La lettre juridique n°468 du 12 janvier 2012

La lettre juridique - Édition n°468

Éditorial

L'Odyssée de la responsabilité de l'agent de voyage : de la tourista à l'attentat

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N9550BSI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014

Préambule

Les Humanités, à quoi ça sert ? A lire Georges Molinié, Président de l'Université Paris-IV Sorbonne, en 2009, "la réponse doit être franche et catégorique : ça sert. Former aux humanités, c'est former par les humanités des jeunes qui s'en approprient les méthodes : la pensée critique, la rigueur intellectuelle, l'argumentation rationnelle, la curiosité, la conviction que l'on n'a jamais fini d'apprendre, qu'il faut toujours adapter son jugement aux mutations du monde et à la pensée de l'autre".

Cette semaine, nous vous proposons un petit exercice de style : un cas pratique sur le droit de la responsabilité civile, sur fond d'épopée homérique ; car si le célèbre périple du roi d'Ithaque montre toutes les facéties que peut revêtir une expédition mal embouchée, la jurisprudence française en matière de responsabilité civile refroidirait les ardeurs taquines des dieux les plus revêches à l'égard de nos héros des temps modernes les plus intrépides : les touristes...

"Ô Muse, conte-moi l'aventure de l'Inventif :
celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra,
voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d'usages,
souffrant beaucoup d'angoisses dans son âme sur la mer
pour défendre sa vie et le retour de ses marins..."

Enoncé

Madame Tourista vient vous consulter, après une croisière fort peu amusante, au cours de laquelle elle prétend avoir contracté une intoxication alimentaire. Sur un paquebot, elle a été victime d'une gastro-entérite et impute cette intoxication à l'ingestion de produits alimentaires fournis par l'organisateur de la croisière.

Solution

Commençant votre propos vous référant aux vers de l'un de nos plus célèbres humanistes, Joachim Du Bellay, tirés de ses Regrets, afin de saluer, avec ironie, le retour, chez elle, de votre cliente :

"Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !",

vous ne pouvez vous empêcher de rire sous cape et de conter, à votre nouvelle cliente infortunée, les affres d'un certain roi d'Ithaque qui, en matière de responsabilité civile des agences de voyages, aurait beaucoup à nous apprendre.

En effet, à travers vingt-quatre chants en grec ancien, et ayant perdu dix ans de sa vie à parcourir la Méditerranée pour retrouver Pénélope et son fils, Ulysse aurait eu d'autres raisons qu'une simple infection par un germe entéro-toxinogène, pour demander des comptes aux "organisateurs" de ses déconvenues si célèbres à travers les âges.

Vous lui faites grâce de la Télémachie, c'est-à-dire des chants I à IV de l'Odyssée, pour conter, tout de même, par le menu, à Madame Tourista, les aventures de l'achéen depuis la chute de Troie jusqu'aux plages d'Ithaque (des chants V à XII), comme ce dernier le fit jadis devant les Phéaciens. Vous lui rappelez comment il partit avec une flotte de douze navires et, par le coup du sort, il revint seul en arrivant au port.

Omettant de raconter le sac d'Ismare, la cité des Cicones, sinon votre client imaginaire, Ulysse, finirait directement ses jours en prison, pour homicide volontaire, acte de barbarie et autres viols et tortures -c'est à se demander si toute avarie de la vie n'est pas le fruit d'un quelconque péché originel-, vous insistez, plus volontiers, sur la première tempête que notre héros dut affronter avec ses compagnons et le fit dériver pendant trois jours, pour arriver au pays des Lotophages. Ce peuple était si hospitalier que sa nourriture, le lotos, annihilait tout désir de repartir. Certes, tant bien que mal, Ulysse réussit à embarquer ses compagnons gourmands d'une vie suave aux confins du monde, mais pour naviguer vers l'île des Cyclopes où ils furent faits prisonniers par Polyphème. Ils s'échappèrent, tout de même, grâce à la ruse légendaire d'Ulysse, enivrant le Cyclope et lui perçant l'oeil dans son sommeil. Après six jours de navigation, sa flotte quelque peu amputée aborde à Télépyle, la cité des Lestrygons, un peuple de géants cannibales. Les éclaireurs du roi épique sont tués et dévorés et les navires d'Ulysse furent fracassés par d'énormes rochers. Ulysse parvint à s'enfuir, mais ne put sauver qu'un seul navire et une poignée de ses marins.

Faisant une pause dans votre récit, vous rappelez à Madame Tourista que, aux termes de l'article L. 211-16 du Code du tourisme, l'agence de voyages est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services. D'autant que l'agence de voyages répond de l'hôtelier qu'elle s'est substituée quant à la sécurité des voyageurs, nous enseigne la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 mai 2000.

Aïe ! L'agence Odyssée a du souci à se faire... Depuis 1978, la jurisprudence est certaine, l'agence de voyages, qui se charge de fournir au voyageur un titre de transport, contracte l'obligation d'assurer l'efficacité du titre ainsi délivré.

Vous poursuivez votre récit en racontant comment notre héros grec dut s'unir à Circé la magicienne, sur l'île d'Aiaié, et refusa de s'alimenter avant que la magicienne n'ait libéré ses compagnons, transformés en porcs. Vous passez rapidement sur les Enfers et le fantôme du devin Tirésias, pour insister sur le passage des Sirènes et des Planktes, épreuves que seuls les Argonautes avaient, autrefois, réussi à surmonter. Et, tout le monde sait, même Madame Tourista aussi, que s'il ne faut pas succomber aux chants des Sirènes, en se bouchant les oreilles avec de la cire, et qu'au large de Charybde, six marins périrent en accompagnant Ulysse dévorés par Scylla.

Et, dire que l'agent de voyage est garant de l'organisation du voyage ou du séjour et responsable de sa bonne exécution, nous rappellent régulièrement les juges du Quai de l'Horloge. Et, même lorsque l'organisateur d'un voyage à l'étranger fait appel à un transporteur local, il reste tenu d'une obligation de surveillance et doit veiller à la bonne exécution du voyage, selon une jurisprudence ancienne de 2003.

N'y tenant plus, vous gardez le meilleur pour la fin, et vous contez comment le navire et tout l'équipage périrent après avoir mangé les troupeaux d'Hélios, ignorant les signes funestes d'Hermès, dieu des voyageurs et emblème de nombreux guides touristiques, envoyés pour les avertir du danger. Seul Ulysse, qui n'a pas mangé de bétail consacré, survit au naufrage. Dérivant pendant dix jours, il échoua sur l'île de Calypso pour y passer sept ans, prisonnier de la nymphe, qui ne cessait de lui faire des avances pour l'épouser -et nous laisserons de côté la problématique juridique du harcèlement sexuel-.

Les affaires de l'agence Odyssée ne s'arrangent pas. Une société organisatrice d'une croisière qui a imposé à ses participants la poursuite d'un voyage en cours, après avoir promis de les rapatrier à la suite d'un attentat, a commis une faute ayant directement causé aux participants un préjudice moral, à lire un arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 2004.

De plus, en bon avocat, respectueux de ses obligations déontologiques -et pourvu de ses vingt heures de formation continue dispensées en conférence et en e-learning !- vous évoquez aussitôt cette jurisprudence de la cour d'appel de Paris en date du 23 janvier 2009 qui rappelle que la prise en otage de voyageurs ne présente pas les caractères de la force majeure, faute d'avoir été imprévisible, et condamne par conséquent l'agent de voyage à indemniser les voyageurs. Et parce que vous êtes promptement réactif à l'actualité juridique, vous ne pouvez pas être passé à côté de cet arrêt rendu le 15 décembre 2011, par lequel la Haute juridiction retient qu'à défaut pour l'agent de prouver que la maladie du client voyageur aurait été contractée, soit avant le départ, soit à l'occasion d'une excursion non prévue par le contrat, sa responsabilité était engagée. Une société organisatrice de la croisière peut donc être appelée à garantir l'agent de voyage de toutes les condamnations prononcées contre lui, dès lors que l'intoxication litigieuse avait été subie à l'occasion de la fourniture d'une prestation autre que l'exécution du contrat de transport proprement dit, seul le régime de la responsabilité de plein droit s'appliquant. Vous faites aussitôt le lien avec une jurisprudence de 2005 selon laquelle une agence de voyages, déclarée civilement responsable, peut exercer son droit de recours contre ses prestataires de services dès lors qu'elle apporte la preuve d'une faute commise par ces prestataires.

Et, si Hélios pouvait invoquait le fait que les compagnons d'infortune d'Ulysse savaient qu'ils ne devaient pas manger des boeufs sacrés, vous rétorqueriez qu'une agence de voyages est tenue d'informer ses clients sur les conditions précises d'utilisation du billet qu'elle leur vend, parmi lesquelles figurent les formalités d'entrée sur le territoire de l'Etat de destination, aux termes d'un arrêt publié du 7 février 2006.

Mais, Madame Tourista, consultant assidûment la base de données Légifrance, vous évoque l'article L. 211-17 du Code du tourisme, selon lequel le principe d'une responsabilité de plein droit ne s'applique pas aux personnes physiques ou morales pour les opérations de réservation ou de vente, conclues à distance ou non, n'entrant pas dans un forfait touristique, relatives soit à des titres de transport aérien, soit à d'autres titres de transport sur ligne régulière.

Mais, vous qui êtes abonné à une documentation juridique professionnelle et qui n'êtes pas un juriste en herbe, vous lui faîtes part de deux décisions de la cour d'appel de Paris, de 2008, pour lesquelles le législateur n'a expressément exclu du champ d'application de la loi, selon l'article L. 221-18 du Code du tourisme, que la vente de billets de transport non inclus dans le forfait touristique et la vente de croisières maritimes. Pour autant, si le principe d'une responsabilité de plein droit ne s'applique pas, l'agent de voyage et le prestataire de croisières ne sont pas pour autant exonérés, notamment du fait des prestations servies sur le paquebot. Et, la cour précise qu'une prestation facultative qui est mentionnée sur la brochure, concourant de la sorte à l'attractivité du forfait touristique vendu, doit être considérée comme étant entrée dans la sphère contractuelle... Et, elle rappelle que la commercialisation de cette prestation n'a pu se réaliser que grâce au concours de l'agent de voyage qui s'est chargé, au cours du périple, de transporter les voyageurs vers le lieu de l'excursion et de les mettre en relation avec le prestataire local qu'il leur a désigné...

Non, ce qui vous inquiète, à vrai dire, ce sont les termes du deuxième alinéa de l'article L. 211-16 du Code du tourisme : l'agence de voyages peut s'exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d'une faute imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure. D'ailleurs, précise la cour d'appel de Paris, dans un arrêt de 2007, la responsabilité de plein droit des agences de voyages ne peut être étendue aux activités dans lesquelles un client a eu un rôle actif et dont l'agence n'a pas la maîtrise.

Et, si cette épopée homérique était est, en fait, imputable au voyageur lui-même, Ulysse, au fait imprévisible et insurmontable d'un tiers, Poséidon, ou à un cas de force majeure, la colère des dieux ? Le conseil de l'agence Odyssée pourrait invoquer la destruction de Troie, l'humiliation du Cyclope et, finalement, celle de Poséidon, son père et néanmoins protecteur des remparts de la ville de Priam. La force majeure ne résidait-elle pas dans la divinité des infortunes d'Ulysse ? Et finalement, "Pénélope était la dernière épreuve qu'Ulysse eut à subir à la fin de son voyage" nous livre, un brin moqueur, Jean Cocteau, dans Le testament d'Orphée.

Mais, la tourista étant le trouble sanitaire le plus fréquent au sein d'un voyage, avec près 20 à 50 % des voyageurs touchés, l'histoire de votre cliente sent la class action à plein nez !

Alors, poursuivons avec Du Bellay...

"Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine".

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Janvier 2012

Lecture: 10 min

N9633BSL

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par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)

Le 12 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Ce sont deux arrêts rendus par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 13 décembre 2011, qui sont à l'honneur de cette chronique : le premier arrêt concerne l'opposabilité de l'expertise judiciaire à l'assureur intervenant volontaire à l'instance et le respect du principe du contradictoire (Cass. crim., 13 décembre 2011, n° 11-81.174, F-P+B) ; le second tire les conséquences de l'absence d'offre provisionnelle par l'assureur à la victime dont l'état n'est pas consolidé (Cass. crim., 13 décembre 2011, n° 11-80.134, F-P+B).
  • Sur l'opposabilité de l'expertise judiciaire à l'assureur intervenant volontaire à l'instance : le contradictoire (Cass. crim., 13 décembre 2011, n° 11-81.174, F-P+B (N° Lexbase : A4728H8M)

La Chambre criminelle de la Cour de cassation n'a guère l'occasion d'être mise à l'honneur de cette chronique, puisque l'essentiel du contentieux du droit des assurances échoit à la deuxième chambre civile.

Avec cet arrêt du 13 décembre 2011, la Chambre criminelle est amenée à se prononcer sur un contentieux initié devant un tribunal de police, pour violation du Code de la route. Appelée à statuer sur les aspects civils de cet accident de la route, la juridiction pénale ordonne une expertise médicale. Le "grain de sable" procédural va se glisser à ce stade. En effet, le conseil de la victime va se méprendre sur l'identité de l'assureur de l'auteur du dommage. Au lieu d'appeler à la cause cet assureur, il va provoquer l'intervention du courtier d'assurance. Ce dernier va en informer l'assureur, lequel va intervenir volontairement à l'instance.

Entre-temps, l'expertise judiciaire a visiblement déjà eu lieu sans que, par hypothèse, l'assureur n'ait pu y être présent et donc contester dès ce moment les conditions du déroulé et les conclusions de l'expertise.

Intervenant volontaire, l'assureur invoque l'inopposabilité de l'expertise, au motif qu'il n'avait été ni présent, ni appelé aux opérations d'expertise. Il dépose des conclusions visant, à titre principal, à porter cette inopposabilité et, subsidiairement, formulera des offres d'indemnisation. L'argument portera devant le premier juge qui condamnera le seul auteur du dommage et dégagera l'assureur de toute obligation de la garantir de cette condamnation, accueillant ainsi l'exception d'inopposabilité.

La cour d'appel de Nouméa infirmera le jugement sur ce point, retenant l'opposabilité de l'expertise à l'assureur qui, bien que non présent, ni représenté lors de l'expertise, a pu à loisir en discuter le contenu, ce qui se déduit de ses conclusions subsidiaires.

L'assureur forme un pourvoi pour défendre l'inopposabilité. Il invoque une atteinte au principe du contradictoire, considérant l'atteinte consommée dès lors qu'il n'a été ni présent, ni appelé aux opérations d'expertise et soutient qu'il importe peu que l'assureur "ait pu discuter devant [la cour d'appel] les conclusions" du rapport d'expertise.

