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N9363BSL
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
La scène se déroule, le 23 décembre 2011, à Santa Claus Village, un bourg situé exactement sur le cercle polaire arctique, au nord de Rovaniemi en Finlande. L'un des protagonistes, le Père Noël, s'affaire comme de coutume à la préparation de ses hottes et de son traîneau. D'un geste, il commande aux lutins de nourrir ses rennes ; d'une voix caverneuse, il presse les saisonniers de sa firme internationale -since 1823- d'emballer cadeaux en tout genre. Une bouteille de soda cola à la main, il s'apprête à mémoriser le registre des heureux bénéficiaires de ses présents, quand le spectre de John Styth Pemberton, inventeur de la recette du Coca-Cola, lui apparaît et engage la conversation.
John Styth Pemberton : Pardonnez mon intrusion à cette heure tardive et, qui plus est, un jour aussi chargé que celui-ci. Je vous sais fort occupé à satisfaire les desiderata d'une population infantile ou infantilisée, toujours plus nombreuse -croissance démographique oblige-, alors que le nombre de vos employés peine à croître, faute de trouver du personnel compétent et au dessus de tout soupçon, en ces temps de méfiance, d'espionnage industriel et de faible mobilité professionnelle. Mais, je viens vous parler d'une affaire grave, qui nous intéresse tous les deux. Votre destin et le mien sont intimement liés, vous en conviendrez ; car, si votre ancêtre Saint-Nicolas arborait votre barbe et votre pourpre, vous admettrez tout de même que l'essor de votre petite affaire baltique prit un élan certain, dès lors que mon entreprise vous a pourvu de votre embonpoint et vous a affublé d'une bonhomie populaire propre à la démocratisation de vos services.
Père Noël : Assurément ! Je ne peux pas nier que votre campagne publicitaire, en 1931, ne m'ait pas servi au plus haut point, tel un animal symbiotique. Et, bien entendu, je vous en serai éternellement reconnaissant, d'autant que votre firme reverse à la mienne, aujourd'hui encore, des droits à l'image plus que conséquents. Si vous n'êtes point mon créateur devant l'Eternel, mon paganisme m'oblige à vous rendre grâce ; et vous observerez avec quel entrain je procède régulièrement aux libations gazeuses, étanchant ma soif exclusivement avec votre soda, en mémoire de notre fidèle collaboration.
John Styth Pemberton : Fort bien ! C'est justement cette fidèle collaboration que je viens mettre, en cette avant-veille de Noël, à l'épreuve. Avez-vous lu les journaux dernièrement ? Bon, de là à ce que vous vous intéressiez à la politique française, il y a pour vous un intérêt social et professionnel limité, j'en conviens. Et pourtant ! Jugez vous-même : mercredi 21 décembre 2011, l'Assemblée nationale a voté le budget 2012 et introduit, par là même, deux taxes sur les sodas. La première touche les boissons avec du sucre ajouté et la seconde, adoptée après moult pérégrinations, s'attaque aux boissons "light" contenant des édulcorants de synthèse. Autant dire que ces taxes ont comme assiette l'ensemble de nos boissons gazeuses ; et que, d'abord nos fidèles consommateurs, puis nous-mêmes, allons trinquer allègrement. Plus 35 % d'augmentation ! Comme s'il ne suffisait pas de nous faire porter tous les maux de la "malbouffe" et de l'obésité dans le monde...
Père Noël : Calmez vous John ! Calmez vous ! Je comprends votre ire, mais vous deviez bien vous attendre à un effet boomerang, même 125 ans après l'élaboration de votre breuvage. Franchement, à américaniser au plus haut degré métaphorique la boisson d'un corse, Angelo Mariani, le french wine coca, boisson à base de vin de Bordeaux et de feuille de coca, il était à craindre que, plus d'un siècle plus tard, et vous connaissez la mémoire des corses, l'un de ses descendants sans doute, ce Thierry Mariani, ministre de la Droite populaire, ne pousse en sous main à l'adoption d'une telle imposition. C'est un peu des redevances perdues de la propriété industrielle et des brevets que les Français cherchent à récupérer, désormais, auprès du confortable matelas que vous vous êtes confectionné depuis tant d'années...
John Styth Pemberton : Que nenni, cher ami ! La naissance de cette taxe n'apparaît même pas être une réponse du berger à la bergère ! Elle ne semble pas même être inspirée, réellement, par une politique de santé publique visant à déporter nos buveurs invétérés de sodas vers de nouvelles boissons dites "naturelles" ou de vieux breuvages sanctuarisés, comme le vin, au pays de la gastronomie partisane... Non, voyez vous, le produit de ces taxes devrait alimenter, certes les caisses de leur Sécurité sociale, mais surtout permettre un allégement des charges sociales dues par les agriculteurs. Depuis le temps que les éleveurs de bovins et autres producteurs d'orge et de mils veulent notre peau, à nous les chantres de la "bouffe sauce cola" !
Père Noël : Voyons ! Voyons ! Il faut raison garder. 7,16 euros par hectolitre ! 2 centimes d'euro d'augmentation par cannette ! Craignez vous réellement la fin de votre empire ? Je vous vois mal, vous qui avez fait fortune en mettant du gaz dans de l'eau, vous arrêter devant pareil OFNI (objet fiscal non identifié, selon Gilles Carrez), au point de mettre de l'eau dans le gaz dans vos relations avec le plus américain de tous les présidents français !
John Styth Pemberton : "Une recette de poche" de 240 millions d'euros, tout de même ! Ce qui me rassure ou m'attriste -c'est selon-, c'est qu'en s'attaquant à nous, le Gouvernement français creuse sa propre tombe. 58 % des sondés désapprouvent la taxe sur les sodas et 92 % estiment que le seul objectif de cette taxe est de remplir les caisses de l'Etat (sondage du 7 septembre 2011, commandé par le Syndicat national des boissons rafraîchissantes (SNBR)). Cette taxe sera déboursée par les 80 % des foyers français qui sont des consommateurs de sodas.
Père Noël : Ne vous emportez pas comme cela, John ! Vous connaissez l'appétence des Français pour clouer au pilori ce qu'ils adorent. Quand ils ne condamnent pas à l'échafaud un roi qu'ils vénèrent dans leur grande majorité, ils envoient promener, sur les plages irlandaises, leur sauveur de la Patrie, pour une sombre histoire sénatoriale. L'insincérité des Français est chose mondialement connue ; il n'y a que leur Conseil constitutionnel pour valider un budget sur les bases d'une croissance fantasmée... Et, tout le monde sait que les Français se plaisent à déboulonner les statues anglo-saxonnes. Souvenez vous de ce Lavoisier, qui découvrant l'oxygène et inspirant la chimie moderne, remisait au placard notre polymathe britannique Joseph Priestley, inventeur génial de l'eau gazeuse, mais adepte de la théorie du phlogistique devant l'Eternel... Le soda et la France, c'est une longue histoire dont les relations n'ont pas toujours gazé -si vous me permettez l'expression-. Et, taxer ainsi vos sodas colas, qui ont prospéré sous la prohibition géorgienne, au pays de la vigne et du malt, c'est tout de même du meilleur cru ironique... Enfin, délester leurs bourses pour alléger le poids des Français, il fallait y penser !
John Styth Pemberton : Certes, mais en attendant, les négociations commerciales avec les géants de la distribution française risquent d'être houleuses... Et, c'est surtout l'effet de contagion que nous craignons. Cette initiative gauloise pourrait bien donner de l'eau au moulin de ces deux économistes américains de l'Université de l'Iowa -Helen Jensen et John Beghin- qui proposent de taxer les sucres ajoutés non dans les aliments et boissons vendus chez les détaillants, mais lors du processus de fabrication. Selon eux, une telle mesure nous obligerait à réduire significativement les quantités de saccharose (canne à sucre, betterave sucrière) ou d'isoglucose de maïs incorporées. Les fabricants pourraient, également, être incités à utiliser des édulcorants de synthèse moins taxés (car moins calorigènes) que les produits sucrants traditionnels beaucoup plus riches sur le plan nutritif. Le genre de "taxe sur le péché" (de gourmandise) dont sont friands les puritains outre-atlantique, mais beaucoup moins nos actionnaires !
Père Noël : Soit ! Mais venez en au coeur de votre visite. En quoi suis-je, moi aussi, concerné par cette taxe ? Et, que puis-je faire pour vous ?
John Styth Pemberton : Mon cher ami, croyez vous qu'il fasse bon ton d'être quelque peu enveloppé à l'heure de la lutte contre l'obésité et la gaudriole ? Pensez-vous que votre image toute scandinave soit-elle, si intimement liée à la nôtre, si injustement décriée comme bouc émissaire de l'impérialisme culinaire, en sorte indemne ? En s'attaquant aux boissons sucrées, aux sodas light, le Gouvernement français s'attaque au rabelaisien que vous êtes. Quand nous faisons croire à la Terre entière que nous sommes, vous comme nous, "source de bonheur", les caciques de cette Droite populaire nous caricaturent, et nous collent, sur le dos, leurs maux de ventre. Ils démythifient votre barbe blanche et votre manteau rouge, comme ils ont jadis démythifié le cow-boy de Marlboro, jusqu'à l'interdire d'apparaître sur les paquets de cigarettes ! Quid du far west dans l'inconscient culturel français, désormais ? Quid de vos royalties, demain, vous qui êtes notre ambassadeur le plus emblématique ? Ce que j'attends de vous "petit papa Noël" : un triple A pour la France, afin de sauver nos boissons XXL ! De quoi satisfaire Moody's et Standard and Poor's, pour abandonner cette maudite taxe.
Père Noël : Voyons John, si je comprends bien, vous me faites un remake d'Hamlet : "être ou ne pas être, telle est la question" ! Mais, si je suis le Père Noël, je ne fais pas de miracle ! Garantir à la France son précieux sésame, c'est un peu comme contrevenir à la marche du monde... Je peux inspirer les consciences, influer les comportements, mais non résorber quelques centaines de milliards d'euros de déficit, en une nuit, fut-elle magique. En revanche, je vous propose une autre alternative : susciter l'engouement des Français pour les boissons sucrées, pour vos sodas, en les présentant comme le remède pharmaceutique à la crise. Comprenez moi bien : si, face à cette taxe visant à résorber leur déficit abyssal, nous encouragions les Français à boire des sodas colas ou autres boissons taxées, plus que de raison, pour qu'ils pensent ainsi, dans une frénésie patriotique, concourir au bien-être budgétaire de leur cher pays. Au pays de Rabelais, il s'agirait de boire à foison du soda cola, afin de redresser les comptes et d'obtenir le "magic number" des agences de notation ! A quelque chose, malheur doit être bon : et, le comble d'une taxe anti-crise présentée comme obéissant à un objectif de santé publique ne serait-il pas de rapporter aux finances de l'Etat, ce qu'il dénie au bien-être corporel de ses contribuables... Et connaissant l'esprit de contradiction de ces fiers gaulois, il y a cher à parier de ce côté-là...
* Nous rendons, ainsi, avec humilité, hommage au dernier ouvrage de Jean d'Ormesson, paru, cet hiver, aux éditions Héloise d'Ormesson.
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Réf. : Cass. soc., 29 novembre 2011, n° 10-30.728, FS-P+B (N° Lexbase : A4799H37)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"
Le 05 Janvier 2012
Résumé
S'il résulte de l'article L. 1226-6 du Code du travail que les dispositions spécifiques relatives à la législation professionnelle ne sont pas applicables aux rapports entre un employeur et son salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle survenu ou contractée au service d'un autre employeur, le nouvel employeur est néanmoins tenu (conformément aux articles L. 1226-2 et L. 1226-4 du Code du travail) de chercher à reclasser, avant toute rupture du contrat de travail, le salarié dont l'inaptitude est médicalement constatée alors qu'il est à son service. |
I - Périmètre législatif et conventionnel de l'obligation de reclassement consécutif à un AT/MP
A - Obligation légale
Le champ de l'obligation de reclassement à la charge de l'employeur diffère selon son origine, professionnelle ou non.
1 - Reclassement du salarié dont l'inaptitude est d'origine professionnelle
Le législateur a prévu que les dispositions de la section 3 (AT/MP) du chapitre VI (maladie, accident et inaptitude médicale) du Titre II (formation et exécution du contrat de travail) du Livre II (le contrat de travail) de la première partie (les relations individuelles de travail) ne sont pas applicables aux rapports entre un employeur et son salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, survenu ou contractée au service d'un autre employeur. Ce champ d'application a trouvé son siège dans la sous-section I, codifiée à l'article L. 122-32-10 (N° Lexbase : L5513AC8), devenu l'article L. 1226-6 du Code du travail. Le législateur dispense le nouvel employeur de respecter la législation protectrice lorsque l'accident ou la maladie est survenu alors que le salarié se trouvait sous la subordination d'un ancien employeur.
