comme l’indique le commentaire aux cahiers de la décision du 3 avril, « Une solution différente aurait restreint la souveraineté fiscale de la France sur les situations uniquement nationales, puisque ces dernières n’auraient jamais pu connaître un traitement différent des situations européennes correspondantes. Une telle limitation de la souveraineté fiscale de la France n’est pas exigée par le droit européen ».[9]

Restera à préciser où se situe le curseur du contrôle de dénaturation effectué par le Conseil constitutionnel, ce que seule sa jurisprudence ultérieure permettra de connaître avec précision. A ce stade, les précédents jurisprudentiels permettent d’apporter les précisions suivantes.

En premier lieu, lorsque le législateur a entendu instituer un régime de neutralité fiscale, dont l’objectif est d’éviter l’imposition immédiate d’un revenu réalisé à raison d’une opération, le fait de retenir, pour les seules opérations transnationales européennes, d’autres modalités de neutralisation qui ne soient pas moins effectives, par exemple en rendant l’opération purement intercalaire, ne dénature pas l’objet initial de la loi. C’est l’apport de la décision rendue le 3 avril : comme l’expose son commentaire aux cahiers, « l’objet initial des dispositions étant justement d’assurer, à travers le temps, une certaine neutralité fiscale des opérations d’échange de titres, le renforcement de cette neutralité fiscale, au profit des seules opérations européennes, ne peut en aucun cas constituer une dénaturation de cet objet initial : l’intervention du droit européen n’a en rien fait perdre sa logique au dispositif d’origine »[10].

De même, ainsi que le montre la décision « Calogero G. », le fait de prévoir des modalités procédurales différentes pour l’octroi d’un régime de neutralité fiscale, allégées pour les opérations transnationales européennes par rapport aux autres opérations, en l’espèce soumises à une exigence d’agrément, n’est pas regardé comme une telle dénaturation : comme l’indique le commentaire de cette décision, « l’intervention du droit européen ne portait que sur les modalités et les conditions d’éligibilité au dispositif de neutralité fiscale des distributions consécutives à des apports partiels d’actif. Elle n’a pas remis en cause le principe de ce régime de neutralité fiscale et n’est pas non plus étrangère à ce régime ».[11]

Enfin, lorsque le législateur a entendu instituer un régime d'intégration fiscale assorti de certains avantages afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements, le fait d’étendre l’application de certains de ces avantages aux sociétés mères d'un groupe fiscalement intégré, pour ce qui concerne leurs filiales établies dans un autre Etat membre de l’UE, de dénature pas l’objectif poursuivi initialement, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans la décision « Life Sciences Holdings ».

En revanche, lorsque la différence de traitement ne se limite pas à modifier la portée du régime fiscal institué par le législateur, ou ses modalités d’application, mais remet en cause le principe même de son application à une catégorie de contribuables, il n’est pas évident qu’elle demeure compatible avec l’objectif initialement poursuivi : ainsi du précédent « Société de participations financières », dans lequel il n’était guère cohérent, au regard de l’objectif de rendement initialement poursuivi, d’exonérer une vaste catégorie de distributions de la contribution dite de 3 %. La qualification par le Conseil constitutionnel de l’objectif initial du législateur, à la lumière des travaux préparatoires de la loi, sera ici déterminante.

II. La prise en compte de l’interprétation de la loi par les juridictions ordinaires

                La décision commentée présente un autre intérêt, en venant confirmer que, lorsqu’une disposition législative est contestée devant lui par le biais d’une QPC, le Conseil constitutionnel l’examine telle qu’interprétée par les juridictions ordinaires.

A - L’absence de remise en cause de l’interprétation de la loi retenue par les juridictions

On sait que, dès une décision du 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a affirmé « qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »[12]. Ainsi, dans le cadre de la procédure de la QPC, il contrôle la constitutionnalité de la règle légale telle qu’elle est effectivement appliquée par les tribunaux : c’est la doctrine dite du « droit vivant ». D’ailleurs, l’adoption d’une nouvelle interprétation jurisprudentielle par les juridictions suprêmes des deux ordres, intervenant après une décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative contestée conforme à la Constitution, est susceptible de constituer une circonstance nouvelle de nature à permettre que soit posée une nouvelle QPC[13].