L'argument est repoussé par la Chambre criminelle qui approuve les juges du fond au motif que "l'assureur, bien que ni présent ni appelé aux opérations d'expertise, a pu contradictoirement débattre des conclusions de l'expert et, le cas échéant, solliciter une nouvelle mesure d'expertise".

Le principe du contradictoire est sauf dès lors que le rapport d'expertise peut être en temps utile discuté. Ce faisant, la Chambre criminelle fait la synthèse entre plusieurs courants jurisprudentiels. En effet :

- le principe du contradictoire, garanti par l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) autant que par les exigences du procès équitable (1), s'impose aussi bien à l'expert judiciaire qu'au juge et aux parties ;

- une jurisprudence rendue en matière d'opposabilité de la mesure d'instruction retient que le principe de l'égalité des armes, autant que celui du contradictoire, impliquent que soient déclarées inopposables les opérations ou les résultats d'une mesure d'instruction aux personnes qui n'ont été ni représentées, ni présentes. La solution est énoncée depuis de longues années (2) ;

- en matière d'assurance, une exception s'est dégagée, car "dans le prolongement de la règle selon laquelle un jugement est opposable à un assureur de responsabilité quand bien même celui-ci n'aurait pas été partie à la procédure, il est admis que les résultats d'une expertise dont l'assureur a eu la possibilité de discuter les conclusions lui sont opposables même s'il n'a pas été partie à la mesure d'instruction (V. par ex., Cass. civ. 3, 9 juin 2004, n° 03-11.480 [N° Lexbase : A6265DCZ] ; Constr.-Urb. 2004, comm. 186. - V. également, Cass. civ. 3, 26 mai 1992, n° 90-16.711 [N° Lexbase : A5846C3W]). La solution diffèrerait sensiblement si le rapport ne lui avait pas été communiqué pendant l'instance. Le pendant naturel de la règle précitée est que l'assureur peut se prévaloir du rapport d'expertise dans ses relations avec son assuré" (3) ;

- toutefois, la jurisprudence semble s'attacher à certaines circonstances. Elle considère parfois le rapport d'expertise inopposable à l'assureur appelé en garantie à l'instance postérieurement aux opérations d'expertise bien qu'il puisse critiquer le rapport à lui communiqué au cours de l'instance. Ainsi d'un arrêt de la troisième chambre civile du 27 mai 2010 (4) qui énonce : "que la communication de ce rapport en cours d'instance ne suffisait pas à assurer le respect du contradictoire, la cour d'appel devant laquelle l'inopposabilité de l'expertise était soulevée et aucun autre élément de preuve n'était invoqué, a exactement retenu qu'aucune condamnation ne pouvait intervenir à l'encontre des appelés en garantie sur la base de ce seul rapport d'expertise".

Une telle lecture se concilie mal avec le principe général dégagé par une autre jurisprudence, selon lequel l'assureur, appelé en garantie en un temps où il peut encore discuter les conclusions de l'expert, ne peut, sauf fraude de l'assuré, soutenir que l'expertise ne lui est pas opposable (5).

Toutefois, il nous semble que, sous couvert du respect du principe du contradictoire, les juges pourraient bien sanctionner une déloyauté. Ainsi dans l'arrêt susvisé du 27 mai 2010, l'architecte en litige avec le maître de l'ouvrage s'était-il abstenu de mettre en cause tous les autres intervenants, y compris l'assureur, pendant plus de deux ans. Cet empêchement de discuter une expertise d'une telle durée pourrait bien avoir pesé lourd.

La Chambre criminelle reste, quant à elle, dans une ligne plus classique en approuvant l'opposabilité à l'assureur dès lors qu'il a pu débattre des conclusions de l'expert tant devant le premier juge que devant le juge d'appel, le cas échéant en sollicitant une nouvelle mesure d'expertise.

Sans doute est-il préférable que l'assureur soit appelé à la procédure dès le début et puisse faire valoir ses arguments pour contredire l'expertise par voie de dires. Il n'en demeure pas moins que son intervention à la procédure (forcée ou volontaire) en temps utile pour contredire le rapport d'expertise suffit à ne pas créer d'entorse trop importante au principe du contradictoire.

Par précaution, dans un tel cas de figure, l'assureur ne devra pas hésiter à solliciter, comme l'y invite la Cour de cassation, la désignation d'un nouvel expert en appel. La décision commentée pourra d'ailleurs être utilement citée par l'assureur pour faire valoir que c'est un moyen nécessaire de sauvegarde du contradictoire....

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences en droit privé, Membre de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé) de la Faculté de droit de l'Université de Nantes

  • Conséquence de l'absence d'offre provisionnelle par l'assureur à la victime dont l'état n'est pas consolidé (Cass. crim., 13 décembre 2011, n° 11-80.134, F-P+B N° Lexbase : A4781H8L)

En dépit de l'ancienneté des dispositions relatives à l'indemnisation des victimes, dans le cadre de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9), le contentieux ne se raréfie pas. L'occasion nous a déjà été donnée de commenter des décisions concernant ces aspects ; et nous avions pu souligner la pesanteur d'un formalisme d'une rigueur particulière, proche de celle du droit du travail en matière de lettre de licenciement. Le constat d'un nouvel arrêt de la Cour de cassation sur cet aspect et le commentaire pouvant l'entourer visent à insister sur l'absence de baisse de la garde de nos magistrats sur ces questions, sans doute parce que les assureurs tentent encore de trouver des échappatoires à leur obligation d'offre d'une indemnisation dans les délais requis. Déjà dans ce domaine, les assureurs sont passés proches de la "correctionnelle" si l'on nous autorise ce jeu de mot familier.

On se souvient, en effet, de leur crainte de voir se généraliser une jurisprudence, aux origines aixoises, selon laquelle les "transactions" au sens de la loi du 5 juillet 1985, n'étaient pas constituées lorsque des concessions réciproques ne pouvaient être constatées. La Cour de cassation -mesurant les effets démultiplicateurs immédiats d'une telle jurisprudence sur les affaires en cours, sans évoquer celles n'ayant pas encore reçu de solution judiciaire définitive- avait tempéré les ardeurs de la cour d'appel. Refusant d'appliquer le droit commun, en quelque sorte, de la transaction notamment celui en vigueur justement dans le cadre du droit du travail, elle avait opté pour une interprétation spécifique et autonome de la notion de transaction. Ce fut l'arrêt "Safty" (Cass. civ. 2, 16 novembre 2006, n° 05-18.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3238DSQ).

Preuve de faiblesse de la deuxième chambre de la Cour de cassation ou exception à la sévérité qu'elle développait depuis des années, ce qui apparaît certain à la découverte du présent arrêt de la Chambre criminelle, c'est que cette dernière ne faiblit pas sur ce sujet global. En l'espèce, l'assureur n'avait pas omis d'effectuer une offre ; il avait même versé plusieurs provisions dont certaines avant l'expiration des huit mois suivant la date de l'accident ; mais il n'avait pas fait une offre complète, selon l'expression légale. Or, chacun connaît la sanction de la règle de l'article L. 211-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L6229DIK), d'ailleurs rappelée dans l'arrêt : lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur produit intérêts au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai jusqu'au jour de l'offre ou du jugement définitif.

Nous sommes en France et la sanction pécuniaire demeure la plus efficace. Le législateur le sait, le juge en est tout aussi conscient. L'arrêt du 13 décembre 2011 s'inscrit dans cette perspective, en l'amplifiant même eu égard aux circonstances.

La sévérité ne vient pas du choix du point de départ de la détermination des intérêts de retard ; car, il est acquis que les huit mois doivent être calculés suivant la date de survenance de l'accident. L'interrogation portait sur la possibilité de fractionner ou non ce délai de huit mois, notamment lorsque l'assureur n'a pas reçu tous les éléments nécessaires à la détermination possible d'une offre précise et donc suffisante pour ne pas encourir le moindre reproche.

Concrètement, un homme avait été victime d'un accident de la circulation dont l'entière responsabilité incombait (cas rarissime, bien sûr) à une femme, assurée. Or, la date de consolidation de son état n'était pas intervenue au cours des mois suivants, mais deux ans et demi plus tard. Plus encore, le rapport d'expertise avait été adressé à l'assureur avec retard. Celui-ci avait donc son offre définitive en respectant le délai de cinq mois, non pas à compter des trois premiers mois, mais après réception de ce rapport. L'interrogation concrète s'entendait donc de la date à prendre en considération : date de consolidation ou délai légal de huit mois à compter de l'accident. Plus encore, la spécificité de cet arrêt tenait à la remise du rapport d'expertise après la date effective de consolidation de l'état de la victime : près de deux ans.

Or, la réponse semblait également acquise au regard d'une jurisprudence antérieure établie : c'est lors de la consolidation de l'état de la personne que le juge devrait effectuer les calculs relatifs au volume de la sanction financière due par l'assureur non rigoureux. Et, dans un arrêt en date du 3 mai 2006, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait fait preuve d'une certaine mansuétude, en acceptant une offre effectuée en appel (Cass. civ. 2, 3 mai 2006, n° 05-13.029, F-P+B N° Lexbase : A2573DPY). Plus récemment encore, cette même chambre avait considéré qu'une offre, qui n'était pas manifestement insuffisante, avait été effectuée dans le délai légal, sans qu'il faille tenir compte d'un nouveau rapport d'expertise. Et nous avions pu commenter cette décision, dans cette revue, en évoquant le pragmatisme de nos juges. Certes, un nouvel arrêt, en date du 12 mai 2011, démontrait que la Cour de cassation ne tomberait pas dans un laxisme coupable (Cass. civ. 2, 12 mai 2011, n° 10-17.148, F-P+B N° Lexbase : A1195HRP).

Quoiqu'il en soit, cette conception moins draconienne est remise en cause par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Sans doute, au nom d'une forme de justice globale entre les diverses victimes de tels accidents, convient-il de reconnaître que la possibilité de ne pas régler à la victime l'intégralité de l'indemnité de manière immédiate, place celle-ci dans une situation moins confortable que des victimes moins atteintes sur le plan physique dont l'état est consolidé plus vite, ce qui peut apparaître doublement injuste. Et, si l'assureur paye donc une somme plus élevée si la consolidation a été tardive, il n'aurait qu'à s'en prendre à lui-même puisqu'il n'a pas effectué d'offre.

Si la solution pourrait s'admettre en l'absence de tout versement de provisions suffisantes, elle appelle la réflexion dans les hypothèses où des règlements sérieux ont été opérés avant le délai légal général de huit mois. Les protestations du pourvoi n'étaient pas infondées. Car le droit ne peut ambitionner de rétablir une égalité que la nature et non le seul auteur de l'accident se charge parfois de créer. Telle victime, notamment jeune, obtiendra une consolidation de son état plus rapide qu'une autre, ayant pourtant souffert des mêmes atteintes corporelles. Telle victime ne développera pas une pathologie qu'une autre subira.

Si la deuxième chambre civile ne s'inscrit dans cette perspective, nous aurions donc une opposition entre ces deux chambres. Et faut-il répéter encore que les revirements de jurisprudence, surtout dans le cadre de telles professions, produisent des effets en cascade, onéreux, dont la collectivité des assurés pâtit. C'est sans compter sur la surprise de cet assureur, fort des précédents jurisprudentiels qui se croyait donc légitime à n'avoir effectué que des règlements partiels dans l'attente, elle-même compréhensible, de la précision de l'état précis de la personne après que celui-ci soit consolidé.

Plus encore, cette interprétation s'avère à la lisière de la lettre comme de l'esprit de l'article L. 211-9, alinéa 3, du Code des assurances. Et, au-delà de ces considérations pratiques, si l'on ose dire, une fois encore, le magistrat se fait législateur, ce qui exige plus de circonspection voire de désapprobation.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen


(1) Cf. CEDH, 18 mars 1997, n° 21497/93, Mantovanelli c/ France (N° Lexbase : A8441AWK) : D. 1997, somm., p. 361, obs. Perez ; Gaz. Pal. 1997, 2, jurispr. p. 83, note Pettiti ; RTDCiv., 1997, p. 1007, obs. Marguénaud), dans lequel la Cour européenne rappelle que "l'un des éléments d'une procédure équitable au sens de l'article [6 § 1] est le caractère contradictoire de celle-ci", a étendu à la phase expertale l'application du principe.
(2) Cf. Cass. civ. 1, 21 juillet 1976, n° 75-12.877 (N° Lexbase : A4375CIU), Bull. civ. I, n° 278. Pour des applications plus récentes, cf. Cass. civ. 3, 26 janvier 2010, n° 08-19.091, F-D (N° Lexbase : A6029ERQ) ; Cass. civ. 3, 25 septembre 2007, n° 06-17.907, F-D (N° Lexbase : A5865DYU) ; Cass. civ. 1, 8 juin 2004, n° 01-11.771, FS-D (N° Lexbase : A6060DCG) : RGDA, 2004, p. 650, note J. Beauchard.
(3) Cf., notamment, X. Marchand, Ph. Savatic, J. Audouy, JurisClasseur Procédure civile, Fasc. 660, spéc., § 175 et s..
(4) Cass. civ. 3, 27 mai 2010, n° 09-12.693, FS-P+B N° Lexbase : A7268EXH, Bull. civ. III, n° 104.
(5) cf. Cass. civ. 2, 4 novembre 1992, n° 90-19.807 (N° Lexbase : A5499AH7), Bull. civ. II, n° 258.