Les règles substantielles de cette section 3 sont précisées par :
- la sous-section II ("Suspension du contrat et protection contre la rupture"), codifiée aux articles L. 1226-7 (N° Lexbase : L9746INB) (le contrat de travail du salarié accidenté ou malade est suspendu, L. 1226-8 (N° Lexbase : L1022H9Q) (réintégration dans l'emploi en cas d'aptitude) et enfin L. 1226-9 (N° Lexbase : L1024H9S) du Code du travail ;
- la sous-section III ("Inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle"), codifiée aux articles L. 1226-10 (N° Lexbase : L9617IEW) (limitation du pouvoir de licencier de l'employeur) ; L. 1226-11 (N° Lexbase : L1028H9X) (obligation de reclassement de l'employeur en cas d'inaptitude du salarié) ; L. 1226-12 (N° Lexbase : L1029H9Y) (licenciement et reclassement) ;
- la sous-section IV ("Indemnités et sanctions"), codifiée aux articles L. 1226-13 (N° Lexbase : L1031H93) à 17 à (N° Lexbase : L1038H9C) ;
- enfin la sous-section V ("Salarié titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée"), codifiée aux art. L. 1226-18 (N° Lexbase : L1040H9E) à 22 à (N° Lexbase : L1051H9S).
Enfin, il faut relever que le décret n° 2010-244 du 9 mars 2010 a mis en place une indemnisation du salarié déclaré inapte suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Ses dispositions s'appliquent aux déclarations d'inaptitude effectuées à compter du 1er juillet 2010 (6).
2 - Reclassement du salarié dont l'inaptitude n'est pas professionnelle
Le régime de l'obligation de reclassement du salarié victime d'un accident ou d'une maladie non professionnel est fixé par le législateur, selon des modalités codifiées (C. trav., art. L. 1226-2). Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. La solution est identique à celle du salarié inapte, dont l'accident ou la maladie ont une origine professionnelle (C. trav., art. L. 1226-10, rédaction très proche de l'article L. 1226-2).
De plus, par application de l'article L. 1226-4, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail. La disposition similaire a été prévue pour les salariés inaptes dont la maladie ou l'accident ont une origine professionnelle (C. trav., art. L. 1226-11, rédaction identique à celle de l'article L. 1226-4).
B - Obligation conventionnelle
Les partenaires sociaux se sont beaucoup investis dans le champ du reclassement des salariés inaptes.
- Négociation nationale.
Les partenaires sociaux ont conclu l'Accord national interprofessionnel du 11 septembre 2009 (7). Le médecin du travail est désormais tenu de mettre en oeuvre tous les moyens mis à sa disposition pour renforcer la détection et le signalement précoces des personnes présentant un risque de "désinsertion professionnelle". L'ANI a proposé la création d'une commission constituée du médecin-conseil de la caisse de Sécurité sociale, du médecin traitant du salarié et du médecin du travail. Son rôle est de proposer une visite de pré-reprise du travail intitulée "visite de prévention de la désinsertion professionnelle", permettant de proposer à l'employeur une démarche de maintien du salarié dans l'emploi.
- Négociation de branche
En réaction à la jurisprudence mise en place par la Cour de cassation (à elle seule, l'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau titulaire ne réalise pas le transfert d'une entité économique ayant conservé son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise) (8). Les branches d'activité dans lesquelles des prestataires de services peuvent se succéder (restauration collective, gardiennage, nettoyage de locaux, manutention ferroviaire...) se sont dotées d'accords collectifs permettant le transfert des salariés employés sur le site, de l'entreprise sortante à l'entreprise entrante.
Des accords ont été conclus dans les branches de la manutention ferroviaire ; les entreprises de prévention et de sécurité (accord du 18 octobre 1995 ; arrêté ministériel du 29 avril 1996, JO 8 mai, p. 6929) ; les entreprises de restauration des collectivités et les entreprises de propreté. En l'espèce, le transfert est régi par la convention collective nationale du personnel des entreprises de propreté (accord annexé du 29 mars 1990).
II - Périmètre judiciaire de l'obligation de reclassement consécutif à un AT/MP
A - Jurisprudence antérieure : le nouvel employeur, postérieurement au transfert, n'est pas débiteur de l'obligation de reclassement
- En 2007 (et sur la même affaire) (9), la Cour de cassation s'était prononcée contre la reconnaissance du nouvel employeur, postérieurement au transfert, en tant que débiteur de l'obligation de reclassement. Pour décider que le licenciement du salarié avait été prononcé en méconnaissance de la protection prévue pour les salariés victimes d'accident du travail, les juges du fond avaient décidé que l'accord du 29 mars 1990 équivalait à une application volontaire de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) (relatif au transfert d'entreprise).
Au contraire, pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que l'accord qui, pour le cas de perte d'un marché de services, prévoit et organise la reprise de tout ou partie des contrats de travail ne constitue pas une application volontaire de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail et ne peut, à lui seul, et sauf clause contraire le prévoyant, faire échec aux dispositions de l'article L. 122-32-10 du Code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Il faut rappeler que selon l'article L. 122-32-10, ancien, les dispositions de la section 5-1 ("Règles particulières aux salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle") ne sont pas applicables aux rapports entre un employeur et son salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, survenu ou contractée au service d'un autre employeur.
- En 1993, la Cour de cassation avait déjà refusé le bénéfice de la législation protectrice au salarié victime d'un accident du travail au moment où il était mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, alors même que l'entreprise utilisatrice l'avait, une fois la mise à disposition terminée, engagé (Cass. soc., 27 octobre 1993, n° 89-44.348, publié N° Lexbase : A4882AHB). Pour la Cour de cassation, au moment de la survenance de l'accident, l'employeur était l'entreprise de travail temporaire et non l'entreprise utilisatrice.
B - Nouvelle jurisprudence : le nouvel employeur, postérieurement au transfert, est désormais débiteur de l'obligation de reclassement
La Cour de cassation étend, par l'arrêt rapporté, la solution admise pour les salariés dont l'inaptitude n'est pas d'origine professionnelle, confortant la solution retenue par les juges du fond. C'est pourtant précisément ce que contestait l'employeur, selon lequel les dispositions de l'article L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R devenu les articles L. 1226-2 à 1226-4) du Code du travail, imposant à l'employeur d'un salarié devenu physiquement inapte à son emploi une obligation de reclassement, ne s'appliquent qu'aux salariés dont l'inaptitude a pour origine un accident ou une maladie d'origine non professionnelle. En décidant de faire application de ces dispositions au salarié dont l'inaptitude à tout emploi procédait d'un accident du travail du reste survenu au service d'un précédent employeur, la cour d'appel aurait violé, par fausse application, le texte susvisé.
La solution retenue par la Cour de cassation (arrêt rapporté) reprend une solution admise en 1992 (10), selon laquelle lorsque le salarié est repris par un nouvel employeur (en application de l'article L. 122-12 du Code du travail), l'article L. 122-32-10 du Code du travail est inapplicable. La Cour de cassation impose l'application, au salarié victime d'un accident du travail avant le transfert, de la législation protectrice.
La critique formulée par l'employeur à l'égard de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Caen est pertinente. Les dispositions de l'article L. 122-24-4 (devenu L. 1226-2 à 1226-4) du Code du travail, imposant à l'employeur d'un salarié devenu physiquement inapte à son emploi une obligation de reclassement, ne s'appliquent qu'aux salariés dont l'inaptitude a pour origine un accident ou une maladie d'origine non professionnelle. A contrario, l'employeur n'est pas tenu d'une telle obligation de reclassement, dans l'hypothèse où le reclassement serait prévu pour un salarié dont l'accident ou la maladie serait professionnelle.
Pourtant, la solution doit être approuvée, pour plusieurs raisons :
- elle est conforme à la jurisprudence générale de la Cour de cassation, qui entend faire peser sur l'employeur, de manière générale, une obligation de reclassement, dans un grand nombre d'hypothèses (reclassement consécutif à l'inaptitude du salarié ; reclassement et licenciement pour motif économique ; reclassement et plan de sauvegarde de l'emploi, ...) ;
- elle est conforme à de récents développements contentieux (hors champ spécifique du reclassement du salarié pour cause d'inaptitude), neutralisant le lien juridique entre employeurs appartenant au même groupe, pour faire prévaloir une obligation de reclassement étendue et efficace (11) ;
- elle est conforme à la jurisprudence spécifique de la Cour de cassation de 2009 (12) sur le périmètre de l'obligation de reclassement au profit du salarié inapte pour raisons professionnelles. Le reclassement doit intervenir dans l'entreprise ou, à défaut, dans le groupe (13) ;
- enfin, elle s'inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation, particulièrement attentive au respect par l'employeur de son obligation de reclassement, alors même qu'un avis du médecin du travail aurait déclaré un salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise. Cet avis ne dispense pas l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, de rechercher des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagements du temps de travail au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient (14).
(1) V. les obs. de S. Pillet, Variations autour de la rupture du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8221BSB) et v. La procédure d'inaptitude est complexe, tant pour l'employeur que pour le salarié - Questions à Maître Christophe Noize, avocat associé Acanthe Avocats, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1720BR7).
(2) Cass. QPC, 5 octobre 2011, n° 11-40.053, FS-P+B (N° Lexbase : A6053HYT) et Cass. QPC, 6 octobre 2011, n° 11-40.056 (N° Lexbase : A6122HYE) et n° 11-40.057 (N° Lexbase : A6123HYG), F-P+B ; v. les obs. de Ch. Radé, La Chambre sociale de la Cour de cassation, chambre des requêtes constitutionnelles, Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8247BSA).
(3) C. Lefranc-Hamoniaux, Accident du travail antérieur au transfert d'entreprise : le cessionnaire doit reclasser, JCP éd. G, n° 51, 19 décembre 2011, 1416 ; JCP éd. S, 2011, act., 494 ; LSQ n° 15995 du 13 décembre 2011.
(4) Cass. soc., 22 septembre 2011, n° 10-16.775, F-D (N° Lexbase : A9763HXU), Lettre d'actualité des Procédures collectives civiles et commerciales n° 16, octobre 2011, alerte 256. La Cour de cassation estime qu'en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, le salarié a été transféré au cessionnaire lors de l'adoption du plan de cession. Par conséquent, il incombait au repreneur de tirer les conséquences de la déclaration d'inaptitude et donc de rechercher des mesures de reclassement et à défaut de le licencier, ce que n'avait pas vérifié la cour d'appel. Elle s'était contentée de mentionner que les obligations de l'assureur n'avaient pas à être respectées, faute pour le salarié d'avoir déclaré son accident dans les cinq ans qui suivent.
(5) Cass. soc., 14 mars 2007, n° 05-43.184, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6927DU4), Bul. civ., n° 47, et v. les obs. de S. Martin-Cuenot, Différence de régime applicable aux contrats de travail maintenus en application de la convention collective et ceux maintenus en application de L. 122-12 al. 2 du Code du travail : l'exemple de l'accident survenu avant le transfert, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 -édition sociale (N° Lexbase : N3855BAZ).
(6) Décret n° 2010-244 du 9 mars 2010, relatif à l'indemnisation du salarié déclaré inapte suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle (N° Lexbase : L6996IG9) et v. les obs. de M. Del Sol, L'indemnisation du salarié victime d'un AT-MP pendant la période de reclassement : une réalité au 1er juillet 2010, Lexbase Hebdo n° 387 du 18 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5909BN8).
(7) V. les obs. de S. Tournaux, L'ANI du 11 septembre 2009 : réforme des services de santé au travail et du rôle préventif du médecin du travail , Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9275BL4).
(8) Ass. plén., 15 novembre 1985, n° 82-40301, publié (N° Lexbase : A1163AAC), JCP 1986, II, 20705, note G. Flécheux et M. Bazex ; D., 1986, jurispr. p. 1, concl. G. Picca, obs. G. Couturier.
(9) Cass. soc., 14 mars 2007, n° 05-43.184, préc..
(10) Cass. soc., 9 juillet 1992, n° 91-40.015, inédit (N° Lexbase : A3619CQ4).
(11) Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79) et v. nos obs., Détachement dans une filiale : la société mère reste débitrice de l'obligation de reclassement (Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-70.306, FS-P+B+R N° Lexbase : A3925HMC), Lexbase Hebdo n° 433 du 24 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9666BRG).
(12) Cass. soc., 24 juin 2009, n° 07-45.656, F-P+B (N° Lexbase : A4144EIC) ; Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.708, F-P+B (N° Lexbase : A1977EEX) et les obs. de G. Auzero, Périmètre de l'obligation de reclassement du salarié inapte et indemnité spéciale de licenciement, Lexbase Hebdo n° 349 du 7 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0551BKM).
(13) Cass. soc., 24 octobre 1995, n° 94-40.188, publié (N° Lexbase : A1451ABD), Dr. soc., 1996, p. 94, obs. D. Corrignan-Carsin ; CA Paris, 22ème ch., sect. C, 3 mai 2007, n° 05/08265 (N° Lexbase : A3326DW4) ; CA Paris, 22ème ch., sect. B, 30 avril 2007, n° 06/00569 (N° Lexbase : A3394DWM) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Du nouveau sur les contours de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 273 du 20 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N4645BCZ). Selon l'arrêt n° 06/00569, la recherche des possibilités de reclassement doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
(14) Cass. soc., 16 septembre 2009, 2 arrêts, n° 08-42.212, F-P+B (N° Lexbase : A1144ELX) et n° 08-42.301, F-D (N° Lexbase : A1147EL3) et S. Tournaux, Le caractère indifférent de la "position prise par le salarié" inapte à l'égard de son reclassement, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9390BLD) ; Cass. soc., 27 octobre 1993, n° 90-42.560, publié (N° Lexbase : A1762AAI) ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-40.526, FS-P+B (N° Lexbase : A3090DRU).