Si, ainsi que l’énonce le considérant de principe qui vient d’être cité, cette prise en compte de la jurisprudence permet d’abord aux justiciables de contester l’interprétation retenue par les juridictions, elle peut également conduire le Conseil constitutionnel à s’appuyer sur la jurisprudence constante des juridictions pour écarter la QPC qui lui a été renvoyée. Ainsi, dans une décision du 8 octobre 2014, pour écarter le grief tiré de ce que les dispositions législatives relatives au contentieux de la CSPE seraient entachées d’incompétence négative, il s’est fondé sur ce « qu'il résulte de la jurisprudence constante du Tribunal des conflits que le contentieux des impositions qui ne sont ni des contributions indirectes ni des impôts directs est compris dans le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique relevant de la juridiction administrative ; qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que le contentieux de la contribution au service public de l'électricité relève, à ce titre, de la compétence de la juridiction administrative »[14]. Dans tous les cas, c’est sur la loi telle qu’interprétée par les tribunaux que le juge constitutionnel se prononce.

Certes, le Conseil peut être amené à assortir d’une réserve d’interprétation la déclaration de conformité de dispositions déjà interprétées par les juridictions suprêmes des deux ordres lorsque c’est nécessaire pour assurer leur conformité à la Constitution. C’est ce qu’il a fait par une décision du 20 septembre 2013, saisi d’une QPC qui faisait valoir qu’en réservant le bénéfice des exonérations d'impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement allouées par le juge, à l’exclusion des indemnités versées en application d'un protocole d'accord transactionnel, les dispositions de l’article 80 duodecies du Code général des impôts (N° Lexbase : L6155LUI), telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat, méconnaîtraient le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques. Pour les juger conformes à la Constitution, il a en effet dit pour droit « que ces dispositions ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de ces exonérations varie selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction ; qu'en particulier, en cas de transaction, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction »[15].

Si le Conseil constitutionnel est donc susceptible de dicter une nouvelle interprétation de la loi déférée en vue d’assurer sa conformité à la Constitution, il n’en reste pas moins qu’il ne modifie pas de lui-même, avant d’avoir exercé son contrôle, l’interprétation de la loi retenue par les juridictions : son contrôle porte sur la loi telle qu’elle a été interprétée de manière constante par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation.

B - L’application au cas des discriminations par ricochet

La décision commentée vient confirmer ces principes en les appliquant à l’hypothèse spécifique des discriminations par ricochet.

A l’occasion des deux QPC qui lui avaient été transmises par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel était en effet saisi d’une intervention aux fins de non-lieu, appelant l’aile Montpensier à retenir une interprétation des dispositions législatives contestées différente de celle retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision de renvoi, conduisant à faire disparaître toute différence de traitement et donc à priver la QPC de son objet.

On sait en effet que les juridictions suprêmes s’autorisent à retenir une interprétation neutralisante de la loi visant, lorsqu’elle est susceptible de plusieurs lectures, à retenir celle qui est conforme aux principes constitutionnels[16]. En particulier, lorsqu’est en cause une disposition législative qui vise à assurer la transposition d’une Directive européenne régissant les situations transnationales, et qui a fait le choix d’étendre les règles qui en résultent aux situations internes, le juge s’efforce, afin de prévenir toute différence de traitement entre ces différentes situations, de retenir une interprétation uniforme de la loi, à la lumière de la Directive[17]. Ceci peut conduire à priver d’objet une QPC contestant au regard du principe d’égalité l’existence d’une telle différence de traitement. A titre d’exemple, s’agissant du régime « mère-fille », le Conseil d’Etat, dans une décision « SA Technicolor », a retenu une interprétation uniforme de la règle de conservation des titres pendant deux ans ouvrant droit à l’exonération, conduisant à un traitement identique de l’ensemble des sociétés mères françaises, qu’elles perçoivent des distributions de filiales établies en France ou dans d’autres Etats membres de l’UE, ce qui l’a conduit à refuser le renvoi d’une QPC contestant une différence de traitement sur ce point[18].