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Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Liquidation des droits à la retraite des conseils juridiques devenus avocats et cessation d'activité

Réf. : Cass. civ 1. 15 décembre 2011, n° 10-25.678, F-P+B+I (N° Lexbase : A2911H8C)

Lecture: 3 min

N9594BS7

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par Xavier Berjot, Avocat Associé, Ocean Avocats

Le 12 Janvier 2012

Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que les anciens conseils juridiques devenus avocats ne sauraient voir liquider leurs droits envers la Caisse interprofessionnelle d'allocations vieillesse (CIPAV), sans cessation d'activité, qu'à partir de leur soixante cinquième anniversaire. En l'espèce, M. X. exerçait, jusqu'au 31 décembre 1991, les fonctions de conseil juridique et, à ce titre, cotisait au régime de retraite géré par la CIPAV. Par l'effet de la fusion de sa profession avec celle d'avocat, M. X. est devenu avocat, à compter du 1er janvier 1992, à l'âge de 50 ans révolus. A ce titre, il cotisait alors auprès de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), substituée à la CIPAV. A l'âge de 63 ans, cet avocat a sollicité le bénéfice de ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2005, tout en continuant son activité. La CNBF a alors répondu qu'il pouvait prétendre à la liquidation de ses droits envers la caisse des barreaux dès l'âge de 60 ans, à condition d'avoir démissionné du barreau, et qu'il ne pouvait voir liquider ses droits envers la CIPAV, sans cessation d'activité, qu'à partir de son soixante cinquième anniversaire. La commission de recours amiable ayant rejeté le recours de M. X. à l'encontre de la décision de la CNBF, l'avocat a alors assigné cette dernière pour obtenir la liquidation de l'intégralité de ses droits à compter du 1er janvier 2005, tout en maintenant son activité. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 23 juin 2010, a rejeté la demande de M. X., au motif que seuls les avantages de retraite correspondant aux cotisations versées à la CIPAV avant le 1er janvier 1992, pouvaient lui être servis s'il continuait son activité professionnelle (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 23 juin 2010, n° 08/13008 N° Lexbase : A3188E4T). M. X. a alors formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, et présenté un moyen articulé en deux branches :

- d'une part, les anciens conseils juridiques devenus avocats par suite de la fusion de ces deux professions, âgés d'au moins cinquante ans au 1er janvier 1992, peuvent, lors de la liquidation de leurs avantages de retraite de base et complémentaire, bénéficier du service de ces avantages sans cessation de leur nouvelle profession ;

- d'autre part, il n'est pas distingué entre les avantages de retraite acquis avant le 1er janvier 1992 et ceux acquis postérieurement à cette date, et le service de ceux-ci n'est pas exclu en cas de cessation d'activité.

L'arrêt du 15 décembre 2011 concerne l'application de l'article 13 du décret n° 92-81 du 21 janvier 1992 (N° Lexbase : L7103IRI), pris en application de l'article 42 de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L7803AIT).

Ce texte dispose en ces termes :

"A titre transitoire, les membres de la nouvelle profession anciens conseils juridiques en exercice au 1er janvier 1992, âgés d'au moins cinquante ans à cette date, peuvent, lors de la liquidation de leurs avantages de retraite de base et complémentaire, bénéficier du service de ces avantages sans cessation de leur nouvelle profession".

L'objet de cette disposition est d'assurer le transfert des obligations de la CIPAV, en ce qui concerne les régimes d'assurance vieillesse de base et complémentaire et le régime complémentaire d'assurance invalidité-décès dont bénéficiaient les conseils juridiques en retraite, en activité ou ayant exercé cette activité ainsi que leurs ayants droit, aux régimes que gère la CNBF.

La question se posait de connaître la portée de l'article 13 du décret.

En d'autres termes, les anciens conseils juridiques pouvaient-ils, sur le fondement de ce texte, obtenir la liquidation de l'intégralité de leurs droits (acquis au titre des cotisations versées à la CIPAV et à la CNBF), sans condition de cessation d'activité ?

Pour la Cour de cassation, la réponse à cette question est négative.

Celle-ci considère en effet que seuls les droits nés du régime de retraite géré par la CIPAV peuvent être liquidés à taux plein au profit d'un ancien conseil juridique devenu avocat et remplissant les conditions réglementaires lorsque, ayant atteint l'âge de soixante cinq ans révolus, il entend faire valoir ses droits à la retraite sans cesser son activité professionnelle.

A l'appui de sa position, la Cour de cassation se fonde sur l'article 6 du décret, duquel il résulte que les anciens conseils juridiques non salariés devenus avocats, ainsi que leurs ayants droit, sont soumis à compter du 1er janvier 1992 à l'ensemble des règles applicables aux régimes gérés par la CNBF (sous réserve de quelques articles non discutés en l'espèce).

Or, comme le rappellent les magistrats, la CNBF subordonne l'attribution des droits à la cessation d'activité.

La décision de la Cour de cassation est conforme à l'article 6 du décret, qui est une disposition transitoire.

Rappelons à cet égard qu'au 1er janvier 1992, la CNBF s'est substitué à la CIPAV à l'égard des anciens conseils juridiques non salariés.

L'article 42 de la loi n° 90-1259 a prévu que seraient déterminées par décret les conditions dans lesquelles les obligations de la CIPAV, en ce qui concerne les régimes d'assurance vieillesse de base et complémentaire et le régime complémentaire d'assurance invalidité-décès dont bénéficiaient les conseils juridiques en retraite, en activité ou ayant exercé cette activité ainsi que leurs ayants droit, seraient transférées aux régimes que gère la CNBF.

Le décret a ainsi fixé les conditions du transfert à la CNBF des obligations de la CIPAV à l'égard des anciens conseils juridiques non salariés en activité ou retraités ainsi que de leurs ayants droit.

Dans ce cadre, l'objet de l'article 13 du décret était de maintenir aux anciens conseils juridiques devenus avocats, et âgés de plus de cinquante ans au 1er janvier 1992, les avantages du régime de retraite dont ils bénéficiaient auprès de la CIPAV, à savoir la liquidation des droits après 65 ans avec maintien de l'activité nouvelle d'avocat.

Cela étant, il n'a jamais été question de faire bénéficier les anciens conseils juridiques d'un régime de faveur, qui leur permettrait de bénéficier de la liquidation de leurs avantages de retraite de base et complémentaire, sans cessation de leur nouvelle profession.

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Janvier 2012

Lecture: 21 min

N9549BSH

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 12 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique d'actualités de droit des étrangers rédigée par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. Dans la première décision étudiée, la Cour de justice de l'Union européenne indique que l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5884G4P), en ce qu'il prévoit une peine d'emprisonnement pour tout ressortissant d'un pays tiers âgé de plus de 18 ans et qui séjourne irrégulièrement en France après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, n'est pas conforme à la législation communautaire en la matière (CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11). Dans la deuxième décision étudiée, le Conseil d'Etat énonce que le ministre de l'Immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations, et les documents qu'il produit à leur appui, du fait, notamment, de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité, et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées (CE 2° et 7° s-s-r., 28 novembre 2011, n° 343248, publié au recueil Lebon). Enfin, dans la troisième décision commentée, les juges du Palais-Royal précisent qu'un ressortissant algérien désirant exercer une activité artisanale en France doit respecter les conditions de qualification professionnelle posées par les textes en régissant l'exercice (CE 2° et 7° s-s-r., 23 novembre 2011, n° 343083, publié au recueil Lebon).
  • Non-conformité de l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la Directive "retour" (CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 N° Lexbase : A4929H3X)

1) Retour sur l'arrêt "El Dridi" et la pénalisation du droit des étrangers

Dans l'arrêt "El Dridi" du 28 avril 2011 (1), la CJUE avait jugé que la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS), dite Directive "retour", s'oppose à une réglementation nationale infligeant une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ce territoire.

Rappelons, à cet égard, qu'en France, la pénalisation du droit des étrangers (c'est-à-dire de l'entrée irrégulière, du séjour irrégulier et de la non-exécution d'une mesure d'éloignement) est ancienne. Des sanctions pénales ont accompagné la quasi-totalité des textes imposant des obligations aux étrangers depuis 1893. Elles ont été étoffées par le décret-loi "Daladier" du 2 mai 1938 sur la police des étrangers, qui a pénalisé l'entrée ou le séjour irrégulier sur le sol français. Aujourd'hui, le titre II du livre VI du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit une série d'infractions pénales spécifiques au droit des étrangers. La décision de la CJUE, notamment ses considérants 55 à 58, remet en cause certaines de ces dispositions.

Sont, ainsi, concernés, en premier lieu, les articles L. 621-1 (N° Lexbase : L5884G4P) et L. 621-2 (N° Lexbase : L5123IQS) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient qu'un étranger en situation irrégulière en France encourt une peine d'emprisonnement d'une durée d'un an, une peine d'amende d'un montant de 3 750 euros et, le cas échéant, une peine d'une interdiction du territoire français (ITF) de trois ans, peine complémentaire qui est hors du champ d'application de la Directive "retour" en vertu de son article 2, § 2, b). Ces deux textes font, du seul fait pour un étranger d'avoir pénétré sur le territoire français sans être muni des documents ou visas exigés ou d'y avoir séjourné, une infraction pénale.

Est également concerné l'article L. 624-1 du même code (N° Lexbase : L5125IQU) qui prévoit que le refus d'un étranger de se soumettre à une obligation de quitter le territoire français est passible de trois ans d'emprisonnement et d'une peine d'ITF de dix ans. Les juridictions pénales considèrent que le simple fait de ne pas exécuter de soi-même la mesure d'éloignement constitue le délit. L'infraction peut aussi consister en un refus d'embarquement. Or, dans son arrêt, la CJUE déclare que la Directive "retour" s'oppose à une réglementation nationale permettant l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un étranger "pour le seul motif qu'il demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié".

Est, enfin, concerné l'article L. 622-1 (N° Lexbase : L5886G4R) qui prévoit que l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers, le "délit de solidarité", est punie de cinq ans d'emprisonnement et d'une peine d'amende d'un montant de 30 000 euros. Ce texte peut-il rester une infraction dès lors que l'infraction principale à laquelle ce délit se rattache a disparu ? Il paraît fragilisé mais pourrait, néanmoins, être maintenu, car il semble conforme à la Directive (CE) 2002/90 du 28 novembre 2002, définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers (N° Lexbase : L7681A8Y).

L'arrêt "El Dridi" est venu fragiliser une partie de ce dispositif pénal. Il a, en outre, rendu illégal le placement en garde à vue d'un étranger au seul motif de l'irrégularité de son séjour. Si, désormais, à l'occasion d'un contrôle d'identité sur le fondement des dispositions des articles 78-1 (N° Lexbase : L7139A48) et 78-2 (N° Lexbase : L8747IQZ) du Code de procédure pénale, les forces de police peuvent toujours exiger de l'étranger qu'il établisse son identité et la preuve de la régularité de son entrée et de son séjour en France, le constat d'une situation irrégulière ne peut, à lui seul, justifier un placement en garde à vue. Seule la procédure administrative (reconduite à la frontière ou obligation de quitter le territoire français) pourra être suivie. Depuis cet arrêt, les juges du fond français étaient divisés quant à l'impact de cet arrêt, notamment sur le point de savoir si la Directive "retour" s'oppose, ou non, aux dispositions de l'article L. 621-1, qui fait de l'entrée et du séjour irréguliers un délit punissable d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros. L'arrêt du 6 décembre 2011 vient mettre fin à cette incertitude.

2) La solution retenue dans le présent arrêt

Dans le cadre d'un litige opposant M. X au préfet du Val-de-Marne au sujet du séjour irrégulier de ce ressortissant arménien sur le territoire français, la Cour de justice a été saisie d'une demande de décision préjudicielle introduite par la cour d'appel de Paris (2) qui portait sur l'interprétation de la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008.

Alors que la chambre désignée a refusé d'examiner l'affaire selon la procédure d'urgence prévue par l'article 104 ter du règlement de procédure, le président de la Cour a décidé de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure accélérée conformément aux articles 23 bis du statut de la Cour et 104 bis du règlement de procédure, ce qui a permis à la Cour de statuer dans un délai de cinq mois après l'introduction de la demande. La Cour a entendu souligner que la Directive (CE) 2008/115 ne porte que sur l'adoption de décisions de retour et l'exécution de ces décisions et ne s'oppose pas à un placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier, ou non, du séjour d'un ressortissant d'un pays tiers.

Dans un premier temps, la Cour affirme que les autorités compétentes doivent disposer d'un délai "bref mais raisonnable" pour identifier la personne et rechercher les données permettant de déterminer si elle est un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier. Elle précise que les autorités nationales sont tenues d'"agir avec diligence et de prendre position sans tarder sur le caractère régulier ou non du séjour de la personne concernée". Une fois l'irrégularité du séjour constatée, ces autorités doivent, en principe, "adopter une décision de retour". Selon la Cour, la Directive (CE) 2008/115 ne s'oppose donc ni à une réglementation, telle que l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans la mesure où celle-ci qualifie le séjour irrégulier d'un ressortissant d'un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d'emprisonnement, pour réprimer ce séjour, ni à la détention d'un ressortissant d'un pays tiers en vue de la détermination du caractère régulier, ou non, du séjour de celui-ci. Cette compétence des Etats membres s'explique, notamment, par le fait qu'il leur faut permettre d'éviter, au moyen d'une peine privative de liberté telle qu'une garde à vue, qu'une personne soupçonnée de séjour irrégulier puisse s'enfuir avant que sa situation ait pu être clarifiée.

Dans un second temps, la Cour a rappelé la jurisprudence "El Dridi" selon laquelle les Etats "ne sauraient appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis" par la Directive "retour" "et partant de priver celle-ci de son effet utile". Elle a apporté ensuite des précisions sur les termes "mesures" et "mesures coercitives" de la Directive (à son article 8), en indiquant que ces mesures se réfèrent à "toute intervention qui conduit, de manière efficace et proportionnée, au retour de l'intéressé". La Cour a, ensuite, examiné si cette Directive s'opposait à une réglementation telle que l'article L. 621-1, dans la mesure où elle est susceptible de conduire à un emprisonnement au cours de la procédure de retour régie par ladite Directive. La Cour a considéré que l'infliction et l'exécution d'une peine d'emprisonnement au cours de la procédure de retour ne contribuaient pas à la réalisation de l'éloignement que cette procédure poursuit. Il lui est apparu que la réglementation française, qui prévoit une peine d'emprisonnement pour tout ressortissant d'un pays tiers âgé de plus de 18 ans et séjournant irrégulièrement en France après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, est susceptible de conduire à un emprisonnement, alors qu'en vertu des règles énoncées aux articles 6, 8, 15 et 16 de la Directive "retour", un tel ressortissant d'un pays tiers doit prioritairement faire l'objet d'une procédure de retour et peut, s'agissant d'une privation de liberté, tout au plus faire l'objet d'un placement en rétention. C'est en cela qu'elle porte atteinte à l'effet utile de la Directive. Peu importe donc que les peines soient rarement infligées pour le seul délit de séjour irrégulier.

3) Les conséquences de l'arrêt

Quelques jours après cet arrêt, le Garde des Sceaux a tenté, dans une dépêche du 13 décembre 2011, d'en préciser la portée. Selon cette dépêche, la Directive "retour" "ne s'oppose pas en toute hypothèse" à l'article L. 621-1, puisque la peine d'emprisonnement que prévoit cette disposition "n'est pas la seule prévue", et que la peine d'emprisonnement peut s'appliquer aux étrangers en situation irrégulière à l'encontre desquels "une mesure d'éloignement administratif a été prononcée mais n'a pu être mise à exécution, en dépit du placement en rétention de l'intéressé pour la durée maximale de 45 jours".