Décision
Cass. soc., 29 novembre 2011, n° 10-30.728, FS-P+B (N° Lexbase : A4799H37) Cassation, CA Caen, 3ème ch., 19 mars 2010, n° 09/01776 (N° Lexbase : A0630GCC) Textes concernés : C. trav., art. L. 1226-6 (N° Lexbase : L1017H9K), L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97) et 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) ; accord du 29 mars 1990 étendu, relatif à la garantie d'emploi et à la continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de prestataire, constituant l'annexe VII de la Convention collective nationale des personnels des entreprises de propreté du 1er juillet 1994 Mots-clés : perte d'un marché de service, application de l'accord du 29 mars 1990 étendu, transfert du contrat de travail d'un salarié en application de cet accord, accident du travail survenu avec l'ancien prestataire, salarié inapte, inaptitude professionnelle, obligation de reclassement de l'employeur, transfert d'entreprise, nouvel employeur, obligation (oui) Liens base : (N° Lexbase : E3019ETY) |
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 05 Janvier 2012
Le décret n° 2011-2028 du 29 décembre 2011, relatif à l'indice des loyers des activités tertiaires, fixe les règles de composition et de calcul de l'indice des loyers des activités tertiaires. Il précise également les activités qui entrent dans son champ d'application.
L'article 63 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), avait créé un nouvel indice, l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT), et avait rendu légales, pour certaines activités, les indexations fondées sur ce dernier stipulées dans un bail (sur ce point, voir nos observations, Chronique d'actualité en droit des baux commerciaux, Lexbase Hebdo n° 253 du 2 juin 2011 - édition affaires N° Lexbase : N4200BSD).
Ce texte avait ajouté un nouvel alinéa à l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3110IQA) qui dispose désormais que "est également réputée en relation directe avec l'objet d'une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret".
Ce nouvel indice concerne, en conséquence, toutes les activités autres que les activités commerciales ou artisanales définies à l'article D. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7525IBC). Sont également visées les activités exercées par les professions libérales.
Le décret n° 2011-2028 du 29 décembre 2011 précise que l'indice des loyers des activités tertiaires (ILAT), calculé sur une base trimestrielle, est constitué par la somme pondérée d'indices représentatifs du niveau des prix à la consommation, de celui des prix de la construction neuve et de celui du produit intérieur brut en valeur.
Ce décret modifie également l'article D. 112-2 du Code monétaire et financier pour préciser que les activités concernées par l'ILAT sont les activités tertiaires autres que les activités commerciales et artisanales et recouvrent notamment les activités des professions libérales et celles effectuées dans des entrepôts logistiques.
Le décret est entré en vigueur le 31 décembre 2011.
Le preneur, auquel il est reproché d'exploiter un débit de boissons alors que cette activité lui serait interdite en raison de précédentes condamnations pénales, pouvant régulariser sa situation selon différentes voies de droit, le bailleur ne peut refuser le renouvellement pour cette infraction, invoquée à titre de motif et grave et légitime, sans délivrer préalablement une mise en demeure. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2011.
En l'espèce, le propriétaire de locaux à usage commercial de bar, débit de boissons, donnés à bail, avait notifié au preneur un congé avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction, au motif, notamment, que le preneur poursuivait son activité alors qu'il se trouverait, par suite de condamnations pénales prononcées contre lui, interdit d'exploiter un débit de boissons à consommer sur place en application des articles L. 3336-2 (N° Lexbase : L3353DLR) et suivants du Code de la santé publique.
Les juges du fond avaient validé ce congé sans offre de renouvellement et d'indemnité d'éviction, au motif que le preneur exploitait son fonds illégalement et que cette infraction, alléguée comme motif grave et légitime du congé, étant consommée et non susceptible de régularisation, une mise en demeure préalable n'était pas exigée à peine de nullité.
Cette solution, concernant la dispense d'une mise en demeure préalable, est censurée par la Cour de cassation.
Il doit être rappelé que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. L'article L. 145-17, I, 1°, du Code de commerce (N° Lexbase : L5745AIM) précise que s'il s'agit de l'inexécution d'une obligation ou de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l'article L. 145-8 (N° Lexbase : L2248IBU), l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes de l'article L. 145-17, I, 1°, du Code de commerce.
A défaut de mise en demeure, lorsqu'elle est nécessaire, le congé n'est pas nul. Ce dernier subsiste mais ouvre droit pour le preneur au paiement d'une indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 15 mai 2008, n° 07-12.669, FS-P+B N° Lexbase : A5315D8D).
La question s'est posée de la nécessité de délivrer préalablement cette mise en demeure en présence d'une infraction non régularisable. Il avait ainsi été jugé que le bailleur pouvait se prévaloir de l'omission par le preneur de l'appeler à concourir à l'acte de cession même si aucune mise en demeure préalable n'avait été signifiée, dès lors que cette infraction ne pouvait être réparée (Cass. civ. 3, 13 février 1973, n° 71-10.415 N° Lexbase : A6831AG4). De la même manière, la Cour de cassation a précisé que l'omission par le preneur d'appeler le bailleur à concourir à l'acte de sous-location constituant un manquement instantané qui ne peut ni se poursuivre, ni se renouveler, la mise en demeure n'est pas exigée (Cass. civ. 3, 29 novembre 1995, n° 93-14.250 N° Lexbase : A8601AGN ; Cass. civ. 3, 9 juillet 2003, n° 02-11.621, FS-P+B N° Lexbase : A1157C9Q).
Ces solutions ne sont pas étrangères à la solution retenue par les juges du fond dans l'arrêt rapporté. Ils avaient en effet considéré que l'infraction reprochée au preneur, à savoir la poursuite de son activité alors qu'il se trouverait interdit à la suite de condamnation d'exploiter un débit de boissons à consommer sur place, n'était pas susceptible de régularisation.
La Cour de cassation avait déjà pu juger que la mise en demeure n'était pas nécessaire en présence d'une faute délictuelle du preneur (Cass. civ. 3, 5 mars 1980, n° 78-16.198), sans égard au caractère régularisable ou non de l'infraction.
Dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt du 23 novembre 2011, c'était la prétendue absence de caractère régularisable de l'infraction qui avait motivé la décision des juges du fond. C'est précisément sur ce point qu'ils sont censurés. En effet, la Cour de cassation a estimé que le preneur pouvait régulariser sa situation selon différentes voies de droit et qu'en conséquence, une mise en demeure était nécessaire. Il reste la question de savoir quelles voies de droit sont offertes au preneur pour régulariser sa situation. Un recours contre la ou les décision(s) ayant prononcé les condamnations pénales (à condition qu'elles ne soient pas définitives) dont l'interdiction d'exploiter un débit de boisson est la conséquence, est envisageable. Le mécanisme de dispense de peine concernant l'infraction elle-même que constitue l'exploitation interdite d'un débit de boisson pourrait également être évoqué (voir, par exemple, CA Caen, 7 avril 2010, n° 09/00586 N° Lexbase : A0881E87).
Cet arrêt est également intéressant en ce qu'il précise que l'interdiction d'exploiter un débit de boissons à consommer sur place, prévue par les articles L. 3336-2 et suivants du Code de la santé publique, qui ne constitue par une sanction ayant le caractère d'une punition, mais une mesure de police et de sécurité publique réglementant l'accès à une profession, ne peut être utilement critiquée sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Le Conseil constitutionnel avait également récemment affirmé, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans la même affaire (Cass. QPC, 24 mars 2011, n° 10-24.180, FS-P+B N° Lexbase : A2943HLL), que les dispositions des articles L. 3336-2 et L. 3336-3 (N° Lexbase : L3345DLH) du Code de la santé publique ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (Cons. const., décision n° 2011-132 QPC, du 20 mai 2011 N° Lexbase : A6759HRR).
La demande de requalification d'un bail, intitulé bail professionnel à durée déterminée exclu du champ d'application des baux commerciaux, en un bail soumis au statut des baux commerciaux est soumise au délai de prescription biennale des actions fondées sur les dispositions de ce statut. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2011.
En l'espèce, par acte du 30 avril 2003, intitulé "bail professionnel à durée déterminée exclu du champ d'application des baux commerciaux", conclu pour dix ans à compter du 1er avril 2003, avait été donné à bail un ensemble immobilier pour l'exercice d'une activité hippique non commerciale. Par acte du 28 janvier 2006, le preneur a assigné le bailleur pour se voir reconnaître titulaire d'un bail commercial au titre de l'article L. 145-2, 1°, du Code de commerce (N° Lexbase : L2371IBG). Aux termes de ce texte, les dispositions du chapitre du Code de commerce relatif aux baux commerciaux s'appliquent également aux baux des locaux ou immeubles abritant des établissements d'enseignement. Les juges du fond ayant déclaré que cette demande de requalification était prescrite, le preneur s'est pourvu en cassation, amenant la Cour de cassation à se prononcer sur la prescription applicable à une telle demande.
Aux termes de l'article L. 145-60 du Code de commerce (N° Lexbase : L8519AID), toutes les actions exercées en vertu du chapitre du Code de commerce relatif au bail commercial se prescrivent par deux ans.
La question était donc posée de savoir si le preneur qui invoque l'application du statut des baux commerciaux à une convention qui aurait exclu son application est soumis à ce délai. L'une des branches du moyen décelait une aporie dans le fait de soumettre l'action en requalification d'un bail en un bail commercial à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce, sans avoir préalablement procédé à cette opération de requalification. Il est vrai que d'un point de vue logique, il faudrait requalifier le bail de bail commercial (pour que l'article L. 145-60 du Code de commerce soit applicable) pour rejeter ensuite cette demande de requalification.
La Cour de cassation confirme cependant la solution retenue par les juges du fond et affirme que, dans la mesure où la cour d'appel était saisie "d'une demande de requalification" en vertu de l'article L. 145-2 du Code de commerce, l'action était prescrite en application de l'article L. 145-60 du Code de commerce.
Elle ne précise pas expressément le point de départ du délai de prescription de l'action mais pour approuver la solution des juges du fond qui avaient jugé la demande prescrite, la Cour de cassation relève que le bail a été établi entre les parties par acte du 30 avril 2003 avec effet au 1er avril 2003 et que l'action a été engagée le 26 avril 2006. En conséquence, il y a lieu de penser que le point de départ pourrait être soit la date de signature du bail, soit sa date d'effet.
La Haute cour avait eu l'occasion de préciser précédemment que la demande de requalification du contrat de location-gérance en contrat de bail commercial était soumise à la prescription biennale et de retenir, comme point de départ de ce délai, la date d'effet du contrat litigieux (Cass. civ. 3, 29 octobre 2008, n° 07-16.185, FS-D N° Lexbase : A0591EBI).
La solution peut paraître sévère. Elle est discutable concernant le point de départ du délai de prescription. Ainsi, il peut être soutenu que certains droits issus du statut des baux commerciaux, dont le droit au renouvellement, ne naissent qu'à la fin du bail. La portée de la solution énoncée par l'arrêt du 23 novembre 2011 dépendra aussi, de ce point de vue, de la question de savoir si la demande d'un preneur tendant à se voir accorder le bénéfice d'un droit issu du statut implique nécessairement, ou non, une demande de requalification du bail. Toutefois, même en cas de prescription, le preneur devrait pouvoir opposer au bailleur, par voie d'exception, les droits que lui accorde le statut des baux commerciaux (en ce sens, voir par exemple, Cass. civ. 3, 28 mai 2008, n° 07-12.277, FS-P+B N° Lexbase : A7850D8A ; sur cet arrêt cf. nos obs. Sur les pouvoirs du maire en matière de bail commercial, Lexbase Hebdo n° 308 du 12 juin 2008 - édition privée N° Lexbase : N2524BGL).
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Réf. : Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs (N° Lexbase : L2807IRE)
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par Malo Depincé, Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier, Directeur du Master II consommation-concurrence, Avocat
Le 05 Janvier 2012
Contenant des dispositions d'ordre général cette Directive aura des conséquences pour l'ensemble des consommateurs qui acquièrent des biens ou des services hors boutique. Le champ d'application de la Directive vise "tout contrat conclu entre le professionnel et le consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou de prestation de service à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance, jusqu'au moment, et y compris au moment, où le contrat est conclu" (Directive, art. 2 et 7 ; cf. également considérant 20). Sont, en outre, visés les contrats autres que les contrats à distance, ou hors établissement : "tout contrat conclu en la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, dans un lieu qui n'est pas l'établissement commercial du professionnel" (Directive, art. 2.8a) ; ou "ayant fait l'objet d'une offre du consommateur dans les mêmes circonstances" (Directive, art. 2.8b) ; "conclu dans l'établissement commercial du professionnel ou au moyen d'une technique de communication à distance immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu qui n'est pas l'établissement commercial du professionnel, en la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur" (Directive, art. 2.8c) ; ou "conclu pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur" (Directive, art. 2.8d). On trouve là tout le domaine de la vente à distance, auquel le législateur à distance a désormais adjoint certaines situations relevant, aujourd'hui, en droit français, du démarchage (C. consom., art. L. 121-21 N° Lexbase : L6585ABI).
Seuls sont expressément exclus du dispositif -mais l'exception est parfaitement logique au regard de la définition ci-dessus donnée des situations visées à l'article 3 de la Directive-, les services sociaux, les services de santé, les jeux d'argent pour lesquels l'exercice d'un droit de rétractation serait évidemment problématique, les services financiers objets d'autres Directives, les biens immobiliers, les voyages et circuits à forfaits, les transports de passagers, les immeubles en "Timeshare", les denrées alimentaires. Plus ambiguë est la qualification de l'exception des "sites commerciaux automatisés" qui ne vise évidemment pas les sites internet, par définition tous automatisés, mais les sites de vente physique dans lesquels se rend le consommateur et qui sont automatisés. Le champ d'application de la Directive est donc relativement vaste, et son impact d'autant plus important.