Toutefois, cet effort d’interprétation uniforme n’est pas sans limites et s’arrête lorsque la lettre de la loi s’y oppose clairement : une Directive ne peut être utilement invoquée pour donner de la loi, en tant qu’elle s’applique à des situations internes situées en dehors du champ de la Directive, une interprétation contraire à sa lettre[19].

Dans ses décisions de renvoi du 19 décembre 2019, le Conseil d’Etat avait confirmé, s’agissant des situations purement internes, l’interprétation constante qu’il retient des dispositions relatives aux reports d’imposition applicables aux opérations d’échanges de titres, selon laquelle les règles d’assiette (et notamment les abattements) applicables à la plus-value en report sont celles en vigueur à la date de l’opération faisant naître le report. Il a alors constaté une différence de traitement par rapport aux situations européennes transnationales, pour lesquelles la directive « fusions » impose de faire application, en matière d’abattements, des règles applicables lors de l’événement mettant fin au report. C’est ce qui l’a conduit à juger les QPC sérieuses.

Devant le Conseil constitutionnel, la partie intervenante estimait qu’il aurait été possible de faire application de la jurisprudence « SA Technicolor » pour retenir une interprétation uniforme de la loi, à la lumière de la Directive, en étendant aux situations internes la règle découlant des exigences européennes, ce qui aurait privé la QPC de son objet. Le Conseil n’a toutefois pu qu’écarter cette argumentation dès lors qu’elle « tend à remettre en cause l'appréciation du caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité par la décision de renvoi ».

Cette solution ne témoigne pas seulement du respect par le Conseil constitutionnel de l’office des juges du filtre de la QPC. En effet, il confirme ainsi que, statuant sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, il examine la loi telle qu’interprétée par la juridiction suprême qui lui a renvoyé la QPC : il ne saurait retenir de lui-même une interprétation différente. Comme le rappelle le commentaire aux cahiers, « si le Conseil constitutionnel est juge de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions législatives qui lui sont renvoyées dans le cadre d’une QPC, il n’a pas à se prononcer sur l’appréciation que la juridiction de renvoi a eue du caractère sérieux de la question, qui l’a d’ailleurs conduite à décider ce renvoi. De plus, le Conseil examine la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la disposition telle qu’interprétée par les juridictions de renvoi ».[20]

 

[1] Cons. const., décision n° 2015-520 QPC, du 3 février 2016 (N° Lexbase : A4423PA3).

[2] Cons. const., décision n° 2017-660 QPC, du 6 octobre 2017 (N° Lexbase : A8693WT7).

[3] Cons. const., décision n° 2016-615 QPC, du 9 mars 2017 (N° Lexbase : A6456TUN).

[4] Cons. const., décision n° 2018-699 QPC, du 13 avril 2018 (N° Lexbase : A8008XKS).

[5] Cons. const., décision n° 2019-813 QPC, du 15 novembre 2019 (N° Lexbase : A2402ZYM).

[6] A supposer que l’opération entre également dans le champ matériel d’application de cette Directive.

[7] Etait contesté l’article 121, 1, troisième alinéa du CGI portant sur les apports partiels d’actif effectués par une société étrangère, alors que les opérations internes sont régies par l’article 115 du CGI.

[8] Au demeurant, comme le relève le commentaire de la décision du 3 avril 2020 (p. 18), le contrôle de dénaturation de l’objet initial de la loi était presque déjà en germe dans la décision « Metro Holding » : « le législateur ayant entendu « favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales», le Conseil constitutionnel a jugé que « la différence de traitement entre les produits de titres de filiales, qui repose sur la localisation géographique de ces filiales, est sans rapport avec un tel objectif ». Cette première décision rend compte du fait que la différence de traitement était trop éloignée, dans sa justification, de l’objet initial de la disposition en cause ».