Ainsi, les dispositions de la Directive "retour" "ne sont susceptibles d'affecter ni les mesures de garde à vue engagées sur le fondement de l'article L. 621-1, ni les procédures de rétention administrative qui peuvent faire suite à ces mesures", ajoute la dépêche. Cette possibilité de placer en garde à vue divise les juges du fond. Le Garde des Sceaux estime que l'arrêt du 6 décembre 2011 ne serait susceptible de produire des effets "qu'au stade de l'engagement des poursuites pénales contre l'étranger en situation irrégulière au titre de l'article L. 621-1 [du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile]".

La dépêche indique, en outre, qu'une fois que la mesure de garde à vue a permis de caractériser l'irrégularité du séjour, des poursuites exclusivement fondées sur l'article L. 621-1 ne doivent pas être engagées. L'autorité préfectorale doit "mettre en oeuvre une mesure d'éloignement de l'intéressé assortie, le cas échéant, d'un placement en rétention". Des poursuites du seul chef d'entrée ou de séjour irréguliers ne peuvent être engagées "qu'à l'encontre des seuls ressortissants de pays tiers auxquels la procédure de retour établie par cette Directive a déjà été appliquée". La dépêche précise, enfin, que ces personnes doivent avoir fait, à ce titre, "l'objet d'un placement en rétention d'une durée globale de 45 jours", et qu'elles persistent "à séjourner irrégulièrement sur le territoire français sans qu'existe un motif justifié de non-retour".

  • Modalités d'examen des demandes d'asile formées par les étrangers se présentant à la frontière (CE 2° et 7° s-s-r., 28 novembre 2011, n° 343248, publié au recueil Lebon N° Lexbase : N9138BSA)

1) Le rejet par le ministre de l'Immigration des demandes d'asile à la frontière en raison de leur caractère manifestement infondé suppose un examen au fond de ces demandes

Dans l'arrêt qui faisait l'objet d'un pourvoi du ministre de l'Intérieur, la cour administrative d'appel de Paris (3) avait jugé que, dans le cadre de l'examen rapide des demandes d'asile formées par les étrangers se présentant à la frontière, le ministre chargé de l'Immigration ne pouvait porter aucune appréciation sur le contenu du récit du demandeur d'asile et devait limiter son appréciation à la vérification formelle du type de menaces et risques invoqués par ce dernier.

Rappelons qu'aux termes de l'article L. 221-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5034IQI), "l'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste définie par voie réglementaire, dans un port ou à proximité du lieu de débarquement, ou dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée [...]". En vertu des articles R. 213-2 (N° Lexbase : L0282IRU) et R. 213-3 (N° Lexbase : L1552HWE) du même code, la décision visée à l'article L. 213-9 précité est prise par le ministre chargé de l'Immigration, après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

La question posée était donc la suivante : au titre de l'article L. 221-1, le ministre doit-il seulement vérifier que les menaces et risques évoqués par le demandeur d'asile entrent dans la catégorie des types de persécutions énoncés à l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, sur le statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), sans aucunement apprécier la réalité de ces risques de persécutions, ou peut-il et doit-il même, au contraire s'assurer, fût-ce dans un bref délai, que les déclarations du demandeur d'asile font apparaître ces risques comme réels et crédibles ?

La réponse était assez prévisible : le ministre doit pouvoir, pour se prononcer sur le caractère manifestement infondé de la demande d'asile, examiner le contenu du récit du demandeur et, plus précisément, en vérifier le caractère crédible et cohérent, ceci afin de s'assurer que celui-ci peut se prévaloir de risques de persécutions personnelles dans le pays dont il vient, du fait de race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Il y avait presque une contradiction dans les termes entre la solution retenue par la cour, qui excluait que l'appréciation du ministre pût s'étendre au bien fondé de l'argumentation du demandeur, et le texte de l'article L. 221-1 qui autorise le ministre à rejeter les demandes manifestement infondées. En effet, pour considérer qu'une demande est manifestement infondée, il faut bien procéder à un examen au fond, et donc à un examen du bien fondé, même si cet examen est bref et n'est pas approfondi, et si, en particulier, il ne peut et ne doit être aussi approfondi que celui auquel se livrent l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile. Cet examen au fond est donc clairement distinct d'un simple examen de la recevabilité de la demande d'asile : le ministre doit se prononcer sur le fond, ce qui signifie qu'il doit examiner la crédibilité des déclarations faites et des menaces alléguées par le demandeur d'asile.

Dans ses conclusions sous la décision d'Assemblée "Ministre de l'intérieur c/ Rogers" (4), J.-M. Delarue indiquait que, selon le Conseil constitutionnel, il s'agit d'"appréhender la situation de l'intéressé sans avoir à procéder à aucune recherche", c'est-à-dire, selon un commentateur autorisé, "sans vérification d'ordre matériel" (5). Toujours dans ses conclusions sous la décision d'Assemblée, J.-M. Delarue relève que, selon l'avis d'Assemblée générale du 23 septembre 1993, "une demande d'asile serait certainement infondée si leurs auteurs prétendaient être persécutés dans des pays où il n'existerait pas de telles persécutions". Or, en prenant argument de l'absence de persécutions, le ministre se prononce bien sur le fond de la demande, et donc sur son bien-fondé. Les conclusions relèvent, d'ailleurs, expressément que l'examen du ministre est un examen au fond, même s'il doit être bref, et que la décision de rejet d'une demande manifestement infondée "doit être rendue sur des erreurs, des appréciations ou des relations de circonstances par le demandeur d'une évidence telle qu'elles ne laissent la place ni à aucune interprétation personnelle, pas plus qu'à une hésitation de raisonnement". Il est donc bien acquis que le ministre doit examiner le contenu du récit du demandeur d'asile.

La jurisprudence était engagée dans ce sens : le Conseil d'Etat n'a jamais reproché au ministre d'avoir examiné le contenu des déclarations des demandeurs d'asile pour s'assurer que les risques qu'il invoquait étaient réels, crédibles et personnels. Simplement, lorsque qu'il est saisi d'un contentieux tendant à l'annulation de la décision du ministre, il vérifie si les déclarations du demandeur étaient si peu crédibles qu'elles permettaient au ministre de rejeter sa demande comme manifestement infondée. Plusieurs ordonnances du juge des référés du Conseil d'Etat prises au titre du référé-liberté à l'encontre de décisions ministérielles ayant rejeté des demandes d'asile en raison de leur caractère manifestement infondé ont confirmé cette approche. Ainsi, une ordonnance du 18 avril 2002 juge légale la décision ministérielle motivée par les déclarations "imprécises et contradictoires" de l'étranger (6), de même que celle motivée par le défaut de justification précise (7), et celle motivée par le "caractère très général des documents produits" par le demandeur (8). En revanche, le juge des référés du Conseil d'Etat a jugé illégale une décision motivée par l'absence de liens de parenté entre le demandeur et le fondateur d'un parti politique d'opposition alors qu'il résultait de l'instruction que ces liens étaient réels (9). L'on voit bien que, dans toutes ces affaires, il n'a pas été reproché au ministre d'avoir apprécié le bien fondé de la demande, même s'il a pu s'être trompé dans l'appréciation de ce bien-fondé.

Il apparaissait donc clairement que le rejet d'une demande d'asile en raison de son caractère manifestement infondé permet au ministre, et lui impose même, d'examiner si les déclarations du demandeur d'asile sont cohérentes, précises et crédibles, et attestent de risques réels et personnels de persécutions dans son pays d'origine. C'est pourquoi la décision commentée du 28 novembre 2011 précise (nous soulignons) "qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 221-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations, et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l 'article 1er A. (2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, sur le statut des réfugiés".

En juger autrement reviendrait à accorder l'entrée sur le territoire à tout étranger invoquant un risque de persécutions (du fait de race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques) : il suffirait, par exemple, à l'étranger de déclarer qu'il craint des persécutions en raison de ses opinions politiques pour être admis sur le territoire, et il serait interdit au ministre de l'interroger plus avant sur la nature de ces opinions et la nature de son engagement politique. En bref, il lui serait interdit de porter la moindre appréciation sur la véracité des propos tenus. Ce serait donc créer une admission automatique sur le territoire français puisque, hormis, peut-être, les "réfugiés économiques", rares seraient les étrangers qui seraient incapables d'invoquer l'un des types de persécutions énoncés à l'article 1er de la Convention de Genève.

2) L'obligation de communiquer à l'étranger le rapport écrit de l'OFPRA et la sanction de la méconnaissance de cette obligation

La décision ici commentée apporte deux autres intéressantes précisions en ce qui concerne la procédure d'examen des demandes d'asile formées par les étrangers se présentant à la frontière. En premier lieu, le Conseil d'Etat précise les modalités de communication à l'étranger du rapport de son audition par un agent de l'OFPRA qui intervient préalablement à la décision du ministre. Le Conseil, confirmant la solution retenue par une décision du 10 décembre 2010 (10) sur le fondement de l'article 14 de la Directive (CE) 2005/85 du 1er décembre 2005 (N° Lexbase : L9965HDG), juge que, même lorsque la demande, formée par l'étranger qui se présente à la frontière, est traitée selon la procédure de l'article L. 221-1, l'intéressé doit avoir accès au rapport de son audition devant l'OFPRA afin de pouvoir former son recours. Anticipant sur la rédaction du nouvel article R. 213-3 issu d'un décret du 29 août 2011 (décret n° 2011-1031 du 29 août 2011, relatif aux conditions d'exercice du droit d'asile N° Lexbase : L0263IR8) adopté à la suite de la décision n° 326704 (obligation de transmission du rapport de l'OFPRA "en même temps que la remise de la décision du ministre chargé de l'Immigration ou, à défaut, dans des délais compatibles avec l'exercice effectif par l'étranger de son droit au recours"), le Conseil d'Etat précise que la communication du rapport de l'OFPRA à l'étranger, eu égard au "bref délai de quarante-huit heures dont dispose l'étranger se présentant à la frontière pour former son recours", doit "en principe" intervenir "en même temps que la décision du ministre ou dans un délai très bref après la notification de cette décision". En effet, cette communication ne peut être utile à la présentation d'un recours par l'étranger dans le délai de 48 heures que si elle intervient le plus vite possible. Le principe est, à cet égard, que le rapport soit annexé à la décision du ministre.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat indique que l'absence de communication du rapport de l'OFPRA à l'étranger, est certes "sans influence sur la légalité de cette décision" mais fait, toutefois, "obstacle au déclenchement de ce délai de recours et à l'exécution d'office de la décision ministérielle de refus d'entrée au titre de l'asile". Cette précision est essentielle : à défaut de communiquer le rapport de l'OFPRA, le ministre peut voir sa décision perpétuellement contestée, sans pouvoir opposer aucune forclusion à l'étranger, et il ne peut, en outre, exécuter matériellement sa décision, c'est-à-dire renvoyer l'étranger dans son pays d'origine. Autrement dit, l'étranger qui ne s'est pas vu communiquer le rapport de son audition par l'OFPRA voit son délai de recours et sa présence en France prolongés sine die. Il y a là une très forte incitation à communiquer ce rapport en même temps que la décision du ministre.

  • Application aux ressortissants algériens des textes de portée générale encadrant la délivrance de titre de séjour à visée professionnelle (CE 2° et 7° s-s-r., 23 novembre 2011, n° 343083, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9955HZQ)

1) Une jurisprudence qui tirait les strictes conséquences de l'"autosuffisance" de l'accord franco-algérien

Aux termes de l'article 5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : "Les ressortissants algériens s'établissant en France pour exercer une activité professionnelle autre que salariée reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur justification, selon le cas, qu'ils sont inscrits au registre du commerce ou au registre des métiers ou à un ordre professionnel, un certificat de résidence dans les conditions fixées aux articles 7 et 7 bis". Aux termes de l'article 7c du même accord : "Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle soumise à autorisation reçoivent, s'ils justifient l'avoir obtenue, un certificat de résidence valable un an renouvelable et portant la mention de cette activité". Or, selon une jurisprudence constante, l'accord franco-algérien régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés et leur durée de validité, et les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'établir en France (11). La possession d'une carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité commerciale, industrielle ou artisanale n'est, d'ailleurs, pas une obligation imposée aux algériens.

Jusqu'à présent, la jurisprudence n'examinait donc la légalité des décisions accordant ou refusant à un ressortissant algérien un titre de séjour autorisant une activité professionnelle qu'au regard des seules stipulations de l'accord franco-algérien, sans tenir compte du droit interne. Dans l'arrêt ayant fait l'objet du pourvoi, la cour administrative d'appel de Paris (12) avait, ainsi, jugé en principe qu'en vertu du caractère "autosuffisant" et exclusif de l'accord franco-algérien, les stipulations de cet accord relatives au statut "artisan" et "commerçant" ne donnaient pas pouvoir au préfet de vérifier que le ressortissant algérien respectait les conditions prévues par la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (N° Lexbase : L9475A8G). La cour avait ajouté que les dispositions de l'article L. 313-10 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5040IQQ), qui subordonnent la délivrance d'un titre de séjour à l'étranger désireux d'exercer une activité artisanale à la condition qu'il respecte les obligations imposées aux nationaux pour l'exercice de la profession envisagée, "n'étaient pas davantage applicables aux ressortissants algériens". La cour en avait conclu que le Préfet de police ne pouvait refuser la délivrance d'un certificat de résidence "artisan" à un algérien au motif qu'il ne disposait pas des qualifications professionnelles requises au sens des dispositions du décret n° 98-246 du 2 avril 1998 du 2 avril 1998 (N° Lexbase : L9355IP8), pris pour l'application de l'article 16 de la loi du 5 juillet 1996, précitée. La solution retenue par la cour conférait, ainsi, un avantage important aux ressortissants algériens par rapport aux autres étrangers, avantage qui pouvait s'autoriser de la spécificité de l'accord franco-algérien et, plus généralement, de la "relation particulière" existant entre la France et l'Algérie qui avait motivé la conclusion d'un tel accord. Toutefois, elle exonérait les ressortissants algériens des conditions qui pesaient tant sur les ressortissants français eux-mêmes, que sur les ressortissants des autres Etats membres de l'Union européenne ou des Etats appartenant à l'Espace économique européen.

La décision du Conseil d'Etat du 23 novembre 2011 réintègre en partie les ressortissants algériens dans le droit commun des étrangers et aligne leurs obligations de qualification professionnelle sur celles s'imposant aux ressortissants français et communautaires.