La Directive contient des "dispositions phares", essentiellement en ce qui concerne le droit de rétractation qui est considérablement renforcé (I). Elle contient, également, des dispositions propres à l'obligation d'information (II) et d'autres plus éparses qui ne seront pas sans intérêt pour les consommateurs (III).
I - Le renforcement du droit de rétractation du consommateur
Le délai de rétractation du consommateur est désormais fixé à quatorze jours (Directive, art. 9) et non plus à sept jours (C. consom., art. L. 121-20 N° Lexbase : L1037HBZ et L. 121-21 N° Lexbase : L6585ABI). Sont exclus de ce délai de sept jours : la fourniture de biens ou de services dont le prix dépend de fluctuations sur le marché financier ; la fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés (disposition qui sera sujette à interprétations) ; la fourniture de biens susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement ; la fourniture de biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d'hygiène et qui ont été descellés par le consommateur après la livraison ; etc.). Sont également exclus les contrats de service après que le service a été pleinement exécuté alors que, jusqu'à présent, le droit français exclut du bénéfice du droit à rétractation les contrats de services dès lors qu'ils ont reçu un commencement d'exécution -il faut donc en déduire qu'en cas d'exécution partielle, les parties devront convenir d'une indemnité versée au professionnel qui sera à défaut évaluée par le juge-.
Le délai de rétractation expire après une période de quatorze jours à compter, en ce qui concerne les contrats de service, du jour de la conclusion du contrat et, en ce qui concerne les contrats de vente, du jour où le consommateur ou un tiers autre que le transporteur et désigné par le consommateur prend physiquement possession du bien.
Dans l'hypothèse où le professionnel n'aurait pas informé le consommateur de son droit de rétractation, le délai expire au terme d'une période de douze mois à compter de la fin du délai de rétractation initial. Cette période de douze mois est réduite si le professionnel a communiqué au consommateur les informations avant l'expiration de ce délai étendu. Le consommateur dispose, alors, de quatorze jours à compter du jour où il a reçu ces informations pour se rétracter. Cette disposition plus précise et plus rigoureuse que dans les Directives précédentes a probablement été inspirée par la jurisprudence de la Cour de justice qui a dû trancher la question de l'expiration du délai de rétractation lorsque le professionnel n'en informait pas le consommateur (2) : en l'occurrence, le délai perdure aujourd'hui (sans cette limitation de douze mois) jusqu'à ce que le professionnel informe le consommateur, et dans la seule limite de la bonne foi du bénéficiaire.
Pour se rétracter, le consommateur peut, soit utiliser le modèle de formulaire de rétractation, soit faire une autre déclaration dénuée d'ambiguïté exposant sa décision de se rétracter du contrat. Le droit français impose, quant à lui, qu'un bordereau de rétractation est obligatoirement remis au consommateur lors d'un démarchage à domicile (C. consom., art. L. 121-25 N° Lexbase : L6589ABN), mais pas en droit de la vente à distance. Par cette Directive, et il faut sans doute s'en réjouir, la remise du bordereau de rétractation devient obligatoire dans tous les contrats conclus à distance et généralisée dans tous les pays de l'Union européenne.
En cas d'exercice du droit de rétractation, le professionnel doit rembourser tous les paiements reçus de la part du consommateur (Directive, art. 13), y compris, le cas échéant, les frais de livraison, sans retard excessif et toujours dans les quatorze jours suivant celui où il est informé de la décision du consommateur de se rétracter du contrat, et ce par le même moyen de paiement que celui utilisé par le consommateur pour la transaction initiale.
En ce qui concerne spécifiquement les contrats de vente, le professionnel peut différer le remboursement jusqu'à récupération des biens, ou jusqu'à ce que le consommateur ait fourni une preuve d'expédition des biens, la date retenue étant celle du premier de ces faits. Le consommateur doit, quant à lui, renvoyer ou rendre les biens au professionnel ou à une personne habilitée par ce dernier à recevoir les biens, sans retard excessif et toujours au plus tard quatorze jours suivant la communication de sa décision de se rétracter.
Pour les contrats hors établissement, lorsque les biens ont été livrés au domicile du consommateur au moment de la conclusion du contrat, le professionnel doit les récupérer à ses frais s'ils ne peuvent pas être renvoyés normalement par la poste en raison de leur nature. Il est rappelé que l'exercice par le consommateur de son droit de rétractation d'un contrat à distance ou d'un contrat hors établissement a pour effet de mettre automatiquement fin à tout contrat accessoire, sans frais pour le consommateur.
II - Le renforcement de l'obligation d'information à la charge du professionnel
La Directive prévoit l'obligation du professionnel de livrer, préalablement au contrat de vente à distance ou à celui conclu hors établissement, les informations suivantes (Directive, art. 5 et 6) : les principales caractéristiques du bien ou du service ; l'identité du professionnel, par exemple son nom commercial, l'adresse géographique où le professionnel est établi ainsi que son numéro de téléphone, son numéro de télécopieur et son adresse électronique, lorsqu'ils sont disponibles ; le prix total des biens ou services toutes taxes comprises ; le coût de l'utilisation de la technique de communication à distance pour la conclusion du contrat, lorsque ce coût est calculé sur une base autre que le tarif de base ; les conditions de paiement de livraison et d'exécution, la date de livraison des biens ou d'exécution des prestations de services, les conditions de traitement des réclamations ; les modalités d'exercice du droit de rétractation ; le rappel de la garantie légale de conformité et le cas échéant d'un service après-vente ; la durée minimale des obligations du consommateur au titre du contrat ; le cas échéant, l'existence d'une caution ou d'autres garanties financières à payer ou à fournir par le consommateur à la demande du professionnel ; l'existence d'un mode de traitement extrajudiciaire des réclamations et les modalités d'accès à celle-ci.
La Directive rappelle, en outre, que la charge de la preuve concernant le respect des obligations d'information incombe au professionnel. Ce sont pour l'essentiel des informations dont le droit français exigeait déjà et, sur ce point, la Directive n'est pas beaucoup plus protectrice que le droit existant. En harmonisant la matière sur l'ensemble du territoire de l'Union, la Directive élargit, en revanche, le périmètre de la protection offerte au consommateur. A partir de 2014, en effet, ces obligations d'informations s'imposeront (comme toutes les autres dispositions de la Directive) dans l'ensemble des Etats-membres. Les contrats transfrontières seront donc concernés et le consommateur mieux protégé, sans avoir à invoquer pour bénéficier des dispositions françaises de l'existence de lois de police.
III - Les dispositions éparses
Diverses dispositions, plus techniques et plus disparates, n'en sont pas moins, elles aussi, protectrices du consommateur. La Directive protège, en premier lieu, le consommateur en lui garantissant la connaissance de la portée pratique de son engagement contractuel : le professionnel doit ainsi veiller à ce que le consommateur, lorsqu'il passe sa commande, reconnaisse explicitement que celle-ci implique une obligation de payer. Il doit être informé, avant tout engagement, de l'obligation de payer que son action (cliquer sur un lien internet par exemple) ferait naître. Un professionnel qui ne respecterait pas cette obligation, ne pourrait pas se prévaloir du contrat ou de la commande à l'égard de ce consommateur (Directive, art. 8).
Cette disposition vise directement les dispositifs de cases pré-cochées lors d'une commande en ligne ou les présentations ambiguës (ou peu compréhensibles) par lesquelles le consommateur ne prend véritablement conscience de son obligation de payer qu'après avoir porté le "clic final". Plus en réalité que l'hypothèse d'un consommateur qui contracterait sans comprendre l'obligation de payer qui en résulte, la Directive vise l'hypothèse où le consommateur comprend parfaitement qu'il a une obligation de paiement (chacun sait qu'une vente implique un paiement de la part de l'acheteur, par exemple) mais n'en saisit pas parfaitement l'ampleur (il a été trompé sur des frais annexes, par exemple).
En outre, le professionnel est tenu, pour un contrat de vente, de livrer le bien au plus tard, trente jours après la conclusion du contrat. En cas de manquement, le consommateur lui enjoint d'effectuer la livraison dans un délai supplémentaire adapté aux circonstances. Si le professionnel n'a pas effectué la livraison dans ce délai supplémentaire, le consommateur a le droit de mettre fin au contrat (Directive, art. 18). Le risque de perte ou d'endommagement des biens n'est transféré au consommateur que lorsque ce dernier (ou un tiers désigné par lui seul) prend physiquement possession de ces biens (Directive, art. 20).
Pour tous les types de contrats à distance ou en dehors des lieux de vente, les Etats membres devront interdire aux professionnels de facturer aux consommateurs des frais supérieurs aux coûts qu'ils supportent pour l'utilisation de ces mêmes moyens (Directive, art. 19). Ici, la Directive -et c'est suffisamment singulier pour être signalé- agit directement sur le mode de fixation des marges des professionnels en leur interdisant d'en constituer une sur certains services. Les appels vers les "hot lines" ne pourront non plus être surtaxés dans l'Union européenne et le consommateur, lorsqu'il contacte le professionnel, ne sera tenu de payer que le tarif de base (Directive, art. 21, tarif local donc, ce qui est une protection plus forte par rapport aux dispositions actuelles du droit français qui n'imposait cette exigence qu'aux professionnels établis sur le territoire national). Cette dernière disposition permet de parfaitement comprendre l'esprit de la Directive qui vise à abolir toute idée de frontières entre Etats membres pour l'affirmation d'un véritable marché intérieur, plus important que les marchés nationaux.
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
Le 06 Janvier 2012
Article 1er (CGI, article 1658 N° Lexbase : L1537IPM) : cet article a pour objet de clarifier la procédure de délégation de pouvoirs en matière d'homologation des rôles et de valider les rôles émis par la Direction générale des finances publiques en 2011 et par l'ancienne Direction générale des impôts.
Rappelons que les rôles sont des listes nominatives de contribuables établies par l'administration fiscale. Pour chaque contribuable, les rôles comportent son identification, les bases d'imposition, les éléments de liquidation de l'impôt, le montant à payer, ainsi que le bénéficiaire. Ils sont homologués par le préfet ou, par délégation, par un fonctionnaire de l'administration fiscale, conformément à l'article 1658 du CGI. Cette homologation a pour effet de les rendre exécutoire et certifie l'existence de la créance sur le contribuable.
La loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L9902IN3), entrée en vigueur le 1er janvier 2011, a modifié le second alinéa de l'article 1658 du CGI. Celui-ci prévoit désormais que pour "l'application de la procédure de recouvrement par voie de rôle prévue au premier alinéa, le représentant de l'Etat dans le département peut déléguer ses pouvoirs aux agents de catégorie A désignés par le responsable départemental des finances publiques et détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat".
Le décret en Conseil d'Etat, dont il est fait mention, n'a fait l'objet d'une publication qu'en octobre 2011 (décret n° 2011-1302 du 14 octobre 2011, portant modification de certaines dispositions relatives aux procédures de recouvrement mises en oeuvre par la direction générale des finances publiques N° Lexbase : L1896IRN), rendant de ce fait les dispositions du second alinéa de l'article précité inapplicables. La validité des rôles est appréciée au regard du droit en vigueur lors de leur homologation. L'irrégularité de la procédure de délégation avait entaché d'irrégularité les rôles homologués en 2011.
En conséquence, l'article 1er précité a procédé à la validation des rôles homologués irréguliers et dont la légalité risquait d'être contestée. Il s'agit des rôles homologués jusqu'au 31 décembre 2011 par les services fiscaux ou directions fiscales à compétence nationale (alinéa 4), des rôles homologués en 2011 sur délégation des représentants de l'Etat dans les départements (alinéa 3), mais aussi des rôles homologués jusqu'au 31 août 2010 par la direction spécialisée des impôts pour la région Ile-de-France et pour Paris (alinéa 5). Ces rôles sont réputés réguliers et ne peuvent pas être contestés sur le fondement du moyen tiré de ce que les agents ayant procédé à leur homologation étaient incompétents. A noter, toutefois, que ces rôles sont réputés réguliers sous réserve des décisions de justice passées en force jugée et des contentieux déjà engagés à la date du 16 novembre 2011.
En outre, le législateur a rendu la procédure de délégation de pouvoirs par le représentant de l'Etat dans le département plus souple. Le 2ème alinéa de l'article 1658 du CGI est rédigé ainsi : "pour l'application de la procédure de recouvrement par voie de rôle prévue au premier alinéa, le représentant de l'Etat dans le département peut déléguer ses pouvoirs aux agents de catégorie A placés sous l'autorité des directeurs départementaux des finances publiques ou des responsables de service à compétence nationale, détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat". Cette nouvelle rédaction tient compte des attributions des services à compétence nationale en matière d'homologation de rôles. Sont concernés la Direction des grandes entreprises (DGE) et la Direction des résidents étrangers et des services généraux (DRESG).
Article 57 : l'objet de cet article est la mise à la disposition des contribuables d'informations relatives aux transactions immobilières par voie électronique.
Le projet "PATRIM Usagers" vise à offrir aux usagers subissant une procédure administrative (expropriation, contrôle de la valeur vénale d'un bien) ou concernés par une obligation déclarative (acte de donation, déclaration de succession, déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune) les moyens d'une évaluation rigoureuse de leurs biens immobiliers, notamment lorsque celle-ci est susceptible d'être contestée par l'administration.