[9] Commentaire de la décision du 3 avril 2020 (p. 16).

[10] Commentaire de la décision du 3 avril 2020, p. 22.

[11] Commentaire de la décision n° 2019-813 QPC, p. 20.

[12] Cons. const., décision n° 2010-39 QPC, du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR).

[13] CE 5° et 6° ch.-r., 20 décembre 2018, n° 418637, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8417YR8).

[14] Cons. const., décision n° 2014-419 QPC, du 8 octobre 2014 (N° Lexbase : A9168MXT).

[15] Cons. const., décision n° 2013-340 QPC, du 20 septembre 2013 (N° Lexbase : A4337KL9).

[16] CE 6° et 1° ch.-r., 19 mai 2010, n° 331025, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4091EXS).

[17] CE 9° et 10° ch.-r., 17 juin 2011, n° 314667, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6416HTS), et CE 9° et 10° ch.-r., 17 juin 2011, n° 324392, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6421HTY).

[18] CE 10° et 9° ch.-r., 15 décembre 2014, n° 380942, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7880M7Y).

[19] CE 9° et 10° ch.-r., 30 janvier 2013, n° 346683, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4388I4B).

[20] Commentaire de la décision du 3 avril 2020, p. 14.

newsid:473502

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Régime fiscal applicable à l’indemnité transactionnelle versée par le joueur d’un jeu de hasard à celui qui a trouvé le ticket gagnant sur la voie publique

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 27 mai 2020, n° 434067, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A56503M9)

Lecture: 4 min

N3528BYC

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par Marie-Claire Sgarra

Le 03 Juin 2020

L’indemnité transactionnelle versée à une personne ayant trouvé un ticket gagnant du loto sur la voie publique ne constitue pas un revenu imposable.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 27 mai 2020 (CE 8° et 3° ch.-r., 27 mai 2020, n° 434067, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A56503M9).

En l’espèce, la requérante a trouvé sur la voie publique le reçu d'une combinaison gagnante de premier rang du jeu de hasard. Elle s'est présentée à la Française des jeux qui l'a informée qu'elle ne verserait le gain de 163 millions d'euros qu'au vu d'un accord entre elle et le joueur ayant validé ce ticket. Par un protocole transactionnel la requérante a renoncé « à toute instance et action en revendication du gain » et a remis le reçu au joueur, en contrepartie d'une indemnité d'un montant de douze millions d'euros.

A l'issue d'un examen de leur situation fiscale personnelle, la requérante et son mari ont été assujettis au titre de l'année 2011 à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi qu'à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à raison de l'imposition entre leurs mains de cette somme dans la catégorie des plus-values de cession de biens meubles, sur le fondement de l'article 150 UA du Code général des impôts (N° Lexbase : L9065LN3). Le tribunal administratif de Paris fait droit à la demande de décharge des impositions. La cour administrative de Paris confirme le jugement (CAA de Paris, 27 juin 2019, n° 18PA02470 N° Lexbase : A4120ZIG).

Pour rappel, aux termes de l’article 150 UA du Code général des impôts, « sous réserve des dispositions de l'article 150 VI (N° Lexbase : L1020IZS) et de celles qui sont propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de biens meubles ou de droits relatifs à ces biens, par des personnes physiques, domiciliées en France au sens de l'article 4 B (N° Lexbase : L6146LU8), ou des sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 (N° Lexbase : L1176ITQ) à 8 quinquies (N° Lexbase : L1043HL9) dont le siège est situé en France, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V (N° Lexbase : L1883HN3) à 150 VH (N° Lexbase : L0458IHG) ».