2) La soumission des ressortissants algériens aux obligations de qualification professionnelle prévues par le droit national

Le Conseil d'Etat était saisi de la question d'un ressortissant algérien qui s'était vu refuser par le Préfet de police la délivrance d'un certificat de résidence en vue d'exercer la gérance d'une société de plâtrerie, maçonnerie et carrelage qu'il avait créée au motif qu'il ne disposait pas, pour l'exercice de cette activité, des qualifications professionnelles requises par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. La difficulté tenait, en l'espèce, à l'exclusivité qu'il convenait ou non de conférer aux stipulations des articles 5 et 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, prévoyant que les ressortissants algériens qui s'établissent en France pour exercer une activité professionnelle non salariée reçoivent, après vérification de leur inscription au registre du commerce, des métiers ou à un ordre professionnel, un certificat de résidence. En vertu de ces stipulations, jusqu'à présent, c'est seulement lorsque l'activité en cause était soumise à autorisation que la délivrance du certificat était elle-même soumise à son obtention. En revanche, aucune disposition de droit interne ne s'appliquait en sus de ces stipulations.

A la différence de la cour administrative d'appel de Paris, le Conseil d'Etat considère que les stipulations de l'accord franco-algérien ne sont pas exclusives de l'application des textes de portée générale relatifs à l'exercice par toute personne de l'activité professionnelle envisagée. Selon le considérant de principe : "[...] si cet accord régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, cette circonstance ne saurait faire obstacle à ce que leur soient appliqués les textes de portée générale relatifs à l'exercice, par toute personne, de l'activité professionnelle envisagée, ainsi, d'ailleurs, que le rappellent, pour l'exercice de certaines professions par les étrangers d'autres nationalités, les dispositions du 2° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile".

En conséquence, les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité artisanale doivent désormais, comme les ressortissants de tous les autres pays dont la France :
- soit être titulaires du diplôme français propre à la profession (certificat d'aptitude professionnelle, brevet d'études professionnelles, diplôme ou titre de niveau égal ou supérieur homologué ou enregistré lors de sa délivrance au répertoire national des certifications professionnelles) ;
- soit justifier d'une expérience professionnelle de trois ans dans un Etat de l'Union ou de l'Espace économique européen ;
- soit être titulaire d'un diplôme ou d'un titre de formation équivalents délivrés dans un Etat tiers et reconnus par un Etat membre de la Communauté européenne ou par un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen et avoir exercé, effectivement, l'activité concernée dans l'un de ces Etats pendant trois années.

Le Conseil d'Etat ayant renvoyé le jugement de l'affaire au fond à la cour administrative d'appel de Paris, il appartiendra à celle-ci d'examiner si le ressortissant algérien concerné remplissait l'une de ces conditions de formation et d'exercice en ce qui concernait la profession de "second oeuvre du bâtiment".


(1) CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 (N° Lexbase : A2779HPM).
(2) CA Paris, pôle 2, ch. 11, 29 juin 2011, n° 11/02792 (N° Lexbase : A9490HXR).
(3) CAA Paris, 8 juillet 2010, n° 09PA05719.
(4) CE, Ass., 18 décembre 1996, n° 160856, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2300APU).
(5) B. Genevois, RFDA, 1992, p. 192.
(6) CE, S., 18 avril 2002, n° 245267, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7513AYW).
(7) CE, référé, 8 juillet 2002, n° 248313, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8399EPR).
(8) CE, 8 décembre 2003, n° 262446, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0871H97).
(9) CE, référé, 24 octobre 2005, n° 286247, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4803DLH).
(10) CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2010, n° 326704, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7175GMP).
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 25 mai 1988, n° 81420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7699APT).
(12) CAA Paris, 9ème ch., 1er juillet 2010, n° 09PA02577 (N° Lexbase : A2495E7K).

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de fiscalité des entreprises - Janvier 2012 (Spéciale loi de finances pour 2012 et loi de finances rectificative pour 2011)

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 10 Janvier 2012

La loi de finances pour 2012 (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD) et la loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L0278IRQ) sont prolifiques en ce qui concerne les entreprises. En effet, près de 28 dispositions intéressent cette matière : réforme de l'abattement pour durée de détention, transformé en remploi ; majoration exceptionnelle de l'IS pour les entreprises pesant plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires ; durcissement des conditions d'application du taux réduit aux produits tirés de la concession de droits de propriété industrielle entre entreprises liées ; limitation de la déductibilité des charges financières en cas d'acquisition de titres de participation ; exclusion des plus-values du régime de report en cas de cession entre entreprises liées ; encadrement des cabinets de défiscalisation outre-mer ; etc.. La rigueur se fait sentir au travers de ces dispositions, dont Frédéric Dal Vecchio, Avocat, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, vous livre ici un aperçu. L'année 2011 a été riche de textes fiscaux : quatre lois de finances rectificatives pour 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L0278IRQ ; loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L1269IRG ; loi n° 2011-1416 du 2 novembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L2210IRB ; loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011) et une loi de finances pour 2012 (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012) ont "adapté" notre législation fiscale au monde économique moderne, notamment en relevant le taux de TVA de 5.5 % à 7 % (1), en réformant substantiellement l'impôt de solidarité sur la fortune et l'imposition des plus-values des particuliers lors de la cession d'un immeuble de telle façon qu'il sera difficile d'y échapper (2), en supprimant les réductions de droits de donation en fonction de l'âge du donateur, en relevant les tarifs des droits de succession et de donation, en introduisant une "exit tax", nouvelle mouture qui sans nul doute sera contestée au regard du droit communautaire, ou encore en supprimant un régime fiscal avant même sa mise en oeuvre effective, alors que son adoption avait été présentée, en 2005, comme devant favoriser la stabilité du capital social des PME (infra, premier paragraphe).

Autant de mesures de sanctuarisation de l'impôt qui inciteront les contribuables les plus mobiles à s'établir dans des contrées fiscales plus accueillantes : les exilés fiscaux ne retrouveront jamais le chemin de la mère patrie tant que le législateur continuera de leur servir un système fiscal caractérisé par une instabilité chronique, car ce ne sont pas les principes mêmes des textes dérogatoires qu'il faut critiquer mais bien l'incessante propension du Parlement à modifier la loi -sous couvert d'équité ou de justice fiscale- en fonction des poussées de fièvres politiques : les fortunes établies à l'étranger y resteront pour le plus grand bonheur de leur pays d'adoption, ce qui ne sera pas sans inciter les autres à les rejoindre. Le "cru" 2012 s'annonce, de ce point de vue, remarquable : d'une part, du fait d'élections majeures au printemps prochain, dont les conséquences seront l'adoption de nouvelles lois de finances et, sans nul doute, un renforcement des procédures de contrôle fiscal interne ou externe (3), au moins pour des raisons pragmatiques quel que soit l'heureux élu, sinon idéologiques pour l'autre bord de l'échiquier politique ; d'autre part, les autorités publiques ont une vision confuse des notions d'optimisation fiscale et de fraude fiscale (4), ce qui ne facilitera pas le rôle pédagogique tenu par les fiscalistes envers les contribuables. Souhaitons à nos lecteurs un millésime 2012 exceptionnel !

Les deux derniers textes adoptés au seuil de l'hiver qui intéresseront les entreprises ainsi que leur dirigeants, et que nous commentons, s'apparentent à une série de mesures toutes plus hétéroclites, justifiant ainsi la présentation des plus remarquables d'entre elles.

  • Cession des droits sociaux et régime mort-né de l'abattement pour durée de détention transformé en remploi (ou comment démontrer que la probabilité de mise en oeuvre effective d'un régime de faveur est inversement proportionnelle à l'ancienneté de son adoption)

Tout juriste spécialisé en droit fiscal sait qu'un régime dérogatoire, aussi appelé "dépense fiscale" par les économistes, ou encore "niche fiscale" par les journalistes, peut être modifié, voire même remplacé par un nouveau régime autrement plus contraignant que celui originellement adopté.

Le législateur nous offre l'opportunité de vérifier un théorème -presque un axiome- du droit fiscal : la probabilité de mise en oeuvre effective d'un régime de faveur est inversement proportionnelle à l'ancienneté de son adoption.

Les dispositions adoptées en 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 N° Lexbase : L6430HEU) illustrent parfaitement ce phénomène (CGI art. 150 0-d bis N° Lexbase : L4706ICB ; CGI art. 150 0-d ter N° Lexbase : L4706ICB) : elles consistaient en un abattement d'un tiers de la plus-value à compter d'une durée de détention supérieure à cinq ans ; ce qui induisait une exonération d'impôt sur le revenu (5) après huit ans de détention. Ce régime général (CGI art. 150 0-d bis) devait entrer en vigueur -au plus tôt- à compter de 2012, soit six ans après son adoption. Seuls les dirigeants de PME (CGI art. 150 0-d ter) faisant valoir leurs droits à la retraite ont pu en bénéficier dès 2006 -à certaines conditions toutefois- et ils devraient pouvoir s'en prévaloir jusqu'au 31 décembre 2013. Sauf modifications dans un proche avenir...

Opposant l'état calamiteux de nos finances publiques, le Parlement a modifié les règles du jeu dans des proportions autrement plus contraignantes puisqu'une dizaine de conditions seront désormais exigées pour bénéficier de ce nouveau régime, moins séduisant que celui adopté en 2005.

En effet, il ne s'agit plus d'un abattement de la plus-value applicable dès la sixième année de détention mais d'un report d'imposition, sur demande, de la plus-value portant sur des titres détenus, à hauteur d'au moins 10 %, depuis plus de huit ans et subordonné à un remploi, dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société.

Ces titres représentatifs de l'apport en numéraire, entièrement libéré (6), devront être détenus directement et en pleine propriété par le contribuable pendant au moins cinq ans et représenter au moins 5 % des droits de vote et des droits dans les bénéfices sociaux.

Ce report d'imposition pourra être remis en cause en application de l'"exit tax", ressuscitée par la loi du 29 juillet 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011, CGI art. 167 bis N° Lexbase : L9110IQH).

De plus, le contribuable, son conjoint, leurs ascendants et descendants, ou leurs frères et soeurs, ne doivent ni être associés de la société bénéficiaire de l'apport préalablement à l'opération d'apport, ni y exercer les fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis (N° Lexbase : L8986IQU) depuis sa création et pendant une période de cinq ans suivant la date de réalisation de l'apport.

La société bénéficiaire de l'apport ne doit pas avoir procédé à un remboursement d'apport au bénéfice du cédant, de son conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs au cours des douze mois précédant le remploi du produit de la cession.

Lorsque les titres ayant fait l'objet de l'apport sont détenus depuis plus de cinq ans, la plus-value en report d'imposition sera définitivement exonérée. Il est toutefois prévu une dérogation en cas de licenciement, d'invalidité, du décès du contribuable ou de l'un des époux soumis à imposition commune ou en cas de liquidation judiciaire de la société. Mais l'exonération ne s'appliquera pas en cas de remboursement des apports avant la dixième année suivant celle de l'apport en numéraire.

Les apparences sont donc sauves : un régime dérogatoire continue d'exister mais il sera difficilement applicable dans les faits.

  • Plus-value des petites entreprises en fonction des recettes

Les dispositions de l'article 151 septies du CGI (N° Lexbase : L7200ICN) permettent une exonération des plus-values, à l'exception des terrains à bâtir, en fonction du chiffre d'affaires des entreprises et des sociétés relevant de l'impôt sur le revenu exerçant à titre professionnel une activité agricole, artisanale, commerciale, industrielle ou libérale.

Cette exonération, limitée à l'impôt sur le revenu et ne concernant pas les prélèvements sociaux, est subordonnée à un exercice de cinq ans, sauf exceptions (7), et est totale si le chiffre d'affaires est inférieur à 250 000 euros (entreprises de négoce) ou de 90 000 euros (entreprises prestataires de services). Cette exonération est partielle si le chiffre d'affaires est inférieur, respectivement, à 350 000 euros ou 126 000 euros.

La loi de finances pour 2012 prévoit une modification du calcul de la moyenne des recettes : on ne prend plus en compte les deux années civiles qui précèdent l'exercice de réalisation des plus-values mais celles qui précèdent la date de clôture de cet exercice de réalisation.

  • Institution d'une majoration exceptionnelle d'impôt sur les sociétés

Les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujetties à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables. Cette majoration est de 5 % de l'impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature.

Elle concerne les exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'au 30 décembre 2013.

Cette majoration est présentée comme étant exceptionnelle tant que le déficit public sera supérieur à 3 %, selon l'exposé des motifs.

  • Concession de droits de propriété industrielle entre entreprises liées

Une entreprise qui concède certains droits de propriété industrielle à une entreprise tierce voit ses produits taxés à taux réduit : corrélativement, ces charges sont déductibles du résultat imposable pour l'entreprise concessionnaire. Mais lorsqu'il existe des liens de dépendance entre l'entreprise concédante et l'entreprise concessionnaire, le législateur, qui souhaite mettre un terme à toute optimisation fiscale, n'autorise la déductibilité du montant des redevances, pour le calcul du résultat net imposable de l'entreprise concessionnaire, que dans le rapport 15/33,33.

Ce régime punitif n'est pas applicable lorsque l'entreprise concessionnaire apporte, dans le cadre d'une documentation exigée par la loi (CGI, art. 39 terdecies N° Lexbase : L9380IQH), la preuve que l'exploitation de la licence ou du procédé concédé, d'une part, lui crée, sur l'ensemble de la période de concession, une valeur ajoutée et, d'autre part, est réelle et ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française.

  • Carry-back : mesure de simplification interprétative rétroactive

La loi du 19 septembre 2011 a modifié le régime d'imputation des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés (loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011 ; projet d'instruction : DGFiP, communiqué du 8 décembre 2011 lire N° Lexbase : N9217BS8).

Illimité dans le temps depuis la loi de finances pour 2004 (8) (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004, art. 89 N° Lexbase : L6348DM3 ; comp. en matière d'impôt sur le revenu -report des déficits sur six ans- avec le régime applicable en Allemagne) et quant à son montant imputable, la loi de finances rectificative pour 2011 du 19 septembre 2011 institue une entorse à ce principe en plafonnant à un million d'euros le déficit reportable en avant déductible du bénéfice de l'exercice, majoré de 60 % de la fraction du bénéfice excédant un million d'euros.