La valeur vénale réelle des immeubles doit servir d'assiette pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 761 N° Lexbase : L8122HLE), de l'impôt de solidarité sur la fortune (CGI, art. 885 S N° Lexbase : L9263HZ4), ainsi que des droits proportionnels ou progressifs d'enregistrement et de taxe proportionnelle de publicité foncière (CGI, art. 666 N° Lexbase : L7724HLN). La valeur vénale correspond au prix obtenu par le jeu de l'offre et de la demande sur un marché réel. Pour la calculer, il faut procéder à des comparaisons avec des cessions en nombre suffisant sur des immeubles similaires. Cela implique, pour le contribuable, la recherche d'informations pertinentes par divers moyens, notamment en consultant les prix moyens publiés par les notaires ou encore les revues professionnelles.
A la différence de l'administration, le contribuable ne dispose pas d'un accès aux données relatives aux transactions portant sur des biens similaires enregistrés auprès des conservations des hypothèques. Le projet "PATRIM Usager" va permettre la communication, par la Direction générale des finances publiques, et par voie électronique, d'informations de nature juridique et cadastrale, en vue de l'estimation d'un bien immobilier. L'article 57 précité pose le cadre juridique du projet "PATRIM Usagers" et prévoit, à cet effet, l'insertion d'un nouvel article L. 107 B dans le LPF.
Les personnes concernées peuvent ainsi obtenir, à titre gratuit, communication des éléments d'information relatifs aux mutations à titre onéreux de biens immobiliers comparables intervenues dans un périmètre et pendant une période déterminés, et qui sont utiles à la seule appréciation de la valeur vénale du bien concerné. Il est précisé que les biens immobiliers comparables sont les biens de type et de superficie similaires à ceux précisés par le demandeur.
Les informations communicables sont les références cadastrales, l'adresse, la superficie, le type et les caractéristiques du bien immobilier, la nature et la date de mutation, ainsi que la valeur foncière déclarée à cette occasion et les références de publication au fichier immobilier.
Toutefois, la circonstance que le prix ou l'évaluation d'un bien immobilier ait été déterminé sur le fondement d'informations obtenues en application de cette disposition ne fait pas obstacle au droit de l'administration fiscale de rectifier ce prix ou cette évaluation dans le cadre de la procédure de redressement contradictoire prévue à l'article L. 55 du LPF (N° Lexbase : L5685IEB) (alinéa 7).
Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), définit les modalités du présent article, notamment en ce qui concerne les conditions de communication d'informations par voie électronique (alinéa 8).
Article 58 : cet article a pour objet l'extension du délai de reprise de l'administration de dix ans à l'ensemble des avoirs détenus à l'étranger et non déclarés.
En application de l'article L. 169 du LPF (N° Lexbase : L0499IP8), pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration s'exerce, en principe, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Par exception, l'article L. 169 susmentionné prévoit que le délai de reprise s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due, dans l'hypothèse d'une activité occulte, c'est-à-dire lorsque le contribuable n'a déposé, dans le délai légal, aucune déclaration fiscale et n'a pas fait connaître son activité au centre de formalité des entreprises, ou au greffe du tribunal de commerce. Ceci vaut aussi quand l'administration a dressé un procès-verbal de flagrance fiscale au titre de l'année postérieure.
L'article 52 de la loi du 30 décembre 2008 (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008 N° Lexbase : L3784IC7) a également prévu un allongement à dix ans du délai de reprise en cas de non respect de certaines obligations déclaratives, dès lors qu'elles concernent des actifs détenus dans "un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale permettant l'accès aux renseignements bancaires".
Le présent article vise à étendre le délai de reprise de dix ans dont dispose l'administration à l'ensemble des avoirs détenus à l'étranger. L'article L. 169 du LPF est modifié en ce sens, la mention faite aux Etats et territoires non coopératifs étant supprimée. En conséquence, le délai de reprise peut s'exercer jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable ne respecte pas les obligations déclaratives visées à l'article L. 169 du LPF, au titre de l'ensemble des avoirs qu'il détient à l'étranger.
En outre, il convient de souligner qu'il est fait référence à une nouvelle obligation déclarative, prévue à l'article 1649 AB du CGI (N° Lexbase : L9523IQR), et qui concerne les administrateurs de trusts, dont le constituant ou l'un des bénéficiaires a son domicile fiscal en France, ou dont l'un des biens est sis en France. Ils sont tenus de déclarer la constitution, la modification ou l'extinction de ces entités juridiques, ainsi que la valeur vénale des biens, droits et produits portés par celles-ci, annuellement.
Enfin, l'extension du délai de reprise ne s'applique pas en cas de non respect de l'obligation déclarative (CGI, art. 1649 A N° Lexbase : L1746HMM) qui concerne l'ouverture, l'utilisation ou la clôture de comptes à l'étranger, lorsque le contribuable apporte la preuve que le total des soldes créditeurs de ses comptes à l'étranger est inférieur à 50 000 euros au 31 décembre de l'année au titre de laquelle la déclaration devait être faite.
Les modifications portant sur le périmètre de l'article L. 169 du LPF s'appliquent aux délais de reprise venant à expiration postérieurement au 31 décembre 2011. En effet, l'allongement des délais de reprise ne peut remettre en cause des prescriptions acquises lors de son entrée en vigueur.
Article 59 : cet article vise à transposer la Directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (N° Lexbase : L8286IGY).
L'assistance mutuelle entre Etats membres de l'Union européenne est l'une des modalités de coopération administrative internationale en matière fiscale. Cette coopération a pris forme en 1976 avec une Directive relative à l'assistance mutuelle au recouvrement (Directive 76/308/CE du Conseil du 15 mars 1976, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d'opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane N° Lexbase : L9235AUL), dont le champ d'application était limité aux créances contribuant au financement du fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEAGA), ou afférentes aux prélèvements agricoles et aux droits de douane. Ce dernier a été ultérieurement étendu à la TVA, aux droits d'accises, aux impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu'aux taxes sur les primes d'assurances. Ce dispositif a été codifié par une Directive du Conseil en date du 26 mai 2008 (Directive 2008/55/CE du Conseil du 26 mai 2008, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures N° Lexbase : L9074H3H). Cette dernière a été abrogée et remplacée par la Directive 2010/24 UE du Conseil du 16 mars 2010, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures.
L'article 59 précité assure la transposition de cette Directive. Celle-ci vise aussi à renforcer la possibilité d'édicter des mesures conservatoires dans un autre Etat membre. Elle actualise les dispositions déjà prises en ce sens afin de tenir compte des dernières évolutions liées à la pratique fiscale conventionnelle établie dans le cadre de l'OCDE. Par exemple, l'article 5 de la Directive s'inspire très largement des stipulations encadrant le refus d'assistance prévues dans les différents accords d'échange de renseignements récemment conclus avec des territoires jugés non coopératifs.
L'assistance mutuelle concerne non seulement le recouvrement des créances, mais également les phases préparatoires à la mise en oeuvre de cette procédure, telles que l'échange d'informations, la notification de documents préalables aux mesures d'exécution, ou encore l'édiction de dispositions conservatoires tendant à préserver les possibilités de paiement de la dette. La nouvelle rédaction autorise les fonctionnaires habilités par l'Etat requérant à être présents dans les bureaux de l'administration de l'Etat requis, à assister aux enquêtes administratives, à interroger éventuellement les personnes et à examiner les dossiers. Afin de préserver le recouvrement de l'Etat requérant, la Directive prévoit que l'Etat requis prenne des mesures conservatoires même si la créance est contestée, ou si le titre exécutoire n'a pas encore été émis.
Le nouvel article L. 283 D du LPF, prévu au 5° du I du présent article, traite des demandes de renseignements. La communication porte sur "toute information vraisemblablement pertinente" pour le recouvrement des créances entrant dans le champ d'application "à l'exception de celles qui pourraient être obtenues pour le recouvrement de leurs propres créances de même nature sur la base de la législation en vigueur". Le dispositif de 2008 est renforcé car la détention de l'information par une banque, un établissement financier ou une personne agissant en qualité de fiduciaire ne saurait constituer un fondement légitime au refus de coopérer. Toutefois, cette obligation de communication ne doit pas conduire à la divulgation d'un secret commercial, industriel ou professionnel ou encore porter atteinte à la sécurité ou l'ordre public.
Article 100 : cet article porte sur la communication aux collectivités territoriales des informations déclarées par le contribuable intervenant dans la valeur ajoutée des entreprises.
L'article L. 135 B du LPF (N° Lexbase : L0882IPD) prévoit, notamment, que l'administration fiscale est tenue de transmettre aux collectivités territoriales et à leurs groupements dotés d'une fiscalité propre "le montant par impôt et par redevable des impôts directs non recouvrés par voie de rôle perçus à leur profit". L'Assemblée nationale a souhaité ajouter que cette obligation comporte des informations relatant "notamment les effectifs salariés".
L'objectif de cet ajout est de faire en sorte que les collectivités territoriales puissent disposer des éléments déclarés par l'entreprise pour le calcul de la répartition du produit de la cotisation de la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), c'est-à-dire la répartition territoriale de ses effectifs salariés et les surfaces de ses établissements.
Cet article sécurise l'accès des collectivités territoriales à ces informations très importantes, s'agissant d'un impôt perçu en leur faveur.
Article 101 : cet article permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements dotés de fiscalité propre de se transmettre entre elles des informations fiscales portant sur leurs produits fiscaux.
Cette mesure, complémentaire de l'article 100 de la loi, vise, en particulier, à permettre aux collectivités de croiser les informations dont elles disposent s'agissant des critères de répartition de la cotisation de la valeur ajoutée des entreprise (CVAE). Cela doit conduire à apprécier le degré d'interdépendance du produit d'une collectivité avec ceux d'autres territoires.
Ce dispositif doit faciliter la coopération fiscale au sein des établissements publics de coopération intercommunale.
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
Le 05 Janvier 2012
La question de savoir si un revirement de jurisprudence doit, ou non, s'appliquer rétroactivement n'est pas nouvelle. Sans doute est-il de l'essence de toute création prétorienne que la solution retenue par le juge, fût-elle novatrice, s'applique aux faits à propos desquels il a été saisi, par hypothèse, antérieurs à sa décision : la prohibition des arrêts de règlement (C. civ., art. 5 N° Lexbase : L2230AB9) le commande, lui interdisant de poser une règle générale qui n'aurait pas vocation à s'appliquer au litige pour lequel il a été saisi. Il reste, toutefois, qu'une telle application rétroactive produit, dans certains cas, des conséquences iniques et critiquables. La solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 9 octobre 2001 est, à cet égard, éloquente, puisqu'elle a consisté à admettre la responsabilité d'un médecin pour manquement à son devoir d'information en application d'une jurisprudence initiée en 1998, alors que les faits litigieux dataient de 1974 (1). D'autres arrêts avaient, depuis, paru exprimer "une évidente réticence face à la modulation dans le temps des revirements" (2), deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 11 juin 2009 ayant ainsi énoncé que "la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge" (3). Il fallait donc comprendre que la Cour de cassation exprimait là un refus de principe de moduler l'application dans le temps de la jurisprudence, pour n'admettre d'y déroger qu'en cas de privation du droit à l'accès au juge. Pourtant, un arrêt de la même première chambre civile du 15 décembre 2011, rendu dans une affaire dans laquelle la responsabilité d'un avocat était recherchée, paraît s'affranchir de cette position de principe et admettre la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence en dehors de la seule limite tirée de l'atteinte au droit à l'accès au juge.
En l'espèce, une société avait vendu à une autre des marchandises sous le bénéfice d'une clause de réserve de propriété. La société acquéreur ayant été mise en redressement judiciaire, puis en liquidation, la venderesse, assistée de son avocat associé au sein d'une SCP, avait alors revendiqué les marchandises auprès de l'administrateur judiciaire puis, celui-ci ayant rejeté cette demande, du juge-commissaire, sans d'ailleurs beaucoup plus de succès puisque sa demande avait été jugée forclose par une décision de la cour d'appel de Douai en date du 5 décembre 2002, devenue irrévocable à la suite d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 28 septembre 2004 (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 03-11.876 N° Lexbase : A4828DD8), et ce au motif que le délai de distance prévu à l'article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5814ICC) n'est pas applicable à la demande en revendication portée devant la juge-commissaire. C'est dans ce contexte que la société a engagé une action en responsabilité contre l'avocat et la SCP.
Les premiers juges l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire, la société a formé un pourvoi en cassation en faisant valoir : d'une part, qu'engage sa responsabilité l'avocat et ou la structure au sein de laquelle il est actif qui, par son inaction ou son retard, prive son client d'une chance de faire valoir ses droits, ce qui en l'espèce serait le cas puisqu'il résulte du texte même de l'article 643 du Code de procédure civile que l'allongement des délais de procédure, au bénéfice des plaideurs éloignés de la juridiction compétence, n'est applicable qu'aux délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, limitativement énumérés, et pas aux délais de prescription ou de forclusion relatifs à l'action en justice initiale et, partant, ne sont pas applicables à la requête en revendication ; et, d'autre part, que, à supposer même qu'un doute eut pu apparaître en ce qui concerne le délai applicable, la simple existence de ce doute, qui ne pouvait en toute hypothèse générer une certitude en l'état d'un texte clair et d'une jurisprudence antérieure en sens contraire (Cass. com., 18 décembre 1986, n° 85-13.242 N° Lexbase : A6441AAS), suffisait à justifier le respect de la décision la plus prudente pour conserver les intérêts du justiciable, en sorte qu'en prenant le parti contraire, l'avocat et sa structure auraient manqué à une obligation minimale de prudence, faisant perdre à son client toute chance de faire valoir ses droits.