La cour administrative d’appel de Paris a jugé que cet accord n’avait pas le caractère d’un acte par lequel l’intéressé a cédé à titre onéreux le reçu ou les droits attachés à ce reçu. A raison selon le Conseil d’Etat. La cour administrative d’appel rappelle à ce titre les dispositions du règlement de jeu de l’Euro millions qui s’oppose à ce que la personne en possession du reçu soit considérée comme son propriétaire. Par ailleurs aux termes de l’article 2255 du Code civil (N° Lexbase : L7201IAX), « la possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom ». Ainsi, la possession d'un bien n'est pas une prérogative juridique mais un pouvoir de fait sur ce bien.

Pour le ministre de l’Action et des comptes publics, l'indemnité perçue par la requérante constitue la contrepartie d'une prestation de service rendue par elle au joueur, imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Sur ce point la cour administrative d’appel juge que la somme litigieuse, bien qu'elle rémunère un service consistant à lui restituer le reçu et à renoncer à toute action ultérieure en revendication du gain, ne pouvait être imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux dès lors que le profit en cause était par nature insusceptible de se renouveler. Raisonnement validé par le Conseil d’Etat.

newsid:473528

Procédure civile

[Brèves] Quels changements à la suite de la publication de l’arrêté technique portant sur la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d’appel ?

Réf. : Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel (N° Lexbase : L1630LXN)

Lecture: 4 min

N3491BYX

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 03 Juin 2020

Un arrêté du 20 mai 2020 (N° Lexbase : L1630LXN) a été publié au Journal officiel du 21 mai 2020, portant sur la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d’appel.

Le texte prévoit notamment :

Dans son premier article, l’abrogation de deux arrêtés est prévue : le premier du 5 mai 2010 (N° Lexbase : L3316IKZ), relatif à la communication par voie électronique dans les procédures sans représentation obligatoire devant les cours d'appel et le second du 30 mars 2011 (N° Lexbase : L9025IPX), relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel.

Le second article fixe, quant à lui, son application, énonçant que les envois, remises et notifications mentionnés à l’article 748-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0378IG4) devront répondre aux garanties fixées par ce nouvel arrêté, et ce dans le cadre des procédures avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d’appel ou son premier président.

Les articles 3 à 8 constituent le chapitre I, portent sur les conditions de forme des actes de procédure remis par la voie électronique :

  • format XLM ;
  • pièce jointe en format PDF ;
  • plateforme de services de communication électronique sécurisée dénommée « e-barreau » ;
  • envois et remises au greffe de la cour d’appel des déclaration d’appel et des conclusions du ministère public seront effectuées par voie électronique, dont la réception générera un avis de réception à destination de son expéditeur ;
  • l’envoi d’un courrier électronique via la plateforme « e-barreau » provoquera l’envoi d’un avis de réception technique par le destinataire, et tiendra lieu vis-à-vis de la partie destinataire de visa au sens de l’article 673 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6856H73), et l’envoi simultané au greffe et aux parties du fichier les contenant, tiendra lieu de remise au greffe au sens de l’article 906 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7238LES;
  • enfin, il est indiqué que « le message de données relatif à une déclaration d'appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif, accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d'appel, de même que leur édition par l'avocat tient lieu d'exemplaire de cette déclaration lorsqu'elle doit être produite sous un format papier. »

Les articles 9 à 11 constituant le chapitre II, portent sur le système de communication électronique mis à disposition des juridictions et du ministère public :

  • la messagerie automatisée est dénommée « ComCi CA » ;
  • elle est adossée au réseau privé virtuel justice (RPVJ).

Les articles 12 à 15, constituant le chapitre III, portent sur la sécurité des moyens d’accès des avocats au système de communication électronique mis à leur disposition, et donc du réseau privé virtuel avocat (RPVA).

Les articles restants portent essentiellement sur l’identification des parties à la communication électronique, et sa fiabilité, ainsi que la sécurité des transmissions.

Ce nouvel arrêté est entré en vigueur le jour de sa publication, le 21 mai 2020, à l’exception des dispositions de l’article 2, en ce qu’elles portent sur la transmission des actes de procédure au premier président près de la cour d’appel, qui rentreront en vigueur à compter du 1er septembre 2020.