S'agissant du report en arrière des déficits (carry-back), la loi de finances rectificative pour 2011 du 19 septembre 2011 a modifié les conditions d'application de cette option fiscale en limitant à l'exercice précédent la possibilité d'imputer le déficit constaté, alors qu'il était possible de le reporter en arrière sur trois exercices avant l'adoption de cette loi. De plus, le report n'est possible que dans la limite la plus faible entre le bénéfice déclaré au titre de l'exercice et un million d'euros. Cette loi a également permis de faire échec à la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 8° et 9° s-s-r., 30 juin 1997, n° 178742, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0501AEB) en imposant que l'option soit exercée au titre de l'exercice au cours duquel le déficit est constaté et dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats de cet exercice (CGI art. 220 quinquies II N° Lexbase : L1292IRB).

La loi de finances rectificative de décembre 2011 prévoit l'introduction de dispositions à caractère interprétatif -et donc rétroactif- de la loi de septembre 2011 interdisant aux sociétés ayant clôturé leur exercice avant le 21 septembre 2011 d'opter pour le report en arrière d'un déficit alors constaté : le carry-back ne peut être souscrit qu'au titre du dernier exercice clos. Le parlement modifie également le régime des groupes de société pour le mettre en harmonie avec ces nouvelles dispositions (CGI art. 223 G N° Lexbase : L4211HLK ; CGI art. 223 I, 5 N° Lexbase : L1293IRC).

  • Acquisition de titres de participation : limitation de la déductibilité des charges financières

Prenant acte que certaines sociétés constituaient en France des structures afin d'acquérir des titres de participation et pouvaient ainsi profiter de la déductibilité des charges financières alors que les plus-values et les dividendes ne seraient pas imposés en France (9), une réintégration d'une quote-part des charges financières vient d'être décidée par le Parlement.

Ce mécanisme de lutte contre la localisation de dettes et de charges financières en France ne s'appliquera pas dans les cas suivants :
- la valeur des titres détenus est inférieure à un million d'euros ;
- les titres n'ont pas été financés par emprunt ;
- l'entreprise cessionnaire des titres démontre que le ratio d'endettement du groupe auquel elle appartient est supérieur ou égal à son propre ratio d'endettement.

  • Cession de titres de participation entre sociétés liées

La loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ) avait institué un régime de report s'appliquant aux plus et aux moins-values lorsque des entreprises liées venaient à céder des titres de participation détenus depuis moins de deux ans (10) (CGI art. 219 I-a septies N° Lexbase : L1295IRE).

La dernière loi de finances rectificative pour 2011 prévoit d'exclure les plus-values de ce régime, qui ne concerne plus que les seules moins-values.

Un état de suivi des moins-values placées sous ce régime devra être souscrit sous peine d'une amende de 5 % (CGI art. 1763 N° Lexbase : L3836IG8).

  • Zone franche urbaine (ZFU) : prorogation du régime et obligations sociales

Les dispositions de l'article 44 octies A du CGI (N° Lexbase : L0832IPI) sont prorogées jusqu'au 31 décembre 2014, compte tenu des enjeux pour les entreprises qui y sont implantées et les zones d'aménagement du territoire qui les accueillent (A. Frayer, La zone franche, "ballon d'oxygène" pour les cités, Le Monde, 29 décembre 2011, p. 9). De nombreuses conditions sont imposées aux entreprises qui y sont implantées afin de bénéficier d'exonérations d'impôts, notamment quant à la détention du capital, l'activité principale, le nombre de salariés ne devant pas excéder cinquante personnes et le chiffre d'affaires ne devant pas dépasser dix millions d'euros.

Pour les contribuables qui créent des activités dans une zone franche urbaine à compter du 1er janvier 2012, les employeurs qui entendent bénéficier de ce régime fiscal dérogatoire soumis au plafond de minimis devront :
- employer un certain pourcentage de salariés résidant dans la ZFU à compter de la deuxième embauche alors que, précédemment, cette obligation ne concernait que les entreprises employant au moins trois salariés ;
- bénéficier de l'exonération de cotisations sociales qui dépend du montant des salaires versés pour toute nouvelle embauche.

  • Encadrement des cabinets de défiscalisation outre-mer

La loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ), qui était, par ailleurs, intervenue quant à la base de calcul à retenir en matière de crédit d'impôt recherche quant aux rémunérations des intermédiaires pour leurs conseils (CGI art. 244 quater B N° Lexbase : L9901INZ), ainsi que la loi du 29 juillet 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011), ont encadré l'activité des cabinets de défiscalisation outre-mer (CGI art. 242 septies N° Lexbase : L9108IQE).

La loi de finances pour 2012 poursuit le même objectif en les obligeant à s'inscrire sur un registre tenu par un représentant de l'Etat, à la condition que ces cabinets :
- justifient de l'aptitude professionnelle de leurs dirigeants et associés ;
- qu'ils soient à jour de leurs cotisations sociales et fiscales ;
- qu'ils aient contracté une assurance contre les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile professionnelle ;
- qu'ils présentent, pour chacun des dirigeants et associés, un bulletin n° 3 du casier judiciaire, vierge de toute condamnation ;
- qu'ils justifient d'une certification annuelle des comptes par un commissaire aux comptes ;
- qu'ils signent une charte de déontologie.

  • Procédure d'assistance administrative en matière fiscale

La Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 (Directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures N° Lexbase : L8286IGY) est transposée en droit français. Parmi les mesures remarquables, l'assistance administrative internationale prévoit désormais une importante extension de son champ d'application en matière de recouvrement, de notification d'actes ou de décisions, y compris judiciaires, de prises de mesures conservatoires et d'échange de renseignements relatifs à toutes les créances afférentes à l'ensemble des taxes, impôts et droits quels qu'ils soient, perçus par un Etat membre ou pour le compte de celui-ci ou par ses subdivisions territoriales ou administratives ou pour le compte de celles-ci, y compris les autorités locales, ou pour le compte de l'Union. Cela concerne également les sanctions, amendes, redevances et majorations administratives liées aux créances pouvant faire l'objet d'une demande d'assistance mutuelle. On notera, toutefois, que la nouvelle rédaction de l'article L. 283 A du LPF (N° Lexbase : L1718DAU) exclut du champ d'application de cette assistance mutuelle notamment les cotisations sociales obligatoires et les sanctions pénales infligées sur la base de poursuites à la diligence du ministère public. Enfin, un nouvel article L. 283 F, codifié au sein du LPF, prévoit l'assistance des fonctionnaires des administrations des autres Etats membres dûment habilités par l'autorité requérante par un mandat écrit et autorisés par l'administration française pouvant assister les agents de l'administration dans le cadre des procédures judiciaires engagées en France.

  • Lutte contre la fraude fiscale : délai de reprise

Le Parlement modifie les dispositions de l'article L. 169 du LPF (N° Lexbase : L0499IP8) en adaptant le délai de reprise de dix ans applicable en cas d'activité occulte, de procédure de flagrance fiscale (LPF art. L. 16-0 BA N° Lexbase : L2754IG4 ; BOI 13 L-12-08, instruction du 31 décembre 2008 N° Lexbase : X4812AEX), ou encore lorsque certaines déclarations incombant au contribuable n'ont pas été souscrites (comptes ouverts, détenus ou utilisés à l'étranger par une personne physique ou une association ou encore une société n'ayant pas une forme commerciale : CGI art. 1649 A N° Lexbase : L1746HMM ; revenus provenant de structures établies dans un Etat ou un territoire à fiscalité privilégiée : CGI art. 123 bis N° Lexbase : L3247IGD, CGI art. 209 B N° Lexbase : L3313IGS ; contrats d'assurance-vie : CGI art. 1649 AA N° Lexbase : L1747HMN ; trust notamment en cas de constitution, modification ou extinction : CGI 1649 AB N° Lexbase : L9523IQR).

La référence aux seuls Etats ou territoires n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales étant supprimée, l'administration fiscale française pourra désormais exercer son droit de reprise décennal sans aucune distinction entre les Etats ou territoires où les avoirs auraient été placés.


(1) Sauf en ce qui concerne les produits et services de première nécessité.
(2) En prévoyant un abattement total après trente ans de détention, rares seront les contribuables qui en bénéficieront : succession et divorce houleux, mutation professionnelle, études des enfants, prise en charge du quatrième âge, licenciement, décès, maladie... sont autant d'événements qui obligeront le contribuable à céder son bien et rendront, par conséquent, improbables le bénéfice des 100 % d'abattement sur le montant de la plus-value avant l'échéance trentenaire ; sauf à ce que l'administration publie des tempéraments dans sa doctrine. On soulignera également que le contribuable devra attendre vingt-quatre ans pour bénéficier d'un abattement de 52 % contre dix ans dans le régime qui prévalait jusqu'alors.
(3) 16 milliards d'euros ont été redressés en 2010 contre 15 milliards d'euros en 2009 : conférence de presse de Madame Valérie Pécresse, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'Etat, Porte-parole du Gouvernement, 24 novembre 2011 (lire N° Lexbase : N8992BST).
(4) "Mme Valérie Pécresse, ministre. [...] Ces deux garde-fous nous permettront d'être certains que l'on est face à une logique frauduleuse d'optimisation fiscale...
M. Gilles Carrez, rapporteur général. L'optimisation n'est pas de la fraude.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je sais bien que nous avons toujours ce débat...
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je suis moins sévère que vous.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous sommes dans une logique d'optimisation fiscale qui flirte avec la notion de fraude ; mieux vaut poser quelques garde-fous pour nous assurer de bien circonscrire le champ de la mesure", débats AN - 2ème séance, 2 décembre 2011, p. 8466.
(5) Les prélèvements sociaux restent dus : l'assiette est alors constituée de la plus-value avant abattement.
(6) Les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être entièrement libérés au moment de la souscription ou de l'augmentation de capital ou, au plus tard, à l'issue du délai de trente-six mois.
(7) Expropriation, perception d'indemnités d'assurance.
(8) Antérieurement, le report des déficits ne pouvait se faire que sur les cinq exercices suivant celui au titre duquel ils étaient constatés.
(9) "Le Gouvernement nous a suivis dès le collectif de septembre dernier sur le problème de la sanctuarisation d'une partie du résultat par rapport au report déficitaire ; je m'en réjouis. J'ai posé, dès cette époque, la question de la déductibilité totale des charges financières des emprunts. Nous sommes les seuls, ou presque, à avoir un tel dispositif. En Allemagne, par exemple, il y a un plafonnement des charges financières par rapport au résultat. L'amendement n° 19 rectifié vise à permettre à votre administration, madame la ministre, de lutter plus efficacement contre les abus de droit : certaines entreprises qui utilisent le droit fiscal français pour réaliser des opérations d'acquisition à l'étranger. Exemple : une entreprise américaine a besoin d'acheter une société en Allemagne ou en République tchèque. Pour ce faire, elle utilise comme support une entité française, qu'elle endette et qui bénéficie donc, en application du droit fiscal français, de la déductibilité totale de ses intérêts, alors qu'elle n'est pour rien dans la chaîne de décision qui aboutit au rachat de cette société tchèque ou allemande. Notre amendement propose d'exclure du bénéfice de la déductibilité ce type d'opérations, tout en l'admettant parfaitement dès lors que le contrôle reste exercé en France. Si une entreprise française décide d'acheter une entreprise en République tchèque et s'endette pour ce faire, bien entendu, dans ce cas, la déductibilité des charges financières est totale. Cet amendement, vous le voyez, apparaît très vertueux dans le contexte actuel de délocalisation : il permettra de sortir de ce type de déduction qui nuit au rendement de l'impôt sur les sociétés, voire, mieux encore, de rapatrier en France les centres de décision pour bénéficier du droit fiscal français. Nous y avons énormément travaillé avec vos services, madame la ministre, depuis plusieurs mois : sa rédaction était quelque peu compliquée, mais aujourd'hui, vous verrez, elle me paraît parfaitement calée", intervention de Monsieur Gilles Carrez, rapporteur général, débats AN - 2ème séance, 2 décembre 2011, p. 8465 et s.
(10) "Afin de déduire de l'impôt sur les sociétés au taux à 33.33 % cette dépréciation des titres, certaines entreprises extériorisaient cette moins-value en cédant les titres dans les deux ans suivant leur acquisition à une autre société du groupe dont elle fait partie, telle une société filiale ou une société soeur [...] Afin de faire cesser cette pratique abusive, l'article 13 de la loi de finances pour 2011 a placé les plus ou moins-values provenant de cession de titres de participation détenus depuis moins de deux ans à une société liée au sens du 12 de l'article 39 du Code général des impôts sous un régime de report d'imposition", P. Oudenot, Fiscalité des groupes et des restructurations, LexisNexis, coll. : Litec Fiscal, 2011, p. 224.

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Fiscalité des particuliers

[Manifestations à venir] Refonder l'impôt sur le revenu ?

Lecture: 2 min

N9606BSL

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Le 12 Janvier 2012

Le Centre d'études et de recherches administratives et politiques (CERAP) de l'Université Paris 13, avec la participation de l'Institut international des sciences fiscales (2ISF) et du Centre Léon Duguit (Université d'Evry-Val d'Essonne), organise un colloque le vendredi 20 janvier 2012. Cette journée de réflexion, placée sous la direction de Laurence Vapaille, Maître de conférences, membre du CERAP, porte sur le thème "Refonder l'impôt sur le revenu ?".
  • Programme

8h30
Accueil des participants

9h
Ouverture : Dimitri Houtcieff, Professeur à l'Université d'Evry-Val d'Essonne, Directeur du centre de recherche Léon Duguit et Pierre-Yves Monjal, Professeur à l'Université Paris 13, Directeur du CERAP.