Cette argumentation n'a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le moyen (4), a décidé "que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence ; qu'ayant constaté que l'analyse juridique de l'avocat était conforme à la jurisprudence alors en vigueur [Cass., civ. 2, 26 février 1997, n° 94-19.233 (N° Lexbase : A0042ACK)], laquelle énonçait qu'aucune disposition de la loi du 25 janvier 1985 et du décret du 27 décembre 1985 ne faisait exception aux règles de l'article 643 du (nouveau) Code de procédure civile d'application générale à défaut de dérogation expresse, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire, en présence du revirement opéré par l'arrêt du 28 septembre 2004 précité, que le professionnel du droit n'avait pas commis de faute".
Il n'est, évidemment, pas question ici de redire que la responsabilité de l'avocat peut être recherchée en cas de faute consistant, au-delà du cas du manquement à son obligation d'information et de conseil, dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client : chargé de le représenter en justice en vertu du mandat qu'il a accepté, il doit, dans le cadre de l'activité judiciaire, accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, étant entendu que la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié (5). Par où l'on voit que l'avocat est tenu d'un devoir de contrôle qui consiste notamment à vérifier que l'action de son client est fondée et que les conditions de recevabilité de celle-ci sont réunies. Tout cela est parfaitement entendu. Mais en l'espèce, la question tenait au point de savoir si une faute pouvait sérieusement être reprochée à l'avocat. La difficulté venait, en effet, du fait que, au jour où il avait agi, il s'était semble-t-il conformé à la jurisprudence qui faisait, à cette époque, autorité, et dont on pouvait légitimement déduire que les augmentations de délais s'appliquaient à tous les cas où il n'y était pas expressément dérogé, ce qui n'était précisément le cas ni des dispositions de la loi du 25 janvier 1985, ni de celles du décret du 27 décembre 1985 (6). Or cette solution n'avait été abandonnée que postérieurement à la date des faits du litige, le revirement de jurisprudence n'ayant été opéré par la Cour de cassation qu'à la faveur d'un arrêt du 28 septembre 2004 (préc.).
En décidant, au cas présent, "que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence", la solution, qui conduit par hypothèse à considérer la jurisprudence comme une source du droit ayant, comme telle, vocation à pouvoir modifier l'état du droit positif, réjouira certainement ceux qui, depuis quelques années, militent pour une modulation dans le temps des revirements de jurisprudence : stigmatisant les effets dévastateurs des revirements de jurisprudence, des auteurs ont, on le sait, proposé qu'ils ne puissent valoir que "pour l'avenir" (7). Un rapport du groupe de travail présidé par le Professeur Molfessis sur la question des revirements de jurisprudence a ainsi été remis au premier président de la Cour de cassation le 30 novembre 2004, suggérant que la Cour de cassation admette la possibilité de moduler dans le temps les effets des revirements de jurisprudence, en appréciant au cas par cas les situations et les motifs impérieux d'intérêt général justifiant cette modulation (8). Mais en dépit de quelques arrêts paraissant certes s'accorder avec cette analyse (9), notamment, pour l'un d'eux, dans une affaire dans laquelle était discutée la responsabilité d'un notaire et dont les termes de la solution sont exactement repris par l'arrêt du 15 décembre 2011 (10), la tendance semblait, appréciée globalement, plutôt inverse, en tout cas pour toutes les hypothèses dans lesquelles l'application de la solution jurisprudentielle nouvelle ne conduirait pas à une atteinte au droit à l'accès au juge (11). L'arrêt du 15 décembre 2011, envoyant un signal discordant dans ce qui semblait aujourd'hui rendre compte de l'état du droit positif, mérite en tout cas, sous cet aspect, d'être remarqué. La saga de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence n'est manifestement pas achevée...
La vigueur du devoir d'information et de conseil qui pèse sur le notaire, comme d'ailleurs sur les professionnels en général, et les professionnels du droit en particulier, est incontestable. Au demeurant, l'importance du contentieux en la matière, dont les colonnes de cette revue se font régulièrement l'écho, exclut qu'on puisse en douter. Le constat est avéré : le notaire doit, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (12), en même temps qu'il doit éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'il authentifie (13). Par où l'on voit bien que son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. On n'ignore pas, sous cet aspect, que le notaire, tenu de s'assurer, en sa qualité de rédacteur de l'acte, de l'efficacité de celui-ci, doit vérifier la situation de l'immeuble au regard des exigences administratives (14) ou procéder à des recherches sur la situation des biens et, plus particulièrement, vérifier les origines de propriété de l'immeuble vendu (15), si bien que sa responsabilité se trouve engagée s'il s'est borné à reprendre d'un acte antérieur une origine de propriété qui s'est finalement révélée erronée (16). Ou bien encore, le notaire qui établit un acte de garantie hypothécaire doit s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (17). Naturellement, c'est à la jurisprudence que revient le soin de fixer la limite du devoir d'information et de conseil du notaire, dont on comprend bien qu'il est l'instrument lui permettant de satisfaire à son obligation d'assurer l'efficacité des actes (18). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2011, à paraître au Bulletin, mérite à cet égard d'être, au moins brièvement, signalé.
En l'espèce, à la suite de la résolution de la vente d'un fonds de commerce aux torts de la cessionnaire en raison de l'inexécution de ses obligations vis-à-vis de la cédante, en l'occurrence pour n'avoir pas effectué, auprès des organismes de financement, les diligences nécessaires au transfert sur elle des contrats de crédit afférents aux matériels équipant le fonds de commerce, la responsabilité du notaire qui avait reçu l'acte authentique de vente était recherchée, au motif, soutenait en tout cas la cessionnaire, non seulement qu'il ne l'avait pas averti des risques encourus en cas de défaut de transfert des contrats de crédit-bail, mais encore qu'il n'avait pas suffisamment attiré son attention sur le caractère déséquilibre de l'opération, autrement dit qu'il ne l'avait pas mise en garde contre le danger auquel elle s'exposait en acceptant des obligations qui se sont révélées dépasser ses facultés d'endettement. N'ayant été que partiellement suivie par les premiers juges, qui ont certes admis le principe de la responsabilité du notaire, mais considéré que le manquement de celui-ci n'avait concouru que pour moitié à la réalisation du dommage de la demanderesse, la faute de celle-ci étant, pour le reste, la cause du dommage, elle a formé un pourvoi en cassation, faisant essentiellement valoir que, conformément à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), le notaire rédacteur d'un acte est tenu d'une obligation de conseil découlant de la nature même de ses fonctions dont il n'est pas dispensé par les compétences ou les connaissances personnelles de son client.
Aussi bien, selon le pourvoi, en retenant, pour déclarer la SCP notariale responsable du dommage subi par la demanderesse seulement à hauteur de 50 %, que l'acte de cession de fonds de commerce est un acte conclu entre commerçants et que la victime avait concouru à la réalisation de son dommage, en ce qu'elle aurait dû réaliser l'importance des obligations financières acceptées dépassant ses facultés de remboursement, la cour d'appel aurait refusé d'admettre que le notaire rédacteur de l'acte devait exécuter son devoir de conseil à son égard, étant entendu que, en dépit de sa qualité de commerçante, elle devait être avertie du risque de défaut de transfert des contrats de crédit-bail. La Cour de cassation rejette le pourvoi, en décidant que "la cour d'appel, qui n'a pas refusé d'admettre que le notaire, rédacteur de l'acte, devait exécuter son devoir de conseil à l'égard de Mme X quant au risque du défaut de transfert des contrats de crédit-bail, a retenu que cette dernière avait commis une faute en acceptant des engagements, qu'en sa qualité de commerçante elle pouvait savoir disproportionnés par rapport à sa capacité de remboursement ; que, partant, le notaire n'étant, en principe, pas tenu à une obligation de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours, elle a pu considérer que cette faute ainsi caractérisée avait contribué, comme celle qu'elle retenait à l'encontre de la SCP notariale, à la réalisation du préjudice né de la résolution de la vente du fonds de commerce et a, en conséquence, dans la proportion qu'elle a souverainement appréciée, exactement décidé, sans méconnaître l'objet du litige, le partage de responsabilité que postulait la demande subsidiaire de la SCP notariale de voir Mme X condamnée à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre".
On ne reviendra pas sur le devoir de conseil qui pèse sur le notaire et dont l'arrêt rappelle d'ailleurs le principe. C'est bien, au demeurant, ce qui a justifié que la SCP soit tenue, au moins pour partie, responsable du préjudice de la victime : le notaire qui a reçu l'acte authentique de vente du fonds de commerce aurait dû attirer l'attention des parties sur le risque du défaut de transfert des contrats de crédit-bail. A vrai dire, la cause était, à ce titre, parfaitement entendue. Ce qui, en revanche, pouvait susciter l'hésitation tenait au point de savoir s'il fallait considérer qu'il incombait également au notaire de mettre en garde le client contre les dangers économiques de l'opération. La question se pose d'autant plus que la jurisprudence retient, dans certaines hypothèses, un devoir de mise en garde à la charge du notaire : ainsi a-t-il été jugé qu'il est tenu d'éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques, de l'acte auquel il prête son concours, et le cas échéant de le déconseiller (19). Se pourrait-il, franchissant un cap supplémentaire, qu'on attende du notaire qu'il s'immisce davantage encore dans le projet de son client, au point éventuellement de le dissuader d'entreprendre et de l'inciter à renoncer à l'opération ? Attendrait-on ainsi du notaire qu'il fasse montre de la même diligence que celle que requiert la jurisprudence du banquier dispensateur de crédit ou des prestataires de services d'investissement ? C'est là sans nul doute une question importante, qui déborde d'ailleurs le seul cadre de la responsabilité professionnelle du notaire, voire de l'avocat, mais qui intéresse, aussi bien d'un point de vue théorique que pratique, le droit commun des obligations. La jurisprudence a en tout cas manifestement entendu encadrer le devoir de conseil du notaire. On se souvient, pour l'avoir ici même commenté, qu'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 8 décembre 2009 avait jugé, sous le visa de l'article 1382 du Code civil, que "si le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, il n'a pas à répondre, dès lors qu'ont été prises les mesures propres à garantir la bonne exécution du montage choisi, des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients" (20). Autrement dit, le notaire ne saurait être tenu des aléas financiers liés à l'opération boursière de ses clients, qui en connaissaient ou devaient en connaître les risques, solution que nous avions approuvé en relevant notamment que, d'un point de vue pratique, elle encourageait à la responsabilisation de ceux qui se livrent à des opérations risquées en connaissance de cause (21).
L'arrêt du 4 novembre 2011, certes rendu dans une affaire dans laquelle l'opération constatée par l'acte notarié n'était pas aléatoire comme l'est une opération boursière, participe pourtant bien de la même logique : la qualité de commerçante de la cessionnaire, qui impliquait qu'elle soit apte à percevoir le caractère disproportionné de l'engagement par rapport à ses facultés de remboursement, justifiait en définitive que le notaire soit dispensé de la mettre en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours. On peut raisonnablement en déduire que la solution aurait sans doute été différente si, inversement, le client n'avait pas eu cette qualité. Tout cela n'est évidemment pas sans rappeler la distinction à l'oeuvre en droit bancaire selon que le client est averti ou profane...
(1) Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564 (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249, D., 2001, p. 340, rapp. P. Sargos, et note D. Thouvenin.
(2) N. Molfessis, La Cour de cassation face à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, D., 2009, p. 2567.
(3) Cass. civ. 1, 11 juin 2009, n° 08-16.914 (N° Lexbase : A0517EIY), Bull. civ. I, n° 124.
(4) Le commentaire porte sur ce seul moyen, à l'exclusion de celui qui portait sur le point de savoir si la responsabilité de l'avocat ayant agi non à titre individuel, mais en tant que membre d'une SCP, pouvait être recherchée. La Cour de cassation casse en effet la décision des juges du fond qui avaient accueilli la fin de non-recevoir soulevée par l'avocat, la Haute juridiction énonçant, sous le visa de l'article 16, alinéas premier et deuxième, de la loi du 29 novembre 1966 modifiée, relative aux sociétés civiles professionnelles (N° Lexbase : L3146AID), que "aux termes de ce texte, que chaque associé répond, sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit et que la société civile professionnelle est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes ; qu'il en résulte que l'action en responsabilité peut indifféremment être dirigée contre la société ou l'associé concerné, ou encore contre les deux". Comp., à propos non plus d'un associé mais d'un avocat collaborateur, nos obs. sous Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-30.283, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2317HCS), in Lexbase Hebdo n° 74 du 5 mai 2011 - édition professions (N° Lexbase : N1384BS3).
(5) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(6) Cass., civ. 2, 26 février 1997, n° 94-19.233 (N° Lexbase : A0042ACK), Bull. civ. II, n° 60.
(7) Ch. Mouly, Le revirement pour l'avenir, JCP éd. G, 1994, I, 3776.
(8) Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
(9) Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5843DZG).
(10) Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, préc..
(11) Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), D., 2007, p. 835, note P. Morvan ; Cass. civ. 1ère, 11 juin 2009, préc..