 

Informations pratiques :

· dans les procédures avec représentation obligatoire, il n’y a pas de changement, donc la pratique reste identique à celle qui était imposée par l’arrêté précédent du 30 mars 2011 ;

· dans les procédures d’appel sans représentation obligatoire, l’arrêté du 5 mai 2010, ne concernait que la déclaration d’appel et l’acte de constitution, à présent, tous les actes de procédure peuvent être transmis par la voie électronique, cela reste une possibilité et non une obligation ;

· à compter du 1er septembre 2020, la nouveauté énoncée par cet arrêté est la communication électronique devant le premier président, en attendant il faut recourir au papier ;

· ce texte ne s’applique pas de manière rétroactive donc la prudence est de mise. 

 

newsid:473491

Responsabilité

[Brèves] Atteinte à la vie privée : absence de divulgation de SMS malveillants en dehors de la sphère familiale ne faisant pas obstacle à la caractérisation de l’atteinte

Réf. : Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 19-20.522, FS-D (N° Lexbase : A05493MB)

Lecture: 3 min

N3554BYB

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par Manon Rouanne

Le 03 Juin 2020

► Caractérise une atteinte au droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale consacré à l’article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) de nature à engager la responsabilité civile délictuelle de celui qui en est l’auteur, les menaces et dénigrements résultant de l’envoi de messages malveillants ayant pour résultat de troubler la tranquillité de celui qui en est destinataire même si ces derniers n’ont pas fait l’objet d’une divulgation extérieure à la sphère familiale.

Telle est l’interprétation extensive du domaine de la protection de la vie privée et familiale par le Code civil consacrée par la première chambre civile dans un arrêt en date du 20 mai 2020 (Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 19-20.522, FS-D N° Lexbase : A05493MB ; sur les limites à la qualification d’atteinte à la vie privée, v. notamment : Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 99-19.852 N° Lexbase : A4527AYC, Cass. civ. 2, 19 février 2004, n° 02-11.122, F-P+B N° Lexbase : A3202DB9, Cass. civ. 1, 23 avril 2003, n° 01-01.851, FS-P N° Lexbase : A5089BMG).

Résumé des faits. En l’espèce, dans le cadre d’un conflit familial, le destinataire de nombreux messages malveillants adressés par son beau-frère, se prévalant du préjudice consistant dans une atteinte à sa vie privée résultant du trouble porté à sa tranquillité du fait des menaces et dénigrements dont il est l’objet, a engagé, à l’encontre de l’auteur de ces messages, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, une action en indemnisation de ce préjudice.

A hauteur de cassation. La juridiction de première instance ayant rejeté l’engagement de la responsabilité du l’auteur des messages menaçants pour défaut de caractérisation d’une atteinte à la vie privée au sens du Code civil au motif que les messages litigieux ne revêtait qu’un caractère purement privé sans divulgation extérieure à la sphère familiale, le destinataire des messages a contesté la position des premiers juges devant la Cour de cassation en alléguant, comme moyen au pourvoi, qu'une immixtion arbitraire dans la vie d'autrui constitue, par elle-même, une atteinte à la vie privée, nonobstant le fait qu'elle intervienne au sein d'une sphère familiale et qu'elle ne fasse pas l’objet d'une divulgation hors de cette sphère.