9h20
I - Impôt sur le revenu et justice fiscale
Gilbert Orsini, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III, Doyen de la faculté de droit et de science politique

1 - Bref retour historique sur l'impôt sur le revenu à la recherche de la justice
Christophe de la Mardière, Professeur à l'Université de Bourgogne

2 - Justice fiscale et impôt(s) sur le revenu
Michel Bouvier, Professeur à l'Université Paris 1, Président de Fondafip

3 - Justice sociale et impôt sur le revenu : une perspective sociologique
Marc Leroy, Professeur à l'Université de Reims

4 - Quelle justice fiscale pour l'IR en Algérie ?
Bachir Yelles, Professeur à l'Université d'Oran, Algérie, Doyen de la faculté de droit

10h40
Débat et pause

11h
II - Les dépenses fiscales
Cendrine Delivré, Professeur à l'Université Paris 13, membre du CERAP

1 - Prélèvement fiscal ou incitation à la dépense : un choix politique ?
Gilbert Orsini, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III, Doyen de la faculté de droit et de science politique

2 - La typologie des niches fiscales : un outil pour refonder l'impôt sur le revenu ?
Katia Weidenfeld (Centre d'analyse et de théorie du droit)

3 - Des niches pour protéger l'environnement (IR et politique environnementale)
Fabrice Bin, Maître de conférence à l'Université de Toulouse 1 Capitole

4 - Les dépenses fiscales dans le cadre de l'impôt sur le revenu en Allemagne
Michael Preisser, Professeur à l'Université de Lünenbourg, Allemagne

12h20
Débat

12h45
Déjeuner

14h
III - La progressivité
Michel Bouvier, Professeur à l'Université Paris 1, président de Fondafip

1 - La progressivité en question
Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III, président de l'institut international des sciences fiscales, membre du CERAP

2 - L'extension de la progressivité de l'IR à d'autres impositions (CSG, CRDS)
Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne, membre du CERAP et du centre Léon Duguit

3 - Une alternative à la progressivité : la flat tax ?
Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, membre du LEJEP et du CERAP

4 - La progressivité de l'IR espagnol
Juan Bayona Gimenez, professeur à l'Université d'Alicante, Espagne

15h20
Débat et pause

15h40
IV - Un ancien impôt pour une nouvelle famille
François Colly, Professeur à l'Université d'Evry-Val d'Essonne, membre du centre Léon Duguit

1 - Un contribuable logé à une autre enseigne : le cas de l'impatrié
Damien Coursodon, Responsable fiscal du groupe Invivo

2 - Le couple et l'impôt sur le revenu
Ludovic Ayrault, Professeur à l'Université Rennes 1

3 - Quotient familial : quelle pertinence pour prendre en compte les personnes à charge ?
Didier Lecomte, Maître de conférences associé à l'Université de Cergy-Pontoise, Bâtonnier du Val d'Oise, membre du LEJEP et du CERAP

4 - La prise en compte de la famille dans le cadre de l'impôt sur le revenu italien
Claudio Sacchetto, Professeur à l'Université de Turin (Italie)

17h
Conclusion : Alexis Spire, Professeur à l'Université de Lille 2.

  • Date

Vendredi 20 janvier 2012 de 9h à 17h30.

  • Lieu

Conseil supérieur du Notariat
60, boulevard La Tour-Maubourg
75007 Paris

  • Renseignement/Inscription

Tél. : 01 49 40 38 22
Courriel : cerap@univ-paris13.fr

Coupon réponse à retourner avant le 17 janvier 2012.

Manifestation reconnue au titre de la formation des avocats.

newsid:429606

Fiscalité internationale

[Manifestations à venir] Le rendez-vous des praticiens des conventions fiscales internationales avec la Direction de la législation fiscale

Lecture: 1 min

N9595BS8

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Le 12 Janvier 2012

L'Observatoire des conventions fiscales internationales (OCFI) organise un colloque afin d'étudier le réseau conventionnel de la France, le 19 janvier 2012, à Paris.
  • Programme

Albert Castro, Président de l'OCFI. Introduction : bilan des travaux 2011 de l'Observatoire ;
Christian Comolet-Tirman, conseiller maître en charge des affaires européennes et internationales, DLF. Politique conventionnelle de la France : bilan et perspectives ;
Renaud Jane, Chef du bureau E1, sous-direction des affaires européennes et internationales, DLF et Daniel Gutmann, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1, associé CMS Bureau Francis Lefebvre. "Exit tax", "trusts" et autres "nouveautés 2011" : incidence des conventions internationales ;
Christian Comolet-Tirman, conseiller maître en charge des affaires européennes et internationales, DLF et Nathalie Léonard, Directeur fiscal, HSBC. Assistance à la demande, échange automatique, FATCA, RUBIK : quel(s) outil(s) privilégier pour garantir le respect de règles fiscales nationales dans une économie mondialisée ? ;
Renaud Jane, Chef du bureau E1, sous-direction des affaires européennes et internationales, DLF. Procédures amiables : bilan 2011 et demandes des entreprises françaises.

  • Date

Jeudi 19 janvier 2012 de 9h à 12h30.

  • Lieu

MEDEF
55, avenue Bosquet
Paris 7ème

  • Renseignements/inscriptions

Inscription gratuite.

Karine Bellan
Direction des affaires fiscales
MEDEF
55, avenue Bosquet
75330 Paris Cedex 07
Tél. : 01 53 59 18 11
Fax : 01 53 59 19 64
Email : kbellan@medef.fr

newsid:429595

Rel. individuelles de travail

[Manifestations à venir] Comment attirer puis fidéliser les talents en 2012 ?

Lecture: 1 min

N9670BSX

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Le 12 Janvier 2012

A l'occasion de la remise des diplômes de la promotion 2010-2011, l'Association des anciens élèves du Master Professionnel en apprentissage "Développement des Ressources Humaines" de l'Université de Paris I - Sorbonne (UFR de Gestion) organise une conférence "Comment attirer puis fidéliser les talents en 2012 ?", le vendredi 3 février 2012 de 18h30 à 20h00 à l'amphithéâtre Lefebvre en Sorbonne.
  • Avec la participation de

- Xavier Brosetta, Vice-Président Ressources Humaines, Thalès International ;

- Jean-Claude Le Grand, Directeur du Développement international des Ressources Humaines du groupe l'Oréal ;

- Carole Sottel, Responsable adjointe du recrutement du groupe BNP-Paribas ;

- Philippe Vivien, Directeur des Ressources Humaines du groupe Areva.

La conférence sera animée par Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Directeur du M2 Pro "Développement des RH" de l'UFR de Gestion.

  • Renseignements et inscriptions

Entrée gratuite, mais nombre de places limité

Inscription obligatoire sur le site

Se munir d'une carte d'identité

Entrée par la place de la Sorbonne, 75005 (Métro Cluny, Odéon ou RER Luxembourg).

newsid:429670

Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique : la Cour de cassation fait de la pédagogie

Réf. : Cass. soc., 14 décembre 2011, n° 10-11.042, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4851H88) et n° 10-13.922, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4878H88)

Lecture: 6 min

N9569BS9

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 12 Janvier 2012

Par temps de crise, le monde politique s'approprie fréquemment la métaphore du marin dans la tempête : il faut un homme capable de tenir la barre ! Cette métaphore pourrait être appliquée au monde judiciaire. C'est, en tous les cas, le rôle de capitaine qu'entend tenir la Chambre sociale de la Cour de cassation comme elle le montre dans deux affaires jugées le 14 décembre 2011. Revenant sur des règles très classiques applicables en matière d'appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique (I), la Chambre sociale, par sa décision d'un important degré de publicité, rappelle que, malgré la crise économique, les juges du fond doivent rester rigoureux dans cette appréciation (II).
Résumé

Lorsqu'un salarié a été licencié pour avoir refusé la modification de son contrat de travail proposée pour un motif économique, il appartient aux juridictions du fond de rechercher l'existence, au niveau du secteur d'activité du groupe auquel la société appartient, de difficultés économiques ou d'une menace pesant sur la compétitivité de ce secteur afin de justifier la modification du mode de calcul des rémunérations qui lui avait été proposée.

Commentaire

I - L'appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique : règles classiques

  • Modification du contrat de travail et motif économique

L'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) permet de qualifier de licenciement pour motif économique celui qui est prononcé à la suite du refus, par le salarié, de la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, modification du contrat proposée, notamment, en raison de difficultés économiques ou de mutations technologiques.

A condition de respecter la procédure établie par l'article L. 1222-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0818H98), l'employeur peut, en effet, préférer proposer une modification de contrat de travail à un salarié plutôt que de transformer ou supprimer son emploi.

La modification du contrat de travail pour motif économique diffère cependant des autres types de modification. En effet, si depuis l'arrêt "Raquin" (1), la modification ne peut plus être imposée au salarié qui doit donner son accord à celle-ci, les conséquences d'un refus du salarié diffèrent selon la cause ayant justifié la proposition. En l'absence de motif économique, le refus du salarié ne peut justifier un licenciement (2). En cas de motif économique, au contraire, le licenciement du salarié ayant refusé la proposition pourra être prononcé et reposera sur une cause réelle et sérieuse si la proposition de modification reposait, elle-même, sur une cause réelle et sérieuse telle qu'envisagée par l'article L. 1233-3 du Code du travail (3).

En application de ces textes, il a déjà souvent été jugé possible, en cas de difficultés économiques avérées, de licencier un salarié ayant refusé une modification du contrat de travail. De la même manière, un tel refus peut justifier un licenciement lorsque la proposition a été avancée comme étant nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, cette cause de licenciement ayant, rappelons-le, été extraite par la Chambre sociale de la Cour de cassation du terme "notamment" de l'article L. 1233-3 du Code du travail (4).

  • Preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique

Il est cependant indispensable, ici comme ailleurs, que les règles probatoires spécifiques au licenciement soient respectées. Le Code du travail envisage l'administration de la preuve de la cause réelle et sérieuse de tout licenciement, qu'il repose sur un motif personnel ou sur un motif économique.

En effet, l'article L. 1235-1 du Code du travail, placé dans une section 1 intitulée "Dispositions communes" du chapitre V, relatif aux contestations et sanctions des irrégularités du licenciement (5), dispose qu'"en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles". Le texte ajoute que "si un doute subsiste, il profite au salarié".

C'est donc avant tout au juge de rechercher et d'apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, y compris lorsque celui-ci survient à la suite d'un refus de modification du contrat de travail. C'est cette règle essentielle que la Chambre sociale de la Cour de cassation entendait rappeler dans les deux affaires commentées.

  • Espèces

Dans ces deux affaires, deux cadres d'une société d'assurance avaient refusé une proposition de modification de leur contrat de travail tendant à faire évoluer la partie variable de leur rémunération. Face au refus des deux salariés, leur employeur les avait licencié pour motif économique. Les deux salariés contestèrent le caractère réel et sérieux de la cause de leur licenciement devant les juridictions prud'homales.

Les deux cours d'appel saisies de ces affaires rejetèrent les demandes d'indemnités formées par les salariés. Estimant que la modification du contrat de travail refusée par le salarié était fondée sur la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou celle du secteur d'activité du groupe, les juges d'appel usaient d'une longue argumentation pour démontrer le caractère justifié des propositions. Ainsi, les anciens systèmes de rémunération étaient devenus obsolètes, étaient décriés y compris par les syndicats, impliquaient une rémunération moins favorable aux salariés du fait de réformes législatives intervenues en 2005 (6), étaient insuffisamment motivantes pour les salariés en vue de conquérir de nouveaux clients et ainsi résister à la concurrence de nouveaux acteurs sur le marché de l'assurance.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par deux arrêts rendus le 14 décembre 2011, casse ces deux décisions au visa de l'article L. 1233-3 du Code du travail. Pour prononcer cette cassation, la Chambre sociale commence par reprendre en détail l'argumentation très factuelle des juges d'appel. Une fois ce rappel effectué, elle estime que les juges d'appel n'ont pas donné de base légale à leurs décisions. Selon la Cour, ils auraient dû "expliquer en quoi était caractérisée l'existence, au niveau du secteur d'activité du groupe auquel la société appartient, de difficultés économiques ou d'une menace pesant sur la compétitivité de ce secteur".

II - L'appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique : oeuvre de pédagogie

  • Orthodoxie juridique de la solution

Les deux arrêts présentés concluent finalement au non-respect de l'article L. 1233-3 du Code du travail. Les juges, comme le prescrit l'article L. 1235-1 du même code qui, étonnement, n'est pas visé dans l'arrêt, doivent apprécier le caractère réel et sérieux d'un licenciement. Or, le refus par le salarié d'une modification d'un élément essentiel du contrat de travail ne peut justifier un licenciement qu'à la condition d'être causé par des difficultés économiques, des mutations technologiques ou l'exigence d'une réorganisation rendue nécessaire par une menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise. En somme, les juges du fond doivent motiver avec précision la teneur des éléments justifiant l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement (7).

Dans ces affaires, les juges avaient bien relevé divers arguments en faveur de la modification de la rémunération des salariés, mais aucun lien n'était véritablement établi avec des difficultés économiques ou un besoin de sauvegarde de la compétitivité.

Cette dernière démonstration aurait d'ailleurs été envisageable. La preuve de la perte de parts de marché face à une concurrence exacerbée, solidement appuyée sur l'évolution des résultats de la société ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, pourrait permettre de caractériser l'exigence de sauvegarde de la compétitivité. Pour autant, cet argument n'a pas spécialement été mis en avant. Au contraire, on a le sentiment que c'est l'aval des syndicats de l'entreprise en faveur de la modification du système de rémunération et le caractère prétendument plus favorable aux salariés du nouveau système qui justifiaient la prise de position des juges du fond.

En définitive, la cassation est tout à fait naturelle, les juges du fond n'ayant pas assumé la charge qui leur incombe de rechercher l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

  • Exercice de pédagogie de la Cour de cassation

Reste une question qu'il convient de se poser : pourquoi la Chambre sociale de la Cour de cassation a-t-elle rendu un arrêt solennel pour une solution qui, somme toute, paraît couler de source ? En effet, les arrêts commentés sont parés d'un degré important de publicité (P+B+R). Pourquoi une telle diffusion ?

Habituellement, un tel degré de publicité est, en effet, réservé aux affaires portant sur une question nouvelle ou impliquant un revirement de jurisprudence. Tel n'est pas le cas ici. On peut alors penser que la Chambre sociale de la Cour de cassation fait ici montre de pédagogie, souhaite rappeler solennellement aux juridictions du fond quel rôle est le leur en matière d'appréciation du licenciement pour motif économique.

Ce rappel, comme le démontrent les deux décisions d'appel, peut ne pas être inutile. D'abord parce que l'appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement pour motif économique n'est pas toujours évidente (8). Ensuite, et surtout, parce qu'en période de crise économique, les entreprises ayant le sentiment d'être en danger peuvent adopter des mesures préventives d'une intensité trop importante et prononcer des licenciements en vue de sauvegarder une compétitivité qui, à l'étude, n'est pas forcément menacée. Dans ce climat, les juges du fond doivent rester vigilants et ne pas laisser passer des licenciements fondés sur de trop hypothétiques risques économiques. C'est à cela, et à cela seulement, qu'est destiné le degré important de publicité des arrêts présentés.