(12) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(13) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(14) Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758, FS-P+B (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (en l'espèce vérification de la commercialité de l'immeuble compte tenu de l'exigence d'un périmètre de protection autour) ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B (N° Lexbase : A3375ELL), Bull. civ. III, n° 201.
(15) Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-18.753 (N° Lexbase : A7976ABZ), Bull. civ. I, n° 459.
(16) Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.106 (N° Lexbase : A9928AXY), Bull. civ. I, n° 54.
(17) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-145.45, publié (N° Lexbase : A2322CG4). Voir déjà, auparavant, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737 (N° Lexbase : A1369AH8). Comp. Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9) décidant que le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé.
(18) Voir en ce sens, très explicite, l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 avril 1981 : Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(19) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496 ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, FS-P+B (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(20) Cass. civ. 1, 8 décembre 2009, n° 08-16.495, FS-P+B (N° Lexbase : A4385EP4).
(21) Nos obs. Le notaire n'a pas à répondre des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients, Lexbase Hebdo n° 20 du 25 février 2010 - édition professions (N° Lexbase : N2453BN8).
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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen
Le 05 Janvier 2012
Dans la suite de la réforme du droit de l'urbanisme, dont les praticiens s'accordent pourtant à penser qu'il est devenu synonyme d'insécurité juridique, le décret n° 2011-1771 du 5 décembre 2011 modifie encore les frontières entre la déclaration de travaux et le permis de construire. Il convient de noter, au préalable, que ces nouvelles dispositions s'appliqueront aux demandes déposées à compter du 1er janvier 2012, les demandes déposées avant cette date continueront à être traitées selon la réglementation antérieure. On relèvera le caractère délicat de ce genre de mesures lorsque le délai d'application prévu est très bref. Selon la nature des modifications, et c'est le cas en l'occurrence, les pétitionnaires qui auront attendu l'entrée en vigueur du nouveau texte auront pu bénéficier d'un régime juridique plus favorable et, surtout, beaucoup moins contraignant. Il y a là une certaine rupture d'égalité devant les charges publiques, mais il faut souligner, inversement, que le fait de repousser les dates d'entrée en vigueur de nouvelles dispositions n'est pas, non plus, exempt de difficultés et peut, notamment, produire des effets d'aubaine.
Le décret du 5 décembre 2011 modifie donc les champs d'application respectifs du permis de construire et de la déclaration de travaux pour les travaux sur constructions existantes. La rédaction des articles R. 421-17 (N° Lexbase : L7465HZI) et R. 421-14 (N° Lexbase : L7462HZE) du Code de l'urbanisme est modifiée de manière concordante. Ce type de travaux est devenu très fréquent. Il permet de gagner une surface habitable non négligeable, soit en étendant légèrement la surface des maisons individuelles, soit en aménageant les combles et autres greniers. De nombreuses entreprises se sont, d'ailleurs, portées sur ce secteur d'activité. On relèvera, également, que le texte démontre, s'il en était besoin, que le droit de l'urbanisme est pris au piège de sa propre complexité. Le pouvoir réglementaire, comme le législateur, se trouve, en effet, dans l'incapacité d'édicter une règle générale claire qui ne soit pas dépourvue de multiples exceptions. On rappellera, en outre, qu'en application de l'ordonnance n° 2011-1539 du 16 novembre 2011, relative à la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le droit de l'urbanisme (N° Lexbase : L2512IRH), la notion de surface de plancher remplacera les surfaces hors oeuvre nettes (SHON) et surfaces hors oeuvre brutes (SHOB) à compter du 1er mars 2012.
A compter du 1er janvier 2012, le champ d'application du permis de construire pour les travaux sur les constructions existantes est donc réduit.
I - Les modifications liées à la SHOB
Plusieurs modifications sont liées au volume de la SHOB créée par les travaux.
En premier lieu, le décret ne modifie pas les règles de principe de l'article R. 421-14 relatives à la création de SHOB. D'une part, le permis n'est pas exigé pour les travaux d'entretien ou de réparation. D'autre part, les travaux qui provoquent la création d'une SHOB supérieure à 20 m² demeurent soumis, par principe, à la délivrance d'un permis de construire.
En second lieu, les travaux créant une SHOB supérieure à 40 m² demeurent soumis à permis. La modification apportée par le décret concerne donc les SHOB comprises entre 20 m² et 40 m² qui passent, désormais, sous le régime de la déclaration de travaux. Cette modification n'est cependant pas générale car le texte maintient plusieurs exceptions. D'une part, l'autorisation de travaux n'est applicable aux surfaces inférieures à 40 m² que dans les zones urbaines d'une commune couverte par un plan local d'urbanisme ou un document en tenant lieu. Le nouveau régime ne concerne donc que les immeubles situés en zone U des PLU. D'autre part, une augmentation de la SHOB inférieure à 40 m² demeure soumise à permis de construire lorsqu'elle a pour effet de dépasser les seuils fixés à l'article R. 431-2 (N° Lexbase : L7612HZX). On rappellera que cet article fixe, pour chaque type de construction, des seuils au-delà desquels le recours à un architecte est obligatoire. Le cas général concerne les constructions à usage autre qu'agricole et dont la surface de plancher hors oeuvre nette, si le pétitionnaire veut éviter le recours à un architecte, ne doit pas dépasser 170 m². En conséquence, une extension comprise entre 20 et 40 m² ne pourra échapper au permis de construire si elle porte la surface de plancher hors nette de l'immeuble à plus de 170 m². Les particuliers qui désireront profiter de cette nouvelle possibilité devront être vigilants sur ces calculs de surface, en particulier dans les zones pavillonnaires et les lotissements où les extensions sont souvent prétextes à querelles de voisinage et donc sources de recours juridictionnels.
II - Les modifications indépendantes du volume de la SHOB
La nouvelle rédaction modifie partiellement la partie du champ d'application du permis de construire qui n'est pas lié au volume de la SHOB.
En premier lieu, demeurent soumis au permis les travaux qui ont pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment lorsque ces travaux s'accompagnent d'un changement de destination. Les destinations en question sont définies, depuis la réforme de 2007, par la fonction des bâtiments : l'habitation, l'hébergement hôtelier, les bureaux, commerces, l'artisanat, l'industrie, les exploitations agricoles ou forestières ou les bâtiments faisant fonction d'entrepôt. Le décret ne modifie donc pas cet aspect et maintient la précision selon laquelle, pour l'application de cette règle, les locaux accessoires d'un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal.
La rédaction antérieure du texte est, également, maintenue pour les travaux nécessaires à la réalisation d'une opération de restauration immobilière. Celles-ci sont définies à l'article L. 313-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3402HZZ). Elles recouvrent les travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles. Elles sont engagées à l'initiative soit des collectivités publiques, soit d'un ou de plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale. Elles doivent être déclarées d'utilité publique lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé.
En second lieu, l'obligation de demander un permis de construire dans le cas prévu au c) de l'article R. 421-14 disparaît. Cette hypothèse concerne les travaux ayant pour effet de modifier le volume d'un bâtiment et de percer ou d'agrandir une ouverture sur un mur extérieur, les deux conditions, ainsi, énoncées devant être considérées comme cumulatives. Elle se justifiait par l'impact de ce genre de modifications sur l'apparence de l'immeuble et par le fait qu'elles mettent directement en cause les règles essentielles de documents d'urbanisme relatives à l'implantation des bâtiments et à leur hauteur. La mesure de coordination prévue par le 2° de l'article 1er du décret du 5 décembre 2011, qui définit positivement l'extension du champ d'application de la déclaration préalable en fonction de la réduction de celui du permis de construire, ne fait pas référence à ces modifications de volume, ni à ces percements ou extensions d'ouvertures. En conséquence, et sous réserve d'une disposition réglementaire à venir, et aussi surprenant que cela puisse paraître, on doit considérer que ce type de travaux ne sera plus soumis à déclaration.
Les zones naturelles sont assez fortement protégées par le droit de l'urbanisme : au-delà des dispositions législatives spécifiques qui renforcent la protection de certains secteurs, telles que celles de la loi "littoral" (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9) codifiée, notamment, à l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8034IMI), les zones A des PLU, qui recouvrent globalement les zones NC des POS (à l'exception des activités liées à l'exploitation du sous-sol), sont, par principe, inconstructibles. Ne sont, ainsi, admises dans ces zones que les constructions qui ont un lien étroit avec les activités agricoles. L'arrêt rendu le 9 décembre 2011 ouvre légèrement les possibilités offertes aux personnes propriétaires de construction à usage d'habitation situées dans ces zones.
I - La zone NC : un secteur très protégé
L'intention du Code de l'urbanisme relative aux zones NC est très précise : les zones NC sont, par principe, inconstructibles. Elles sont réservées à l'exploitation des richesses naturelles du sol ou du sous-sol et sont, par conséquent, majoritairement consacrées aux activités agricoles.
Une réponse ministérielle du 8 mai 2008 (QE n° 03751 de Mme Christiane Demontès, JO Sénat du 20 mars 2008, p. 516, réponse publ. 8 mai 2008, p. 915, 13ème législature N° Lexbase : L5452IRD) expose les obligations du pétitionnaire qui désire effectuer une opération en zone A. Elle concerne les PLU mais la règle exposée est parfaitement adaptée au POS, la règle de la nécessité de la construction ayant été reprise par les PLU : "[...] l'article R. 123-7 [...] autorise, cependant, dans ces zones les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole. Cette notion de nécessité, que le demandeur de permis de construire doit justifier, correspond, pour l'essentiel, au caractère indispensable de certaines installations ou constructions du point de vue du fonctionnement et des activités de l'exploitation agricole. A cet égard, la construction d'un logement pour l'exploitation peut se justifier dès lors que la présence de l'exploitant à proximité des terres qu'il exploite s'avère nécessaire au fonctionnement de l'exploitation, au regard du contexte local et compte tenu de la nature des activités agricoles concernées. Plus généralement, l'activité agricole présente une très grande diversité, au plan des productions, des structures, des données naturelles de sol et de climat, qui entraîne une grande variété dans la destination et la nature des installations ou des constructions nécessaires à l'exploitation agricole, ce qui ne permet pas la formulation d'une règle uniforme. Ceci justifie qu'un examen au cas par cas des projets de demandes d'autorisation de construire soit réalisé de manière à apprécier au mieux la notion de nécessité au vu des éléments justificatifs produits par le demandeur du permis de construire et des règles établies localement par le PLU. Cet examen attentif doit garantir au demandeur la sécurité juridique de son projet et donc une bonne visibilité des perspectives notamment foncières dans lesquelles il inscrit l'activité de son exploitation". Le pétitionnaire doit donc démontrer dans son dossier de demande de permis que la construction pour laquelle il sollicite un permis doit être absolument indispensable à son activité agricole.
Plusieurs aménagements limités à cette règle sont, cependant, autorisés. Afin de maintenir la population en milieu rural, la loi "SRU" (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), via l'article L. 123-3-1 (N° Lexbase : L1949DKE), permet au règlement du PLU d'autoriser les changements de destination de certains immeubles agricoles. Cette possibilité, qui est aussi applicable aux POS par simple modification du plan, concerne les bâtiments agricoles qui présentent un intérêt architectural ou patrimonial qui justifie le changement de destination. L'opération ne doit pas avoir pour effet de compromettre l'exploitation agricole. Cette procédure impose d'identifier les immeubles concernés dans le document graphique du document d'urbanisme. La notion d'intérêt architectural ou patrimonial est relativement souple : le conseil municipal dispose d'une marge de manoeuvre confortable pour identifier les immeubles en question, ce qui n'est pas sans enjeu financier pour les propriétaires concernés.
De même, l'article L. 111-3 (N° Lexbase : L7775IMW) autorise, sous conditions, la reconstruction après sinistre d'un immeuble régulièrement édifié. De même, la restauration d'un bâtiment dont il reste l'essentiel des murs porteurs et qui présente un intérêt architectural ou patrimonial peut être autorisée, à condition que le projet respecte les principales caractéristiques de l'immeuble. Dans ces deux derniers cas, cependant, les documents d'urbanisme peuvent expressément exclure le droit à reconstruction posé par la loi. Enfin, les documents d'urbanisme eux-mêmes peuvent prévoir des dispositions autorisant les constructions qui ne sont pas liées aux activités agricoles. Ces possibilités ne sont nullement automatiques et varient assez sensiblement selon les règlements de PLU. Si certains d'entre eux ouvrent des possibilités très encadrées, d'autres, en revanche, sont un peu plus laxistes.
II - L'interprétation des dispositions du POS
L'article NC1 du POS de la commune requérante fait partie de ces règlements assez favorables aux propriétaires d'immeubles situés en zone NC. Cet article autorise, en effet, outre les constructions liées à l'activité agricole, "l'aménagement et l'extension des autres constructions à usage d'habitation dans la limite d'une surface hors oeuvre nette de 250 m²". La possibilité ainsi ouverte par le POS est très loin d'être négligeable. Et c'est précisément ce dont le requérant voulait bénéficier. Cet article est mal rédigé.