Décision. Par une appréciation souple de la qualification d’atteinte à la vie privée au sens de l’article 9 du Code civil protégeant le droit de chacun au respect de sa vie privée, la Cour de cassation fait droit à l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi et casse, ainsi, le jugement rendu en affirmant que l’absence de divulgation des messages comportant des menaces et des dénigrements en dehors de la sphère familiale, ne suffit pas à écarter l’atteinte à la vie privée.

newsid:473554

Sécurité sociale

[Brèves] Revirement de jurisprudence : le juge judiciaire peut se prononcer en faveur d’une remise de dette d’un assuré en cas de précarité de ce dernier

Réf. : Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 18-26.512, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A22903MR)

Lecture: 4 min

N3489BYU

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par Laïla Bedja

Le 03 Juin 2020

► Selon l’article L. 256-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8914LHM), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 (N° Lexbase : L7951LHX), applicable au litige, sauf en ce qui concerne les cotisations et majorations de retard, les créances des caisses nées de l’application de la législation de sécurité sociale peuvent être réduites en cas de précarité de la situation du débiteur par décision motivée de la caisse ;

aussi, il entre dans l’office du juge judiciaire de se prononcer sur le bien-fondé de la décision administrative d’un organisme de Sécurité sociale déterminant l’étendue de la créance qu’il détient sur l’un de ses assurés, résultant de l’application de la législation de Sécurité sociale ;

dès lors qu’il est régulièrement saisi d’un recours contre la décision administrative ayant rejeté en tout ou partie une demande de remise gracieuse d’une dette née de l’application de la législation de sécurité sociale au sens du texte susmentionné, il appartient au juge d’apprécier si la situation de précarité du débiteur justifie une remise totale ou partielle de la dette en cause.

Telle est la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt destiné à sa plus large publication rendu le 28 mai 2020 (Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 18-26.512, FS-P+B+R+I [LXB=A22903MR]).

Faits. La caisse primaire d’assurance maladie a réclamé à une assurée le remboursement de deux indus de pension d’invalidité. La commission de recours amiable de la caisse ayant rejeté sa demande de remise de dette, l’assurée a saisi d’un recours d’une juridiction de Sécurité sociale.

Moyen au pourvoi. La cour d’appel ayant accordé à l’assurée une remise gracieuse, la caisse a formé un pourvoi en cassation selon le moyen que « seul l’organisme social, à l’exclusion du juge du contentieux général de la Sécurité sociale, dispose de la faculté de remettre ou de réduire, en cas de précarité de la situation du débiteur, le montant de sa créance ; qu’en accordant à l’assurée la remise totale de sa dette, les juges du fond ont violé l’article L. 256-4 du Code de la Sécurité sociale. »

Rejet de la Cour de cassation. Enonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi formé par la caisse. En effet, pour accorder à l’assurée la remise totale de deux indus de pension d’invalidité, le jugement retient que celle-ci fait valoir qu’elle ne dispose d’aucun salaire, qu’elle est bénéficiaire de l’allocation aux adultes handicapés depuis une reconnaissance de la maison départementale des personnes handicapées en 2016, que le montant de sa retraite à compter du mois de janvier 2019 s’élèvera à 550 euros par mois, qu’il y a lieu, en conséquence, compte tenu de la situation de précarité de la débitrice, dont au surplus la bonne foi n’est pas remise en question, de lui accorder une remise totale de sa dette ; qu’alors, la remise de la dette était justifiée.

Revirement de jurisprudence. La solution constitue un complet revirement de jurisprudence. Jusqu’à la présente jurisprudence, la Cour de cassation, par une jurisprudence constante, estimait qu’il n’appartenait pas au juge de réduire, en en cas de précarité du débiteur, les créances des caisses nées de l'application de la législation de Sécurité sociale. Cette faculté étant réservée, sauf pour les cotisations et majorations de retard, aux seules caisses (Cass. civ. 2, 10 mai 2012, n° 11-11.278, F-P+B N° Lexbase : A1310IL4, lire le comm. de Ch. Willmann, Abandon, réduction ou aménagement des créances des organismes de Sécurité sociale : compétence de la Caisse et non du juge, Lexbase, éd. soc., n° 486, 2012 N° Lexbase : N2045BTW, et, Cass. civ. 2, 29 novembre 2018, n° 17-20.278, F-P+B N° Lexbase : A9266YNI) (sur La réduction du remboursement des prestations de Sécurité sociale, cf. l’Ouvrage « Droit de Protection sociale » N° Lexbase : E4566AUN).

newsid:473489