(1) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, publié (N° Lexbase : A1981ABY).
(2) Sauf dans le cas où la modification du contrat de travail aurait été "proposée" à titre disciplinaire, auquel cas le refus de la sanction permet à l'employeur d'adopter une autre sanction qui peut aller jusqu'au licenciement, v. en dernier lieu Cass. soc., 28 avril 2011, deux arrêts, n° 09-70.619, FS-P+B (N° Lexbase : A5359HP8) et n° 10-13.979, FS-P+B (N° Lexbase : A5362HPB) et les obs. de Ch. Radé, Modification disciplinaire du contrat de travail : la Cour de cassation veille au respect des droits de la défense, Lexbase Hebdo n°439 du 11 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1471BSB).
(3) Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 99-45.981, inédit (N° Lexbase : A2477A37).
(4) Cass. soc., 14 janvier 2009, n° 07-42.708, F-D (N° Lexbase : A3506ECT) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-43.522, F-D (N° Lexbase : A7569EI8).
(5) Chapitre lui-même placé dans le titre III du livre II de la première partie du Code du travail.
(6) On peut ici rappeler que, peu important la justification économique de la proposition, le seul fait que l'employeur prétende que la modification de la rémunération du salarié lui soit plus favorable ne peut justifier que la modification soit imposée au salarié, v. Cass. soc., 5 mai 2010, n° 07-45.409, , P+B (N° Lexbase : A0659EXP) et les obs. de G. Auzero, La modification unilatérale de la rémunération du salarié justifie nécessairement la prise d'acte de la rupture, Lexbase Hebdo n° 395 du 19 mai 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1871BPY) ; RDT, 2010, p. 435, obs. S. Tournaux.
(7) V. par ex. Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-47.376, F-P (N° Lexbase : A7525DPE).
(8) V. les obs. de Ch. Radé, L'appréciation des difficultés économiques des entreprises dans le droit du licenciement pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 408 du 15 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0532BQR).

Décisions

Cass. soc., 14 décembre 2011, n° 10-11.042, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4851H88)

Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 24 novembre 2009, n° 08/07452 (N° Lexbase : A7193EP4)

Cass. soc., 14 décembre 2011, n° 10-13.922, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4878H88)

Cassation partielle, CA Lyon, ch. soc. A, 2 février 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7)

Mots-clés : modification du contrat de travail, licenciement pour motif économique, sauvegarde de la compétitivité, appréciation du caractère réelle et sérieux de la cause de licenciement

Liens base : (N° Lexbase : E8967ESW)

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Rupture du contrat de travail

[Manifestations à venir] Groupe de sociétés : la menace du co-employeur se confirme !

Lecture: 1 min

N9668BSU

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Le 12 Janvier 2012

L'Association Droit et Commerce organise une conférence, le lundi 30 janvier 2012 à 18h, dans la Grande salle d'audience du Tribunal de commerce de Paris, sur le thème "Groupe de sociétés : la menace du co-employeur se confirme !", par Monsieur Paul-Henri Antonmattéi, Professeur à l'Université de Montpellier I, Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique, avocat associé.
  • Inscriptions et renseignements

- Tarif : 15 euros par chèque à l'ordre de Droit et Commerce (gratuit pour les membres de Droit et Commerce, les magistrats, les enseignants et les étudiants).

- Cette manifestation est validée au titre de la formation continue obligatoire des avocats.

- Contact : Isabelle Aubard, Secrétaire générale de Droit & Commerce, 74 avenue du Dr Arnold Netter 75012 Paris

- Contact

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Sociétés

[Jurisprudence] Prêt de consommation d'actions et exigence d'inscription en compte : l'enjeu pour les mandataires sociaux de SA

Réf. : Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-19.620, FS-P+B (N° Lexbase : A9346HZ8)

Lecture: 8 min

N9551BSK

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

Le 12 Janvier 2012

La possibilité de soumettre les administrateurs et les membres du conseil de surveillance de la société anonyme à l'obligation d'être propriétaires d'actions de la société dans laquelle ils exercent leurs fonctions demeure en droit français des sociétés, même si elle a fait l'objet au cours des années passées d'assouplissements. Depuis la réforme réalisée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (loi de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), il faut désormais qu'une clause des statuts en dispose ainsi (C. com., art. L. 225-25, al. 1er N° Lexbase : L2533IBG et L. 225-72 N° Lexbase : L2500IB9). Pour s'acquitter de cette exigence, on a parfois recours à la technique du prêt de consommation d'actions. Par son arrêt en date du 15 novembre 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient attirer l'attention sur les incidences en la matière des règles relatives au transfert de propriété des actions. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, les statuts de la société anonyme, de type dualiste, prévoyaient que chaque membre du conseil de surveillance devait être propriétaire d'au moins une action. A la date de nomination en qualité de cet organe, une personne ne remplissait pas cette condition et n'avait pas régularisé sa situation au terme du délai accordé pour ce faire par le Code de commerce (trois mois selon le droit applicable à l'affaire, six mois depuis la réforme opérée sur ce point par la loi précitée de 2008). L'action en justice intentée par un actionnaire et des dirigeants de la société anonyme concernée entendait faire constater que l'intéressé devait être réputé démissionnaire d'office de son mandat puisqu'il n'avait pas acquis la qualité d'actionnaire à l'issue du délai légal octroyé.

La singularité de la situation, et qui provoque tout l'intérêt du présent arrêt, tient à ce que le mandataire avait eu recours, pour se mettre en conformité avec l'exigence statutaire, à un prêt de consommation d'une action que lui avait consenti un des actionnaires. Or, la transmission de cette action n'avait pas donné lieu à la formalité d'inscription en compte au nom du mandataire bénéficiaire du prêt d'action. En rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui avait jugé que l'intéressé était réputé démissionnaire d'office du conseil de surveillance, la Cour de cassation attire utilement l'attention sur des aspects pratiques liés au respect des exigences propres au transfert de propriété des actions, lorsque le mandataire social n'est pas déjà propriétaire du nombre d'actions statutairement requis lorsqu'il accède aux fonctions.

L'arrêt de la Chambre commerciale est important, d'abord en ce qu'il rappelle le principe selon lequel le transfert de propriété des actions suppose une inscription en compte (I), ensuite parce qu'il confirme que cette règle concerne aussi l'hypothèse du prêt de consommation d'actions (II), et enfin en ce qu'il en tire toutes les conséquences pour les mandataires sociaux tenus d'être propriétaires d'actions de la société anonyme au sein de laquelle ils exercent leurs fonctions (III).

I - L'affirmation du principe du transfert de propriété des actions par l'inscription en compte

L'arrêt commenté est l'occasion de rappeler les règles relatives au transfert de propriété des actions, et d'en mesurer toutes les conséquences. On sait que, par suite de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur, dans les conditions fixées par décret, selon les dispositions de l'article L. 228-1, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L5565IC4). Au regard de l'article R. 228-10 du même code (N° Lexbase : L0320HZU), qui constitue le texte de nature réglementaire auquel il est fait renvoi, cette inscription est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice.

Pour suivre les circonstances de l'arrêt sous examen, il convient de relever que les textes du Code de commerce ne font aucune distinction selon que les comptes de titres sont tenus par la société elle-même ou par un tiers. Lorsque les titres sont nominatifs, les comptes de titres doivent en principe être tenus par la société émettrice. Toutefois, le registre des titres peut aussi être établi "par une personne qu'elle [la société] habilite à cet effet", selon les dispositions de l'article R. 228-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L0318HZS). Que les comptes de titres soient tenus par la société elle-même ou par un tiers, le transfert de propriété est soumis aux mêmes textes du Code de commerce et il n'y a pas d'autres modes d'établissement de la propriété des titres.

Depuis l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, qui a donné sa rédaction actuelle à la règle figurant à l'article L. 228-1 du Code de commerce, l'inscription des titres au compte de l'acheteur est le seul moyen d'établir le transfert de propriété. L'ordre de virement en lui-même ne produit pas cet effet, et il est, en conséquence, logique que le cessionnaire soit autorisé à obtenir, en référé, qu'il soit ordonné à la société dont les titres sont cédés de procéder sous astreinte à l'inscription sur le registre des mouvements de titres (cf., Cass. civ. 3, 16 septembre 2008, n° 07-17.892, F-D N° Lexbase : A4053EAD ; Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 128, note Th. Massart).

En refusant de prendre en considération des éléments invoqués par les auteurs du pourvoi et tenant à des négligences éventuelles dans l'exécution de l'inscription en compte par l'intermédiaire chargé de la tenue des registres, la Cour de cassation s'en tient au résultat observé. Le transfert de propriété des actions n'a pas lieu en l'absence d'inscription en compte. Ce qui est vrai pour un transfert résultant d'une cession va ici être appliqué, dans toute sa rigueur, à l'hypothèse du prêt de consommation d'actions.

II - L'application du principe au prêt de consommation d'actions

Dans la mesure où l'obligation est faite à la personne qui accède aux fonctions d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance d'être "propriétaire" d'un certain nombre d'actions, si elle ne remplit pas cette condition dès avant son accès aux fonctions et qu'elle ne veut ou ne peut procéder à l'acquisition des titres (dans le délai de régularisation), il est de pratique ancienne de recourir à la technique du prêt de consommation portant sur des actions.

L'exigence de propriété des titres fait bien sûr obstacle à un simple prêt d'usage pour lequel le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée (C. civ., art. 1877 N° Lexbase : L2094AB8) et impose le prêt de consommation puisqu'il a justement pour effet de transférer à l'emprunteur la propriété des biens prêtés, selon les dispositions de l'article 1893 du Code civil (N° Lexbase : L2111ABS).

Compte tenu de la très rare jurisprudence relative à cette catégorie d'opérations portant sur des actions, il est déjà intéressant de relever que la Cour de cassation s'y réfère sans aucune réticence, confirmant, certes indirectement, la validité de l'opération. On sait en effet que ce type de prêt ne peut porter que sur les "choses qui se consomment par l'usage" (C. civ., art. 1892 N° Lexbase : L2109ABQ), telles que des denrées ou de l'argent. Mais, s'appuyant sur une position doctrinale majoritaire (V. not. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 24ème éd.,) mais non point unanime (V. Y. Guyon, Le régime des prêts de titres, RD bancaire et bourse, 1988, n° 6) selon laquelle ce prêt peut aussi porter, selon la volonté des parties, sur des choses non consomptibles lorsque l'emprunteur se voit reconnaître le droit de les consommer, c'est-à-dire d'en disposer librement, une jurisprudence ancienne admet la validité du prêt de consommation d'actions alors même qu'il n'est pas dans la nature de ces biens d'être consomptibles (v. not., Cass. crim. 19 avril 1939, JCP, 1939, II, 1322 ; Cass. civ., 8 mai 1950, JCP, 1950, II, 5602 ; adde, prenant position pour la validation du dispositif, QE n° 26594, JO Sénat Q, n° 42, 26 octobre 2000, p. 3710 [LXB=PANIER]). Si la présente décision peut être comprise comme s'inscrivant dans ce courant validant le recours au prêt de consommation de titre pour remplir la condition de propriété d'actions imposée pour l'exercice du mandat social, elle vient aussi rappeler que l'on doit bien être en présence d'un véritable transfert de propriété.

Fort logiquement, en effet, l'arrêt commenté fait application des règles relatives au transfert de propriété des actions telles qu'elles résultent du Code de commerce. Puisque les parties entendent répondre à l'exigence statutaire imposant à la personne qui accède aux fonctions de mandataire social d'être propriétaire d'actions de la société en ayant recours à la technique du prêt de consommation, elles doivent donc respecter les règles fixant les conditions du transfert de propriété en général. Il n'y a pas, pour ce cas de figure, un sort particulier dans les textes et il n'y a rien à attendre sur ce point de la jurisprudence, ainsi que l'arrêt de la Chambre commerciale du 15 novembre 2011 en atteste.

En définitive, il y a lieu de soumettre le prêt des actions aux règles relatives à la cession des actions, puisque dans les deux cas, il y a transfert de propriété. Le transfert doit donner lieu à une inscription en compte au nom du mandataire social, emprunteur des titres, exactement comme l'on procède en présence d'une cession d'actions. Comme cela a été indiqué ci-dessus, en application de l'article R. 228-10 du Code de commerce, les parties à l'acte de prêt doivent s'accorder sur la date à laquelle l'inscription au compte de l'emprunteur doit avoir lieu et notifier cette date à la société. Dans le choix de cette date, elles devront être particulièrement attentives à celle qui marque l'expiration du délai de trois mois -six mois depuis la réforme de 2008- accordé au mandataire social pour régulariser sa situation et remplir l'obligation d'être propriétaire du nombre d'actions imposé par les statuts. Elles doivent, en pratique, choisir une date qui ne soit pas trop proche du terme de ce délai afin de laisser à la société, ou comme en l'espèce à l'intermédiaire, le temps matériel d'effectuer cette inscription. L'arrêt commenté confirme bien l'effet couperet de ladite date. Si le transfert des actions, objets du prêt de consommation, n'a pas été inscrit en compte à la date ultime du délai de régularisation, la condition imposée au mandataire social n'est pas remplie. Il ne reste plus qu'à en tirer toutes les conséquences.

III - Les conséquences du principe pour les mandataires sociaux

Troisième et dernière étape dans la position prise par la Cour de cassation, et qui donne toute la mesure de l'attention qui doit être réservée au respect des formalités, la Haute juridiction considère que "par cette seule constatation" de l'absence d'inscription en compte de l'action prêtée, le mandataire social est réputé démissionnaire de ses fonctions, à l'expiration du délai accordé pour régulariser sa situation.

Le caractère automatique, voire brutal, de la sanction apparaît clairement dans cet arrêt. Même s'il n'était pas contesté qu'un actionnaire avait consenti un prêt de consommation portant sur une action au bénéfice de la personne accédant aux fonctions de membre du conseil de surveillance, et quelles que soient les raisons qui pouvaient expliquer que l'inscription en compte n'ai pas eu lieu dans les livres de la société, l'intéressé est réputé démissionnaire d'office. La date qui constitue le terme du délai offert par le Code de commerce pour procéder à la régularisation de la situation fonctionne comme un couperet. Dès le lendemain, l'intéressé est privé de sa qualité de mandataire social. La Cour de cassation s'en tient dans le présent arrêt à une position stricte parfaitement fondée sur les textes et l'on peut espérer que la médiatisation de cet arrêt (outre la présente publication, il est destiné à figurer au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation) provoque un réflexe de grande attention de la part des professionnels concernés et de leurs conseils.

Certes, les actes et délibérations pris par l'organe social auquel l'intéressé a participé jusqu'à l'expiration du délai de régularisation sont à l'abri de toute contestation sur ce point. En revanche, le risque d'invalidation est grand pour les actes postérieurs à cette date dans la mesure où, étant réputé démissionnaire, l'intéressé n'avait aucun droit à participer à ces décisions et il doit donc être décompté des votants. En conséquence, il peut s'ensuivre que l'organe ne comporte plus le nombre de membres imposé par la loi ou les statuts ou que les exigences de quorum et de majorité requises auxquelles est subordonnée la validité des délibérations ne soient plus atteintes.

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