En premier lieu, et c'est l'apport de la décision du Conseil d'Etat, le concept de "construction à usage d'habitation" ne se limite pas aux immeubles qui font actuellement l'objet d'une habitation. Ainsi que le relève le Conseil d'Etat, "la circonstance qu'une construction à usage d'habitation n'aurait pas été occupée, même pendant une longue période, n'est pas, par elle-même, de nature à changer sa destination". Cette solution est techniquement exacte. Il est suffisamment rare que le Conseil d'Etat procède à une interprétation littérale pour ne pas le souligner. Aucune disposition de l'article NC1 ne permettait, en effet, de justifier l'analyse de la cour administrative d'appel (1), selon laquelle la possibilité offerte par le POS ne s'appliquait qu'aux seuls immeubles étant effectivement habités à la date de la demande de permis de construire. Le juge d'appel voulait manifestement encadrer les dérogations ouvertes par le POS. Peut-être a-t-il, également, voulu reprendre à son compte les habitudes du juge de cassation : on sait pertinemment que le raisonnement finaliste du Conseil défie parfois tous les pronostics et est, en tout état de cause, assez souvent rebelle à l'interprétation littérale des textes. Il est vrai que ce dernier mode d'interprétation retire au juge toute possibilité de s'affranchir des textes et de la volonté de leurs auteurs.
En conséquence, le Conseil d'Etat interprète donc l'article NC1 de la manière la plus stricte et la plus rigoureuse, lorsqu'il énonce que, "doivent être regardées comme des constructions à usage d'habitation, au sens et pour l'application du 2. de l'article NC1 du règlement du POS précité, les édifices destinés, compte tenu de leurs caractéristiques propres à l'habitation". Il importe donc peu que l'immeuble ne soit pas habité : le seul critère applicable est celui de sa destination réelle. On notera, cependant, que l'arrêt prend soin de limiter l'interprétation qu'il donne aux seules dispositions en cause : en effet, la dissociation opérée par le Conseil entre les caractéristiques intrinsèques d'un bâtiment et l'usage effectif qui en est fait n'est valable que pour les dispositions en cause et ne peut donc être utilement invoquée pour interpréter d'autres articles du POS.
Cet arrêt n'a donc pas de portée générale. Il ouvre, toutefois, des possibilités importantes dans les communes dont les POS reprennent cette disposition. En effet, le véritable enjeu des zones NC1 ne réside pas dans l'extension des immeubles qui font l'objet d'une habitation effective : que ces immeubles aient été édifiés avant toute réglementation d'urbanisme ou qu'ils aient été édifiés légalement, la réalisation de travaux d'agrandissement et d'aménagement n'emporte que peu de conséquences. En revanche, il en va tout autrement des maisons inhabitées, parfois dans un état douteux, mais qui ont incontestablement une destination d'habitation. Les notaires ont l'habitude de désigner ce genre de constructions sous le vocable générique de "maison à usage d'habitation" pour peu que les caractéristiques du bâtiment, peu important son état réel, montrent qu'il n'a pas été construit pour servir de hangar agricole. Cette dénomination dépourvue de la moindre valeur juridique trompe souvent les acquéreurs de bonne foi qui se retrouvent avec un bien sur lequel la commune leur refuse, ultérieurement, tout permis de construire. On relèvera que la décision du Conseil d'Etat ne règle, cependant, pas toutes les difficultés qui peuvent surgir. En particulier, le contentieux ne manquera pas de surgir sur l'étendue exacte de la notion de "caractéristiques propres" : l'état d'abandon de l'immeuble varie selon chaque cas et le juge sera certainement amené à revenir sur ce point pour tracer une frontière entre les immeubles qui peuvent bénéficier de ces travaux d'aménagement et d'agrandissement, et ceux qui sont trop abîmés pour en profiter... La jurisprudence a déjà précisé que l'inoccupation d'un immeuble pendant une longue période ne suffit pas à le priver de la destination qui ressort de ses caractéristiques propres, à condition qu'il ne soit pas devenu une ruine (2).
En second lieu, l'article en question est, également, mal rédigé car il ne précise pas la portée exacte de la référence à la SHOB. En effet, l'article NC1 ne précise pas si la limite de surface qu'il évoque (250 m² de SHOB) recouvre la totalité de l'immeuble après réalisation des travaux, ou si elle porte exclusivement sur la surface maximale qui peut être réalisée en supplément, au titre des travaux d'extension. Il apparaît, dans un premier temps, plus logique de considérer que la surface s'applique à la totalité de l'immeuble après travaux. Toutefois, une interprétation littérale du texte peut conduire à la solution inverse. En l'occurrence, l'importance de la limite fixée par ce POS réduit l'enjeu de la question : 250 m² de SHOB constitue, en effet, une surface particulièrement imposante et permet de transformer une petite maisonnette rurale inhabitée en une vaste maison. Dans l'hypothèse d'une limite sensiblement plus basse, l'enjeu serait, en revanche, beaucoup plus important, et pourrait conduire à opter pour la seconde interprétation. Le constat est banal mais incontournable : l'insuffisante qualité de rédaction des textes est source d'incertitudes et de contentieux.
Le Conseil d'Etat censure donc la décision attaquée pour erreur de droit et renvoie l'affaire à la cour administrative d'appel qui devra statuer sur la demande d'injonction d'avoir à délivrer le permis demandé. Sans faire de pronostic hasardeux, on peut douter du succès de cette procédure : le juge du fond fait un usage modéré de ses pouvoirs d'injonction et il ne se substituera pas à l'administration pour délivrer un permis de construire. Tout au plus enjoindra-t-il à la commune de reprendre l'instruction du dossier de demande de permis qui ne pourra plus être refusé sur la base de l'interprétation de l'article NC1 qui a été censurée par le Conseil d'Etat.
L'engouement pour les énergies renouvelables, et, en particulier, pour l'énergie éolienne, n'est pas lié uniquement à la recherche d'une plus grande protection de l'environnement et à une réduction des gaz dits "à effet de serre". Les mécanismes de l'obligation d'achat, même s'ils sont aujourd'hui limités dans le temps, ont eu un impact déterminant sur le développement des parcs éoliens. En attendant, les éoliennes, en plus de défigurer tous les paysages français, sont devenues une abondante source de contentieux administratif dans lequel les requérants assument, il faut le leur reconnaître, le rôle des "méchants". Un arrêt du 9 décembre 2011 qui sera publié au recueil vient encore renforcer l'appui juridique dont profitent les bénéficiaires des obligations d'achat. L'apport essentiel de cette décision réside dans la confirmation du fait qu'une commune peut légalement autoriser l'implantation des éoliennes dans une zone NC du POS.
I - Le contrôle du juge de cassation
Le Conseil d'Etat écarte trois moyens soulevés par les requérants.
Tout d'abord, le traditionnel défaut de motivation est rejeté. Les requérants soulevaient ce moyen à l'égard de l'analyse du préfet sur la qualité du site. Le Conseil constate que "le paysage, qui est essentiellement composé d'une garrigue basse avec des chênes kermès et des ajoncs, sans arbre, et ponctuellement des pelouses et des pointements rocheux, ne présente pas un intérêt particulier, et qu'il ne fait pas l'objet de classement, ni de protection". Il relève, également, que le fait, pour la cour administrative d'appel (3), de n'avoir pas "mentionné l'appartenance du site à une aire de production de vin d'appellation d'origine contrôlée", ne constitue pas un défaut de motivation. Par le biais du contrôle de la motivation, le juge de cassation constate donc l'absence d'erreur manifeste d'appréciation.
Le Conseil rejette ensuite le grief tiré de la dénaturation du dossier. Les requérants soutenaient que la présence d'éoliennes induisait un risque particulier en matière d'incendie et de lutte contre ceux-ci. La cour administrative d'appel avait, cependant, estimé qu'ils n'apportaient aucun élément en ce sens. La dénaturation, très fréquemment invoquée en cassation, n'est pas retenue par le Conseil d'Etat. On relèvera que ce grief est assez rarement reconnu comme fondé, quand bien même le requérant apporte des éléments tangibles à l'appui de son moyen.
Le juge de cassation écarte, enfin, le grief tiré de l'irrégularité de la procédure. La décision d'appel avait, en effet, écarté comme inopérant un moyen tiré de la violation de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature (N° Lexbase : L4214HKB), et du décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 (N° Lexbase : L8893IQG). Ces deux textes bien connus régissent les enquêtes publiques et précisent, notamment, le contenu des études d'impact qui sont exigées par plusieurs législations particulières, notamment le Code de l'expropriation. Or, en l'espèce, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait que la délivrance du permis de construire fut précédée d'une étude d'impact. Dès lors, la cour avait logiquement considéré que les exigences de la loi de 1976 et de son décret d'application de 1977 n'étaient pas applicables. Le moyen tiré de la violation de ces dispositions était donc inopérant. Le Conseil d'Etat valide très logiquement cette solution en relevant qu'en "écartant comme inopérant le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact dont il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis qu'elle avait été produite de sa propre initiative par la société [...] alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoyait, à la date de délivrance du permis contesté, que celui-ci devait être précédé d'une étude d'impact, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit". On relèvera que l'administration et le pétitionnaire sont ici dans deux situations différentes. Alors que l'administration est contrainte de respecter les règles de procédure auxquelles elle se soumet volontairement (4), le pétitionnaire qui dépose une étude d'impact qui n'est pas imposée par les textes ne se trouve pas soumis aux textes qui régissent les études imposées par la loi.
II - Les éoliennes et les documents d'urbanisme
La décision du Conseil d'Etat confirme donc que la règle générale de l'inconstructibilité des secteurs NC comporte de nombreuses exceptions. Sont normalement admises les constructions qui sont étroitement liées à l'activité agricole. On sait que la jurisprudence administrative est restrictive en ce domaine. Les zones NC sont, en effet, réservées à l'exploitation des richesses naturelles du sol ou du sous-sol. La construction située dans cette zone doit donc être absolument nécessaire à l'exercice ou au maintien de l'activité agricole. Cette condition n'est pas remplie dans le cas d'un hangar destiné à l'hébergement des salariés de l'exploitation, dès lors que le pétitionnaire n'apporte aucun élément tendant à démontrer l'utilité de ce projet (5).
Les PLU laissent aux communes la liberté d'admettre ou non les éoliennes ou les équipements d'intérêt collectif en zones naturelles (zones N). Le Code de l'urbanisme ne limite pas, a priori, la nature des constructions qui peuvent y être admises. C'est donc aux PLU de déterminer la nature des travaux, des ouvrages, et constructions, susceptibles d'y être autorisés. Il faut, cependant, noter que les éoliennes ne peuvent pas, en principe, être admises, dans les zones N qui sont protégées en raison de la qualité particulière des sites et des paysages, notamment dans les espaces remarquables des communes littorales (Circulaire du 10 septembre 2003, relative à la promotion de l'énergie éolienne terrestre N° Lexbase : L5046IRC).
L'arrêt du 8 décembre 2011 interprète de manière particulièrement audacieuse et assez originale les règles de zonage définies à l'article R. 123-8 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5539HW3). Il estime, en effet, "qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la valeur agricole des terres ou la richesse du sol ou du sous-sol ne sont pas les seuls critères qui puissent être pris en compte pour le classement de parcelles dans une zone de richesses naturelles, et que d'autres critères peuvent être retenus pour autant qu'ils reposent sur la richesse naturelle des lieux". Il fait, ensuite, une analyse pour le moins subjective de la notion de richesse naturelle des lieux puisqu'il énonce "que l'exposition au vent pouvait ainsi être retenue comme critère pris en compte pour le classement en zone naturelle".
L'exposition au vent peut donc être considérée comme un facteur de richesse naturelle. Si l'analyse peut paraître séduisante au premier abord pour les zélateurs des énergies renouvelables, elle pose, néanmoins, quelques questions. En particulier, étant donné que l'exposition au vent est susceptible d'être mesurée scientifiquement, on peut se demander à partir de quel degré d'exposition on atteint la qualification de "richesse naturelle".
La seconde difficulté soulevée par le Conseil d'Etat concerne l'articulation des dispositions du règlement de la zone NC. En effet, à partir du moment où les constructions autorisées dans le secteur NCe à vocation d'énergie éolienne dérogent à certaines règles du secteur NC, il convient de déterminer les règles incompatibles avec ce secteur spécial. Le Conseil fait, ainsi, le tri entre les dispositions "manifestement incompatibles avec l'implantation des éoliennes", et celles qui s'imposent à ces ouvrages. Parmi les premières figurent "celle de l'article NC10 limitant la hauteur des constructions à huit mètres cinquante". En revanche, les règles de l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives fixée à l'article NC7 ne sont pas considérées comme manifestement incompatibles avec les éoliennes. Le Conseil censure, ainsi, la cour qui avait considéré que les règles de prospect de la zone NC étaient inapplicables au secteur NCe. Le juge de cassation estime, en effet, qu'aucune "disposition du règlement n'écarte l'application de cet article au secteur NCe [...] ainsi, en jugeant que les auteurs du règlement du plan avaient entendu faire échapper aussi le secteur NCe aux règles de prospect de l'article NC7 non manifestement incompatibles avec l'implantation des éoliennes, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit".
L'appréciation des règles applicables dépend donc de la nature des installations. A propos de l'implantation en zone NC d'un pylône radiotéléphonique de 30 mètres de haut et d'un local technique, le Conseil d'Etat a estimé que les dispositions du règlement régissant la hauteur des constructions réalisées dans la zone en question s'appliquent à toutes les constructions qu'il s'agisse, ou non, de bâtiments. Le POS imposant une hauteur maximale de 9 ou 10 mètres selon la vocation de l'immeuble, le juge a considéré que l'annulation de la décision de non-opposition n'était pas entachée d'erreur de droit (6).
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